Intervention de Christiane Stutzmann - cercle lyrique de metz
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<strong>Intervention</strong> <strong>de</strong> <strong>Christiane</strong> <strong>Stutzmann</strong><br />
Table ron<strong>de</strong> sur la célèbre « Querelle <strong>de</strong>s Bouffons »<br />
28 mars 2012 - Musée-Aquarium <strong>de</strong> Nancy<br />
La Querelle <strong>de</strong>s Bouffons, c'est le choc <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux esthétiques <strong>de</strong> la musique. Et sur le<br />
plan <strong>de</strong>s idées, c'est l'affrontement du classicisme, encore incarné par Rameau, et<br />
du romantisme dont Rousseau peut être considéré comme le précurseur. (D’après<br />
Hélène Laberge Une querelle sur l'harmonie et la mélodie, entre la France et l'Italie)<br />
Pour moi, ce n’est pas tant la question <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Pergolèse qui a déclenché<br />
cette bataille musicale, mais la conséquence inévitable <strong>de</strong> la marginalisation du style<br />
français, arrivé dans une impasse à partir du moment où inévitablement on finirait<br />
par le comparer à la musique italienne qui régnait partout en Europe.<br />
La querelle éclate le 1 er août 1752, lorsqu'une troupe itinérante italienne, celle<br />
d'Eustacchio Bambini, s'installe à l'Académie royale <strong>de</strong> musique (le futur Opéra) pour<br />
y donner <strong>de</strong>s représentations d'intermezzi et d'opéras bouffes. Ils débutent avec la<br />
représentation <strong>de</strong> La serva padrona <strong>de</strong> Pergolèse. La même œuvre avait déjà été<br />
donnée à Paris en 1746, mais sans attirer l'attention le moins du mon<strong>de</strong>. C'est le fait<br />
même <strong>de</strong> l'avoir présentée à l'Académie royale qui crée le scandale. L'Académie<br />
royale n'a pas la plasticité <strong>de</strong> la Comédie-Française où l'on peut sans problème<br />
alterner <strong>de</strong>s tragédies avec les comédies ou les farces <strong>de</strong> Molière. Le comique à<br />
l'Académie royale <strong>de</strong> musique a toujours été assez limité.<br />
Au XVIII e siècle, l'opéra italien a fortement évolué, plus rapi<strong>de</strong>ment que la tragédie<br />
<strong>lyrique</strong> ou tragédie en musique (typiquement française) jusqu'à se scin<strong>de</strong>r en <strong>de</strong>ux<br />
genres, l' opera seria (avec <strong>de</strong>s thèmes sérieux sur <strong>de</strong>s livrets d'Apostolo Zeno et <strong>de</strong><br />
Metastase) et l' opera buffa ou opéra-comique (buffo = qui prête à rire, grotesque) qui<br />
introduit au théâtre <strong>de</strong>s intermè<strong>de</strong>s comiques empreints <strong>de</strong> légèreté, <strong>de</strong> naïveté, <strong>de</strong><br />
simplicité, d'irrationnel et <strong>de</strong> la trivialité du quotidien. En revanche l'opéra bouffe ne<br />
se contente pas <strong>de</strong> parodier le genre sérieux, mais il produit un type <strong>de</strong> comique<br />
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original, plus populaire, assez proche <strong>de</strong> la farce et <strong>de</strong> la comédie <strong>de</strong> masque. Le<br />
succès inattendu <strong>de</strong> ces « bouffons » va diviser l'intelligentsia musicale parisienne en<br />
<strong>de</strong>ux clans. Entre partisans <strong>de</strong> la tragédie <strong>lyrique</strong>, royale représentante du style<br />
français, et sympathisants <strong>de</strong> l'opéra-bouffe, truculent défenseur <strong>de</strong> la musique<br />
italienne, va naître une véritable querelle pamphlétaire qui animera les <strong>cercle</strong>s<br />
musicaux <strong>de</strong> la capitale française jusqu'en 1754.<br />
Voici un extrait <strong>de</strong> la Lettre sur la musique française <strong>de</strong> Jean-Jacques Rousseau.<br />
Dans ce même texte, il fait l'apologie <strong>de</strong>s qualités musicales <strong>de</strong> l'italien et accable<br />
très sévèrement le français :<br />
« Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique française,<br />
parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un<br />
aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l'harmonie en<br />
