les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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l'intérieur de chaque société, le courant islamiste est profondément et structurellement modifié en même temps qu'il se scinde en des formes extrêmement diverses. La différenciation que nous pouvons observer est bien plus importante que l'effacement des caractéristiques propres au sein d'une synthèse globale, tellement générale qu'elle finit par perdre toute signification. Dans cette perspective, nous prendrons des distances avec un débat politique et idéologique très chargé de stéréotypes, en faveur d'une étude plus sociologique et plus précise sur un cas spécifique tel que les ingénieurs islamistes en Syrie dans les années quatre vingt et quatre vingt-dix. Cet approche devrait permettre également de critiquer, comme le fait Jean-Noël Ferrié, la tendance qui analyse "la société musulmane à partir de la notion de culture" qui tend "à essentialiser les effets structurants d'une identité collective, indépendamment de l'historicité, et à la concevoir comme une forme s'accomplissant à travers le temps" 321 . Avant d'analyser les orientations identitaires d'inspiration islamique chez les ingénieurs, nous devons voir où se situe la catégorie "ingénieurs militants islamistes" par rapport à leurs collègues musulmans en général. Pour cela, arrêtons-nous un moment pour esquisser une typologie de la population musulmane syrienne. Typologie de la population musulmane syrienne Nous allons élaborer cette typologie en quatre termes reprenant chaque fois le pôle religieux et le pôle historique 322 : les pratiquants, les militants, les militants révolutionnaires, les musulmans culturels. 1) Pour les musulmans pratiquants, le pôle religieux de l'islam continue à être vécu dans la vie quotidienne (prières, jeûne du ramadan, don de l'argent pour le "zakat", consommation de nourritures hallal, port du voile pour les femmes, prière du vendredi à la Mosquée ....). Cette pratique sacramentelle n'a pas forcément un contenu dogmatique, c'est-à-dire que l'on peut , tout en pratiquant les obligations religieuses, adhérer à l'idée de la limitation de l'espace religieux à une forme de relation entre Dieu et l'homme. civilisations, constituant une civilisation non-occidentale, émergerait pour défier les intérêts, les valeurs et le pouvoir occidentaux. Il préconise des mesures à prendre à court terme par la politique occidentale qui consistent "to promote greater cooperation and unity within its own civilization, particularly between its European and North American components; (..) to promote and maintain cooperative relations with Russia and Japon; to limit the expansion of the military strength of Confucian and Islamic states; to moderate the reduction of Western military capabilities and maintain military superiority in East and Southwest Asia; to exploit differences and conflicts among Confucian and Islamic states; to support in other civilizations groups sympathetic to Western values and interests; (and) to strengthen international institutions that reflect and legitimate Western interests and values; (...)" pp. 48-49. Cf. S. Huntington, "The Clash of Civilizations?" in Foreign Affairs, New York, Council on Foreign Relations, Summer 1993. Pour une critique de la littérature journalistique et de la théorie purement politique sur la poussée islamiste, souvent hâtive pour commenter les événements brûlants en cours, voir François Burgat, L'islamisme au Maghreb. La voix du Sud, Paris, Ed. Karthala, 1988. 321 - Jean-Noël Ferrié, "Vers une anthropologie déconstructiviste des sociétés musulmanes du Maghreb", p. 5, (non publié) 322 - Rémy Leveau, Dominique Schnapper établissent une typologie en trois terme, nous nous en inspirons tout en la développant en quatre termes. Cf. leur, "Juifs et Musulmans maghrébins", in Revue française de science politique, Paris, volume 37, nø6, décembre 1987.

