les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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20.11.2014 Views

l'homme idéologisé en un homme professionalisé ; autrement dit, c'est une conversion du monde social autour du monde spécialisé issu de la socialisation secondaire, au sens de Berger et Luckmann. Dans cette perspective, l'ingénieur égyptien a bien intériorisé les connaissances scientifiques et techniques grâce à sa profession et à son entreprise. IV-5. Les significations de l'orientation modernisatrice faible Rappelons que dans le cas des ingénieurs syriens, la faiblesse de l'orientation modernisatrice a cédé la place à l'émergence d'autres orientations qui, à leur tour, donnent de diverses significations à l'orientation modernisatrice : orientation professionnelle faible, l'orientation corporatiste et l'orientation "esthétiquement" islamiste, Pour pouvoir comparer les ingénieurs égyptiens avec les ingénieurs syriens, nous allons adopter le même modèle théorique présentant les combinaisons entre les orientations faiblement modernisatrices avec les autres orientations. Ceci nous permet de distinguer trois modalités d'action : loyalty, exit et voice, pour reprendre les termes de Hirschman. Ensuite, nous verrons jusqu'à quel point ce modèle s'adapte aux ingénieurs égyptiens. Avant d'analyser ces orientations, nous comparons les représentations des ingénieurs égyptiens avec celles de leurs collègues syriens à l'égard de l'Occident. L'image de l'Occident dressée par les ingénieurs égyptiens est marqué par un impact d'un contexte plus pluraliste politiquement et économiquement. En la comparant avec celle de leurs homologues syriens, l'altérité devient plus diversifiée et plus désenchantée. Cependant, la dimension politique reste le caractère principal de l'image de l'Occident mais relevant, d'un côté, du présent plus que du passé (les interlocuteurs égyptiens évoquent moins le colonialisme et encore moins Israël), et de l'autre côté, du réel plus que de l'imaginaire (l'Occident est dominant par le Fonds Monétaire International qui impose un plan économique sans souci du social ou par l'aide qu'il octroi en dictant un mode de consommation analogue à celle de l'Occident). L'action militaire de l'Occident pendant la guerre du Golfe a été critiquée par une bonne partie des ingénieurs essentiellement le caractère abusif de la destruction de l'Iraq, sans pour autant remettre en cause la légitimité de l'intervention. A l'inverse, ce dernier point a été ardemment soulevé par leurs collègues syriens 457 . Quant à Israël, s'il est peu évoqué dans leur discours comme ennemi, il est toujours lié à l'espace occidental. L'idée de "complot occidental" contre l'Orient est remplacée par d'autres idées qui semblent plus réalistes, comme l'évocation du problème de la contradiction dans les intérêts économiques entre pays producteur cherchant un marché et producteurs locaux cherchant à produire et à être autosuffisants. Comparé à celui des ingénieurs syriens, le discours de leurs homologues égyptiens est plus varié en fonction de l'idéologie de référence : l'islamisme, le nationalisme ou autres. Certains islamistes égyptiens se montrent plus sceptiques et plus méfiants vis-à-vis de l'Occident "historiquement hostile à l'intérêt de l'Egypte et des musulmans", dit S. Gh. Cependant, quelle que soit l'idéologie adoptée par les ingénieurs, la particularité sociale et morale de l'Egypte fait presque l'unanimité. * * * * * 457 - La rupture des Etats arabes avec l'Egypte pendant trois ans, à la suite des accords de Camp David, a affaibli le sentiment arabiste chez les Egyptiens ayant subi de plein fouet la fermeture du marché du travail arabe. Ceux-ci ont saisi l'opportunité de la crise du Golfe pour améliorer leur place vis-à-vis des pays arabes riches, en l'occurrence les pays du Golfe. Ce fait expliquerait, en partie, la divergence de positions entre la population syrienne et celle de l'Egypte. En outre, la prise de position a été accompagnée d'un mouvement massif d'émigration vers le Golfe remplaçant ainsi les Palestiniens et les Jordaniens et d'autres sur le marché de travail.

