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Hommage à Julien Coléou - AgroParisTech

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<strong>Hommage</strong> <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong><br />

Paris - 18 octobre 2003<br />

Institut National Agronomique Paris-Grignon


Cérémonie d’hommage <strong>à</strong> l'Agro, Amphithéâtre Tisserand<br />

<strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> …<br />

et les élèves Jean Champagne et Jean-Philippe Franqueville<br />

le zootechnicien Claude Béranger, Henri Blanc et Benoît Vidal-Giraud<br />

et les céréaliers Charles Brette<br />

et le Sud Michel Mollard, Christian Lelong et Jean-Pierre Legeard<br />

et l'entreprise Pierre Gourgeon<br />

le professeur de l'Agro Michel Sébillotte<br />

et ses collaborateurs Jean Lossouarn


<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES ELEVES


Mesdames, messieurs, Bonjour,<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES ELEVES<br />

Jean-Philippe FRANQUEVILLE<br />

(INA P-G – 2000)<br />

Je m’appelle Jean-Philippe FRANQUEVILLE, j’ai été élève de l’INA P-G lors des 3 dernières<br />

années, j’espère d’ailleurs être diplômé la semaine prochaine, et je suis ici aujourd’hui pour<br />

rendre hommage <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> COLEOU au nom de mes camarades qui l’ont connu, en tant<br />

qu’élève de l’agro n’ayant pas eu l’occasion de suivre ses cours.<br />

J’ai rencontré <strong>Julien</strong> COLEOU <strong>à</strong> Grignon il y a 2 ans lors d’un amphi organisé par<br />

l’association des anciens de l’agro. A cette occasion plusieurs anciens étaient venus<br />

présenter leurs actions et l’importance de la solidarité entre agros. Bien entendu, <strong>Julien</strong> était<br />

l<strong>à</strong> !<br />

Après quelques discours et surtout quelques chansons, la rencontre s’est poursuivie autour<br />

d’un pot dans une salle du château. Le contact s’est très vite établi grâce <strong>à</strong> son accessibilité<br />

et son charisme. Ses anecdotes étaient toutes plus variées les unes que les autres et le<br />

temps est passé <strong>à</strong> une vitesse incroyable. La relation était tellement agréable que nous ne<br />

concevions même pas de nous quitter <strong>à</strong> la fin du pot. On a décidé de poursuivre cette<br />

rencontre au caveau, le fameux foyer des étudiants Grignonnais. Comme d’habitude, le<br />

responsable du site de l’époque, trouvant la situation trop bruyante, nous a coupé l’électricité<br />

et on s’est retrouvé <strong>à</strong> discuter toujours autour d’un verre, éclairés <strong>à</strong> la bougie, au son des<br />

djumbés étudiants et ce jusqu’<strong>à</strong> 3 heures du matin.<br />

<strong>Julien</strong> allait fêter ses 75 ans et notre admiration a été d’autant plus grande quand on a su<br />

qu’il devait se lever le lendemain <strong>à</strong> 6 heures pour aller <strong>à</strong> Boulogne sur Mer donner le départ<br />

de la route du Poisson.<br />

Par la suite, nous avons eu plusieurs occasions de le rencontrer, comme l’arrivée du<br />

Beaujolais Nouveau <strong>à</strong> la ferme de Grignon qui s’est terminée <strong>à</strong> des heures inavouables<br />

autour d’une énorme platée de pâtes et d’un narguilé chez Marion, la responsable des<br />

productions animales de la ferme.<br />

Un autre moment fort, c’était le Salon de l’Agriculture. Comme <strong>à</strong> son habitude, <strong>Julien</strong> aimait<br />

être entouré de jeunes agros et s’appliquait <strong>à</strong> nous entraîner sur tous les pots et cocktails,<br />

qu’ils soient officiels ou officieux. En particulier le jour du pot de l’INRA, nous avons encore<br />

une fois décidé de prolonger la soirée, et cette fois c’est chez nous que nous sommes allés,<br />

dans la résidence René Dubos, Porte d’Italie. Le trajet s’est effectué au fond du bus dans la<br />

joie et la bonne humeur. Après une courte halte chez lui, on a vu arriver <strong>Julien</strong> dans sa Clio,<br />

en sens interdit, avec un grand panier d’osier. Ce soir l<strong>à</strong>, il savait déj<strong>à</strong> quel vin il voulait nous<br />

faire goûter, mais n’était pas encore fixé sur l’année. Comme solution au dilemme, il a choisi<br />

d’apporter tous les millésimes qu’il avait dans sa cave. Heureusement on n’a pas tout bu le<br />

jour même, mais nous avons pu poursuivre nos échanges autour d’une bonne table et d’un<br />

splendide Bourgogne de 1976.<br />

Nos rencontres n’étaient pas seulement festives. En effet <strong>Julien</strong> s’est toujours beaucoup<br />

intéressé et investi dans les différentes activités étudiantes au sein de l’école. Ses actions<br />

étaient particulièrement remarquées pour la Société Hippique de Grignon, mais également<br />

pour les différents événements de promotion, comme l’intégration des nouveaux arrivants ou


la remise des diplômes de vendredi prochain. Il a toujours été <strong>à</strong> l’écoute de nos projets et les<br />

a toujours pris au sérieux, considérant ainsi les étudiants comme faisant partie intégrante<br />

des acteurs principaux et moteurs de la vie de l’école.<br />

Pour <strong>Julien</strong>, l’Agro c’est une Grande Famille qu’il faut valoriser et entretenir. Même retiré de<br />

ses obligations de professeur, il continuait <strong>à</strong> se préoccuper de notre avenir professionnel.<br />

Pour lui chaque étudiant avait son propre potentiel.<br />

Au travers de toutes ces rencontres, nous avons découvert un homme aux qualités<br />

humaines exceptionnelles et qui avait surtout le don de déceler en chacun de nous nos<br />

qualités et nos défauts. Et si j’avais un mot <strong>à</strong> dire en particulier, ce serait MERCI, merci<br />

<strong>Julien</strong> pour ta présence, ta convivialité et ta confiance. Nous n’oublierons pas tes conseils, et<br />

nous ferons notre possible pour suivre ton exemple.


Bonjour <strong>à</strong> toutes et <strong>à</strong> tous,<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES ELEVES<br />

Jean CHAMPAGNE<br />

(INA P-G – 74 – ITAVI)<br />

Comme beaucoup d’anciens élèves du Professeur COLEOU, j’ai été très surpris et affecté<br />

par sa rapide et brutale disparition cet été, en pleine canicule.<br />

Aussi, je tiens tout d’abord <strong>à</strong> remercier chaleureusement et <strong>à</strong> féliciter les organisateurs de<br />

cette manifestation qui a pour objet de lui rendre l’hommage qu’il mérite.<br />

Merci donc <strong>à</strong> Emmanuelle BOURGEAT, Catherine MARIOJOULS, Olivier LAPIERRE, Jean<br />

LOSSOUARN et Daniel SAUVANT, ainsi qu’<strong>à</strong> toutes celles et ceux qui, de près ou de loin,<br />

se sont associés <strong>à</strong> cet hommage.<br />

Je suis très touché d’avoir été sollicité pour témoigner en ma qualité d’ancien élève, ce que<br />

des centaines, des milliers d’autres camarades, plus jeunes ou plus anciens que moi,<br />

auraient pu faire avec plus de talent.<br />

J’en suis donc très honoré.<br />

C’est la deuxième fois de ma vie que je suis amené <strong>à</strong> rendre un hommage posthume en<br />

public.<br />

La première fois, c’était en 1991, <strong>à</strong> l’occasion de la disparition de mon propre père.<br />

Aujourd’hui, c’est <strong>à</strong> la suite de celle de <strong>Julien</strong> COLEOU, un maître qui pour moi, comme pour<br />

nombre des ces élèves, a beaucoup compté pendant mon séjour <strong>à</strong> l’Agro, mais également<br />

tout au long de ma vie professionnelle, et quelque part, de ma vie tout court.<br />

Oui, plus que suivre une spécialisation en productions animales, j’ai choisi de faire<br />

« COLEOU » comme spécialisation en troisième année.<br />

Et je n’étais pas le seul…<br />

C’est dire combien, il y aura bientôt 30 ans, il avait déj<strong>à</strong> marqué de son empreinte ce<br />

Département des sciences animales, et quelle fascination il exerçait sur les étudiants.<br />

Une fascination qui émanait tant de ses qualités humaines que de pédagogue.<br />

Plus que de s’attacher <strong>à</strong> nous apporter des connaissances, il cherchait <strong>à</strong> former des femmes<br />

et des hommes aptes <strong>à</strong> écouter, comprendre, analyser, mais également décider. Il avait une<br />

approche globale des productions animales, prenant en compte aussi bien l’animal lui-même<br />

que le contexte mondial.<br />

Homme de synthèse et visionnaire, il nous a appris <strong>à</strong> concilier économie et zootechnie, tout<br />

en nous sensibilisant, il y a près de 30 ans déj<strong>à</strong>, <strong>à</strong> la prise en compte d’aspects tels que le<br />

bien-être animal, la protection de l’environnement, la sécurité alimentaire, la qualité des<br />

produits, autant de critères devenus aujourd’hui préoccupations majeures.


Je voudrais également souligner, la facilité avec laquelle il nous était toujours possible de le<br />

rencontrer malgré son emploi du temps chargé.<br />

Il savait se rendre disponible pour recevoir et écouter ses élèves, <strong>à</strong> chaque fois que<br />

nécessaire.<br />

Cette écoute, cette disponibilité, je les ai retrouvées tout au long de ces 25 années qui ont<br />

suivi mon passage <strong>à</strong> l’Agro. De tous les enseignants que j’ai eus, il était celui avec lequel<br />

j’avais conservé le plus de liens réguliers.<br />

En effet, bien au-del<strong>à</strong> des traditionnels vœux en début d’année, nous avions l’occasion de<br />

nous rencontrer régulièrement au cours de divers colloques ou dans les allées de différents<br />

salons, et il se tenait toujours informé de l’évolution de mon activité professionnelle.<br />

A chaque rencontre, au cours de chaque entretien, j’étais stupéfait par l’intérêt qu’il<br />

continuait de porter <strong>à</strong> ses anciens élèves, et par la connaissance qu’il avait de leur devenir,<br />

aussi bien de leur carrière que de leur vie familiale.<br />

Pour beaucoup, il était d’ailleurs resté un conseiller privilégié.<br />

C’est donc un vide important qu’il laisse derrière lui pour nombre d’entre nous.<br />

Mais, j’imagine ce vide encore plus profond pour tous ses proches, et en particulier sa<br />

famille, <strong>à</strong> qui je renouvelle mes très sincères condoléances.<br />

Aussi pour tout cela, <strong>à</strong> celui qui aimait rappeler que malgré de longues années d’exil <strong>à</strong> Paris,<br />

il était resté breton, je voudrais terminer par ces quelques mots :<br />

DEGEMER MAD <strong>Julien</strong> ET KENAVO.<br />

Merci beaucoup <strong>Julien</strong> et au revoir.


<strong>Julien</strong> COLEOU LE ZOOTECHNICIEN


<strong>Julien</strong> COLEOU LE ZOOTECHNICIEN<br />

Claude BERANGER<br />

Chercheur <strong>à</strong> l’INRA en Production Animales, j’ai eu la chance et le plaisir d’être parmi ses<br />

premiers élèves lorsqu’il était assistant <strong>à</strong> l’Agro et j’ai eu l’honneur de lui succéder, en 1992,<br />

<strong>à</strong> la présidence de l’Association Française de Zootechnie (AFZ) association qu’il avait<br />

relancée, avec P. CHARLET, A. RERAT et C. CALET, 17 ans auparavant.<br />

On peut affirmer que tous les zootechniciens sont unanimes pour considérer que <strong>Julien</strong><br />

COLEOU est un des plus grands zootechniciens des 50 dernières années.<br />

Il a marqué profondément cette discipline par son enseignement, ses recherches, ses<br />

actions, ses expertises, dans le monde socio-économique de l’élevage, en France et dans le<br />

monde entier.<br />

Dans le prestigieux laboratoire de zootechnie du professeur AM. LEROY, avec P. CHARLET<br />

et J. DELAGE, il a ouvert très tôt une voie originale et pionnière, renouvelant et élargissant la<br />

zootechnie classique.<br />

Il s’est d’abord intéressé <strong>à</strong> la production de viande bovine, de veau et de bœuf (intérêt que je<br />

partageais <strong>à</strong> la même époque), <strong>à</strong> l’alimentation de ces animaux et <strong>à</strong> leurs aliments. Il a été<br />

ainsi un des artisans de la mise au point des systèmes modernes de production de veau de<br />

boucherie avec les aliments d’allaitement, et de jeunes bovins avec des céréales.<br />

Promoteur de voies nouvelles intensives de production de viande, les résultats de ses<br />

travaux trouvaient rapidement leur application dans sa Bretagne natale en pleine évolution,<br />

puis dans tout le grand Ouest ; il pouvait ainsi vérifier en permanence l’efficacité des<br />

innovations <strong>à</strong> travers l’accroissement très rapide des performances animales.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU avait en effet un souci aigu et permanent de la mise en œuvre concrète de<br />

ses innovations et de leur adaptation aux différentes conditions de production des éleveurs.<br />

Il avait accepté de prendre en charge le domaine INA de la Haizerie en Normandie. Il y a<br />

expérimenté des techniques nouvelles et mis au point de nouveaux systèmes de production<br />

de viande bovine. Il est ainsi resté sans cesse confronté aux réalités concrètes de la<br />

production, de l’exploitation agricole, qu’il connaissait depuis son enfance, et du monde<br />

professionnel agricole.<br />

Partageant avec les céréaliers le souci de développer des élevages modernes, performants,<br />

utilisateurs de céréales sous différentes formes, il a créé <strong>à</strong> l’ITCF, <strong>à</strong> travers ses<br />

collaborateurs directs, un secteur dynamique de recherche appliquée en production animale.<br />

L’étude de ces systèmes de production intensifs et performants, liés au développement de<br />

l’industrie de l’alimentation animale, a suscité son intérêt pour l’intégration des productions<br />

avec les industries d’amont, puis d’aval de l’élevage.<br />

Inspiré ainsi par les grands ateliers de production animale, par leur management et leurs<br />

performances techniques et économiques, il a élargi son champ d’activité <strong>à</strong> l‘étude de<br />

l’organisation des productions animales et de leur économie, en ouvrant ainsi un secteur<br />

nouveau de la zootechnie.