2) Les militants, font montre d'oscillations constantes entre le pôle historique et le pôle religieux, car pour eux l'historique est devenu aussi primordial que le religieux. Ce pôle de l'historique se réfère, dans les grands lignes, au modèle-paradigme de la société de l'époque inauguratrice de l'islam (c'est-à-dire la première société-Etat commandée par le Prophète Mohammad). Ce militantisme a pour objectifs l'appel aux moeurs islamiques, au système politique de la choura (un parlement consultatif) et au système économique prohibant l'usure, mais cela ne se passe pas sans modification de la perception de ces concepts, dont nous parlerons plus loin. Si ce sont bienles finalités de ce militantisme, comment se traduisent-elles en action? Les militants sont en général des intellectuels ayant souvent entamé des études de sciences et qui sont autodidactes en matière de religion comme de pensée politique. Il ne s'agit plus d'oulémas 323 (les savants dans la tradition religieuse) mais plutôt des gens qui exercent leur métier d'ingénieur, d'enseignant, de médecin, d'avocat, etc. Leurs pratiques discursives et leurs comportements sociaux les montrent très engagés dans la vie quotidienne. Ce sont de nouveaux militants dont ceux que nous appelons les ingénieurs "esthétiquement" islamistes font partie. Cependant, nous nous demandons pourquoi ces militants sont fascinés par les sciences pures ou appliquées. Olivier Roy propose une explication : ces sciences "sont présentées non comme démarche propre mais comme illustration de la cohérence du tout, de la volonté divine, de la rationalité de l'un. Ici la vulgarisation joue à plein. Le réinvestissement des savoirs techniques par les nouveaux intellectuels (....) est caractéristique de cette perception de l'unicité, qui, battue en brèche par les sciences humaines, est au contraire réaffirmée, sur le mode paradigmatique et apologétique, par les "sciences". L'ingénieur est ici un prêcheur plus qu'un militant : il dispose par son métier d'un stock de paradigmes et d'illustrations de la grandeur de Dieu. Le positivisme s'allie fort bien avec le religieux." 324 Cette particulière attirance des scientifiques pourrait également être due au fait que "l'acculturation a sans doute fonctionné de manière plus efficace dans les matières juridiques et littéraires que dans l'univers abstrait des sciences exactes, où le vide culturel s'est fait plus vite sentir." 325 Concernant l'influence des Frères musulmans sur les ingénieurs, (d'ailleurs les militants ne font pas tous partie des Frères musulmans), nous pouvons également avancer une autre hypothèse, qui n'explique évidemment qu'une partie des choses : les Frères musulmans recrutent la plupart de leurs membres à partir de l'adolescence par le biais des mosquées où leurs supérieurs les incitent à être très laborieux et sérieux pour avoir les meilleures places dans la société. Sachant que la condition d'accès aux facultés de génie et de médecine est d'avoir une note élevée au Baccalauréat, on comprend vraisemblablement pourquoi les adhérents des Frères musulmans se concentrent dans ces facultés. 3) Les militants révolutionnaires : ils se démarquent des précédents militants surtout par les moyens utilisés pour traduire l'idéologie en action. 323 - Cf. Olivier Roy, "Islam : qu'est ce que le néofondamentalisme?", in Esprit, Paris, nø 7-8, juillet-août 1990, p.9. 324 - Cf. Olivier Roy, "Les nouveaux intellectuels en monde musulman" in Esprit, septembre 1988, nø 142, p. 64. 325 - François Burgat, L'islamisme au Maghreb. La voix du Sud, Paris, Karthala, 1988, p.100.

2) Les militants, font montre d'oscillations constantes <strong>en</strong>tre le pôle historique <strong>et</strong> le pôle<br />

religieux, car pour eux l'historique est dev<strong>en</strong>u aussi primordial que le religieux. Ce pôle de<br />

l'historique se réfère, dans <strong>les</strong> grands lignes, au modèle-paradigme de la société de l'époque<br />

inauguratrice de l'islam (c'est-à-dire la première société-Etat commandée par le Prophète<br />

Mohammad). Ce militantisme a pour objectifs l'appel aux moeurs islamiques, au système politique<br />

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Si ce sont bi<strong>en</strong> là <strong>les</strong> finalités de ce militantisme, comm<strong>en</strong>t se traduis<strong>en</strong>t-el<strong>les</strong> <strong>en</strong> action?<br />

Les militants sont <strong>en</strong> général des intellectuels ayant souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tamé des études de sci<strong>en</strong>ces<br />

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d'oulémas 323 (<strong>les</strong> savants dans la tradition religieuse) mais plutôt des g<strong>en</strong>s qui exerc<strong>en</strong>t leur métier<br />

d'ingénieur, d'<strong>en</strong>seignant, de médecin, d'avocat, <strong>et</strong>c. Leurs pratiques discursives <strong>et</strong> leurs<br />

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pures ou appliquées. Olivier Roy propose une explication : ces sci<strong>en</strong>ces "sont prés<strong>en</strong>tées non<br />

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son métier d'un stock de paradigmes <strong>et</strong> d'illustrations de la grandeur de Dieu. Le positivisme s'allie<br />

fort bi<strong>en</strong> avec le religieux." 324<br />

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littéraires que dans l'univers abstrait des sci<strong>en</strong>ces exactes, où le vide culturel s'est fait plus vite<br />

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font pas tous partie des Frères musulmans), nous pouvons égalem<strong>en</strong>t avancer une autre hypothèse,<br />

qui n'explique évidemm<strong>en</strong>t qu'une partie des choses : <strong>les</strong> Frères musulmans recrut<strong>en</strong>t la plupart de<br />

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3) Les militants révolutionnaires : ils se démarqu<strong>en</strong>t des précéd<strong>en</strong>ts militants surtout par<br />

<strong>les</strong> moy<strong>en</strong>s utilisés pour traduire l'idéologie <strong>en</strong> action.<br />

323 - Cf. Olivier Roy, "Islam : qu'est ce que le néofondam<strong>en</strong>talisme?", in Esprit, Paris, nø 7-8,<br />

juill<strong>et</strong>-août 1990, p.9.<br />

324 - Cf. Olivier Roy, "Les nouveaux intellectuels <strong>en</strong> monde musulman" in Esprit, septembre 1988,<br />

nø 142, p. 64.<br />

325 - François Burgat, L'islamisme au Maghreb. La voix du Sud, Paris, Karthala, 1988, p.100.

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