LE THEME DE L'INVISIBILITE

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UNIVERSITE DE PARIS X· NANTERRE U. E. R. DES ETUDES ANGlO ~ AMERICAINES LE THEME DE L'INVISIBILITE CHEZ RALPH WALDO ELLISON THESE POUR LE DOCTORAT DE sème CYCLE EN ETUDES AMERICAINES Présentée et Soutenue Publiquement par Ambroise CODJO MEDEGAN Sous la Direction du Professeur Emerite Georges-Albert ASTRE Directeur des Etudes Américaines à l'Université de Paris X - Nanterre PARIS 1981

UNIVERSITE <strong>DE</strong> PARIS X· NANTERRE<br />

U. E. R. <strong>DE</strong>S ETU<strong>DE</strong>S ANGlO ~ AMERICAINES<br />

<strong>LE</strong> <strong>THEME</strong> <strong>DE</strong> <strong>L'INVISIBILITE</strong><br />

CHEZ RALPH WALDO<br />

ELLISON<br />

THESE<br />

POUR <strong>LE</strong> DOCTORAT <strong>DE</strong> sème CYC<strong>LE</strong><br />

EN ETU<strong>DE</strong>S AMERICAINES<br />

Présentée et Soutenue Publiquement<br />

par<br />

Ambroise<br />

CODJO ME<strong>DE</strong>GAN<br />

Sous la Direction du<br />

Professeur Emerite Georges-Albert ASTRE<br />

Directeur des Etudes Américaines<br />

à l'Université de Paris X - Nanterre<br />

PARIS 1981


A "p<br />

mère qui m'a toujours encou.I'Fgé à aller de<br />

l'avant et dont le soutien m'a été d'un grand réconfort<br />

dans les moments difiiciles.<br />

A mon pè:e qui, plus que moi-~ême a cru en moi et<br />

m'a toujours exhorté à persé-vérer cians la voie qui: ,ène<br />

à l'excellence et au dépassement de soi. Qu'il trouve<br />

ici l'expression de ma profonde gratitude pour les sages<br />

conseils qu'il n'a cessé de me prodiguer.<br />

A la mémoire de M.<br />

"maître" fut d'abord un ami.<br />

Cyrille ARNAVON qui plus qu'un<br />

..<br />

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REHErl CIEKENTS<br />

Fl·1~i8u.rs personnes ont contr'ïbué, Qi" 'J~es o'..l:le loin, 2 l'Élp;'or;-'.ti~:m<br />

et à la mise en forme de ce modeste travail. Elles Ront trop nombreuses pou~<br />

que nous les citions toutes nommément. Çu'elles se rassurent pourtant:d'être<br />

englobéeé" dpns un hommage collectif n'altère e'1 riel" 18 didind.ion ni ho<br />

chaleur des sentiments de gratitude que nous éprouvons pour elles.<br />

Cependant, nous voudrions faire mention spéciale de notre directeur de<br />

thèse, M. le professeur émérite Georges-Albert ASTRE. Quoique ne nous connaissant<br />

pas, il a accepté spontanément de nous servir de guide dans nos travaux<br />

de recherches. Toutes les fois que nous avons eu recours à lui tant pour les<br />

problèmes d'ordre pédagogique, administratif que personnel, nous avons trouvé<br />

en lui un interlocuteur attentif et ouvert. Qu'il veuille accepter nos témoignages<br />

de reconnaissance pour l'intérêt constant qu'il a manifesté pour ce<br />

travail et l'aide inappréciable qu'il nous a apportée au cours de son {labCJration.<br />

Nous ne saurions oublier d'associer à cet hommage M. Bomahou Apollinaire<br />

et son épouse pour les marques d'amitié et le grand dévouement qu'ils nous ont<br />

témoignés.


- 1 -<br />

l<br />

N T R 0 DUC T ION<br />

Les écrivains négro-américains manifestent un intér@t particulier poUr<br />

les mots dont un de leurs critiques, Addison Gayle J., a dit qu'ils représentaient<br />

le plus grand. obstaole que tous devaient franchir s'ils tenaient à<br />

oonférer à leur produotion littéraire, une valeur incontestable. Il faut se<br />

rendre à l'évidenoe, en effet, que par delà leur neutralité, les mots, éorits<br />

ou oralement articulés aveo subtilité, peuvent porter des oharges affeotives<br />

positives ou négatives selon leurs utilisateurs et les oirconstanoes où il<br />

les emploie. Le problème prend enoore plus d'aouité lorsqu'il s'agit de mots<br />

oréateurs d'images, évocateurs de sentiments et d'émotions, en d'autres termes<br />

de l'oeuvre de fiotion romanesque. L'ambiguité de Itoeuvre de fiction est<br />

telle qu'elle sert effioacement de veoteurs aux idées les plus variées, o'est<br />

par elle que transitent avec le plus d'effioacité les positions idéologiques<br />

les plus subtiles. Ralph Ellison le sait bien puisqu'il identifie la ségrégation<br />

lexicale oomme étant la forme de ségrégation la plus insidieuse:<br />

" Perhaps the 110st insidious and least understood form of<br />

segregation is that of the word. And by this, l mean the<br />

ward in aIl its oomplex formulations, from the proverb<br />

to the novel and stage play, the word with aIl its subtle<br />

power to suggest and foreshadow overt action and providing<br />

it with symbolio and psychologioal justifioation. For if<br />

the ward has the potency to revive and make us free, i t has<br />

also the power to blind, imprison and destroy."(1)<br />

l'ambivalenoe qui, toujours selon R. Ellison,oonstitue l'essenoe du mot,<br />

ne prend toute sa mesure que dans une situation de domination lorsque l'oppresseur<br />

s'efforoe de présenter sa version de la réalité afin de justifier<br />

et légitimer sa domination sur l'autre. Il entreprend alors de définir sa<br />

(1) R. Ellison, "Twentieth Century Fiction and the Black Mask of Ifumanity"<br />

in Shadow and Aot (S.A.), pp 23-24


-.2-<br />

victime, de marquer sa différence avec elle en des termes dépréciatifs; pour<br />

obliger l'individu assujetti às'accornmoder à sa situation, cette dernière lui<br />

est présentée comme immuable, établie de toute éternité par la toute puissante<br />

Volonté de Dieu ou inscrite dans l'ordre de la nature. Le but de cette opération<br />

mystificatrice montée par l'oppresseur est d'aller au-delà du simple<br />

écrasement physique de la victime pour assurer plus fermement son emprise sur<br />

ell,; il s'agit en effet de l'asservir spirituellement, d'''emprisonner son<br />

esprit" et détruire en elle toute capacité de réflexion et, ce faisant,la rendre<br />

inapte à penser son propre destin en termes de libération. Son comportement<br />

peut alors servir à justifier la condition qui lui est faite; l'oppresseur<br />

se fait alors bonne conscience puisque ceux qu'il opprime ne sont dotés<br />

d'aucun attribut humain.<br />

Le but inavoué de cette mobilisation du langage contre les individus<br />

asservis n'est autre que de les maintenir, rappelons-le, dans leur état suhhumain;<br />

Frederick Douglass, lui-même ancien esclave en témoigne après sa<br />

libération en ces termes:<br />

" To make a contended slave, you must make a thoughtless<br />

one. It is necessary to darken his moral and mental vision,<br />

and as far as possible, to annihilate his power of reason.<br />

He must be able to detect no inconsistencies in slavery.<br />

The man that takes his earnings must be able to convince<br />

him that he has a perfect right to do so. It must not depend<br />

upon mere force; the slave must know no Higher Law<br />

than his rnaster's will. The whole relationship must not<br />

only demonstrate, to his mind, its necessary, but its absolute<br />

rightfulness."(1)<br />

Ainsi pour protéger les droits de propriété qu'ils estimaient avoir<br />

sur leUrs esclaves noirs, leurs martres blancs ont inventé tout un. ensemble<br />

m01ns<br />

de textes légaux pour asseoir leur domination; ils ne firent pasYappel à la<br />

littérature -religieuse, scientifique et à la fiction romanesque- pour achever<br />

leur oeuvre. Car si répressifs que soient les textes légaux, ils n'auraient<br />

pas suffi à eux seuls à écraser les aspirations de la nature humaine à la<br />

(1) Frederick Douglass: My Bondage and ~y JTeedom, New-York, 1855. Cité par<br />

Gilbert Osofsky in The Burden of Race:A~documentaryHistory of Negro-White<br />

Relations in America, New-York, 1967, p 1<br />

------- - .__ .... ~-'<br />

i


- 3 -<br />

liberté et à la justice, ni à détruire les principes affirmés et défendus<br />

par ceux-là mêmes qui les piétinent. L'enjeu est bien compris par le Révérend<br />

Cotton Mather qui conseille aux aristocrates esclavagistes de christianiser<br />

leurs esclaves, d'abord parce que la foi chrétienne contribue merveilleusement<br />

à promouvoir l'amitié, le progrès et l'enrichissement de l'humanité, mais<br />

aussi parce que le plus grand bien qu'on puisse faire à un esclave est de<br />

le convertir au christianisme, dans la mesure où sa conversion ne modifie<br />

en rien son statut social. Tout au contraire, affirmait-il, les bien christianiser,<br />

c'est en faire de très bons serviteurs:<br />

" The greatest kindness tbat can be done to any Man ie to<br />

make a Christian of him. Your Negroes are immediately<br />

Raised unto an astonishing Felicity, when you have Christianized<br />

them.( ••• ) Tho' they remain your Servants, yet they<br />

are become the Children of God. Tho' they are to enjoy no<br />

Earthly Goods, but the small Allowanc~ tbat your Justice<br />

and Bounty sball see proper for them, yet they are become<br />

Heire of God, and joint-heirs with the Lord Jesus Christ.<br />

Tho' they are Vassals, and must with profound subject wait<br />

upon you, yet the Angels of God nowtake them under the<br />

Guardian-ehip, and vouchsafe to tend upon them.( ••• ) Be assured,<br />

Syrs(eic); your Servants will be the Better Servants,<br />

for being made Christian Servants. ( ••• ) Were your Servants<br />

weIl tinged with the spirit of Christianity, it would render<br />

them exceedng Dutiful unto their Masters,exceeùing Patients<br />

unto their Masters, exceeding faithful in their<br />

BUsiness, and afraid of epeaking or doing any thing tbat<br />

may justly displease you."(1)<br />

Alors que Cotton Mather s'adressait en priorité aux martres à qui il faisait<br />

entrevoir tous les bénéfices qu'ils pouvaient retirer d'une éducation religieuse<br />

appropriée donnée à leurs esclaves, c'est à ces derniers que le Révérend<br />

Thomas Bacon s'intéresse. Ses instructions peuvent se résumer en ces<br />

mots: Esclaves Noirs, obéissez à vos martres et servez les diligemment, en<br />

toute bonne foi, avec la volonté, même lorsqu'ils ne sont pas à vos eStés<br />

pour vous surveiller:<br />

•<br />

(1) Cotton Mather: The Negro Christianized: An Essay to excite and Assist<br />

that Good Work, The Instruction of Negro Servants in Christianity(Bbston,<br />

1706). In G. Osofsky, op.cit., pp 35-36.


- 4 -<br />

"••• You have one general rule that you ought always to<br />

carry in your minds;-and that is- to do aIl service for<br />

them,(Four masters and mistress) as if you did for God himself.<br />

Poor creature! You little consider, wherr you are<br />

idle and neglectful of your master's business,-when you<br />

steal and waste, and ~ any of their substance,-when you<br />

are saucy and impudent,-when YoU' are telling them lies, and<br />

deceiving them, -or when you prove stubborn ou sullen, and<br />

will not do the work you are set about without stripes and<br />

vexations; -you do not consider, l say, that what faults<br />

you are guilty of towards your masters and mistresses over<br />

you, in his own stead, and expects that you will do for<br />

them, just as you would do for him. ,,( 1)<br />

Faute d'un tel respect, d'une telle application à accomplir les tâches qui<br />

leur sont assignées, la foudre divine leur tombera sur la tête, menace Thomas<br />

Bacon poursuivant ses recommandations qui,dit-il, dérivent de la règle générale:<br />

servez vos martres comme si vous serviez Dieu:<br />

" 1- And in the first place, YOu are to be obedient and<br />

subject to your masters in aIl thi~. For the rules which<br />

God bath left us in the scriptures are these -"Servants,<br />

ohey in aH things your masters according to the flesh, not<br />

with eye-service as men pleasers, but in singleness ~f heart,<br />

fearing God: -And whatever ye do, do it heartily, as to the<br />

Lord, and not unto men knowing, that of the Lord ye shaH<br />

receive the reward of the inheritance for ye serve the Lord<br />

Christ. -But he that doeth wrong shaH receive for the wrong<br />

he hath done; and there is no respect of persons. -Servants,<br />

be subject to your masters, with aIl fear, not only to the<br />

good and gentle, but also to the froward."( ••• )<br />

" 2- You are not to be eye-servants. -Now eye-servants are<br />

such as as will work hard, and seem mighty diligent, while<br />

they think that any body is taking notice of them, but when<br />

their masters and mistresses backs are turned, they idle,<br />

and neglect their business.( ••• )<br />

" 3- You are to be faithful and honest to our masters and<br />

mistresses -not purloining or wasting their goods and substance)<br />

but shewing aIl good fidelity in aIl things.<br />

" 4- You are to serve your masters with cheerfulness, reverence,<br />

and humility. -You are to do your masters service<br />

with good will, doing it as the will of God from the heart,<br />

without sauciness or answering again.( ••• )"(2)<br />

(1) Thomas Bacon, Sermons Addressed to Masters and Servants and Published in<br />

the Tear 1743 (Winchester, Va, 1813 ?) Rpt. in G. Osofsky,op.cit.,p 39<br />

(2) Thomas Bacon, op.cit.,in G.Osofsky, The Burden of Race, pp 40-43


- 5 -<br />

Ces règles de devoir, on s'en r end compte, n'ont d'autre objectif que de rendre<br />

les esclaves plus dociles et faciliter leur contr61e. Mais comme si cette médiation<br />

de la littérature religieuse seule ne suffisait pas à convaincre les<br />

uns et les autres de la légitimité de l'économie esclavagiste, et du droit naturel<br />

qu'a le Blanc d'asservir le Noir, une autre littérature prétenddment<br />

"scientifique" va en prendre le relais. Son but sera de prouver -aux Blancs<br />

comme aux Noirs- l'infériorité du Noir. Un des premiers à avancer cette thèse<br />

est incontestablement un des plus éminents pères fondateurs, Thomas Jefferson.<br />

Après avoir montré l'impossibilité et exclu l'éventualité d'une cohabitation<br />

entre Blancs et Noirs dans un même pays -parce que la proximité des deux races<br />

ne pouvait que résulter en des convulsions dont la conséquence finale serait<br />

l'inévitable extermination complète d'une des races par l'autre- Thomas Jefferson<br />

donne comme principale explication de cette situation, outre les "deep<br />

prejudices entertained by the whites" et les "thousand recollections, by the<br />

blacks of the injuries they have sustained", les "rea1 distinctions which nature<br />

has made". C'est sur ces distinctions réelles qu'il appuie toute son argumentation<br />

en faisant appel à "l'histoire" et à "l'histoire naturelle". Il<br />

y a en bonne place dans sa démonstration, une valorisation des traits physiques<br />

des deux races et de leur couleur. La différence qu'il constate est<br />

d'importance; n'est-elle pas, en effet "the foundation of a greater or 1ess<br />

share of beauty in the two races ?" Jefferson, en tout cas, ne doute pas un<br />

seul instant que le Blanc représente le parangon de la Beauté vers laquelle<br />

le Noir ne peut qu'aspirer vainement:<br />

" Are not the fine mixtures of red and white, poursuit-il,<br />

the expressions of every passion by greater or less suffusions<br />

of colour in the one preferable to that eternal m.notoIV,<br />

which reigns in the countenances, that immoveable<br />

veil of black which covers aIl the emotions of the other<br />

race? Add to these, flowing hair, a more elegant symmetry<br />

of form, their own jud~eftt in favour of the whites, declared<br />

by their preference of them, as uniformly as is the<br />

preference of the Oranootan for the black women over those<br />

of his own species."(1)<br />

(1) Thomas Jefferson, Notes on the State of Virginia••• (Ba1timore 1800).<br />

Cité par G. Osofsky, oR.cit., pp 49-53.


