les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite
les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite
- Les ingénieurs islamistes désengagés ne réclament pas l'islamisation des sciences comme des médecins islamistes égyptiens, d'après Sylvia Chiffoleau, l'ont fait. Mais cette science spécifique musulmane (la médecine musulmane) ne l'est que "par l'éthique qu'elle revendique, et non par une démarche scientifique autonome. (...) La science moderne n'est donc pas condamnée en soi, mais elle doit être purgée de ses bases matérialistes et athées pour être enrichie des valeurs de l'islam." 329 -Différent de celui des islamistes en général, leur discours ne porte pas sur les formes émotionnelles de la foi, c'est-à-dire que leur expressivité appelle à la raison plus qu'au sentiment. Ils n'insistent pas sur l'importance ni de la prière ni des obligations religieuses, ni de la nécessité de se regrouper pour pratiquer d'activités spirituelles. S'ils parlent de l'importance de la prière, ce n'est pas pour l'amour de Dieu mais en tant que panacée "anti-stress", pour parler comme Göle à propos des ingénieurs islamistes turcs. Ils n'évoquent pas dans la discussion l'Au-delà, le paradis, l'enfer. La dissociation entre la pratique religieuse et l'idéologie islamiste est très nette : H. B. dit : "Je ne vais à la mosquée qu'épisodiquement, je sais que j'ai tort, mais je crois que notre salut pour tous nos problème passe par l'islam". C. T. indique en buvant un verre de whisky "maintenant, je suis entrain de boire, c'est très mauvais, mais je crois que ce qui est essentiel dans la religion c'est de faire le bien envers les gens, (...), de ne pas mentir, de ne pas tricher, de ne pas être hypocrite comme la majorité des cheikhs dans ce pays". Nous pouvons également citer le propos d'une femme ingénieur dévoilée, S. B., : "seul l'Etat islamique modéré assure la liberté de penser à tout le monde". La différence est vraisemblablement importante entre ces nouvelles formes d'articulation (discours pratique/ discours religieux) et les formes classiques appréhendées par des ouvriers islamistes (à titre d'exemple). - Si les islamistes désengagés sont une force contestataire de l'Etat, ce n'est pas parce que l'Etat est "athée", mais parce que cet "Etat de barbarie", selon l'expression de Michel Seurat, 330 incarne la corruption, le confessionnalisme, le despotisme. Dans ce sens, leur agir politique est de critiquer le pouvoir et non pas de le conquérir. On est très loin du discours de rejet tenu par la périphérie radicale de certaines courants. L'Etat est symbolisé par son idéologie laïciste : certaines femmes ingénieurs qui portent le foulard, ont contesté cette idéologie qui freine leur ascension sociale à cause de leur tenue : "Je suis l'ingénieur le plus compétent et parmi les plus anciens dans mon département, mais à cause de mon foulard, je n'accéderai jamais à un poste de direction dans cette entreprise. C'est ce que m'a cyniquement dit mon directeur. Depuis que les soldats ont arraché les foulards dans les rues 331 , l'Etat a donné comme consigne à ses administrations de nous marginaliser." 332 Bref, l'islamiste n'hésite donc pas à accepter certains processus de modernisation déjà entamés par l'Etat comme l'industrialisation, la rationalisation des conduites économiques, l'augmentation du PNB, la "scientificité" de la société..., mais il veut contrôler l'historicité : à titre 329 - Cf. Sylvie Chiffoleau, "Islam et médecine moderne en Egypte", in Cahier de Recherche GREMO, Lyon, Maison de l'Orient, 1991, p.9. 330 - Michel Seurat, L'Etat de barbarie, Paris, Ed. Le Seuil, 1989. 331 - Elle fait allusion à une opération menée, en 1981, par les Brigades de défense du frère du Président, Rif'at al-Assad, avec le consentement du Président. Les membres des Brigades ont enlevé dans les rues de Damas les foulards des femmes, y compris les femmes âgées. 332 - Entretien avec B. K. femme ingénieur travaillant dans la société de Jabal qassioun.