IV-5-1. L'orientation professionnelle faible En étudiant le cas de la Syrie, nous avons constaté que les jeunes ingénieurs fonctionnaires s'identifiaient faiblement à leur profession. Ils participent passivement à la modernisation entamée par l'Etat sans la remettre en cause. Le cas de l'Egypte est fort différent, nous trouvons certes ce modèle mais il est beaucoup moins fréquent et ne relève pas de la même catégorie sociale : ce ne sont pas forcément des jeunes. Les jeunes, quant à eux, participent mieux à la vie syndicale et à la vie civile et ne se privent pas de contester de façon plus radicale la modernisation entamée par l'Etat. Cependant, le rapport au secteur dans lequel l'ingénieur travaille n'est pas déterminant : les fonctionnaires bénéficiant d'une marge de liberté participent au débat sur le développement et le critiquent, ils sont soucieux d'influencer la décision prise par leurs supérieurs autant que leurs collègues du secteur privé, contrairement au cas syrien. Si nous observons en Egypte le même désarroi, le même sur-effectif, la même dégradation symbolique de leur situation qu'en Syrie, le sentiment d'appartenir à une société relativement forte dans son historicité est très important chez les ingénieurs égyptiens : "Je vote à toutes occasions, pour toute élection syndicale, municipale, parlementaire. (..) Bien que je ne sois pas sûr que l'Etat ne truque les élections, ma voix participe à changer les mauvaises choses dans ce pays." "Etat militaire, Etat policier, c'est vrai mais à force de critiquer de façon récurrente dans la presse et dans le lieu de travail, on continue à faire apparaître et à marginaliser toutes les manoeuvres politiciennes". Notre enquête montre de façon évidente une participation plus importante aux votes professionnels et aux votes politiques chez les ingénieurs égyptiens que chez leurs collègues syriens. 458 "Je suis fier d'être un ingénieur qui peut jouer à travers le syndicat et le travail un rôle dans la renaissance de ce pays.". Les jeunes ingénieurs salariés qui s'expriment ainsi sont conscients du type transitoire de leur société : c'est-à-dire un développement accablé par des relations clientélistes, une démocratie restreinte, un droit souvent piétiné par la loi martiale en vigueur. Ils participent à la modernisation à leur manière. Par contre, une partie des ingénieurs, plus âgés et appartenant souvent au secteur privé ne montrent aucun engagement : ils parlent de leur travail sans faire allusion au développement et aux intérêts nationaux. Il nous semble qu'ils sont plus loyaux à leur organisation qu'à leur profession. Dans leurs propos, "nous" désigne souvent les cadres au sein de l'entreprise. L'idée d'un regroupement des ingénieurs ayant la même profession est absente. IV-5-2. L'orientation corporatiste : Le syndicat a joué un rôle très important dans la mise en oeuvre d'une identité corporatiste chez les ingénieurs : identité d'appartenance à une profession technoscientifique digne de son nom. Or, cette identification est accentuée par la place que le syndicat occupe dans l'espace de la société civile : dans la dernière crise (l'adoption de la nouvelle loi électorale pour les syndicats), les ingénieurs se sont montrés à l'avant-garde des forces qui appellent à la démocratie. Donc c'est un corporatisme beaucoup plus offensif, par rapport à leurs collègues syriens, exprimant ainsi plutôt par "voice" plus que par "exit". Cependant, comme dans le cas de la Syrie, dans le discours des ingénieurs corporatistes, deux adversaires sont apparus : l'Etat et l'expert étranger. 458 - Les ingénieurs syriens interrogés déclarent rarement qu'ils votent pour désigner la direction de leur syndicat (15%) et encore moins pour les différentes élections politiques (6%).

IV-5-1. L'ori<strong>en</strong>tation professionnelle faible<br />

En étudiant le cas de la Syrie, nous avons constaté que <strong>les</strong> jeunes ingénieurs<br />

fonctionnaires s'id<strong>en</strong>tifiai<strong>en</strong>t faiblem<strong>en</strong>t à leur profession. Ils particip<strong>en</strong>t passivem<strong>en</strong>t à la<br />

<strong>modernisation</strong> <strong>en</strong>tamée par l'Etat sans la rem<strong>et</strong>tre <strong>en</strong> cause. Le cas de l'Egypte est fort<br />

différ<strong>en</strong>t, nous trouvons certes ce modèle mais il est beaucoup moins fréqu<strong>en</strong>t <strong>et</strong> ne relève<br />

pas de la même catégorie sociale : ce ne sont pas forcém<strong>en</strong>t des jeunes. Les jeunes, quant<br />

à eux, particip<strong>en</strong>t mieux à la vie syndicale <strong>et</strong> à la vie civile <strong>et</strong> ne se priv<strong>en</strong>t pas de contester<br />

de façon plus radicale la <strong>modernisation</strong> <strong>en</strong>tamée par l'Etat. Cep<strong>en</strong>dant, le rapport au<br />

secteur dans lequel l'ingénieur travaille n'est pas déterminant : <strong>les</strong> fonctionnaires<br />

bénéficiant d'une marge de liberté particip<strong>en</strong>t au débat sur le développem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> le<br />

critiqu<strong>en</strong>t, ils sont soucieux d'influ<strong>en</strong>cer la décision prise par leurs supérieurs autant que<br />

leurs collègues du secteur privé, contrairem<strong>en</strong>t au cas syri<strong>en</strong>.<br />

