les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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ingénieurs interrogés ont largement exprimé leur préférence pour le secteur privé au détriment des sociétés de production nationalisées. Si l'on croise cette attitude actuelle avec celle qui ressort de l'étude menée par Henry Clement Moore en 1973 443 , on ne peut que remarquer une continuité persistante. Quant au type de travail, les ingénieurs égyptiens et leurs prédécesseurs préfèrent les tâches techniques aux postes de gestion que l'Etat leur propose. Ceci est à l'opposé des ingénieurs français étudiés par Lasserre 444 , qui se sont prononcés pour des carrières de gestion qui donne mieux accès à des postes stratégiques. L'attachement à l'aspect technique laisse envisager plus de degrés d'une certaine professionnalisation chez les ingénieurs égyptiens, de même les syriens, que chez leurs collègues occidentaux. Autrement dit, chez ces derniers, la loyauté à l'organisation est plus importante qu'à la profession. 445 Bref, la situation du secteur public égyptien n'est pas très différente de celle de la Syrie. Les ingénieurs dans les deux pays sont omniprésents dans les différents niveaux du système : au gouvernement, au parlement, etc. Cependant, leur part dans l'industrie reste faible, alors que le BTP (bâtiment et travaux publics) et l'administration en absorbent un nombre impressionnant. De fait, Une bureaucratisation de la profession, à différents degrés, la rend à l'avance très vulnérable aux retournements de conjoncture. Dans une situation de crise économique, le chômage frappe de plein fouet la profession. Or, menacés de plus par la privatisation de leurs entreprises qui entraîne forcément des licenciements massifs, les ingénieurs égyptiens résistent mieux que leurs homologues syriens à ces conjonctures. En fait, l'effet bénéfique de cette menace fait que les ingénieurs du secteur public sont contraints d'améliorer leur niveau scientifique et technique, mais leur niveau reste inférieur à celui de leurs collègues dans le secteur privé. IV-3. Les ingénieurs-hommes d'affaires : Veblen 446 , dans les années 20, avait souligné que le système moderne était caractérisé par une alliance entre les ingénieurs et les hommes d'affaires. Cette alliance ne dura pas longtemps. Au fur et à mesure que ce système se mécanise, les hommes d'affaires "sabotèrent" la production par leur ignorance de la technique. En Egypte, à côté de ce phénomène que l'on observe, les ingénieurs eux-même deviennent hommes d'affaires, ce qui facilite la négociation entre le monde de l'argent et celui de la compétence technique. Il n'en reste pas moins que le problème se pose dans les relations entre le bloc ingénieurshommes d'affaires et l'Etat. En fait, l'émergence de nouveaux entrepreneurs en Egypte ne doit pas entretenir l'illusion sur la nature de cette "classe" : ils restent, contrairement à la bourgeoisie européenne du début de l'ère industrielle, des entrepreneurs parasitaires 447 qui 443 - Selon son enquête, le cinquième de son échantillon préfère de travailler dans le secteur public. Cf. Moore, op. cit., p. 128. 444 - Henri Lasserre, Le pouvoir des ingénieurs, Paris, l'Harmattan, 1989. 445 - Nous émettons des réserves par rapport à la démarche de Lasserre qui postule l'unidimensionalité de la notion de "profession" opposée à celle d'"organisation", car l'entreprise n'est pas une simple organisation, elle est une institution dans la mesure où elle remplit une fonction sociale et répond à une valeur sociale. Cf. Alain Touraine, "Rationalité et politique dans l'entreprise", in Economie Appliquée, XVII, 4, 1964. et Georges Benguigui, "La professionnalisation des cadres dans l'industrie", Sociologie du travail, nø 2, avril-juin 1967. 446 - Thorstein Veblen, Les ingénieurs et le capitalisme, Paris, Gamma, 1971, p. 16-50. 447 - Cf. Samia Saïd Imam, man yamlik masr, dirasa tahliliyya lil-usul al-ijtima'yyah 1974- 1980 (A qui appartient l'Egypte. Etude analytique de l'origine sociale 1974- 1980), Le Caire, éd. Dar al- Mustakbal al-arabie, 1986, pp. 121-135.