d'exemple, on dit oui au travail des femmes à côté de l'homme mais à condition que celles-ci soient voilées, etc. Si l'ingénieur "esthétiquement" islamiste tend vers la logique technocratique, pourquoi met-il en avant surtout un raisonnement non pas sociologique, mais théologique, de l'ordre du préconstruit? Autrement dit et plus généralement, comment articule-t-il sa conscience professionnelle à son identité islamiste? * * * * * Avant de tenter de répondre à ces questions, il est nécessaire de nous appuyer sur des approches théoriques et sociologiques du rapport à la religion : De Durkheim à Troeltsch : Une telle articulation entre conscience professionnelle et identité islamiste parait invraisemblable si l'on suit certaines perceptions de la religion, enfermées dans le paradigme durkheimien qui consiste à définir la religion comme "un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent." 333 .... C'est donc en gros "croyance et rite" ; par les rites, Durkheim entendait les règles de conduite qui prescrivent, comment l'homme doit se comporter avec les choses sacrées. Ces rites fonctionnent différemment d'autres rites comme le rite magique. De cette définition de la religion, nous pouvons tirer deux critères, comme l'indique Mary Douglas, : le premier est l'organisation communautaire des hommes dans le culte de la communauté, le second est la distinction entre le sacré et le profane. Le problème réside dans cette opposition radicale du sacré et du profane qui a été "nécessaire à la théorie durkheimienne de l'intégration sociale" 334 . En revanche, la définition tylorienne de la religion, "belief in spirits" 335 , nous évite par sa généralité de tomber dans le déterminisme durkheimien. Elle met en évidence le fait que "la religion ne réside pas dans une relation avec une norme garantie par son origine sacrée,...., mais dans une relation avec un être" 336 . Une autre définition qui rend mieux compte de la réalité est celle de l'anthropologue anglais A. R. Radcliffe-Brown selon lequel la religion est une sorte de pensée en action 337 . Nous devons nous arrêter plus longuement sur la sociologie troeltschienne, étant donné l'importance de la leçon qu'elle nous donne. Si l'esprit du capitalisme, pour Max Weber, n'est pas intelligible en soi car il puise ses sources dans une éthique protestante, Ernst Troeltsch complique 333 - Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 4ème édition, PUF, 1960, p. 65. 334 - Mary Douglas, De la souillure, Paris, Maspéro, 1981, p. 42. 335 - E. B. Tylor, Primitive culture, 1871, vol 1, p. 491, cité par Jean-Noël Ferrié, op. cit., p. 15. 336 - Jean-Noël Ferrié, op. cit, p. 15. 337 - A. R. Radcliffe-Brown écrit : "Pour comprendre une religion particulière, on doit étudier ses effets, La religion doit, par conséquent, être étudiée en action.". Cf. sa, Structure et fonction dans la société primitive, Paris, Ed. de Minuit, 1969, p. 274.