Si nous observons <strong>en</strong> Egypte le même désarroi, le même sur-effectif, la même<br />

dégradation symbolique de leur situation qu'<strong>en</strong> Syrie, le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d'appart<strong>en</strong>ir à une<br />

société relativem<strong>en</strong>t forte dans son historicité est très important chez <strong>les</strong> ingénieurs<br />

égypti<strong>en</strong>s :<br />

"Je vote à toutes occasions, pour toute élection syndicale, municipale,<br />

parlem<strong>en</strong>taire. (..) Bi<strong>en</strong> que je ne sois pas sûr que l'Etat ne truque <strong>les</strong> élections, ma voix<br />

participe à changer <strong>les</strong> mauvaises choses dans ce pays."<br />

"Etat militaire, Etat policier, c'est vrai mais à force de critiquer de façon<br />

récurr<strong>en</strong>te dans la presse <strong>et</strong> dans le lieu de travail, on continue à faire apparaître <strong>et</strong> à<br />

marginaliser toutes <strong>les</strong> manoeuvres politici<strong>en</strong>nes". Notre <strong>en</strong>quête montre de façon évid<strong>en</strong>te<br />

une participation plus importante aux votes professionnels <strong>et</strong> aux votes politiques chez <strong>les</strong><br />

ingénieurs égypti<strong>en</strong>s que chez leurs collègues syri<strong>en</strong>s. 458<br />

"Je suis fier d'être un ingénieur qui peut jouer à travers le syndicat <strong>et</strong> le travail<br />

un rôle dans la r<strong>en</strong>aissance de ce pays.".<br />

Les jeunes ingénieurs salariés qui s'exprim<strong>en</strong>t ainsi sont consci<strong>en</strong>ts du type<br />

transitoire de leur société : c'est-à-dire un développem<strong>en</strong>t accablé par des relations<br />

cli<strong>en</strong>télistes, une démocratie restreinte, un droit souv<strong>en</strong>t piétiné par la loi martiale <strong>en</strong><br />

vigueur. Ils particip<strong>en</strong>t à la <strong>modernisation</strong> à leur manière.<br />

Par contre, une partie des ingénieurs, plus âgés <strong>et</strong> appart<strong>en</strong>ant souv<strong>en</strong>t au<br />

secteur privé ne montr<strong>en</strong>t aucun <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t : ils parl<strong>en</strong>t de leur travail sans faire allusion<br />

au développem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> aux intérêts nationaux. Il nous semble qu'ils sont plus loyaux à leur<br />

organisation qu'à leur profession. Dans leurs propos, "nous" désigne souv<strong>en</strong>t <strong>les</strong> cadres au<br />

sein de l'<strong>en</strong>treprise. L'idée d'un regroupem<strong>en</strong>t des ingénieurs ayant la même profession est<br />

abs<strong>en</strong>te.<br />

IV-5-2. L'ori<strong>en</strong>tation corporatiste :<br />

Le syndicat a joué un rôle très important dans la mise <strong>en</strong> oeuvre d'une id<strong>en</strong>tité<br />

corporatiste chez <strong>les</strong> ingénieurs : id<strong>en</strong>tité d'appart<strong>en</strong>ance à une profession technosci<strong>en</strong>tifique<br />

digne de son nom. Or, c<strong>et</strong>te id<strong>en</strong>tification est acc<strong>en</strong>tuée par la place que le<br />

syndicat occupe dans l'espace de la société civile : dans la dernière crise (l'adoption de la<br />

nouvelle loi électorale pour <strong>les</strong> syndicats), <strong>les</strong> ingénieurs se sont montrés à l'avant-garde<br />

des forces qui appell<strong>en</strong>t à la démocratie. Donc c'est un corporatisme beaucoup plus<br />

off<strong>en</strong>sif, par rapport à leurs collègues syri<strong>en</strong>s, exprimant ainsi plutôt par "voice" plus que<br />

par "exit". Cep<strong>en</strong>dant, comme dans le cas de la Syrie, dans le discours des ingénieurs<br />

corporatistes, deux adversaires sont apparus : l'Etat <strong>et</strong> l'expert étranger.<br />

458 - Les ingénieurs syri<strong>en</strong>s interrogés déclar<strong>en</strong>t rarem<strong>en</strong>t qu'ils vot<strong>en</strong>t pour désigner la direction de<br />

leur syndicat (15%) <strong>et</strong> <strong>en</strong>core moins pour <strong>les</strong> différ<strong>en</strong>tes élections politiques (6%).

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