assurent plutôt le commerce entre l'Occident et l'Egypte que la production des biens. Or, on peut se demander si l'entrée massive des ingénieurs parmi les hommes d'affaires a changé la nature parasitaire de cette classe ou si, au contraire, ces ingénieurs ne considèrent pas avec envie cette tapageuse bourgeoisie en rêvant vraisemblablement de la rejoindre à l'ombre d'un Etat complice. La situation n'est pas facile à analyser : ces ingénieurs vivent tous les jours les tribulations d'un "système-D" égyptien, dont la clef de voûte est la corruption. On peut observer cependant un changement même si celui-ci n'est pas radical. D'abord, structurellement, l'étude de l'origine sociale et des caractéristiques des cadres industriels et commerciaux dans les années soixante-dix et le début des années quatre-vingts a montré la prédominance de la bourgeoisie traditionnelle d'où sont issus 50% de ces cadres, contre 6% de propriétaires fonciers, et 10% de professionnels libéraux 448 (voir le tableau n 2). Par contre, actuellement, les deux tiers des membres de la Businessmen Association sont des ingénieurs 449 , ce qui indique, d'une part, une évolution de la culture dominante, entraînant une évolution dans le mode de formation de l'élite économique, et d'autre part, une évolution structurelle importante de la population des cadres commerciaux et industriels. 448 - Cf. Malak Zaalouk, Power, Class And Foreign Capital in Egypt- The Rise of the New Bourgeoisie, London, Zed Bouks, 1989, p.132. 449 - Entretien avec T. B., travaillant comme secrétaire dans la Businessmen association. Il faut noter que nous avons gardé le nom de cette association en anglais parce que nos interlocuteurs l'utilisent ainsi.

ingénieurs interrogés ont largem<strong>en</strong>t exprimé leur préfér<strong>en</strong>ce pour le secteur privé au<br />

détrim<strong>en</strong>t des sociétés de production nationalisées. Si l'on croise c<strong>et</strong>te attitude actuelle<br />

avec celle qui ressort de l'étude m<strong>en</strong>ée par H<strong>en</strong>ry Clem<strong>en</strong>t Moore <strong>en</strong> 1973 443 , on ne peut<br />

que remarquer une continuité persistante. Quant au type de travail, <strong>les</strong> ingénieurs<br />

égypti<strong>en</strong>s <strong>et</strong> leurs prédécesseurs préfèr<strong>en</strong>t <strong>les</strong> tâches techniques aux postes de gestion que<br />

l'Etat leur propose. Ceci est à l'opposé des ingénieurs français étudiés par Lasserre 444 , qui<br />

se sont prononcés pour des carrières de gestion qui donne mieux accès à des postes<br />

stratégiques. L'attachem<strong>en</strong>t à l'aspect technique laisse <strong>en</strong>visager plus de degrés d'une<br />

certaine professionnalisation chez <strong>les</strong> ingénieurs égypti<strong>en</strong>s, de même <strong>les</strong> syri<strong>en</strong>s, que chez<br />

leurs collègues occid<strong>en</strong>taux. Autrem<strong>en</strong>t dit, chez ces derniers, la loyauté à l'organisation<br />

est plus importante qu'à la profession. 445<br />

Bref, la situation du secteur public égypti<strong>en</strong> n'est pas très différ<strong>en</strong>te de celle de<br />

la Syrie. Les ingénieurs dans <strong>les</strong> deux pays sont omniprés<strong>en</strong>ts dans <strong>les</strong> différ<strong>en</strong>ts niveaux<br />

du système : au gouvernem<strong>en</strong>t, au parlem<strong>en</strong>t, <strong>et</strong>c. Cep<strong>en</strong>dant, leur part dans l'industrie<br />

reste faible, alors que le BTP (bâtim<strong>en</strong>t <strong>et</strong> travaux publics) <strong>et</strong> l'administration <strong>en</strong> absorb<strong>en</strong>t<br />

un nombre impressionnant. De fait, Une bureaucratisation de la profession, à différ<strong>en</strong>ts<br />

degrés, la r<strong>en</strong>d à l'avance très vulnérable aux r<strong>et</strong>ournem<strong>en</strong>ts de conjoncture. Dans une<br />

situation de crise économique, le chômage frappe de plein fou<strong>et</strong> la profession. Or, m<strong>en</strong>acés<br />

