CEAS_lejournal_47 - CEA Saclay
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Plateforme d'interaction<br />
laser-matière de <strong>Saclay</strong>.<br />
© P. STOPPA / <strong>CEA</strong>
édito<br />
Le laser a cinquante ans. À l’origine,<br />
c’était une simple curiosité de laboratoire,<br />
dont nul n’imaginait la brillante carrière qui<br />
serait la sienne. Qui aurait pensé que cette<br />
nouvelle lumière s’introduirait dans notre<br />
quotidien et révolutionnerait les<br />
communications au point de nous faire entrer<br />
dans une ère nouvelle ?<br />
Le dossier du journal vous permettra de vous<br />
familiariser avec le laser, cet objet faussement<br />
simple, qui appartient au monde étrange de<br />
la mécanique quantique. C’est à la fois un outil<br />
à usages multiples, qui s’est imposé dans<br />
quantité de secteurs techniques et industriels,<br />
et un outil<br />
extraordinaire<br />
UN OUTIL<br />
EXTRAORDINAIRE<br />
D’EXPLORATION DE “LA MATIÈRE<br />
”<br />
d’exploration de<br />
la matière. Dans<br />
ce domaine, le<br />
Plateau de <strong>Saclay</strong><br />
possède un<br />
potentiel de<br />
niveau mondial.<br />
Ce numéro du journal permettra d’aborder<br />
un sujet sensible : certains examens<br />
médicaux, les scintigraphies, utilisent un<br />
élément radioactif produit dans un petit<br />
nombre de réacteurs nucléaires de recherche<br />
qui, les uns après les autres, ont connu des<br />
défaillances, mettant en péril la production<br />
mondiale. Le réacteur du centre <strong>CEA</strong> de<br />
<strong>Saclay</strong>, Osiris, a adapté son programme de<br />
travail pour apporter une réponse à cette<br />
demande.<br />
Enfin, le parcours scientifique exemplaire<br />
d’un grand chercheur de <strong>Saclay</strong> aujourd’hui<br />
disparu, Étienne Roth, permet de comprendre<br />
comment les missions originales du <strong>CEA</strong> ont<br />
irrigué de nombreuses disciplines, contribuant<br />
à son rayonnement bien au-delà du nucléaire.<br />
Yves Caristan,<br />
Directeur du centre <strong>CEA</strong><br />
de <strong>Saclay</strong><br />
6 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
Un laser excite les atomes de<br />
sodium des hautes couches de<br />
l'atmosphère qui émettent à leur<br />
tour une lumière. Cette « étoile<br />
artificielle » peut être exploitée<br />
pour affranchir les télescopes<br />
terrestres des perturbations<br />
apportées par l'atmosphère.<br />
<strong>Saclay</strong>, terre<br />
<strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser DOSSIER<br />
laser<br />
pionnière du<br />
En 50 ans, le laser s’est imposé dans des domaines<br />
d’une infinie variété. Il constitue un outil de recherches<br />
fondamentales et d’avancées technologiques d’une grande<br />
richesse. Zoom sur le laser au centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>.<br />
© CNRS PHOTOTHÈQUE / CLAUDE DELHAYE<br />
L<br />
e laser, ou plutôt le processus physique<br />
qui le fonde, est resté plus de quarante<br />
ans à l'état de concept dans les écrits<br />
d'Einstein, avant de prendre corps<br />
grâce notamment aux progrès technologiques<br />
accomplis dans le domaine des radars au cours<br />
de la deuxième guerre mondiale et aux travaux<br />
de physique atomique du Français Alfred<br />
Kastler. Deux ans après le « maser », sorte de<br />
laser à micro-ondes, Charles Townes, Arthur<br />
Schawlow et Theodore Maiman, pour ne citer<br />
qu'eux, inventent le laser en 1960. Avec lui, la<br />
lumière se métamorphose. Elle devient un<br />
« faisceau » directionnel, d’une seule couleur,<br />
très pure. Au départ simple curiosité, le laser<br />
trouve assez vite des applications variées : analyse<br />
chimique, mesure de vitesse, etc. Le laser,<br />
à émission continue ou à impulsions, devient un<br />
univers en soi, avec des architectures et des<br />
matériaux diversifiés. Une course à la puissance<br />
et aux courtes durées d'impulsions s'engage<br />
au fil du temps pour ouvrir toujours plus<br />
les champs d’utilisation des lasers. Le <strong>CEA</strong>, et<br />
en particulier le centre de <strong>Saclay</strong>, participe à ces<br />
travaux depuis les années 1960.<br />
Cinquante ans plus tard, le laser est omniprésent<br />
dans notre univers quotidien : il lit les<br />
DVD et les codes barres des marchandises,<br />
transporte des informations dans des fibres<br />
optiques, soigne des pathologies variées, perce,<br />
découpe ou soude des pièces industrielles, etc.<br />
Il a révolutionné les recherches en optique,<br />
notamment en optique quantique et en optique<br />
atomique, et plus largement, dans la physique<br />
des interactions entre lumière et matière.<br />
Aujourd'hui, le projet phare du <strong>CEA</strong> en matière<br />
de laser est incontestablement le Laser Mégajoule,<br />
au Cesta 1 , près de Bordeaux. Destiné à<br />
simuler le fonctionnement d’une arme<br />
nucléaire après l’arrêt des essais nucléaires<br />
français, il permettra aussi de progresser dans<br />
la compréhension de la physique des hautes<br />
énergies.<br />
Plateau de <strong>Saclay</strong> : une spécialité<br />
d’impulsions ultra-courtes<br />
Sur le centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>, les lasers sont au<br />
cœur de développements technologiques pour<br />
l’analyse chimique, le nettoyage de surfaces,<br />
le perçage ou la production de nanopoudres.<br />
Une variété particulière de lasers, dits à impulsions<br />
ultra-courtes, constitue un outil de choix<br />
pour sonder la matière. Les physiciens et chimistes<br />
de l’IRAMIS 2 disposent pour ces recherches<br />
fondamentales d’un parc de lasers, qui est<br />
également ouvert aux chercheurs européens.<br />
De façon plus générale, une communauté scientifique<br />
assez importante s’est développée sur le<br />
Plateau de <strong>Saclay</strong> avec, notamment, l’Institut<br />
d’optique, le Laboratoire d’optique appliquée 3<br />
(LOA), le Laboratoire d’optique et biosciences 4<br />
(LOB) et le Laboratoire pour l’utilisation des<br />
lasers intenses 5 (LULI).<br />
1/ Centre d’études scientifiques et techniques<br />
d’Aquitaine. 2/ Institut rayonnement et matière de<br />
<strong>Saclay</strong>. 3/ Unité mixte ENSTA ParisTech, CNRS, École<br />
polytechnique. 4/ Unité mixte CNRS, INSERM, École<br />
polytechnique. 5/ Unité mixte CNRS, École<br />
polytechnique, <strong>CEA</strong>, Université Paris 6.<br />
> Pour comprendre les principales propriétés<br />
du laser, rendez-vous page 5<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL<br />
3
DOSSIER <strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser<br />
Lasers à tout faire<br />
1<br />
© P. STROPPA / <strong>CEA</strong><br />
Des équipes du centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong> développent des<br />
techniques utilisant des lasers, pour des usages industriels ou<br />
scientifiques variés : décapage, découpe, analyse...<br />
L<br />
e laser est capable d’échauffer la matière<br />
au point de la vaporiser. Il peut être acheminé<br />
vers une destination précise dans<br />
des fibres optiques et focalisé sur la surface<br />
voulue. En ajustant la couleur, la durée, la fréquence<br />
des flashes (pour les lasers impulsionnels)<br />
et la puissance délivrée, on peut régler<br />
les conditions optimales pour un effet particulier.<br />
Il est ensuite facile de reproduire cet effet<br />
à volonté.<br />
Découpe et décapage<br />
Ces particularités font du laser un outil intéressant<br />
pour le décapage ou la découpe, sur les<br />
chantiers de démantèlement des installations<br />
nucléaires par exemple. Enlever une couche<br />
superficielle 1 d’un matériau à raison d’un mètre<br />
carré par heure, c’est la performance affichée<br />
par le dispositif Aspilaser mis au point par des<br />
ingénieurs de la Direction de l’énergie<br />
nucléaire 2 . Il est bien adapté à la décontamination<br />
de peintures murales avec ses commandes<br />
à distance et son système de récupération des<br />
matières vaporisées. Il a été testé avec succès<br />
dans plusieurs installations du <strong>CEA</strong>, à <strong>Saclay</strong><br />
et à Cadarache. Aspilaser a également été mis<br />
en œuvre, en collaboration avec le Laboratoire<br />
de recherche des monuments historiques, sur<br />
la cathédrale de Saint-Denis : il s’agissait<br />
notamment d’élucider l’origine du jaunissement<br />
observé à la suite de traitements laser<br />
pratiqués sans récupération des aérosols produits<br />
par le décapage.<br />
Le feu sous l’eau<br />
La découpe par laser est un autre axe de développement<br />
pour le démantèlement. Le travail<br />
effectué au <strong>CEA</strong> 3 consiste à adapter le procédé<br />
aux contraintes particulières de ces chantiers,<br />
grâce à un moyen d'essais en grandeur réelle.<br />
Celui-ci fonctionne dans l’air ou sous cinq<br />
mètres d'eau. Il est en effet intéressant de pouvoir<br />
découper sous eau des objets radioactifs<br />
stockés en piscine avant de les transférer dans<br />
1/ La plateforme PLANI propose<br />
une large palette de développements<br />
utilisant des lasers à impulsions<br />
nanoseconde (10 -9 s), dont le<br />
micro-usinage (www-plani.cea.fr).<br />
2/ La technique laser mise au point à<br />
<strong>Saclay</strong> permet de décaper des surfaces.<br />
Elle peut être mise en œuvre dans un<br />
chantier de démantèlement pour ôter la<br />
peinture sur des murs potentiellement<br />
contaminés.<br />
4 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
<strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser DOSSIER<br />
REPÈRES SUR LE LASER<br />
Qu’est-ce que le laser ?<br />
Le laser est une lumière dont tous les photons<br />
sont identiques. Les photons d'un laser sont<br />
disciplinés comme des soldats à la parade :<br />
ils ont la même couleur (ou énergie), se<br />
déplacent tous dans la même direction et<br />
marchent au pas !<br />
La lumière, des photons de moyenne<br />
énergie<br />
Les ondes radio ou les rayons X en radiologie<br />
sont de la même nature que la lumière du soleil.<br />
Toutes ces ondes ne diffèrent que par leur<br />
« longueur d’onde » ou, de façon équivalente, par<br />
l’énergie des photons (quanta de lumière) qui la<br />
composent. Les photons de la lumière rouge sont<br />
moins énergétiques que ceux de la lumière<br />
violette. De même, les photons des ondes radio<br />
sont beaucoup moins énergétiques que ceux de<br />