- 6 -<br />

Après avoir souscrit au symbolisme de la couleur Qui informe la pensée occidentale(1)<br />

~ep~is<br />

l'antiquité gi'éco-romaine et affirmé la supériorité de la<br />

beauté du Blanc sur le Noir qu'il associe plus ou moins déjà aux singes, Thomas<br />

Jefferson continue sa démonstration en avançant d'autres arguments:<br />

" Besides those of colour, figure, and hair,there other<br />

physical distinctions of race. They have less hair on the<br />

face and body. The~secrete less by the kidnies, and more by<br />

the glands of the skin, which gives them a very strong and<br />

disagreable odour•••"<br />

Si sur le plan physique ils sont disgracieux, sur le plan moral ils ne sont<br />

pas mieux lotis: ils n'ont pas le sens de la mesure puisqu'ils se permettent<br />

de danser jusqu'à une heure avancée de la nuit tout en Sachant qu'ils doivent<br />

reprendre t8t le travail le lendemain. Ils ignorent la bravoure quoique leur<br />

manque de prévoyance en face du danger- en fait des aventureux. L'amour chez<br />

eux n'est qu'ardeur et brdlant désir et non comme chez les Blancs ce délicat<br />

mélange de tendres sentiments. Ils ne sont pas rancuniers et leurs chagrins sont<br />

passagers. Bref leur vie ressortit plus à la sensation qu'à la réflexion. Il<br />

n'est donc pas étonnant que leurs facultés (la mémoire exceptée) Boient inférieures<br />

à oelles des Blancs:<br />

" Comparing them by their faculties of memory, reason, and<br />

imagination it appears to me that in memory they are equal<br />

to whites, in reason much inferior, as l think one could<br />

scarcely be found oapable of tracing and oomprehending the<br />

investigations of Euclid, and that in imagination they are<br />

dull, tasteless, and anomalous.( ••• ) Never could yet l find<br />

that a black had uttered a thought above the level of plain<br />

narration; never Bee even an elementary trait of painting and<br />

sculpture. In musio they are more general1y gifted than the<br />

whites with accurate earB for tune and time, and they have<br />

been found oapable of imagining a small catch. Whether they<br />

will be equal to the composition of more extensive run of<br />

melody, or of oomplicated harmony, is yet to be pro~ed.<br />

Misery is often the parent of the Most effecting touches in<br />

poetry. Among the blacks is misery enough, God knows, but no<br />

poetry. Their love is ardent but it kindles the senses only,<br />

not the imagination."(2)<br />

(1) Nous y reviendDons plus loin.<br />

(2) Thomas Jefferson, op.cit., cité par G. Osofsky, pp 51-52


- 1 -<br />

En conclusion de sa. démonstration, Thomas Jefferson, quoiqu'admettant ne pas<br />

disposer des faits irréfutables pour prouver l'infériorité biologique du Noir,<br />

se contente de l'affirmer, sous réserve!<br />

"1 advance it therefore as a SUsp1C1on only, that the blacks<br />

whether originally a distinct race, or made distinct by time<br />

and circumstances, are inferior to whites in the endol'.'Illents<br />

both of body and mind.( ••• ) This infortunate difference of<br />

colour, and perhaps of faculty,is apowerful obstacle to the<br />

emancipation of these people."(1)<br />

Si nous avons tant insisté sur les opinions de Thomas ~efferson<br />

à propos<br />

des Noirs et de leur servitude, ce n'est pas tant parce qu'il a été l'un des<br />

pères fondateurs dont les idées ont le plus influenoé les institutions de la<br />

jeune démocratie américaine, c'est surtout parce qu'à l'opposé de ses pairs<br />

incapables de théoriser ou refusant de justifier leurs prédispositions négrophobes<br />

par une argumentation rigoureuse, "scientifique" ou "philosophique",<br />

il a le premier tenté d'arguer de l'état des Noirs aux Etats-Unis, leur infériorité<br />

constitutionnelle ou circonstancielle. Il a été aussi le premier à<br />

établir une comparaison de leur constitution physique, de leurs capacités<br />

intellectuelles et à conclure à la fatalité qui frappe ils Noill3 sur tous les<br />

plans(2). Ces arguments, les défenseurs de l'esclavagisme les développerartavee<br />

"faits" à l'appui plus tard au 19è siècle, quand le problème de la race noire<br />

deviendra une pomme de discorde dans la société américaine.<br />

Alors apparattront les thèses les plus fantastiques qui tant6t feront de<br />

l'esclavage un bien pour le Noir parce qu'en Amérique il n'avait plus à craindre<br />

d'@tre "a cannibal, destined•••to eat his fellow, or be·eaten by him", 1<br />

ainsi que l'écrit William Gilmore Simms, qui trouve que l'esclavage ''brought 1<br />

him (the negro) to a land in which he suffers no risk of life or limb other<br />

than that to which his owner is subjected, and had increased his health and<br />

strength, improved "his physical symmetry and animal organization", elevated<br />

"his mind and morals", and given "him better and more certain food, better<br />

clothïng, and more kind and valuable attendance when he is sick."(3)<br />

-- (1) Thomas Jefferson, 0p.cit. Cité par G Osofsky, p~55<br />

(2) '~ntil weIl into the nineteenth Century, Jefferson's jugdement on that<br />

matter(l'infériorité du Noir), with aIl its confused tentativeness, stood as<br />

the strongest suggestion of inferiority expressed by any native American." dit<br />

Winthrop Jordan: White over Black, p 455. Voir aussi G. Frederickson, The Black \<br />

Image in the White Mind, New-York, 1961, p 2.<br />

(3)


- 8 -<br />

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant,poursuit-il, que le Noir ait développé<br />

entre temps une disposition heureuse. En réalit~le<br />

stéréotype de l'esclave<br />

heureux et content de son sort n'est qu'une façon pour les Blancs de se<br />

convaincre que leurs esclaves ne se révolteront pas, parce que l'image de la<br />

violence noire et de la règle du talion a toujours hanté les Blancs du Sud.<br />

Il était fréquent dans les années 1830 de se paniquer pour des insurrections<br />

imaginaires. ~~is<br />

cette image romantique du Noir ne résistera pas à l'épreuve<br />

des faits. Quand, à la suite de la Guerre de Sécessio~les<br />

Noirs seront émancipés<br />

et que leur seront conférés les droits de vote et du oitoyen, commencera<br />

une propagande qui fera d'eux des b@tes fauves, tapies dans l'ombre et pr@tes<br />

à bondir sur d'innocentes jeunes personnes qu'elles dépouillent de leurs vertus<br />

et souillent pour toujours.<br />

L'objectif de cette offensive était d'affirmer la suprématie de la race blanche<br />

afin de justifier la politique de ségrégation qui allait suivre. Au reste, il<br />

y avait des gens à franc-parler pour le déclarer sans ambages, à l'instar de<br />

John W.<br />

ChanIer, député de New-York/à la tribune de la chambre des Représentants<br />

en 1865:<br />

ft White democraoy, maintenait-il, makes war on every class,<br />

caste, and race which assails its sovereignty or would undermine<br />

the mastery of the white working man, be he ignorant or<br />

learned, strong or weak. Black democraèy does not exist. The<br />

black race have never asserted and maintained their inalienable<br />

right to be a people, anywhere, or at any time."(1)<br />

t 11<br />

,<br />

•<br />

1<br />

t<br />

La conséquence pratique de cette campagne négrophobe est la ségrégation<br />

fondée sur la couleur de la peau qui fut établie aux Etats-Unis dès les années<br />

1870 et dont les effets se prolongent jusqu'à nos jours. Au nombre des causes<br />

de cette politique de discrimination raciale, on peut citer non seulement la<br />

défense des intér@ts particuliers à chaque classe, mais aussi les préjugés.<br />

Certes, il existe selon Tocqueville<br />

" Un préjugé naturel qui porte l'homme à mépriser celui qui<br />

a été son inférieur longtemps après qu'il soit devenu son<br />

égal; à l'inégalité réelle què produit la fortune ou la loi,<br />

succède toujours une inégalité imaginaire qui a ses racines<br />

dans les moeurs; mais chez les anciens, cet effet secondaire<br />

(1) Congressional Globe, 39, Cong., 1 Session, Pt l, 217. Cité par Frederickson<br />

George, op.~it. p 190


- 9 -<br />

avait un terme. L'affranchi ressemblait si fort aux hommes<br />

d'origine libre qu'il devenait bientôt impossible de le<br />

distinguer au milieu d'eux."<br />

Dans le cas du Noir que la couleur de la peau singularise, les moeurs ne pouvaient<br />

dispar~rtre aussi facilement dans la mesure où longtemps avant le débarquement<br />

à Jamestown (Virginie) des "twenty neegars" en 1619, tout un symbolisme<br />

de la couleur noire associée à tout ce qui est sinistre, triste et<br />

méchant les y avait précédés.<br />

Ce symbGlisme de la couleur, on s'en rend compte aisément, joue un r8le<br />

social d'intégration ou de répudiation très puissant, puisqu'il contribue par<br />

exemple à prévenir l'établissement de relations transactionnelles saines entre<br />

Blancs et Noirs; al particulier aux Etats-Unis èù la couleur de la peau divise<br />

les hommes en catégories polaires représentant à chacune de leurs extrémités,<br />

le Noir comme l'incarnation du Mal, du Laid et'~lanc comme le modèle du Bien<br />

et du Beau. Quand ces catégories morales et esthétiques dérivées du symbolisme<br />

de la couleur opère au détriment d'une race subjuguée, il est facile de la<br />

qualifier, par extrapolation, de race inférieure dont la seule planche de<br />

salut est de se modeler sur celle de ses martres si elle veut s'élever dans<br />

l'ordre de l'humanité.<br />

Le couple symbolique "Blane-Noir" et son fonctionnement au détriment de<br />

ce dernier, explique en partie l'institution du rituel ségrégationniste aux<br />

Etats-Unis. C'est un rituel d'interabtion sociale non réciproque prescrivant<br />

un mode de conduite des Noirs vis-à-vis des Blancs et vice-versa. Son but,<br />

ainsi que l'explique Starke C. Juanita, est d'amener ceux qui y participent<br />

à se conformer aux prescriptions de l'idéologie dominante:<br />

" The purpose of the ritual was to channel the attention<br />

and behavior of the participants, black and white, in line<br />

with the doctrine of white supremacy, thereby freeing them<br />

as individuals from the responsibility of thinking about validityor<br />

of cpestioning interpersonal relations."(1)<br />

(1) Starke C. Juanita, Black Portraiture in !merican Fiction, New-York, Basic<br />

Books, 1911, p 1.


- 10 -<br />

Ce rituel né du temps de l'esclavage pour confirmer les uns et les autres<br />

dans leurf rôles respectifs sera renforcé après l'émancipation des Noirs<br />

par la politique exclusionniste dite "séparés, mais égaux", les actes concrets<br />

qui l'ont illustrée n'ayant d'objectif autre que de renforcer ce rituel dont<br />

les effets persistent encore aujourd'hui. Il explique aussi le caractère malsain<br />

des rapports entre les deux communautés. L'adaptation des Noirs à un r81e<br />

cie soumission et de docilité a affecté négativement leur personnalité, tandis<br />

que de leur eSté, les Blancs, forts de leur position dominante nourrissent des<br />

complexes de supériorité. Ces adaptations à des rôles prescrits empêchent lès<br />

membres des deux communautés de développer une personnalité saune dans une société<br />

unie. Du eSté des Noirs, cette personnalité est affectée par divers dérèglements<br />

psychologiques qui se traduisent par la haine de soi, l'agressivité,<br />

la folie. C'est ce qui amène Grier et Cobbs à soutenir que pour vivre<br />

dans de telles conditions, les Noirs aux Etats-Unis doivent se créer une personnalité<br />

de survie fondée sur<br />

" a profound distrust of his white fellow citizens and of<br />

the nation. He must be on guard to protect himself against<br />

physical hurt. He must cushion himself against cheating,<br />

slander, humiliation, and outright mistreatment by the official<br />

representatives of sociéty. If he does not protect himself,<br />

he will live a life of such pain and shock as to find<br />

life unbearable. For his own survival•••he must develop a<br />

cultural paranoia in which every white man is a potential<br />

enemy unless he personally finds out differently."(1)<br />

L'incapacité des Noirs à tenir pour stable aucun aspect de leur vie les<br />

a donc conduits à une sorte d'asociabilité. En revanche, on observe le phénomène<br />

contraire chez les Blancs que leur raIe dominant a poussé à une surévaluation<br />

de leur personnalité et à la sous-évaluation de celle des autres. Cette<br />

attitude résulte en ce que Kardiner et Ovesey ont appelé "extreme manifestation<br />

of the ego-perversion of dominance"(2) et qui consiste à utiliser COmme<br />

un vulgaire moyen pour des buts purement égistes et matérialistes. Pour expli-<br />

,<br />

quer cette extrême dégradation de l'homme et s'en accommoder sans dommages pour<br />

sa propre personnalité, l'oppresseur doit dégrader encore plus sa victime:<br />

" The sense of guilty makes it imperative to degrade the<br />

(1) William H. Grier and Priee M. Cobbs, Black Rage, New-York, 1968, p 177.<br />

(2) Abram Kardiner, Lionel Ovesey, The Mark of Oppression, New-York, 1951,<br />

p 379. Cité par C.J.starke, op.cit., p 11.


1<br />

- 11 -<br />

object further" affirment Kardiner et Ovesey. Sur le plan du comportement<br />

social, l'objet dégradé devient l'objet à éviter. Pour cela, il est investi<br />

de toutes les tares et représente dans le cas du Noir, la saleté, la laideur,<br />

le mal. Tout ce que l'esprit du Blanc a accumulé comme fantasme est projeté<br />

sur le Noir qui par son propre comportement apporte la caution attendue pour<br />

justifier le sort qu'on lui fait subir. C'est ce que les psychologues appe1ent<br />

"se1f-fu1filling prophecy" et dont C.J. Starke à.onne l'explication suivante:<br />

f<br />

1<br />

" An individua1 perception of the outcome of a given situation<br />

can influence the outcome; or stated different1y, anyone<br />

can find evidence to support a preconceived notion if<br />

he looks hard and long enough for confirmation•••When whites<br />

and blacks meet, therefore, the response of each to the other<br />

is, more often than not, in 1ine with concepts he1ds by his<br />

particu1ar group and by which he has been "programmed" to<br />

reject the other. tt( 1)<br />

x<br />

:x x<br />

(1) Starke C.J., op. cit., p 12


- 12 -<br />

Ce qui frappe celui qui entreprend d'étudier la littérature négroaméricaine<br />

est le parallélisme existant entre les conèitions socio-historiques<br />

et leur description dans les oeuvres de fiction romanesque. La création littéraire<br />

négro-américaine semble n'être que le reflet, transposé par le truchement<br />

de l'imagination, de la situation sociale sur laquelle elle réagit soit<br />

pour en contester la validité, soit pour la consolider. Elle s'installe dans<br />

ce rôle de protestation avec d'autant plus de détermination que les différentes<br />

images du Noir qui sollicitent l'esprit lorsqu'on se réfère à la littérature<br />

américaine ne lui paraissent pas positives.<br />

Lorsqu'on évoque ces symboles esthétiques de culture et de personnalité<br />

que constituent les images du Noir dans la production fictionnelle des Etats­<br />

Unis, ce qui sollicite l'esprit, c'est l'image du ~il esclave docile, qui<br />

fait de l'humilité sa principale vertu et qui est prêt à tout pour sauver son<br />

mattre. L'exemple le plus célèbre de ce type de personnage est l'Uncle Tom<br />

rendu populaire par Beecher Stowe; ensuite, on se rappelle la malheureuse<br />

jsune fille au teint clair se lamentant en vain sur le sort cruel qui la fait<br />

appartenir à une race abhorrée alors qu'elle n'a guère qu'une goutte de sang<br />

noir dans les veines; puis vient la vicieuse brute se tenant à l'aff1lt pour<br />

violer l'innocente jeune fille blanche ou pis encore une vieille dame; le<br />

primitif exotique et le Nègre comique et gros amuseur suivent; enfin on a le<br />

jeune homme violent, ioonoclaste, plein d'amertume qui écume de rage et qui est<br />

pr~t<br />

à aller jusqu'au bout. Ces types de représentation ne visent peut-@tre<br />

que les objectifs que leur créateur leur a assignés, mais leur intérêt réel<br />

réside pour nous dans l'idéologie qu'ils véhiculent, et propagent dans la société<br />

et l'impact que cette idéologie a sur les individus qui entrent en relations<br />

transactionnelles. Cet intérêt se trouve aussi dans l'idée qu'ils donnent<br />

de soi à un lecteur ne disposant pas de la culture, de la connaissance nécessaire<br />

ou de l'appareil critique approprié, susceptible de l'aider à les appréhender<br />

correctement. Car rien n'est plus dangeureux que des images perçues sur<br />

le seul plan émotif et non investies par la raison critique. Comme le rappelle<br />

Starke C. Juanita,<br />

Il ••• perceptions without concepts still remain blind; and<br />

persoqal reaction is controlled, too often, by preconceptions<br />

and that neither desirable self-concepts nor wholesome


-13-<br />

attitudes can emerge so long as individuals are perceived in<br />

terms of static group traits."(1)<br />

Ces images, nous l'avons dit plus haut, sont historiquement datées.<br />

Alors qu'au 1ïè et au 18è siècles, on ne trouve pas pour ainsi dire de personnage<br />

stéréotypé de Noir dans la littérature américaine, le 19è siècle en foisonne.<br />

