les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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vu pendant la crise du Golfe la guerre des Fatwa 364 (jurisprudences) où les penseurs et les Partis islamiques se sont divisés en fonction de leurs positions sociales et politiques en se servant des mêmes versets coraniques et Hadiths (paroles du Prophète) pour parvenir à des conclusions tout à fait contradictoires. Le choc de cette crise a ainsi servi d'étincelle pour brûler et démystifier ce qui était un mythe inébranlable. La distance critique prise par l'audience à l'égard de cette dérive s'est produite à des degrés différents. En interrogeant 365 une cinquantaine de personnes, de différentes catégories sociales, parmi les disciples ou les simples admirateurs d'el-Bouti, on peut ainsi discerner deux cercles qui pivotent autour d'el-Bouti: 1-Un petit cercle constitué par les disciples les plus proches de lui et surtout les nonétudiants. Ils se sont rendu compte de l'impact de la conjoncture, surtout politique, sur sa pensée : "Je suis certain qu'il a une bonne intention, mais le pauvre est obligé de dire certaines choses qui satisfont le régime politique". "Dieu sait jusqu'à quel point l'Etat a exercé une pression contre lui. Il a deux choix : soit il refuse de coopérer et par conséquent abandonne le prêche définitivement et même va en prison ; soit il fait l'éloge du pouvoir et justifie sa politique tout en restant libre et pouvant exercer sa prédication pour un public large grâce aux médias. Il a choisi le dernier choix et il a raison.". La plupart de nous interlocuteurs dans ce cercle ont avancé cet argument. Auparavant, ils avaient refusé la distinction entre politique et religieux, car le premier est contingent et doit être guidé par le second. Ce groupe n'a pas pu rompre épistémologiquement avec el-Bouti, mais quand même il a opéré un déplacement dans l'attitude : les fatwas (jurisprudences), les exégèses du Coran et les pensées dites islamiques ne sont pas seulement dues à la lecture du Coran ou la parole du Prophète ni à l'inspiration divine, mais à l'impact des impératifs idéologiques dans lequel ce produit a vu le jour. 2- Un grand cercle constitué par une partie de disciples proches ou par des admirateurs. Ce groupe est déçu de voir la relation étroitement établie entre el-Bouti et le régime syrien. On refuse de le justifier, on a compris que la pensée islamique peut être manipulée par des oulémas ou des intellectuels et qu'il n'y a pas une seule pensée islamique, mais plusieurs, toujours restituées dans l'historicité : "el-Bouti est un homme compromis par l'autorité politique, protégé par elle, médiatisé par elle...." 366 . "Aucune raison ne justifie sa parole. S'il est contraint, il n'a qu'à rester chez lui. On est arrivé à l'époque où les oulémas vendent leur fatwa (jurisprudences) pour des pétrodollars". voilà quelques propos qui montrent le déclin de la figure d'el-Bouti au sein de ce groupe. Certes, la catégorisation est un peu caricaturale, il y a beaucoup de nuances. Nous n'osons pas dire que le dogmatisme religieux en Syrie est en voie de disparition, mais nous pourrons 364 - Cf. par exemple, Revue el-Insan, Paris, Dar el-Insan, nø 5, 1991 (en langue arabe). Elle a présenles prises de position et les arguments suscités par différents penseurs islamistes. 365 - Nous avons mené l'enquête au mois d'août 1991 en Syrie où la question posée était la suivante : " Qu'est-ce que vous pensez du cheikh docteur el-Bouti", nous avons profité du fait que nous connaissions l'attitude d'une partie des interviewés sur el-Bouti quelques années auparavant. 366 - Cette critique a été prononcée en 1992 par le médecin B. H., cité plus haut, qui était très marqué par el-Bouti.

emarquer qu'il est désormais difficile de croire que le discours d'el-Bouti dans sa dimension culturelle et idéologique structure d'une façon durable et définitive la pensée de son public, car le parcours de la recomposition du champ religieux est très long. Nous sommes bien loin de ce que les garants méta-sociaux, pour reprendre le terme d'Alain Touraine, cèdent la place au social. III-3-2-C. L'ingénieur Mohammed Chahrour : Nous avons vu dans le paragraphe précédent le début de la recomposition du champ religieux où le déclin d'une figure emblématique, celle d'el-Bouti, a entraîné un "vide" culturel au profit d'autres tendances dont on voit l'émergence avec une ampleur prépondérante, surtout avec l'ingénieur Mohammed Chahrour. Ce n'est pas par hasard si les débats informels entre les intellectuels et les oulémas deviennent très vifs. Il ne s'agit plus d'une polémique telle qu'autour de l'affaire Salman Rushdie dans laquelle les oulémas ont attaqué très facilement leur adversaire et, aux yeux du public, ont triomphé de lui. En effet, c'est un débat entre des rivaux dont chacun possède des biens symboliques à marchander : - El-Bouti représente un type d'oulémas classiques bien médiatisés avec tout leur poids historique, et qui contrôlent des mosquées. - Mohammed Chahrour, modèle d'une intelligentsia moderne, défend l'idée selon laquelle l'islam devrait se soumettre à l'historicité. C'est un docteur ingénieur qui a du succès dans son travail, et considéré comme un musulman pratiquant et cultivé, toutes caractéristiques qui symbolisent la science, les techniques, la religion et la culture. Né en 1940 à Damas, fils d'un aristocrate foncier, diplômé de génie civil à Moscou, Chahrour est un docteur spécialisé en fondations de l'université de Dublin, ayant un bureau d'études renommé, et un professeur à la faculté de génie civil de l'Université de Damas. A la fin de 1989, il publie un livre en langue arabe intitulé "Le livre et le Coran : lectures modernes" 367 . Il n'hésite pas à indiquer devant son nom qu'il est docteur ingénieur. L'auteur commence, dans son livre, à se demander comment l'islam et les pensées islamiques sont figés depuis la deuxième ère des Abbassides alors que théoriquement l'islam est censé être valable n'importe où et à n'importe quel moment. Il s'interroge pour savoir si notre compréhension du système islamique de la punition, par exemple, correspond à une construction des principes moraux de la société moderne. C'est un livre qui fait l'exégèse du Coran à partir d'une méthode linguistique et en adoptant l'idée selon laquelle les obligations religieuses (sauf quelques unes) doivent se soumettre à la modernité, c'est-à-dire à la science, et à la capacité de développement de la compréhension humaine. Il suscite une vive polémique, en Syrie et ailleurs, sur la validité de l'ijtihad (rénovation) qu'il a mis en évidence. Chahrour, en tant que membre de l'intelligentsia technique, mène un discours critique sur les sujets les plus brûlants dans la société syrienne comme celui de la réforme religieuse. Ce rôle culturel nous rappelle l'analyse de A. W. Gouldner concernant la "New Class" (intellectuels "humanistic" et intelligentsia technique). Cette "nouvelle classe" a une idéologie commune, celle de la "culture of critical discourse", et des intérêts communs, ceux de leur capital culturel. Le discours 367 - Mohammed Chahrour, al-kitab wa al-Qur'an - qira'at mu'âsira (Le livre et le Coran - Lectures modernes) (en arabe), Damas, Ed. Dar al-Fikr, 1989.

