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<strong>RAPPORT</strong><br />

Un rapport thématique du Conseil norvégien pour les réfugiés | Décembre 2012<br />

Conflits fonciers et<br />

sécurité alimentaire<br />

dans la région<br />

frontalière entre le<br />

Libéria et la Côte d’Ivoire


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Le Conseil Norvégien pour les réfugiés :<br />

Le Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC) est une organisation non gouvernementale humanitaire indépendante<br />

qui œuvre pour fournir une protection et des solutions durables aux réfugiés, aux personnes déplacées dans<br />

leur propre pays et aux rapatriés à travers le monde. Pour en savoir plus sur le NRC et ses programmes, vous pouvez<br />

consulter notre site: www.nrc.no<br />

NRC au Libéria<br />

Au Libéria, la guerre civile de 1989 à 2003 a fait 200 000 morts, provoqué le déplacement d’un million de personnes<br />

et dévasté l’infrastructure et l’économie du pays. Plus de 100 000 anciens combattants ont été démobilisés<br />

et quasiment toutes les personnes déplacées et réfugiées sont rentrées chez elles ou se sont réinstallées ailleurs.<br />

Malgré ces progrès, la transition au Libéria reste fragile et de graves problèmes humanitaires demeurent. Parmi ces<br />

problèmes figure la réponse aux besoins des dizaines de milliers de personnes réfugiées au Libéria en raison de la<br />

crise post-électorale de 2010 en Côte d’Ivoire. Le NRC travaille au Libéria depuis 2003. Il fournit une protection,<br />

de l’aide humanitaire et des solutions durables aux individus et aux communautés touchées par le déplacement.<br />

NRC en Côte d’Ivoire<br />

En Côte d’Ivoire, la crise post-électorale de 2010 a provoqué le déplacement de plus de 950 000 personnes.<br />

Parmi elles 700 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays et plus de 250 000 personnes ayant cherché refuge<br />

dans les pays voisins. Plus de 81 000 personnes sont encore déplacées à l’intérieur du pays et on compte 83 000<br />

réfugiés dispersés dans la région. Au cours des derniers mois, la violence accrue a empêché leur retour. Le NRC<br />

travaille en Côte d’Ivoire depuis 2006. Il fournit une protection, de l’aide humanitaire et des solutions durables aux<br />

individus et aux communautés touchées par le déplacement. Depuis la crise post-électorale de 2010, notre action<br />

se concentre sur les projets ICLA, sécurité alimentaire et moyens d’existence, éducation, abris et eau, hygiène et<br />

assainissement WASH) dans l’Ouest du pays.<br />

2 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Remerciements<br />

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui, au Libéria et en Côte d’Ivoire, ont pris le temps de s’entretenir<br />

avec nous et de répondre à nos nombreuses questions. Pour les personnes confrontées à des conflits fonciers,<br />

nous espérons sincèrement qu’un règlement sera trouvé au plus vite. Ce projet a été mené en collaboration avec<br />

l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Conseil danois pour les réfugiés<br />

(DRC), le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Programme des Nations Unies pour le développement<br />

(PNUD) au Libéria et en Côte d’Ivoire. Le projet n’aurait pas pu aboutir sans l’aide précieuse d’ICLA et des équipes<br />

travaillant sur la sécurité alimentaire au Libéria et en Côte d’Ivoire: David Lamah, Amos Boeyou, PrincessKular,<br />

Rebecca Seklo, Ester Numah, Prisca Wakoubo, Bini Yao Bouatini, Lantoun Théophile Toure, Liliane Essecoffy-<br />

Lago, et RolandAbole. Le rapport a bénéficié des commentaires et du soutien d’Astrid Sletten, Maureen Magee,<br />

Steve Ndikumwenayo, Sébastien Daridan, Gregory Kitt, Laura Cunial, Fernando de Medina Rosales, VibekeRisa, et<br />

Barbara McCallin.<br />

3 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Avant-propos<br />

Ce rapport est le cinquième d’une série de publications consacrée par le NRC au droit au logement, à la terre et à<br />

la propriété, au régime foncier et aux conflits fonciers au Libéria. Il aborde les questions relatives au régime foncier<br />

et aux conflits fonciers d’un point de vue transfrontalier (Libéria/Côte d’Ivoire) dans le contexte des déplacements<br />

forcés provoqués par la crise post-électorale de 2010. Depuis 2006, le programme d’information, de conseil et<br />

d’aide juridique (ICLA) du NRC aide les individus et les communautés au Libéria à régler les conflits fonciers résultant<br />

de la guerre civile de 1989 à 2003. Le NRC travaille également sur les questions relatives au régime foncier<br />

et aux conflits fonciers en Côte d’Ivoire.<br />

Un des objectifs clé du NRC au Libéria et en Côte d’Ivoire est de soutenir les communautés locales, les parties prenantes<br />

et les institutions afin de prévenir, gérer et régler les conflits fonciers. Le but de cette série de publications<br />

est de fournir des études et des analyses nouvelles et de soutenir ainsi les efforts des Gouvernements du Libéria et,<br />

de l’État de Côte d’Ivoire, des organisations de la société civile et des individus pour protéger et promouvoir le droit<br />

au logement, à la terre et à la propriété ainsi que la sécurité d’occupation au Libéria et dans les autres situations<br />

post-conflit. Vous trouverez les autres rapports de cette série sur le site du NRC au Libéria : www.nrc.no<br />

4 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

table des matières<br />

Remerciements 3<br />

Avant-propos 4<br />

Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région<br />

frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Introduction 7<br />

Section 1<br />

Les origines du conflit 9<br />

Histoire de la gestion foncière au Libéria 9<br />

Évolution du système coutumier et du système légal<br />

de gestion foncière 9<br />

Guerre civile 10<br />

Histoire de la gestion foncière en Côte d’Ivoire 11<br />

Évolution du système coutumier et du système légal<br />

de gestion foncière 11<br />

Guerre civile 12<br />

Section trois<br />

Conclusions 29<br />

Recommandations 30<br />

À l’attention du Gouvernement Libéria 30<br />

À l’attention du Gouvernement Côte d’Ivoire 30<br />

À l’attention de la société civile 31<br />

À l’attention des Nations Unies et des ONG internationales 32<br />

À l’attention des bailleurs de fonds 32<br />

Section 2<br />

Conflits fonciers dans la zone frontalière 14<br />

Crise de la gestion foncière dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire 14<br />

Le système ‘traditionnel’ de gestion foncière invalidé 15<br />

Coexistence de multiples autorités pour le règlement des conflits fonciers 17<br />

Conflits fonciers intercommunautaires dans les villages Ivoiriens 18<br />

Retournement de situation dans les villages Ivoiriens? 18<br />

Groupes impliqués dans les conflits fonciers intercommunautaires 19<br />

Les conflits fonciers et les déplacements provoqués par l’environnement 20<br />

Conflits fonciers au Libéria et en Côte d’Ivoire: approche comparée 21<br />

Conflits fonciers et sécurité alimentaire 23<br />

Avantages cachés d’une main d’œuvre qualifiée 25<br />

Situation des hommes et des femmes par rapport aux conflits<br />

fonciers dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire 26<br />

Insécurité personnelle 27<br />

Insécurité foncière et dynamique des conflits interethniques 28<br />

Annexe A<br />

Recueil de données sur les conflits<br />

fonciers et la sécurité alimentaire 33<br />

Conception de l’étude 33<br />

Méthodologie 34<br />

Recueil de données 35<br />

5 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

6 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Conflits fonciers et sécurité<br />

alimentaire dans la région<br />

frontalière entre le Libéria et<br />

la Côte d’Ivoire<br />

Résumé<br />

À l’automne 2010, les Ivoiriens se sont rendus aux urnes pour élire un nouveau Président et essayer ainsi de mettre<br />

fin à des années d’impasse politique et d’unifier un pays géographiquement divisé. Cependant, la contestation des<br />

résultats des élections a conduit à une violente crise post-électorale. Les Forces Nouvelles, un groupe armé rebaptisé,<br />

par la suite, Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), se sont déployées depuis la zone Nord du pays,<br />

qu’elles contrôlaient depuis 2004, vers l’Ouest de la Côte d’Ivoire et à Abidjan. Avec le soutien de la communauté<br />

internationale, le Président Laurent Gbagbo a été arrêté et le Président Alassane Ouattarra, a été porté au pouvoir.<br />

Avant la crise post-électorale, les études de l’Observatoire de surveillance des déplacements internes (IDMC) montraient,<br />

qu’en l’absence de politique d’intégration, que les politiques de développement agricoles des années 1960<br />

et les conflits des années 1970 avaient créé un environnement propice aux conflits fonciers dans l’Ouest de la Côte<br />

d’Ivoire. Au début du conflit, qui a éclaté en 2002, l’exacerbation des clivages ethniques a nourri un vivier identitaire<br />

opposant les autochtones et les migrants qui étaient venus dans l’Ouest suite à ces politiques agricoles.1 Les<br />

tensions entre communautés se sont manifestées par des conflits fonciers et de propriété. L’adoption d’une loi relative<br />

au domaine foncier rural en 1998, tout en offrant une certaine protection de la propriété foncière coutumière,<br />

n’a pas réglé les conflits fonciers existants ni traité la multitude de titres existants et de transactions informels. Le<br />

rapport de l’IDMC a constaté que des accords informels utilisés pour régir l’accès à la propriété foncière étaient<br />

contraires au droit coutumier et au droit positif et exacerbaient des conflits politiquement sensibles sur les terres.<br />

En conséquence, entre 2002-2011 l’Ouest de la Côte d’Ivoire a été en proie à des conflits fonciers.<br />

Quel est l’impact de la crise post-électorale de 2010 sur les conflits fonciers dans les zones de l’Ouest de la Côte<br />

d’Ivoire touchées par le conflit? Dans ce contexte, quelles sont les nouvelles opportunités et quels sont les défis<br />

à relever pour établir les bases du développement durable des régions du Libéria qui accueillent des réfugiés Ivoiriens,<br />

et des régions de la Côte d’Ivoire les plus touchées par la crise? En février 2012, le programme d’information,<br />

conseil et assistance juridique (ICLA) et les programmes de sécurité alimentaire du NRC au Libéria et en Côte<br />

d’Ivoire ont effectué une évaluation conjointe sur les conflits fonciers et la sécurité alimentaire dans la région frontalière.<br />

Cette évaluation a eu lieu au même moment que celle de la mission des Nations Unies sur les questions<br />

relatives à la sécurité alimentaire et au relèvement précoce. Elle a identifié les prochaines étapes nécessaires pour<br />

régler les conflits fonciers en tant que cause sous-jacente d’instabilité et de déplacements, avec pour objectif<br />

d’élaborer des programmes de sécurité alimentaire durables. Nous nous sommes rendus dans 14 villages des deux<br />

côtés de la frontière ivoirienne et libérienne. Nous avons mené plus de 40 groupes de discussion et interviewé 164<br />

personnes y compris des membres des communautés d’accueil Libériennes, des réfugiés Ivoiriens au Libéria, et<br />

des Ivoiriens en Côte d’Ivoire.<br />

1 On se réfère à ces différents communautés comme les autochtones (premiers arrivants ou personnes natives de la zone); allogènes (migrants non Ivoiriens); et allochtones (migrants de nationalité<br />

ivoirienne mais originaires d’autres régions de Côte d’Ivoire).<br />

7 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Nous avons constaté que les conflits fonciers demeurent un obstacle majeur à la construction d’une paix durable<br />

et qu’ils sont une menace potentielle pour la poursuite du développement et de la sécurité alimentaire à la fois dans<br />

le Sud-Est du Libéria et dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Les litiges fonciers sont fréquents dans toutes les communautés<br />

visitées des deux côtés de la frontière. Parmi les personnes interviewées actuellement ou récemment<br />

impliquées dans des conflits fonciers, 89% ont déclaré qu’elles craignaient de perdre l’accès à leurs terres en Côte<br />

d’Ivoire. Au Libéria, les réfugiés sont en conflit avec les communautés d’accueil. Dans certains cas, ces conflits<br />

conduisent à un conflit de plus grande envergure. Dans plus de 50% des conflits fonciers identifiés des deux côtés<br />

de la frontière, les personnes interviewées ont signalé un incident violent lié à ce conflit.<br />

Nous avons constaté qu’en Côte d’Ivoire, la crise post-électorale a permis à des individus appartenant à toutes les<br />

communautés de profiter d’une situation instable en s’appropriant des terres ou en mettant en cause des contrats<br />

préalablement établis. Des arrangements informels, y compris la vente de terres, la location à des individus extérieurs<br />

à la communauté, ou à d’autres communautés se pratiquent dans des conditions peu claires pour l’ensemble<br />

des parties prenantes. Les difficultés de mise en œuvre de la loi de 1998 par les individus, les communautés et les<br />

autorités constituent une partie du problème. 2 En plus d’un manque de ressources nécessaires à son application,<br />

les principaux aspects de la législation demandent des précisions, y compris la définition de termes tels que «le<br />

constat d’existence continue et paisible» qui déterminent les droits individuels.<br />

