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LA NUDITE D'ANTIGONE Doit-on mentir pour comprendre Antigone ...

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jeudi 16 décembre 2004<br />

CONFERENCE 11<br />

<str<strong>on</strong>g>LA</str<strong>on</strong>g> <str<strong>on</strong>g>NUDITE</str<strong>on</strong>g> D’ANTIGONE<br />

<str<strong>on</strong>g>Doit</str<strong>on</strong>g>-<strong>on</strong> <strong>mentir</strong> <strong>pour</strong> <strong>comprendre</strong> Antig<strong>on</strong>e? Est-il évitable de<br />

pénétrer dans l’espace de la sécurité détruite, <strong>pour</strong> là, à la<br />

fr<strong>on</strong>tière de cet espace et dans l’audace du dépassement de<br />

cette fr<strong>on</strong>tière, buter sur Antig<strong>on</strong>e d<strong>on</strong>t <strong>on</strong> sait qu’elle a fait<br />

d’un mens<strong>on</strong>ge sa vérité, auquel elle ne résiste plus à aucun<br />

moment? S’il existe un mens<strong>on</strong>ge antig<strong>on</strong>éen que ne calme<br />

ni l’amour <strong>pour</strong> Polynice, ni l’accomplissement de la loi divine,<br />

ni n<strong>on</strong> plus l’envie de la simple rivalité avec Cré<strong>on</strong>, il peut<br />

devenir nécessaire d’appeler ce mens<strong>on</strong>ge amour du<br />

mens<strong>on</strong>ge en général.<br />

Une jeune fille folle et joueuse doit peut-être produire une<br />

image forte du mens<strong>on</strong>ge, la colère et la c<strong>on</strong>victi<strong>on</strong> de cette<br />

folie doivent peut-être, depuis le début, être impliqué dans<br />

l’allégorie de l’amour démesuré. Aimer ne signifie peut-être<br />

pas plus que le fait de <strong>mentir</strong>, aimer le mens<strong>on</strong>ge d’amour. Il<br />

n’existe peut-être pas d’au-delà à cette idéologie originelle.


Une infinité d’incertitude se rassemble devant l’autel du<br />

mens<strong>on</strong>ge aimé. Le mens<strong>on</strong>ge d’amour n’est pensable qu’en<br />

tant que surcharge. Il épuise toute vérité c<strong>on</strong>cevable, est<br />

irréductible à une éthique quelc<strong>on</strong>que, comme Lacan l’a<br />

m<strong>on</strong>tré, 1 et se refuse à l’apaisement de la saine rais<strong>on</strong> (la<br />

doxa). Elle coûte plus qu’<strong>on</strong> ne peut payer. On vit par ce<br />

mens<strong>on</strong>ge une vie sans réserve et sans assurance. Une vie<br />

d’amour aux fr<strong>on</strong>tières de l’interdit. Seul et impatient jusqu’à<br />

la mortelle fin.<br />

Antig<strong>on</strong>e cajole ce mens<strong>on</strong>ge, elle le prend avec elle. Elle<br />

embrasse et dorlote s<strong>on</strong> mens<strong>on</strong>ge, qui est à la fois enfant et<br />

amant solidaire. Qui a remarqué la nudité de la jeune fille qui<br />

se raccroche, dans s<strong>on</strong> deuil, à s<strong>on</strong> mens<strong>on</strong>ge comme à s<strong>on</strong><br />

seul bien? Téméraire, Antig<strong>on</strong>e survole s<strong>on</strong> destin. Elle<br />

c<strong>on</strong>sidère le fait qu’elle doit mourir. Il lui en coûte moins de<br />

vivre sans avoir aimé avec cette sorte de passi<strong>on</strong>, qui est<br />

aussi bien folie et crime. Emportée complètement par elle et<br />

s<strong>on</strong> mens<strong>on</strong>ge, elle se d<strong>on</strong>ne à l’imprévisibilité de l’acte<br />

charnel. On devra suivre les traces d’un désir qui dirige sa<br />

violence c<strong>on</strong>tre elle-même, <strong>pour</strong> expérimenter s<strong>on</strong> soi comme<br />

un inc<strong>on</strong>nu qui n’est plus capable de différencier le


mens<strong>on</strong>ge de l’amour. On ne <strong>pour</strong>ra pas se fermer au<br />