vu p<strong>en</strong>dant la crise du Golfe la guerre des Fatwa 364 (jurisprud<strong>en</strong>ces) où <strong>les</strong> p<strong>en</strong>seurs <strong>et</strong> <strong>les</strong> Partis<br />

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1-Un p<strong>et</strong>it cercle constitué par <strong>les</strong> discip<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus proches de lui <strong>et</strong> surtout <strong>les</strong> nonétudiants.<br />

Ils se sont r<strong>en</strong>du compte de l'impact de la conjoncture, surtout politique, sur sa p<strong>en</strong>sée :<br />

"Je suis certain qu'il a une bonne int<strong>en</strong>tion, mais le pauvre est obligé de dire certaines<br />

choses qui satisfont le régime politique". "Dieu sait jusqu'à quel point l'Etat a exercé une pression<br />

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restant libre <strong>et</strong> pouvant exercer sa prédication pour un public large grâce aux médias. Il a choisi le<br />

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La plupart de nous interlocuteurs dans ce cercle ont avancé c<strong>et</strong> argum<strong>en</strong>t. Auparavant, ils<br />

avai<strong>en</strong>t refusé la distinction <strong>en</strong>tre politique <strong>et</strong> religieux, car le premier est conting<strong>en</strong>t <strong>et</strong> doit être<br />

guidé par le second. Ce groupe n'a pas pu rompre épistémologiquem<strong>en</strong>t avec el-Bouti, mais quand<br />

même il a opéré un déplacem<strong>en</strong>t dans l'attitude : <strong>les</strong> fatwas (jurisprud<strong>en</strong>ces), <strong>les</strong> exégèses du Coran<br />

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Prophète ni à l'inspiration divine, mais à l'impact des impératifs idéologiques dans lequel ce produit<br />

a vu le jour.<br />

2- Un grand cercle constitué par une partie de discip<strong>les</strong> proches ou par des admirateurs. Ce<br />

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de le justifier, on a compris que la p<strong>en</strong>sée islamique peut être manipulée par des oulémas ou des<br />

intellectuels <strong>et</strong> qu'il n'y a pas une seule p<strong>en</strong>sée islamique, mais plusieurs, toujours restituées dans<br />

l'historicité :<br />

"el-Bouti est un homme compromis par l'autorité politique, protégé par elle, médiatisé par<br />

elle...." 366 . "Aucune raison ne justifie sa parole. S'il est contraint, il n'a qu'à rester chez lui. On est<br />

arrivé à l'époque où <strong>les</strong> oulémas v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t leur fatwa (jurisprud<strong>en</strong>ces) pour des pétrodollars".<br />

voilà quelques propos qui montr<strong>en</strong>t le déclin de la figure d'el-Bouti au sein de ce groupe.<br />

Certes, la catégorisation est un peu caricaturale, il y a beaucoup de nuances. Nous n'osons<br />

pas dire que le dogmatisme religieux <strong>en</strong> Syrie est <strong>en</strong> voie de disparition, mais nous pourrons<br />

364 - Cf. par exemple, Revue el-Insan, Paris, Dar el-Insan, nø 5, 1991 (<strong>en</strong> langue arabe). Elle a<br />

prés<strong>en</strong>té <strong>les</strong> prises de position <strong>et</strong> <strong>les</strong> argum<strong>en</strong>ts suscités par différ<strong>en</strong>ts p<strong>en</strong>seurs islamistes.<br />

365 - Nous avons m<strong>en</strong>é l'<strong>en</strong>quête au mois d'août 1991 <strong>en</strong> Syrie où la question posée était la suivante<br />

: " Qu'est-ce que vous p<strong>en</strong>sez du cheikh docteur el-Bouti", nous avons profité du fait que nous<br />

connaissions l'attitude d'une partie des interviewés sur el-Bouti quelques années auparavant.<br />

366 - C<strong>et</strong>te critique a été prononcée <strong>en</strong> 1992 par le médecin B. H., cité plus haut, qui était très<br />

marqué par el-Bouti.

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