la lumière visible alors que ceux des rayons X le<br />
sont beaucoup plus.<br />
Le laser est un amplificateur<br />
de lumière<br />
Comme son nom l’indique (Light Amplification<br />
by Stimulated Emission of Radiation), le laser<br />
est une source basée sur l’amplification de la<br />
lumière. Ce sont les atomes qui émettent la<br />
lumière laser suivant le processus suivant : dans<br />
des conditions particulières, un atome éclairé<br />
par un photon émet un autre photon, copie<br />
conforme du premier. Ce processus, qui<br />
s'appelle l'émission stimulée, est en soi un<br />
mécanisme amplificateur. Habituellement, il est<br />
masqué par un autre processus beaucoup plus<br />
banal : l’émission spontanée. Un atome excité<br />
émet le plus souvent un photon dans une<br />
direction quelconque.<br />
Pour obtenir un effet laser, il faut que les<br />
photons engendrés par émission stimulée soient<br />
largement majoritaires. Pour cela, il faut<br />
préparer le plus possible d’atomes dans l’état<br />
d’énergie le plus favorable à l'émission stimulée,<br />
à l'aide de flashes lumineux ou de décharges<br />
électriques. Il faut également « recycler » au<br />
maximum les photons stimulateurs. C'est<br />
pourquoi un laser comporte toujours un<br />
dispositif optique qui fait parcourir aux photons<br />
de nombreux allers et retours dans le milieu<br />
atomique émetteur... avant d'en laisser<br />
échapper quelques-uns, ceux-là mêmes qui<br />
vont constituer le faisceau laser.<br />
Un spectre de raies<br />
La lumière émise par un atome est complexe.<br />
Si on l'analyse avec un prisme, on observe une<br />
ou plusieurs raies, qui constituent son spectre,<br />
ou encore sa décomposition en énergie.<br />
La lumière absorbée par le même atome a un<br />
spectre en tous points semblable, mais en<br />
creux. Le spectre d'un laser, quant à lui, peut<br />
être plus étroit que les raies d'émission ou<br />
d'absorption atomiques. Le système optique qui<br />
démultiplie le parcours des photons dans le<br />
milieu amplificateur a pour effet d’affiner<br />
la largeur spectrale du laser.<br />
des conditionnements de dimension standard.<br />
Par ailleurs, la tête de découpe travaille à 120<br />
mètres de la source laser, qui peut être déportée<br />
en dehors de la zone exposée. Non seulement<br />
le procédé offre l'avantage d'être<br />
opérationnel dans l'eau mais il produit également<br />
moins d’aérosols que le procédé de référence<br />
(plasma). Le procédé laser est retenu<br />
pour le démantèlement de l'usine d'extraction<br />
du plutonium UP1 de Marcoule et pourrait<br />
2<br />
l’être aussi pour le futur chantier du réacteur<br />
nucléaire Phénix, à Marcoule également.<br />
Chauffer jusqu'à produire<br />
un plasma<br />
Chauffer un matériau à l'aide d'un laser au point<br />
de créer un minuscule plasma 4 , tel est le principe<br />
d'une technique d'analyse chimique baptisée<br />
LIBS 5 , qui figure parmi les toutes premières<br />
applications des lasers (dès 1962). Les ions du<br />
plasma émettent chacun un signal lumineux<br />
caractéristique. La détection de ce signal permet<br />
de doser chaque élément présent avec une<br />
excellente sensibilité. Le champ d'application de<br />
la LIBS est très large. On peut citer l'analyse des<br />
roches martiennes sur le robot de la mission<br />
Mars Science Laboratory de la NASA, dont le<br />
lancement devrait avoir lieu en 2011. Des ingénieurs<br />
de <strong>Saclay</strong> 2 ont participé à la conception<br />
de cet instrument qui sera commandé sur Mars<br />
depuis la Terre. Dans un tout autre domaine,<br />
une application de la LIBS, en cours de développement,<br />
vise à doser le phosphore dans les protéines<br />
fixées sur une puce à protéines 6 . Il s'agit<br />
d'un indicateur précieux de l'état de dégradation<br />
des molécules, qui pourrait être à terme<br />
exploité pour la recherche clinique en cancérologie<br />
ou pour étudier les modifications des<br />
protéines liées à l’environnement.<br />
© P. STROPPA / <strong>CEA</strong><br />
1/ D’un dixième de millimètre d’épaisseur.<br />
2/ Au Département de physico-chimie.<br />
3/ Au Département de modélisation des systèmes et<br />
structures, de la Direction de l'énergie nucléaire.<br />
4/ Un plasma est un état particulier de la matière,<br />
constitué d'ions (atomes privés d'un ou plusieurs<br />
électrons) et d'électrons.<br />
5/ Laser Induced Breakdown Spectroscopy.<br />
6/ Une puce à protéines permet d’identifier les protéines<br />
présentes dans un liquide à analyser, à l’aide d’anticorps<br />
sélectifs fixés au préalable sur la puce.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL 5
DOSSIER <strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser<br />
3<br />
3/ La découpe laser produit moins d’aérosols<br />
que les procédés concurrents.<br />
4/ La synthèse de poudres nanométriques par<br />
pyrolyse laser repose sur l’interaction entre le<br />
faisceau laser infrarouge d’un laser à dioxyde<br />
de carbone et un flux de réactifs gazeux ou<br />
liquides.<br />
5/ Poste de commande d’essais de découpe<br />
laser, en vue de la qualification du procédé<br />
pour le démantèlement d’une installation<br />
nucléaire du centre <strong>CEA</strong> de Marcoule.<br />
6/ Robot de découpe laser téléopéré.<br />
ment. Le procédé laser permet de fabriquer une<br />
nanopoudre ultra-légère qui doit ensuite être<br />
compactée. Le produit final peut être homogène<br />
ou composite, c’est-à-dire constitué de<br />
fibres céramiques tissées, noyées dans une<br />
matrice de même nature. Il reste à vérifier que<br />
les matériaux tiendront leurs promesses en<br />
matière de résistance mécanique et de tenue<br />
aux rayonnements.<br />
« La découpe laser peut être opérée<br />
à distance, sous l’eau, avec une<br />
moindre émission d’aérosols que<br />
les procédés concurrents. »<br />
© A. GONIN / <strong>CEA</strong><br />
4<br />
© P. STROPPA / <strong>CEA</strong><br />
Chauffage laser pour réactions<br />
chimiques<br />
L’échauffement par laser peut aussi être mis à<br />
profit pour déclencher des réactions chimiques<br />
et produire des nanostructures 7 de compositions<br />
et de dimensions contrôlées : c’est la<br />
pyrolyse laser. Tandis que des chercheurs de<br />
l’IRAMIS optimisent des poudres capables de<br />
neutraliser des polluants organiques dans l’environnement,<br />
ou des cristaux biocompatibles<br />
utilisables comme marqueurs photo-luminescents,<br />
une équipe de la Direction de l’énergie<br />
nucléaire 8 s’est spécialisée dans les céramiques<br />
à base de carbure de silicium (SiC). Ces<br />
matériaux sont pressentis pour les réacteurs<br />
nucléaires de future génération dont le cœur<br />
fonctionnera à plus haute température et à un<br />
niveau d’irradiation plus élevé qu’actuelle-<br />
Laser et spectroscopie<br />
La finesse spectrale du laser peut également<br />
être exploitée pour sonder des propriétés atomiques<br />
et moléculaires comme l’absorption. En<br />
balayant la fréquence du laser autour de<br />
valeurs répertoriées dans des atlas de raies et<br />
en enregistrant la lumière transmise par le<br />
milieu, il est possible de dessiner un spectre<br />
d’absorption et d’en déduire la concentration<br />
d’un élément particulier. Les diodes laser commercialisées<br />
pour les télécommunications se<br />
prêtent particulièrement bien à la détection de<br />
traces gazeuses. Cette technique est à l’étude<br />
à <strong>Saclay</strong> 2 à la fois pour des tests de fuite d’équipements<br />
sous vide dans des installations de<br />
fusion nucléaire comme Iter 9 , le contrôle de<br />
l’étanchéité de colis de déchets radioactifs<br />
avant stockage, ou la détection de relâchements<br />
gazeux pour la sûreté des réacteurs<br />
nucléaires du futur.<br />
Trier les atomes un à un<br />
Une autre manière d’utiliser la pureté spectrale<br />
du laser consiste à bombarder des atomes<br />
avec trois ou quatre faisceaux laser, réglés à<br />
des énergies (ou couleurs) bien précises, pour<br />
arracher sélectivement un électron à certains<br />
atomes : on parle alors de photo-ionisation.<br />
Les atomes devenus ainsi des ions sont porteurs<br />
d’une charge électrique. Il est alors facile<br />
de les isoler en leur appliquant un champ<br />
électrique. C’est ainsi que les exploitants du<br />
GANIL 10 vont extraire les ions lourds utiles qui<br />
seront créés en même temps que quantité<br />
6 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
<strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser DOSSIER<br />
d’autres ions parasites dans la future installation<br />
Spiral2. Cette dernière produira et accélèrera<br />
des noyaux exotiques uniques au monde<br />
à partir de 2012.<br />
Retour à l’envoyeur<br />
Le laser est aussi un concentré de lumière qui,<br />
dirigé sur une cible diffusante située même à<br />
grande distance, peut être analysé en retour.<br />
C’est le principe de fonctionnement du Lidar 11 ,<br />
très utile aux climatologues du LSCE 12 pour<br />
étudier la nature des polluants atmosphériques<br />
particulaires, leur trajectoire et leur variabilité.<br />
Il ne s’applique pas qu’aux aérosols contenus<br />
dans l’air mais aussi... à la végétation aérienne.<br />
Il est ainsi possible de décrire la structure d’une<br />
canopée forestière et de surveiller son devenir<br />
pour modéliser de manière réaliste les puits de<br />
carbone importants que sont les forêts, éléments<br />
clés de l’équilibre climatique de la Terre.<br />
Démultiplier la sensibilité de<br />
la RMN 13<br />
Enfin, le laser peut influencer l’aimantation des<br />
noyaux atomiques. Une équipe de l’IRAMIS<br />
s’est fait une spécialité de la préparation, par<br />
irradiation laser, de noyaux de xénon pour des<br />
analyses par RMN. Après traitement, ce n’est<br />
plus seulement un noyau atomique sur<br />
200 000 qui contribue au signal de RMN,<br />
comme c’est le cas dans un champ magnétique<br />
déjà très intense, mais la moitié d’entre eux ! Le<br />
gain en sensibilité – spectaculaire – de plusieurs<br />
dizaines de milliers est sans commune mesure<br />
avec celui qu’on peut espérer atteindre en augmentant<br />
le champ magnétique statique de la<br />
RMN. Cerise sur le gâteau : ces noyaux de<br />
xénon « hyperpolarisés » peuvent transférer,<br />
dans certaines conditions, leur propriété à<br />
d’autres noyaux plus courants en RMN, comme<br />
les protons.<br />
7/ De dimensions exprimées en nanomètres, entre 10 -9 et<br />