Au Libéria, des réfugiés Ivoiriens ont expliqué que les conflits fonciers et l’occupation des parcelles dans leurs<br />

communautés d’origine constituent des raisons majeures pour ne pas rentrer en Côte d’Ivoire. Même si les communautés<br />

d’accueil offrent un soutien généreux aux réfugiés (beaucoup appartenant aux mêmes groupes ethniques),<br />

l’absence d’un cadre foncier au Libéria signifie que ces transactions foncières souffrent des mêmes faiblesses que<br />

les opérations en cours dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Dans les deux pays, l’instabilité dans la gestion foncière<br />

affaiblit la sécurité alimentaire parce que l’élément le plus important pour la production agricole, c’est-à-dire la terre<br />

elle-même, est violemment contesté.<br />

Le rapport est structuré comme suit : la première section, résume l’histoire de la gestion foncière et les conflits<br />

fonciers dans les régions visées par l’étude. La deuxième section présente les résultats de l’étude en mettant<br />

particulièrement l’accent sur les priorités pour l’élaboration de programmes en matière de sécurité alimentaire et<br />

de consolidation de la paix. La troisième section présente les conclusions. La dernière section contient des recommandations<br />

à l’attention des acteurs gouvernementaux, de la société civile et de la communauté des bailleurs de<br />

fonds. L’annexe décrit la méthodologie employée pour le recueil de données.<br />

.<br />

2 Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), A qui sont ces terres ? Conflits fonciers et déplacement des populations dans l’Ouest forestier de la Côte d’Ivoire, 2009.<br />

8 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Section 1<br />

Les origines du conflit<br />

Histoire de la gestion foncière au Libéria<br />

L’histoire de la gestion foncière au Libéria permet de comprendre les litiges actuels dans la région frontalière entre<br />

le Libéria et la Côte d’Ivoire. Un code civil découlant de la « common law » 3 du 18ème siècle aux Etats Unis sert de<br />

fondement au système de gestion foncière du Libéria. Conformément à la loi, pour toutes les terres non « soumises<br />

à la common law », les «pratiques coutumières » des communautés traditionnelles s’appliquent. 4 La loi semble protéger<br />

la gestion coutumière des terres communautaires, en plus de la réglementation officielle, mais les limites entre<br />

le système légal et le système coutumier restent vagues. 5 Les définitions de «terres publiques», «terres privées» et<br />

les «pratiques coutumières» sont floues. 6 La longue période d’instabilité politique pendant la guerre civile libérienne<br />

de 1989 à2003, y compris le déplacement de la majorité de la population libérienne, a perturbé le système de<br />

gestion déjà faible. La destruction d’archives a ouvert la porte aux abus et aux conflits. Une réforme foncière est en<br />

cours, mais ces problèmes rendent très difficile une gestion foncière cohérente et transparente.<br />

Évolution du système coutumier et du système légal<br />

de gestion foncière<br />

Avant l’arrivée de l’American Colonisation Society (Société américaine de colonisation) en 1822 et la création de la<br />

République du Libéria en 1847, les communautés du futur Libéria utilisaient un ensemble de systèmes locaux pour<br />

gérer les terres. La tradition orale et les documents disponibles suggèrent que la famille, les lignées et les groupes<br />

ethniques fournissaient la structure pour l’administration et la propriété foncière communale. Dans ces «sociétés à<br />

petite échelle», des processus existaient pour intégrer les migrants désireux d’utiliser des terres administrées par le<br />

groupe, mais dans la plupart des cas, le territoire contrôlé par un groupe n’était pas un bien marchand. 7<br />

Les colons qui ont fondé la République du Libéria ont effectué une transaction foncière: ils ont acquis une bande<br />

étroite de terre sur la côte en échange d’une petite quantité de biens commerciaux. On ne sait pas si les occupants,<br />

qui ont conclu l’accord ; étaient conscients du caractère permanent de cette transaction. Jusqu’au milieu du<br />

20ème siècle, les colons n’ont pas été en mesure d’étendre uniformément leur pouvoir politique et leurs règles dans<br />

l’intérieur des terres au Libéria, connues dans le jargon local comme le «hinterland»,. Avant la guerre civile libérienne<br />

de nombreuses communautés rurales connaissaient peu le système formel de gestion foncière. La constitution<br />

semblait donner aux habitants de ces zones rurales le pouvoir d’administrer leurs droits de propriété en vertu de<br />

leurs propres lois coutumières, mais dans la pratique, le système est resté ambigu.<br />

3 La « Common law » fait partie de la tradition juridique propre aux pays d’expression anglaise. Il s’agit d’un système bâti essentiellement sur la jurisprudence par opposition au droit civil ou<br />

codifié.<br />

4 Pour un examen du statut actuel de la loi foncière au Libéria voir Banque Mondiale (2008). Monrovia, Libéria.<br />

5 Voir Gregory Norton, . Conseil Norvégien pour les réfugiés, Libéria, 2010.<br />

6 Le gouvernement a récemment publié des lignes directrices sur la politique foncière qui définissent les terres publiques, privées, coutumières et protégées. Cependant ces lignes directrices n’ont<br />

pas encore été adoptées en tant que loi et ne sont pas encore connues ou comprises dans les régions du Libéria couvertes par ce rapport.<br />

7 Pour plus d’informations sur l’histoire du Libéria et les contacts entre les habitants de la région de ce qui allait devenir le Libéria et les colons, voir Clarence Liberty, , New World African Press,<br />

2002.<br />

9 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

D’une part, la faiblesse des institutions juridiques des colons a permis la mise en place de systèmes souples et<br />

flexibles (informels) dominant la gestion foncière, en dehors de la région côtière. D’autre part, cette flexibilité a permis<br />

aux personnes ayant une connaissance du système juridique (habitant Monrovia ou les zones rurales) d’utiliser<br />

ce système pour acquérir de grandes quantités de terre. Le manque de connaissance et les déséquilibres de pouvoir<br />

ont conduit à une prolifération de documents de propriété foncière, souvent acquis dans des circonstances<br />

juridiques et morales douteuses. Ces documents transféraient la propriété à des personnes informées et reliées<br />

entre elles, souvent au détriment des terres communautaires et des pauvres. Dans de nombreux cas, les titres comprenaient<br />

les parcelles de villages entiers, y compris le village lui-même. Dans d’autres cas, les titres indiquaient des<br />

quantités de parcelles qui n’existaient pas en réalité. Signés de l’empreinte de chefs de village analphabètes, ces<br />

documents continuent aujourd’hui à être à l’origine de conflits fonciers au Libéria.<br />

Guerre civile<br />

Après un coup d’État mené en 1980 par Samuel Doe, en décembre1989, le chef de guerre et futur Président du<br />

Libéria Charles Taylor envahit le Libéria à partir de la Côte d’Ivoire, amorçant 14 ans d’instabilité politique et de<br />

guerre civile. Le gouvernement central de Monrovia a cessé de fonctionner et le système officiel de gestion foncière<br />

s’est écroulé. Les causes de la guerre civile sont nombreuses et complexes, mais les conflits fonciers, y compris<br />

un conflit majeur entre les groupes ethniques dans les contés ruraux de Lofa, Nimba et Bong, ont contribué à la<br />

dynamique des conflits. Ils continuent de jouer un rôle dans la violence post-conflit.<br />

Les conflits interethniques constituaient un terreau favorable à l’éclatement de la guerre civile. Certains groupes<br />

ethniques revendiquaient d’être les primo occupants ou le statut d’autochtones et tentaient de chasser les « étrangers<br />

» ou les migrants de leurs terres, et en particulier les membres de l’ethnie Mandingue. Les Mandingues affirmaient<br />

qu’ils constituaient aussi un groupe autochtone au Libéria, au moins dans certaines régions. Dans d’autres<br />

cas, ils revendiquaient avoir acquis des terres légalement selon la procédure formelle. La lutte entre les groupes<br />

ethniques pour définir la propriété des terres s’est poursuivie dans la période post-conflit et reflète une lutte semblable<br />

pour la terre entre les différents groupes sociaux et ethniques en Côte d’Ivoire.<br />

Les systèmes coutumiers de gestion foncière ont fonctionné pendant la guerre civile, mais la dislocation sociale<br />

et économique causée par le conflit a perturbé les structures locales de pouvoir. Les enquêtes menées par le programme<br />

ICLA du NRC au Libéria constatent que les conséquences du conflit au Libéria incluent : un manque de<br />

connaissance accru de la population et des acteurs gouvernementaux aux sujets des droits fonciers, la prolifération<br />

d’acteurs et de forums qui tentent d’exercer un pouvoir dans la gestion foncière et d’un niveau élevé de conflits<br />

fonciers dans le pays. 8 Le gouvernement Libérien reconnaît les problèmes du système actuel de gestion foncière et<br />

il est engagé dans une réforme foncière à grande échelle.<br />

8 Voir Gregory Norton, . Norwegian Refugee Council, Libéria, 2010; Alexandra Hartman, , Norwegian Refugee Council, Libéria 2010; Alexander Corovo-Smith, TNorwegian Refugee Council, 2010.<br />

10 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Histoire de la gestion foncière en Côte d’Ivoire<br />

Les systèmes de gestion foncière en Côte d’Ivoire reflètent l’histoire coloniale, la politique de développement<br />

économique postindépendance et les objectifs nationalistes des régimes politiques récents. Ainsi, l’histoire de<br />

la gestion foncière en Côte d’Ivoire peut aussi nous aider à mieux comprendre les dynamiques de la crise postélectorale.<br />

Les institutions qui y régissent les terres sont souvent divisées en deux grands groupes: les systèmes<br />

«traditionnels» ou « coutumiers » et le système légal, basé sur des lois écrites adoptées par le gouvernement central<br />

Ivoirien. Les systèmes coutumiers de gestion foncière sont souvent décrits comme informels, car ils sont en grande<br />

partie non écrits. Il est cependant important de faire la distinction entre ces systèmes et la gestion foncière au quotidien<br />

(en zone rurale), elle aussi informelle, et qui ne suit pas toujours les normes et les pratiques coutumières. 9<br />

Évolution du système coutumier et du système légal<br />

de gestion foncière<br />

Comme au Libéria, plusieurs systèmes de gestion des droits fonciers coexistent en Côte d’Ivoire. Pendant la<br />

période coloniale française, une série de décrets coloniaux a limité les droits fonciers des populations africaines<br />

autochtones pour renforcer le pouvoir français. Les lois coloniales n’ont pas reconnu les systèmes coutumiers de<br />

gouvernance locale qui accordaient la propriété de la terre à la personne perçue comme le premier occupant ou<br />

ayant le statut d’autochtone dans une région spécifique.<br />

Après l’indépendance en 1962, le premier Président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouet-Boigny, a tenté une réforme<br />

foncière pour favoriser le développement. Il voulait promouvoir les productions agricoles de rente (notamment le cacao)<br />

en favorisant les droits des utilisateurs de la terre (droits d’usage) sans tenir compte de l’existence de droits coutumiers<br />

sur les terres. Malgré ses efforts, Houphouet-Boigny n’a pas réussi à faire adopter la loi foncière de 1963. À la place,<br />

le régime a poursuivi sa mission de développement de l’agriculture de rente en soutenant les droits d’usage informels à<br />

travers des incitations et des pressions politiques au niveau local. On connaît le fameux slogan du bureau politique du<br />

PDCI-RDA 10 « La terre appartient à celui qui la met en valeur à l’exclusion de tout autre détenteur de droits coutumiers».<br />

Ainsi, dès les années 60, des travailleurs migrants ivoiriens ou étrangers ont développé des plantations de café et<br />

de cacao dans les zones forestières situées notamment dans les régions de l’Ouest de la Côte d’Ivoire à la frontière<br />

du Libéria. Cette mise en valeur des terres s’est réalisée en l’absence d’un cadre juridique officiel Ces travailleurs<br />

migrants ont eu accès à la terre à travers le droit coutumier. De « grandes familles », ou « seigneurs » traditionnels,<br />

ou d’autres membres importants de la communauté géraient la terre au nom de l’ensemble de la communauté.<br />

Les travailleurs migrants se sont petit à petit installés dans des villages puis dans des campements près de leurs<br />

champs de cacao et de café, parfois loin des autorités villageoises qui leur avaient concédé l’accès à la terre.<br />

L’interprétation dominante (aujourd’hui) du droit coutumier foncier dans la région frontalière de l’Ouest de la Côte<br />

d’Ivoire est qu’il est impossible/interdit de vendre une terre de manière permanente. Le système coutumier permet<br />

aux membres des groupes ethniques autochtones uniquement d’accorder ou d’échanger le droit d’usage du sol<br />

aux migrants. Les migrants obtiennent cet accès grâce au tutorat. Semblable aux pratiques en cours dans les régions<br />

frontalières du Libéria, le tutorat 11 établit une relation mutuellement bénéfique entre les migrants et les primo<br />

occupants. Les obligations des deux parties restent flexibles. Les tendances économiques, les bonnes grâces des<br />

propriétaires autochtones ou les politiques et pratiques locales peuvent, par exemple, déterminer si les migrants<br />

doivent s’acquitter d’un loyer ou s’ils peuvent transmettre leur droit d’usage à leurs enfants.<br />

9 Jean-Pierre Chauveau, 2006, La réforme foncière de 1998 en Côte d’Ivoire à la lumière de l’histoire des dispositifs de sécurisation des droits coutumiers. Colloque international, « Les frontières<br />

de la question foncière », Montpellier.<br />

10 Parti Démocratique de la Côte d’Ivoire — Rassemblement Démocratique Africain.<br />

11 Le tutorat est une pratique qui permet de réguler le transfert des droits fonciers entre un propriétaire autochtone et des personnes étrangères à la communauté.<br />