est brute, sans expression et sentant uniquement son remplissage d'écolier ; que les<br />
airs français ne sont point <strong>de</strong>s airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif.<br />
D'où je conclus que les Français n'ont point <strong>de</strong> musique et n'en peuvent avoir ; ou<br />
que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »<br />
Alors que partout en Europe, l'opéra seria consacre le triomphe <strong>de</strong>s castrats, la<br />
France choisit la voix <strong>de</strong> ténor pour incarner le héros <strong>de</strong> ses tragédies en musique.<br />
Vers 1645, invités par Mazarin avec d'autres chanteurs italiens, quelques castrats se<br />
sont produits à Paris dans <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> Marazolli, Strozzi (La Finta Pazza),<br />
Rossi (L'Orfeo) et Cavalli (Egisto, Xerse, Ercole amante etc.) Mais, à la mort <strong>de</strong><br />
Mazarin, les chanteurs italiens sont congédiés en 1661. Le belcanto n'aura pas sa<br />
place dans la tragédie en musique, conçue par Louis XIV et Lully comme un art<br />
français. Les castrats n'apparaîtront jamais plus sur les scènes d'opéra. Quant à la<br />
Tragédie en musique : l'expression est transparente, elle ancre l'Opéra français dans<br />
le théâtre, qui connaît alors son apogée. Il est impossible <strong>de</strong> comprendre l'esthétique<br />
française sans tenir compte <strong>de</strong> cette dimension fondamentale.<br />
La France entend rivaliser avec l'opéra italien en offrant au mon<strong>de</strong> un véritable<br />
théâtre musical dans lequel la musique et le chant sont au service du texte : les<br />
interprètes <strong>de</strong>s premières tragédies <strong>de</strong> Lully travaillent la déclamation <strong>lyrique</strong>, mais<br />
ne sont pas entraînés par <strong>de</strong>s professeurs <strong>de</strong> chant. Celui-ci est considéré comme<br />
une variante <strong>de</strong> la parole et les <strong>de</strong>ux formes d'expression sont envisagées sous<br />
l'angle <strong>de</strong> la déclamation. Les ouvrages <strong>de</strong>stinés aux chanteurs traitent<br />
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essentiellement <strong>de</strong> règles rhétoriques, visent la perfection <strong>de</strong> l'intonation et modèlent<br />
la vitesse <strong>de</strong> la déclamation sur le débit <strong>de</strong> la déclamation théâtrale. En fait, les arts<br />
du chant sont plutôt <strong>de</strong>s traités <strong>de</strong> diction que <strong>de</strong>s manuels <strong>de</strong> technique vocale.<br />
La langue est précisément le premier obstacle que pose l'interprétation du répertoire<br />
français. Au XVII e siècle, les diphtongues et <strong>de</strong> nombreuses consonnes implosives et<br />
finales disparaissent et l'articulation revêt un caractère <strong>de</strong> plus en plus antérieur, la<br />
transition <strong>de</strong> consonne à voyelle est nette, sans diffusion entre les sons. C'est<br />
l'apparition du mo<strong>de</strong> tendu, croissant et antérieur, caractéristique du français et qui<br />
se prête difficilement au chant. Au fur et à mesure que la voix s'élève dans l'aigu et<br />
gagne en puissance, le chant menace la compréhension du texte, notamment <strong>de</strong>s<br />
voyelles nasales. Ce n'est pas un hasard si la tessiture <strong>de</strong>s rôles écrits à l'âge<br />
classique est généralement réduite, plus proche <strong>de</strong> la voix parlée<br />
Il est difficile <strong>de</strong> ne pas songer à l'urlo francese, le chant français, ou urlo alla<br />
francese tel qu'on le brocardait en Europe ; habitués aux suavités du chant italien,<br />
les étrangers sont horrifiés par les cris <strong>de</strong>s chanteurs français. " Chanter, terme<br />
honteusement profané en France, écrivait Grimm, et appliqué à une façon <strong>de</strong><br />
pousser avec effort les sons hors du gosier qu’on appelle chez nous crier. " (Lettre<br />
sur Omphale). Dans sa Lullia<strong>de</strong>, Calzabigi explique que « celui qui hurle le plus,<br />
l'emporte : ainsi en est-il <strong>de</strong> l'opéra en France. Les raisons pour lesquelles ces<br />