10 -6 mètre.<br />
8/ Au Département des matériaux nucléaires.<br />
9/ International Thermonuclear Experimental Reactor.<br />
10/ Grand accélérateur national d’ions lourds, à Caen<br />
(<strong>CEA</strong>, CNRS).<br />
11/ LIght Detection And Ranging.<br />
12/ Laboratoire des sciences du climat et de<br />
l’environnement, unité mixte <strong>CEA</strong>, CNRS et Université<br />
Versailles-Saint-Quentin.<br />
13/ La résonance magnétique nucléaire est une technique<br />
d’analyse chimique. Elle est utilisée en imagerie médicale<br />
(IRM).<br />
5<br />
Le saviezvous?<br />
Quatre faisceaux laser hélium-néon de couleur rouge ont<br />
permis de contrôler l’alignement de la tour Montparnasse au<br />
cours de sa construction.<br />
•••••<br />
La distance Terre-Lune a été mesurée par des astronomes<br />
français avec un laser, grâce à des miroirs posés sur le sol<br />
lunaire par les astronautes d'une mission Apollo. La mesure du<br />
temps de voyage de l'impulsion laser (2,6 secondes) a conduit à<br />
une valeur voisine de 384 000 km, avec une précision de<br />
3 mm ! Les chercheurs ont constaté que la Lune s'éloigne de<br />
notre planète de 3 à 5 cm par an…<br />
•••••<br />
Suivant le même principe, les « radars » de la gendarmerie<br />
utilisent des diodes laser infra-rouges (invisibles) pour<br />
contrôler la vitesse des automobiles. La précision est en<br />
principe de l'ordre de 0,1 km/h.<br />
•••••<br />
L'industrie automobile allemande pratique le soudage par laser<br />
qui autorise, notamment, la réalisation de joints continus.<br />
•••••<br />
Des « gyrolasers » équipent fusées, missiles et avions.<br />
Insensibles aux vibrations, ces capteurs - constitués d’un bloc<br />
de céramique dans lequel circulent en sens contraires deux<br />
faisceaux laser - mesurent en effet l’accélération avec une<br />
sensibilité remarquable.<br />
•••••<br />
Des lidars associés à des lasers ultraviolets ont été utilisés pour<br />
suivre l’évolution du trou d’ozone dans la stratosphère<br />
terrestre. Ils ont également permis de surveiller l’impact des<br />
éruptions volcaniques majeures sur le climat global, en<br />
particulier celle du Mont Pinatubo, aux Philippines.<br />
•••••<br />
Il est possible d'obtenir une excellente image pulmonaire par IRM<br />
en faisant inhaler au patient de l'hélium « hyperpolarisé »<br />
préparé avec des lasers.<br />
6<br />
© P. DUMAS / <strong>CEA</strong><br />
© P. DUMAS / <strong>CEA</strong><br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL 97
DOSSIER <strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser<br />
Quand les photons<br />
font danser les électrons<br />
Les lasers à impulsions ultra-courtes ont permis de repousser les limites spatiales et<br />
temporelles de l’interaction laser-matière. Ils peuvent aussi accélérer des particules,<br />
ouvrant la voie notamment à la protonthérapie par laser pour soigner certains cancers.<br />
Deux premières mondiales au centre <strong>CEA</strong><br />
de <strong>Saclay</strong><br />
Dans les années 1970, Pierre Agostini et<br />
ses collaborateurs mettent en évidence,<br />
pour la première fois,<br />
l’« ionisation multiphotonique ».<br />
Un atome bombardé par un faible flux de<br />
photons ne peut être ionisé que si l’énergie<br />
du photon est suffisante. En d’autres<br />
termes, un électron ne peut être arraché à<br />
cet atome que s’il absorbe un photon assez<br />
énergétique.<br />
Les physiciens de <strong>Saclay</strong> ont montré qu’un<br />
atome éclairé par des photons peu<br />
énergétiques (en dessous du seuil<br />
d’ionisation), délivrés par un laser intense,<br />
peut absorber plusieurs photons d’un<br />
coup… et être ionisé. C’est une nouvelle<br />
manière de communiquer de l’énergie<br />
lumineuse à la matière qui est alors<br />
inventée !<br />
Une dizaine d’années plus tard, la même<br />
équipe découvre la génération<br />
d’harmoniques d’ordres élevés. Dans ce<br />
cas, l’énergie lumineuse communiquée à<br />
l’électron se situe juste en dessous du seuil<br />
d’ionisation, puisque l’électron revient vers<br />
le noyau atomique après s’en être éloigné.<br />
Une plateforme laser européenne à <strong>Saclay</strong><br />
Ouverte aux chercheurs européens, la<br />
plateforme SLIC de l'IRAMIS (<strong>Saclay</strong> Laser<br />
Matter Interaction Center) est composée de<br />
trois lasers à impulsions ultra-courtes.<br />
Le plus puissant des trois, le laser UHI,<br />
affiche 100 térawatts (soit 10 14 W). Chaque<br />
année, plus de 80 scientifiques utilisent des<br />
lasers du SLIC. Un tiers d'entre eux sont<br />
extérieurs au <strong>CEA</strong> et collaborent avec des<br />
chercheurs du <strong>CEA</strong>. SLIC est intégrée depuis<br />
2004 au consortium européen LASERLAB-<br />
EUROPE qui regroupe actuellement<br />
42 laboratoires de 19 États membres.<br />
http://www.laserlab-europe.net/<br />
L<br />
es impulsions laser dont la durée se chiffre<br />
couramment en milliardièmes de<br />
seconde (nanoseconde ou ns) se prêtent<br />
à un éclairage stroboscopique à très haute<br />
cadence : éclairer par flashes ultra-brefs une<br />
scène animée permet en effet d’enregistrer avec<br />
une excellente résolution temporelle les images<br />
du « film » de l’événement. La scène peut être...<br />
une réaction chimique, ou plus simplement<br />
encore, la dissociation d’une molécule. Or le laser<br />
peut aussi bien rompre une liaison chimique en<br />
apportant l’énergie nécessaire, ou sonder l’état<br />
des électrons engagés dans cette liaison.<br />
© P. STROPPA / <strong>CEA</strong><br />
Un des trois serveurs laser de la plateforme SLIC d’étude<br />
des interactions laser-matière de <strong>Saclay</strong>, caractérisé par un<br />
taux de répétition d’impulsions laser élevé (kHz). Au premier<br />
plan, préparation du faisceau laser (lumière verte).<br />
Une chimie à haute résolution<br />
temporelle<br />
Cette idée a été mise en œuvre avec des lasers à<br />
impulsions encore plus courtes, dont la durée se<br />
situe dans le domaine des picosecondes (millionième<br />
de millionième de seconde : ps), voire des<br />
dizaines de femtosecondes (millième de picoseconde<br />
: fs). D’où le nom de femtochimie. Une<br />
première impulsion excite une molécule, ce qui<br />
se traduit par toute une série de réaménagements<br />
de ses électrons périphériques, pouvant<br />
conduire à un changement de structure ou<br />
même à la dissociation de la molécule. Une<br />
seconde impulsion, synchronisée sur la première,<br />
permet de suivre le déroulé des événements.<br />
Une équipe de l’IRAMIS 1 étudie ainsi,<br />
entre autres, des molécules « photochromes »,<br />
capables de basculer d’un état stable à un autre<br />
lorsqu’elles sont éclairées, et des molécules organiques<br />
potentiellement intéressantes pour des<br />
cellules photovoltaïques.<br />
Longueur d’onde ultra-courte et<br />
spectre ultra-large<br />
Les lasers dits « femtoseconde » permettent d’explorer<br />
les interactions laser-matière à l’échelle<br />
de l’atome. Pour observer les électrons euxmêmes,<br />
les physiciens visent des durées d'impulsion<br />
encore plus brèves. Ils se heurtent alors à<br />
deux limites fondamentales. Conserver quelques<br />
oscillations du champ électromagnétique<br />
le temps d'une impulsion laser n'est possible que<br />
si on raccourcit aussi la longueur d’onde. Il faut<br />
donc impérativement aller vers l'UV et les<br />
rayons X. Par ailleurs, la physique stipule que si<br />
on veut diminuer la durée d’une impulsion<br />
laser, il faut élargir d’autant son spectre. Ceci<br />
explique que les lasers femtoseconde ne collent<br />
plus à la représentation classique du laser monochromatique.<br />
La largeur spectrale associée à une<br />
impulsion de 10 fs s’étend en effet sur un quart<br />
du spectre visible ! Pour avancer dans la course<br />
à l'ultra-bref, il faut donc tendre à la fois vers des<br />
longueurs d’onde ultra-courtes et des spectres<br />
ultra-larges...<br />
Des harmoniques lumineuses<br />
La solution est venue d’un effet non linéaire<br />
spectaculaire, observé en 1987 pour la première<br />
fois à <strong>Saclay</strong> et à Chicago : la « génération<br />
d’harmoniques d’ordres élevés » dans un gaz<br />
atomique éclairé par un laser femtoseconde<br />
intense. Les électrons périphériques des atomes<br />
sont alors soumis au champ électrique instantané<br />
de l’onde laser, qui « écrase » le champ<br />
électrostatique créé par le noyau de l’atome. Le<br />
temps d’une oscillation du champ électromagnétique,<br />
ce champ éjecte hors de l’atome<br />
l’électron et lui communique une très grande<br />
vitesse. À l’oscillation suivante, l’électron<br />
8 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
<strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser DOSSIER<br />
Interaction laser-plasma à ultra-haute intensité :<br />
sous le choc, la matière explose, ce qui permet<br />
d’étudier les transferts d’énergie, le<br />
comportement de particules accélérées, etc.<br />
On distingue le réseau de diffraction qui<br />
réduit d’un facteur 10 000 la durée des<br />
impulsions lumineuses et permet<br />
d’augmenter d’autant la puissance du<br />
laser. Détail de l’installation de la<br />
plateforme SLIC desservie par le<br />
laser Ultra haute intensité.<br />
© P. STROPPA / <strong>CEA</strong><br />
Deux photons rouges égalent un photon bleu<br />
Les lasers à haute intensité lumineuse ont révélé un pan de la<br />
physique ignoré jusque-là : l'optique non linéaire. Un électron<br />
éclairé par un laser rouge peut absorber un premier photon, et<br />
avant de revenir à son état initial, il peut réabsorber un second<br />
photon, si le « débit » de photons du laser l'autorise. Lorsqu'il<br />
revient à son état stable, il peut émettre un photon bleu, dont<br />
l'énergie vaut le double de celle d'un photon rouge. Ce photon<br />
bleu s'appelle une harmonique d'ordre deux.<br />
Comment les lasers femtoseconde<br />
ont acquis de la puissance<br />
La progression en puissance des lasers à impulsions<br />
ultra-courtes a longtemps été entravée par la tenue au<br />
flux des composants optiques. Jusqu’à ce qu'une astuce<br />
permette de repousser cette limite. Le spectre des<br />
impulsions laser est d'abord étiré à l'aide d'un<br />
composant dispersif, ce qui a pour effet d'allonger leur<br />
durée et de réduire d'autant leur puissance.<br />
Il est alors possible, sans dommages, d'amplifier d'un<br />