L'apparition à grande fréquence de ce type de personnage est liée aux<br />

événements historiques: en effet, un des problèmes les plus sérieux auxquels<br />

a dtl faire face la jeune Union, a été sans conteste celui du statut et de la<br />

place des Noirs. Il a tant et si bien divisé les esprits que l'Union elle-m6me<br />

a failli en éclater. C'est à cette époque qu'on a vu d'éminents écrivains employer<br />

leur talent à enfermer les Noirs dans "une ségrégation murée dans le<br />

particulier", à lès dévaloriser. Alors qu'au début du 19è siècle, les Noirs<br />

n'étaient que des @tres crées par Dieu pour servir leurs martres Blancs, quelques<br />

décennies plus tard, on notait déjà. un changement subtil qui visait à<br />

préserver dans l'esprit du lecteur le mythe de la supériorité scientifiquement<br />

démontrée de la race Blanche sur la race Noire. C'est à. cette période qu'on a<br />

vu fleurir les différents stéréotypes de docilité, d'infantilisme des Noirs,<br />

présentés comme "a distinct order of beings, the connecting link between men<br />

and monkeys", qui préféraient la servitude à. la liberté.<br />

C'est sans aucun doute à James Fenimore Cooper qu'il revient d'avoir<br />

esquissé du Noir un portrait complet qui le rapproche plus de l'animal que de<br />

l'6tre humain. Dans son :Doman, The SN (1821) il donne de Caesar, esclave Noir,<br />

la description physique suivante:<br />

" In person, Caesar was short, and we would say square, had<br />

not aIl the angles and curves of his figure bid defiance to<br />

an;ything like mathematical symmetry. His arms were long and<br />

muscular, and terminated by two bony hands, that exhibited<br />

on one side colory of blackish gray, and on the other a faded<br />

pink. But it was in his legs that nature had indulged her<br />

Most capricious humor. There was an abundance of materW<br />

unjudiciously used. The calves were neither before nor behind,<br />

but rather on the outer side of the limb, inclining forward,<br />

and so close to the knee as to render the free use of that<br />

joint a subject of doubt. In the foot, considering it as a<br />

base of complaint, unless, indeed, it might be that the leg<br />

was placed so near the center as to make it sometimes a matter<br />

of dispute whether he was walking backwa.rd."(2)<br />

(1) Starke C. Juanita, op.cit., pp 16-11<br />

(2) Ibid. , p 32


- 14 -<br />

Si physiquement Caesar est un monstre, J.F. Cooper nous assure que moralement<br />

il n'est pas de même.<br />

" But whatever might be the fault a statuary could discover<br />

in his person, the heart of Caesar Thompson was in the<br />

right place, and we doubt mt af .very generous proportions."<br />

En réalité ce que Cooper qualifie de coeur généreux chez Caesar,c'est<br />

sa docilité et son identification complète au Blanc. Caesar cherche en fait<br />

tous les moyens pour échapper à la couleur de sa peau. Il ne supporte pas<br />

d'@tre traité de sale nègre (nigger):" A black man so good as a white••• so long<br />

as he behave heself", répond-il à Harvey, un Américain blanc pour qui tous<br />

les Noirs sont des "niggers". Il est clair que Caesar est victime de ce que<br />

Starke appelle "the tyranny of culturally manipulated black-white symbolism<br />

that brands him inferior from the moment of his birth"(l). Considéré comme un<br />

@tre inférieur et maintenu dans un r6le de subordonné, il vit intensément son<br />

infériorité au point de ne jamais prendre d'initiative propre.<br />

Ces représentations stéréotypées du Noir participent, nous l'avons dit,<br />

d'une idéologie à l'oeuvre déjà dans la vie sociale et politique. Elles servent<br />

à renforcer dans leurs convictions et préjugés toutes les couches de la société.<br />

M@me au plus fort de la guerre civile, le Révérend Joseph Henry Allen du<br />

Massachussetts déclarait toujours que les Noirs étaient une race passive et<br />

docile "that takes kindly to domestication and receives its crumbs of a higher<br />

culture with grateful submissiveness." Pour lui faire écho, le coll!Jnel Hugginson,<br />

commandant des premières troupes noires constituées pendant la Guerre<br />

de Sécession explique la bonne tenue de ces troupes, (aIl looked as thouroughly<br />

black as the most faithful philantropist could desire) il se dit impressionné<br />

par leur aptitude à l'art militaire qu'il justifie ainsi: "To learn the drill,<br />

one does not want a set of college professors; one wants a set of eager, active,<br />

pliant schoolboys; and the more childlike, the better." C'est pourquoi, assuret-il,<br />

les Noirs qu'il décrit comme "simple, docile and affectionnate to the<br />

point of absurdity" surpasseront les Blancs dans l'exercice militaire.<br />

1..•<br />

t<br />

J<br />

t<br />

f<br />

u<br />

t<br />

r<br />

(1) C.J. Starke, op.cit., p 33


- 15 -<br />

(<br />

Ce modèle du Nègre docile et fidèle, cèdera place, après la Guerre Civile<br />

à l'image de la brute. Comme tous les autres stéréotypes, ce type de personnage<br />

reflètait des attitudes historiques et culturelles, singulièrement l'indignation<br />

pharisaique des Blancs contre les Noirs accusés d'avoir eu le front de<br />

remettre en cause la doctrine de la suprématie des Blancs et d'avancer celle de<br />

l'égalité raciale. Une fois de plus la littérature, par sa participation au<br />

débat historique en cours, proposera des modèles dépréciés de personnages<br />

Noirs, avilis par la luxure et la sauvagerie. Thomas Nelson Page dans son<br />

roman Red Rock (1898) présente dans son protagonista~ses-The-Trick-Doctor<br />

(Moise le Charlatan) un personnage semblable. Déjà l'association de mots qui<br />

l'identifie,le désigne comme un faux prophète, un mauvais dirigeant porté sur<br />

le Mal. Son apparence physique grotesque fait de lui une brute que son comportement<br />

ne vient que confirmer après coup. Il est décrit comme un<br />

'~aller nigger (with) protruding lower jaw, deformed teeth,<br />

blue guIDs, villainously law forehead, and a furtive, rolling<br />

eyes that looked in quite different directions. n (1)<br />

1<br />

1<br />

Il porte des colliers de féticheurs composés de perles blanches et bleues,et<br />

joue sur l'émotion des masses. Son but lorsqu'il prend la parole devant elles<br />

n'est pas de les aider à s'élever et à sortir de leur condition miséreuse, mais<br />

d'atteindre ses fins personnelles égoïstes à savoir humilier les Blancs du<br />

Sud.gr~ce<br />

à l'appui coupable des polissons et profiteurs nordistes que sont<br />

les "scalawags" et les "carpetbaggers" qui projettent, dans leur haine pour<br />

les Blancs du Sud, de les priver du droit de vote, et de placer les Noirs à<br />

des postes de haute responsabilité politique et économique d'où ils peuvent<br />

en imposer aux Blancs. Ces m@mes "carpetbaggers" et "scalawags" ont en outre<br />

instillé dans l'esprit du faux prophète Moses, l'idée, inacceptable pour les<br />

bons Blancs, de mariage mixte:<br />

" l 'm jest as good as any white man, and l 'm going ta show'<br />

em 'Bo. l 'm going to marry a white 'ooman and meck white<br />

folks wait on me."(2)<br />

fait dire T. Nelson Page à son protagoniste qui joignant l'acte à la parole,<br />

essaie de prendre de force la fille d'un philantrope Blanc, ce qui amène ses<br />

-- (1) Thomas Nelson Page, Red Rock, A Chronical of Reconstruction, New-York,<br />

Scribner's and Son, 1898, pp<br />

(2) Ibid., p


- 16 -<br />

frèreas de race noire à l'expulser de la communauté.<br />

C'est s.ans doute Thomas Dixon qui a porté ce modèle à son plus haut<br />

période. Le portrait qu'il trace de Gus, héros Noir de son roman The Clansman<br />

(1902) est plus animalesque qu'humain.<br />

n He had the short, heavy set neck of the lower order of<br />

animaIs. His skin was coal black, his lips so thick they<br />

curled both ways, up and do~~ with crooked blood marks<br />

across them. His nose was fIat and its enormous nostrils<br />

seemed in perpetuaI dilatation. The sinister bead eyes,<br />

with brown splotches in their whites were set wide apart<br />

and gleamed apelike under his seant brows. His enormous<br />

cheekbones and jaws seemed to protrude beyond the ears and<br />

almost hide them. n( 1)<br />

Comme le laisse prévoir un physique aussi disgrâcieux, Gus est une brute,<br />

un fauve prédestiné à harasser, insulter et à ravir l'irulocence d'une jeune<br />

personne ingénue. Voici comment Dixon présente ce viol:<br />

n A single tiger spring, and the black claws of the beast<br />

sank into the soft white throat and she was still. n (2)<br />

La jeune Blanche n'est pas assassinée, mais à la honte de vivre, souillée<br />

pour l'éternité, elle préf4ra-mettre fin à ses jours. Sa mère, humiliée et sentant<br />

qu'elle ne pouvait survivre à sa filile dont l'oppro1re l'éclaboussait également,<br />

se jeta à la mer, du haut de la falaise même où sa fille s'était suicidée.<br />

Gus ne put @tre arrêté que lorsqu'un médecin, gr~ce<br />

à un puissant microscope<br />

français·à très fort grossissement, vit en examinant les yeux de la<br />

jeune victime le portrait de Gus qui y était imprimé. Le Ku Klux Klan se<br />

chargera alors de le lyncher.<br />

On pourrait encore multiplier les exemples, parler du Nègre bouffon et<br />

comique des Mïnstrel Shows, mais on ne pourra qu'aboutir à la m@me<br />

conclusion,<br />

à savoir que l'image que la littérature écrite par les Blancs présente du<br />

Noir, ne sert que de justification a posteriori de sa situation sociale et<br />

des problèmes historiques qu'elle pose. C'est pourquoi plus que toute autre,<br />

la littérature négro-américaine dès sa naissance se présente comme un produit<br />

de ron environnement: c'est une littérature qui lance des cris de condamnation,<br />

(1) Thomas Dixon, The Clansman: An Historical Romance of the Ku Klux Klan,<br />

New-York, Doubleday, 1902, p<br />

(2) Ibid., p


Il<br />

li<br />

IL<br />

, i<br />

qui est bouffie de préjugés, d'orgueil, de plaintes. Elle sert de véhicule à<br />

la cristallisation et à la présentation au monde des conditions particulièrement<br />

difficiles de la race noire aux Etats-Unis. C'est une littérature-réponse<br />

à une autre littérature; mais une réponse pleine d'ambiguités. Les premiers<br />

écrivains noirs ont en effet accepté comme vérité démontrée l'image dégradée<br />

que leurs mattres blancs offraient d'eux. Phyllis Wheatley et Jupiter Ha~mon<br />

sont, dit Addison Gayle, les premiers écrivains Noirs à accepter les images<br />

et les symboles de dégradation nés de l'imagination créatrice des intellectuels<br />

sudistes et les premiers à parler avec une sensibilité empruntée qui montrait<br />

jusqu'à quel point ils s'identifiaient à leurs oppresseurs:<br />

" 0 come you pious youth!<br />

Adore The Wisdom of thy God<br />

In bringing thee from distant shore<br />

To learn his holy Word."<br />

écrit Hammond en 1160 en hommage à ses mattres, tandis que Phyllis Wheatley<br />

exprime des sentiments similaires et emploie la m@me<br />

terminologie pour célébrer<br />

ceux qui par la grâce du Dieu tout puissant l'ont arraché à sa sauvagerie:<br />

La m@me<br />

" Father of Mercy! T'was thy gracious hand<br />

Brought me in safety from those dark abodes"(1)<br />

sensibilité se retrouve après l'émancipation. En 1891 à la fin de la<br />

Reconstruction,-époque où la descrimination contre les Noirs avait atteint<br />

un point élevé- Daniel Webster Davis proclamait toujours son admiration pour<br />

ses martres qui, inspirés par Dieu, l'ont sorti de son monde éloigné de tout<br />

raffinement et de toute civilisation:<br />

" E'en in our slavery" écrit Davis, "we can trace the kind1y<br />

hand of God<br />

That took us from our sunny land and from our native sod<br />

Where, Clad in nature's simplest garb, man roamed a savage wild<br />

Untamed his passions; half a man, half a savage child"(2)<br />

Si l'utilisation du langage créateur d'images, de symboles et de métaphores<br />

par les premiers écrivàns noirs a été pour eux un moyen de s'assimiler dans<br />

société blanche afin de jouir des "bienfaits du Blanc", si elle traduit le<br />

(1) Cité par Addison Gayle, Jr: The Way of the New World, New-York, Anchor/<br />

Doubleday, 1975, p 4.<br />

(2) Ibid., P 4


- 18 -<br />

désir secret du Noir de s'échapper de sa noiceur pour devenir blanc, on peut<br />

noter pourtant que lors même qu'il est prisonnier d'un système cie langage qui<br />

le rabaisse et qu'il accepte tacitement, il manifeste inconsciemment souvent<br />

un dualisme culturel et psychologique qu'on retrouve aujourd'hui encore chez les<br />

écrivains négro-américains. Ainsi la même Phyllis Wheathey qui dans la plupart<br />

de ses poèmes rend grgce à Dieu de l'avoir faite esclave, dans une épitre poétique<br />

adressée au comte de Dartmouth écrit:<br />

Le m@me<br />

" Should you, my lord, while you peruse my song<br />

Wonder from whence my love of Freedom spring<br />

Whence flow these wishes for the common good,<br />

By feeling hearts alone best ùnderstood,<br />

l, young in life, by seeming cruel fate<br />

Was snatched from Afric's fancied happy Beat:<br />

What pangs excruciating must molest<br />

What sorrows labor in my parent's breastl<br />

Steeled was that soul, and by no misery moved,<br />

That from a father seized his babe beloved:<br />

Such, such my case. And can 1 then but pray<br />

others may never feel tyrannie SVJa\Y 1"(1)<br />

dualisme persiste de nos jours où des écrivains aussi renommés<br />

que James Baldwin, parlant de sa propre évolution, note:<br />

" 1 know•••that the most crucial time in my own deve1opll'lent<br />

came when 1 was forced to recogni~e that 1 was a kind of bastard<br />

of the West; when 1 followed the line of my past, 1 did<br />

not find myself in Europe but in Africa. And this meant in<br />

Borne subtle wa:y, in a really profound way, 1 brought to<br />

Shakespeare, Bach, Rembrandt, to the stones of Paris, to the<br />

cathedral at Chartres, and to the Empire State Building a<br />

special attitude. These were not rea1ly my creations, they<br />

did not contain my history, 1 might search in them in vain<br />

forever for any reflection of myself••• At the same time 1<br />

had no other heritage which 1 could possibly hope to use•••<br />

1 would have to appropriate these white centuries, 1 would<br />

have to make them mine -1 would have to accept my special<br />

attitude, my special place in this scheme- other\~se 1 would<br />

have no place in ~ scheme. What was the most difficult was<br />

the fact that 1 was forced to admit something 1 had always<br />

hidden from myself, which the American Negro has had to hide<br />

from himself as the priee of his public progre~ that 1 hated<br />

and feared white people. This did not mean that 1 loved blaCk<br />

people; on the contrary, 1 despised them•••"(2)<br />

(1) Cité par Saunders Redding: The Negro Writer and American Literature.<br />

(2) James Baldwin, Notes of a Native Son.


- 19 -<br />

Ralph Ellison ne dit pas autre chose lorsqu'il déclare, évoquant ses<br />

débuts dans la création littéraire:<br />

Il l was forced to relate myself consciously and imaginatively<br />

to my mixed background as American, Negro American, and as a<br />

Negro from what in its own belated waJ'" was a pioneer background.<br />

More important, and inseparable from this particular<br />

effort, was the necessity of determining my true relationship<br />

to that bo~ of Arnerican literature•••through which, aided<br />

by what 1 could learn from literatures of Europe, l would<br />

find my own voice, and to which l was challenged, by waJ'<br />

of achieving myself, to make sorne small sontribution, and to<br />

whose composite picture of reality 1 was obliged to offer some<br />

necessary modifications."(1)<br />

Ce dualisme est la manifestation des àislocations qui affectent l'individu<br />

négro-américain dans tout son Stree Alors, il en appelle; entre autres, à<br />

la littérature comme à une médiation stratégique afin d'échapper à sa prison.<br />

En effet, la littérature, et Y. L. Auguste a raison de l'affirmer, à travers<br />

la variété des formes et des approches, s'identifie, en définitive à une stratégie:<br />

"Stratégie d'une présence, stratégie d'une ouverture au monde! L'axe de<br />

la création littéraire et artistique tourne autour de la relation moi-autrui.<br />

On ne se détache de soi et de son entourage que pour se retrouver identique à<br />

soi-m&me et autres, à la fois pr04uit et inspirateur du milieu."(2) Comme dans<br />

toute littérature, chez les écrivains négro-américains, la densité du cri littéraire<br />

s"puise à la limite de la normalité. Le "Je" y bouscule tout principe<br />

d'identité et d'unité. L'8tre craque, se fissure. Les peles de l'entreprise<br />

littéraire se déplacent: "Je" est un "autre". Il se déroule devant le lecteur<br />

:r~::::.:::u:t ~:i:: :~::~~::;~; :~:c~:tm:;.::·::h;::\::s:::~:n 1<br />

-voyance, hallucination, magie, drogue, etc.- Surviennent alors des décollements i~<br />

tragiques qui sanctionnent toute interférence dans leur champ d'action. r<br />

~:s::::::a:::: ::v::::ea~::;f~: :::::~:::.t~~:::t~::;:u::: ::U::p~:P::s::le f<br />

t<br />

prétention à l'universel, l'aventure noire dans le nouveau monde ne laisse pas !<br />

facilement libre cours à une imagination débridée; "elle ne laisse pas place<br />

(1) Ralph Ellison, S.A., p<br />

(2) Y.L. Auguste: Du "Nègre Masqué" de Stephen Alexis à "L'Homme Invisible" de<br />