11 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

En dépit de la législation coloniale, qui avait mis à mal les droits fonciers communautaires et en l’absence d’une<br />

réforme foncière, des aspects clés du droit coutumier tels que le tutorat ont dominé la gestion foncière en Côte<br />

d’Ivoire au cours de la période postcoloniale. Les migrants qui sont arrivés pour développer une agriculture de rente<br />

ont utilisé ce système pour accéder à la terre. Comme le montrent les sections suivantes de ce rapport, ce système<br />

de « tutorat » a créé les conditions parfaites pour que de nombreux conflits fonciers éclatent.<br />

Guerre civile<br />

Dans les années 1990, la baisse mondiale du prix des matières premières au niveau mondial et la mort du Président<br />

Houphouet-Boigny en 1993 ont débouché sur une lutte entre factions pour le contrôle de l’Etat Ivoirien. Les<br />

clivages ethniques opposaient de plus en plus les Ivoiriens du Nord du pays, qui se reconnaissent majoritairement<br />

en la personne d’Alassane Ouattara, à d’autres groupes ethniques. Le débat politique autour des questions de<br />

citoyenneté et de l’« ivoirité » 12 a créé une situation de plus en plus polarisée. Le contrôle de l’État est devenu un<br />

des seuls objectifs des hommes politiques et de leurs partis, leur apportant ainsi légitimité politique et un accès<br />

privilégié aux ressources économiques.. Ce schisme au niveau national a exacerbé les divisions existantes entre<br />

communautés de l’Ouest de la Côte d’Ivoire (autochtones versus migrants interne/externe).<br />

Au fil des ans, les pressions sur les premiers migrants (ayant prospérés) les poussant à intégrer de nouveaux migrants<br />

et la montée de l’économie monétaire a conduit à une exploitation abusive du système coutumier dans les<br />

régions frontalières occidentales. De nouvelles vagues de migration venant à la fois de l’extérieur de la Côte d’Ivoire<br />

et du sud ont augmenté l’hétérogénéité ethnique des communautés et, dans certains cas, conduit à l’occupation<br />

et la mise en valeur des forêts classées et protégées. En outre, certains acteurs politiques locaux ont manipulé les<br />

clivages ethniques et les conflits sur la terre à leurs profits, ce qui a aggravé les tensions entre communautés 13 Les<br />

autochtones ont de plus en plus effectué des transactions financières en échange de leurs terres avec les membres<br />

de leurs propres communautés et avec des migrants. Cela a entrainé un flou important concernant la propriété de<br />

la terre et des droits qui y sont rattachés. De plus, la rareté des terres et l’attrait du gain, ont poussé, petit à petit,<br />

les autochtones à renégocier les cessions de parcelles effectuées au cours des décennies précédentes<br />

En 1998, le gouvernement a adopté une loi pour reconnaître les droits fonciers coutumiers et les transformer en<br />

propriété. Il a mis en place des Comités villageois de gestion foncière rurale qui ont pour attribution générale l’étude<br />

des dossiers concernant les terroirs villageois. La loi limite la propriété de la terre à l’État, aux organisations publiques<br />

et aux individus ayant la nationalité Ivoirienne. Elle vise à établir des règles claires pour la gestion foncière<br />

en Côte d’Ivoire. Cependant, sa complexité et son ambiguïté ainsi que le manque de volonté politique et l’absence<br />

d’allocation de ressources pour son application ont rendu sa mise en œuvre très difficile. Un des problèmes, est<br />

que la loi donne la priorité à l’attribution de certificats de propriété au lieu de se prononcer sur des revendications<br />

contradictoires existant pour une même parcelle. En l’absence d’un mécanisme pour régler ces revendications, le<br />

mécanisme de certificats fonciers ne peut pas fonctionner. Un autre problème réside dans le fait que la loi de 1998<br />

a marqué un renversement complet de la priorité accordée aux usagers de la terre dans les années 1960 et 1970.<br />

Dans un climat de polarisation ethnique accrue, l’adoption de la loi a été perçue comme une menace pour les droits<br />

de propriété des migrants dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire.<br />

Après une élection manquée, les années 2000 ont été dominées par un statu quo d’hostilité ouverte entre le groupe<br />

rebelle du Nord, les Forces Nouvelles, et le gouvernement Ivoirien. Les Forces Nouvelles contrôlaient la moitié Nord<br />

du pays et les forces gouvernementales, menées par Laurent Gbagbo, contrôlaient la moitié Sud. Les deux zones<br />

étaient séparées par une zone tampon dite « zone de confiance ». Des centaines de milliers de personnes ont<br />

été déplacées et des conflits fonciers sur la propriété et l’accès à la terre a éclaté dans tout l’Ouest du pays. Des<br />

12 L’Ivoirité, ou l’état d’être Ivoirien, d’abord utilisé par l’ancien président Ivoirien Laurent Bédié en 1995, désigne une identité nationale ivoirienne définie en opposition aux non Ivoiriens, les<br />

« autres ». Cette identité est devenue une notion politique, dans certains cas, violemment contestée, dans les années 2000 pendant les débats concernant l’accès politique et économique à l’État<br />

ivoirien. Pour plus d’informations, voir Francis Akindes, 2003. « Côte d’Ivoire: Socio-political Crises, ‘Ivoirité’ and the Course of History, » AfricanSociologicalReview. 7, 2.<br />

13 Voir Michael McGovern 2011, . Cambridge University Press pour plus d’informations sur le rôle des élites politiques locales dans la guerre civile en Côte d’Ivoire.<br />

12 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

conflits de grande envergure, parfois violents, ont dressé les membres des communautés autochtones contre les<br />

migrants. L’accord de Ouagadougou de 2007 a mis en place un processus pour une prochaine élection, y compris<br />

la détermination de la citoyenneté pour identifier les électeurs. Les deux tours de l’élection ont eu lieu en octobre et<br />

novembre 2010.Le refus de Gbagbo de partir malgré la victoire de Alassane Ouattara reconnue au niveau international<br />

a poussé les FRCI de Ouattara à envahir le territoire contrôlé par le gouvernement de Gbagbo et à renverser<br />

celui-ci par la force.<br />

Table 1<br />

Informations sur les terres et<br />

activités agricoles<br />

Communautés<br />

d’accueil au<br />

Libéria<br />

(n=72)<br />

Réfugiés au<br />

Libéria - terres<br />

au Libéria<br />

(n=29)<br />

Réfugiés au<br />

Libéria - terres<br />

dans le village<br />

d’origine<br />

(n=29)<br />

Personnes<br />

interrogées en<br />

Côte d’Ivoire<br />

(n=63)<br />

Titre sur la terre 25% - 16% 27%<br />

Réfugié ayant travaillé sur cette terre 38% - - -<br />

Cultivent du riz 66% 7% 3% 49%<br />

Cultivent le manioc 42% 0% 0% 32%<br />

Cultivent (autres) cultures vivrières 6% 10% 7% 27%<br />

Cultivent le cacao 18% 3% 45% 46%<br />

Cultivent le café 7% 0% 24% 35%<br />

Cultivent le caoutchouc 42% 0% 7% 21%<br />

Cultivent de l’huile de palme 4% 0% 0% 0%<br />

Cultivent de la canne à sucre 3% 0% 0% 0%<br />

Cultivent (autres) cultures de rente 3% 0% 0% 3%<br />

13 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Section 2<br />

Conflits fonciers dans la<br />

zone frontalière<br />

Même avant la crise post-électorale de 2010, les tensions entre l’utilisation et la propriété des terres pesaient sur<br />

le système de gestion foncière dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Après les élections, cette situation s’est encore aggravée.<br />

Nous avons constaté que les conflits fonciers ont un profil un peu différent du côté libérien de la frontière,<br />

mais que dans les deux pays une grande proportion de conflits sont associés à des actes de violence. Notre étude<br />

démontre que les systèmes coutumiers et traditionnels qui gèrent les terres et règlent les conflits, et les institutions<br />

officielles n’arrivent pas à gérer le niveau de conflits actuels. L’un des signes d’échec est le nombre croissant<br />

d’autorités différentes impliquées dans le règlement des conflits. Cette étude met en évidence le fait que les conflits<br />

fonciers ont un impact négatif sur la sécurité alimentaire parce que la terre, qui est l’élément clé des programmes de<br />

sécurité alimentaire, est contestée. Même dans les régions où il n’y a pas de conflits à l’heure actuelle, l’absence<br />

de gestion systématique des terres et le fait que les programmes de sécurité alimentaire ne tiennent pas compte<br />

de la gestion foncière sont des facteurs de risque de conflit pour l’avenir.<br />

Nous avons constaté que les conflits intercommunautaires sur les terres troublent encore la paix dans l’Ouest de la<br />

Côte d’Ivoire. Malgré des récits qui tendent à attribuer la responsabilité des conflits à un groupe en particulier, tous<br />

les groupes ethniques et sociaux partagent la responsabilité des conflits. L’environnement joue également un rôle<br />

dans les dynamiques de conflit : la pression accrue sur des ressources déjà rares augmente le risque de conflits.<br />

Dans les communautés accueillant des réfugiés ou situées à la limite des camps de réfugiés, des conflits entre<br />

des membres des communautés d’accueil et des réfugiés sont monnaie courante. Dans la région frontalière entre<br />

le Libéria et la Côte d’Ivoire, les femmes et les hommes n’ont pas la même perception des conflits fonciers. Cela<br />

suggère que la manière dont les hommes et les femmes ont vécu la crise post-électorale et les problèmes qu’ils<br />

rencontrent par rapport aux conflits fonciers devraient être pris en compte pour le règlement des conflits.<br />

Crise de la gestion foncière dans l’Ouest<br />

de la Côte d’Ivoire<br />

Lors des entretiens, des chefs, des anciens et des propriétaires terriens appartenant aux groupes ethniques autochtones<br />

ont expliqué qu’ils avaient géré avec succès l’allocation des terres et le règlement des conflits lors des<br />

années de croissance de 1960 et 1970. À l’heure actuelle, cependant des personnes se sont plaint que ces autorités<br />

abusaient de leur pouvoir ou n’exerçaient plus le même type de contrôle que dans le passé. En règle générale,<br />

la loi relative au domaine foncier rural de 1998 n’est pas appliquée. Par exemple, jusqu’en juillet 2012, aucun titre<br />

foncier n’avait été édicté dans la région de Montagnes. Cette faiblesse institutionnelle a favorisé l’escalade de conflits<br />

fonciers en de plus larges conflits entre groupes ethniques et entre des groupes traditionnellement puissants<br />

comme les anciens, et des acteurs émergeants comme les jeunes. Malgré ces problèmes, certaines personnes,<br />

particulièrement celles qui appartiennent aux communautés autochtones se tournent encore vers des acteurs du<br />

système coutumier comme les anciens et les chefs. D’autres personnes préfèrent avoir recours à l’autorité administrative<br />

compétente dans leur région.<br />

14 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Table 2<br />

Type de conflit foncier<br />

Liberia*<br />

(n=92)<br />

Cote d’Ivoire*<br />

(n=92)<br />

Conflit d’accès 32% 46%<br />

Conflit de délimitation 34% 14%<br />

Conflit de contrat 14% 35%<br />

Conflit d’héritage 18% 5%<br />

Conflit d’héritage 2% 6%<br />

* Personnes interrogées, réfugiés et hôtes<br />

Le système ‘traditionnel’ de gestion foncière invalidé<br />

Notre étude corrobore des travaux précédents qui constataient que le système traditionnel de gestion foncière ne<br />

réussit pas à gérer les terres et à régler efficacement les conflits dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. 14 Dans certains<br />

cas, les personnes chargées de diriger ces institutions sont un des éléments du problème. Par exemple, dans un<br />

des cas, malgré des affirmations selon lesquelles personne ne pouvait acheter ou vendre des parcelles dans le<br />

village, des membres du groupe ethnique autochtone Guéré se sont plaints que le chef Guéré du village voisin<br />

« vendait » la terre de leur « forêt traditionnelle » à de nouveau « étrangers » ou migrants en échange d’argent. Les<br />

nouveaux migrants se distinguent des précédents parce qu’ils sont arrivés dans le village après la fin de la crise<br />

post-électorale. 15 Ce cas présente deux types de conflits: un conflit entre le groupe ethnique autochtone et les<br />

nouveaux arrivants sur l’exploitation de la forêt et un autre entre les deux villages sur le remboursement de l’argent<br />

de la vente illégale. Le représentant de l’État dans la région, le sous-préfet, a expliqué qu’il avait renvoyé un des<br />

chefs du village pour avoir vendu illégalement la terre de l’autre communauté mais qu’il n’avait pas pu faire partir<br />

les migrants de la forêt.<br />

Dans un autre village, des membres de la communauté autochtone du groupe ethnique Yacouba ont déclaré qu’ils<br />

disposaient de mécanismes centralisés de gestion des terres et de règlement des conflits fonciers. Ils avaient<br />

confiance en ces mécanismes. Ils ont décrit leurs conflits fonciers en cours comme résultant de l’occupation illégale<br />

de la forêt classée par des migrants en violation de leurs revendications culturelles et juridiques sur la terre.<br />