facteur 10 000 l'énergie des impulsions laser. Il suffit<br />
enfin de recomprimer le spectre pour obtenir des<br />
impulsions de même durée que les impulsions initiales,<br />
mais d'énergie bien supérieure.<br />
Cette innovation importante a été apportée en 1985 par<br />
Gérard Mourou, actuellement Directeur de l’Unité mixte<br />
de service « Institut de lumière extrême », à Palaiseau.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL 9
DOSSIER <strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser<br />
Modules de pré-amplification des faisceaux<br />
laser de la Ligne d’intégration laser (LIL).<br />
La LIL est le prototype du futur laser<br />
Mégajoule, au centre <strong>CEA</strong> de la Direction des<br />
applications militaires, près de Bordeaux.<br />
© P. STROPPA / <strong>CEA</strong><br />
revient heurter avec une violence extrême le<br />
noyau. Ce phénomène se répète à la fréquence<br />
de l’onde laser, toutes les femtosecondes, et<br />
s’accompagne d’une émission lumineuse extraordinairement<br />
énergétique, composée d’impulsions<br />
de quelques centaines d’attosecondes<br />
(millième de femtoseconde : as) seulement.<br />
Cette sorte de « danse » très rythmée des électrons<br />
donne au spectre de cette lumière une<br />
allure de peigne dont les dents sont les harmoniques<br />
(ou multiples) de la fréquence de l’onde<br />
incidente. Des énergies photoniques jusqu’à<br />
300 fois supérieures à celle de l’onde initiale<br />
ont été relevées. C’est justement la source dont<br />
les physiciens rêvaient pour observer les électrons<br />
atomiques !<br />
Épurer l’impulsion lumineuse<br />
Une équipe de l’IRAMIS a obtenu des résultats<br />
semblables, avec un solide cette fois. Alors que<br />
le verre nu est transparent à basse densité<br />
d’énergie, il devient réfléchissant au-delà d’un<br />
certain seuil d’éclairement lumineux, phénomène<br />
qui s'accompagne de la génération d'harmoniques<br />
d’ordres élevés. Après réflexion sur ce<br />
verre baptisé « miroir plasma », le profil temporel<br />
des impulsions est épuré et tend à ressembler<br />
à un créneau. Un profil très favorable à d’autres<br />
effets non linéaires à découvrir...<br />
Caractériser et exploiter des ondes aussi éphémères<br />
exige de l'astuce. Les équipes de l'IRAMIS<br />
ont développé d'ingénieuses techniques pour les<br />
détecter, les isoler et optimiser leurs caractéristiques<br />
spatiales, spectrales et temporelles. Ainsi,<br />
les lasers femtoseconde permettent non seulement<br />
de progresser dans la compréhension de<br />
l’interaction rayonnement-matière, mais ils<br />
ouvrent également de nombreuses voies de<br />
recherches en physique, science des matériaux,<br />
chimie et... en médecine.<br />
Radiothérapie et protonthérapie<br />
par laser<br />
Les lasers femtoseconde les plus puissants sont<br />
capables d’accélérer des particules, et en particulier<br />
des électrons, à des niveaux d’énergie<br />
compatibles avec la radiothérapie. Il serait intéressant<br />
de disposer dans les blocs opératoires<br />
d’appareils de radiothérapie compacts pour<br />
traiter en cours d’opération des patients atteints<br />
de cancer. Encore plus ambitieuse, l’accélération<br />
de protons est également envisagée avec<br />
ces lasers. La protonthérapie offre l’avantage de<br />
concentrer le dépôt d’énergie sur un très faible<br />
volume, ce qui permet de traiter des tumeurs<br />
cérébrales ou oculaires incurables en radiothérapie.<br />
Actuellement, il n'existe en France que<br />
deux centres de protonthérapie qui fonctionnent<br />
avec de grands accélérateurs de particules.<br />
S’il était possible de remplacer ces coûteux<br />
accélérateurs par des appareils laser, la protonthérapie<br />
pourrait enfin se développer à la<br />
mesure des enjeux de santé publique. La même<br />
équipe de l’IRAMIS travaille à un tel projet,<br />
financé par OSEO, en collaboration notamment<br />
avec des chercheurs du centre <strong>CEA</strong> de<br />
Bruyères-le-Châtel, l’Institut Gustave Roussy<br />
et l’Institut Curie.<br />
1/ En collaboration notamment avec des chercheurs du<br />
CNRS, à Lille.<br />
repères...<br />
Ne confondez pas avec le laser Mégajoule<br />
Dans une interaction laser-matière à très haute intensité<br />
(avec un laser femtoseconde), la matière est portée hors<br />
d'équilibre avec une extrême violence et se trouve le siège<br />
de processus transitoires. Dans une interaction à très<br />
haute densité d'énergie (avec le Laser Mégajoule par<br />
exemple), la matière est véritablement chauffée à des<br />
températures record. Elle atteint un état d'équilibre<br />
proche de celui de plasmas qui existent dans l'Univers,<br />
au cœur des étoiles notamment. À l'IRAMIS, des experts<br />
des deux domaines collaborent aux deux projets phares<br />
associés : le laser Apollon de l'Institut de lumière<br />
extrême, qui réunit 13 laboratoires du Plateau de <strong>Saclay</strong>,<br />
et les expériences autour du Laser Mégajoule, près<br />
de Bordeaux.<br />
http://www-lmj.cea.fr/<br />
Le premier laser à rayons X<br />
Haut lieu de la physique des particules, le SLAC National<br />
Accelerator Laboratory, en Californie, vient de réussir une<br />
mutation spectaculaire en mettant en service en 2009<br />
une infrastructure pluridisciplinaire : un laser à rayons X,<br />
mille milliards de fois plus puissant que les sources<br />
existantes !<br />
Puissances laser : quelques éléments de comparaison<br />
Les lasers à milieu émetteur solide sont curieusement associés aux pierres précieuses.<br />
Le premier laser de ce type était un laser à rubis. Aujourd’hui, le laser YAG, à grenat<br />
d’aluminium et yttrium dopé au néodyme (Nd:YAG), est très répandu, ainsi que le laser<br />
au saphir dopé au titane (Ti:Sa), particulièrement adapté aux impulsions ultra-courtes.<br />
LASER<br />
LASER POUR LIDAR (Nd:YAG)<br />
LASER DE DÉCOUPE LASER (Nd:YAG)<br />
LASER ULTRA HAUTE INTENSITÉ<br />
DE L’IRAMIS (Ti:Sa)<br />
PROJET DE LASER « APOLLON » DE<br />
L’INSTITUT DE LUMIÈRE EXTRÊME,<br />
PRÉVU EN 2013 (Ti:Sa)<br />
LASER MÉGAJOULE, AU CESTA,<br />
PRÈS DE BORDEAUX, PRÉVU FIN 2014<br />
(VERRE DOPÉ AU NÉODYME)<br />
LASER À RAYONS X DU SLAC<br />
AUX ÉTATS-UNIS (ACCÉLÉRATEUR<br />
LINÉAIRE D’ÉLECTRONS)<br />
DOMAINE<br />
D’ÉNERGIE<br />
ULTRA-VIOLET<br />
INFRAROUGE<br />
INFRAROUGE<br />
INFRAROUGE<br />
ULTRA-VIOLET<br />
RAYONS X<br />
Puissance ou énergie<br />
0,016 joule (2.10 6 watts)<br />
8 000 watts<br />
10 14 watts<br />
150 joules (10 16 watts)<br />
4,5 10 14 watts<br />
10 13 watts<br />
Durée d’une impulsion<br />
7 nanosecondes (10 -9 s)<br />
Laser continu<br />
10 femtosecondes (10 -15 s)<br />
15 femtosecondes (10 -15 s)<br />
4 nanosecondes (10 -9 s)<br />
2 femtosecondes (10 -15 s)<br />
10 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
<strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser DOSSIER<br />
Alain Aspect<br />
La révolution des lasers<br />
Directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Institut<br />
d’optique et à l’École polytechnique, Alain Aspect anime le<br />
groupe d’optique atomique du laboratoire Charles Fabry de<br />
l’Institut d’optique (CNRS, Institut d’Optique Graduate School,<br />
Université Paris-sud 11) à Palaiseau. Il a reçu en 2005<br />
la médaille d’or du CNRS pour l’ensemble de ses travaux.<br />
En 2010, le Prix Wolf de physique lui est remis, ainsi qu’à<br />
John F. Clauser (États-Unis) et Anton Zeilinger (Autriche), pour<br />
leurs contributions à la physique quantique.<br />
Les photons intriqués<br />
Les photons intriqués sont des sortes de jumeaux<br />
qui présentent des propriétés identiques, même à<br />
grande distance l'un de l'autre. Ce qui est étonnant<br />
dans l’intrication quantique, c’est qu’on ne peut en<br />
déduire que ces propriétés existaient avant la mesure.<br />
En 1982, Alain Aspect a démontré expérimentalement<br />
pour la première fois la réalité de cette propriété<br />
étonnante de la mécanique quantique et tranché en<br />
même temps un vieux débat entre Niels Bohr et Albert<br />
Einstein sur les fondements de cette théorie.<br />
Quelle place le laser occupe-t-il dans<br />
notre société ?<br />
Alain Aspect : Il occupe une place centrale. Le<br />
laser est à la base de la société de l'information<br />
et de la communication que nous connaissons<br />
aujourd'hui. Il a apporté un bouleversement<br />
comparable à la révolution industrielle permise<br />
par la machine à vapeur. La mutation technologique<br />
que nous vivons s'appuie sur deux piliers :<br />
l'informatique et les transmissions à haut débit<br />
associant fibre optique et laser.<br />
Quelles sont les avancées<br />
conceptuelles que le laser a permises<br />
dans le domaine scientifique?<br />
Alain Aspect : La pureté de la lumière laser a permis<br />
de contrôler l'interaction entre lumière et<br />
matière à un niveau de finesse inconnu auparavant.<br />
Par exemple, il est possible d’explorer<br />
avec un laser la forme des raies d'émission ou<br />
d'absorption des atomes. Cette possibilité est la<br />
base de nombreuses applications du laser dans<br />
le domaine scientifique.<br />
Le laser est pour nous un outil qui permet de<br />
porter la matière dans des états qu'on aurait à<br />
peine imaginés jusque-là. Un outil capable par<br />
exemple de ralentir les atomes et de contrôler<br />
parfaitement leur mouvement, de les faire interférer.<br />
On peut aussi les «forcer» à émettre des<br />
photons «intriqués». Il a été ainsi possible de<br />
revisiter, grâce à l'expérience, des prédictions<br />
étonnantes de la mécanique quantique et d'explorer<br />
de nouvelles frontières de la connaissance.<br />
Le laser le plus intense du Laboratoire d'optique<br />
appliquée, à Palaiseau, délivre 100 térawatts, soit<br />
10 14 watts. Une expérience est en cours de<br />
montage dans la chambre d'interaction qui sera<br />
ultérieurement mise sous vide.<br />
Quels sont les points forts en matière<br />
de laser sur le campus de <strong>Saclay</strong> ?<br />
Alain Aspect : Au LULI, au LOA, au LOB et au<br />
centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>, c'est toute une histoire<br />
de pionniers, à l'échelle mondiale, qui s'est<br />
écrite depuis une trentaine d'années, avec en<br />
particulier les lasers en impulsions. On peut<br />
citer quelques-uns de ces pionniers qui ont<br />
aujourd’hui passé le relais : Alain Orszag,<br />
André Antonetti, Édouard Fabre, Claude<br />