R. Ellison, Présence Africaine, N° 101/102, 1er Trimestre 1977. p 176.<br />

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- 20 -<br />

à la création d'un univers imaginaire, à l'invention d'une nouvelle culture<br />

assortie de moyens inédits de connaissance. Elle ne s'illumine, en un mot,<br />

d'aucune échappée vers l'absolu. Elle se creuse, se lésionne et se cicatrise<br />

dans les contradictions du terre à terre, ne laissant au moi acculé, confronté,<br />

lynché, nié, que la possibilité de se défier en renonçant à fttre ou à paraitre."(1)Il<br />

ne reste au loir contesté dans son essence et nié dans son existence<br />

qu'à adopter une stratégie de survie dans le "ghetto des masques qu'on lui<br />

sculpte à tout prix." La seule alternative qui lui est offerte est le maquil.<br />

lage ou la disparition. Cette stratégie de survie -et son corollaire le maquillage-<br />

n'est qu'un reflet du thème de l'invisibilité, thème par excellence du<br />

:boman négro-amérioain. Tout au long du roman négro-américain se retrouve le<br />

monde du bluff et du masque que Pa1il Lawrence Dunbar dans un cri poignant de<br />

vérité arrache pour révéler le coeur qui saigne en dessous:<br />

" Nous partons le masque qui ment et grimace<br />

Il dérobe au regard notre visage et nos yeux<br />

C'est là notre tribut à la perfidie humaine."(2)<br />

Le masque de P. L. Dunbar sert au porteur de livrée d'identifioation,<br />

c'est sa marque de reconnaissance. Mais il le distancie aussi de son vrai moi<br />

pour mieux claquemurer ceux<br />

à qui ce masque était destiné dans leurs aberrations.<br />

C'est un fttre malicieux, narf, bouffon qui "assume des traits surimprimés<br />

par son milieu et se compose un visage selon la t@te du client."(3)<br />

Sa joie toute de commande, cache mal sa tristesse et son désespoir: Charles 1<br />

Bertrand Johnson a bien décrit cette mascarade psychologique du Noir:<br />

r<br />

" Mon peuple rit et chante<br />

Et danse à mourir<br />

Personne ne soupçonne<br />

La douleur qui court dans sa·poitrine."(4)<br />

Les expressions que revftt le thème dé l'invisibilité dans la littérature<br />

négro-américaine sont diverses et multiples. Pour certains écrivains Noirs, le<br />

Noir aux Etats-Unis est comme inexistant, d'autres présentent son expérience en<br />

termes d'isolement et de solitude dans l'enceinte de murs abstraits, consé-<br />

Yves L. Auguste, op.cit., p 177<br />

Paul Lawrence Dunbar, We Wear the Mask,<br />

T.L.Auguste, op.cit., p177<br />

Ibi'd. p 177


- 21 -<br />

quences de sa marginalisation forcée et de son aliénation de la grande société<br />

américaine; d'autres encore insisteront sur le gauchissement psychologique du<br />

Noir à la suite du contact désastreux établi avec lui par le Blanc; les manifestations<br />

en sont alors l'identification passive à des stéréotypes ou à des<br />

archétypes imposés; selon leur disposition psychologique; certains auteurs<br />

explorent les sentiments contradictoires d'inexistence, d'intégration, d'anonyrnité,<br />

de haute visibilité et d'obsession de la couleur, qu'on trouve souvent<br />

chez le Noir américain. D'autres entreprennent d'analyser les sentiments de<br />

vide humain, d'impossibilité de réalisation de soi, de nihilisme, du désir<br />

forcené, morbide à la limite, d'intégration et d'assimilation complète, d'évasion<br />

par la religion vers un paradis imaginaire mais qui lui permet de tenir sa<br />

revanche sur les Blancs••• Bref, la littérature négro-américiane est parcourue<br />

par unè amertume à paliers qui se manifeste aussi bien dans la colère de Richard<br />

Wright, dans la satire cruelle de George Schuyler ou le mépris d'un Chester<br />

Himes pour le monde ~anc:<br />

" There are aU forms and varieties of this inevitable strain<br />

of bitterness in The Negro writer", écrit à ce propos William<br />

Gardner Smith, qui poursuit: " Sometimes it results in militancy;<br />

sometimes inoontempt for the race and self; sœmetimes<br />

in hatred for the whole American society, with the blindness<br />

for the good things contained therein. It is often bard for<br />

the Negro writer to resist polemicizing. He is driven often<br />

to write a tract, rather than a work of art. So conscious is<br />

he of pervading evil of race prejudice that he feels dutybound<br />

to assault it every turn, injecting opinion into alleged<br />

narration and inserting philosophy into the mouths of his<br />

cbaracters.<br />

"Writing of Negroes the novelist has difficulty with his<br />

characterizations. His people usually become walking, talking<br />

propaganda, rather than completely rounded individuals. The<br />

Negro writer hesitates, perhaps uncounsciously, tempers the<br />

goodness of his Negro characters with the dialectical "evil".<br />

Fearful of reinforcing stereotypes in the White reader's mind,<br />

he often goes to the other extreme,idealizing his characters,<br />

making them rather flat than Many sided."( 1)<br />

C'est cet écueil que Ralph Ellison<br />

eDtendéviter lorsqu'il exige<br />

que soit opérée la distinction entre littérature et sociologie. C'est pourquoi<br />

lorsqu'il entreprend d'étudier le thème de l'invisibilité, du Négro-américain,<br />

(1) William Gardner Smith: The Negro Writer, Pitfalls and compensations.


- 22 -<br />

il fait de son héros dans Invisible ~~n, non un personnage plat et unidimen- 1<br />

sionnel, mais pluridimensionnel dont la personnalité jamais statique, évolue au l'<br />

gré des circonstances et de ses intérêts. Il n'a rien du héros tragique. Malgré ~<br />

!<br />

le caractère désastreux de ses aventures, il peut se permettre encore de partir 1<br />

d'un rire salvateur. En fait, il symbolise le Noir ~nigmatique qui lutte pour<br />

se trouver, se définir et se tailler une place au soleil. Comme le fait remarquer<br />

Marcus Steven, le héros de Invisible Man est un héros exemplaire:<br />

" He incorporates the Negro's experience at its extreme. He<br />

has been incorporated into race leadership and its politics,<br />

its simplisms, its outright lies, its goading militanoe, its<br />

obsessive sense of injustice, its sacrifices of people, its<br />

self-renewing urgency, its bafflement, its blindness, and ite<br />

yearning, and he has therefore been deprived of himself,and<br />

it is that that accounts for the pressure and the rage of<br />

his discovery."(1)<br />

L'objectif de Ralph Ellison est, dit-il, d'explorer l'humanité du Nègre<br />

Américain dans toute sa plénitude et de val~riser<br />

les qualités de la race noire<br />

"which argfvalue beyond any question of segregation, économies, or previous<br />

condition of servitude." Ce qu'il veut, c'est de faire en sorte que le Noir<br />

aux Etats-Unis ne soit plus réduit à une simple abstraction dans la tête d'autrui.<br />

La détermination de Ralph Ellison se comprend lorsque l'on évalue ses<br />

idées compte tenu de son passé, de son expérience personnelle de Noir, de militant<br />

de "gauche" et d'écrivain. Une telle démarche se justifie par le fait que<br />

c'est cette expérience qui constitue la matière première de ses nouvelles et de<br />

son roman Invisible Man. Même s'il se défend d'avoir écrit un roman autobiographique,<br />

beaucoup de situations rappellent les aventures qu'il a vécues.<br />

En quoi consiste cette somme d'expériences? C'est ce dont nous allons essayer<br />

de prendre la mesure en explorant rapidement sa vie.<br />

i<br />

Ralph Waldo ELLISON est né le 1er Mars 1914 à Oklahoma City où ses parents<br />

venant de la Caroline du Sud s'étaient récemment installés. Orphelin de père<br />

encore enfant -il n'avait que trois ans à la mort de son père- le jeune Ralph<br />

dût exercer à mi-temps de menus travaux pour assurer sa survie tout en fréquentant<br />

des écoles ségrégées. Le lieu de naissance de Ralph Ellison et les<br />

(1) Marcus, Klein; After Alienation, p 84


- 23 -<br />

expériences multiples et variées qu'il y a accumulées expliquent en grande<br />

p~ la complexité et la richesse de ses conceptions de lui-même, de l'art,<br />

de la culture et des relations entre Blancs et Noirs. D'abord l'environnement:<br />

l'Oklahoma était un Etat-frontalier' (a border state) ouvert au peuplement en<br />

1889 seulement; il n'avait que sept ans d'âge en tant que 46è Etat membre de<br />

l'Union à la naissance de Ralph Ellison. Une des caract!ristiques de ce jeune<br />

Etat était l'absence d'une tradition esclavagiste et des rituels de subordination<br />

qui l'accompagnaient. Certes la ségrégation et la discrimination raciaes<br />

n'y étaient pas inconnues, -Ellison n'a t-il pas fréquenté des écoles<br />

ségrégées ?- cependant les relations entre les deux communautés n'avaien~<br />

ce caractère rigide et dodifié qu'on leur connaissait dans le Vieux Sud. Elles<br />

étaient au contraire plus fluides, partant plus humaines. C'est d'ailleurs,<br />

explique Ralph Ellison, ce qui a motivé ses parents, comme beaucoup d'autres<br />

Nègres à s'y installer:<br />

" My parents, like most of the other Negroes had come to<br />

the new state looking for a broader freedom and had never<br />

stopped pushing a.ga.inst barriers. Having arrived at the same<br />

time that most of the Whites had, they felt that the restriction<br />

of Negro freedom was imposed unjustly through the<br />

force of numbers and that they had the right and obligation<br />

to fight against it. This was aIl to the goo~. It made for<br />

a tradition of aggressiveness and it gave us a group social<br />

goal which was not as limited as that imposed by the old<br />

slave states. l recognized limitations, yes; but l thought<br />

these limitations were unjust and l felt no innate sense of<br />

inferiority which would keep me from getting those things<br />

l desired out of life. There were those who stood in the way<br />

but you just had to keep moving toward whatever you wanted.f1)<br />

Comme on peut l'inférer de ce passage, l'environnement où grandissait le jeune<br />

~s<br />

Ralph était un monde de possibilités qui n'étaient lau-delà de la portée des<br />

Nègres si seulement ils perséveraient dans le travail, luttaient pour défendre<br />

leurs droits, et visaient à l'excellence. C'est là, assure Ellison, l'une des<br />

justifications de la foi des Noirs en l'éducation et dans la volonté de se<br />

cultiver. Jeune adolescent, il s'etait donné pour tâche, avec cinq de ses<br />

camarades de "mastering ourselves and everything in sight as though no such<br />

pas<br />

( 1) Ralph Ellison: "That Seme Pain, That Seme Pleasure: An Interview",<br />

Shadow and Act, pp 5-6.


- 24 -<br />

thing as racial discrimination existed.,,( 1) Ce sentiment de l'inexistence de<br />

restrictions raciales est encore renforcé chez le jeune Ellison par le fait<br />

que vivant dans un milieu bourgeois où sa mère était concierge, le seul<br />

ami qu'il se soit fait dans ses jeunes ans était un petit garçon Blanc de son<br />

âge, très versé en tout ce qui concernait l'électronique, qui ne lui manifestait<br />

aucune agressivité et dont les parents de surcrott l'avaient adopté.<br />

"Knowing him, dit Ellison, led me to expect much more of myself and of the<br />

world."(2) Ces expériences sont, loin s'enfuut,moins émasculatrices et moins<br />

destructives de la personnalité que celles de R. Wright au Mississipi par<br />

exemple. Parlant de l'enfance de l'auteur de Black Boy Ralph Ellison, dans un<br />

article intitulé'Richard Wright's Blues~<br />

écrit:<br />

" And certainly Wright's early childhood was crammed with<br />

catastrophic incidents, In a'few short years his father deserted<br />

his mother, he knew intense hunger, he became a drunkard<br />

begging drinks from black stevedoDes in Remphis saloons;<br />

he was forced to live with a fanatically religious grandmother<br />

in an atmosphere of constant bickering; he was lodged<br />

in an orphan asylum; he observed the suffering of his mother,<br />

who became a permanent invalid, while fighting off the blows<br />

of the pover'ty-stricken relatives wlth whom he had to live;<br />

he was cheated, beaten, and kicked off jobs by White employees<br />

who disliked his eagerness to learn a trade; and to these<br />

objective circumstances must be added the subjective fact that<br />

Wright, with his sensitivity, extreme shyness and intelligence,<br />

was a problem child who rejected his family and was by<br />

.them rejected."0)<br />

Un tel rejet, explique R. Ellison un peu plus loin dans le même article<br />

" leaves the child open ta psychological insecurity, distrust<br />

and all of these hostile env±r~nmental forces from which the<br />

family functions to protect it."(4)<br />

Le Sud tel que Richard Wright en a fait l'expérience concrète dans son<br />

enfance est très différent de celui qu'a connu R. Ellison. Alors que l'environnement<br />

social de R. Wright n'offrait aux Noirs que trois alternatives<br />

(1) Ralph Ellison: "That Same Pain, That Same Pleasure: An Interview", Shadow<br />

and Act, p 7.<br />

(2) Ibid. , p 5<br />

0) R. Ellison, "Richard Wright's Blues"; Shadow and Act, p 79.<br />

(4) Ibid., p 85


- 25 -<br />

" They could accept the role created for them by the whites<br />

and perpetually resolve the resulting conflicts through the<br />

hope and emotional catharsis of Negro religion; they could<br />

repress their dislike of Jim Crow social relations whfle<br />

striving for a middle way of respectability, becoming ­<br />

consciously or unconsciously- the accomplices of the whites<br />

in oppressing their brothers; or they could reject the situation,<br />

adopt a criminal attitude, and carry on an unceasing<br />

psychological scrimmage with the whites, which often flared<br />

forth into physical violence"( 1)<br />

Ralph Ellison Parle de son enfance, non en termes de restrictions émasculatrices,<br />

mais en termes de réelles possibilités. Là oùR.Wright Parle de stérilité<br />

de la vie culturelle du Noir, Ellison voit au contraire de multiples expériences<br />

culturelles se dérouler dans la communauté noire où il a grandi. Vivant<br />

dans un Etat de la "frontière", il faisait(ses amis d'enfance et lui) l'expérience<br />

des gens de la frontière ( t1 frontiersmen") , dont l'une des fonctions était<br />

d'encourager l'individu à une sorte de<br />

" dreamy wakefulness, a state in which he makes -in aIl ignorance<br />

of the accepted limitations of the possible- rash efforts,<br />

quixotic gestures, hopeful testins of the complexity<br />

of the known and given."(2)<br />

Dans cette atmosphère où les enfants faisaient partie d'une tribu qui<br />

transcendait la catégorie de la race, se déroulaient certaines expériences qui<br />

influeront de façon décisive sur la vie de Ralph Ellison. Au nombre d'elles, il<br />

faut mentionner le jazz qui était alors à ses débuts. Ce que faisaient ces aventuriers<br />

exubérants et pleins de créativité, c'était d'exploiter "the freedom<br />

lying within the restictions of their musical tradition as within the limitations<br />

of their social "baokgro1Uld."(3) C'étaielltdes artist.es qui trouvaient la<br />

pleine expression de leur personnalité dans l'art qu'ils pratiquaient, qu'ils<br />

aimaient, par le truchement duquel ils célébr--ient leur version de l'expérience<br />

américaine. Les opinions et les jugements des autres ne les affectaient pas<br />

tant que leurs assauts n'avaient pas des conséquences économiques désastreuses<br />

pour eux. Ces artistes joueurs de jazz représentaient pour les jeunes gens de<br />

la génération de Ralph Ellison qui s'étaient engagés dans une exploration d'une<br />

(1) R. Ellison, "Richard Wright's Blues"; Shadow and Act, p 83.<br />

(2) R. Ellison, Introduction, Shadow and Act, p XV.<br />

(3) Ibid., p XIII.


- 26 -<br />

idée de versatilité<br />

et de possibilité humaines trascendant toutes les restrictions,<br />

des modèles à imiter: ils étaient,<br />

" in their own way better examples for youth to follow than<br />

were most judges and ministers, legislators and governors.<br />

( ••• ) For as we viewed these pillars of society from the confines<br />

of our segre8ated community we almost always saw crooks,<br />

clowns or hypocrites. Even the best were revealed by their<br />

attitudes toward us as lacking the respectable qualities to<br />

which they pretended and for which they were accepted outside<br />

by others, while despite the outlaw nature of their<br />

art, these jazzmen were less torn and damaged by the moral<br />

compromises and insincerities which have so sickened the<br />

life of our country."(1)<br />

Ce que cherchaient ces jeunes gens de la génération d'Ellison, c'étaient<br />

des exemples, des "patterns to live by, out of a freedom which for aU its<br />

being ignored by the sociologists and subtle thinkers was implicit in t~e<br />

Negro situation."(2) Ces héros, ils les trouvaient par identification à ceux<br />

qu'ils rencontraient dans les livres qu'ils lisaient avec voracité. Ces héros<br />

provenaient de toutes les couches de la société et de toutes les catégories<br />

Bocio-professionnelles<br />

ft Gamblers and Bcholars, jazz mUS1C1ans and scientists,<br />

Negro oowboys and soldiers from the Spanish-American and<br />

First World Wars, movie stars and stunt men, figures from<br />

the Italian Renaissance and literature, both classical and<br />

popular, were combined with the special virtues of Bome local<br />

bootlegger, the eloquence of sorne Negro preacher, the<br />

strength and grace of sorne local athlete, the ruthlessness<br />

of some businessman-physician, the elegance in dress and<br />

manners of sorne headwaiter or hotel doorman"(3)<br />

Ils n'étaient ni Blancs, ni Noirs, ni chrétiens, ni juifs. Ils étaient juste<br />

représentatifs, pour l'esprit d'Ellison enfant, de "certain desirable essences,<br />

skills and powers, physical, aesthetic and moral."(4)<br />

(1) R. Ellison, Introduction, Shadow and Act, p XIV.<br />

(2) Ibid., p XV.<br />

(3) Ibid., p XVI.<br />

(4) Ibid., p XVI.