Au cours des entretiens avec des membres de la communauté migrante et des entretiens individuels avec des<br />

autochtones une autre version est cependant apparue. Selon ces derniers, certains membres de la communauté<br />

autochtone faciliteraient l’arrivée de nouveaux migrants dans la forêt. Dans cette version, le conflit oppose donc les<br />

anciens dirigeants de la communauté et les plus jeunes membres de la communauté qui poursuivent des objectifs<br />

économiques. L’échec dans le règlement du conflit était dû en partie à la décision de ne pas inclure ces « jeunes »<br />

de la communauté autochtone dans le processus de règlement qui avait déjà été porté devant les représentants de<br />

l’État au niveau local. Des cas comme celui qui vient d’être décrit illustrent la faiblesse du système local de gestion<br />

foncière, l’inapplication de la loi foncière de 1998 comme moyen pour le règlement des conflits et une situation où<br />

les chefs coutumiers eux-mêmes sont parfois impliqués dans les transactions foncières conflictuelles.<br />

14 Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), A qui sont ces terres ? Conflits fonciers et déplacement des populations dans l’Ouest forestier de la Côte d’Ivoire, 2009.<br />

15 L’origine des nouveaux migrants était contestée- certaines personnes affirmaient qu’elles venaient de l’étranger alors que les entretiens suggéraient plutôt qu’elles venaient d’autres régions de<br />

Côte d’Ivoire. Dans certains cas ces personnes avaient peut être même vécu sur les terres avant, mais elles avaient du partir lors de précédents épisodes du conflit.<br />

15 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


54%<br />

27%<br />

14%<br />

41%<br />

NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Buy from admin authorities<br />

Buy from traditional authorities<br />

Buy on the market<br />

Ask traditional authorities<br />

Inheritance<br />

I don't know<br />

Not possible to get today<br />

Occupation<br />

Renting<br />

Buy from admin authorities<br />

Buy from traditional authorities<br />

Buy on the market<br />

Ask traditional authorities<br />

Inheritance<br />

Processus d’acquisition<br />

I don't know<br />

Not possible to get today<br />

Occupation<br />

Renting<br />

Communautés d’accueil au Libéria<br />

Communautés d’accueil au Côte d’Ivoire<br />

Réfugiés au Libéria<br />

13%<br />

31%<br />

19%<br />

3%3% 2%<br />

5%<br />

24%<br />

31%<br />

1%<br />

3%<br />

23%<br />

3%<br />

54%<br />

27%<br />

14%<br />

41%<br />

Achat aux autorités administratives<br />

Demande aux autorités traditionnelles<br />

Achat sur le marché<br />

Ask traditional authorities<br />

Héritage<br />

Je ne sais pas<br />

Pas possible aujourd’hui<br />

Occupation<br />

Location<br />

Achat aux autorités administratives<br />

Demande aux autorités traditionnelles<br />

Achat sur le marché<br />

Ask traditional authorities<br />

Héritage<br />

Je ne sais pas<br />

Pas possible aujourd’hui<br />

Occupation<br />

Location<br />

Malgré la faiblesse des institutions communautaires locales, il n’existe pas vraiment d’alternatives pour la gestion<br />

foncière. La loi foncière de 1998 a créé des Comités villageois de gestion des terres. Mais ces comités n’existent<br />

qu’à certains endroits, et de manière quasi générale ils ne fonctionnent pas. Au cours des entretiens dans les localités<br />

visitées dans le cadre de cette étude, personne n’a mentionné ces Comités comme un moyen pour discuter<br />

avec les autorités du village et d’acquérir des terres de manière légitime. Au contraire, les personnes d’une même<br />

ville ou village n’étaient souvent pas d’accord sur les moyens d’acquérir la terre. Dans les groupes de discussion,<br />

les membres de la communauté autochtone ont le plus souvent mentionné les chefs coutumiers, les propriétaires<br />

terriens par exemple, et l’héritage familial comme moyens principaux pour accéder à la terre. Au cours des entretiens<br />

en tête à tête ils ont cependant également affirmé que de plus en plus l’achat de parcelles était un moyen<br />

d’en obtenir l’accès. Les membres des groupes de migrants ont également parlé de l’achat de parcelles. Le type de<br />

droits acquis à travers les transactions monétaires reste cependant confus. Étant donné l’absence de documents<br />

dans de nombreux cas, il n’y avait pas d’accord sur l’étendue des termes de l’échange. Par exemple, dans plus<br />

d’une communauté, lorsque nous avons demandé directement si les personnes qui avaient acheté des parcelles<br />

en espèces pourraient transmettre leurs droits à leurs enfants ou à leurs héritiers, les personnes interrogées ont<br />

répondu par la négative ou « je ne sais pas ». 16<br />

Des données recueillies auprès des parties au conflit dans 6 communautés 17 le long de la frontière confirment ces<br />

conclusions. 30% des personnes ont affirmé qu’elles avaient acheté la terre faisant l’objet du conflit à une personne<br />

privée, malgré la loi foncière de 1998 qui rend techniquement illégales la plupart sinon toutes ces transactions.<br />

Ils décrivaient que 69% des parcelles concernées par les conflits fonciers étaient des parcelles individuelles (non<br />

communales ou familiales). 18 Le fait de considérer la terre comme appartenant à un particulier ne signifiait cependant<br />

pas pour autant que cette personne détenait la terre en vertu du droit positif.<br />

16 Dans certaines communautés, les membres de la communauté autochtone ont affirmé que les membres des groupes migrants ne pouvaient pas transmettre la terre à leurs enfants alors que<br />

dans le cadre des groupes de discussion, des membres des groupes de migrants avaient affirmé le contraire.<br />

17 Voir Annexe A pour plus d’information sur la méthodologie de l’étude et la liste des lieux visités.<br />

18 La question posée aux personnes interrogées concernait le type de parcelle et donnait le choix entre parcelles individuelles, parcelles appartenant à une famille (ou plusieurs) ou parcelles<br />

appartenant à une communauté.<br />

16 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Coexistence de multiples autorités pour le règlement des<br />

conflits fonciers<br />

La crise politique post-électorale a également provoqué l’effondrement des systèmes locaux de règlement des conflits<br />

fonciers. En Côte d’Ivoire, les personnes interrogées ont établi une liste de 12 autorités différentes (individus<br />

ou structures) devant lesquelles ils pouvaient porter un conflit. Très peu de personnes ont mentionné le tribunal,<br />

l’autorité prévue par le droit positif pour régler les conflits, ou la police. La pratique la plus courante consiste à<br />

porter le conflit d’abord devant le chef du village. Cependant, dans la plupart des cas, demander de l’aide à cette<br />

institution n’est plus suffisant. 85% des personnes interrogées impliquées dans un conflit avaient porté leur conflit<br />

devant au moins deux autorités différentes et la moitié de toutes les personnes interrogées l’avaient porté devant<br />

au moins trois autorités différentes dans leurs efforts pour régler le conflit.<br />

En plus des forums multiples pour régler les conflits, la plupart des membres de la communauté n’étaient pas<br />

d’accord sur la hiérarchie entre les différentes structures ou sur un système d’appel. Cette situation crée une<br />

confusion sur qui détient le pouvoir de régler les conflits fonciers et sur le mécanisme auquel les parties devraient<br />

avoir recours en premier lieu pour essayer de le régler. Elle ouvre également des opportunités de manipulation et<br />

de « forum shopping». Ainsi, les individus portent leurs conflits devant différentes autorités jusqu’à obtenir une décision<br />

qui leur soit favorable. Dans plusieurs sous préfectures, des entretiens avec les représentants locaux et les<br />

longues files d’attente dans les bureaux de l’administration illustrent la pression que les conflits fonciers font peser<br />

sur les représentants administratifs locaux. Ceux-ci essaient de régler de nombreux conflits, alors qu’ils n’ont pas<br />

de rôle officiel ou coutumier dans le règlement des conflits. Soulignons également, que notre étude a constaté que<br />

le coût de règlement d’un conflit était exorbitant pour la plupart des individus, l’équivalent de plus de 100 Dollars<br />

américains.<br />

Table 3<br />

Règlement des conflits<br />

Liberia*<br />

(n=101)<br />

Cote d’Ivoire*<br />

(n=62)<br />

Paiement pour le règlement 29% 19%<br />

Somme payée (USD)† $137.47 $106.64<br />

Conflit récemment terminé 5% 27%<br />

* Personnes interrogées, réfugiés et hôtes † Moyenne<br />

17 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Conflits fonciers intercommunautaires dans<br />

les villages Ivoiriens<br />

Les conflits fonciers dans les villages frontaliers Ivoiriens illustrent non seulement la faiblesse de la gestion foncière<br />

mais également des tensions permanentes entre les communautés autochtones et les migrants. 19 Ces tensions se<br />

sont accentuées jusqu’à un point culminant depuis le début des hostilités en 2002. La situation est aggravée par<br />

la polarisation ethnique continue de la politique Ivoirienne. De plus, l’absence de programme d’envergure de désarmement,<br />

de démobilisation et de réintégration (DDR) des différents groupes armés ne permet pas de diminuer<br />

les tensions.<br />

Retournement de situation dans les villages Ivoiriens?<br />

Lorsqu’en 2011 les Forces Nouvelles soutenant Ouattara ont pris la région frontalière de l’Ouest de la Côte d’Ivoire<br />

auparavant contrôlée par le gouvernement, les dynamiques de pouvoir au niveau des villages ont fluctué. Lors des<br />

premiers affrontements en 2002, les populations autochtones dans les régions contrôlées par le gouvernement<br />

(au Sud de la zone de confiance divisant le pays) avaient profité du déplacement de beaucoup de groupes non<br />

autochtones pour prendre ou reprendre les terres, sans regarder si elles leur appartenaient auparavant, ou encore<br />

pour renégocier les accords d’usage de la terre en leur faveur. De 2002-2011 certains membres des groupes autochtones<br />

ont refusé aux individus qu’ils considéraient comme étrangers (qu’ils viennent d’autres régions de Côte<br />

d’Ivoire ou d’un autre pays) le retour à leurs terres, s’appuyant (indûment) sur la loi foncière de 1998 pour justifier<br />

leur position.<br />

Après la capture de Laurent Gbagbo et l’accession du Président Ouattarra en 2011, des groupes ethniques ayant<br />

soutenu l’ancien Président, y compris des membres des groupes ethniques Guéré et Oubi, sont retournées dans<br />

leurs communautés. Ces retours ont été plus tardifs que pour les autres personnes déplacées. 20 Les réfugiés dans<br />

les camps du Libéria appartenant aux groupes autochtones et les personnes déplacées internes récemment retournées<br />

(appartenant également aux groupes autochtones),, considèrent à présent que ce sont eux qui ne peuvent<br />

plus accéder à leurs terres. Ils soulignent que les migrants sont restés armés malgré la fin des hostilités.<br />

Dans certaines régions, ces plaintes apparaissaient comme un retournement de situation. Les membres de la communauté<br />

migrante considèrent qu’ils détiennent désormais le pouvoir qui était détenu avant la crise post-électorale<br />

par les autochtones. Cependant dans d’autres villages Ivoiriens, les membres des communautés migrantes se sont<br />

plaints de ne pas pouvoir accéder à leurs fermes mais également du fait que les membres des communautés autochtones<br />

aidaient les milices pro-Gbagbo de l’autre côté de la frontière au Libéria. Ainsi, nous avons pu constaté<br />

que les dynamiques de pouvoir ont été inversées dans les villages frontaliers, ou déstabilisées en conséquence de<br />

la crise. Les entretiens et les groupes de discussion indiquent par ailleurs que les relations entre les membres des<br />

différentes communautés ethniques restaient fragiles voire qu’elles avaient été brisées par la crise post-électorale.<br />

Il n’est pas surprenant que les conflits fonciers reflètent également l’absence de relations entre les différentes communautés<br />

ethniques.<br />

19 Beaucoup de migrants dans cette région frontalière de l’Ouest sont originaires de Côte d’Ivoire. Connus sous le terme d’allochtones, ils ne sont ni pleinement «étrangers», ni autochtones. Même<br />

s’il ne leur est pas interdit de posséder des terres en vertu de la loi de 1998, le droit coutumier ne leur accorde pas les mêmes droits qu’aux membres des communautés autochtones et leur<br />

position reste incertaine. Peu de personnes se sont identifiées comme appartenant à ce groupe lors des activités de recherche et leur position par rapport au clivage entre Ivoiriens autochtones<br />

et migrants venant de l’extérieur du pays demeure ambiguë.<br />

20 Basé sur la situation sur le terrain dans les villages Ivoiriens couverts par cette étude et non sur des données gouvernementales représentatives.<br />

18 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Groupes impliqués dans les conflits fonciers<br />

intercommunautaires<br />

Dans certains villages, les relations entre les différents groupes ethniques et sociaux étaient si faibles au moment<br />

de l’étude qu’il n’était pas possible de rencontrer les membres des différentes communautés ethniques ensemble<br />

pour discuter des problèmes fonciers. Beaucoup de conflit ont été présentés par celles-ci comme une opposition<br />

entre « nous » et « eux ». Ailleurs, des rencontres entre les communautés autochtones et communautés migrantes<br />

ont pu avoir lieu. Mais, lors des entretiens individuels, les membres de chaque groupe ont dénoncé les actions de<br />

l’autre par rapport à la gestion foncière. En particulier, les membres de la communauté autochtone dans plusieurs<br />

villages ont affirmé que les migrants occupaient leurs terres et que des « nouveaux » migrants qu’ils n’avaient jamais<br />

vu auparavant étaient arrivés et avaient planté des cultures de rente sur leurs parcelles. Dans une communauté, un<br />

individu a signalé qu’il y avait des « bus » d’hommes, de femmes et d’enfants burkinabés qui arrivaient et établissaient<br />

des camps sur ces terres. De tels témoignages étaient particulièrement courants le long de l’axe Zouan-<br />