Manus, Pierre Agostini, Anne L’Huillier, etc.<br />
Condensats d’atomes ultra-froids<br />
et lasers à atomes<br />
À très basse température, un gaz atomique peut<br />
devenir un condensat de Bose-Einstein, c’est-à-dire<br />
un milieu dans lequel tous les atomes sont dans le<br />
même état quantique et qui peut être décrit comme<br />
une seule onde de matière. Il est possible de réaliser,<br />
à partir de condensats, des faisceaux d’ondes de<br />
matière, véritables « lasers à atomes » où les photons<br />
sont remplacés par des atomes.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL<br />
© CNRS PHOTOTHÈQUE / ALEXIS CHEZIERE<br />
11
DOSSIER <strong>Saclay</strong>, terre pionnière du laser<br />
© GROUPE D’OPTIQUE ATOMIQUE,<br />
INSTITUT D’OPTIQUE<br />
Laser à atomes guidé. L’image montre les atomes<br />
se propageant sur plusieurs millimètres, à<br />
l’intérieur d’un guide horizontal créé par de la<br />
lumière laser, jouant le rôle d’une sorte de fibre<br />
optique pour atomes. Ce laser pourrait avoir des<br />
applications dans des capteurs inertiels ou<br />
gravitationnels, utiles en navigation ou pour<br />
l’exploration du sous-sol.<br />
« Sur le Plateau<br />
de <strong>Saclay</strong>, c'est<br />
toute une histoire<br />
de pionniers qui<br />
s'est écrite depuis<br />
une trentaine<br />
d'années. »<br />
ALAIN ASPECT<br />
© CNRS PHOTOTHÈQUE / JÉRÔME CHATIN<br />
À l'Institut d'optique, ce sont plutôt les lasers<br />
continus qui ont permis les expériences sur les<br />
fondements de la mécanique quantique des<br />
années 1980. Aujourd'hui, les travaux de Philippe<br />
Grangier en optique quantique se positionnent<br />
au meilleur niveau mondial et ouvrent<br />
des perspectives prometteuses dans le traitement<br />
quantique de l'information. Il faut également<br />
mentionner le développement de lasers<br />
originaux pour des besoins particuliers et la<br />
recherche autour des « cristaux photoniques »,<br />
c'est-à-dire des structures périodiques (ou métamatériaux)<br />
qui ont des propriétés optiques sans<br />
équivalent dans les matériaux conventionnels.<br />
Parmi tous vos travaux, lequel vous<br />
semble le plus important et<br />
pourquoi ?<br />
Alain Aspect : J’ai travaillé sur trois grands<br />
sujets : les fondements de la mécanique quantique<br />
(1974-1985, travaux aujourd’hui récompensés<br />
par le Prix Wolf), le refroidissement des<br />
atomes (1985-1992, avec Claude Cohen-<br />
Tannoudji 1 ) et depuis 1992, l'optique atomique.<br />
L'idée est de faire avec les atomes ce<br />
qu'on sait faire avec les photons depuis longtemps<br />
: les réfléchir sur des miroirs par exemple.<br />
En 1995, il s'est produit un événement<br />
considérable avec la réalisation 2 de la condensation<br />
de Bose-Einstein d’un gaz d’atomes<br />
ultra-froids. On a aussitôt compris que la voie<br />
était ouverte aux lasers à atomes.<br />
Aujourd'hui, nous maîtrisons les techniques<br />
expérimentales extraordinairement délicates<br />
de ces condensats et nous disposons de plusieurs<br />
lasers atomiques. Mon préféré est un<br />
laser dont les atomes sont guidés horizontalement<br />
par un faisceau lumineux... issu d’un<br />
laser photonique. À la différence des photons,<br />
les atomes ont une masse et sont accélérés par<br />
la gravité, ce qui provoque une augmentation<br />
de leur énergie. Un inconvénient que n’a pas le<br />
laser à atomes horizontal où les atomes ne tombent<br />
plus ! Couplé à un interféromètre atomique,<br />
un tel laser pourrait permettre de détecter<br />
des effets gravitationnels ou inertiels avec une<br />
sensibilité inégalée. Les applications vont de la<br />
navigation à l’exploration du sous-sol.<br />
Je voudrais aussi évoquer d'autres travaux de<br />
notre groupe d'optique atomique. Chris<br />
Westbrook a développé une technique de détection<br />
atome par atome, sur le modèle du comptage<br />
de photons : un point de passage obligé pour<br />
réaliser des expériences d'optique quantique<br />
atomique 3 . Les atomes ultra-froids offrent également<br />
la possibilité de simuler le comportement<br />
des électrons à l'intérieur d'un matériau et d'avoir<br />
une approche expérimentale et non plus seulement<br />
théorique de questions particulièrement<br />
ardues comme l'interprétation de la conductivité<br />
4 . Une expérience de ce type 5 a été réalisée à<br />
l'Institut d'optique en première mondiale.<br />
Comment percevez-vous l’émergence<br />
du campus de <strong>Saclay</strong> ?<br />
Alain Aspect : Je pense que le campus de<br />
<strong>Saclay</strong> est une chance unique de créer un<br />
ensemble universitaire analogue aux grandes<br />
universités américaines comme le MIT 6 , à<br />
condition que les divers établissements sachent<br />
converger. Le RTRA (Réseau thématique de<br />
recherches avancées) du Triangle de la physique<br />
est un exemple réussi d’une telle convergence<br />
entre universités, grandes écoles, <strong>CEA</strong>…<br />
Et puis, ne négligeons pas l’effet positif de la<br />
proximité géographique qui favorise les<br />
contacts informels. C’est ainsi que depuis que<br />
nous sommes leurs voisins, nous voyons beaucoup<br />
plus souvent les chercheurs de Thales,<br />
qui fréquentent volontiers notre cafétéria !<br />
1/ En 1997, Claude Cohen-Tannoudji, Steven Chu et<br />
William D. Phillips ont reçu le Prix Nobel de physique en<br />
1999 pour « le développement de méthodes pour refroidir<br />
et piéger des atomes avec des faisceaux laser ».<br />
2/ Par Eric Cornell et Carl Wieman.<br />
3/ Notamment l'effet Hanbury, Brown et Twiss transposé<br />
aux atomes.<br />
4/ Problème dit à N corps.<br />
5/ Observation de la localisation d'Anderson.<br />
6/ Massachussetts Institute of Technology, à Boston.<br />
© CNRS PHOTOTHÈQUE / CHEZIERE ALEXIS<br />
Sous le haut patronage de Nicolas Sarkozy,<br />
Président de la République<br />
Un événement présidé par le Pr Charles H. Townes,<br />
12 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
Imagerie médicale SANTÉ<br />
Cet appareil d'IRM à 3 teslas de<br />
NeuroSpin est destiné aux études<br />
cliniques et à des examens chez des<br />
patients et des volontaires sains.<br />
Alcool et mémoire<br />
Chez les personnes dépendantes à l’alcool, on constate<br />
des troubles de la mémoire. Grâce à l’imagerie médicale,<br />
des chercheurs de l’unité mixte <strong>CEA</strong>-Inserm 3 « Imagerie et<br />
Psychiatrie » se sont intéressés aux altérations structurelles<br />
du cerveau qui en sont à l’origine.<br />
«<br />
Il y a une quinzaine d’années, grâce à<br />
la tomographie par émission de positrons<br />
(TEP 1 ), nous avions observé chez<br />
des personnes qui avaient été dépendantes à<br />
l’alcool une modification de l’activité de certaines<br />
zones cérébrales associées à des tâches précises.<br />
Nous avons renouvelé cette étude, et à<br />
l’aide d’une technique d’imagerie plus<br />
moderne, l’Imagerie par résonance magnétique<br />
(IRM 2 ), nous avons recherché cette fois les<br />
modifications de structure qui pouvaient exister<br />
», décrit Jean-Luc Martinot, psychiatre<br />
directeur de recherches. Les cerveaux ainsi<br />
étudiés sont ceux d’alcooliques chroniques<br />
sevrés, qui ont conservé une bonne insertion<br />
sociale, et qui ont été comparés aux cerveaux<br />
de non alcooliques avec une situation sociale<br />
équivalente. « Nous nous sommes intéressés<br />
aux éventuelles séquelles, aux altérations qui<br />
persistent dans le cerveau après une cure de<br />
désintoxication », précise J.-L. Martinot.<br />
Moins de matière grise<br />
Premier constat : la quantité de matière grise,<br />
constituée par les corps mêmes des neurones,<br />
est moindre chez les anciens alcooliques, et<br />
cela est relié à une diminution des performances<br />
cognitives. Deuxièmement, les chercheurs<br />
ont constaté des altérations au niveau de la<br />
microstructure de la matière blanche, qui renferme<br />
en quelque sorte tous les câblages reliant<br />
les neurones entre eux. Ces dommages ont par<br />
ailleurs été directement corrélés avec une<br />
moins bonne mémoire épisodique verbale<br />
(capacité à raconter des souvenirs). « Il apparaît<br />
donc clairement que l’alcool produit des<br />
lésions différentes selon les structures du cerveau.<br />
Nous nous sommes interrogés ensuite sur<br />
un éventuel rapport avec le degré de sévérité<br />
de l’alcoolisation. Aucun lien n’a été trouvé<br />
entre quantité d’alcool et importance de la<br />
perte de matière grise. Par contre, nous avons<br />
trouvé un lien avec l’âge de début de l’intoxication,<br />
précise J.-L. Martinot. Plus le cerveau<br />
alcoolisé est jeune et plus il y a perte de<br />
matière, c’est très probablement lié à un mécanisme<br />
de croissance du cerveau qui se voit perturbé<br />
par l’absorption d’alcool. C’est pourquoi<br />
nous avons pris contact avec des collègues à<br />
l’étranger pour mettre sur pied une recherche<br />
chez des adolescents. »<br />
Un projet européen<br />
Avec les équipes de NeuroSpin, le centre d’IRM<br />
du <strong>CEA</strong>, les chercheurs de l’unité « Imagerie en<br />
psychiatrie » participent au projet européen<br />
IMAGEN promu en France par l’Inserm, et dont<br />
l’un des buts est d’étudier le fonctionnement<br />
cérébral de jeunes consommateurs d’alcool en<br />
fonction de l’apparition de l’intoxication et<br />
d’autres troubles psychiatriques.<br />
Émilie Gillet<br />
1/ Le scanner TEP (ou PET Scan, en anglais) permet de<br />
visualiser la consommation en glucose, donc en énergie,<br />
de tissus vivants. C’est donc un outil pour étudier<br />
l’activité du cerveau, par exemple.<br />
2/ L’IRM permet de visualiser la structure des tissus<br />
mous. Elle n’utilise pas de rayonnements, comme la TEP,<br />
mais des ondes magnétiques haute fréquence.<br />
3/ Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) et NeuroSpin.<br />
L'IRM à 7 teslas de NeuroSpin vise à<br />
augmenter la résolution spatiale et<br />
temporelle des images.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL 13<br />
© A. GONIN / <strong>CEA</strong><br />
© A. GONIN / <strong>CEA</strong>
SANTÉ Répondre à la pénurie de radio-isotopes<br />
Face à la pénurie de radio-isotopes,<br />
Osiris réagit<br />
Pour répondre à une pénurie mondiale de radio-isotopes utilisés lors<br />
d’examens d’imagerie médicale, le <strong>CEA</strong> a décidé de modifier le planning<br />