La création du CEREOPA et d’un enseignement original sur l’économie et l’organisation des<br />

productions animales en sont la manifestation très probante dès les années soixante. Cela<br />

permettra de former une pépinière de zootechniciens tournés vers l’exploitation agricole, les<br />

filières, les marchés, débouchant admirablement vers les entreprises du secteur animal,<br />

grâce <strong>à</strong> leur vision large et complète des filières de production . Quel pionnier ! il a parlé<br />

« d’ensembles organisés de production animale » avant qu’on ne parle de filières de<br />

production et de systèmes de production. Il fut un systémicien avant l’heure de la<br />

systémique, un créateur de partenariat de Recherche-Formation-Développement avec les<br />

entreprises, exemplaire et très fécond.<br />

Dés 1975, cette vision globale l’a amené <strong>à</strong> s’intéresser, avant les autres, au produit autant,<br />

voire plus, qu’<strong>à</strong> la production, donc aux débouchés, aux caractéristiques des produits, <strong>à</strong> leur<br />

qualités et ainsi <strong>à</strong> la consommation et aux consommateurs. Cette démarche l’entraîne <strong>à</strong><br />

considérer la distribution qui fait le lien avec consommateurs. L<strong>à</strong> encore, il est le premier <strong>à</strong><br />

nouer des relations avec de grands groupes de Distribution, <strong>à</strong> mener avec eux des études<br />

apportant de nouvelles questions, de nouvelles perspectives et de nouveaux débouchés<br />

pour ses élèves.<br />

Une autre forme de l’élargissement de la zootechnie qu’il a généré est la diversification des<br />

productions animales qu’il a initiée le premier. Cela concerne notamment les secteurs du<br />

cheval et de l’aquaculture, traités dans un instant par Henri BLANC et Benoît VIDAL-<br />

GIRAUD.<br />

Sa vision globale était également mondiale ; il s’est intéressé <strong>à</strong> toutes les productions<br />

animales du monde ; très tôt <strong>à</strong> celles des pays du Sud, au Maroc, en Algérie, puis en<br />

Afrique. Comme son collègue René DUMONT, il a déployé son action vers un grand nombre<br />

de pays et régions du monde.<br />

Son regard de zootechnicien, en contact permanent avec l’ensemble des professionnels de<br />

la filière et des entreprises dans divers pays lui ont permis d’approfondir et d’élargir sans<br />

cesse ses analyses et ses visions prospectives technico-économiques <strong>à</strong> l’échelle mondiale.<br />

Expert demandé par tous, il appuyait le plus souvent ses interventions, avis et conseils sur<br />

une approche globale et internationale des productions animales. Organisateur du congrès<br />

annuel FEZ (Fédération Européenne de Zootechnie) <strong>à</strong> Toulouse en 1991, avec<br />

JC. FLAMANT, il avait pour la première fois dans cette institution créé un session plénière<br />

sur l’avenir des productions animales <strong>à</strong> l’aube de ce 3 ème millénaire. Quand on relit les<br />

perspectives alors tracées on est frappé par leur pertinence.<br />

Zootechnicien hors pair mais atypique dans la famille, économiste non académique, peu<br />

formalisateur de théories nouvelles, il a été demandé et apprécié par toute la profession,<br />

mais trop peu reconnu par le monde scientifique ; l’INRA ne lui a guère accordé de moyens.<br />

Il s’est constitué lui même son équipe et ses moyens de travail grâce <strong>à</strong> des soutiens<br />

extérieurs, <strong>à</strong> ses capacités managériales et <strong>à</strong> sa reconnaissance nationale et internationale.<br />

Il fut cependant un compagnon et un soutien du département Systèmes Agraires et<br />

Développement (SAD) de l’INRA dans le domaine de la zootechnie. C’est un département<br />

atypique et hybride comme <strong>Julien</strong>, où j’ai eu la joie de le retrouver <strong>à</strong> nos cotés. Il nous a<br />

beaucoup aidé, notamment en accueillant de nombreuses thèses originales et en acceptant<br />

volontiers d’être rapporteur des dossiers de concours des chercheurs du SAD.<br />

Il a été le brillant président refondateur de l’AFZ, l’animateur de multiples associations,<br />

groupes ou actions (la banque de données de l’alimentation animale en est un exemple : sa<br />

constitution et son organisation, au sein de l’AFZ, ont permis de créer un partenariat<br />

dynamique avec tous les détenteurs de ces données et de les fournir aux utilisateurs dans<br />

des réseaux modernes).


Il fut l’animateur dynamique et plein d’humour de réunions, de séminaires, de colloques et de<br />

tables rondes, toujours organisateur du débat, passeur et générateur d’idées.<br />

Il a été le promoteur mais aussi le défenseur des systèmes intensifs et productifs lorsqu’ils<br />

furent mis en cause au cours de la dernière décennie, tout en restant très ouvert au débat et<br />

<strong>à</strong> la controverse.<br />

Jusqu’<strong>à</strong> la fin, débordant d’activités, il a apporté aux zootechniciens, ses connaissances et<br />

visions très larges, ses réflexions, sa mémoire extraordinaire et son perpétuel enthousiasme.<br />

Ce fut le cas récemment dans l’étude prospective sur la génétique animale, ou dans<br />

l’animation de la réunion de synthèse sur les orientations du département Elevage et<br />

Nutrition Animale de l’INRA, ici même, il y a quelques mois.<br />

Il y manifestait toujours son charisme incomparable, sa chaleur humaine, sa gaîté et son<br />

amitié.<br />

Soyez certains que tout cela restera gravé dans nos mémoires et dans nos cœurs.


<strong>Julien</strong> COLEOU LE ZOOTECHNICIEN<br />

Henri BLANC<br />

Officier des Haras<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU : agronome, zootechnicien, professeur, chercheur, expert international…<br />

certes… mais aussi « homme de cheval ».<br />

« L’homme de cheval » qu’il incarnait est celui qui connaît les chevaux, les aime, s’intéresse<br />

<strong>à</strong> leur production, <strong>à</strong> leur utilisation, <strong>à</strong> leur entretien et s’applique <strong>à</strong> leur amélioration.<br />

A ce titre, <strong>Julien</strong> COLEOU fut un éminent « homme de cheval ». Il a contribué d’une manière<br />

essentielle <strong>à</strong> la conception et <strong>à</strong> la diffusion du progrès hippique au cours des trente dernières<br />

années.<br />

Souvenons-nous du désintérêt des « hommes de sciences » pour le cheval dès lors que<br />

celui-ci était abandonné par les armées et délaissé comme moteur animé des villes et des<br />

campagnes, <strong>à</strong> tel point que les données modernes manquaient pour soutenir les pratiques<br />

d’élevage et étayer le redéveloppement des activités hippiques espéré par les éleveurs et<br />

voulu par les pouvoirs publics.<br />

On sait que ce retard de connaissances fut rattrapé par le succès de l’ambitieux programme<br />

de recherche établi par l’INRA avec la participation financière et technique du Service des<br />

Haras, rattrapage rapide dans des domaines aussi importants que, par exemple, ceux de la<br />

reproduction, de la génétique ou de l’alimentation.<br />

La mise en œuvre de ces résultats de recherche nécessita une organisation spécifique. Il<br />

fallait non seulement informer les éleveurs, les utilisateurs de chevaux et les personnels des<br />

Haras, c'est-<strong>à</strong>-dire un public diversifié, mais aussi les convaincre. Certes ils étaient réceptifs ;<br />

mais passer du savoir-faire empirique <strong>à</strong> l’emploi de méthodes scientifiques est une évolution<br />

délicate. Celle-ci fut progressive et pour l’essentiel réussie, malgré des résistances<br />

parfaitement compréhensibles.<br />

Merci <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> COLEOU d’avoir mené <strong>à</strong> bien ces opérations de vulgarisation, en mettant <strong>à</strong> la<br />

disposition de l’élevage hippique l’organisation qu’il avait créée, le CEREOPA, le Centre<br />

d’étude et de recherche sur l’économie et l’organisation des productions animales, au sein<br />

duquel il avait réuni une équipe « cheval » d’une exceptionnelle valeur, car <strong>Julien</strong> COLEOU<br />

savait la nécessité d’une équipe soudée et performante. Il appréciait aussi le travail en<br />

réseau. A cet égard, la coopération entre la Chaire de zootechnie de l’Agro, le CEREOPA et<br />

les Haras fut exemplaire.<br />

Il n’est pas possible d’énumérer toutes les réalisations ainsi programmées sous l’autorité de<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU en matière de formation, d’études, de diffusion de connaissances et<br />

conseils. Citons au moins la « journée annuelle de la recherche chevaline » qui, depuis une<br />

trentaine d’années, connaît un grand succès en faisant le point sur les nouvelles techniques<br />

disponibles et les grands sujets d’actualité scientifique concernant les équidés. Au-del<strong>à</strong> de<br />

leur valeur pédagogique, les actes, qui rendent compte de ces réunions, illustrent le chemin<br />

parcouru et constituent un support de notoriété pour la recherche française spécialisée dans<br />

les productions hippiques comme pour les personnalités qui sont intervenues.


Si l’élevage des équidés a beaucoup changé, a beaucoup progressé, remporte les succès<br />

auxquels l’opinion publique est de plus en plus sensible, il faut savoir que <strong>Julien</strong> COLEOU a<br />

joué un rôle essentiel dans l’obtention des ces résultats.<br />

Si <strong>Julien</strong> COLEOU fut un brillant intellectuel, magnifique orateur et solide débatteur, il aimait<br />

aussi le terrain, le terrain hippique, sans doute l’atavisme parlait-il puisqu’il était fils<br />

d’étalonnier breton, un professionnel dont l’attachement pour les chevaux est réputé. C’est<br />

ainsi, pour citer un exemple concret, qu’il a présidé l’A.C.T.I.F., l’association pour le cheval<br />

de trait en Ile-de-France, <strong>à</strong> la demande de l’actuelle directrice générale des Haras, alors <strong>à</strong> la<br />

tête de la circonscription des Bréviaires, afin d’accompagner et cultiver le renouveau d’intérêt<br />

qui se manifestait pour ces races. A ce titre, il eut <strong>à</strong> organiser l’arrivée <strong>à</strong> Paris de la Route du<br />

Poisson (la course d’attelages de chevaux de trait qui se déroule entre Boulogne sur Mer et<br />

Paris) : grâce <strong>à</strong> son dynamisme et <strong>à</strong> la mobilisation de ses relations, cette manifestation <strong>à</strong><br />

l’impact médiatique important put surmonter avec succès les difficultés qu’elle rencontrait<br />

alors.<br />

Le monde du cheval saura, n’en doutons pas, garder le souvenir de <strong>Julien</strong> COLEOU. Il se<br />

rappellera sa belle et puissante intelligence, son extraordinaire disponibilité, son immense<br />

culture, son humour, son solide bon sens et ses vues prospectives.<br />

Ses amis se souviendront de lui avec émotion et fierté.