Hounian – Toulepleu. 21<br />

Parallèlement, des membres des communautés migrantes se sont également plaints de ce que des autochtones les<br />

empêchaient d’avoir accès à la terre. Ils ont affirmé que leurs « tuteurs » revenaient sur des accords passés, y<br />

compris des contrats qui avaient été renégociés avec l’aide du gouvernement central avant la crise post-électorale.<br />

D’autres membres de la communauté migrante qui avaient une longue présence dans le village datant<br />

des années 1960, affirmaient que depuis le début des hostilités en 2002, ils n’avaient pas pu avoir accès<br />

à leurs droits fondamentaux comme le droit à l’éducation. D’autres plaintes concernaient l’aide humanitaire,<br />

qu’ils considéraient comme ciblant les villages et trop peu les «campements » où se trouvent pourtant en majorité<br />

les communautés migrantes. Ils estimaient en effet que les interventions humanitaires ne les avaient pas<br />

pris en compte et avaient fait une part belle aux autochtones. Dans une communauté située sur l’axe Guiglo<br />

– Tai, des membres de la communauté migrante ont soutenu que les membres des communautés autochtones<br />

n’avaient pas abandonné la lutte armée contre le gouvernement et que les migrants avaient toujours des difficultés<br />

d’accès aux terres en raison de l’insécurité.<br />

Même si la vérification de ces plaintes dépassait le cadre de cette étude et qu’il existe la possibilité que les personnes<br />

aient exagéré leurs plaintes en présence des travailleurs des ONG pour les rallier à leur cause et obtenir un<br />

soutien matériel, ces faits présentés indiquent clairement que les tensions intercommunautaires restent un obstacle<br />

pour la paix dans les villages frontaliers. Les conflits fonciers non réglés constituent une question fondamentale.<br />

79% des parties à des conflits interrogées en Côte d’Ivoire ont indiqué que leurs conflits fonciers étaient interethniques.<br />

Selon 61% des parties, les différences ethniques ou la nationalité de l’une des parties rendait leur conflit<br />

difficile à régler. Plus de la moitié des membres des communautés autochtones impliqués dans des conflits fonciers<br />

ont indiqué qu’ils trouvaient inacceptable la situation actuelle permettant aux migrants Ivoiriens et étrangers de<br />

bénéficier de droits à la terre dans leur communauté.<br />

Les niveaux élevés de violence associés à ces conflits et rapportés par les membres de toutes les communautés<br />

ethniques sont très inquiétants. 32% des personnes interrogées ont fait état de menaces verbales liées à leur conflit<br />

foncier et 27% ont indiqué qu’une personne avait été blessée à cause d’un conflit. Dans 18% des cas, le conflit<br />

avait entraîné la destruction de biens. 30% des réfugiés interrogés au Libéria ont indiqué qu’ils ne rentraient pas<br />

dans leur communauté d’origine en partie à cause du fait que leur maison ou leur terre était occupée et 45% ont<br />

relevé qu’ils ne rentraient pas pour des raisons de sécurité.<br />

21 Comme indiqué auparavant, tandis que certains personnes affirmaient que les nouveaux migrants étaient étrangers, d’autres personnes, y compris ces migrants eux-mêmes confirmaient que cela<br />

n’était pas toujours le cas et que parfois les « nouveaux» migrants incluaient des individus originaires d’ailleurs en Côte d’Ivoire, et même des individus qui étaient présents dans un village avant<br />

2002.<br />

19 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Table 4<br />

Land Dispute Dynamics<br />

Liberia*<br />

(n=100)<br />

Côte d’Ivoire*<br />

(n=62)<br />

Année de début du conflit † 2005 2009<br />

Destruction de propriété comme conséquence du conflit 21% 18%<br />

Menaces violentes comme conséquence du conflit 44% 32%<br />

Actes violents comme conséquence du conflit 28% 27%<br />

Violence armée comme conséquence du conflit 16% 11%<br />

Sorcellerie comme conséquence du conflit 28% 8%<br />

Décès comme conséquence du conflit 4% 6%<br />

Nombre d’épisodes violents associés au conflit † 3 4<br />

* Personnes interrogées, réfugiés et hôtes † Moyenne<br />

Les conflits fonciers et les déplacements provoqués par<br />

l’environnement<br />

L’affaiblissement des institutions locales et les tensions entre les différents groupes ethniques et nationaux occultent<br />

souvent un autre aspect du conflit sur les terres dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. En particulier dans les<br />

régions frontalières du Sud-Ouest, les individus impliqués dans des conflits fonciers ont déclaré que des difficultés<br />

liées à des facteurs environnementaux, et plus particulièrement à la diminution des rendements de leurs terres,<br />

étaient le facteur le plus déterminant des conflits fonciers. Les membres des communautés autochtones et les personnes<br />

se définissant comme des migrants près de la ville du Sud-Ouest de Soubré ont signalé que les conflits sur<br />

les ressources foncières n’étaient pas la conséquence de tensions entre les groupes ethniques, mais plutôt le fait<br />

que le rendement des productions n’était plus suffisant pour couvrir les besoins. En conséquence, les personnes<br />

de toutes les communautés (primo occupants, autochtones, migrants Ivoiriens et migrants étrangers) faisaient<br />

moins de jachères, avaient commencé à cultiver au sein même du village, et dans le pire des cas, avaient migré loin<br />

de leur village à la recherche de terres meilleures.<br />

Des entretiens dans un village près de Soubré ont montré des niveaux plus élevés de cohésion sociale que dans<br />

d’autres communautés de la région frontalière. Les personnes ayant migré vers cette région avaient appris la<br />

langue locale. Les individus appartenant à différents groupes sociaux partageaient une compréhension similaire de<br />

l’histoire de la gestion foncière dans la communauté. Les tensions entre les différents groupes étaient moins nombreuses.<br />

Cependant, en dépit de la relation relativement bonne entre les différents groupes ethniques et sociaux,<br />

la situation semblait instable. Les personnes faisaient encore état de nombreux conflits fonciers dans le village, y<br />

compris de nombreux conflits sur des contrats.<br />

Peut-être de manière encore plus frappante, les pressions environnementales sur les terres dans cette région<br />

avaient eu des répercussions directes sur les litiges fonciers dans d’autres villages où les tensions intercommunautaires<br />

étaient courantes. Les entretiens avec les membres de la communauté migrante dans d’autres villages au<br />

Nord ont confirmé que le manque de terres et la mauvaise qualité des terres disponibles dans le Sud les avaient<br />

forcés à migrer vers le Nord à partir des villages autour de Soubré. Ces personnes étaient originaires de villes et de<br />

villages sans niveaux élevés de tensions intercommunautaires et migraient vers des lieux où ils étaient désormais<br />

impliqués dans des conflits fonciers et où leur identification en tant que migrant était un élément important de la<br />

dynamique des conflits.<br />

20 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Droits de propriété sous pression: les réfugiés<br />

Ivoiriens au Libéria<br />

Neuf années se sont écoulées depuis la fin de la guerre civile du Libéria qui a duré 14 ans. Pendant la crise postélectorale<br />

de 2010, le Libéria est resté relativement plus sûr que son voisin. L’histoire récente de la crise et des<br />

schémas similaires de conflits entre les groupes autoproclamés comme autochtones et ceux perçus comme étrangers,<br />

font de la crise post-électorale Ivoirienne une menace potentielle pour la paix au Libéria. Les conflits fonciers<br />

au Libéria et en Côte d’Ivoire ont des dynamiques différentes, mais partagent des points communs importants, tels<br />

que les niveaux élevés de violence. L’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés dans le Sud-Est du Libéria accroît<br />

la pression sur les terres et les autres ressources. En conséquence, les programmes de sécurité alimentaire sont<br />

une composante majeure de l’intervention humanitaire internationale au Libéria et en Côte d’Ivoire. La faiblesse des<br />

systèmes de gestion foncière dans les deux pays signifie que les programmes de sécurité alimentaire pour lesquels<br />

l’accès à la terre est un élément essentiel créent les conditions d’un conflit entre les communautés déplacées et les<br />

communautés d’accueil. Malgré les risques de conflits, l’arrivée des réfugiés Ivoiriens au Libéria pourrait également<br />

représenter une opportunité, en particulier grâce à une offre de main-d’œuvre accrue dans une région traditionnellement<br />

riche en terre mais pauvre en main d’œuvre.<br />

Conflits fonciers au Libéria et en Côte d’Ivoire:<br />

approche comparée<br />

Il existe des différences politiques et historiques entre le Sud-Est du Libéria et l’Ouest de la Côte d’Ivoire. D’une<br />

part, les deux côtés de la frontière entre les deux États partagent un climat semblable, les mêmes groupes ethnolinguistiques,<br />

des niveaux élevés de mariage intracommunautaires et une économie régionale intégrée. D’autre part,<br />

de nombreuses communautés du côté Libérien de la frontière sont ethniquement homogènes. Il n’y a pas eu du côté<br />

Libérien d’afflux massif de population d’autres régions du Libéria ou d’autres pays pour développer l’agriculture de<br />

rente. Le marché foncier privé est quasiment inexistant, à l’exception de quelques grandes concessions de canne<br />

à sucre et d’huile de palme qui sont devenues des points critiques pour les conflits locaux. L’isolement relatif des<br />

communautés Libériennes, leur population homogène, et le rythme lent des réformes foncières au niveau national<br />

ont mené de nombreuses personnes dans la région à s’appuyer sur les systèmes coutumiers de propriété des<br />

terres. Les personnes font état de liens culturels forts à la terre, particulièrement dans les contés de Grand Gedeh,<br />

Maryland et River Gee. Presque la moitié des Libériens interrogés ont indiqué que leurs ancêtres étaient enterrés<br />

sur leurs terres, un lien culturel important entre les familles et leurs terres. Ce taux est bien plus élevé que dans<br />

d’autres régions du Libéria où le système officiel de gestion foncière a plus d’influence.<br />

21 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


71 35% 63 0% 29 24% 29 Coffee 7% 59% Café 7% 59%<br />

Autres <br />

71 21% 63 0% 29 7% 29 Other Food Crops 16% 34%<br />

légumes 16% 34%<br />

Caoutcho<br />

71 27% 63 10% 29 7% 29 Rubber 42% 28%<br />

uc 42% 28%<br />

71 NRC | Conflits 32% 63 fonciers et sécurité 0% 29 alimentaire dans 0% la région 29 Casava frontalière 42% entre 32% le Libéria et la Côte Maniocd’Ivoire<br />

42% 32%<br />

71 49% 63 7% 29 3% 29 Rice 73% 52% Riz 73% 52%<br />

71 0% 63 0% 29 0% 29<br />

71 0% 63 0% 29 0% 29<br />

71 3% 63 0% 29 0% 29<br />

Cultures sur les terres contestées<br />

ation on disputed land<br />

Cultures sur les terres contestées<br />

Cacao<br />

Café<br />

Autres légumes<br />

Caoutchouc<br />

Manioc<br />

Riz<br />

50% 75% 100%<br />

0% 25% 50% 75% 100%<br />

Libéria<br />

Côte d’Ivoire<br />

Ces différences culturelles, institutionnelles et démographiques conduisent à des types de conflits différents au<br />

Libéria et en Côte d’Ivoire. Même si les conflits relatifs à l’accès à la terre sont fréquents dans les deux régions, les<br />

litiges contractuels sont beaucoup plus fréquents en Côte d’Ivoire qu’au Libéria. Une grande majorité des conflits<br />

en Côte d’Ivoire opposent des membres de groupes ethniques différents et reflètent les conflits politiques et nationaux<br />

plus larges qui divisent le pays. En revanche, dans le cas du Libéria, les personnes impliquées dans un conflit<br />

foncier ne considéraient leur conflit comme interethnique que dans la moitié des cas. De même, 31% des litiges<br />

enregistrés au Libéria concernaient des problèmes de cultures de rente contre 54% des conflits en Côte d’Ivoire,<br />

ce qui reflète la valeur commerciale relativement plus élevée des terres en litige de ce côté de la frontière.<br />

Il est important de noter que l’Ouest de la Côte d’Ivoire et le Sud-Est du Libéria partagent aussi des similitudes<br />

importantes. Dans les deux pays, la faiblesse des régimes de gestion foncière se manifeste à la fois par le nombre<br />

élevé d’autorités différentes et d’acteurs impliqués dans la gestion foncière et le règlement des conflits et par<br />

l’absence de documents écrits. En Côte d’Ivoire, 30% des personnes disposent de documents relatifs à leurs terres<br />

en litige. Les documents les plus courants sont les «petits papiers» ou contrats informels conclus entre individus<br />

sous seing privé et aux conséquences juridiques incertaines. Au Libéria, une proportion semblable de personnes<br />

interviewées indique qu’elles disposent de documents pour leurs terres mais la moitié de ces documents sont des<br />

certificats tribaux, sans aucune valeur juridique sous le régime foncier actuel et qui ne sont valables que pendant<br />