de fonctionnement de son réacteur de recherche Osiris. De quoi permettre<br />
à l’Europe d’envisager les mois à venir avec moins d’inquiétude.<br />
E<br />
n moins d’un an ce ne sont pas moins<br />
des trois quarts de la production mondiale<br />
de molybdène 99 ( 99 Mo) qui ont<br />
été amputés. Une pénurie soudaine qui aurait<br />
pu passer inaperçue, si ce n’est que le 99 Mo est<br />
un élément radioactif indispensable à la réalisation<br />
de 80 % des examens d’imagerie médicale<br />
nucléaire. Appelés scintigraphies, ces<br />
examens permettent notamment de diagnostiquer<br />
des pathologies osseuses (fractures,<br />
métastases…), certains cancers, et d’observer<br />
le fonctionnement de la plupart des organes<br />
(cœur, poumons...).<br />
Chronique d’une pénurie<br />
annoncée<br />
En mai 2009, le vieillissant réacteur canadien<br />
NRU est tombé en panne. Du jour au lendemain<br />
45 % de la production mondiale de 99 Mo<br />
se sont volatilisés. Et il se dit que NRU pourrait<br />
ne jamais redémarrer... En février dernier aux<br />
Pays-Bas, c’est au tour du réacteur HFR, qui<br />
produisait environ 30 % du 99 Mo utilisé dans le<br />
monde, de s’arrêter pour une opération complexe<br />
de réparation programmée. Ces deux<br />
réacteurs étaient les seules sources d’approvisionnement<br />
des États-Unis.<br />
« Il n’y a que six réacteurs capables de produire<br />
du 99 Mo en quantité significative à l'échelle<br />
mondiale. C’est en effet une activité qui<br />
demande des capacités industrielles importantes<br />
et qui utilise un matériau stratégique :<br />
l’uranium hautement enrichi, explique Alain<br />
Alberman, responsable de projets commerciaux<br />
au Département des réacteurs et services<br />
nucléaires du <strong>CEA</strong>. Face à cette pénurie, en partie<br />
prévisible, une collaboration internationale<br />
a été mise en place. » C’est ainsi que le <strong>CEA</strong><br />
Produire et utiliser du 99 Mo<br />
Étape 1 : Réacteur nucléaire. Des cibles d’uranium hautement<br />
enrichi sont irradiées pendant une semaine, puis chaque cible<br />
(environ 4g) est chargée et expédiée par la route dans un<br />
emballage de 5 tonnes de plomb.<br />
Étape 2 : Usine d’extraction. Parmi les produits de fission, on<br />
récupère le molybdène 99 ( 99 Mo) qui est mis en solution et expédié<br />
par la route ou par avion dans un emballage de 250 kg environ.<br />
Étape 3 : Usine de conditionnement et de distribution.<br />
Le 99 Mo se désintègre avec une période* de 2,6 jours, en se<br />
transformant spontanément en technétium 99 ( 99m Tc). Il est<br />
conditionné puis livré aux centres d’imagerie médicale où il reste<br />
utilisable une dizaine de jours.<br />
Étape 4 : Centre d’imagerie médicale. Le 99m Tc est injecté au<br />
patient et se fixe sur certains de ses organes. Grâce au<br />
rayonnement émis, on peut observer leur fonctionnement via une<br />
gamma caméra. Le 99m Tc disparaît avec une période de 6 heures.<br />
* temps nécessaire pour que la radioactivité d’un élément diminue de moitié.<br />
1 2<br />
© P. ALLARD / REA / <strong>CEA</strong><br />
14 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
« Il n’y a que six<br />
réacteurs capables de<br />
produire du 99 Mo en<br />
quantité significative<br />
à l'échelle mondiale. »<br />
Répondre à la pénurie de radio-isotopes SANTÉ<br />
3<br />
© P. ALLARD / REA / <strong>CEA</strong><br />
en bref...<br />
Campus : évaluer les filières<br />
bioénergétiques du futur<br />
Le pôle Climat Environnement Énergie et le<br />
pôle Paris-Île-de-France en sciences et<br />
technologies du vivant et de<br />
l'environnement (STVE) ont organisé<br />
conjointement le 5 janvier 2010 à l'Orme<br />
des Merisiers, à Saint-Aubin (91), une<br />
journée scientifique sur l'évaluation<br />
environnementale et économique des filières de<br />
bioénergies. La place des bioénergies dans les<br />
scénarios énergétiques, les risques<br />
environnementaux associés, les impacts sur le climat<br />
des cultures destinées aux biocarburants, ainsi que<br />
les options technologiques de bioraffinage ont été<br />
évoqués lors de cette journée qui a rassemblé 60<br />
spécialistes issus principalement d'établissements<br />
publics. Le pôle de compétitivité Industries et Agro-<br />
Ressources était également associé à l’événement.<br />
Les participants ont exprimé le souhait de se<br />
constituer en communauté interdisciplinaire autour<br />
de ce thème.<br />
a décidé d’un nouveau planning de fonctionnement<br />
pour son réacteur Osiris, afin de doubler<br />
sa capacité de production de 99 Mo pour répondre<br />
à 10 % des besoins mondiaux jusqu'à son<br />
arrêt de maintenance programmé au 2 ème<br />
semestre 2010.<br />
Production en flux tendu<br />
Une fois produit, le 99 Mo, qui est un élément<br />
radioactif à faible durée de vie, doit être traité,<br />
conditionné et utilisé dans les dix jours sous<br />
forme de technétium 99 ( 99m Tc). Sa production<br />
s’effectue donc en flux tendu et les centres<br />
d’imagerie médicale sont réapprovisionnés très<br />
régulièrement. « Nous nous sommes mis d’accord<br />
avec nos partenaires européens, et notamment<br />
le réacteur belge BR2, pour synchroniser<br />
© P. ALLARD / REA / <strong>CEA</strong><br />
nos plannings afin de pallier la pénurie en<br />
Europe. Malgré cela, il risque d’y avoir quelques<br />
semaines difficiles fin mars et en mai. Les<br />
centres d’imagerie médicale sont d’ores et déjà<br />
prévenus », détaille Alain Alberman. À eux<br />
deux, les réacteurs français et belge doivent<br />
pouvoir répondre à une fraction allant de 50 à<br />
75 % de la demande européenne en 99 Mo.<br />
C’est aux États-Unis que la situation risque<br />
d’être beaucoup plus difficile. D’après Alain<br />
Alberman, les hôpitaux nord-américains, qui<br />
consomment la moitié du 99m Tc produit dans le<br />
monde, risquent de connaître des réductions<br />
de livraison de plus de 80 % ! La fin des opérations<br />
de maintenance sur le réacteur néerlandais<br />
HFR est donc attendue avec impatience.<br />
« Des dispositions ont été prises pour ne pas<br />
dépendre d’un hypothétique redémarrage du<br />
réacteur canadien. Par contre, si HFR ne redémarre<br />
pas au cours de cet été, alors la crise risque<br />
d’être durable et profonde », s’inquiète<br />
Alain Alberman. Osiris sera très sollicité<br />
jusqu’au démarrage de son successeur, le réacteur<br />
de recherche Jules Horowitz (RJH) à<br />
Cadarache, qui devrait être capable de produire<br />
deux fois plus de 99 Mo à partir de 2015.<br />
L’avenir est aussi à l’utilisation d’autres radioéléments<br />
et au développement de gamma<br />
caméras plus sensibles donc nécessitant moins<br />
de radioactivité pour fonctionner.<br />
1/ Préparation de la cible qui sera irradiée<br />
en réacteur pour produire du molybdène 99.<br />
2/ Télémanipulation en cellule blindée des<br />
cibles après irradiation.<br />
3/ Mise en place des coques de protection<br />
contre les rayonnements du « château » de<br />
transport des radio-isotopes.<br />
Émilie Gillet<br />
Fin de la controverse sur la disparition<br />
des dinosaures<br />
L’extinction massive des espèces qui a frappé les<br />
dinosaures il y a 65 millions d’années est bien due à<br />
la chute d’un astéroïde dans l’actuel golfe du<br />
Mexique. Telle est la conclusion de trente années de<br />
recherches, rendue publique dans la revue Science.<br />
Un panel international de 41 experts y cosigne une<br />
synthèse validant de manière magistrale la théorie de<br />
l’astéroïde. Deux climatologues du <strong>CEA</strong> ont participé<br />
activement à ces recherches. Cette étude met fin à<br />
Empreintes de dinosaures, dans l’Ain.<br />
une longue polémique, particulièrement vive en<br />
France, avec l’hypothèse, aujourd’hui disqualifiée,<br />
d’une origine volcanique liée aux épanchements de<br />
laves de la région du Deccan, en Inde.<br />
Dialogues entre mathématiques, physique théorique<br />
et biologie<br />
Le 18 mars 2010 s'est déroulée, à l'Institut des<br />
hautes études scientifiques (IHÉS), une journée<br />
scientifique avec des interventions croisées de<br />
chercheurs de l'IHÉS et de l'Institut de physique<br />
théorique du centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>. Les deux instituts<br />
entretiennent de nombreux liens, concrétisés – entre<br />
autres – par des collaborations scientifiques,<br />
l'organisation de séminaires communs et des groupes<br />
de travail. La journée du 18 mars a réuni près de<br />
70 mathématiciens et physiciens autour de thèmes<br />
communs tels que la physique des interactions<br />
fondamentales, la gravité quantique et la physique<br />
des trous noirs, la cosmologie, la biophysique,<br />
la physique statistique hors équilibre et discrète,<br />
la physique des interfaces.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL<br />
© CNRS PHOTOTHÈQUE / HUBERT RAGUET<br />
15
PARCOURS Étienne Roth<br />
Première irradiation en triple faisceau<br />
dans JANNUS<br />
Le 11 mars 2010, la plateforme<br />
JANNUS de <strong>Saclay</strong> (Jumelage<br />
d’accélérateurs pour les nanosciences,<br />
le nucléaire et la simulation) a délivré<br />
pour la première fois un triple faisceau<br />
d’ions. Cette installation permet de<br />
simuler expérimentalement le<br />
comportement à long terme des<br />
matériaux nucléaires. La cible des<br />
faisceaux d’ions était un acier<br />
développé pour les réacteurs nucléaires du futur.<br />
Bombardé cinq heures durant par des ions de<br />
fer, d’hélium et des protons, l’acier s’est vu<br />
infliger un dommage équivalent à celui subi par<br />
une gaine de combustible au bout de quatre ans<br />
dans un réacteur nucléaire actuel ou trois mois<br />
dans un des réacteurs du futur étudiés au <strong>CEA</strong>.<br />
...en bref<br />
Fermi recense les accélérateurs cosmiques<br />
de particules<br />
Lancé en juin 2008, Fermi est le grand<br />
observatoire spatial de la NASA pour les rayons<br />
gamma : il « voit » les accélérateurs cosmiques<br />
Étienne Roth<br />
Entre technologies nucléaires<br />
et recherches fondamentales<br />
C'est l'histoire d'un parcours scientifique exceptionnel, foisonnant<br />
et emblématique du <strong>CEA</strong> lui-même. Les travaux d’Étienne Roth<br />
(1922-2009) et de son équipe ont largement débordé de leur cadre<br />
de recherche électronucléaire pour ensemencer la climatologie,<br />
la géochimie, l’instrumentation laser, la recherche médicale, etc.<br />