<strong>Julien</strong> <strong>Julien</strong> COLEOU LE ZOOTECHNICIEN<br />

ET LES ANIMAUX AQUATIQUES<br />

Benoît VIDAL-GIRAUD<br />

Il y a bien 200 autres personnes qui pourraient être <strong>à</strong> ma place en ce moment…Toutes<br />

pourraient évoquer l’importance des poissons et autres produits animaux aquatiques dans la<br />

vie de <strong>Julien</strong> COLEOU ; tout comme la réciproque, <strong>à</strong> savoir sa contribution <strong>à</strong> ce domaine des<br />

productions animales.<br />

200, c’est un nombre estimé…, mais minimal <strong>à</strong> mon avis, de ceux qui auraient <strong>à</strong> dire sur ce<br />

sujet, parce qu’<strong>à</strong> moment ou <strong>à</strong> un autre de leur vie ils ont partagé en direct avec <strong>Julien</strong><br />

COLEOU un même regard sur ce secteur. Qu’ils soient - agros ou pas - de ses<br />

contemporains, de ses élèves ou de ses relations dans la filière. On les trouve partout, dans<br />

l’action économique, dans les structures professionnelles, la recherche, l’enseignement, les<br />

services ou l’administration, en France ou <strong>à</strong> l’étranger. Et je ne compte pas ceux qui sans<br />

l’avoir véritablement approché, ont pu bénéficier de ses analyses et de ses réflexions<br />

prospectives...<br />

200…, et pourtant on ne joue pas l<strong>à</strong> dans la cour des « grandes filières », celles <strong>à</strong> fort<br />

héritage zootechnique, avec médailles de concours agricoles et prix d’innovation<br />

agroalimentaire. Celles dont l’intégration et l’organisation leur permettent de gérer<br />

efficacement leurs parts d’estomac chez le consommateur ... Nous y sommes d’autant moins<br />

que règnent encore principalement dans le secteur l’animal sauvage et son économie de<br />

cueillette, avec tout les particularismes que cela entraîne.<br />

Par dessus le marché on y trouve deux milieux qui sont bien plus qu’une simple distinction<br />

de naturaliste. La coexistence du continental et du marin crée de la complexité et de la<br />

diversité. Enfin, <strong>à</strong> part dans quelques pays qui n’ont pas eu le choix, les consommateurs ne<br />

privilégient pas les produits aquatiques dans leur alimentation quotidienne en protéines.<br />

Justement, c’est peut être dans tout ça qu’a résidé pour <strong>Julien</strong> COLEOU l’attrait majeur :<br />

celui d’un espace plutôt vierge en matière zootechnique, et peu rôdé <strong>à</strong> l’approche filière.<br />

D’un énorme potentiel perçu, sur le plan technique comme sur le plan économique. D’un<br />

monde <strong>à</strong> coloniser et <strong>à</strong> développer, et auquel apporter une contribution dans la recherche<br />

d’une cohérence et l’organisation d’un avenir.<br />

Car il ne faut pas en douter un seul instant… Au rythme où elle croît - plus de 9% par an<br />

depuis plus de 30 ans -, l’aquaculture va rejoindre la cour des grands évoquée juste avant…<br />

Parce que tout <strong>à</strong> la fois la population mondiale augmente et la demande en protéines avec,<br />

le comportement des consommateurs évolue, les techniques progressent et les acteurs en<br />

sont de plus en plus nombreux.<br />

Et <strong>Julien</strong> COLEOU participe <strong>à</strong> cet essor, avec ses outils : il commence par soutenir les<br />

initiatives éparses des étudiants qui rêvent de s’embarquer, puis crée petit <strong>à</strong> petit toutes les<br />

conditions d’un enseignement <strong>à</strong> part entière. Il intervient dans la filière en expert du<br />

développement, en posant des questions … et en répondant <strong>à</strong> celles qu’on ne lui pose pas.<br />

Et il le fait <strong>à</strong> sa manière, sans arrogance et avec enthousiasme, sachant respecter et faire<br />

confiance. Sous la bannière du « quand on veut, on peut », il se fait adopter immédiatement<br />

par des interlocuteurs ou des auditoires entiers venus parfois de bien loin sur le plan mental,


grâce <strong>à</strong> sa capacité <strong>à</strong> déstabiliser avec bienveillance, son bon sens et son entrain<br />

communicatif.<br />

Je ne suis pas certain qu’il y ait eu chez lui une passion de cœur pour cette sorte d’animaux<br />

froids qu’on élève sans les voir ni les entendre, sans même tout simplement pouvoir les<br />

dénombrer véritablement. Mais peu importe, sa curiosité avait de quoi faire... En<br />

aquaculture, les races sont inconnues ou quasiment… ; on se bat encore – au mieux - au<br />

niveau des espèces. Il n’y a pas ou peu de ration d’entretien, quelque fois pas de ration<br />

contrôlée du tout. Pas non plus de femelles gestantes, ni de rente quotidienne comme la<br />

production laitière ou la ponte des œufs. L’amélioration génétique est plutôt complexe, et les<br />

défenses immunitaires des individus assez rudimentaires. Le foncier est un vrai casse-tête,<br />

la qualité de l’environnement est un réel enjeu et les matières premières de l’alimentation<br />

sont un sujet brûlant pour l’avenir…<br />

En tous cas, au del<strong>à</strong> de cette curiosité, et dans sa grande sagesse, il avait <strong>à</strong> coup sûr du<br />

goût pour ce que ces produits donnent dans une assiette, tout comme pour ce qu’ils<br />

permettent de variations autour des vins qui les accompagnent…<br />

Par dessus tout, peut être, il y avait chez lui de l’affection pour les gens de ce monde un peu<br />

fourre tout des « produits de la mer ». Il pouvait aussi bien leur parler de leur avenir que de<br />

leur passé, comme il l’a fait avec la Route du Poisson. Et <strong>à</strong> chaque fois il leur a offert des<br />

passerelles, par lesquelles ils ont pu simultanément se désenclaver et se percevoir comme<br />

une filière <strong>à</strong> part entière, digne de ce nom.<br />

Bien sûr il est parti trop tôt… Avant le cabillaud d‘élevage, les galettes de krill, le surimi de<br />

tilapia et demain les fromages au lait de baleine qui rit. Mais on les dégustera en pensant <strong>à</strong><br />

lui.


<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES


<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES :<br />

l’exemple du secteur céréalier<br />

Charles BRETTE<br />

Délégué général<br />

du Groupe Céréaliers de France<br />

J’ai d’abord <strong>à</strong> vous présenter les excuses d’Henri de BENOIST. Henri de BENOIST, est<br />

comme François MARCHON, de la promotion 59. Il est agriculteur, il a un certain nombre de<br />

responsabilités, notamment dans le secteur pour lequel nous travaillons, et il est Président<br />

de l’AGPB, d’UNIGRAINS et jusqu’au 18 Décembre dernier il était le président de l’ITCF<br />

(Institut Technique des Céréales et des Fourrages).<br />

Nous étions convenus tous les deux qu’il devait intervenir avant moi cet après-midi,<br />

malheureusement, il m’a téléphoné hier soir pour me dire que son état de santé ne lui<br />

permettrait pas, sans doute, de se joindre <strong>à</strong> nous.<br />

S’il l’avait fait, il vous aurait dit, simplement, qu’il a gardé comme François MARCHON un<br />

excellent souvenir du voyage en Russie, auquel <strong>Julien</strong> COLEOU participait, et il vous aurait<br />

dit que pour <strong>Julien</strong> COLEOU, l’ensemble de nos organisations professionnelles était, et a<br />

été, comme un laboratoire dans lequel il pouvait agir, dans lequel il pouvait innover.<br />

Cela va être le sens de mon propos, sachant qu’au stade où nous en sommes dans les<br />

interventions, l’exercice devient <strong>à</strong> la fois facile et difficile, parce qu’en essayant d’éviter les<br />

répétitions on devient extrêmement réducteur. Donc vous me pardonnerez, mais en vous<br />

écoutant les uns et les autres, je me dis que si <strong>à</strong> la fin de la soirée, on repassait l’ensemble<br />

des verbatim on aurait déj<strong>à</strong> une belle encyclopédie volumineuse qui permettrait de faire un<br />

inventaire tout <strong>à</strong> fait spectaculaire des qualités que l’on peut trouver chez un individu.<br />

Imaginons-nous être capables de faire la somme de ces verbatim, tellement il est facile<br />

d’engager la conversation sur <strong>Julien</strong> COLEOU. Dès qu’on rencontre quelqu’un que l’on ne<br />

connaît pas, mais qui connaissait <strong>Julien</strong> COLEOU, immédiatement ç<strong>à</strong> part dans des<br />

qualificatifs qui sont nombreux.<br />

Alors, pourquoi les dirigeants du secteur céréalier ont-ils été séduits par lui ?<br />

Quand je parle des dirigeants, ce sont les présidents, comme Monsieur DELEAU qui avait<br />

fait le pari que la France passerait d’une situation déficitaire <strong>à</strong> une situation excédentaire en<br />

céréales ; il s’agit aussi d’Henri MENNESON, et également d’Etienne DAVID qui nous fait<br />

l’honneur d’être parmi nous aujourd’hui.<br />

Ils ont été séduits par ses qualités personnelles, sa compétence, son imagination, son sens<br />

de l’entreprise, le goût de l’innovation qu’il avait. Ils ont été séduits par son charme, mais très<br />

attentifs <strong>à</strong> ce que les sociologues et les recruteurs appellent l’empathie : la capacité <strong>à</strong><br />

écouter, <strong>à</strong> se mettre <strong>à</strong> la place de l’autre pour bien prendre en compte sa problématique.<br />

Séduits par son charisme, son leadership, sa capacité, on l’a déj<strong>à</strong> dit mille fois, on le redira<br />

tous, <strong>à</strong> faire confiance.<br />

Ils ont été séduits aussi par ses approches, qui étaient très vite multidimensionnelles, très<br />

largement systémiques ; il n’hésitait pas <strong>à</strong> changer de paradigme. Mais je vois que Michel


SEBILLOTTE est devant moi, je vais m’arrêter l<strong>à</strong>, il nous fera sûrement quelques<br />

commentaires sur l’approche méthodologique chez <strong>Julien</strong> COLEOU.<br />

Comment a-t-il agi auprès d’eux, auprès de nos différentes structures ? Et bien, en<br />

s’engageant dans l’action.<br />

Car il faut parler de laboratoire, il faut parler de recherche, mais il faut aussi et surtout parler<br />

d’action. De l’action dans la recherche appliquée, de l’action dans le soutien <strong>à</strong> l’innovation et<br />

au développement de systèmes organisés nouveaux, de l’action dans l’organisation des<br />

filières céréalières.<br />

Je vous parlerai d’abord de la démarche en recherche appliquée ;<br />

L’action dans la recherche appliquée, elle concerne tous les collègues de l’ITCF, qui ont été<br />

<strong>à</strong> l’initiative de la création d’un service tourné vers l’utilisation des céréales et des fourrages.<br />

J’en ai déj<strong>à</strong> salué un grand nombre cet après-midi, mais je m’aperçois qu’ils sont encore plus<br />

nombreux que ce que j’imaginais, ils sont tous l<strong>à</strong> et pour cause : leurs bureaux étaient dans<br />

l’immeuble qui est derrière nous, et c’est comme ç<strong>à</strong> d’ailleurs que j’ai pu, quand j’étais en<br />

première année, faire la connaissance de toutes leurs démarches, de toutes leurs méthodes,<br />

de toutes leurs ouvertures vers l’innovation et les technologies nouvelles.<br />

Imaginez le petit étudiant de première année qui, après deux mois de cours du Professeur<br />

CARLIER, grand spécialiste du génie rural, deux mois de cours sur la règle <strong>à</strong> calcul : c’est ce<br />

que l’on nous faisait <strong>à</strong> l’époque, un cours sur la règle <strong>à</strong> calcul… Qui venait de passer icimême,<br />

l<strong>à</strong>, une heure devant le Professeur CARLIER pour un examen dont le sujet était la<br />

raideur des cordes… Oui, j’ai eu en première année <strong>à</strong> l’oral <strong>à</strong> traiter de la raideur des cordes,<br />

cela faisait partie du programme !<br />

Donc, imaginez le lendemain ma prise de conscience de la rupture technologique quand, me<br />

promenant avec ma règle <strong>à</strong> calculer, je découvre, dans le bâtiment derrière, des garçons qui<br />

avaient des machines électroniques, qui faisaient des régressions et n’utilisaient pas de<br />

règles <strong>à</strong> calcul !<br />

Et effectivement, Philippe WEISS, Jean-Pierre CAZES et les autres, finissaient, je pense, la<br />

mise au point de tables que les zootechniciens connaissent bien, les tables dites de<br />

DEMARQUILLY qui ont été utilisées pendant longtemps. Et heureusement, ils avaient déj<strong>à</strong><br />

quelques machines électroniques et plus des règles <strong>à</strong> calcul !<br />

Voil<strong>à</strong> l’approche que <strong>Julien</strong> COLEOU a eue pour accompagner les jeunes ingénieurs du<br />

service « Utilisation des céréales et des fourrages » de l’ITCF, sous la direction de Joseph<br />

MARCHADIER, puis Christian LELONG, ici présent.<br />

Je vous parlerai ensuite de la démarche qui permet de développer l’innovation dans<br />

les systèmes d’élevage.<br />

C’est une démarche qui a brûlé les étapes, c'est-<strong>à</strong>-dire qui n’attendait pas que les travaux de<br />

laboratoire de recherche aient fini de donner tous leurs résultats pour mettre <strong>à</strong> l’épreuve un<br />

certain nombre de choses.<br />

Il y avait pour ç<strong>à</strong> un cadre qui avait été mis en place par notre organisation, en particulier par<br />

UNIGRAINS, qui permettait de privilégier une démarche de recherche-action, pour identifier<br />

les systèmes de production animale innovants, et surtout pour lever les freins <strong>à</strong> leur création<br />

et <strong>à</strong> leur lancement, en imaginant un moyen pour encourager les banquiers <strong>à</strong> prendre des


isques. Et, pour encourager les banquiers <strong>à</strong> prendre des risques, il y a une recette simple,<br />

c’est de dire qu’on est prêt <strong>à</strong> prendre au moins une partie des risques avec eux.<br />

Donc c’est le système qui était en place, et qui, si on réfléchit, est tout l’équipement pour<br />

favoriser l’innovation, par exemple via des fonds d’amorçage comme le fait AGRO PLUS,<br />

représenté ici par Jean-Louis RUATTI.<br />

Donc, voil<strong>à</strong> un deuxième volet sur lequel <strong>Julien</strong> COLEOU est intervenu, en mettant <strong>à</strong><br />

l’épreuve des systèmes d’élevage tout <strong>à</strong> fait innovants, avec des succès et avec des échecs<br />

bien sûr, parce que quand on prend des risques, il y a aussi des échecs.<br />

Je vous parlerai encore de la démarche de structuration des filières.<br />

Troisième domaine dans lequel <strong>Julien</strong> COLEOU a joué un rôle d’expérimentateur pour<br />

mettre en place des démarches qui étaient celles de notre groupe, c’est celui de la<br />

structuration des filières agro-alimentaires.<br />

C’était au début des années 70. Les responsables dirigeants céréaliers venaient de décider<br />

de profiter de la dévaluation, pour mobiliser des moyens qui permettaient d’accompagner<br />

financièrement, en haut de bilan, des entreprises d’amont et d’aval de la filière.<br />

C’est donc <strong>à</strong> cette occasion qu’est né UNIGRAINS. Et la démarche a été la même, les<br />

premiers collaborateurs d’UNIGRAINS ont commencé <strong>à</strong> travailler pendant quelques mois<br />

dans le bâtiment qui est derrière nous, le temps que l’ensemble se structure.<br />