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spécifique musulmane (la médecine musulmane) ne l'est que "par l'éthique qu'elle rev<strong>en</strong>dique, <strong>et</strong><br />
non par une démarche sci<strong>en</strong>tifique autonome. (...) La sci<strong>en</strong>ce moderne n'est donc pas condamnée <strong>en</strong><br />
soi, mais elle doit être purgée de ses bases matérialistes <strong>et</strong> athées pour être <strong>en</strong>richie des valeurs de<br />
l'islam." 329<br />
-Différ<strong>en</strong>t de celui des islamistes <strong>en</strong> général, leur discours ne porte pas sur <strong>les</strong> formes<br />
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n'insist<strong>en</strong>t pas sur l'importance ni de la prière ni des obligations religieuses, ni de la nécessité de se<br />
regrouper pour pratiquer d'activités spirituel<strong>les</strong>. S'ils parl<strong>en</strong>t de l'importance de la prière, ce n'est<br />
pas pour l'amour de Dieu mais <strong>en</strong> tant que panacée "anti-stress", pour parler comme Göle à propos<br />
des ingénieurs islamistes turcs. Ils n'évoqu<strong>en</strong>t pas dans la discussion l'Au-delà, le paradis, l'<strong>en</strong>fer.<br />
La dissociation <strong>en</strong>tre la pratique religieuse <strong>et</strong> l'idéologie islamiste est très n<strong>et</strong>te :<br />
H. B. dit : "Je ne vais à la mosquée qu'épisodiquem<strong>en</strong>t, je sais que j'ai tort, mais je crois<br />
que notre salut pour tous nos problème passe par l'islam". C. T. indique <strong>en</strong> buvant un verre de<br />
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assure la liberté de p<strong>en</strong>ser à tout le monde". La différ<strong>en</strong>ce est vraisemblablem<strong>en</strong>t importante <strong>en</strong>tre<br />
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- Si <strong>les</strong> islamistes dés<strong>en</strong>gagés sont une force contestataire de l'Etat, ce n'est pas parce que<br />
l'Etat est "athée", mais parce que c<strong>et</strong> "Etat de barbarie", selon l'expression de Michel Seurat, 330<br />
incarne la corruption, le confessionnalisme, le despotisme. Dans ce s<strong>en</strong>s, leur agir politique est de<br />
critiquer le pouvoir <strong>et</strong> non pas de le conquérir. On est très loin du discours de rej<strong>et</strong> t<strong>en</strong>u par la<br />
périphérie radicale de certaines courants. L'Etat est symbolisé par son idéologie laïciste : certaines<br />
femmes ingénieurs qui port<strong>en</strong>t le foulard, ont contesté c<strong>et</strong>te idéologie qui freine leur asc<strong>en</strong>sion<br />
sociale à cause de leur t<strong>en</strong>ue :<br />
"Je suis l'ingénieur le plus compét<strong>en</strong>t <strong>et</strong> parmi <strong>les</strong> plus anci<strong>en</strong>s dans mon départem<strong>en</strong>t,<br />
mais à cause de mon foulard, je n'accéderai jamais à un poste de direction dans c<strong>et</strong>te <strong>en</strong>treprise.<br />
C'est ce que m'a cyniquem<strong>en</strong>t dit mon directeur. Depuis que <strong>les</strong> soldats ont arraché <strong>les</strong> foulards<br />
dans <strong>les</strong> rues 331 , l'Etat a donné comme consigne à ses administrations de nous marginaliser." 332<br />
Bref, l'islamiste n'hésite donc pas à accepter certains processus de <strong>modernisation</strong> déjà<br />
<strong>en</strong>tamés par l'Etat comme l'industrialisation, la rationalisation des conduites économiques,<br />
l'augm<strong>en</strong>tation du PNB, la "sci<strong>en</strong>tificité" de la société..., mais il veut contrôler l'historicité : à titre<br />
329 - Cf. Sylvie Chiffoleau, "Islam <strong>et</strong> médecine moderne <strong>en</strong> Egypte", in Cahier de Recherche<br />
GREMO, Lyon, Maison de l'Ori<strong>en</strong>t, 1991, p.9.<br />
330 - Michel Seurat, L'Etat de barbarie, Paris, Ed. Le Seuil, 1989.<br />
331 - Elle fait allusion à une opération m<strong>en</strong>ée, <strong>en</strong> 1981, par <strong>les</strong> Brigades de déf<strong>en</strong>se du frère du<br />
Présid<strong>en</strong>t, Rif'at al-Assad, avec le cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t du Présid<strong>en</strong>t. Les membres des Brigades ont<br />
<strong>en</strong>levé dans <strong>les</strong> rues de Damas <strong>les</strong> foulards des femmes, y compris <strong>les</strong> femmes âgées.<br />
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