© FERMI LARGE AREA TELESCOPE COLLABORATION<br />
de particules ! Les astrophysiciens de <strong>Saclay</strong><br />
sont chargés de détecter et d’identifier les<br />
sources dans une région particulière de la Voie<br />
Lactée. En une année, ils ont recensé pas moins<br />
de 1451 astres brillants en gamma, soit près de<br />
dix fois le nombre de sources connues jusque-là.<br />
Près de 60 % d’entre eux ont pu être identifiés<br />
grâce aux images qui leur sont associées dans<br />
d’autres domaines d’énergie. 630 sources<br />
restent aujourd’hui un mystère complet.<br />
Femmes et science<br />
Anne Peyroche, chercheuse <strong>CEA</strong> de la Direction<br />
des sciences du vivant, a reçu le « Prix de la<br />
jeune femme scientifique » pour la 9 ème édition<br />
du Prix Irène Joliot-Curie. Nathanëlle Bouttes,<br />
doctorante au Laboratoire des sciences du<br />
climat et de l’environnement, compte parmi les<br />
dix lauréates des bourses « Pour les femmes et<br />
la science » de la fondation L’Oréal.<br />
Collisions au LHC<br />
Mardi 30 mars 2010, le Grand collisionneur de<br />
hadrons (LHC) au Cern à Genève, a produit ses<br />
premières collisions de protons à haute énergie.<br />
Q<br />
Étienne Roth était un chercheur passionné, d’une curiosité sans limite.<br />
Il attachait également une très grande importance à la transmission du<br />
savoir. Il a longtemps enseigné la « chimie nucléaire » au Conservatoire<br />
national des arts et métiers et a encadré de très nombreux doctorants.<br />
uand Étienne Roth entre en 1946 au<br />
<strong>CEA</strong> fraîchement créé, il a pour mission<br />
d’introduire en France la technique de<br />
spectrométrie de masse, une technique indispensable<br />
au développement de procédés de<br />
fabrication d'eau lourde 1 .<br />
Cette eau enrichie en isotope 2 lourd de l’hydrogène,<br />
le deutérium, a alors une importance<br />
stratégique puisqu’elle permet le fonctionnement<br />
des réacteurs nucléaires de première<br />
génération avec de l’uranium naturel. Étienne<br />
Roth et son équipe commencent par construire<br />
et optimiser des spectromètres de masse,<br />
notamment pour contrôler l’eau lourde approvisionnée<br />
pour les réacteurs du <strong>CEA</strong>, puis élaborent<br />
en 1966 un procédé industriel de production<br />
d'eau lourde, qui est encore utilisé<br />
aujourd'hui en Inde et en Argentine.<br />
Des spectromètres très sensibles<br />
pour les eaux naturelles<br />
À la recherche des emplacements les plus<br />
favorables à l’implantation d’une usine d’eau<br />
lourde, Étienne Roth étudie aussi la teneur en<br />
deutérium d’eaux naturelles, ce qui le conduit<br />
à améliorer la sensibilité des spectromètres.<br />
Les innovations qui en résultent contribueront<br />
en retour à abaisser les coûts des installations<br />
de production d’eau lourde. Ses travaux sur le<br />
cycle de l’eau entraînent Étienne Roth sur le<br />
16 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
Étienne Roth PARCOURS<br />
Analyse d'une carotte de glace polaire<br />
par un spectromètre de masse. Ces<br />
mesures contribuent aux archives des<br />
climats du passé.<br />
terrain de l’hydrologie et le conduisent à proposer<br />
une méthode pour déceler les déversoirs<br />
cachés de lacs. Cette méthode sera reprise par<br />
d’autres pour étudier les ressources en eau de<br />
régions arides comme la Turquie et pour établir<br />
des bilans hydriques autour de lacs français<br />
intéressant EDF.<br />
Au cours de ces études, il met en évidence pour<br />
la première fois des variations de composition<br />
isotopique de l’eau liées aux conditions de<br />
précipitation. Cette découverte l’oriente naturellement<br />
vers... les grêlons.<br />
Glace et mémoire climatique<br />
Tels des oignons, les grêlons sont en effet formés<br />
de couches de glace successives. Connaître<br />
la composition isotopique de chacune de ces<br />
couches permet de remonter à la trajectoire des<br />
grêlons dans les nuages lors de leur formation.<br />
Ces travaux constituent la thèse de Jean Jouzel,<br />
climatologue au <strong>CEA</strong> et aujourd’hui vice-président<br />
du Groupe d’experts intergouvernemental<br />
sur l’évolution du climat (GIEC). Des avancées<br />
majeures suivent en climatologie. En particulier,<br />
la composition isotopique des carottes de<br />
glaces polaires peut être reliée à la température<br />
au moment de la formation des précipitations.<br />
On parle alors de « thermomètre isotopique ».<br />
Oklo, un réacteur nucléaire naturel<br />
L'uranium a trois isotopes naturels, présents<br />
dans des proportions fixes : U 238 99,28%,<br />
U 235 0,71%, U 234 0,005%. Lorsqu'en 1972,<br />
on découvre un échantillon pour lequel les<br />
teneurs en U 238 et en U 235 sont notablement<br />
différentes, c'est la stupéfaction ! Cet<br />
échantillon provient de la mine gabonaise<br />
d'Oklo. On croit d’abord à une erreur avant<br />
que l’équipe d’Étienne Roth ne confirme que<br />
près de la moitié de l'U 235 a disparu. Celui-ci<br />
interprète alors cette anomalie par<br />
l'existence, dans le passé, d'un réacteur<br />
nucléaire naturel. Il y a deux milliards<br />
d'années, la teneur de l’uranium en isotope<br />
fissile était voisine de celle de nos centrales<br />
nucléaires, et pendant près de 400 000 ans,<br />
des réacteurs nucléaires ont fonctionné<br />
naturellement à Oklo. Les produits de ces<br />
réactions, des « déchets nucléaires » avant<br />
l’heure, sont restés sur place, confinés par<br />
des barrières géologiques.<br />
Les premières mesures sur les gaz piégés dans<br />
ces glaces – de véritables échantillons des<br />
atmosphères du passé – sont effectuées dans le<br />
laboratoire d’Étienne Roth.<br />
Des grêlons au nucléaire<br />
Les progrès réalisés sur les spectromètres pour<br />
étudier les eaux et glaces naturelles permettent<br />
à Étienne Roth de proposer une solution à un<br />
problème rencontré par des exploitants nucléaires<br />
: comment éliminer le tritium contenu dans<br />
l’eau lourde des réacteurs, un isotope gênant<br />
bien qu’il soit dix millions de fois moins abondant<br />
que l’isotope majoritaire ? Le procédé de<br />
détritiation développé par Étienne Roth sera<br />
ensuite utilisé à l’échelle industrielle au Canada,<br />
qui exploite des réacteurs à eau lourde.<br />
Naissance d’une nouvelle<br />
discipline : la géochimie<br />
isotopique<br />
Étienne Roth ne se limite pas à étudier l’eau et<br />
ses composants. Il analyse des échantillons<br />
provenant de volcans, des météorites et des<br />
pierres lunaires. Il mène des recherches sur les<br />
mesures isotopiques en biologie et en médecine,<br />
suscite le développement de techniques<br />
de spectrométrie par laser, etc. Il inspire la<br />
mesure du volume de la grotte de Lascaux par<br />
injection d’une quantité connue de CO2 enrichi<br />
en carbone 13 et analyse de l’abondance<br />
relative de cet isotope du carbone.<br />
«<br />
Le procédé industriel<br />
de production d'eau<br />
lourde élaboré par<br />
Étienne Roth est encore<br />
utilisé aujourd'hui en<br />
Inde et en Argentine. »<br />
Un point mérite d’être souligné. Sa science des<br />
isotopes conduit ce scientifique transdisciplinaire<br />
à introduire une nouvelle discipline, jusque-là<br />
inexistante en France : la géochimie<br />
isotopique. Il forme et soutient les premiers<br />
chercheurs français non <strong>CEA</strong> dans ce domaine :<br />
Claude Lorius (CNRS) et Claude Allègre 3 .<br />
Introduire et diffuser de nouvelles techniques<br />
et disciplines est précisément une des missions<br />
du <strong>CEA</strong> dès l’origine !<br />
Agnès Deslis<br />
1/ L'eau lourde est une molécule d'eau dont les atomes<br />
d'hydrogène sont remplacés par des atomes de deutérium<br />
(de l'hydrogène avec un neutron en plus). Elle est plus<br />
dense que l‘eau ordinaire.<br />
2/ Un élément chimique peut exister sous plusieurs formes<br />
appelées isotopes, qui se distinguent par le nombre de<br />
neutrons qui composent leur noyau. L'hydrogène est<br />
composé d'un proton et d'un électron. Le deutérium<br />
possède un neutron supplémentaire et le tritium, deux.<br />
Les propriétés chimiques des isotopes sont identiques.<br />
3/ Claude Allègre a dirigé l’Institut de physique du globe<br />
de Paris et le Bureau de recherches géologiques et minières.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL 17<br />
© A. GONIN / <strong>CEA</strong>
MATÉRIAUX Béton et nucléaire<br />
De la rouille dans<br />
le béton<br />
© D. TOUZEAU / <strong>CEA</strong><br />
Avec le temps, il n'est pas rare de voir apparaître des fissures sur les<br />
ouvrages en béton. La corrosion des armatures métalliques est très souvent<br />
responsable de cette dégradation. Le <strong>CEA</strong> étudie le devenir du béton armé<br />
à l’échelle de centaines d'années, notamment dans la perspective de la<br />
gestion des déchets radioactifs en entreposage temporaire dans un premier<br />
temps puis en stockage géologique profond à plus long terme.<br />
Le béton des bâtiments<br />
les plus anciens du<br />
centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong><br />
s’est dégradé sous l’effet<br />
de la corrosion des<br />
armatures métalliques.<br />
Q<br />
u’il s’agisse de l’enceinte d’un réacteur<br />
nucléaire, d’un conteneur ou d’un<br />
ouvrage de stockage de déchets<br />
radioactifs, le béton armé doit remplir son<br />
office dans la durée. Or les règles qui prévalent<br />
dans le génie civil s’appliquent à des périodes<br />
allant jusqu’à la centaine d’années. Au delà, il<br />
n'existe pas d'outil permettant de prédire le<br />
comportement des bétons. C’est pourquoi le<br />
<strong>CEA</strong> a lancé en 2002 le programme CIMETAL 1 ,<br />
cofinancé par l'Andra 2 et EDF. CIMETAL a pour<br />
but d'étudier et de modéliser les interactions<br />
© D. TOUZEAU / <strong>CEA</strong><br />
entre le ciment et l'acier au sein du béton armé<br />
à l’échelle de plusieurs centaines d'années. De<br />
quoi s’agit-il ? La corrosion fragilise progressivement<br />
les fers du béton armé. De plus, la<br />
rouille qui recouvre le fer gonfle, ce qui peut<br />
provoquer des fissures, voire l’éclatement du<br />
béton d’enrobage.<br />
Modéliser les mécanismes de<br />
corrosion<br />
Piloté par Valérie L’Hostis, chercheuse à la<br />
Direction de l’énergie nucléaire, CIMETAL<br />
Une agrafe métallique corrodée de l’église Saint-Sulpice,<br />