Quelles méthodes <strong>Julien</strong> COLEOU utilisait-il pour répondre aux préoccupations de ces<br />

dirigeants qui l’interpellaient ?<br />

C’était des méthodes simples :<br />

Premièrement, il était très attentif <strong>à</strong> l’objectif ; il s’efforçait de toujours partager avec<br />

eux cet objectif et de ne jamais en dévier<br />

Deuxièmement, il mettait en place des hommes, souvent très jeunes, souvent<br />

inexpérimentés, mais <strong>à</strong> qui il prêtait sa voiture sans problème… Des hommes qu’il<br />

accompagnait, qui pouvaient venir le consulter <strong>à</strong> chaque instant, qui pouvaient venir<br />

l’interroger, qui pouvaient venir librement chercher un conseil.<br />

L’un d’entre eux est parti trop jeune. Il avait commencé <strong>à</strong> jouer un rôle clé dans l’ensemble<br />

de ce dispositif, il avait suivi le même parcours que beaucoup d’entre nous, étudiant puis<br />

enseignant, je veux parler de Jean-Claude DUBOST que certains ont connu.<br />

Voil<strong>à</strong> la démarche que <strong>Julien</strong> COLEOU a utilisée pour accompagner toutes les initiatives<br />

prises par un secteur professionnel qui s’est doté d’outils complémentaires, qui exerçait des<br />

métiers différents : la recherche appliquée, ce n’est pas l’accompagnement financier des<br />

entreprises, ce sont des métiers différents.<br />

L’action de <strong>Julien</strong> COLEOU a durablement marqué nos organisations<br />

On pourrait faire quelques commentaires sur les conséquences, et la manière dont cela a pu<br />

permettre <strong>à</strong> l’économie céréalière d’accroître ses performances et sa compétitivité, mais,<br />

évidemment, je ne suis pas le mieux placé, ni le plus objectif pour le faire.<br />

Ce dont je peux témoigner, néanmoins, c’est que trente ou quarante ans plus tard, si des<br />

spécialistes de la génétique moléculaire venaient visiter nos entreprises et nos


organisations, ils mettraient en évidence des marqueurs très forts : des marqueurs qui<br />

s’appellent tous <strong>Julien</strong> COLEOU !<br />

Parce que même trente ou quarante ans plus tard, il en a laissé dans notre groupe, de très<br />

importants.<br />

Il a laissé des élèves et des disciples, comme Hervé LE STUM, Directeur de l’AGPB, qui est<br />

parmi nous, comme moi-même bien sûr, mais aussi plus de trente de nos camarades dont<br />

beaucoup sont ici aujourd’hui.<br />

Il a laissé des marqueurs dans notre culture, dans notre comportement, dans notre approche<br />

plus facilement systémique qu’analytique, et c’est vrai qu’il m’arrive de faire des remarques<br />

désagréables <strong>à</strong> des collaborateurs qui, ma chère Paule RENAUD, accordent <strong>à</strong> mes yeux<br />

encore trop d’importance <strong>à</strong> l’analyse de variance. Même si c’est quelque chose qu’il faut<br />

apprendre, il faut savoir concilier l’analyse de variance et l’analyse systémique.<br />

Je terminerai par un regard sur l’homme<br />

Quand nous étions élèves, <strong>Julien</strong> COLEOU avait un don incontournable pour savoir<br />

interpeller ses interlocuteurs. Avec doigté et avec humour. Pour aiguiser leur esprit critique,<br />

et les amener <strong>à</strong> rectifier par eux-mêmes leurs analyses, quand il les jugeait non fondées ou<br />

approximatives.<br />

Son grand charisme, outre son affabilité naturelle, s’expliquait largement par le regard positif<br />

qu’il portait naturellement sur les hommes, son sens des autres.<br />

Hyperactif, ayant le sens du partenariat, homme d’interface, très grand pédagogue, avec des<br />

qualités humaines et relationnelles exceptionnelles… j’ai eu la chance de le côtoyer,<br />

d’apprécier son enthousiasme, ses compétences de grand professeur et de meneur<br />

d’hommes : <strong>Julien</strong> COLEOU homme de reliance. Reliance, cela veut dire, selon Edgar<br />

Morin, la faculté <strong>à</strong> tisser des liens entre les hommes. On pourrait ajouter aussi entre les<br />

organisations et les institutions. Des liens qu’il continuait de faciliter, notamment pendant ce<br />

que les sportifs appellent les troisièmes mi-temps : chacun d’entre nous a nombre<br />

d’anecdotes <strong>à</strong> ce sujet.<br />

Pour terminer, je dirai que notre exemple montre, mais nombre d’entre vous pourraient parler<br />

d’exemples d’autres organisations professionnelles, notre exemple montre que les<br />

composantes de notre groupe professionnel sont encore aujourd’hui fortement marquées par<br />

tout ce qu’il y a apporté, dans la culture, les valeurs, les compétences. Même si son<br />

intervention était surtout forte au moment des fondations, au moment où une nouvelle<br />

activité était développée, après quoi il laissait très vite les responsables prendre de la<br />

distance, avec le maximum de confiance.<br />

On peut se demander, et Claude BERANGER y a fait allusion, s’il n’était pas déj<strong>à</strong><br />

l’enseignant-chercheur du 21 ème siècle, celui dont le 21 ème siècle a besoin, aura besoin, mais<br />

avec 50 ans d’avance. On peut se demander s’il n’était pas, aussi, le manager du 21 ème<br />

siècle, l<strong>à</strong> encore avec 50 ans d’avance. Tout <strong>à</strong> l’heure, certains d’entre nous proposeront,<br />

peut être, de rassembler ses œuvres, et c’est une idée qu’il faut approfondir, je pense.<br />

On constatera qu’il y a dedans peu de théorie, mais est-il trop tard pour en faire un objet de<br />

recherche ? C’est une question que je pose <strong>à</strong> mes collègues enseignants-chercheurs. Peutêtre<br />

trouveront-ils l<strong>à</strong> du matériau pour théoriser ce que <strong>Julien</strong> n’a pas eu le temps de faire.


Voil<strong>à</strong> un témoignage d’une organisation professionnelle, relayé par tous nos collègues. Pour<br />

finir, j’en cite un qui n’a pas pu venir parmi nous cet après-midi, une seule phrase : « il reste<br />

donc en mon être un ami cher et inoubliable ».


<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES PAYS DU SUD


<strong>Julien</strong> COLEOU ET LES PAYS DU SUD<br />

Michel MOLLARD, Christian LELONG, Jean-Pierre LEGEARD<br />

Les problèmes de ressources alimentaires des pays en Développement ne pouvaient laisser<br />

<strong>Julien</strong> indifférent, particulièrement lorsque ses études comparées des productions animales,<br />

actualisées régulièrement, mettaient en évidence les énormes déficits en protéines animales<br />

de ces pays.<br />

C’est donc naturellement qu’il mobilisa son énergie sur ces questions, y apportant, comme<br />

ailleurs, sa passion, sa créativité, sa compétence.<br />

Sollicité d’abord comme expert, il s’impliqua très rapidement, dès le début des années<br />

soixante, dans des opérations de terrain innovantes pour la promotion du développement<br />

des productions animales des pays concernés. Mais l’innovation s’étendait également <strong>à</strong> son<br />

enseignement puisque, ce faisant, il offrait aux étudiants et jeunes ingénieurs sortant de<br />

l’école, une opportunité de forger une première expérience de terrain tout en apportant <strong>à</strong> ces<br />

actions, outre leur compétence, les atouts de leur enthousiasme et de leur disponibilité.<br />

Fidèle <strong>à</strong> sa manière d’agir, <strong>Julien</strong> aborda les situations de développement avec une<br />

préoccupation méthodologique, de mise au point de solutions adaptées, loin du transfert de<br />

modèle, qui le conduisit <strong>à</strong> promouvoir une attitude de Recherche-Développement, concept<br />

qu’il fût parmi les premiers <strong>à</strong> promouvoir dans de telles situations. Nous illustrerons son<br />

action pour les pays en développement, <strong>à</strong> travers trois grands chapitres : le Maroc et<br />

l’aménagement du périmètre irrigué de la Plaine du Gharb ; l’Algérie qui représenta un<br />

engagement intense sur plus de dix années, et enfin un chapitre qui, avec l’Algérie, me<br />

concerne plus particulièrement : sa contribution <strong>à</strong> l’engagement du Groupe Céréaliers de<br />

France dans l’aide au développement <strong>à</strong> travers l’association FERT.<br />

Christian LELONG va évoquer maintenant l’expérience marocaine.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU : l’expérience marocaine<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU, Monsieur COLEOU devrais-je dire tant était et est encore grand le respect<br />

qu'il nous inspirait, était-il <strong>à</strong> l'étranger différent ? Sans doute pas.<br />

Sortant de la rue Claude Bernard pour nous plonger en 1964-1966 dans l'inconnu du Maroc,<br />

les jeunes coopérants que nous étions, Louis MELET, Alain BOURBOUZE, Robert<br />

LOGEAIS et moi, puis plusieurs autres camarades de la promotion suivante, découvrions un<br />

COLEOU passant tout naturellement du statut de prof <strong>à</strong> celui de chef de mission. Tout de<br />

suite, il nous faisait confiance, malgré la distance, continuait <strong>à</strong> nous insuffler son dynamisme<br />

et son imagination et travaillait toujours sur plusieurs écrans <strong>à</strong> la fois.<br />

Ce qui pouvait jouer des tours, l'organisation étant rapide …<br />

Partant en principe pour la mission Sebou de la FAO, Louis s'est retrouvé pendant trois mois<br />

prof dans une école d'agriculture et moi j'ai bien failli être expédié <strong>à</strong> Marrakech pour soigner<br />

des dromadaires !


Sur les parcours semi-arides, le prof. zootechnicien n'oubliait pas la théorie : nous faire<br />

estimer le nombre d'UF disponibles. Et nous inciter <strong>à</strong> démarrer le contrôle de croissance sur<br />

les bovins du Gharb en important une bascule Maréchalle (matériel non prévu dans la<br />

nomenclature des douanes marocaines !). Le premier bestiau présenté <strong>à</strong> la pesée était<br />

souvent le chef du douar ! Et le dosage de la MS du bersim par double pesée avant et après<br />

plongée dans la bassine d'huile bouillante (qui souvent débordait : bonjour la précision de la<br />

mesure !).<br />

Dans ce milieu, <strong>Julien</strong> COLEOU excellait comme homme de développement. Il nous a<br />

incités <strong>à</strong> introduire au Maroc le système fourrager vendéen <strong>à</strong> base de choux dont on cueillait<br />

les feuilles de la base pour ne pas en arrêter la croissance. Et pour cela des semences de<br />

choux nous ont été gentiment expédiées par sa secrétaire, Mme PENCOLLET, camouflées<br />

au milieu de friandises.<br />

Je repense aussi aux essais d'ensilage de bersim avec addition <strong>à</strong> l'arrosoir de mélasse de<br />

betterave !<br />

Puis, après nous avoir essoufflés de son rythme endiablé pendant ses séjours trimestriels, le<br />

vendredi soir <strong>Julien</strong> COLEOU reprenait le volant de son ID pour être au bac de Tanger le<br />

samedi matin, et au bas de l'amphi le lundi matin.<br />

Et de retour dans son bureau perché ici sur la terrasse de l'immeuble, <strong>Julien</strong> COLEOU<br />

prenait <strong>à</strong> distance soin du moral de sa jeune équipe victime de l'embargo sur la presse<br />

française, en nous envoyant, noyées au milieu de liasses de biblio, des coupures de<br />

journaux relatant l'affaire Ben Barka qui faisait l'actualité du moment.<br />

Au revoir, <strong>Julien</strong> COLEOU, et merci pour cette dynamique que vous nous avez insufflée.<br />

Merci Christian.<br />

En Algérie, <strong>Julien</strong> et ses équipes furent, de 1967 <strong>à</strong> 1980, les acteurs majeurs du<br />

développement des productions animales en intervenant dans toutes ses composantes :<br />

aménagement de périmètres irrigués et mise au point de systèmes fourragers et<br />

alimentaires,<br />

développement de zones de montagnes et mise en œuvre de systèmes<br />

coopératifs dans un contexte socialiste auto-gestionnaire,<br />

production ovine en zones arides et intégration agriculture-élevage,<br />

industrialisation des bâtiments d’élevage,<br />

formation.<br />

Comme il aimait <strong>à</strong> le rappeler, c’est plus de deux siècles d’ingénieurs que <strong>Julien</strong> a ainsi<br />

pilotés en Algérie ; Jean-Pierre LEGEARD fut l’un d’eux et je le laisse présenter son<br />

expérience.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU et la Grande Kabylie<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU et la Grande Kabylie, en Algérie, c'est la période 1969 – 1976.<br />

La petite société qu'il a montée, Etudes et Réalisations Agricoles, est alors appelée <strong>à</strong> fournir<br />

l'assistance technique au secteur des productions animales de la wilaya.