1<br />

- 27 -<br />

Ralph Ellison n'a donc pas fait l'expérience désastreuse des Noirs vivant<br />

dans le Vieux Sud où franchir la ligne des interdits pouvait ~tre fatal. Il<br />

n'a pas connu cette atmosphère de haine qui rabougrit l'esprit du Noir m@me le<br />

plus brillant. Ses rapports avec sa famille ont été très harmonieux. Ces<br />

circonstances vont donner aux écrits de Ralph Ellison un cachet qui manque à<br />

ceux des autres écrivains négro-américains.<br />

Pourtan~ c'est très fortuitement qu'Ellison est devenu écrivain. En effet<br />

c'est à la musique que dès l'âge de huit ans il consacrait toute son énergie.<br />

C' étai~ 'VU son e!'igiH, dtt-il, le seul art qui éemblait lui offr~ quélque<br />

possibilité de définition de soi. C'est la discipline qu'il étudiera de 1933<br />

à 1936 au Tuskegee Institute. La musique aura donc une influence très sensible<br />

sur son oeuvre. Il est d'ailleurs très explicite à ce sujet comme dans l'interview<br />

qu'il a accordée à John Bersey. A une question de ce dernier sur l'influence<br />

de son expérience musicale dans ses écrits, il répond:<br />

" My sense of form, my basic sense of artistic form, is<br />

musical. As a boy l tried to write songs, marches, exercises<br />

in symphonie form, really before l received any trainig,·<br />

and then l studied. l liste~ed constantly to music, trying<br />

to learn the processes of developing a theme of expanding<br />

and contracting and turning it inside out, of making bridges,<br />

and working with techniques of musical continuity, and so on.<br />

l think that basically my instinctive approach to writing<br />

ie through sound. A change of mood and mode cornes to me in<br />

terme ~f sound. That's one part of it, in the sense of composing<br />

the architecture of a fiction.<br />

On the other band, one of the things l work for is to<br />

make a line of prose sound right, or for a bit of dialogue<br />

to fall on the page in the way l hear it, aurally, in my<br />

mind. The sarne goes for the sound and intonation of a character's<br />

voice. When l am writing of characters who speak in<br />

the Negro idiom, in the vernacular, it is still a real problem<br />

for me to make their accents fall in the proper place<br />

in the visual line.,,( 1)<br />

Ralph Ellison n'avait pas abandonné son espoir de devenir compositeur de<br />

symphonies lorsqu'il quitta Tuskegee en 1936 pour venir à New-York. Comme son<br />

héros dans Invisible Man, il pensait y retourner après avoir fait des économies<br />

(1) John Hersey: A completion of Personality: A Talk with Ralph Ellison, p 11


- 28 -<br />

afin de poursuivre ses études. Mais les circonstances en décidèrent autrement.<br />

En effet durant son séjour à New-York, il perdit sa mère et eut dans le même<br />

temps le bonheur de faire connaissance avec R. Wright qui venait d'arriver<br />

aussi dans la ville où il éditait une petite revue. C'est lui qui suggéra à<br />

R. Ellison, de lui présenter des notes de lecture pour sa revue. C'est ainsi,<br />

assure Ralph Elliso~qu'il a commencé à s'intéresser réellement à la chose<br />

écrite. C'est Richard Wright qui pendant longtemps l'initiera aux secrets .de<br />

la création artistique romanesque. Se rappelant cette époque, Ralph Ellison<br />

déclare:<br />

" l didn't understand quite what was going on, but by this<br />

time l had talked with Wright a lot and he was very conscious<br />

of technique. He talked about it not in terms of mystification<br />

but as writing know-how. "l'ou must read so-and-so," he'd<br />

say. "You have to go about learning to write consciously.<br />

People have talked about such and such a problem and have<br />

written about it. You must learn Dow Conrad, Joyce, Dostoievsky<br />

get their effects••• " He guided me to Henry Jarnes and to<br />

Conrad's prefaces, that type of thing. Of course l knew that<br />

my own feelings about the world, about life, were different,<br />

but this was not even a matter to question. Wright knew what<br />

he was about, what he wanted to do, while l hadn't even discovered<br />

myself. l knew only that what l would want to express<br />

would not be an imitation of his kind of a thing."(1)<br />

C'est Wright qui l'encouragea aussi à s'essayer à la fiction. Le résultat est<br />

une nouvelle intitulée "Hymie's BUll" où transparatt l'influence de Hemingway<br />

qui, avec E. Pound, F.M. Ford, Sherwood Anderson, Gertrude Stein, Fitzgerald,<br />

Melville, E. Twain et surtout T.S. Eliott étaient les auteurs qu'il lisait<br />

avec avidité à l'époque. Mais la nouvelle ne fut jamais publiée, parce que la<br />

revue de R. Wright (New Challenge)(2) dut cesser de parattre entre-temps.<br />

Un peu plus tard, rapporte Constance Webb dans sa biographie de R. Wright,<br />

Ellison montra à son atné une autre nouvelle que Wright trouva trop proche de<br />

son style. Ralph, explosa t-il,<br />

" this is my story, my style. You have copied my ideas, my<br />

words and my structure! You must find your own symbols -you<br />

must tap the content of your own unconscious and use it!<br />

You must dig it out of yourself and not duplicate someone<br />

else. n(3)<br />

(1) Ralph Ellison, "That Sarne Pain, That Same Pleasure; An Interview", ShadO\'l<br />

and Act, p 15.<br />

~st une revue de These Low Grounds, un roman de Waters Turpin.<br />

(3) Constance Webb, Richard Wright: A Biography, New-York: G.P. Putnam 's Sons,<br />

1968, p 148. Voir aussi Joseph T.Skerrett JR.I Ralph Ellison and the Example<br />

of Richard Wright: Studies in Short Fiction, Vol. 15, N°2, Spring 1978, p 146.


- 29 -<br />

Au-delà de l'anxiété qu'éprouve R. Wright à voir un jeune Gompatriote l'imiter<br />

alors qu'il n'est pas bien établi dans sa position et dans sa réputation, il<br />

y a la volonté d'aider un jeune écrivain plein de promesse à penser po~r<br />

luimême<br />

et non se confiner dans l'imitation servile, même des meilleurs.<br />

L'apprentissage de R. Ellison continua dans le journalisme de gauche,<br />

toujours dans le giron de R. T·'ril3ht. En 1940, il travaillait pour la revue<br />

The New Masses dont la sensibilité était marxiste. Dans un oommentaire sur un<br />

romancier Blanc, il écrit:<br />

"Len Zinberg indicates how far a writer, whose approach to<br />

Negro life is uncolored(sic) by condescension, stereotyped<br />

ideas, and other faults growing out of race prejudice,is able<br />

to go with a Marxist understanding of the economic basis of<br />

Negro personality. That, plus a Marxist sense of humanity,<br />

carries the writer a long way•••"(1)<br />

Ralph Ellison,pendant longtemps, continuera à écrire pour les journaux et<br />

les revues tout en s'essayant à la création d'oeuvres de fiction. Il publiera<br />

une nouvelle dans New Masses de Juillet 1940. On Y sent toujours l'influence<br />

de R. Wright et de Hemingway. Dans la même période, il·'travaillait sur un<br />

roman qui ne devait jamais voir le jour. Le roman dont le titre devait être<br />

"Sliok Gonna Learn" avait été présenté dans ses grandes lignes dans un revue<br />

en 1939:<br />

" The Negro, Slick Williams, is laid off from his job at the<br />

Hopkins plant shortly after discovering that his Wife, Callie,<br />

is seriously ill from a condition attending pragnancy. In his<br />

effort to obtain money for a doctor, Slick finds himself in<br />

the stereotype situation of a "crap"game, in which he loses<br />

his last two dollars to the pimp, Bostic.,In desperation he<br />

asks Bostic for a five dollar loan. Bostic refuses and denies<br />

him Callie's humanity, advising him that: "If it's good enough<br />

to marry,it's good enough to sell•••" In the ensuing fight,<br />

Slick slashes Bostic with a broken bottle, is knocked senseless<br />

by onlookers, and in stupor of coming to, makes the mistake<br />

d knocking out a white policeman who had come to the<br />

Negro shine parlor to make arrests. Realizing that he has<br />

broken one of the locality's most rigidly enforced taboos ­<br />

under no situation must a Negro strike a White man- Slick,<br />

still confused from the blow on his head,cannot overcome the<br />

psychological barrier and loses his power to act. He remains<br />

in the room to have the policeman recover and cart him off to<br />

jail."(2)<br />

t 1) "Negro Prize Fighter," a review of Walk Hard, Talk Loud, a novel by Len 1<br />

Zinberg, The New Massas, 31, (Déc. 11, 1940), p21. Voir Marcus Klein, After Alie- 'l'"<br />

nation, p 85. Sa première contribution à ce journal semble 6tre "Pratical Mystic",;<br />

une revue du roman historique d'Arthur Huff Fausset: Séjourner Trnth: God's Faith-l<br />

fuI Pilgrim(NM, N° 38, 16 August 1938). La dernière semble @tre "The Way It is". )<br />

The New Masses 4-5,(Oct.20, 1942). 1<br />

(2) Ralph Ellison, "Slick Gonna to Learn" Direction 2 (Sept 1938) p 10. i<br />

!


- 30 -<br />

Le synopsis de ce roman montre à l'évidence, s'il en était besoin, que Ralph<br />

Ellison a lu et a été impressionné par l'oeuvre de R. Wright. La situation de<br />

Slick est celle privilégiée par Wright, de même que le comportement du protagoniste.<br />

Mais sa fascination par les complexes rituels sociaux d'interaction<br />

entre les comportements des individus et leur langage n'était pas encore<br />

arrivé à maturité. Toute sa production au cours de ces années-là -revues, essais,<br />

fiction- révèleront cette incomplétude qui se traduit tant8t par des<br />

simplismes sur le plan idéologiques, tant6t par une révolte indignée devant<br />

les injustices sociales les plus criantes. C'est là qu'il faut chercher l'explication<br />

des positions "gauchisantes" que Ralph Ellison adopte dans sa production<br />

de l'époque. Dans une critique du roman de William Attaway Blood on<br />

the Forge -un roman qui décrit les tribulations et les expériences désastreuses<br />

de trois Nègres sudistes qui laissent le monde rural pour la vie urbaine<br />

et industrielle du Nord- R. Ellison fait remarquer Par exemple que c'est la<br />

brutalité impersonnelle de l'usine qui détruit leur personnalité de ruraux<br />

(folk personalities) et s'indigne du pessimisme de W. Attaway qui refuse de<br />

croire que l'engagement syndical aurait pu les sauver. Parce qu'il ne perçoit<br />

aucun avantage dans la condition ouvrière comparée à la condition paysanne,<br />

Attaway subit l'attaque de R. Ellison. Ses propos d'une manière générale,<br />

tournaient sur les problèmes des émeutes, des lynchages, la discrimination<br />

dans les syndicats, les expulsions de locataires~ l'humanutarisme de l'Union<br />

Soviétique, -problèmes qui ont façonné et rendu manifeste la prise de conscience<br />

politique de R. Ellison.<br />

A la vérité, la gauche américaine depuis la Grande Dépression de 1929<br />

s'était prise d'un réel intérêt pour toutes les minorités raciales aux Etatsunis<br />

et s'était efforcée avec un succès certain de promouvoir les relations<br />

entre les deux races blanche et noire en particulier. Ellison dans un article<br />

polémique sur le réalisme social dans The New Masses(1) le reconnatt lorsqu'il<br />

affirme:<br />

(1) R. Ellison, "Recent Negro Fiction", The New Masses, XL, August 5, 1941,<br />

p 25.


- 31 -<br />

" It is no accident that the two most advanced American Negro<br />

writers, Hughes and Wright, have been men who have experienced<br />

freedom of. association with advanced White writers."<br />

La même formule s'applique assurément à R. Ellison aussi, qui évoluait dans le<br />

sillage de ces deux plus grands écrivains Noirs de l'époque.Car tout en continuant<br />

à écrire pour les journaux, il renforçait sa culture littéraire en lisant<br />

romans et critiques qui n'étaient pas toujours consacrés aux problèmes des<br />

droits sociaux. Dostoievsky et· les Russes de l'époque prérévolutionnaire l'intriguèrent<br />

de m@me que Joyce, autant par leurs recherches techniques et la façon<br />

dont ils obtenaient leurs effets que par les problèmes moraux qu'ils posaient.<br />

L'un des reproches majeurs qu'il fera à Hemingway (et d'une manière générale<br />

à tous les écrivains de la Génération Perdue) est son refus dè s'engager<br />

dans.le;; débats relatifs à la moralité publique des Etats-Unis alors que l'oeuvre<br />

d'art es par nature, sociale et engagée et d'@tre allé jusqu'en Espagne pour<br />

1<br />

chercher son motif de violence dans les corridas espagnoles. Comme il l'écrit<br />

lui-même:<br />

" It is instructive that Hemingway, born into a civilization<br />

characterized by violence, should seize upon the ritualized<br />

violence of the culturally distant Spanish bullfight as a<br />

laboratory for developing his style. For it was, for Americans,<br />

an amoral violence (though not for the Spaniards) which he was<br />

seeking. Otherwise he might have studied that rituaI of violence<br />

closer to home, that ritual in which the sacrifice is<br />

that of a human Bcapegoat, the lynching bee. Certainly this<br />

rite is not confined to the rope as agency, nor to the South<br />

as scene, nor even to the Negro as victim."(1)<br />

Pourtant Ellison sera toujours impressionné favorablement par la rhétorique et<br />

le sens du métier de l'auteur de L'Adieu aux Armes qui a découvert pour la littérature<br />

américaine les modèles de la langue américaine moderne. Mais les découvertes<br />

de Hemingway restent surtout valables pour les Blancs parce qu'elles<br />

se fondent sur des valeurs que les Noirs ne partagent pas. Quand Ellison entreprendra<br />

d'écrire son roman'~\'inspirerade la méthode d'Hemingway qu'il adaptera<br />

à Bon propos. Ainsi au lieu du langage sobre et plein de sous-entendus de<br />

ce dernier, Ellison préfèrera les métaphores sinueuses du langage coloré et sou-<br />

(1) Ralph Ellison, 'Twentieth Century Fiction and The Black Mask of Humanity",<br />

Shadow and Act, p 31


- 32 -<br />

vent violent des Noirs.<br />

est d'apprendre à critiquer les dirigeants de la communauté noire et à poser<br />

les problèmes relatifs au nationalisme. Dans un éditorial du NegrO Quaterly,<br />

il analyse les attitudes conflictuelles des Noirs envers la guerre et l'effort<br />

de guerre, et faisant la constatation que les forces armées américaines étaient<br />

ségrégées et que le racisme était pratique co'~ante<br />

dans les industries de<br />

guerre, Ralph Ellison affirme comprendre et saluer les Nègres qui considéraient<br />

la guerre qui se déroulait comme une gùerre entre les Blancs et qui la rejetaient<br />

par conséquent. Il va même<br />

jusqu'à recommander "an attitude of critical<br />

participation, based upon a sharp sense of the Negro people's group personality."(1)<br />

Mais il transcende ce type de nationalisme -qui est dans un sens<br />

admirable parce qu'il permet de résoudre tous les problèmes sur la base du<br />

simple principe "that Negroes deserve equal treatment with a11 other free human<br />

beings.;." Mais une telle attitude révèle à î'évidence une étroitesse d'esprit,<br />

parce que la guerre qui faisait rage dépassait la simple opposition<br />

"bons Blancs" contre "Mauvais Blancs". Le Nègre, soutient-il avec conviction,<br />

a un enjeu dans la défaite du fascisme, qu'il soit international ou national.<br />

C'est pourquoi il propose une autre forme de nationalisme qui ne soit ni une<br />

acceptation aveugle de la guerre, ni un rejet catégorique. Une telle conception<br />

est beaucoup plus humaine et offre plus de perspectives que les deux attitudes<br />

précédentes:<br />

" and it is scientific enough to make use of both by transforming<br />

them into strategies of struggle. It is committed<br />

to life, it holds that the main task of the Negro people is<br />

to work unceasingly toward creating those democratic conditions<br />

in which it can live and recreate itself. It believes<br />

the historical role of Negroes to be that of integrating the<br />

larger American nation and compelling it untiringly toward<br />

true freedom. And while it will have none of the slavishness<br />

of the first attitude, it is imaginative and flexible enough<br />

to die if dying is forced upon it."(2)<br />

Ce que tente de faire R. Ellison ici est de reconcilier deux courants de<br />

pensée conflictuels au sein des Noirs, le séparatisme exclusionniste qui à la<br />

limite prône un développement politique dans un espace culturel propre, et la<br />

(1) "Editorial Comment", The Negro Quaterly l (Winter(Spring, 1943),pp 296-298.<br />

(2) Ibid.