à Paris, a été analysée par l’équipe experte en<br />
archéomatériaux du centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>.<br />
vise à étudier les mécanismes élémentaires de<br />
corrosion des aciers dans le béton. Dans ce<br />
cadre, une collaboration a été mise en place<br />
avec Philippe Dillmann, chercheur à la Direction<br />
des sciences de la matière 3 , spécialiste du<br />
fer ancien et de la corrosion à long terme. Les<br />
modèles élaborés par ces scientifiques sont<br />
repris et intégrés à des codes de simulation<br />
numérique par Alain Millard, chercheur à la<br />
Direction de l’énergie nucléaire 4 .<br />
« Le béton est un matériau poreux qui interagit<br />
avec l'atmosphère ambiante. Ce n'est pas sans<br />
conséquence pour les armatures de fer. Le gaz<br />
carbonique, par exemple, favorise des processus<br />
chimiques qui augmentent l'acidité du<br />
milieu et facilitent ainsi le développement de<br />
la rouille. De la même manière, la présence de<br />
chlorures dans les environnements marins<br />
accélère fortement la vitesse de corrosion »,<br />
explique Valérie L’Hostis.<br />
Le château d’eau de <strong>Saclay</strong><br />
comme objet d’étude<br />
« Il n'est pas question qu’un conteneur de<br />
déchets nucléaires en béton ou qu’un ouvrage<br />
abritant un site de stockage se fissure jusqu’à<br />
compromettre sa fonction de barrière. Malgré<br />
les apparences, ces besoins sont très différents.<br />
C’est notre travail de reformuler ces<br />
questionnements d’ordre industriel en programme<br />
scientifique », précise Valérie L’Hostis.<br />
De manière classique, ses recherches s’appuient<br />
sur des expériences et aussi sur des<br />
observations de terrain. Le château d'eau du<br />
centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>, édifié par Auguste Perret,<br />
a par exemple été un objet d’études. Des<br />
carottes de béton y ont été prélevées, des cartographies<br />
de ses armatures métalliques ont<br />
été relevées. Ces éléments ont permis de mesu-<br />
18 CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL
Béton et nucléaire MATÉRIAUX<br />
Mesures de la vitesse de corrosion des armatures du béton, sur un bâtiment de <strong>Saclay</strong><br />
construit par l’architecte Auguste Perret, au début des années 1950.<br />
© É. AMBLARD / <strong>CEA</strong><br />
rer des vitesses de corrosion, d’identifier la<br />
nature des attaques chimiques et de confronter<br />
ces données avec les résultats fournis par les<br />
modèles.<br />
Et dans plusieurs siècles ?<br />
Le béton armé a été inventé il y a environ un<br />
siècle. Le château d'eau de Perret a été<br />
construit en 1949. Comment savoir comment<br />
se comportera dans plusieurs siècles le fer<br />
noyé dans le béton ? La rouille détruira-t-elle<br />
complètement le métal ? Gonflera-t-elle au<br />
point de faire éclater le béton ? « Quelle que<br />
soit la nature du ciment, qu’il s’agisse de mortier,<br />
de plâtre ou de béton, on observe les<br />
mêmes types de corrosion au bout de cinquante<br />
ans ou plus », nous apprend Philippe<br />
Dillmann. Il est donc possible de recueillir des<br />
informations intéressant les bétons modernes<br />
à partir de l’étude de matériaux archéologiques,<br />
remontant pour certains jusqu’à six cents<br />
ans. L’église Saint-Sulpice à Paris, le palais des<br />
Papes en Avignon et le château de Vincennes<br />
sont pour lui des sites de référence.<br />
« Les cathédrales sont truffées de fer, remarque<br />
Philippe Dillmann. Par exemple, le palais des<br />
Papes en Avignon, construit en 1340, en<br />
contient plusieurs dizaines de tonnes. Les ferraillages<br />
jouent un rôle important dans la<br />
tenue mécanique de ces édifices ». Épris d'archéologie,<br />
Philippe Dillmann a su conjuguer sa<br />
passion et sa formation en chimie des matériaux.<br />
Son équipe analyse, avec les techniques<br />
les plus en pointe, des échantillons sur<br />
lesquels différents types de rouilles (plus d'une<br />
douzaine) se sont développés selon l’environnement<br />
et la qualité du fer, très variables au<br />
cours des âges.<br />
« On parle tous maintenant<br />
le même langage »<br />
L’ensemble des données recueillies par les<br />
deux équipes est confronté aux résultats des<br />
simulations numériques effectuées par Alain<br />
Millard avec un outil informatique très complet<br />
(CAST3M) développé par le <strong>CEA</strong>. « Nous avançons<br />
très vite, mais nous ne connaissons encore<br />
qu'une partie des paramètres en jeu dans le<br />
processus de vieillissement des bétons », explique<br />
cet ingénieur mécanicien, ancien professeur<br />
chargé de cours à l’École polytechnique.<br />
Des allers et retours entre expériences et simulations<br />
permettent progressivement d’affiner<br />
les modèles et de cerner les principaux facteurs<br />
responsables de l’altération des matériaux.<br />
Pour Valérie L’Hostis, la tâche est ardue : « Tous<br />
les bétons, tous les aciers, tous les environnements<br />
sont différents ». Mais elle ajoute avec le<br />
sourire : « En 2002, on en savait très peu sur la<br />
corrosion dans les bétons. Il y a quatre ans, on<br />
mettait au point les premiers modèles. Depuis,<br />
on cherche à décrire de manière plus précise<br />
la réalité. Et surtout, on parle tous maintenant<br />
le même langage. »<br />
François Bugeon<br />
1/ Programme visant à étudier les interactions entre les<br />
matériaux CIMentaires et METALliques.<br />
2/ Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.<br />
3/ Institut rayonnement et matière de <strong>Saclay</strong>.<br />
4/ Département de modélisation des systèmes et structures.<br />
CENTRE <strong>CEA</strong> DE SACLAY LE JOURNAL<br />
19
Étude du couplage entre le séchage<br />
et la corrosion des armatures<br />
dans le béton armé.<br />
© F. RHODES / <strong>CEA</strong><br />
CONFÉRENCE CYCLOPE MARDI 18 MAI 2010<br />
Par Valérie L’Hostis, Christophe Gallé, Alain Millard, chercheurs à la Direction de l’énergie nucléaire<br />
et Philippe Dillmann, chercheur à la Direction des sciences de la matière, centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong><br />
Des cathédrales aux centrales nucléaires<br />
Les liaisons tumultueuses<br />
de la rouille et du béton<br />
Le béton est partout, incontournable dans le<br />
domaine de l'habitat, du génie civil et de<br />
l'industrie. L'arche de la Défense, le viaduc de<br />
Millau, le stade de France, les enceintes de<br />
confinement des réacteurs nucléaires, sont autant<br />
d'exemples de son utilisation. La construction de<br />
ces structures audacieuses n'a été possible qu'en<br />
renforçant le béton par des armatures en acier.<br />
De longue date cette association du métal et de<br />
la pierre a été utilisée pour la construction<br />
d'édifices monumentaux comme les cathédrales<br />
et les amphithéâtres romains. Aujourd'hui, les<br />
contraintes économiques, énergétiques et de<br />
durabilité deviennent de plus en plus<br />
importantes. La réalisation de certaines structures<br />
impose de concevoir des matériaux dont la<br />
longévité doit atteindre plusieurs siècles, de<br />
manière fiable. Le béton armé se dégrade à plus<br />
ou moins long terme sous l'effet des agressions<br />
externes. Les armatures se corrodent, le béton<br />
éclate et cela peut conduire à la ruine des<br />
ouvrages. La durée de vie d’un béton armé<br />
constitue un défi technologique majeur pour les<br />
ingénieurs et les chercheurs. Cette conférence<br />
INFOS PRATIQUES<br />
Accès / ouvert à tous, entrée gratuite.<br />
Lieu / Institut national des sciences et techniques<br />
nucléaires. Entrée est du centre (voir plan d’accès<br />
ci-dessous).<br />
Date et heure / mardi 18 mai 2010 à 20 heures.<br />
Organisation et renseignements / Centre <strong>CEA</strong> de<br />
<strong>Saclay</strong>, Unité communication. Tél. 01 69 08 52 10.<br />
Adresse postale : 91191 Gif-sur-Yvette Cedex.<br />
permettra de découvrir comment les équipes du<br />
<strong>CEA</strong> observent le béton et la rouille à l'échelle<br />
microscopique, comment les ingénieurs et les<br />
chercheurs testent des archéomatériaux et des<br />
armatures prélevés sur des cathédrales et<br />
comment ils simulent le devenir des structures<br />
sur de puissants ordinateurs pour arriver à savoir<br />
ce que deviendront, dans les siècles à venir, les<br />
ouvrages construits aujourd’hui.<br />
CONFÉRENCE CYCLOPE JUNIORS MARDI 8 JUIN 2010, 20 H 00 INSTN *<br />
Par Jean-François Hergott, Fabien Quéré, Thierry Ruchon, Wilem Boutu, Pascal Monot et Luc Barbier, chercheurs au centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong><br />
Toute la lumière sur les lasers<br />
La découverte du laser, il y a 50 ans, a élargi le<br />
champ des savoirs et bouleversé notre vie<br />
quotidienne. Qu'est-ce que la lumière ? Quelles<br />
sont les particularités du laser ? Quelles sont ses<br />
utilisations ? Les conférenciers-chercheurs<br />
exposeront ces thèmes de manière simple et<br />
illustrée. Ils présenteront aussi les lasers sur<br />
lesquels ils travaillent : les lasers attoseconde<br />
permettent de « photographier » des réactions<br />
chimiques ou l'orbite des électrons autour des<br />
atomes ; les lasers à haute intensité libèrent des<br />
énergies immenses et promettent des applications<br />
dans le domaine médical et en physique<br />
fondamentale.<br />
* voir plan d’accès ci-dessus<br />
www-centre-saclay.cea.fr<br />
Centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong> Le Journal / N° <strong>47</strong> / 2 ème trimestre 2010 / Editeur <strong>CEA</strong> (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives)<br />
Centre de <strong>Saclay</strong> 91191 Gif-sur-Yvette Cedex / Directeur Yves Caristan / Directrice de la publication Danièle Imbault / Rédacteur en chef Christophe Perrin<br />
Rédactrice en chef adjointe Sophie Astorg / avec la participation d’Émilie Gillet, Agnès Deslis et François Bugeon. / Conception graphique Efil communication (www.efil.fr).<br />
N° ISSN 1276-2776 Centre <strong>CEA</strong> de <strong>Saclay</strong>. / Droits de reproduction, textes et illustrations réservés pour tous pays.<br />
Impression Gibert-Clarey, imprimeur labellisé Imprim’vert (charte pour la réduction de l’impact environnemental, la traçabilité et le traitement des déchets).<br />
Papier certifié PEFC / 10-31-1073 (garantie d’une gestion durable des ressources forestières).