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Hommage Jean Biès<br />

yuga et, enfin, le fameux Kali-yuga,<br />

« période d’obscuration croissante<br />

en tous domaines, somme de<br />

tous les désordres et de toutes<br />

les monstruosités, où la “ nuit<br />

intellectuelle “ envahit et submerge les<br />

dernières enclaves de la Connaissance,<br />

où toutes choses se trouvent<br />

inversées dans “ l’abomination et la<br />

désolation “ » . Doctrine à l’opposite<br />

de la croyance occidentale au temps<br />

linéaire et progressiste, et qui fait<br />

l’objet d’exposés tout à fait précis et<br />

bien informés sous la plume de Jean<br />

Biès .<br />

Autre notion cardinale de la<br />

conception hindoue traditionnelle, la<br />

notion de Dharma ou d’Ordre sociocosmique<br />

: Le Dharma — “ principe<br />

de conservation des êtres et de<br />

stabilité “ — assure la conformité<br />

à cet ordre. [...] L’ordre social tout<br />

entier voulu par le Dharma repose<br />

sur l’institution des castes, si mal<br />

comprise des Occidentaux, mais dont<br />

la méconnaissance n’entraîne que<br />

désordre et confusion. Cette institution<br />

correspond en fait à une répartition<br />

des êtres humains en conformité avec<br />

“ l’essence individuelle “, la nature de<br />

chacun.<br />

Une relecture originale de l’Histoire<br />

devient dès lors possible :<br />

On ne s’avise pas d’une chose, c’est<br />

que nous sommes arrivés au temps où<br />

les quatre castes ont successivement<br />

joué leur rôle sur la scène de l’Histoire :<br />

les clercs, puis les guerriers, puis les<br />

marchands, enfin le peuple. Or, si l’on<br />

suit l’évolution de chacune de ces<br />

castes, on constate que chacune a<br />

d’abord choisi, — je schématise — ,<br />

le chemin d’en haut, puis, à mesure<br />

de son épuisement, celui d’en bas.<br />

Prenons la caste sacerdotale des<br />

Brahmanes. On la voit se situer<br />

d’abord en direction de la sagesse et<br />

de la sainteté ; elle est détentrice de la<br />

connaissance. Elle s’altère, dégénère<br />

en cléricalisme institutionnel,<br />

s’enferme dans un dogmatisme<br />

autoritaire et finit par se dissoudre,<br />

attaquée de l’extérieur, et se minant<br />

elle-même de l’intérieur. Prenons<br />

la caste guerrière des Ksatriya, —<br />

pouvoir temporel se révoltant contre<br />

l’autorité spirituelle, ce qui n’est pas<br />

sans rappeler chez nous les conflits<br />

entre Papes et Empereurs — ,<br />

elle s’illustre d’abord dans l’héroïsme<br />

chevaleresque, se montre “ généreuse<br />

“, ritualise la guerre, établit une<br />

hiérarchie fondée sur la noblesse.<br />

Elle s’altère à son tour, s’érige en<br />

dictature et s’effondre. Lui succède<br />

la caste marchande des Vaiçya, —<br />

les Vaiçya à leur tour ont usurpé<br />

la place des Ksatriya : tel a été le<br />

sens de la révolution de 1789 — ,<br />

caste qui détient la richesse, l’ennoblit<br />

en la mettant au service de l’art et<br />

du prestige, jusqu’au moment où<br />

la cupidité des “ nouveaux riches “<br />

l’emporte sur la magnificence, où<br />

le capitalisme sauvage évacue des<br />

métaux toute trace de spiritualité,<br />

exalte les seules valeurs mercantiles.<br />

Lui succède la caste populaire<br />

des Çûdra, — tel est le sens de la<br />

révolution bolchevique —, caste<br />

qui domine aujourd’hui et suit la<br />

même courbe que les précédentes.<br />

On la voit d’abord s’embourgeoiser,<br />

adopter un conformisme ennuyeux<br />

qui a perdu tout le pittoresque,<br />

le poétique du peuple, n’a plus<br />

d’imagination créatrice. L’entropie<br />

vient aussi pour elle, endormie<br />

dans son autosatisfaction, qui se<br />

laisse envahir par la vulgarité et le<br />

nivellement. La première caste était<br />

régie par l’être et le savoir, la seconde<br />

par l’agir et le pouvoir, la troisième<br />

par l’avoir et le paraître ; la dernière<br />