de plus par la privatisation de leurs <strong>en</strong>treprises qui <strong>en</strong>traîne forcém<strong>en</strong>t des lic<strong>en</strong>ciem<strong>en</strong>ts<br />

massifs, <strong>les</strong> ingénieurs égypti<strong>en</strong>s résist<strong>en</strong>t mieux que leurs homologues syri<strong>en</strong>s à ces<br />

conjonctures. En fait, l'eff<strong>et</strong> bénéfique de c<strong>et</strong>te m<strong>en</strong>ace fait que <strong>les</strong> ingénieurs du secteur<br />

public sont contraints d'améliorer leur niveau sci<strong>en</strong>tifique <strong>et</strong> technique, mais leur niveau<br />

reste inférieur à celui de leurs collègues dans le secteur privé.<br />

IV-3. Les ingénieurs-hommes d'affaires :<br />

Vebl<strong>en</strong> 446 , dans <strong>les</strong> années 20, avait souligné que le système moderne était<br />

caractérisé par une alliance <strong>en</strong>tre <strong>les</strong> ingénieurs <strong>et</strong> <strong>les</strong> hommes d'affaires. C<strong>et</strong>te alliance ne<br />

dura pas longtemps. Au fur <strong>et</strong> à mesure que ce système se mécanise, <strong>les</strong> hommes d'affaires<br />

"sabotèr<strong>en</strong>t" la production par leur ignorance de la technique. En Egypte, à côté de ce<br />

phénomène que l'on observe, <strong>les</strong> ingénieurs eux-même devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t hommes d'affaires, ce<br />

qui facilite la négociation <strong>en</strong>tre le monde de l'arg<strong>en</strong>t <strong>et</strong> celui de la compét<strong>en</strong>ce technique. Il<br />

n'<strong>en</strong> reste pas moins que le problème se pose dans <strong>les</strong> relations <strong>en</strong>tre le bloc ingénieurshommes<br />

d'affaires <strong>et</strong> l'Etat.<br />

En fait, l'émerg<strong>en</strong>ce de nouveaux <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs <strong>en</strong> Egypte ne doit pas<br />

<strong>en</strong>tr<strong>et</strong><strong>en</strong>ir l'illusion sur la nature de c<strong>et</strong>te "classe" : ils rest<strong>en</strong>t, contrairem<strong>en</strong>t à la<br />

bourgeoisie europé<strong>en</strong>ne du début de l'ère industrielle, des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs parasitaires 447 qui<br />

443 - Selon son <strong>en</strong>quête, le cinquième de son échantillon préfère de travailler dans le secteur public.<br />

Cf. Moore, op. cit., p. 128.<br />

444 - H<strong>en</strong>ri Lasserre, Le pouvoir des ingénieurs, Paris, l'Harmattan, 1989.<br />

445 - Nous ém<strong>et</strong>tons des réserves par rapport à la démarche de Lasserre qui postule<br />

l'unidim<strong>en</strong>sionalité de la notion de "profession" opposée à celle d'"organisation", car l'<strong>en</strong>treprise<br />

n'est pas une simple organisation, elle est une institution dans la mesure où elle remplit une<br />

fonction sociale <strong>et</strong> répond à une valeur sociale.<br />

Cf. Alain Touraine, "Rationalité <strong>et</strong> politique dans l'<strong>en</strong>treprise", in Economie Appliquée, XVII, 4,<br />

1964.<br />

<strong>et</strong> Georges B<strong>en</strong>guigui, "La professionnalisation des cadres dans l'industrie", Sociologie du travail,<br />

nø 2, avril-juin 1967.<br />

446 - Thorstein Vebl<strong>en</strong>, Les ingénieurs <strong>et</strong> le capitalisme, Paris, Gamma, 1971, p. 16-50.<br />

447 - Cf. Samia Saïd Imam, man yamlik masr, dirasa tahliliyya lil-usul al-ijtima'yyah 1974- 1980 (A<br />

qui apparti<strong>en</strong>t l'Egypte. Etude analytique de l'origine sociale 1974- 1980), Le Caire, éd. Dar al-<br />

Mustakbal al-arabie, 1986, pp. 121-135.

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