90 jours pendant le processus d’acquisition d’un titre de propriété sur la vente d’une terre publique. 22<br />

Comme les personnes ayant des conflits en Côte d’Ivoire, les Libériens interviewés ont dressé une liste de 15 autorités<br />

et structures différentes devant lesquelles ils ont essayé de régler leurs conflits fonciers. La violence associée<br />

aux conflits fonciers est également la même des deux côtés de la frontière. Elle est très élevée, et les personnes<br />

rapportent une moyenne de 3 incidents violents par conflit. 23 En conséquence, alors que le climat de violence<br />

politique rend essentiel le règlement des conflits fonciers pour construire une paix durable en Côte d’Ivoire, notre<br />

étuderévèle que les conflits fonciers, en particulier dans les régions accueillant des réfugiés, sont également un<br />

facteur de risque pour la sécurité au Libéria.<br />

22 La vente et l’acquisition de terrains publics étant bloqués depuis 2010 presque tous les certificats tribaux au Libéria sont nuls, même si la réforme foncière pourrait prendre ces documents en<br />

compte à l’avenir.<br />

23 D’autres recherches sur le conflit au Libéria ont trouvé des niveaux élevés de violence associés aux conflits fonciers quoique dans une moindre mesure.<br />

22 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


Commissaire foncier 1st<br />

Chef du village 1st<br />

Anciens 1st<br />

NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

25% 38% 50%<br />

ONG 1st<br />

0% 13% 25% 38% 50%<br />

'Ivoire<br />

(Refugees and Hosts)<br />

En côte d’Ivoire<br />

Au Libéria<br />

Première autorité contactée pour le règlement du conflit<br />

Cote d'Ivoire<br />

Liberia<br />

Cote d'Ivoire<br />

%<br />

%<br />

32%<br />

12%<br />

14%<br />

12%<br />

9%<br />

8%<br />

6%<br />

4%<br />

2%<br />

6%<br />

32%<br />

12%<br />

48%<br />

47%<br />

48%<br />

Elders<br />

Town Chief<br />

Sub-prefet<br />

NGO<br />

Land Commissioner<br />

Anciens<br />

Chef du village<br />

Commissaire du district<br />

Famille/conseil familial<br />

ONG<br />

Commissaire foncier<br />

Chef communautaire<br />

Anciens<br />

Chef du village<br />

Sous-préfet<br />

ONG<br />

Commissaire foncier<br />

Conflits fonciers et sécurité alimentaire<br />

Souvent, les réfugiés et les personnes déplacées remettent en question les modèles existants d’allocation des<br />

terres et exercent une pression sur les ressources naturelles des communautés d’accueil. Cela a également été<br />

le cas pour les réfugiés Ivoiriens au Libéria. 24 D’après une évaluation de l’Organisation des Nations Unies pour<br />

l’alimentation et l’agriculture (FAO) finalisée en avril 2011, le niveau d’insécurité alimentaire des communautés<br />

Libériennes qui avaient accueilli des réfugiés Ivoiriens avant la crise se situait entre 32,4% à 72,5%. 25 Les premiers<br />

rapports ont montré que les communautés d’accueil Libériennes avaient généreusement soutenu les réfugiés Ivoiriens<br />

au cours des premiers moments de la crise avec le peu de nourriture dont elles disposaient, mais les taux<br />

élevés d’insécurité alimentaire avant la crise ont fait de la pression supplémentaire sur les ressources un facteur de<br />

risque de conflit. 26 Les faibles précipitations et l’intervention de la crise post-électorale pendant la saison de la récolte<br />

2011 se sont traduites par l’incapacité de plusieurs communautés du côté ivoirien de la frontière de produire<br />

suffisamment de nourriture pour se nourrir alors qu’elles sont normalement moins en proie à l’insécurité alimentaire<br />

que leurs voisines du Libéria. Par conséquent, au Libéria et en Côte d’Ivoire, le gouvernement et la communauté<br />

internationale ont été confrontés à la réduction de l’insécurité alimentaire dans un environnement instable de droits<br />

de propriété.<br />

Après avoir initialement fourni des vivres, les agences humanitaires et les acteurs gouvernementaux au Libéria et<br />

en Côte d’Ivoire se sont concentrés sur la fourniture d’intrants agricoles afin que les individus et les communautés<br />

puissent revenir au niveau de production alimentaire préalable à la crise de manière durable. La plupart des interventions<br />

étaient fondées sur l’accès à la terre. Malheureusement, la fragilité des systèmes de propriété au Libéria et<br />

en Côte d’Ivoire y compris le manque de respect des contrats, la prolifération des différentes autorités de gestion<br />

des droits de propriété, et les niveaux élevés d’insécurité sur l’accès aux terres, risquent de miner ces programmes.<br />

Cela est particulièrement vrai lorsque les droits des bénéficiaires sur leurs terres ne sont pas clairs, que ce soit en<br />

raison de conflits ou parce que le système de gestion foncière ne définit pas clairement leur accès, comme c’est<br />

souvent le cas pour les réfugiés et les personnes déplacées.<br />

24 Voir Karen Jacobsen, Expert Working Paper Prepared for the Center for Development Research Study: Migration-Development Links: Evidence and Policy Options, 2002, and Samuel Agblorti New<br />

Issues in Refugee Research, No.203, 2011.<br />

25 Voir Avril 20, 2011.<br />

26 Voir Inter Peace. 2011.<br />

23 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Au Libéria, les réfugiés et les membres des communautés d’accueil expliquent que les réfugiés accèdent à la terre<br />

par le biais du système de « stranger-father » (étranger-père), le même système que les communautés autochtones<br />

utilisent pour incorporer les migrants en Côte d’Ivoire. Semblable au tutorat en Côte d’Ivoire, sur la base de<br />

ce système, les réfugiés accèdent à la terre par le biais d’un membre de la communauté d’accueil, créant un lien<br />

de parenté fictive (« fictive-kinship ») qui les lie à un membre de la communauté d’accueil. 27 Une des différences<br />

importantes entre le « tutorat » en Côte d’Ivoire et le système de « stranger-father » au Libéria est la présence de<br />

cultures de rente. En Côte d’Ivoire, les migrants ont historiquement eu le droit de planter des cultures de rente<br />

tandis qu’au Libéria, l’interdiction est quasiment générale pour les membres des groupes non autochtones comme<br />

signe d’un lien plus pérenne sur les terres. De façon inhabituelle, dans plusieurs cas les réfugiés ont indiqué qu’ils<br />

avaient planté des cultures de rente. Cela suggère que les réfugiés au Libéria ont l’intention d’accéder aux terres<br />

de manière prolongée, avec des implications importantes pour les interventions humanitaires dans la région.<br />

Les conflits entre les réfugiés et les membres des communautés d’accueil fournissent un exemple des défis auxquels<br />

les programmes de sécurité alimentaire sont confrontés. Dans 5 des 8 communautés d’accueil visitées du<br />

côté Libérien, les réfugiés et les membres des communautés d’accueil ont indiqué l’existence de conflits liés à<br />

l’accès aux terres pour les réfugiés. Dans certains cas, les réfugiés se sont plaints que les ONG et les agences de<br />

l’ONU avaient négocié l’accès à la terre en leur nom mais qu’après avoir préparé la terre et semé sur ces terres, les<br />

communautés d’accueil leur en avaient refusé l’accès. Dans un cas, les réfugiés ont rapporté que les membres des<br />

communautés d’accueil les avaient menacés et chassés des terres. Dans un autre cas, les réfugiés ont rapporté<br />

que les communautés d’accueil avaient planté du caoutchouc sur les terres qu’ils avaient préparé pour la production<br />

de denrées de base. Les conflits ne sont pas omniprésents et dans certaines communautés aucun conflit n’a<br />

été signalé. Cependant, dans presque toutes les communautés, les modalités permettant aux réfugiés d’accéder et<br />

d’utiliser la terre ne sont pas transparentes et sont donc potentiellement source de conflits.<br />

Au Libéria en en Côte d’Ivoire plus de la moitié des personnes interrogées impliquées dans des conflits fonciers<br />

ont affirmé qu’elles craignaient de perdre l’accès à leurs terres. Cette peur et la fragmentation du système de<br />

gestion foncière signifie que la question de la terre est une question à prendre en compte pour l’élaboration de<br />

programmes. Si on ne résout pas la question fondamentale de l’accès aux terres sur le long terme, en expliquant<br />

clairement sous quelles conditions, les étrangers, comme les réfugiés, peuvent accéder à la terre, l’impact des programmes<br />

de sécurité alimentaire pourrait être compromis. La crise actuelle en Côte d’Ivoire, qui s’est développée<br />

en partie à cause d’abus du système coutumier, devrait servir de sonnette d’alarme et alerter sur les conséquences<br />

que peut entraîner le fait de se reposer sur des systèmes de gestion foncière qui ne s’appuient pas sur des documents<br />

écrits et qui ne sont pas transparents.<br />

27 Voir Gerald E. Currens Ethnology,11:2 1972 pour une description plus complète du système de parenté fictive au Libéria.<br />

24 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


2010<br />

Réfugiés au Libéria<br />

Personnes interrogées en Côte<br />

d’Ivoire<br />

Communautés d’accueil au Libéria<br />

NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Host Communities in Liberia<br />

Host Communities in Cote d'Ivoire<br />

Avantages 7% cachés d’une main d’œuvre qualifiée<br />

3%<br />

13%<br />

Refugees in Liberia<br />

L’absence de sécurité foncière<br />

38%<br />

représente un défi pour les programmes qui cherchent à améliorer la production<br />

agricole dans la région frontalière. Si des accords transparents d’accès aux terres sont conclus, le déplacement<br />

provoqué par la crise post-électorale pourrait présenter une opportunité pour certaines communautés du côté<br />

Libérien de la frontière. Presque 40% des Libériens interrogés ont affirmé que les réfugiés travaillaient actuellement<br />

55%<br />

sur leurs terres. Presque 50% des membres de la communauté d’accueil ont affirmé qu’ils cultivaient désormais<br />

84%<br />

plus de terres qu’avant la crise.<br />

91%<br />

9%<br />

Less More Same<br />

Less More Same<br />

Évolution des cultures d’une année sur l’autre<br />

Less<br />

More<br />

Culture en 2011 qu’en 2010<br />

Communautés d’accueil au Libéria<br />

Communautés d’accueil au Côte d’Ivoire<br />

Réfugiés au Libéria<br />

7%<br />

38%<br />

3%<br />

13%<br />

9%<br />

55%<br />

84%<br />

91%<br />

Moins Plus Même<br />

Moins Plus Même<br />

Moins<br />

Plus<br />

L’agriculture de rente est moins courante dans le Sud-Est du Libéria que dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Même<br />

s’il y a certaines grandes plantations, le côté Libérien de la frontière dispose de riches ressources en terre en étant<br />

comparativement moins peuplé. Les réfugiés Ivoiriens sont arrivés au Libéria, amenant avec eux leurs connaissances<br />

agricoles et une main d’œuvre supplémentaire. Ces deux éléments pourraient améliorer l’accès à la nourriture<br />

dans le Sud-Est du Libéria chroniquement affecté par l’insécurité alimentaire. Il est vrai que l’arrivée initiale de<br />

réfugiés au Libéria a pesé sur les stocks de vivres et a remis en question les systèmes de gestion foncière. Cependant,<br />

s’il est bien géré cet afflux de main d’œuvre pourrait offrir de nouvelles opportunités aussi bien aux familles<br />

d’accueil qu’aux réfugiés qui ont l’intention de rester dans la région à long terme.<br />

25 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


Table XX: Year over Year Cultivation by Gender<br />

NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Respondents Côte d’Ivoire<br />

in<br />

Host Communities in Liberia<br />

Cote d'Ivoire<br />

Communautés d’accueil au Libéria Hommes Communautés d’accueil au Libéria Femmes Personnes Communautés interrogées en d’accueil Côte d’Ivoire en Côte Hommes d’Ivoire Femmes<br />

ion<br />

100%<br />

Moins de<br />

cultures<br />

en 2011<br />

qu’en<br />

2010<br />

34% 30% 69% 100%<br />

Plus<br />

Situation des hommes et des femmes par<br />

cultures<br />

de<br />

en<br />

qu’en<br />

2011<br />

2010<br />

50% 30% 5% 0%<br />

rapport Même aux conflits fonciers dans la région<br />

culture<br />

en<br />

frontalière qu’en<br />

2011<br />

entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

2010<br />

3% 20% 18% 0%<br />

Notre étude constate que Graphique la différence 5 : Évolution dans des cultures les activités d’une année de sur production l’autre entre les femmes et les hommes ainsi que<br />

l’évolution de la crise post-électorale, se sont traduit par des expériences différentes des conflits fonciers pour les<br />

hommes Même et culture pour en 2011 les qu’en femmes. 2010 Même si beaucoup de personnes en proie à des conflits fonciers cultivaient moins la<br />

terre après la crise post-électorale de 2010, les effets de la crise sur les femmes ont été plus profonds. (Par exemple,<br />

en Côte d’Ivoire 100% des femmes ont indiqué qu’elles cultivaient moins en raison de la crise post-électorale<br />

contre<br />

Plus<br />

69%<br />

de cultures<br />

des<br />

en 2011<br />

hommes).<br />

qu’en 2010<br />

Les femmes et les enfants Ivoiriens constituent la plus grande proportion de réfugiés<br />

initialement arrivés au Libéria, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux conflits fonciers avec les communautés<br />

d’accueil sur l’accès aux terres et la sécurité alimentaire. Dans l’ensemble du Libéria les conflits relatifs à<br />

l’héritage et les autres conflits intrafamiliaux qui impliquent les femmes sont souvent plus difficiles à résoudre de<br />