l’est par l’instabilité perpétuelle et la<br />

massification.<br />

La disparition des castes,<br />

dégénérées en classes sociales<br />

— « contrefaçon sans valeur ni<br />

portée », selon R. Guénon — ,<br />

coïncide avec la dernière phase<br />

du cycle et aboutit à une égalité<br />

artificielle et totalitaire, destructrice<br />

de toute vocation.<br />

Or, nul ne se pose la question :<br />

quid après la dernière caste ? La voilà<br />

submergée peu à peu par les horscastes,<br />

les cohortes incontrôlables<br />

des hooligans, des trafiquants de<br />

drogue, des terroristes, des mafieux<br />

de haut vol ; tout un monde grouillant,<br />

s’activant dans les bas-fonds comme<br />

dans les hautes sphères, s’appliquant à<br />

détruire les vestiges de la démocratie.<br />

L’Inde au prisme de Carl Gustav<br />

Jung<br />

Pour Jean Biès, synthétique et<br />

intuitif, le symbole non seulement<br />

offre des motifs d’évocation indéfinie,<br />

mais encore, dans la mesure où il<br />

est à la fois spirituel et matériel, lie<br />

ensemble le haut et le bas.<br />

L’Inde nous apprend à<br />

désapprendre. Elle nous introduit<br />

à une forme de pensée archaïque,<br />

synthétique où chaque symbole,<br />

chaque mythe recouvre une<br />

superposition de sens qui dévoilent<br />

leur richesse à mesure de la propre<br />

maturation de chacun, alors que l’esprit<br />

de platitude cogne désespérément<br />

aux vitres du littéralisme.<br />

Je ne vois que nos mythologies<br />

qui aient conservé des descriptions<br />

partielles, parfois défigurées, de ce<br />

monde intérieur édifiées à partir<br />

d’éléments externes, et posé un<br />

système cohérent d’analogies à<br />

interpréter. [...] Nous avons trop<br />

longtemps délaissé les enseignements<br />

mythologiques, faute de n’en avoir<br />

pas gardé les clés, et cela, pour le<br />

pire appauvrissement de la psyché<br />

occidentale. L’Inde n’a jamais oublié,<br />

au contraire, le code initiatique de ces<br />

enseignements.<br />

Or, les symboles se donnent<br />

comme médiateurs du domaine<br />

psychique.<br />

La doctrine jungienne des types<br />

psychologiques reliés aux quatre<br />

grandes fonctions entre lesquelles se<br />

partage la psyché inspire encore à<br />

Jean Biès un rapprochement original<br />

et suggestif : le Râja-yoga serait lié à<br />

l’Intuition, le Jñâna-yoga à la Pensée,<br />

le Bhakti-yoga au Sentiment et le<br />

Karma-yoga à la Sensation .<br />

De Jung Jean Biès retient encore<br />

l’idée directrice que « Contraria sunt<br />

complementa, selon l’antique devise »<br />

. Justement « l’une des grandes leçons<br />

de l’Orient, de l’Inde en particulier,<br />

c’est qu’il faut non pas séparer pour<br />

opposer, mais inclure selon des<br />

niveaux de réalité, des points de vue<br />

différents » :<br />

Pour l’Occident, A ne peut être à<br />

la fois identique à B et différent de B<br />

; pour l’Orient, A peut être identique<br />

à B, différent de B, identique à B et<br />

différent de lui, ni identique à B, ni<br />

différent de lui [où l’on reconnaît le<br />

fameux tétralemme (catuhkoti), ce<br />

schème de pensée qu’affectionne le<br />

Bouddhisme Madhyamaka et qui est<br />

un défi pour la logique occidentale].<br />

À l’encontre d’une pensée analytique,<br />

séparatrice, unilatérale, incomplète,<br />

sensible aux dualités, aux dichotomies,<br />

— et par là, à l’origine de conflits et<br />

d’oppositions incessants , — l’Orient<br />

apporte une pensée synthétique,<br />

englobante, unitive, conciliant et<br />

dépassant les paires d’opposés.<br />

Aussi Jean Biès peut-il interpréter<br />

« le non-dualisme comme cette<br />

conception philosophique qui ne<br />

scinde ni ne sépare, mais réunit,<br />

concilie, transcende les polarités.<br />

12 juillet-août 2014 Nouvelles De L’Inde

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