critiques sur le chant français revenaient chez tous les observateurs étrangers,<br />
étaient dues à plusieurs éléments. D’une part, en raison <strong>de</strong>s exigences qui<br />
relevaient <strong>de</strong> la nouvelle Académie fondée par Richelieu en 1635, dont la <strong>de</strong>vise était<br />
<strong>de</strong> « porter la langue française à l’immortalité ». On garantira donc la tradition <strong>de</strong> la<br />
langue française parlée, comme étant la base qui sert au chant. Ce qui signifie que la<br />
diction théâtrale en France, ancre l’opéra français dans le théâtre parlé.<br />
La France entend rivaliser avec l'opéra italien, en offrant au mon<strong>de</strong> un véritable<br />
théâtre musical, grâce à la Tragédie en musique du tan<strong>de</strong>m Molière-Lulli, qui<br />
s’appellera Tragédie Lyrique, dans laquelle la musique et le chant sont au service du<br />
texte, ce qui doit en assurer la supériorité. Cependant, sous l'influence <strong>de</strong> l'opéra<br />
italien, Rameau, quant à lui, écrira pour <strong>de</strong>s voix plus longues, plus puissantes,<br />
souples et brillantes.<br />
Les encyclopédistes et une partie <strong>de</strong>s mélomanes trouvèrent incarnée dans ’Opéra<br />
italien leur conception <strong>de</strong> la musique : la simplicité, le naturel, le pittoresque, la<br />
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légèreté. Ils furent séduits par les rythmes enjoués et la mélodie très ornée <strong>de</strong> la<br />
musique italienne. La musique <strong>de</strong> Rameau, par opposition, leur sembla «logique,<br />
volontaire, intellectuelle». Cependant à travers l'enjeu <strong>de</strong> domination culturelle se<br />
joue surtout la confrontation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux esthétiques. Dans la quarantaine <strong>de</strong> pamphlets<br />
qui émaillent la pério<strong>de</strong>, le contraste est récurrent entre une langue italienne toute<br />
musicale et un opéra italien qui privilégie le chant face à une langue française plus<br />
consonantique, plus articulée et un genre français plus soucieux du texte. De plus,<br />
pour le parti « français », le rire provoqué par l'opéra- comique est considéré comme<br />
nocif parce qu'il fait perdre la maîtrise <strong>de</strong> soi et est contraire à la raison alors que le<br />
parti « italien » en appelle à l'emportement et à l'émotion.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, il apparaît que cette polémique, qui, après <strong>de</strong>s débuts courtois, va<br />
s'envenimer quelque peu, et s'éteindra au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, aura constitué un grand<br />
moment d'ouverture <strong>de</strong> la musique française à <strong>de</strong>s valeurs esthétiques nouvelles. La<br />
forme française, sans renoncer à elle-même, va s'ouvrir à <strong>de</strong>s influences et<br />
renouveler le genre. À la Comédie-Italienne et au théâtre <strong>de</strong> la Foire en particulier, va<br />
se mettre en place un nouveau système d'opéra qui réutilise ce qui a été l'objet <strong>de</strong> la<br />
querelle : naturel et simplicité face à la richesse harmonique <strong>de</strong> la tragédie en<br />
musique.<br />
En tant que cantatrice spécialisée dans le répertoire italien ayant cependant chanté<br />
le répertoire français, j’ai toujours constaté les difficultés que notre langue impose,<br />
mais surtout la gran<strong>de</strong> différence <strong>de</strong> brillant qui ne contribue pas aisément à mettre la<br />
voix en valeur. Je me situe donc dans le camp <strong>de</strong> Rousseau car s’il est vrai que notre<br />
langue est belle, il est bien certain que cette Tragédie en musique <strong>de</strong> Lully <strong>de</strong>venue<br />
Tragédie <strong>lyrique</strong> avec J.P.Rameau, imposant aux chanteurs une déclamation très<br />
exagérée dans un style plus proche du théâtre parlé que <strong>de</strong> l’Opéra, était arrivée à<br />
son terme. Les compositeurs français du XIXe siècle ont tiré les leçons <strong>de</strong> cette<br />
expérience, et l’Opéra français a pu enfin rivaliser avec l’Opéra italien.<br />
<strong>Christiane</strong> <strong>Stutzmann</strong><br />
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