Une équipe de cinq personnes est ainsi mise en place, d'une part au sein du service élevage<br />

de la Direction de l'Agriculture, d'autre part auprès de deux coopératives, l'une consacrée au<br />

secteur des ruminants, l'autre au secteur de l'aviculture.<br />

Tout était <strong>à</strong> faire, depuis la création des ateliers de production de lait, de viande ou d'œufs<br />

de consommation, jusqu'<strong>à</strong> la formation des hommes, en passant par l'organisation des<br />

approvisionnements, comme par l'intensification et la diversification des ressources<br />

fourragères.<br />

L'objectif était simple : il fallait produire pour nourrir les populations. Mais les questions de<br />

mise en marché posaient aussi parfois problème.<br />

Toute la période a été guidée par un principe central, cher <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> COLEOU : l'organisation<br />

coopérative comme pôle de développement, dans sa dimension économique comme dans<br />

sa dimension humaine.<br />

Il est vrai que ces coopératives étaient largement étatiques. Mais par leur statut, comme par<br />

le choix d'hommes de terrain placés <strong>à</strong> leur tête, elles avaient une capacité d'action, de<br />

réactivité et de responsabilité bien supérieure <strong>à</strong> celle d'une administration.<br />

C'est bien ainsi que les choses se sont passées, avec une dynamique qui ne s'est jamais<br />

démentie, avec aussi l'impulsion continue de <strong>Julien</strong> COLEOU, qui venait passer avec son<br />

équipe de longs moments de réflexion stratégique et d'évaluation.<br />

Autre originalité du projet : il s'adressait non seulement au secteur socialiste des domaines<br />

autogérés, issus des grandes exploitations coloniales, mais tout autant aux très nombreuses<br />

petites et moyennes exploitations du secteur privé.<br />

Le pari des coopératives a pleinement porté ses fruits.<br />

La coopérative avicole, par exemple, assurait la production des poulettes, les mettait en<br />

place par lots de 300 <strong>à</strong> 1000 dans les exploitations, encadrait la création des bâtiments<br />

d'élevage, fournissait les approvisionnements en aliments et produits vétérinaires, gérait le<br />

pilotage technique du réseau de vulgarisateurs de la wilaya.<br />

Quand, en quelques années, la production d'œufs est devenue conséquente, c'est la<br />

coopérative aussi qui a pris en charge la commercialisation <strong>à</strong> distance.<br />

Bien sûr, tout cela ne s'est pas fait sans difficultés. Mais, par exemple, quand l'aliment venait<br />

<strong>à</strong> manquer en Algérie, la coopérative envoyait ses camions dans tout le pays vers les stocks<br />

encore disponibles pour garantir coûte que coûte la continuité de l'approvisionnement <strong>à</strong> ses<br />

producteurs.<br />

Depuis cette époque, l'Algérie a traversé bien des tourments ; je ne saurai dire ce que sont<br />

devenues aujourd'hui les coopératives.<br />

Dix ans après, je suis repassé dans cette région, <strong>à</strong> la coopérative vouée au secteur bovin,<br />

qui possédait elle-même un troupeau. Quand je suis arrivé, le directeur, toujours le même,<br />

était dans les champs, <strong>à</strong> piloter une ensileuse. " Je suis <strong>à</strong> ce poste, m'a t-il expliqué, parce<br />

que c'est l<strong>à</strong> que se fait toute la performance du chantier de récolte".<br />

Ce n'est l<strong>à</strong> qu'une anecdote, mais elle montre bien, je crois, toute la visée stratégique de<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU : le développement, ce n'est pas une affaire de technocratie ; c'est avant<br />

tout une affaire d'hommes et d'organisation des producteurs, dans un effort de longue durée.


Trente ans après, je peux en témoigner, toute l'équipe qui a œuvré avec <strong>Julien</strong> COLEOU <strong>à</strong><br />

ce projet en a été profondément marquée.<br />

La plupart d'entre nous y a consacré cinq, voire six années <strong>à</strong> notre sortie de l'Agro. Nous<br />

continuons <strong>à</strong> en porter l'expérience et les enseignements dans le quotidien de notre vie<br />

professionnelle.<br />

Personne n'a oublié que nous le devons <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> COLEOU.<br />

Au nom de toute notre équipe, que je représente ici en partie, <strong>Julien</strong>, nous te disons merci, et<br />

nous continuons le voyage avec toi.<br />

Merci Jean-Pierre.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU, les organisations professionnelles céréalières et les Pays en<br />

Développement<br />

A la fin des années 1970, <strong>Julien</strong> fut sollicité par les organisations professionnelles des<br />

producteurs céréaliers pour participer <strong>à</strong> une réflexion sur un engagement envers les Pays en<br />

Développement.<br />

Sa force de conviction et sa capacité <strong>à</strong> développer des stratégies sur des perspectives<br />

innovantes et séduisantes ont contribué, de manière décisive, <strong>à</strong> ce que le groupe Céréaliers<br />

confie <strong>à</strong> l’association FERT, créée par des dirigeants agricoles, une mission de conduire des<br />

opérations de soutien au développement agricole fondé sur l’organisation des producteurs.<br />

Ainsi, depuis près de vingt ans, cette action représente un prolongement direct de<br />

l’engagement de <strong>Julien</strong> dans les Pays en Développement.<br />

Ce ne sont l<strong>à</strong> que les grands chapitres qui ont jalonné les relations de <strong>Julien</strong> avec le Sud. Il<br />

faut aussi évoquer les nombreuses actions plus diffuses que <strong>Julien</strong> a pu initier dans d’autres<br />

pays en développement, notamment en Afrique, comme au Mali ou au Sénégal, où il fut<br />

récemment associé <strong>à</strong> l’initiative du Président de la République française pour accompagner<br />

le Sénégal dans la mise sur pied d’une nouvelle politique agricole.<br />

Il faut aussi citer l’impulsion qu’il donna <strong>à</strong> une action conduite auprès des Touaregs du Niger<br />

pour l’association ORION qu’il a contribué <strong>à</strong> créer.<br />

Enfin, <strong>Julien</strong> a poursuivi tout au long de ces années une recherche sur les moyens de créer<br />

des ressources fourragères dans les zones les plus difficiles et nombreux sommes nous <strong>à</strong><br />

nous souvenir de sa passion pour les arbres fourragers.<br />

Pour conclure, je voudrais associer <strong>à</strong> ces témoignages, ceux communiqués par nos<br />

camarades HADJIAT et GUESSOUS, ainsi que Messieurs Mohammed ROUIGHI et<br />

Nourredine KADRA, tous deux anciens ministres algériens et, <strong>à</strong> l’époque, responsables de<br />

certaines des opérations évoquées.


<strong>Julien</strong> COLEOU ET L’ENTREPRISE


<strong>Julien</strong> COLEOU ET L’ENTREPRISE<br />

Pierre GOURGEON<br />

ITM<br />

Président du groupement INTERMARCHE <strong>à</strong> la suite de Jean-Pierre LE ROCH, son<br />

fondateur qui est dans la salle du dessus, c’est dommage, mais il se joindra <strong>à</strong> nous tout <strong>à</strong><br />

l’heure.<br />

Alors pourquoi ma présence ici, parce que je dois être le seul distributeur présent parmi une<br />

assemblée aussi prestigieuse de scientifiques, parce qu’on a beaucoup parlé de science cet<br />

après midi.<br />

Pourquoi suis-je ici, parce que dans le groupement des Mousquetaires, on a toujours voulu,<br />

et ç<strong>à</strong> c’est la volonté de Jean-Pierre LE ROCH, ç<strong>à</strong> a été la mienne également, entretenir<br />

avec des personnages éminents, des amitiés ; des personnes éminentes mais extérieures <strong>à</strong><br />

notre groupement, de manière <strong>à</strong> ce qu’on puisse avoir une ouverture sur un autre horizon<br />

que l’épicerie.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU faisait partie de ces amis fidèles et précieux, précieux <strong>à</strong> la fois en conseil et<br />

précieux en amitié.<br />

Et quand on constate tout ce qui a été dit sur <strong>Julien</strong> COLEOU, ces domaines d’action étaient<br />

vastes et variés, je comprends pourquoi sa fréquentation était si agréable et si enrichissante<br />

pour nous.<br />

D’un autre côté, au groupement INTERMARCHE, nous avons toujours voulu, pour assurer<br />

notre indépendance d’approvisionnements le plus possible face <strong>à</strong> l’hégémonie des<br />

multinationales, nous avons toujours essayé de développer ce que l’on appelle des pôles<br />

d’indépendance, en ayant un peu pris pied dans certains domaine de la production et<br />

notamment de l’agro-alimentaire. En effet, dans l’environnement du groupement des<br />

Mousquetaires, il y a <strong>à</strong> peu près une quarantaine d’unités de production, qui sont très<br />

variées, puisque cela va depuis les produits de la mer et la pêche, depuis la charcuterie,<br />

jusqu’aux les couches culottes, en passant par la production de foie gras ; c’est très varié,<br />

mais c’est très intéressant.<br />

Et vous pensez bien que l’amitié de <strong>Julien</strong> COLEOU, et les conseils qu’il pouvait nous<br />

donnés, étaient extrêmement précieux pour nous.<br />

Parmi ces entreprises, c’est l<strong>à</strong> dessus que je voulais revenir, la Société Vitréenne d’Abattage<br />

(SVA), dont le créateur Jean ROZE est présent aussi ici ce soir, car c’est un très grand ami<br />

de <strong>Julien</strong> COLEOU, la Société Vitréenne d’Abattage qui assure l’approvisionnement en<br />

produits carnés de tout le groupement INTERMARCHE.<br />

Pourquoi, je parle de la SVA ? Parce que nous venons de traverser une crise profonde dans<br />

l’élevage, qui a été la crise de l’ESB, et nous en avons subi les conséquences comme<br />

beaucoup d’autres, mais peut être avec moins de difficultés que les autres. Mais ceci dit, je<br />

me souviendrai toujours d’une dernière journée du mois de décembre 2000, alors qu’avec la<br />

SVA on avait monté un laboratoire, je ne suis pas un spécialiste, je crois que c’est un<br />

laboratoire de niveau P3, un niveau important de laboratoire, pour détecter la présence<br />

d’ESB chez les animaux.


Alors que ce laboratoire était prêt <strong>à</strong> fonctionner, que les tests étaient concluants, ils étaient<br />

contrôlés par l’AFSSA, les pouvoirs publics ne voulaient pas nous donner l’autorisation de le<br />

faire fonctionner, et je les comprends, parce que nous étions <strong>à</strong> la fois juge et partie. On était<br />

dans les tous derniers jours de décembre, et normalement au 1 er Janvier, on ne pouvait plus<br />

abattre. Alors je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais la SVA abat environ 1 000<br />

bovins par jour, il y a 3 000 employés ; il y a derrière aussi des producteurs qui<br />

commençaient déj<strong>à</strong> <strong>à</strong> s’énerver considérablement, et quand ils sont énervés, ils viennent<br />

immédiatement devant les portails de la SVA, c’est le schéma classique.<br />

Donc on était ce soir l<strong>à</strong>, vraiment très mal. Et Dominique LANGLOIS, l’actuel Président de la<br />

SVA, rentre d’une réunion, je crois que le Ministre de l’Agriculture, Monsieur GLAVANY, était<br />

présent <strong>à</strong> cette réunion, il rentre <strong>à</strong> son bureau, <strong>à</strong> leur siège <strong>à</strong> Trévil pour 8 heures du soir, en<br />

disant il n’y a pas moyen, ils ne veulent pas nous laisser utiliser le laboratoire. Mais je lui dis :<br />

« le laboratoire pour nous, ce n’est pas une affaire, c’est un outil de travail, alors même si on<br />

est administrateur, si on a des parts dans le laboratoire, est-ce qu’on ne peut pas mettre <strong>à</strong> la<br />

tête de ce laboratoire, une sommité, et nous en connaissons quelques-unes, du monde agroalimentaire,<br />

qu’elle assure la présidence et la responsabilité et nous nous dégageons<br />

totalement ? »<br />

Il était 10 heures du soir, et Dominique LANGLOIS me dit : « je crois qu’on peut essayer<br />

d’appeler <strong>Julien</strong> COLEOU ».<br />

Vous vous rendez compte, déranger <strong>Julien</strong> COLEOU chez lui <strong>à</strong> 10 heures du soir, il faut être<br />

gonflé quant même. Mais l’enjeu était tel qu’il fallait le faire.<br />

Donc on l’appelle, pour lui faire la proposition en lui demandant, parce que c’était gonflé<br />

quant même, c’était une charge lourde, s’il voulait bien accepter ; il a répondu « oui », tout de<br />

suite. Et ça je ne l’oublierai jamais, ç<strong>à</strong> rejoint tous les témoignages que vous avez tous faits<br />

sur <strong>Julien</strong> COLEOU, ç<strong>à</strong> c’est quelque chose. Vous vous rendez compte <strong>à</strong> 10 heures du soir,<br />

on lui demande de prendre une responsabilité énorme en période de forte tempête, et il<br />

accepte ; et il accepte…<br />

Rétrospectivement, j’ai un peu honte de lui avoir demandé de prendre une telle<br />

responsabilité. Et non seulement, il a accepté, mais il a développé ce laboratoire d’une<br />

manière considérable, et il en a fait un modèle du genre.<br />

Donc merci <strong>Julien</strong>, merci <strong>Julien</strong>, vraiment, si je suis venu ici devant vous tous lui rendre<br />

hommage, c’est qu’il nous a rendu un service considérable.<br />

Et vous savez, deuxième image que j’ai, elle est récente, elle date du mois de juin. Jean-<br />

Pierre et Marie-Thérèse LE ROCH ont voulu que notre groupement ait une fondation, qui<br />

s’appelle d’ailleurs, La Fondation Marie-Thérèse et Jean-Pierre LE ROCH - Les<br />

Mousquetaires ; et bien entendu, <strong>Julien</strong> COLEOU était membre de cette fondation, comme<br />

Marie-Thérèse LE ROCH, comme Jean-Pierre LE ROCH bien sûr, mais aussi Jean ROZE, et<br />

beaucoup d’autres amis qui sont aussi présents ce soir, tels que Pierre CALLENS, Edouard<br />

SOLUSTRO, Louis CHEVALIER qui font partie de ces amis, de notre groupement, et des<br />

amis de <strong>Julien</strong> COLEOU.<br />

Et fin juin de cette année, je m’en souviens très bien, Marie-Thérèse LE ROCH, nous avait<br />

invités <strong>à</strong> venir tenir notre séance plénière de la Fondation, en Bretagne, au bord du golfe du<br />

Morbihan, <strong>à</strong> leur domicile. On a passé une journée radieuse. Disons que le travail n’a pas<br />

été considérable, mais la journée a été magnifique, elle s’est terminée par une soirée<br />

extraordinaire, qui a été animée d’une manière époustouflante par <strong>Julien</strong> COLEOU, jusqu’<strong>à</strong><br />

minuit, alors que le lendemain il se levait <strong>à</strong> 5 heures du matin.