- 33 -<br />

tendance intégrationniste qui veut que les Noirs ayant été partie prenante<br />

dans la formation des Etats-Unis et ayant contribué à son avancement économique,<br />

ils puissent jouir des fruit.s de la démocratie qu'ils ont aidé à établir. C'est<br />

une tentative d'échapper au ghetto idéologique dans lequel il était confiné.<br />

Il demande dans le même souffle aux àirigeants de ne plus servir de simple<br />

caisse de résonnance aux Blancs mais de se réconcilier avec les masses noires<br />

devant lesquelles ils doivent se sentir responsables. Vers la fin de l'éditorial<br />

où le marxisme et le nationalisme sont "harmonieusement" juxtaposés,<br />

R. Ellison écrit:<br />

" A third major problem, and one that is indispensable to<br />

the centralization and direction of power, is that of learning<br />

the meaning of the mythe and symbols which abound among<br />

the Negro Masses. For without this knowledge, leadership, no<br />

matter how correct its program, will fail. Much in Negro life<br />

remains a mystery; perhaps the zoot suit-conceals profound<br />

political meaning; perhaps the symmetrical frenzy of the<br />

Lin~-hop conceals clues to great potential powers -if only<br />

Negro leaders would solve this riddle. On this knowledge depends<br />

the effectiveness of any slogan or tactic. For instance,<br />

it is obvious that Negro resentment over their treatment at<br />

the hands of their allies is justified. This Eaturally makes<br />

for a resistance to our stated war aims, even though these<br />

aims are essentially correct; and they will be accepted by<br />

the Negro masses only to the extent that they are helped to<br />

see the bright star of their own hopes through the fog of<br />

their daily experiences. The problem is psychological it will<br />

be solved only by a Negro leadership that is aware of the<br />

psychological attitudes and incipient forms of action which<br />

the black masses reveal in their emotion -charged myths, symbols,<br />

and war-time folk-lore. Only through a skillful and<br />

wise manipulation of these centers of repressed social energy<br />

will Negro resentment, self-pity and indignation be channelized<br />

to cut through temporary issues and become transformed into<br />

positive action. This is not to make the problem simply one<br />

of words, but to recognize•••that words have their own vital<br />

importance."(1)<br />

Ce n'est plus là, on peut s'en rendre aisément compte, le marxiste pur<br />

et dur qui parle. La base économique n'explique plus tout. Une nouvelle catégorie<br />

est introduite qui valorise le folklore et en fait une stratégie politique,<br />

mystérieuse qui n'est plus déterminée économiquement. Ce que R. Ellison entreprend<br />

est un dépassement, par le truchement d'une mise en relief du nationa-<br />

(1) "Editorial Comment", The Negro Quaterly (Winter-Spring, 1943), pp 296-298.<br />

Cité par Larry Neal: Ellison's Zoot Suit, p 67.


- 34 -<br />

lisme culturel, de l'analyse simpliste de la culture populaire nègre par le<br />

concept de réalisme social. La structure de classe ne sert plus de base au<br />

mouvement de libération nationale. Ce sont les mécanismes culturels oui jouent<br />

désormais ce r81e. Cette position marque un changement radical dans la pensée<br />

de R. Ellison qui félicitait Langston Hughes parce que son oeuvre -followed<br />

the logical development<br />

deux années plus tard, dans la critique de \'1.<br />

of the national-folk sources of his art"(1), mais qui<br />

Attaway écrivait: "Certainly•••<br />

few folks values withstood the impact of the indastrial era•••"(2) Son attitude<br />

envers la culture Doire avait été jusque là ambivalente. La culture qui était<br />

présentée alors comme la culture Nègre n'était qu'un divertissement pour les<br />

Blancs. Les écrivains de la~Renaissance<br />

NègreUavaient fait de l'exotisme, de<br />

la sensualité et de l'intuition les caractéristiques de cette culture et l'accepter<br />

équivalait à se détruire soi-même. R. Ellison refuse de s'identifier à<br />

une telle culture.<br />

" l had undergone, not too many months before taking the path<br />

whieh 1ed to writing, the humiliation of being taught in a c1ass<br />

of socio1ogy at a Negro co1lege (from Park and Burgess, the<br />

1eading textbook in the field) that Negroes represented the<br />

"lady of the races"••• Wel1 l had no intention of being<br />

bound by any such humi1iating definition of my re1ationship<br />

to American literature."(3)<br />

Le complexe de stéréotypes que la culture Nègre était devenu explique son<br />

rejet par E1lison. qui idéologiquement s'opposait à la Renaissance Nègre:<br />

" This movei:lent was marked by the "discovery" of the !Tegro<br />

by wea1thy:. whites, who in attempting to fil1 the vacuum of<br />

their lives made 1920s an era of fads".<br />

Malgré son caractère petit-bourgeois et folklorique, la Renaissance Nègre<br />

- -.<br />

affirmait la spécificité du fait culturel noir, et Ralph Ellison -qui connaissait<br />

Langston Hughes et Richard Wright et savait que ces deux écrivains travaillaient<br />

sur des matériaux issus de ltexpérience s~culaire<br />

des Noirs- ne<br />

pouvait l'ignorer. Avec la déception née du revirement de la gauche américaine<br />

sur le problème noir, son effort intellectuel se portera surtout sur l'exploration<br />

de la culture populaire noire. A partir de 1943 tous ses écrits traiteront<br />

(1) Stormy Weather<br />

(2) "Transition", The Negro QuaterlY, l (Spring, 1942) p 91.<br />

(3) Ralph E11ison: Introduction, Shadow and Act, p XX.


en grande partie de la culture noire, de sa définition adéquate, du rapport<br />

des Noirs avec les Etats-Unis. Son roman Invisible ~lan examinera aussi certains<br />

aspects de se problématique culturelle. Nous y reviendrons. Pour l'instant<br />

qu'il nous suffise de rappeler que tous les problèmes que R. Ellison a rencontrés<br />

au cours de sa période d'initiation transparattront dans son oeuvre<br />

de fict~on,<br />

nouvelles comme romans.<br />

Dans notre étude du thème de l'invisibilité chez Ralph Ellison nous<br />

prendrons en considération tous ces faits qui ont contribué à façonner sa<br />

vision du monde et partant toute son oeuvr~ffiction. Nous n8US appesantirons<br />

particulièrement sur certains aspects de cette oeuvre à savoir: les rapports<br />

entre l'histoire et la condition d'invisibilité du Noir aux Etats-Unis; ensuite<br />

nous verrons comment ces problèmes d'établissement de rapports sains<br />

entre l'individu et son histoire crée pour lui d'énormes difficultés lorsqu'<br />

il essaie de se forger une identité dans le monde américain d'aujourd'hui.<br />

L'un des acteurs à ressentir avec acuité cette difficulté est sans conteste<br />

l'artiste négro-américain. Comment fonder une esthétique d~ une situation<br />

d'invisibilité, et quelles relations cette esthétique doit-elle entretenir<br />

avec les ~ormes proposées par la grande société blanche ? Nous aborderons la<br />

question et nous analyserons les approches de solution que R. Ellison avance<br />

en réponse à ces interrogations. Enfin nous examinerons dans une dernière partie<br />

les présupposés idéologiques qui se profilent derrière les déclarations<br />

de Ralph Ellison et qui expliquent qu'il ait autant d'admirateurs (surtout<br />

parmi l'Establishment blanc) que de détracteurs (en majorité noirs) et le<br />

regain d'intérêt qu'il suscite ces dernières années.


1<br />

1 !!1;f<br />

~<br />

! ,<br />

PREMIERE<br />

PARTIE<br />

INVISIBILITE et HISTOIRE<br />

LI invisibi lité comme<br />

le vécu historique du Noir.<br />

(Une lecture socio-historique de Invisible Man de Ralph ELLISON)


- 37 -<br />

INVISIBILITE COJ.TI,;E VECU HISTORIQUE DU NOIR<br />

Une lecture socio-historique de Homme Invisible, Pour gui Chantes-tu ?)<br />

Pour Ralph Ellison, la production artistique et singulièrement la<br />

production littéraire résultent avant tout de la confrontation de l'artiste<br />

$U monde, de la conversion de son expérience en action symbolique. L'oeuvre<br />

d'art ainsi affectée par le temps et l'espace, n'a de valeur et ne livre sa<br />

signification profonde que par référence au contexte socio-historique d'où elle<br />

tire son origine. C'est pourquoi Ralph Ellison, pour expliquer la qualité particulière<br />

de son oeuvre, fait appel à son passé propre et à sa compréhension<br />

de l'expérience historique du peuple négro-américain telle qu'il l'a vécue<br />

dans son Oklahoma natal. C'est la même raison qui le pousse à recommander<br />

avec insistance aux écrivains négro-américains de plonger constamment dans les<br />

ténèbres du passé où le temps, tel un fantôme, reste suspendu (1). Jeter un<br />

tel regard critique sur le passé se justifie par le fait que toute bonne oeuvre<br />

de fiction, si elle veut parler à l'imagination des lecteurs et retenir<br />

leur intérêt, doit se fonder sur la réalité, même si elle est difficile à<br />

appréhender. Interpeller l'histoire avec intelligence et vérité c'est non<br />

seulement porter témoignage pour l'homme, mais aussi l'aider à trouver ses<br />

assises dans le teMps et l'espace, partant à s'insérer dans la continuité<br />

historique; c'est lui permettre de mieux posséder le sens véritable du présent<br />

dans lequel il vit et sur lequel il n'a souvent pas de prise. C'est enfin<br />

mieux l'armer à affronter l'avenir parce que pour se sentir concerné par le<br />

futur, il faut d'abord se sentir héritier d'un passé qu'on assume avec courage.<br />

Et c'est précisément à cette jonction que se situe le drame du négro-américain.<br />

Il dérive de son incapacité ou de son refus à accepter son passé et à l'ass~~er<br />

sans honte. Drame du temps assurément, mais aussi drame d'isolement car refusant<br />

de vivre son passé de façon saine, il se retrouve après l'avoir rejeté,<br />

en train de vivre avec la mémoire d'autrui, de se mouvoir dans une peau qui<br />

n'est pas la sienne. Le narrateur de Homme Invisible, pour gui chantes-tu 1(2)<br />

(1) R.Ellison, Introduction, Shadow and Act, Vintage Books, A division of<br />

Random House, New-York, 1972, p XIX.<br />

(2) Homme Invisible, pour gui chantes-tu? titre de la traduction française du<br />

roman de R. Ellison par Robert et Magali Merle, Paris, Grasset, 1970


- 38 -<br />

confesse dès le début du roman avoir éprouvé de la honte pour les siens<br />

parce qu'ils avaient été esclaves:<br />

Il !l1es grands-parents furent eé'claves, je n'ai pas honte<br />

d'eux. J'ai plut6t honte de moi pour avoir dans le temps<br />

éprouvé de la honte à leur sujet."(1)<br />

On comprend donc que voulant ~rire l'expérience du peuple noir aux<br />

Etats-Unis, Ralph Ellison parte de leur histoire. Ses nouvelles et son<br />

roman suivent ce paradigme à quelques exceptions près. Homme Invisible•••<br />

n'est, entre autres choses, qu'une exploration multidimentionnelle de l'expérience<br />

du peuple négro-américain présentée par le truchement des mésaventures<br />

d'un jeune nègre innocent qui a épousé et fait siens les mythes et les illusions<br />

propagés et entretenus par la société américaine blanche afin de maintenir<br />

les Noirs dans leur condition de citoyens de seconde zone, et qui a résolu<br />

de conformer sa vie à ces modèles. Sans souvenir ni projet, il part à l'aveuglette<br />

à la recherche d'un mode d'être dans un présent qui lui est hostile:<br />

" Le présent, cet autre exil si dur à mon coeur, l'arrachement de soi à soi."<br />

Ces mots de L.S. Senghor s'appliquent bien à ce jeune adolescent que sa condition<br />

de fils d'esclaves a coupé de son passé et qui par son comportement se<br />

trouve incapable d'établir des rapports de connivence avec le futur; un homme<br />

dont la mémoire endolorie reste encombrée par des paroles stériles qu'il<br />

braIe en vain d'oublier.<br />

La première démarche du narrateur dans ses mémoires qu'il intitule<br />

Homme Invisible consistera donc à interpellœ l'histoire, à s'y plonger pour<br />

trouver des explications à son état présent, tant il est vrai qu'fUn peuple<br />

qui n'a pas d'histoire se cadavérise."<br />

Homme Invisible, se présente donc au niveau de l'histoire symbolique,<br />

comme l'itinéraire parcouru par le peuple noir aux Etats-Unis depuis la période<br />

de la Reconstruction qui a vu l'affranchissement de l'esclave d'hier élevé<br />

par décret au rang d'homme libre. C'est une exploration des différentes attitudes<br />

adoptées par les Noirs face aux différentes idéologies proposées à eux<br />

à diverses époques. C'est pourquoi Ralph Ellison fait dire à son héros:<br />

(1) Homme Invisible, pour gui Chantes-tu? Titre de la traduction française du<br />

roman de R. Ellison par Robert et Magali Merle, Paris Bernard Grasset, 1970.


- 39 -<br />

" J,Ta destinée était inscrite toutes chases égales (ou inégales)<br />

d'ailleurs, il y a quatre vinq-cinq ans.( ••• ) Voilà<br />

quatre vingt-cinq ans, on leur (mes grands parents) annonça<br />

qu'ils étaient libres, unis aux autres hommes de notre pays<br />

dans le domaine du bien commun, mais séparés d'eux comme le<br />

sont les doigts de la main dans le domaine de l'organisation<br />

sociale. Ils le crurent. Et ils restèrent à leur place, travaillèrent<br />

dur, élevèrent mon père dans les mêmes principes."<br />

(1)<br />

Voilà apostrophés les responsables de la condition déplorable actuelle<br />

faite aux Noirs, responsables que Ralph Ellison entend stigmatiser: Une certaine<br />

oatégorie de politioiens blanos et dirigeants noirs stipendiés qui,avec<br />

Booker T. Washington à leur tête -c'est lui en effet qui pr6nait l'union dans<br />

le domaine du bien oommun et la séparation raoiale dans le domaine socialmanipulent<br />

l'histoire afin de s'en servir à des fins inavouées. Il suffit<br />

pour s'en oonvainore de replaoer les événements dans leur oontexte historique<br />

véritable.<br />

Rappelons d'abord que l' Içte d'Ema.>'lcipation proclamé par A. Lincoln<br />

n'était qu'un aote de circonstance dicté par les nécessités politiques découlant<br />

de la guerre de Sécession. D'ailleur~il comportait de nombreuses<br />

tares et créait plus de problèmes qu'il n'en résolvait. Parce que bien avant<br />

la proclamation de l'acte qui les affranohissait, les Noirs sachant pertinemment<br />

qU'ULeliberté formelle sans assise économique réelle était à coup s~ un<br />

suicide sur le plan sooial pour les esclaves d'hier qu'ils étaient, réclamaient<br />

déjà oe qui pour eux était le minimum, à savoir "quarante acres et une mule".<br />

La sooiété libérale du Nord et les partisans de l'abolitionnisme, faute d'accéder<br />

à leur demande les avaient tirés de leur état servile pour les plonger<br />

dans une condition pire. Esolaves, ils jouissaient -toutes proportions gardéesd'une<br />

oertaine stabilité économique et psychique, mais libres du jour au lendemain,<br />

sans pouvoir économique, ils devenaient des vagabonds victimes de toutes<br />

sortes d'exactions alors qu'une propagande hostile s'évertuait à les dénigrer.<br />

Le Nord qui prétendait être le champion de la liberté des peuples et<br />

qui déclarait avoir fait la guerre afin de délivrer les Noirs de la servitude<br />

(1) Homme Invisible, pour gui chantes-tu ?, p 31


- 40 -<br />

que leur imposait le Sud, avait perdu tout intér~t pour eux, une fois la<br />

guerre finie. Ce manque d'intérêt soudain provenait du fait que pour la plupart<br />

des Nordistes, la question des droits des Noirs était subordonnée à la<br />

politique d'hégémonie du Nord et à la prédominance de ses institutions économiques<br />

et sociales sur le Sud. Certes, il n'était plus possible au Nord d'éluder<br />

les problèmes de l'insertion des affranchis dans la structure économique et<br />

de la place à leur faire dans la société. Ces derniers pouvaient, par leur<br />

simple présence, empêcher la reconstruction de l'Union aussi bien qu'aider<br />

à en biter l'avènement. Face à ce dilemme, et la solidarité de race aidant, les<br />

anciens préjugés furent ravivés et mobilisés contre les Noirs par les Blancs<br />

qui pour la plupart ne pouvaient accepter ni m@me concevoir l'idée d'une possible<br />

égalité avec ceux qu'ils venaient d'affranchir. Réticence compréhensible<br />

quand on sait que l'inconscient collectif des Blancs était toujours affecté<br />

par les stéréotypes d'infériorité, d'infantilisme et de docilité appliqués<br />

aux Noirs. On ne s'étonnera pas d'entendre le Révérend Joseph Henry Allen<br />

déclarer au plus fort de la guerre civile (1862) que les Noirs étaient d'une<br />

race "that takes kindly to domestication and receives its crumbs of a higher<br />

culture vith grateful submissiveness."(1) Il justifiait son argumentation<br />

pa:o le fait que tous les Noirs Ile se soient pas rebellés en masse contre leurs<br />

martres blancs du Sud lorsque se déclenchèrent les hostilités. L'image du<br />

caractère inoffensif des Noirs était si profondément ancrée dans les esprits<br />

que la présence des troupes noires aux c8tés des Nordistes se révéla impuissante<br />

à l'affecter encore moins la détruire. M@me le colonel Hug~on qui avait<br />

formé et dirigé les premières unités de combat expliquait leurs faits d'armes<br />

et leur tenue au combat par leur facilité à se laisser commander par les<br />

Blancs. Après s'être trouvé ce qu'il appelle une affinité constitutionnelle<br />

avec les races primitives (a constitutional affinity for developed races) et<br />

s'@tre réjoui de n'avoir aucun mul&tre au nombre de ses recrues ~~ll looked as<br />

thoroughly black as the most faithful philantropist could desire~ écrit-il en<br />

substance)(2) , il déclare, pour expliquer l'aptitude des Noirs à l'art militaire,<br />

que "to learn the drill, one does not want a set of collage professors;<br />

(1) Cité par George M. Frederickson; The Black Image in the White Mind, p 169<br />

(2) Ibid., p 170.