témoignage cruel de cet anéantissement de soi sans<br />

précédent. On rép<strong>on</strong>dra à la questi<strong>on</strong> de l’objet de l’amour par<br />

le “mens<strong>on</strong>ge” et inversement. On rec<strong>on</strong>naît Antig<strong>on</strong>e<br />

comme s<strong>on</strong> propre mens<strong>on</strong>ge d’amour et il en résulte sa<br />

démesure qui nous fait trembler.<br />

Le mens<strong>on</strong>ge est un tumulte autant que l’est l’amour. On se<br />

précipite sans savoir <strong>pour</strong> combien de temps encore et dans<br />

quelle directi<strong>on</strong>. Cependant, Antig<strong>on</strong>e n’est pas sans<br />

certitude. Sa mort est revêtue d’une évidence. Elle la trompe<br />

sur s<strong>on</strong> mens<strong>on</strong>ge et le réalise en même temps. La mort d’<br />

Antig<strong>on</strong>e a une évidence mens<strong>on</strong>gère. Que signifie l’évidence<br />

quand <strong>on</strong> parle de mort ?<br />

Aimer Antig<strong>on</strong>e veut dire aimer ce mens<strong>on</strong>ge d’amour <strong>pour</strong><br />

lequel s<strong>on</strong> nom figure dans l’histoire de la littérature et la<br />

théorie. Cet amour est lui-même littéraire. Elle produit sa<br />

propre loi singulière, sans aucun rapport sel<strong>on</strong> l’opini<strong>on</strong>.<br />

Aimer le mens<strong>on</strong>ge d’amour est un acte de stylisati<strong>on</strong> de soi.<br />

L’enjeu vaut <strong>pour</strong> l’effort de f<strong>on</strong>dati<strong>on</strong> et la c<strong>on</strong>servati<strong>on</strong> d’une<br />

ficti<strong>on</strong> qui ne rapporterait qu’à elle-même.


On a combattu cette forme de producti<strong>on</strong> de sens parce<br />

qu’elle est idéologique. Mais Antig<strong>on</strong>e pouvait représenter un<br />

problème aussi préoccupant. On doit <strong>comprendre</strong> qu’Antig<strong>on</strong>e<br />

est nue. Sa <str<strong>on</strong>g>NUDITE</str<strong>on</strong>g> décide de la questi<strong>on</strong> d’une nouvelle<br />

accepti<strong>on</strong> de L'UNIVERSALITE, de la SUBJECTIVITE, de la<br />

politique et de l’éthique et de leur rapport à la VIOLENCE. 2<br />

L’intensité de l’amour antig<strong>on</strong>éen peut être vu comme un<br />

indice de s<strong>on</strong> aband<strong>on</strong> relativement à la liberté, qui est liberté<br />

absolue, plutôt imprécati<strong>on</strong> qu’élément heureux.<br />

Le tumulte du mens<strong>on</strong>ge se saisit de la jeune fille sur la crête<br />

de l’abîme, qui est l’abîme de sa LIBERTE et de sa nudité.<br />

Posé sur lui, Antig<strong>on</strong>e se décide en faveur d’un mens<strong>on</strong>ge qui<br />

c<strong>on</strong>siste en l’amour de la décisi<strong>on</strong>. En faveur de quoi se<br />

décide Antig<strong>on</strong>e? Pour la décisi<strong>on</strong>. Qu’aime Antig<strong>on</strong>e?<br />

L’amour. C’est comme l’enfant du grand jeu (Weltspiel)<br />

duquel parle Heidegger dans sa c<strong>on</strong>fr<strong>on</strong>tati<strong>on</strong> avec le 52 ème<br />

fragment de Héraclite. Pourquoi l’enfant joueur joue sur<br />

l’abîme? “il joue car il joue,” 3 – Il n’a pas de rais<strong>on</strong>.<br />

2 Alenka Zupancic insiste, en accord avec Lacan et Zizek, sur la violence de l’acte antig<strong>on</strong>ién, qui<br />

n’est <strong>pour</strong> nous que l’acte d’amour en tant que tel. Zupancic, Lacan's Heroines: Antig<strong>on</strong>e and<br />

Synge de Couf<strong>on</strong>taine, in: Renata Salecl (Hg.), The Ethics of Violence, New Formati<strong>on</strong>s, no 35<br />

(autumn 1998), p. 108-121.<br />

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