D’ailleurs <strong>à</strong> un moment, je lui ai dit : « <strong>Julien</strong>, je trouve que tu forces trop sur la bête », je ne<br />

pensais pas ce que je disais. Il a animé cette soirée d’une manière brillante, et je retrouvais,<br />

quand le jeune ingénieur parlait d’une journée, d’une soirée qu’ils avaient passée ensemble,<br />

je retrouvais le même <strong>Julien</strong> COLEOU.<br />

Voil<strong>à</strong>, le témoignage que je voulais vous apporter, qui est un témoignage un peu extérieur au<br />

monde de l’Agro, mais je constate que le <strong>Julien</strong> COLEOU que je connaissais en fait, après<br />

vous avoir tous écoutés, était exactement le même que le vôtre, un homme de cœur et un<br />

homme d’esprit. Je suis content d’avoir été parmi vous ce soir.<br />

Salut <strong>Julien</strong>…


<strong>Julien</strong> COLEOU LE PROFESSEUR A L’AGRO


<strong>Julien</strong> COLEOU LE PROFESSEUR A L’AGRO<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU : GRAND PROFESSEUR ET GRAND INNOVATEUR 1<br />

Michel SEBILLOTTE<br />

Professeur émérite d’Agronomie<br />

de l’INA-PG<br />

Comme enseignant d’une grande école, <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> a toujours su associer un<br />

enseignement de zootechnie de grande qualité et un intérêt majeur pour la vie de l’Ecole. Il<br />

avait d’ailleurs une perception aiguë du rôle des élèves dans cette vie de l’INA, ce qu’il<br />

traduisait, entre autres, par la nécessité de les suivre dans leurs existences respectives au<br />

sortir de l’Ecole 2 . Mais avant de témoigner <strong>à</strong> titre personnel, j’ajouterai ce qui me semble,<br />

peut-être avoir été le trait essentiel de cet homme généreux : <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> était pleinement<br />

de son temps. Il était <strong>à</strong> l’aise dans notre société, et pourtant il était aussi pleinement un<br />

initiateur largement tourné vers l’avenir, un avenir qui s’enracinait dans tout ce qu’il voyait de<br />

« déj<strong>à</strong> positif » dans le présent. C’était un optimiste. Mon témoignage s’organisera autour de<br />

six points, parmi tant d’autres nés de l’entrecroisement de nos parcours durant quarante cinq<br />

années.<br />

1) <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> jeune enseignant, souvenirs de l’élève<br />

C’était en 1957, je crois, lors de la fête annuelle de l’école. Il y avait, sur le palier de cet<br />

amphi Tisserand, une rôtisserie et des tables pour déguster des poulets qui devaient bien<br />

venir de la Haizerie, ferme de l’Agro dont <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> s’occupait. Je le revois, assis en face<br />

de Jacques Delage avec leurs épouses respectives, heureux d’être l<strong>à</strong>, le visage épanoui,<br />

dégustant <strong>à</strong> pleines mains…<br />

Autre souvenir de l’élève que j’étais, celui du jeune assistant qui faisait cours aux troisièmes<br />

années de la section Agriculture-Elevage <strong>à</strong> laquelle j’appartenais, en 1958-59. Nous étions<br />

dans l’amphi B, avec ses peintures de chaque côté du tableau noir, et nous avions devant<br />

nous un jeune homme élégant qui nous faisait partager son enthousiasme pour les<br />

méthodes modernes d’élevage. Fils d’éleveur de mouton dans le sud tunisien, je l’entends<br />

encore parler du flushing pour les mères gestantes … Il avait toujours de l’empathie pour ses<br />

élèves, tout en étant facilement un peu provocant ! <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> est aussi, pour moi, l’un<br />

des jeunes enseignants qui ont introduit les travaux bibliographiques, véritable révolution qui<br />

substituait <strong>à</strong> la seule parole du maître la possibilité de controverse. Il savait, gentiment, se<br />

démarquer des habitudes, des pratiques courantes de l’élevage… Il nous parlait aussi de la<br />

Haizerie, lieu de ses expérimentations, car il a toujours eu le souci de mettre en pratique ses<br />

enseignements, il accordait beaucoup d’importance <strong>à</strong> la vérification de ses dire.<br />

2) <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> enseignant, souvenirs du jeune assistant devenu son collègue<br />

J’entre, en janvier 1962, comme assistant <strong>à</strong> la Chaire d’Agriculture, dirigée par monsieur<br />

Hénin.<br />

Mon premier souvenir de <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> dans cette période, c’est celui, au printemps 1962,<br />

du voyage de fin de troisième année qui était commun aux différentes spécialisations. Nous


avons traversé en car la Belgique, avec un arrêt <strong>à</strong> Bruxelles pour entendre ces messieurs de<br />

la Commission, pour ensuite longuement visiter la Hollande puis l’Allemagne. <strong>Julien</strong> -- de ce<br />

voyage date le début de notre amitié et d’un long compagnonnage -- y était avec René<br />

Dumont, Georges Séverac, Bernard Rosier, Denis Bergman et quelques autres, ceux qui<br />

croyaient <strong>à</strong> l’intérêt des comparaisons pour la formation, et les plus jeunes pour continuer <strong>à</strong><br />

se former et aussi jouer les « garde-chiourmes ». Il y avait bien sûr les visites où chacun<br />

pouvait facilement s’exprimer, les visites de Musées 3 , car <strong>à</strong> cette époque l’Agro avait une<br />

conception large de la formation, et, enfin les ballades en ville après les repas, quand nous<br />

étions « débarrassés » des élèves ! Je nous revois avec <strong>Julien</strong>, léchant les vitrines d’Arnhem<br />

quand nous tombâmes sur René Dumont qui achevait de manger ses cerises assis sur un<br />

banc dans une jolie petite place, et qui nous indiqua les rues « chaudes » de la ville ! Ce<br />

voyage se terminait par l’excursion viticole conduite par « le père » Trinquet, comme nous<br />

appelions ce prof merveilleux. Mais tous les collègues, pressés de clore ce déj<strong>à</strong> long voyage,<br />

s’en retournèrent <strong>à</strong> Paris. Bernard Rosier et moi-même restâmes seuls pour « tenir » les<br />

élèves tout le jeudi de la Fête Dieu, férié 4 , en attendant l’arrivée du père Trinquet et, nous<br />

aussi, de lui passer le relais !<br />

J’avais reçu de Roger Blais, directeur de l’Agro, la responsabilité de la ferme des Granges <strong>à</strong><br />

Palaiseau. En effet, l’Ecole venait d’obtenir cette ferme pour pouvoir donner un<br />

enseignement de terrain aussi en agriculture, pendant de ce qui se faisait avec la Haizerie<br />

pour la zootechnie. Des parallèles s’instaurèrent entre les deux exploitations, mais j’y<br />

expérimentais peu contrairement <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> qui testait, avec son complice R. Salaün, différents<br />

modèles d’élevage. Mon parti pris fut, <strong>à</strong> l’époque, de montrer aux élèves comment<br />

fonctionnait une exploitation dont l’objectif était d’abord de gagner de l’argent.<br />

C’est <strong>à</strong> cette période aussi que, progressivement, la section agriculture-élevage devint une<br />

section agriculture, la Chaire de Zootechnie ayant créé de son côté sa propre section de<br />

spécialisation. Je pris la direction de cette section agriculture-élevage dès 1965.<br />

3) <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> et l’Agro en 1968<br />

Quelques mois avant mai 1968, je disais <strong>à</strong> certains étudiants que notre école était bloquée<br />

pour évoluer : pour réformer l’enseignement des deux premières années il fallait une telle<br />

conjonction d’avis de personnes, peu au fait des problèmes de l’Ecole, que l’entreprise<br />

semblait impossible 5 . Aussi, lorsque 68 survint, <strong>Julien</strong>, Marcel Mazoyer, moi-même 6 , nous<br />

saisîmes l’occasion de transformer cet événement en une véritable réforme pour l’Agro.<br />

Sous des formes diverses, nous avions, en effet, entrepris d’expérimenter de nouveaux<br />

contenus et de nouvelles démarches pédagogiques chaque fois que des espaces de liberté<br />

existaient : <strong>à</strong> l’Agro, dans les jeunes sections de spécialisation dont nous étions, de fait, les<br />

pilotes ; hors de l’Agro, dans des écoles plus petites et beaucoup plus conscientes de la<br />

nécessité d’évoluer pour survivre. Nous cherchions délibérément <strong>à</strong> rompre avec le cours excathedra,<br />

<strong>à</strong> donner la parole aux élèves, <strong>à</strong> introduire la notion de travaux « personnels » ;<br />

pour <strong>Julien</strong>, c’étaient en particulier des projets d’ingénieurs 7 . Nous avions donc déj<strong>à</strong> une<br />

bonne idée de ce qui pouvait se faire. On ne soulignera jamais assez le rôle de ces sections<br />

de spécialisation pour lesquelles une espèce de contrat moral était passé avec les<br />

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étudiants 8 : elles étaient le seul lieu où les jeunes enseignants pouvaient « expérimenter »,<br />

donner libre cours <strong>à</strong> leurs intuitions et cela parce que l’enseignement supérieur se définit<br />

comme un lieu de formation et non comme celui où l’on « ingurgite » un programme<br />

déterminé par quelque commission qui pense que l’on doit savoir ceci et cela … C’est contre<br />

tout cela que nous luttions 9 .<br />

Le travail de réforme fut distribué entre six commissions, je crois. La Commission N° 1<br />

s’occupait de l’enseignement et nous nous y retrouvâmes. Elle se réunissait dans la salle du<br />

rez-de-chaussée de ce petit bâtiment dont la zootechnie occupait la majeure partie, <strong>à</strong> côté<br />

des anciens garages qui avaient été reconvertis pour accueillir toute l’organisation des livres<br />

généalogiques de l’élevage français. Un véritable dialogue s’instaura avec les étudiants, les<br />

réunions étaient très fréquentes et, par moment durant cette longue période d’arrêt des<br />

cours, elles étaient quotidiennes 10 ! <strong>Julien</strong> était grand rédacteur et souvent il revenait le matin<br />

avec des propositions écrites exploitant les discussions, les prolongeant…<br />

Le résultat de ce travail fut un document (une bonne centaine de pages, si mes souvenirs<br />

sont bons) qui proposait une réforme complète de l’enseignement des deux premières<br />

années. Ces propositions devinrent la règle pour l’INA, dès la rentrée de 1968-69 et nous<br />

nous retrouvâmes dans le bureau de P. Tissot, Directeur adjoint, en septembre 1968 pour<br />

mettre en musique cette nouvelle organisation.<br />

Le grand changement était une réduction du nombre d’heures des deux premières années et<br />

la refonte radicale de leur contenu. La première année devait marquer une claire rupture<br />

avec la préparation au concours et introduire les spécificités de l’Ecole. L’enseignement<br />

faisait la place <strong>à</strong> un stage en exploitation agricole découpé en trois périodes pour retrouver le<br />

rythme des saisons ; il commençait en septembre (nous avions supprimé le stage d’été sans<br />

grand intérêt). Ce stage était conçu comme un élément intrinsèque de la formation et piloté<br />

en tant que tel, essentiellement par les trois chaires d’Agriculture, d’Agriculture Comparée et<br />

de Zootechnie. Les étudiants recevaient une formation début septembre pour que leur<br />

découverte soit organisée par l’Ecole et ils recevaient un « cahier des charges » de travaux <strong>à</strong><br />

faire, ce qui conduisit <strong>à</strong> exiger des exploitants qui les accueillaient de ne les faire travailler<br />

qu’<strong>à</strong> mi-temps, l’autre mi-temps étant réservé aux travaux que nous leur donnions <strong>à</strong> réaliser.<br />

Les étudiants étaient regroupés en régions de stage et c’est le corps enseignant qui devait<br />

trouver les adresses d’exploitants et négocier le contrat. La dernière période permettait<br />

d’aborder cette dimension régionale. Cette « révolution » aura considérablement marquée<br />

l’INA, fait tâche d’huile dans l’enseignement supérieur agronomique et donné <strong>à</strong> nos futurs<br />

ingénieurs un bagage dont ils seront nombreux <strong>à</strong> dire toute son importance dans leurs vies<br />

ultérieures.<br />

La deuxième année fut totalement bouleversée. Nous créâmes les « Unités de valeur »,<br />

volumes de quatre-vingt heures, chacun étant consacré <strong>à</strong> un sujet ; la liste de ceux-ci était<br />

offerte en début d’année aux étudiants qui devaient composer un menu répondant <strong>à</strong><br />

différents critères. L’objectif était de permettre aux étudiants de commencer <strong>à</strong> choisir des<br />

orientations de spécialisation tout en leur donnant l’occasion de véritablement approfondir un<br />

certain nombre de questions (moins d’encyclopédisme et plus d’approfondissement). C’était<br />

aussi le moyen de mobiliser l’ensemble du corps enseignants, les plus jeunes et ceux des<br />

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matières qui n’avaient pas leur place dans l’ancien découpage. Cette deuxième innovation<br />

fut la source de nombreuses évolutions ultérieures très positives.<br />

Ces deux réformes, parmi d’autres, durèrent plus de vingt ans. Progressivement tout le corps<br />

enseignant s’engagera dans ce mouvement et cela contribua <strong>à</strong> donner <strong>à</strong> l’INA un formidable<br />