Moins de cultures en 2011 qu’en 2010<br />

manière durable et se prolongent dans le temps.<br />

0% 25% 50% 75% 100%<br />

Évolution des cultures d’une année sur l’autre<br />

Culture en 2011 qu’en 2010<br />

Communautés d’accueil en Côte d’Ivoire Femmes<br />

Personnes interrogées en Côte d’Ivoire Hommes<br />

Communautés d’accueil au Libéria Femmes<br />

Communautés d’accueil au Libéria Hommes<br />

n<br />

Communautés d’accueil au Libéria | Hommes<br />

Communautés d’accueil au Libéria | Femmes<br />

3%<br />

39%<br />

25%<br />

38%<br />

57%<br />

38%<br />

me<br />

Moins Plus Même<br />

Moins Plus Même<br />

men<br />

Communautés d’accueil en Côte d’Ivoire | Hommes<br />

Communautés d’accueil en Côte d’Ivoire | Femmes<br />

20%<br />

5%<br />

100%<br />

75%<br />

Moins Plus Même<br />

Moins<br />

26 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


Occupied 0% Occupied 29% occupée 29% occupée 0%<br />

Other 0% Other 14% Autres 14% Autres 0%<br />

Political <br />

Regime<br />

0%<br />

Political <br />

Regime<br />

19%<br />

Régime <br />

politique<br />

NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région Problèm frontalière entre le Libéria Problèm et la Côte d’Ivoire<br />

Security <br />

Concerns<br />

63%<br />

Security <br />

Concerns<br />

38%<br />

19%<br />

e s <br />

sécuritai<br />

res 38%<br />

Régime <br />

politique<br />

0%<br />

e s <br />

sécuritai<br />

res 63%<br />

35%<br />

18%<br />

0%<br />

Maison détr<br />

Principales raisons pour rester au Libéria |<br />

Women<br />

Men<br />

Insécurité personnelle<br />

37%<br />

29%<br />

38%<br />

Les hommes et les femmes interrogés ont parlé de l’insécurité comme d’un problème auxquels ils étaient confrontés<br />

en raison de 63% la crise post-électorale et plus particulièrement des conflits fonciers. Les femmes réfugiées<br />

au Libéria étaient plus enclines que les hommes à affirmer que les problèmes de sécurité 14% (plutôt que le régime<br />

politique, par exemple) constituaient la raison pour laquelle elles ne voulaient pas<br />

19%<br />

retourner en Côte d’Ivoire. Les<br />

données recueillies ne permettent pas d’affirmer que la sécurité des femmes est plus menacée mais les entretiens<br />

suggèrent que cette question est plus importante par rapport au retour.<br />

House Destroyed<br />

Security Concerns<br />

Land Occupied Other<br />

Political Regime Security Concerns<br />

Principales raisons pour rester au Libéria<br />

Femmes<br />

Hommes<br />

37%<br />

38%<br />

29%<br />

63%<br />

14%<br />

19%<br />

Maison détruite<br />

Problèmes sécuritaires<br />

Terre occupée<br />

Régime politique<br />

Autres<br />

Problèmes sécuritaires<br />

De la même manière en Côte d’Ivoire, les femmes impliquées dans des conflits fonciers étaient plus enclines que<br />

les hommes à dire qu’elles ne pouvaient pas accéder à leur terre, quelle que soit la nature du conflit. On constate<br />

de manière surprenante qu’en Côte d’Ivoire les femmes indiquent les mêmes niveaux de violence et de menaces<br />

de violence liés à leur conflit foncier que les hommes. Alors qu’au Libéria, les femmes rapportent des niveaux de<br />

violence plus élevés. Plus de la moitié des femmes interrogées au Libéria indiquent une menace violente comme<br />

conséquence de leur conflit foncier et 44% un incident de sorcellerie. Même si le nombre relativement faible de<br />

personnes interrogées dans le cadre de cette étude conduit à considérer ces chiffres avec prudence, ils sont tout<br />

de même extrêmement élevés<br />

27 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Table 5<br />

Dynamique des conflits fonciers en<br />

fonction du genre<br />

Liberia*<br />

Côte d’Ivoire*<br />

Hommes Femmes Hommes Femmes<br />

Année de début du conflit † 2006 2002 2009 2008<br />

Destruction de propriété comme conséquence du conflit 20% 28% 16% 21%<br />

Menaces violentes comme conséquence du conflit 41% 56% 37% 25%<br />

Actes violents comme conséquence du conflit 25% 39% 11% 4%<br />

Violence armée comme conséquence du conflit 13% 28% 16% 4%<br />

Sorcellerie comme conséquence du conflit 24% 44% 8% 8%<br />

Décès comme conséquence du conflit 2% 11% 8% 4%<br />

Nombre d’épisodes violents associés au conflit † 3 2 5 1<br />

* Personnes interrogées, réfugiés et hôtes † Moyenne<br />

Insécurité foncière et dynamique des conflits interethniques<br />

En Côte d’Ivoire et au Libéria, le statut des femmes dans la famille, en particulier leur statut matrimonial, les rend<br />

vulnérables aux conflits fonciers et a diminué leur sécurité foncière pendant la crise post-électorale. Notre étude<br />

confirme qu’il est moins probable que les femmes détiennent des documents pour leurs terres que les hommes<br />

et ce, des deux côtés de la frontière. Nous avons constaté que les femmes qui n’étaient pas mariées, comme les<br />

veuves, sont plus confrontées à des conflits que les femmes mariées. Les veuves peuvent être particulièrement<br />

vulnérables lorsqu’elles sont parties à ces conflits.Surtout en Côte d’Ivoire, il était plus probable qu’elles indiquent<br />

qu’elles avaient peur de perdre leurs terres au cours des entretiens.<br />

L’insécurité foncière relative des femmes affecte également les conflits interethniques décrits dans une des sections<br />

précédentes. Lors des visites des communautés ethniquement diverses et hétérogènes de Côte d’Ivoire, les<br />

jeunes, les enfants et les femmes membres des communautés migrantes étaient confrontés à des problèmes particuliers.<br />

Dans certains cas, cette population passe du temps dans les villages pour vendre et cultiver des cultures<br />

telles que le manioc et les bananes alors que d’autres membres de la famille se consacrent à des cultures de rente<br />

dans des « campements » en dehors des villages. Le travail de terrain suggère que dans certains villages les niveaux<br />

de cohésion sociale entre ces femmes et les autres membres de la communauté sont très bas et qu’elles sont<br />

confrontées à des problèmes spécifiques d’accès aux terres et à d’autres services comme l’éducation et la santé.<br />

La prise en compte des expériences diverses des femmes migrantes est essentielle pour répondre aux besoins de<br />

cette tranche de la population.<br />

28 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


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Section trois<br />

Conclusions<br />

La recherche de solutions durables pour les personnes déplacées, la consolidation de la paix et la stabilité dans<br />

la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire sont des priorités immédiates pour répondre aux problèmes<br />

causés par la crise post-électorale de 2010 en Côte d’Ivoire. Cependant, notre étude montre que les institutions<br />

chargées de la gestion foncière, de l’utilisation et de l’attribution des terres, ainsi que du règlement des conflits<br />

fonctionnent mal ou ne fonctionnent pas du tout. Cela est valable aussi bien pour les institutions de l’État reposant<br />

sur une base juridique écrite que pour les institutions informelles et coutumières au niveau local. Les conflits sur<br />

les droits fonciers et la propriété sont donc courants. Dans un grand nombre de cas, ils ne sont pas réglés et<br />

sont souvent associés à des actes violents. Pour atteindre leurs objectifs, les gouvernements, la société civile et<br />

les acteurs humanitaires et de développement doivent donner la priorité à la gestion foncière et au règlement des<br />

conflits fonciers.<br />

Dans la région frontalière, les conflits fonciers recouvrent ou impliquent souvent des conflits plus larges entre les<br />

groupes ethniques, entre primo occupants et migrants, entre communautés d’accueil, personnes déplacées et<br />

réfugiés, et entre générations. Les membres de tous les groupes ethniques, sociaux et politiques ont profité de<br />

l’instabilité pour s’approprier des terres ou remettre en question des accords formels ou informels. Les femmes, en<br />

particulier, sont confrontées à de nombreuses difficultés pour garantir leur accès à la terre, et au même niveau de<br />

violence que les hommes, quand elles sont impliquées dans des conflits fonciers. En Côte d’Ivoire, la loi de 1998<br />

n’a pas empêché la vente et l’allocation de parcelles en dehors du cadre juridique, ou dans des conditions flexibles<br />

ou peu claires. Les communautés d’accueil au Libéria ont offert un soutien généreux aux réfugiés Ivoiriens et leur<br />

ont accordé l’accès à la terre dans de très nombreux cas. Cependant, l’absence d’un cadre cohérent et transparent<br />

de gestion et d’allocation des terres signifie que ces transactions souffrent des mêmes faiblesses potentielles<br />

que les transactions qui ont cours dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Dans les deux pays, ces pratiques doivent être<br />

ramenées sous contrôle à travers des partenariats responsables entre la société civile et le gouvernement pour que<br />

les terres soient gérées de manière juste, transparente et équitable, pour que les conflits soient évités et que les<br />

parties à ces conflits aient accès à des mécanismes pouvant apporter des solutions.<br />

Les institutions responsables de la gestion foncière et du règlement des conflits fonciers sont les fondements de la<br />

sécurité alimentaire dans l’ensemble de la zone frontalière entre le Libéria et de la Côte d’Ivoire, et pas seulement<br />

dans les régions touchées par le déplacement. Les interventions visant à améliorer la sécurité alimentaire doivent<br />

prendre en compte la gestion foncière et les conflits fonciers pour que le développement agricole n’évolue pas<br />

en conflit. Les villes et villages du Libéria et de la Côte d’Ivoire continueront à être exposés à des mouvements de<br />

population, au développement économique et aux changements écologiques. Soutenir l’existence de droits fonciers<br />

équitables et stables et de moyens de règlement des conflits efficaces pour répondre aux conflits inévitables<br />

entre groupes et individus est une occasion de réussir le passage des interventions humanitaires visant à sauver<br />

des vies aujourd’hui à la stabilité et au développement économique de demain.<br />

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Recommandations<br />

À l’attention du Gouvernement<br />

Libéria<br />

• Mettre en place un processus standard pour documenter et allouer des terres aux réfugiés et aux personnes déplacées<br />

résidant actuellement au Libéria. Ce système devra indiquer de manière claire et transparente les droits<br />

et les obligations des propriétaires et des usagers y compris l’emplacement et les dimensions des parcelles au<br />

degré de précision nécessaire, la durée de l’accord, la contrepartie et les possibilités de modification.<br />

• Régulariser et enregistrer les accords ayant alloué des terres aux réfugiés pour que cette allocation soit conforme<br />

aux mêmes règles de transparence.<br />

• Continuer à promouvoir autant que possible l’utilisation de mécanismes collaboratifs de règlement des conflits<br />

pour les conflits fonciers, y compris ceux qui opposent les réfugiés, les communautés d’accueil et les autres usagers<br />

des terres dans les régions accueillant des populations déplacées.<br />

• Mettre en place un système standard pour documenter les processus de règlement des conflits au niveau local<br />

et favoriser une implication d’autorités et de structures multiples de règlement des conflits cohérente et mutuellement<br />

bénéfique.<br />

• Mettre en place un système de renvoi cohérent et transparent pour que les conflits portés devant les systèmes<br />

locaux de règlement puissent entrer dans le système formel de règlement si nécessaire.<br />

• S’engager dans la question émergeante de l’environnement et de la rareté des ressources comme facteur de<br />

risque de conflit.<br />

Côte d’Ivoire<br />

• Mise en œuvre de la loi foncière de 1998, y compris la clarification des points suivants soit à travers des amendements<br />

soit à travers un processus politique centralisé:<br />

• Définir la notion d’occupation « continue et paisible » pour éviter que les personnes déplacées et réfugiées<br />

soient discriminées parce qu’elles ne peuvent pas prouver leurs droits en raison d’un conflit<br />

• Définir les recours possibles au cas où un constat d’existence « continu et paisible » de droits coutumiers<br />

ne peut pas être établi.<br />

• Définir ce que signifie l’obligation de maintien de l’exploitant non propriétaire lorsque celui-ci est de<br />

bonne foi et définir les critères d’établissement de la bonne foi.<br />

• Clarifier les droits accordés aux personnes possédant des « petits papiers » et autres documents informels<br />

utilisés à l’heure actuelle pour les accords de vente et d’usage des terres mais non reconnus par la loi<br />

28 Plusieurs recommandations concernant la Côte d’Ivoire reprennent ou s’appuient sur des recommandations faites précédemment par le CNRC / IDMC. Pour plus d’informations et une analyse<br />

approfondie, se référer à: Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), A qui sont ces terres ? Conflits fonciers et déplacement des populations dans l’Ouest forestier de la Côte<br />

d’Ivoire, 2009.<br />

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• Clarifier les droits des agriculteurs non Ivoiriens y compris leur droit de propriété sur les habitations<br />