- 41 -<br />

one wants a set of eager, active, pliant schoolboys and the more childlike<br />

these pupils are the better."(1) Il ne faisait aucun doute dans son esprit<br />

que ces êtres simples, dociles et affectueux jusqu'à l'absurde soient des<br />

@tres inférieurs. Il. disposait de ces I1world's perpetuaI children" et pouvait<br />

en faire ce qu'il voulait:<br />

" They could be made fanatics if l chose, but l do not choose.<br />

The whole mood is Mohammedan, perhaps, in its strength and<br />

i ta weakness; and l feel the sarne degree of sympathy that<br />

l should if l had a TUrkish command -that is a sort of sympathetic<br />

admiration, not tending towards agreement, but<br />

towards cooperation."(2)<br />

Une telle attitude qui traduit bien les sentiments paternalistes des libéraux<br />

du Nord, ressortit, on s'en aperçoit aisément, à un syndrome bien connu, courant<br />

chez les officiers britanniques de l'armée des Indes, syndrome que G.M. Fre­<br />

4erickson appelle à juste titre le "complexe du Sahib".<br />

Le moins qu'on puisse direfc'est que le Nord, tout en maintenant ses<br />

préjugés contre les Noirs à qui il interdisait la migration vers le Nord,<br />

voyait néanmoins en eux un instrument efficace pour asseoir sa domination<br />

politique et économique sur la région méridionale du pays. Ce résultat atteint,<br />

le Nord se désintéressa du sort de ses "protégés" noirs qui devaient rester<br />

à leur place dans le double sens du terme, c'est-à-dire<br />

" first of aIl, in the South, and secondly on his own side<br />

of the line allege~ established b,y God and Science to ensure<br />

that the white race would not be contaminated by an<br />

infusion of Negro blood."(3)<br />

Pour se donner bonne conscience<br />

le Nord, une fois écartées<br />

toutes les solutions susceptibles de régler adéquatement le problème noir, se<br />

contenta de proclamer l'égalité de tous devant la loi afin de prévenir pour<br />

toujours toute forme d'asservissement. Intention louable, sans doute, mais<br />

affectée de tares racistes. Car l'attachement aux principes, si élevés soientils,<br />

s'il n'est pas accompagné de la volonté de se commettre activement pour les<br />

défendre ne peut aboutir qu'à une impasse. Dans le cas spécifique des Noirs,<br />

(t) Cité par G.M. Frederickson, The Black Image in the White Mind, p 170<br />

(2) Ibid., p 170<br />

(3) Ibid., p 174


- 42 -<br />

la simple reconnaissance de leur égalité formelle avec les autres membres de<br />

la société, était conditionnée par un corpus de valeurs très inégalitaires.<br />

S'accommodant facilement des inégalités de fortune et de pouvoir découlant de<br />

la position sociale des individus et des groupes, elle ne pouvait déboucher,<br />

dans le cas des Noirs, que sur des pratiques raciales discriminatoires. Au<br />

demeurant, cette conception du droit des personnes était conforme à la doctrine<br />

de la non-intervention de l'~at<br />

dans les affaires privées (c'est l'idéologie<br />

du laissez-faire très en vogue à l'époque) et déniait aux pouvoirs publics<br />

toute autorité à aider à l'élévation sociale de quelque groupe que ce soit en<br />

lui consentant des aides ou des avantages dont ne disposaient pas les autres ou<br />

qui dépassaient la simple reconnaissance formelle de l'égalité de tous devant<br />

la loi:<br />

" What we do Beek for the Negro", écrit E.L. Goodkin dans cet<br />

ordre d'idées, "is equality before the law, such as prevails<br />

between a Parisian water-carrier and the Duc de Rohan or<br />

between a London cabman and the Earl of Derby. This accomplished<br />

we propose to leave him to make his own social position."<br />

L'idée qui ~e profilait derrière cette déclaration était qu'étant donné la<br />

possibilité offerte par le système social américain dans lequel chacun pouvait<br />

par le travail et le courage s'insérer s'il le voulait, il n'y avait pas de<br />

raison d'octroyer des faveurs spéciales aux Noirs. C'était d'une telle prémisse<br />

que le rite d'Horatio Alger était né .• Nous y reviendrons pour en démontrer<br />

l'impraticabilité<br />

dans le cas des Noirs. Pour l'instant, il suffit de rappeler<br />

que les défenseurs de cette conception des rapports entre les deux races<br />

n'ignoraient pas les implications cyniques de leurs idées. La condition de<br />

cohabitation entre Noirs et Blancs s'insorivait en toute logique dans des relations<br />

de sujétion, de supérieurs à subordonnés.<br />

" It MaY seem best that they (the two races) should dwell<br />

together in the relation generally of proprietors and laborers."(1)<br />

Les propriétaires de toute évidence seront les Blancs et les ouvriers les Noirs<br />

car ainsi seulement ces derniers pourront-ils reconnaftre pour toujours la<br />

(1) G.M. Frederiokson, op.cit., p 180


- 43 -<br />

supériorité de la race anglo-saxonne:<br />

" Hence •••even with strenuous efforts for their improvement<br />

the Africans must still acknowledge the superiority of the<br />

Saxon race"(1)<br />

déclare en substance le Révérend Jared Bell. Même le Superintendant des Affaires<br />

Nègres en Caroline du Nord le Rd. Horace James dont la fonction était<br />

de veiller à l'amélioration de la condition des affranchis, pouvait écrire en<br />

toute sérénité:<br />

" Blacks were a nation of servants who would always make the<br />

most faithful, pliable, obedient, devoted servants that can<br />

enter our dwellings. In the successive orders or ranks of<br />

inàustrial pursuits those who have the least intelligence<br />

must needs perform the more menial services, without respect<br />

to color or race. Give the colored man equality, not of<br />

social condition, but equality before the law, and if he<br />

proves himself the superior of the Anglo-Saxon, who hinder<br />

it ? If he falls below him, who can help it ?"(2)<br />

Les avocats de la théorie de l'égalité formelle de tous devant la loi et<br />

sur le plan des seuls principes semblaient vouloir ignorer qu'ils partaient<br />

d'une prémisse fausse, en !occurrence que les deux races démarraient du même<br />

point de départ et luttaient à armes égales.(3) On ne peut qu'être du même<br />

avis que G.M. Frederickson pour reconnattre que le concept opératoire de liberté<br />

avancé par le Nord comportait une double lacune: En premier lieu il donnait<br />

une sanction anticipée aux inégalités tant sociales qu'économiques que ne<br />

pouvait qu'engendrer en fait -sinon en théorie- une compétition déloyale;<br />

ensuite il daccommodait de l'inégalité des races qu'elle acceptait explicitement.<br />

En tout cas, il est clair que l'équation égalité de droits = égalité de chances<br />

ne pouvait résoudre le problème d'un peuple qui venait d'être affranchi de la<br />

servitude et contre lequel les préjugés d'infériorité, d'infantilisme etc.<br />

restaient toujours vivaces. Tout au plus le concept fournissait aux libéraux<br />

blancs une soupape d'échappement idéologique susceptible d'expliquer les<br />

échecs futurs des Noirs. Une explication qui n'appelait pas à ùne remise en<br />

cause de l'idéologie bourgeoise du "compter sur ses propres forces"et d'égalité<br />

(1) G. Frederickson, op.cit., p 180<br />

(2) G. Frederickson, op.cit., p 181 • C'est nous qui soulignons.A.C.M.<br />

(3) Nous ne nous intéressons j:ci qu'aux libéraux, "amis" des Noirs. Les théories<br />

ouvertement hostiles aux Noirs n'ayant pas été pris en considération par R. Ellison<br />

nous n'avons pas cru devoir BOUS en occuper. En fait, R. Ellison semble en<br />

vouloir plut8t aux libéraux philantropes qu'aux négrophobes déclarés. Il sait<br />

à quoi s'en tenir avec cœderniers. Quant aux premiers, ils sont plus nocifs,<br />

parce que plus sournois dans leurs professions d'amitié.


-44-<br />

de chances pour tous.<br />

des ~tres<br />

L'insensibilité et le cynisme implicites dans cette doctrine -qui veut que<br />

suspectés d'être inférieurs et dégradés par l'esclavage soient jetés<br />

sans préparation antérieure dans une société capitaliste où les forts<br />

écrasent sans ménagement les faibles- transparaissent dans cette déclaration<br />

d'Horace Greeley:<br />

" Freedom and opportunity -these are aIl that best Government<br />

can secure to Black and White. Give everyone a chance ,<br />

and let his behavior control his fate. If Negroes will not<br />

work, they must starve or steal; and if they steal, they<br />

must be shut up like other thieves. If there be any among<br />

them who fancy that, they being free, can live in comfort<br />

without work, they have entered a school in which they will<br />

certainly and speedily be taught better."(1)<br />

Dans ces conditions la seule véritable action à entreprendre était, toujours<br />

selon Horace Greeley<br />

Il to clear away the wreck of slavery, dispel the lingering<br />

fear of a return of i t, and we may soon break up our Freedmen's<br />

Bureaus and aIl manner of coddling devices and let<br />

Negroes take cere of themselves."(2)<br />

C'est exactement la voie que suivit l'Administration et le Congrès américains.<br />

Ils se contentèrent de prendre quelques mesures légales au nombre desquelles<br />

les 14è et 15è Amendements à la Constitution et le Civil Rights Act de 1815.<br />

Puis l'intér@t du pays, du Nord en particulier, pour les Noirs cessa. On sait<br />

ce qu'il advint de ces lois qui ne connurent jamais une application correcte<br />

dans la réalité/du fait de l'opposition des racistes invétérés qui les interprétèrent<br />

comme autant de mesures destinées à favoriser le mariage mixte<br />

-acte d'amoralité absolue-, et une concurrence déloyale entre Blancs et Noirs<br />

sur un marché du travail étriqué.(3) D'ailleurs le Civil Rights Act de 1875<br />

fut déclaré nul par la Cour Suprême en 1883, tandis que les Etats du Sud, par<br />

toutes Bortes de moyens -dont les lynchages- privaient les Noirs du droit de<br />

vote et de toute possibilité d'expression légale.<br />

(1) Cité par G.M. Frederickson, op. cit., p 186<br />

(2) Ibid., p 186<br />

(3) On pourrait citer à tout loisir des milliers de déclarations pour appuyer<br />

cette affirmation. Mentionnons simplement quelques unes.<br />

(voir suite page suivante)


- 45 -<br />

On comprend donc le refus de Ralph Ellison à accepter l'explication qui<br />

consiste à donner au Nord le bon rôle et au Sud celui du vilain chaque fois<br />

qu'on discute du problème noir aux Etats-Unis:<br />

" Usually when the condition of lfegroes is discussed" écritil<br />

en substance, "we get a Morality Play explanation in<br />

which the North is given the role of Good and the South<br />

that of Evil. This oversimplifies a complex matter. For at<br />

the end of the Civil War, the North lost interest in the<br />

Negro. The condition for the growth of industrial capitalism<br />

had been won and the Negro "stood in the way of a return to<br />

national solidarity and a development of trade relations"<br />

between the North and the South. In arder to deal with these<br />

problems the North did four things: it promoted Negro education<br />

in the South; it controlled his economic and political<br />

destiny, or allowed the South to do so; it built Booker T.<br />

Washington into a national spokesman of Negroes with Tuskegee<br />

as his seat of power; it organized social science as an instrumentality<br />

to sanction i t s methods.,,( 1)<br />

a) Pour Buckner Payne, le Nord perdait son énergie intellectuelle à<br />

soutenir la cause, d'avance entendue, d'un peuple dégradé, dégénéré, d'une infériorité<br />

innée qui appartient à la branche des "higher orders of monkeys."<br />

Proclamer l'égalité des Blancs avec une telle race était non seulement commettre<br />

un crime contre le bon sens, mais ouvrir la voie à un amalgame non<br />

souhaitable que Dieu ne manquerait pas de punir: "The State and people that<br />

favor this equality and amalgamation of the white and black race, God will<br />

exterminate••• A man cannot commit so great an offense against his race,<br />

against his country, against bis God•••as to give his daughter in marriage<br />

to a Negro-a beast." G.M. Frederickson, op. cit., p 189<br />

b) John W. ChanIer quant à lui trouve que "white democracy makes war<br />

on every class, caste, and race which assails its sovereignty or would undermine<br />

the mastery of the white working man, be he ignorant or learned, strong<br />

or weak. Black democracy does not existe The black race have never asserted<br />

and maintained the alienable right to be a people, anywhere, or at any time."<br />

Ibid., p 190<br />

c) C'est sans doute à Rowan Helper que nous devons les éructations<br />

les plus éviscérantes d'un racisme pathologique en m@me temps que les diatribes<br />

les plus incendiaires contre le système esclavagiste. Il disait attendre,<br />

non sans satisfaction sadique le moment où "the Negroes and other<br />

swarthy races of mankind have been completely fossilized ., et espérait hâter<br />

ce moment en favorisant l'extermination des Noirs qui devaient @tre ségrégés<br />

complètement et à qui devraient @tre deniés tous les droits. Ses slogans<br />

étaient: "Death to slavery!"<br />

"Down : with the slaveholders!"<br />

"Awa:y with the Negroes'"<br />

(1) Ralph Ellison, Shadow and Act, p 306.


- 46 -<br />

Dans de telles conditions de co~promis et de compromissions les Noirs<br />

dans leur majorité étaient prêts à se co~fier et à confier leur sort au<br />

premier "sauveur" venu, à suivre le messie qui leur promettait une vie meilleure<br />

dans cet environnement hostile. Le plus illustre de ces "leaders de<br />

la race" est sans conteste Booker T. Washington que le narrateur de R.Ellison<br />

dans Homme Invisible, pour gui chantes-tu 1, se donne pour modèle à imiter.<br />

x<br />

x<br />

x


- 47 -<br />

l - BOOKER T. WASHINGTON ET L'I<strong>DE</strong>OLOGIE DU NATIONALISME "ASSIMILATEUR" ET<br />

DU <strong>DE</strong>VELOPPEMENT SEPARE AU SUD.<br />

Booker T. Washington est le prototype du dirigeant négro-américain<br />

voulu et imposé par les Blancs à sa race. Très bon orateur, doté d'un charisme<br />

certain, il était habité par la conviction que, par le tnavail et l'effort<br />

soutenu et l'adhésion aux idéaux rigoristes sous-jacents à l'éthique<br />

protestante et surtout à ce que Max Weber appelait l'esprit du capitalisme(1),<br />

les Noirs américains pouvaient à l'instar des héros d'Horatio A~ge~ s'élever<br />

aux sommets de la hi'rarchie sociale aux Etats-Unis(2). Le handicap principal<br />

des Noirs consistait en leur manque d'éducation. La t~che première que s'assigne<br />

B.T. Washington est de leur fournir une éducation susceptible de les<br />

arracher à leurs conditions miséreuses. Il voulait, disait-il, sauver les<br />

Noirs de la "dégradation en les formant dans la vertu chrétienne, l'agriculture,<br />

les arts mécaniques et la patience." C'est là tout un programme dont<br />

on peut se demander s'il pouvait réellement contribuer à l'élévation de la<br />

race noire aux Etats-Unis, tant il est ambigu. Nous y reviendrons. Pour l'instant,<br />

il suffit de faire remarquer que la vertu chrétienne, la patience, l'agriculture<br />

et les arts mécaniques, si tant est qu'ils peuvent sauver de la<br />

dégradation physique et morale -ce qui reste à démontrer- sont incapables<br />

d'aider à eux seuls à la promotion sociale d'une personne encore moins d'un<br />

groupe ethnique. Le moins qu'on puisse dire est qu'il y avait, incorporée<br />

dans la conception sociale de B.T. Washington, une vision petite bourgeoise<br />

qui ne reposait sur aucun fondement matériel réel. Il avait épousé le rite<br />

d'Horatio Alger à un degré tel que tous ses écrits en étaient pénétrés.<br />

Sa vie même était un exemple de l'histoire à succès classique, le mythe<br />

d'Horatio, Alger en noir. Pour lui la seule voie accessible aux affranchis<br />

était ascensionnelle et il v.oyait, par conséquent, dans les difficultés qu'il<br />

(1) Max Weber, The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism, trad. par<br />

T. Parsons, New-York, Charles Scribner's Sons, 1930.<br />

(2) Horatio Alger est un écrivain américain qui a puissamment aidé à propager<br />

le mythe de "l'Amérique, terre des possibilités infinies" et de "chances pour<br />

tous". Il a écrit sur la vie des grands capitalistes et hommes célèbres américains<br />

(Abraham Lincoln, Ulysses B. Grant, Andrew Carnegie, John D. Rockfeller<br />

etc.) et a montré comment partant d'origines modestes, on pouvait par l'effort<br />

et la débrouillardise accéder aux sommets de la hiérarchie sociale et à la<br />

richesse.