élan pour le futur. Mais, l’Ecole buttait sur le problème des locaux disponibles : la réponse fut<br />

les « préfabriquées » qui colonisèrent notre jardin intérieur et qui sont toujours présentes !<br />

4) <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> et le CEREOPA<br />

<strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> avait rapidement compris que les moyens de l’INA ne lui permettraient jamais<br />

de faire ce qu’il souhaitait entreprendre.<br />

Il profita donc des possibilités qui existaient de créer une association par le truchement de<br />

laquelle il lui serait possible de passer des contrats d’études et de recherches avec différents<br />

organismes, ce fut le CEREOPA. Il put ainsi décupler les maigres moyens de l’INA et<br />

embaucher des ingénieurs. En effet, <strong>à</strong> l’époque il n’y avait ni ligne « recherche » pour les<br />

chaires ou les départements, ni thèse et donc pas de thésard 11 . C’est même comme cela<br />

que devant le manque de locaux, <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> put se faire construire, sur les toits du<br />

bâtiment de Zootechnie, deux bureaux pour lui et son secrétariat, presque en face de mes<br />

propres fenêtres.<br />

Le CEREOPA permit <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> de lancer des tas d’idées et de les tester. Ce fut vraiment pour<br />

lui l’un des instruments grâce auxquels il put explorer les multiples voies que son esprit fertile<br />

lui suggérait. N’est-ce pas d’ailleurs comme cela qu’il commença <strong>à</strong> s’intéresser aux<br />

poissons, ce qui donnera plus tard la création, au sein de la section de zootechnie, de<br />

l'option « Aquaculture » ?<br />

Plusieurs années après, l’INA se lança dans la même aventure en créant l’ADEPRINA. Il est<br />

évident que l’INA aurait dû suivre beaucoup plus vite son exemple, car, malgré sa<br />

renommée, notre Ecole ne bénéficia pas de l’aide nécessaire de son ministère de tutelle 12 et<br />

la collecte des taxes d’apprentissage dans laquelle chaque chaire se lançait n’était pas<br />

toujours suffisante.<br />

5) <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> et l’Afrique du Nord<br />

Je l’ai dit, <strong>Julien</strong> avait une âme d’innovateur et le souci constant de mettre en pratique ses<br />

idées. Il y aurait bien des exemples <strong>à</strong> citer. Je retiens ceux de l’Afrique du Nord qui me<br />

touchent plus <strong>à</strong> cause de mon propre passé et parce qu’<strong>à</strong> nouveau nous allions bientôt y<br />

faire équipe.<br />

Dans le milieu des années soixantes, <strong>Julien</strong> participe activement aux études de<br />

développement agricole lancés par la FAO dans le Gharb, ce grand bassin alluvial au nord<br />

de Rabat, au Maroc. Ayant moi-même participé <strong>à</strong> partir de 1964 <strong>à</strong> une étude de ce type en<br />

Côte d’Ivoire, j’imaginais bien son activité. Mais il y avait une différence importante : le travail<br />

de terrain dans le Gharb dura beaucoup plus longtemps et régulièrement <strong>Julien</strong>, au volant de<br />

sa DS, traversa toute l’Espagne pour se rendre au Maroc et y animer et diriger les travaux<br />

dont il avait la responsabilité. De nombreux jeunes ingénieurs de l’Ecole, certains sortant de<br />

ma propre section de spécialisation, ont participé <strong>à</strong> ces travaux dans le Gharb ; ils en<br />

gardent un excellent souvenir. Il appliquait, l<strong>à</strong>, la même démarche qu’en France : <strong>à</strong> partir de<br />

son solide bon sens « paysan », de ses idées innovatrices -- il croyait totalement au progrès<br />

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-- et après avoir largement exploré la bibliographie, il construisait ses projets. C’est <strong>à</strong> cette<br />

époque qu’il avait chiffré, pour le Maroc, le coût de la traction <strong>à</strong> cheval en surfaces destinées<br />

<strong>à</strong> produire de l’avoine, chiffres que j’utiliserai plus tard pour mes propres enseignements et<br />

dans mes travaux aux Maroc. En effet, je dirigerais au Maroc oriental, <strong>à</strong> partir de 1969, une<br />

étude pastorale avec un de ses collègues, Jacques Bougler, qui avait la charge des aspects<br />

zootechniques 13 .<br />

L’Afrique du Nord, c’était encore la Kabylie, en Algérie. D’autres évoqueront cette expérience<br />

que j’eus le plaisir de visiter en 1973, comme membre de la mission française montée <strong>à</strong><br />

l’initiative de la Caisse centrale de coopération économique (CCCE) pour répondre au<br />

gouvernement algérien qui voulait moderniser son « secteur auto-géré ». En effet, l’Algérie<br />

avait nationalisé les terres des ex-colons pour en faire des domaines « auto-gérés », mais<br />

les résultats n’étaient pas satisfaisants. A l’issue de cette mission et du rapport qui faisait,<br />

après un diagnostic assez sévère, de nombreuses propositions, un programmes<br />

d’intensification céréalière fut lancé principalement pour les hautes plaines et la région<br />

d’Oran. C’est ainsi que trois zones furent choisies autour d’Oran, Sétif et Tiaret dans<br />

lesquelles des programmes d’agronomie et de zootechnie démarrèrent et durèrent plusieurs<br />

années. Nous eûmes ainsi, l’un et l’autre, de nombreux ingénieurs pour travailler avec nous.<br />

Ils venaient dans le cadre de leur service militaire en coopération, et certains restaient plus<br />

longtemps. Le mode de gestion de ces domaines (très marqué par les expériences du bloc<br />

communiste en Europe) ne permettait pas un réel travail concerté, bien que la production<br />

fourragère fut l’un des thèmes des agronomes. D’ailleurs, l’objectif gouvernemental était<br />

d’abord d’augmenter la production céréalière et de réussir la mécanisation que devait<br />

permettre la nouvelle usine de construction de tracteurs de Constantine. Nous aurions pu<br />

travailler plus ensemble si nous avions été véritablement autorisés <strong>à</strong> oeuvrer pour le secteur<br />

privé, mais cela ne put démarrer que timidement sur la fin du projet, en partie grâce aux<br />

efforts de nos ingénieurs, coopérants militaires et civils, <strong>à</strong> l’Ecole de Mostaganem, chargée<br />

de produire « en masse » les ingénieurs de terrain dont l’Algérie manquait. Ils obtinrent que<br />

l’agriculture privée, prédominante, ne soit pas ignorée et que les stages puissent se faire<br />

aussi dans ce cadre.<br />

J’ai le sentiment, aujourd’hui, que cette expérience française de développement et de<br />

formation a été mal valorisée par notre pays et par l’INA-PG. Nous étions trop « tiraillés »<br />

entre la nécessité d’obtenir des résultats, et pour cela de passer un temps énorme <strong>à</strong><br />

résoudre des problèmes relationnels avec les autorités pour obtenir des moyens de travail, <strong>à</strong><br />

commencer par ces fameux tracteurs, et, d’un autre côté, la nécessité de réfléchir sur ce que<br />

nous faisions, sur les freins au développement, certes techniques et économiques, mais bien<br />

souvent socio-politiques. Pourtant nous enrichissions notre palette d’expériences et cela<br />

nous « resservait » sous d’autres formes, par exemple au sud du Sahara dans d’autres<br />

actions de développement.<br />

6) <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong>, le professeur<br />

D’autres, plus compétents, parleront de <strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> comme professeur de zootechnie. Ici,<br />

je voudrais <strong>à</strong> nouveau évoquer <strong>Julien</strong> dans ce qu’il apportait <strong>à</strong> l’Ecole. En effet, si notre vie<br />

était beaucoup polarisée par nos chaires et les sections de spécialisation, il y avait toutes les<br />

activités « communes », celles exigées par les deux premières années, par la vie même de<br />

l’INA-PG, rythmée par les conseils des enseignants.<br />

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L’avis de <strong>Julien</strong> était toujours attendu et respecté. Il y témoignait des qualités que j’ai déj<strong>à</strong><br />

évoquées, toujours tourné vers le futur et porté par son esprit innovateur. Bien sûr il y avait<br />

des moments où les relations étaient « guerrières » lorsqu’il fallait nouer des alliances, par<br />

exemple pour obtenir des postes lors de votes du Conseil ou pour faire passer une idée dans<br />

les nombreuses « petites » réformes qui ont suivi celle de 1968.<br />

Mais, malgré les tensions normales dans une Ecole vivante, une réelle connivence existait<br />

entre les trois pôles : agronomie, développement agricole et zootechnie. Ce qui nous<br />

réunissait c’était, je crois, <strong>à</strong> la fois la conviction du rôle irremplaçable de l’activité agricole<br />

pour la formation des ingénieurs agronomes et <strong>à</strong> la fois une démarche systémique. Nous<br />

pensions système, non de manière dogmatique mais comme méthode. Nous étions des<br />

partisans, <strong>à</strong> des degrés divers, de l’approche globale. Par contre, nous avons probablement<br />

divergé sur la place <strong>à</strong> donner <strong>à</strong> l’effort de « théorisation ». Pour moi, nous devions<br />

« théoriser », donner une base théorique explicite <strong>à</strong> nos démarches, <strong>à</strong> nos actions.<br />

J’accordais ainsi une place importante aux méthodes et <strong>à</strong> l’épistémologie. <strong>Julien</strong> partait lui<br />

aussi toujours de la science dans les relations entre science et action, mais peut-être plus<br />

pragmatique, plus homme de l’innovation dans le développement, il donnait une grande<br />

importance <strong>à</strong> la mise en œuvre de ses idées et moins aux méthodes.<br />

<strong>Julien</strong> <strong>Coléou</strong> fut ainsi un grand professeur et l’Ecole lui doit beaucoup. Son regard toujours<br />

« positif » sur les hommes et les choses, sa croyance dans la possibilité de toujours faire<br />

mieux, son « bouillonnement » permanent d’idées et sa ténacité dès qu’il avait une idée en<br />

tête furent ses moteurs et il les mit totalement au service de l’INA, des étudiants et de la<br />

zootechnie. Mais, plus qu’un collègue, c’est un ami que j’ai, que nous avons perdu cet été.


<strong>Julien</strong> COLEOU ET SES COLLABORATEURS


Mesdames, Messieurs,<br />

Chers Collègues et Amis,<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU ET SES COLLABORATEURS<br />

Jean LOSSOUARN<br />

Professeur <strong>à</strong> l’INA P-G<br />

Parvenus <strong>à</strong> ce point de l'après-midi, et après les témoignages déj<strong>à</strong> entendus, je ressens<br />

l'honneur redoutable d'être ici la voix et l'interprète des collaborateurs de <strong>Julien</strong> COLEOU.<br />

Evoquer les collaborateurs de <strong>Julien</strong>, pour tenter de traduire leurs sentiments <strong>à</strong> son égard, et<br />

restituer ce qu'ils lui doivent, c'est faire référence <strong>à</strong> plusieurs cercles et groupes de<br />

personnes : collègues enseignants et chercheurs du Département des Sciences Animales de<br />

l'Agro, ingénieurs des structures qu'il a lui même créées ou présidées (CEREOPA, ERA,<br />

AFZ... ), qu'ils aient exercé leur mission <strong>à</strong> Paris ou dans ses programmes Outre-mer,<br />

collaborateurs d'organismes historiquement hébergés dans son service de l'INA (de l'ITCF<br />

notamment), personnels de secrétariat, administratifs et techniques correspondants.<br />

L'ensemble doit représenter peut être de l'ordre de 150 <strong>à</strong> 200 personnes. C'est de tous ces<br />

gens l<strong>à</strong> que je vais tenter d'être ici, modestement, l'interprète et le porte-parole.<br />

Ses collaborateurs ont en partage l'expérience vécue de <strong>Julien</strong> COLEOU en action.<br />

Dans son comportement et son mode de fonctionnement, quel que fût le terrain sur lequel on<br />

pouvait l'accompagner ou l'observer, <strong>Julien</strong> c'était d'abord une créativité exceptionnelle<br />

tournée et tendue vers l'action, dont la matérialisation est tout ce qui nous est évoqué depuis<br />

le début de l'après-midi.<br />

Cette créativité, cette imagination féconde toujours en mouvement, et cela jusqu'<strong>à</strong> ses tout<br />

derniers jours, fut une chance extraordinaire pour ses jeunes collaborateurs. Car c'est une<br />

double caractéristique originale et majeure de la trajectoire et de l'œuvre de <strong>Julien</strong> que je<br />

veux mettre ici en exergue :<br />

1. toujours, il a voulu s'entourer d'une équipe, fonctionner en équipe, et quand son institution<br />

d'appartenance n'avait pas les moyens de la lui donner, il se les est procurés, <strong>à</strong> force de<br />

créativité et de travail, quitte <strong>à</strong> créer les supports juridiques nécessaires<br />

2. l'essentiel de l'œuvre considérable évoquée aujourd'hui a été réalisée avec le concours de<br />

collaborateurs jeunes ou très jeunes, qui réalisaient avec ou autour du maître leur première<br />

expérience professionnelle : ingénieurs élèves en mémoires de fin d'étude, VSN en<br />

coopération technique au Maroc ou en Algérie, jeunes ingénieurs du CEREOPA, d'ERA ou<br />

de l'AFZ...<br />

Cette créativité exceptionnelle reposait, bien sûr sur une vaste et très solide culture<br />

scientifique, un "art de l'ingénieur" particulièrement maîtrisé, qui mobilisait au fil des années<br />

l'expérience incomparable qu'il avait su accumuler et surtout organiser, mais aussi sur<br />

quelques qualités personnelles que <strong>Julien</strong> réunissait <strong>à</strong> un degré rare chez le même individu :<br />