(et le cas échéant le processus d’indemnisation), leur droit à des titres fonciers, et les termes pour<br />

l’établissement de baux à long terme.<br />

• Clarifier le statut des transactions coutumières foncières effectuées depuis l’adoption de la loi de 1998<br />

qui ne sont pas conformes à la loi mais reflètent les pratiques sur le terrain pour l’usage et l’allocation des<br />

terres.<br />

• Mettre en place un mécanisme permettant de transporter les personnes déplacées de leur lieu de résidence<br />

habituel au lieu du processus de certification des terres afin qu’elles puissent accéder à leurs droits en vertu de<br />

la loi foncière de 1998 et garantir que les réfugiés et personnes déplacées sont représentées en cas d’absence.<br />

• Soutenir les processus de règlement collaboratif des conflits fonciers au niveau local, y compris l’utilisation de<br />

ces processus par les autorités coutumières et administratives ainsi que les représentants de tous les groupes<br />

utilisant la terre dans une localité.<br />

• Mettre en place un système de renvoi cohérent et transparent pour que les conflits portés devant les systèmes<br />

locaux de règlement puissent entrer dans le système formel de règlement si nécessaire.<br />

• Diffuser le contenu de la loi foncière de 1998 à travers une campagne générale d’information y compris les clarifications<br />

pour régulariser les pratiques actuelles qui ne sont pas conformes à la loi.<br />

• Déterminer un montant raisonnable et adéquat pour les parties qui soumettent leurs cas aux mécanismes coutumiers<br />

et/ou administratifs de règlement des conflits et effectuer un suivi de l’application de ce montant.<br />

• S’engager dans la question émergeante de l’environnement et de la rareté des ressources comme facteur de<br />

risque de conflit<br />

À l’attention de la société civile<br />

• Promouvoir la mise en œuvre transparente et équitable du cadre juridique de gestion foncière (loi foncière de<br />

1998 en Côte d’Ivoire et loi de réforme foncière au Libéria) à travers la diffusion d’informations sur ces lois et<br />

politiques auprès de la population et des représentants chargés de leur mise en œuvre.<br />

• Effectuer le suivi de la mise en œuvre du cadre juridique de gestion foncière et plaider pour une mise en œuvre<br />

transparente et équitable si nécessaire<br />

• Soutenir l’utilisation de modes alternatifs de règlement des conflits (MARC) lorsque cela est applicable à travers<br />

le transfert de connaissances et le renforcement des capacités<br />

• Plaider pour l’élaboration de programmes (comme les interventions sur la sécurité alimentaire) tenant compte de<br />

la gestion foncière et du règlement des conflits fonciers pour éviter de futurs conflits<br />

• Plaider pour l’élaboration de programmes (comme les interventions sur la sécurité alimentaire) tenant compte de<br />

l’expérience des femmes par rapport aux questions de sécurité personnelle et d’accès aux terres comme conséquence<br />

de la crise post-électorale pour promouvoir un accès équitable aux terres et au droit foncier.<br />

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À l’attention des Nations Unies et des ONG internationales<br />

• Soutenir le gouvernement dans ses efforts de clarification du cadre juridique pour la gestion foncière (loi foncière<br />

de 1998 en Côte d’Ivoire et réforme. foncière au Libéria) et de diffusion de l’information sur ce nouveau cadre<br />

• Soutenir les programmes (comme les interventions sur la sécurité alimentaire) tenant compte de la gestion foncière<br />

et du règlement des conflits pour éviter de futurs conflits.<br />

• Soutenir l’engagement dans la question émergeante de l’environnement et de la rareté des ressources comme<br />

facteur de risque de conflit au Libéria et en Côte d’Ivoire.<br />

À l’attention des bailleurs de fonds<br />

• Soutenir le gouvernement dans la révision du cadre juridique sur la gestion foncière et la vulgarisation de<br />

l’information sur ce nouveau cadre.<br />

• Soutenir le gouvernement et les organisations de la société civile pour réaliser des exercices de profilage et mieux<br />

comprendre les besoins de protection et les intentions des personnes déplacées des deux côtés de la frontière<br />

que ce soit l’intégration locale ou le retour.<br />

• Soutenir le gouvernement et les organisations de la société civile dans la mise en œuvre de programmes tenant<br />

compte de la gestion foncière et du règlement des conflits fonciers pour éviter des conflits futurs et promouvoir la<br />

sécurité alimentaire et le développement à court et à long terme.<br />

• Soutenir la mise en œuvre de programmes par le gouvernement ou par la société civile (comme les interventions<br />

sur la sécurité alimentaire) tenant compte de l’expérience des femmes par rapport aux questions de sécurité personnelle<br />

et d’accès aux terres comme conséquence de la crise post-électorale pour promouvoir l’accès équitable<br />

aux terres et au droit foncier.<br />

32 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


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Annexe A<br />

Recueil de données sur<br />

les conflits fonciers et la<br />

sécurité alimentaire<br />

Conception de l’étude<br />

Les données analysées pour ce rapport ont été recueillies en même temps qu’une mission d’évaluation conjointe<br />

dans les régions frontalières du Libéria et de la Côte d’Ivoire en collaboration avec l’Organisation de l’alimentation<br />

et l’agriculture (FAO), le Conseil danois pour les réfugiés (DRC), le programme alimentaire mondial (WFP) et le<br />

Programme des Nations Unies pour le développement (UNDP) à laquelle le NRC participait. Les programmes du<br />

Conseil norvégien pour les réfugiés au Libéria et en Côte d’Ivoire ont recueilli les données sur les conflits fonciers<br />

et leur relation avec les programmes de sécurité alimentaire pour cette évaluation.<br />

Le but de l’évaluation était de répondre à trois questions clés qui guident la politique sur la sécurité alimentaire et<br />

le règlement des conflits fonciers dans le Sud-Est du Libéria et l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Ces trois questions sont<br />

pertinentes pour l’élaboration de programmes et de politiques au Libéria et en Côte d’Ivoire parce que ces deux<br />

pays partagent une région frontalière touchée par la crise post-électorale Ivoirienne, même si c’est d’une manière<br />

différente.<br />

1.) Comment la crise post-électorale en Côte d’Ivoire modifie-t-elle la propriété foncière, l’utilisation des terres, et<br />

les conflits fonciers dans les zones touchées au Libéria et en Côte d’Ivoire?<br />

2.) Quelle est l’influence de l’existence de conflits fonciers, et de la réussite ou de l’échec des systèmes de règlement<br />

des conflits fonciers, sur les mouvements de population au Libéria et en Côte d’Ivoire?<br />

3). Comment les systèmes fonciers de facto et l’existence de conflits fonciers au Libéria et en Côte d’Ivoire affectet-elle<br />

les efforts des communautés, du gouvernement et de la société civile pour assurer la sécurité alimentaire<br />

en 2012?<br />

Pour répondre à ces questions, le NRC a choisi un cadre d’évaluation comparative qui nous permettait d’explorer<br />

les dynamiques entre les différentes régions et entre le Libéria et la Côte d’Ivoire. Sur la base de ce cadre de<br />

recherche, nous avons sélectionné pour cette évaluation six villages en Côte d’Ivoire et huit villages et camps de<br />

réfugiés au Libéria. Les villages et camps de réfugiés sont les suivants : Oulaïtahibly, Diai, Gouleako II, Koreagui,<br />

Besseréké, Bianitouho II, Yobloken, LittleWeeboTown, camp de réfugiés de LittleWeebo, Yookudi, Wissetoken,<br />

Nyaaken, camp de réfugiés PTP, ManyeaCommunity, DuogeeTown, camp de réfugiés de Duogee, camp de réfugiés<br />

de Solo, TuzonTown, Behwallay, BahnTown et camp de réfugiés de Bahn. Nous avons choisi ces villages sur la<br />

base de consultations avec les parties prenantes locales et de leur localisation géographique. 29 Nous voulions<br />

nous assurer que l’information recueillie dans ces villages permettrait de nous éclairer sur les programmes relatifs<br />

29 Ces parties prenantes incluent: le Conseil Danois pour les Réfugiés, la FAO, le Comité de Secours International, Action Contre le Faim, OCHA, le Comité International de la Croix-Rouge et le HCR.<br />

33 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

aux conflits fonciers et à la sécurité alimentaire suite à la crise post-électorale et que nous couvrions toute la zone<br />

géographique faisant l’objet de l’évaluation, qui comprenait Nimba, Grand Gedeh, River Gee et le Maryland au<br />

Libéria et les régions administratives de Montagnes, Moyen-Cavally et le Bas Sassandra en Côte d’Ivoire (les noms<br />

de ces régions ont changé depuis). 30<br />

Méthodologie<br />

Le NRC a utilisé des méthodes de recueil de données qualitatives et quantitatives. La contribution s’est faite de<br />

manière volontaire et sur la base de protocoles de consentement éclairé. Afin de recueillir des informations au<br />

niveau communautaire pour toutes les localités visitées, l’équipe d’enquête a mené des groupes de discussion avec<br />

les différents groupes concernés par ladite étude (lorsqu’ils étaient présents dans le village). Il s’agissait notamment<br />

des groupes suivants:<br />

Côte d’Ivoire:<br />

Les hommes autochtones<br />

Les femmes autochtones<br />

Migrants internes à la Côte d’Ivoire Hommes<br />

Migrants internes à la Côte d’Ivoire Femmes<br />

Migrants étrangers Hommes<br />

Migrants étrangers Femmes<br />

Libéria:<br />

Habitants de la communauté d’accueil/ hommes autochtones<br />

Habitants de la communauté d’accueil / femmes autochtones<br />

Réfugiés de Côte d’Ivoire Hommes<br />

Réfugiés de Côte d’Ivoire Femmes<br />

Appendix Table 1<br />

Caractéristiques démographiques<br />

Liberia*<br />

Côte d’Ivoire*<br />

Moyenne Observations Moyenne Observations<br />

Femmes 18% 101 38% 63<br />

Age 50 90 45 63<br />

Mariée 64% 99 83% 63<br />

Jamais mariée 8% 99 8% 63<br />

Veuve 28% 99 10% 63<br />

* Personnes interrogées, réfugiés et hôtes<br />

30 Cette région de l’étude est maintenant comprise dans les districts de Montagnes et Bas Sassandra et les régions de Cavally, Tonkpi, Nawa et San Pedro.<br />

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NRC | Conflits fonciers et sécurité alimentaire dans la région frontalière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire<br />

Pour chacun des villages inclus dans l’étude, l’équipe s’est rendue sur place. Elle a effectué une enquête qualitative<br />

sur une journée comprenant une réunion à l’échelle communautaire suivie de rencontres avec des groupes sociaux<br />

spécifiques. La logique de cette stratégie est que les membres des différents groupes peuvent se sentir plus à<br />

l’aise face aux questions soulevées par l’enquête dans le cadre de petites réunions entre personnes du même sexe,<br />

qui désamorcent les tensions potentielles entre les différents groupes sociaux dans les villages. En tout, l’équipe<br />

d’enquête a mené plus de 60 groupes de discussion dans les 14 villages inclus dans l’étude.<br />

Appendix Table 2<br />

État des déplacement et migrations<br />

Liberia<br />

Côte d’Ivoire<br />

Moyenne Observations Moyenne Observations<br />

Membre du groupe autochtone 70% 101 62% 63<br />

Migrant (hors pays) 0% 101 8% 63<br />

Migrant (du pays) 1% 101 30% 63<br />

Réfugié 29% 101 0% 63<br />

Non déplacé – Conflit en cours - - 33% 63<br />

Réfugié rapatrié – Conflit en cours - - 10% 63<br />

Déplacé rapatrié- Conflit en cours - - 57% 63<br />

Pour la partie relative au recueil de données quantitatives, l’équipe d’enquête a encouragé toute personne récemment<br />

ou actuellement impliquée dans un conflit foncier à solliciter un entretien en tête-à-tête avec les membres de<br />

l’équipe. Au cours de cet entretien individuel, l’enquêteur a recueilli des données quantitatives sur le conflit foncier.<br />

Dans tous les cas, des efforts ont été déployés pour recueillir des informations de la part des deux parties en conflit.<br />

Cependant, étant donné la période limitée de collecte des données, cela n’a dans l’ensemble pas été possible. Au<br />

total, 164 personnes ont fourni des informations sur leurs conflits fonciers pour ce projet.<br />

Recueil de données<br />

Le recueil de données a été effectué en février et mars 2012<br />

35 | NRC <strong>RAPPORT</strong>


Pour les droits de reproduction ou de traduction<br />

contacter:<br />

Norwegian Refugee Council<br />

PO Box 6758 St. Olavsplass<br />

0130 Oslo<br />

Tel: + (47) 23 10 98 00<br />

Fax: + (47) 23 10 98 01<br />

Email: nrc@nrc.no<br />

www.nrc.no<br />

Auteur: Alexandra Hartman | Traducteur: Laurence Cuny<br />

Photo: Fleuve Cavalla, région frontalière Liberia - Côte d’Ivoire. Alexandra Hartman<br />

ISBN 978-82-7411-230-8<br />

© Norwegian Refugee Council | 2012

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