. une capacité d'intuition incomparable<br />

. un sens inné de l'anticipation, qui fut le fondement de sa stratégie en action


. une aptitude, rarement prise en défaut, <strong>à</strong> jauger les personnes, leurs ressources et leur<br />

personnalité<br />

. une rigueur de logiciel dans l'examen et le traitement des questions dont il se saisissait, qui<br />

n'en laissait dans l'ombre aucun aspect<br />

. enfin une volonté insatiable d'agir.<br />

Et, pensant <strong>à</strong> cette phrase d'Henri Bergson : "La spéculation est un luxe, tandis que l'action<br />

est une nécessité", je dirais que toute sa vie professionnelle durant, <strong>Julien</strong> a conjugué la soif<br />

de l'action avec la capacité et le luxe de la pensée spéculative.<br />

Analyser ou décrire le fonctionnement de ces équipes, c'est bien sûr retrouver la marque<br />

personnelle du maître, les relations humaines très fortes qu'il nouait avec ses collaborateurs<br />

de tous grades et de toutes fonctions : l'homme était formidablement humain, étonnamment<br />

charismatique.<br />

Il nous a appris qu'on pouvait au quotidien conjuguer la plus extrême rigueur au travail, en un<br />

mot le professionnalisme, et la bonne humeur dans son exercice. Cela, allié <strong>à</strong> la forte<br />

présence d'ingénieurs et autres collaborateurs jeunes, au contact quotidien avec les<br />

étudiants, a toujours créé et entretenu dans son service et ses équipes une ambiance, un<br />

climat, qu'on souhaiterait <strong>à</strong> toutes les communautés de travail.<br />

Ajouté au côté visionnaire de <strong>Julien</strong>, cela suscitait un engagement extrêmement fort de ses<br />

collègues et collaborateurs, dont il tirait ce dont eux mêmes, bien souvent, ne se seraient<br />

pas imaginé capables, ce qui <strong>à</strong> soi seul est déj<strong>à</strong> une superbe leçon de professeur !<br />

Bref, nous tous ses collaborateurs au fil de sa longue et brillante trajectoire, nous avons<br />

éprouvé durablement pour <strong>Julien</strong> des sentiments intenses, souvent quasi-filiaux, d'adhésion<br />

personnelle et d'admiration, que l'on rencontre rarement mêlés <strong>à</strong> ce degré et avec cette<br />

étendue :<br />

c'est bien simple, <strong>Julien</strong> nous l'aimions !<br />

Dès lors, que pouvions nous lui refuser ?<br />

Combien de fois sommes nous partis <strong>à</strong> ses côtés, ou sur une piste esquissée par lui, pour un<br />

travail d'étude ou de recherche, gravir ce qui semblait devoir être une colline ou quelque<br />

piémont, et avons nous constaté, fatigués, épuisés parfois, qu'en réalité nous avions une<br />

montagne <strong>à</strong> escalader, qu'elle était haute, parfois très haute... Il nous concédait : "c'est dur,<br />

c'est plus dur que prévu..." mais après une pause, un ressourcement, il disait : "allez, on<br />

repart"... et nous, naturellement, nous repartions !<br />

Mais il n'était pas facile de "marcher" toujours au rythme de <strong>Julien</strong>, car l'homme était d'une<br />

résistance physique hors du commun.<br />

Qui d'autre que <strong>Julien</strong> aurait pu, il y a une vingtaine d'années, un jour de rentrée de la<br />

spécialisation de Zootechnie, embringuer tout le service : maîtres de conférences,<br />

ingénieurs, documentalistes, standardiste, secrétaires... pour gratter, nettoyer, laver... 80<br />

litres de moules, les cuire dans un coin de la cour de l'Agro, et enfin les servir dans des<br />

barquettes ?<br />

Et tout cela pourquoi ? Pour la convivialité d'un jour de rentrée, gage d'un climat <strong>à</strong> créer pour<br />

toute l'année universitaire ? Assurément, mais on peut faire plus simple! Pour signifier <strong>à</strong> ses<br />

collègues et personnels du Département des Sciences Animales que dorénavant ils devaient<br />

aussi s'intéresser et travailler <strong>à</strong> l'élevage des poissons, crustacés et coquillages ? Sans<br />

doute. Pour faire entendre au-del<strong>à</strong>, <strong>à</strong> la communauté de travail de l'Agro, et jusqu'<strong>à</strong> sa


direction, que si bien sûr son Département travaillait aux fondements scientifiques et<br />

techniques de la qualité, il le faisait dans la perspective d'une culture de la spécificité et de<br />

l'excellence des produits mise au service d'une convivialité et d'un modèle alimentaire<br />

français dont il se faisait une haute idée ? Allez savoir...<br />

Toujours est il qu'après avoir éventuellement renâclé, ("dans quoi donc veut il encore nous<br />

embringuer ?") chacun <strong>à</strong> sa place, une fois la mécanique lancée, tenait <strong>à</strong> honneur <strong>à</strong> ce que<br />

tout se passât bien, prenait sa part de la tâche dans la bonne humeur communicative, qui<br />

culminait au temps final de la convivialité. Et chacun ainsi donnait vie et sens <strong>à</strong> cette maxime<br />

d'Alfred de Vigny : "L'honneur, c'est la poésie du devoir".<br />

Et nous voil<strong>à</strong> <strong>à</strong> nouveau évoquant le professeur.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU a illustré avec un exceptionnel brio une conception moderne de la formation,<br />

et du métier de professeur. La formation était chez lui toujours envisagée comme un défi et<br />

un enjeu collectifs, même si, bien sûr, elle se construit avec des talents, des savoir faire et<br />

des actes personnels. L'enseignement de 1 ère année d'alimentation et développement des<br />

productions qu'il a assumé pendant une quinzaine d'années, les Unités de Valeur qu'il a<br />

créées en 2 ème année et qui connurent le succès, ont été montés autour d'équipes<br />

pédagogiques vraies, mobilisant les compétences de tous statuts réunies autour de lui.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU nous a aussi appris la prise de risque dans la formation. Peaufiner d'année<br />

en année la forme d'un cours, pour en faire un monument, ne fut jamais sa préoccupation. A<br />

l'inverse, il attachait le plus grand prix <strong>à</strong> confronter ses élèves, et cela le plus tôt possible<br />

dans leur formation, <strong>à</strong> des questions concrètes du moment, des problématiques en débat.<br />

D'une part, il y voyait le moyen d'allumer la curiosité et l'intérêt de ses élèves, en un mot de<br />

susciter leur motivation, et d'autre part, il a toujours été convaincu de leur capacité<br />

d'imagination et de créativité, et donc de l'intérêt des travaux qu'ils produisaient.<br />

Le corollaire, c'était que les thématiques de ses UV ou de son enseignement de 3 ème cycle<br />

changeaient très souvent, quasi annuellement ; qu'il s'embarquait, et ses jeunes collègues<br />

enseignants avec lui, pour des parcours dont on découvrait en marchant où ils nous<br />

conduisaient, avec parfois des surprises, des bifurcations inattendues en cours de route. La<br />

forme pouvait en souffrir, l'intérêt et l'engagement des étudiants jamais ; et quant aux jeunes<br />

collègues enseignants, je ne connais pas de meilleure école pour apprendre le métier...<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU avait la fierté de ses élèves, la conviction chevillée au corps que dans le<br />

monde de compétition plutôt rude qui est le nôtre, il faut faire la promotion de ses produits,<br />

en suivre le devenir. D'où son attention personnelle incomparable aux trajectoires et <strong>à</strong> la vie<br />

de ses élèves et anciens élèves, servie par une mémoire phénoménale des personnes et<br />

des visages.<br />

Il a oeuvré considérablement pour le placement de ses élèves et anciens élèves, depuis son<br />

bureau de l'Agro, et aussi en relation étroite avec l'Amicale des Anciens Elèves où il occupa<br />

momentanément des responsabilités.<br />

Je tiens <strong>à</strong> rappeler ici tout particulièrement l'action vigoureuse qu'il a conduite dans la durée,<br />

il y a un quart de siècle, pour forcer la porte des entreprises au bénéfice des jeunes agrelles,<br />

lorsque se produisit, irrésistible, la vague de féminisation de nos promotions.<br />

<strong>Julien</strong> pouvait être légitimement fier de ses produits : il suffit de lire les responsabilités qu'ils<br />

ou elles assument. Il illustre <strong>à</strong> la perfection cette sentence de Gerbert d'Aurillac, pape en l'an<br />

mil sous le nom de Sylvestre II : "La victoire du disciple, c'est la gloire du maître". La gloire<br />

de <strong>Julien</strong> est dans l'impact considérable de ses idées, de ses enseignements, <strong>à</strong> travers le<br />

devenir et l'action de ses élèves et de ses disciples.


Mais, au-del<strong>à</strong>, réside l'essentiel. Les témoignages de ce jour pourraient, dans leur diversité,<br />

laisser penser <strong>à</strong> un touche-<strong>à</strong>-tout, éventuellement exposé au risque de la superficialité.<br />

Certains, d'ailleurs, éventuellement un peu jaloux de son indépendance et de sa créativité,<br />

l'ont guetté sur ce terrain, pensant pouvoir le prendre en défaut ; il ne leur en a guère fourni<br />

l'occasion.<br />

Personnage multiple et éclectique, assurément : professeur, chercheur, conseiller ou<br />

consultant, expert, chef d'entreprise... Mais personnalité d'une unité très forte et profonde,<br />

car l'on ne comprend rien <strong>à</strong> <strong>Julien</strong> COLEOU si l'on ne saisit pas que tout ce qu'il a fait, et<br />

dont nous nous efforçons de donner aujourd'hui un aperçu, il l'a fait au service de<br />

l'enseignement <strong>à</strong> l'INA PG, dont il se faisait l'idée la plus haute et la plus exigeante. Son<br />

projet de formation était la raison et le ciment de son activité prodigieuse.<br />

Je voudrais enfin revenir brièvement <strong>à</strong> l'homme.<br />

<strong>Julien</strong> COLEOU était d'une opiniâtreté <strong>à</strong> toute épreuve. Quand il avait mûri une idée qui lui<br />

paraissait essentielle pour le développement de son projet de formation, pour<br />

l'épanouissement de ses équipes... rien ne pouvait le rebuter ; nous l'avons vu, ainsi,<br />

poursuivre imperturbablement son idée, parfois pendant des années, jusqu'<strong>à</strong> son<br />

aboutissement.<br />

C'était un homme qui avait des racines, qui s'en honorait et en tirait en partie sa force.<br />

Simultanément, son parcours, ses recherches et ses qualités propres lui avaient donné une<br />

vaste culture et l'aptitude au regard immédiatement systémique. Aussi <strong>à</strong> l'aise dans une cour<br />

de ferme, dans une journée professionnelle ou un congrès scientifique, en présence d'un<br />

ministre ou dans un cocktail mondain, il naviguait en permanence entre ses références<br />

initiales bretonnes et françaises, et les grands enjeux de l'évolution du monde, fécondant les<br />

unes <strong>à</strong> la lumière des autres, et réciproquement.<br />

Pour moi, le Professeur est resté pleinement fidèle aux rêves et aux promesses du gamin de<br />

Plévin, fils de paysans et produit de cette civilisation terrienne de la Bretagne intérieure, un<br />

pays de caractère, de culture et de solidarité. Et je vois dans le besoin de <strong>Julien</strong> de marier le<br />

travail avec la convivialité et la fête, comme une réminiscence des émois de son enfance aux<br />

veillées des "Dévézhiou braz" dans ces campagnes alors pauvres et surpeuplées, ces<br />

soirées d'après les jours de grands travaux <strong>à</strong> la fenaison, <strong>à</strong> la moisson ou aux pommes de<br />

terre... quand le sourire des femmes, les rires joyeux des enfants, le cidre aussi... suscitaient<br />

la chanson et bientôt la danse, dans laquelle les corps rompus de fatigue cherchaient leur<br />

délassement.<br />

Nicole CHEZE, qui a assuré avec distinction le secrétariat de <strong>Julien</strong> pendant une vingtaine<br />

d'années de sa fin de carrière, l'entendait souvent fredonner "J'aurais voulu être un artiste..."<br />

Convenons ici qu'<strong>à</strong> sa manière, toute sa vie durant, il le fut.<br />

Je dirais qu'il le fut jusque dans sa "sortie administrative", quand, l'heure de la retraite<br />

officiellement sonnée, il s'effaça pour ne pas gêner ses successeurs dans différentes<br />

missions, Daniel SAUVANT, Olivier LAPIERRE ou moi même : discrètement présent, attentif<br />

<strong>à</strong> tous et <strong>à</strong> chacun, disponible pour une écoute, un avis ou un conseil, et toujours mû par un<br />

intérêt viscéral pour cette vénérable Maison, il tint <strong>à</strong> rester délibérément en retrait.<br />

Mesdames, Messieurs,<br />

Chers Collègues et Amis,


Voil<strong>à</strong> le regard que je voulais vous proposer sur <strong>Julien</strong> COLEOU, cet homme d'exception<br />

que nous avons eu la chance d'avoir pour maître et pour patron, et dont nous partageons la<br />

fierté et l'honneur d'avoir été les collaborateurs.<br />

Et j'en aurai terminé quand, avec votre permission, je lui aurai ici adressé notre dernier salut,<br />

dans son parler maternel, cette langue bretonne superbe qu'il pratiquait avec maîtrise et<br />

plaisir :<br />

"Kenavo, Juluan, a bennozh Doue deoc'h evit holl"<br />

("Au revoir, <strong>Julien</strong>, merci pour tout").

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