- 48 -<br />

rencontrait dans la vie non des obstacles susceptibles de le décourager mais<br />

autant de défis du destin qu'il devait relever. D'un optimisme o~tré,<br />

il cro~<br />

~ en la puissance de l'action pour triompher d'un sort cruel. Il se voyait<br />

sans fausse modestie comme l'incarnation de toutes les vertus louangées par<br />

des gens tels que Cotton ~4ther, le Bonhomme Richard ou Ralph Waldo Emerson.<br />

Il était le héros de sa propre vie qu'il pensait avoir remplie, non en luttant<br />

pour ses droits civiques, mais en s'efforçant de réussir dans la vie. Cette<br />

réussite, il l'a d~e, explique t-il, à l'éducation qu'il avait reçue. C'est<br />

pourquoi le problème de l'acquisition et de la transmission du savoir a occupé<br />

une place de choix dans toute sa pensée.<br />

Dans son autobiographie Up From Slavery(1), Booker T.Washington répète<br />

à tout instant que le désir d'apprendre et de s'instruire était déjà ardent<br />

chez lui dès sa tendre enfance(2), car comme tous les affranchis, il croyait<br />

trouver la solution à ses problèmes dans l'acquisition de l'alphabet. Pour comprendre<br />

cette foi en la puissance libératrice de l'éducation, référons-nous à<br />

Horace Mann Bond dans sa description des affranchis aspirant à s'instruire:<br />

" Il n'y a jamais eu nulle part aux Etats-Unis d'exemple d'une<br />

foi si pathétique dans l'éducation en tant que levier du pro­<br />

"grès racial. Des adultes étudiaient leur alphabet aux champs,<br />

tenant d'une main leur abécédaire au dos bleu, et de l'autre,<br />

guidant leur charrue. Des mères parcouraient à pied des<br />

vingtaines de milles, pour se rendre dans les villes où elles<br />

pourraient mettre leurs enfants à l'école. Des torches résineuses<br />

éclairaient les cases au sol de terre battue, où hommes,<br />

femmes et enfants étudiaient jusque tard dans la nuit.<br />

Aucun mouvement de masse n'a été plus dans la tradition américaine<br />

que cette impulsion qui porta les Noirs vers l'éducation,<br />

peu de temps après la guerre civile."(3)<br />

( 1) Booker T. Washington, Up:. From Slavery, New-York, 1901.<br />

(2) Samuel R.Spencer dans son livre donne le 5 Avril 1856<br />

comme date de naissance de B.T.Washington. En fait la question de la date exacte<br />

de naissance de B.T.Washington demeure ouverte. Lui-même affirme dans UE From<br />

Slavery l'ignorer. En Septembre 1874, il se dit âgé de 19 ans, ce qui laisse<br />

penser qu'il est né en 1855 ou à la fin de 1854. Plus tard il donne 1857 ou<br />

1858 vomme année de sa naissance et fêtait son anniversaire à Pâques. C'est<br />

son frère John H.Washington qui dit avoir vu la date du 5 Avril 1856 indiquée<br />

dans une Bible familiale des mattres de B.T.Washington, les Burroughs.<br />

(3) Horace Mann Bond, The Education of the Negro in the American Social Order,<br />

New-York, Printice Hall, 1934. Cité par Franklin Frazier, Bourgeoisie Noire,<br />

Paris, Plon, 1955, p 57


- 49 -<br />

Cette passion à s'instruire provenait du fait que pour les affranchis<br />

l'éd1J~atiori était, outre l'acquisition de la terre, un des besoins les plus<br />

pressants; elle était perçue, parce qu'élIe avait été interdite aux esclaves,<br />

comme un symbole de statut social et comme un instML~ent de pouvoir. Toute<br />

la différence entre la condition des Blancs et celle des Noirs découlait,<br />

pouvait-on penser, de la culture des premiers et de l'inculture des autres.<br />

Et cela les Noirs en étaient conscients. Ce désir d'acquisition du savoir<br />

était si affirmé chez le jeune Booker que très t6t, il persuada sa mère de<br />

lui offrir un syllabaire qui lui permit de mémoriser son alphabet en un<br />

rien de temps. Mais devant gagner sa vie très jeune, il·dut se contenter de<br />

suivre les cours du soir.<br />

C'est une femme blanche, Viola épouse d'un ex-général yankee Lewis<br />

Ruffner qui devait vraiment le marquer. Incarnation parfaite de l'esprit<br />

ascétique du capitalisme yankee dans toute sa vigueur, elle avait une volonté<br />

A toute épreuve qu'elle ne savait à quoi appliquer dans la petite ville sudiste<br />

de Malden où s'était établi son mari, de vingt ans son atné. Eloignée<br />

de son Vermont natal, rejetée par ses beaux-fils alors que ses propres enfants<br />

étaient éloignés d'elle -l'un était à l'académie militaire de West Point tandis<br />

que la fillette était pensionnaire dans un école- elle recherchait celui<br />

sur qui elle pouvait décharger son trop-plein d'énergie, sa vigueur intellectuelle,<br />

sa vaste culture, son esprit caustique et son opiniatr~té d'institutrice<br />

yankee frustrée. Ce fUt Booker T. Washington qui bénéficia de ce surplus<br />

d'énergie et de cette sévérité puritaine. Non qu'il se soit entendu avec elle<br />

de prime abord, loin s'en faut. Les exigences de Viola étaient telles que<br />

Booker T. Washington rapporte qu'il tremblait chaque fois qu'il se trouvait<br />

en sa présence. Il lui est même arrivé de la fuir carrément:<br />

" He left me half a dozen times, se rappela-t-elle plus tard,<br />

to try his hand at different occupations but he always came<br />

back to me."(1)<br />

Au fil des ans et tout le temps où il servit de garçon de courses au<br />

général Lewis Huffner, il apprit à la connattre et à l'apprécier à sa juste<br />

valeur au point de la compter plus tard parmi ses bienfaitrices. Ce qu'elle<br />

(1) Louis Harlan, Booker T. Washington; The Making of a Black Leader, Oxford<br />

University Press, 1912, p 41.


- 50 -<br />

lui enseigna essentiellement, c'était l'éthique puritaine du dur labeur, de<br />

la propreté, de l'économie, de la frùgalité, toutes ces valeurs morales sur<br />

lesquelles il devait plus tard fonder sa philosophie et sa pratique sociàles.<br />

Comme l'écrit Booker T. Washington plus tard,<br />

Il •••first of aU, she wanted everything kept clean about<br />

her,( ••• ) she wanted things done promptly and systematically<br />

and ( ••• ) at the bottom of everything she wanted absolute<br />

honesty and frankness."(1)<br />

Booker T. Washington a si bien assimilé la leçon que plus tard dans la<br />

vie il se fera le défenseur du travail bien fait, et exigera des Noirs qu'ils<br />

renoncent à l'oisiveté, à la paresse, aux bavardages, aux plaisirs des sens,<br />

à la prodigalité. Il rendait hommage à Viola Ruffner lorsqu'il se disait à<br />

la fin de sa vie encore, incapable de voir des bouts de papier trainer sans<br />

qu'il lui vienne l'envie de les ramasser, ou un bouton de chemise tomber sans<br />

le recoudre ou des taches de graisse sur un habit sans qu'il le détache. Mais<br />

si Viola Ruffner l'a informé dans le sens d'une adoption de l'ascétisme laic<br />

propre à l'esprit du capitalisme yankee, c'est à Samuel Chapman Armstrong<br />

qu'il doit sa conception de l'éducation.<br />

Né en 1839 sur une rle hawaienne, d'un père pasteur et en m~me<br />

ministre de l'Education à Honolulu, S~~el<br />

temps<br />

C. Armstrong était l'épitomé de<br />

ce qu'on a appelé. le caractère yankee au 19è siècle: Esprit missionnaire,<br />

régime de soldat, croyance en l'éducation, tout était réuni en lui. A la<br />

fin de ses études au Williams College, il s'enrola dans les armées de l'Union<br />

et se battit avec vaillance contre les insurgés. A la fin de la Guerre<br />

de Sécession, il fut envoyé au Mexique pour aider les révolutionnaires à<br />

renverser l'empereur Maximilien. Promu malgré son jeune âge au grade de général,<br />

il déclina l'offre qui lui était faite de continuer à servir dans un<br />

régiment noir. Il refusa même dl entrer dans le monde des affaires. Sa vocation,<br />

était, disait-il alors, de se mettre au service des auttes,(c'est-à-dire<br />

les Noirs) de les aider à. s'élever: "1 should rather minister than be a minist<br />

er" écrivait-il à sa mère pour lui expliquer son refus d'entrer dans les<br />

ordres. Sa vocation, on s'en rend aisément compte, comportait une dose<br />

(1) Louis Harlan, Booker T. Washington; The Making of a Black Leader, Oxford<br />

University Press, 1972, p 43.


,<br />

t<br />

f<br />

- 51 -<br />

certaine d'arrogance morale. Dans la lettre qu'il adressa au Bureau des<br />

Affranchis pour lui proposer ses services, il écrivait notamment:<br />

" Now that the question of the Negro soldier and his<br />

manhood has been settled, the next question was Negro citizenship.<br />

Negroes needed to be elevated -to the high office<br />

of citizen through education and encouragement to industry."<br />

( 11)<br />

Il insista tant et si bien à servir la cause des affranchis que le Bureau des<br />

Affranchis le nomma agent général du Bureau dans dix comtés de la Virginie<br />

Occidentale "in charge of everyi;hing from emergency rations to schools and<br />

special landlord-tenant courts and the superintendancy of education for an<br />

even larger area."(2)<br />

Ses nouvelles fonctions lui permirent de réaliser son vieux rêve d'~dification<br />

d'une école sur le modèle de celles institu5es par son père à Hawai.<br />

Il édifia par conséquent son collège "Hampton Institute" sur le modèle du<br />

Hilo Manual Labor School à Hawai. Les méthodes et la philosophie éducative<br />

qui sous-tendaient cette dernière école semblaient convenir, dans son esprit,<br />

à la situation des affranchis. Le Nègre n'~tait-il<br />

pas aussi à l'instar du<br />

polynésien un enfant des trbpiques ? Les points communs à ces deux races<br />

étaient encore plus forts que jamais:<br />

" Of both, it is true that not mere ignorance but deficiency<br />

of character is the chief difficulty, and that to build up<br />

character is the true objective point in education. "(3)<br />

Pour Armstrong, la finalité de l'éducation à dispenser aux Noirs<br />

consistait non pas en l'acquisition d'une instruction saine ou d'un jugement<br />

solide, ni même de nouvelles sensibilités, mais dépendait dans une très large<br />

mesure "on a routine of industrious habits which is to character what the<br />

foundation is to the pyramide "(4)<br />

La moralité ne s'affirme pleinement qu'en relation avec l'application<br />

au travail et l'assiduité. Cela est d'autant plus vrai pour les Noirs et les<br />

(1) Louis Harlan, op. cit., p 60<br />

(2) Ibid. , P 60<br />

(3) Ibid. , p 58<br />

(4) Ibid. , p 59


- 52 -<br />

1 f<br />

races tropicales débiles que chez elles l'oisiveté tout comme l'ignorance<br />

engendre le vice. Dans ces conditions, seules comptent les tâches concrètes<br />

et routinières qui forment le caractère, tout le reste n'étant que pure perte<br />

de temps:<br />

" The best sermons and schools amount to little when hearers<br />

and pupils are thriftless, live from hand to mouth, and are<br />

packed at night either in savage huts or in dirty tenement<br />

houses."(1)<br />

Telles sont les prémisses candidement racistes qui fondent Armstrong<br />

dans son intention de sauver le Nègre primitif chez qui la "mechanical faculty<br />

works quickly and outstrips his understanding"(2). Il ne faisait pas de<br />

doute dans son esprit que les Noirs se trouvaient encore à l'aube de la civilisation<br />

(early stages of civilization), très bas dans le processus d'évolution,<br />

pas tant inférieurs qu'arriérés. Comme il le dit si bien,<br />

" They were children who must crawl before they could walk,<br />

must be trained before they could be educated. Their moral<br />

training was such more important than their intellectual<br />

instruction, for not until the backward people, as individuals<br />

and as races, put away children things, stilled their<br />

dark laughter, and learned self-discipline through exterior<br />

discipline would they be ready for the intellectual and<br />

spiritual peak of the pyramid."(3)<br />

Tout en se défendant de vouloir limiter ou décourager les aspirations<br />

à l'excellence ou à l'enseignement supérieur chez le Noir en tant qu'individu,<br />

Armstrong était convaincu que la race noire dans son ensemble ne devait<br />

pas viser si haut. Au surplus, elle devait s'éloigner des affaires politiques,<br />

taire ses revendications à propos des droits civiques. Ces droits, pensait-il,<br />

leur seraient conférés dès qu'ils auraient acquis une éducation professionnelle(industrial<br />

education) appropriée.<br />

L'éducation industrielle qui était au coeur de l'entreprise d'Armstrong<br />

à Hampton et qu'adoptera plus tard Booker T. Washington tient son origine des<br />

théories pédagogiques élaborées en Europe par Pestalozzi et Fellenberg, et<br />

(1) Louis Harlan, op. cit., p 59<br />

(2) Ibid., p 61<br />

(3) Ibid., p 61


- 53 -<br />

fut introduite aux Etats-Unis par les réformateurs de la période jacksonienne<br />

(1 830-1840). Ces derniers voyaient dans ce genre d'éducation un moyen pour<br />

les enfants des pauvres de s'a~éliorer<br />

tout en acquérant un métier pouvant<br />

les insérer dans la vie active à la fin de leU!' scolarité. Tandis que la<br />

plupart des défenseurs de ce genre d'éducation y trouvaient un moyen de<br />

fournir aux industries naissantes la main d'oeuvre qualifiée dont elles avaient<br />

besoin ou tout aU moins une façon de rendre le travailleur content de son<br />

sort, Armstrong quant à lui n'était pas tant intéressé par le côté professionnel<br />

de oet enseignement que par l'inculcation à ses ouailles des vertus<br />

yankees d'épargne et d'application au travail, base de l'ascétisme larc du<br />

capitalisme nord-américain. Pour lui, l'éducation industrielle était un<br />

principe presque religieux destiné à assurer le salut de la race noire. Sa<br />

philosophie éducative était de "faire et en faisant se faire. ":<br />

Il It was simply a thoroughly American "learning by doing"<br />

écrit à ce propos Calvin Coolodge qui poursuit: Il It teaches<br />

that efficiency has moral value -that conscientious effort<br />

is a stepping stone not only to success but to characterthat<br />

"as a man works so he is". (1)<br />

Parce qu'il croyait que l'expérience de l'esclavage et la nature spécifique<br />

des Noirs en avaient fait un peuple prodigue, paresseux et porté à la<br />

luxure, S. Armstrong voyait dans l'éducation industrielle un moyen de détruire<br />

ces vices pour les remplacer par des vertus plus nobles et efficaces.<br />

Cette orientation purement moralisatrice de sa conception pédagogique empêcha<br />

S. Armstrong de suivre l'évolution technique de son temps, à moins qu'il n'ait<br />

voulu maintenir sciemment les Noirs dans des r61es subalternes. De toute<br />

façon, alors que la plupart des écoles d'enseignement technique à la fin du<br />

19è siècle formaient des ingénieurs, des techniciens supérieurs et des cadres<br />

de conception, S. Armstrong et les collèges qu'il créa ou aida à créer suivirent<br />

une ligne de développement moins ambitieuse. Ils se contentèrent de<br />

former de bons agriculteurs et de bons artisans dont la vocation était selon<br />

l'expression de S. Armstrong, de faire "the common things of life uncommonly,<br />

without a murmur."(2) Bref l'objectif de S. C. Armstrong était de former non<br />

(1) Louis Harlan, op. cit., p 61<br />

(2) Ibid., p 64


- 54 -<br />

seulement des ouvriers spécialisés, mais aussi des hommes psychologiquement<br />

préparés à être assimilés dans la so~iété<br />

blanche américaine et maintenus de<br />

façon paternaliste au niveau bas qu'il jugeait leur convenir le mieux. Son<br />

opposition à toute participation des Noirs à la vie politique découle de là.<br />

D'ailleurs il était hostile à tout égalitarisme.<br />

Ainsi parlant du vote de la Loi sur les Droits Civiques par le Parti<br />

Républicain, il dit:<br />

" The great party of freedom, after a brief time of unparalleled<br />

usefulness is smitten with disease and the Democratic<br />

Party has the most intelligence in the South. ,,( 1)<br />

Il adjure en conséquence les affranchis à lutter pour l'acquisition des biens<br />

matériels plut8t que de poser des problèmes inutiles et mal venus. Sa recommandation<br />

essentielle<br />

en direction des Noirs était la patience:<br />

" Patience is better than politics and industry a shorter<br />

road to civil rights, than Congress has in its power to<br />

make."(2)<br />

Défenseur passionné de l'individualisme, et partisan déclaré de la doctrine<br />

du "compter sur soi", il était opposé à toute forme d'aide aux affranchis<br />

parce que l'erreur fatale d'une telle aide était sa non-conformité avec la<br />

doctrine du "aide-toi, le ciel t'aidera."(" Its fatal error was that it was<br />

opposed to the dœctrine of self-help."(3))<br />

C'est à Hampton Institute que Booker T. Washington fréquenta de 1812<br />

à 1815 qu'il acquit la doctrine pédagogique et la philosophie sociale qui<br />

firent son renom plus tard. Il y compléta et intériorisa encore plus l'ethique<br />

protestante du travail bien fait, de l'ordre, de la propreté, de l'autodiscipline,<br />

de l'économie que lui avait déjà inculquée Mrs Ruffner et la<br />

renforça par une philosophie sociale rétrograde, matérialiste et immédiate.<br />

Quand Booker T. Washington fut appelé, sur recommandation de S.C. ArIlhstrong<br />

à prendre la direction de l'Institut de Tuskegee, il s'appliqua à y<br />

reproduire les idées de son protecteur et fit tant et si bien qu'il l'éclipsa.<br />

(1) Louis Harlan, op. cit., p 15<br />

(2) Ibid., p 15<br />

(3) Ibid., p 15


- 55 -<br />

Prenant leçon sur sa propre expérience, il s'employa à rendre l'éducation<br />

gratuite dans l'établissement qu'il dirigeait et à le soustraire des subventions<br />

et aides diverses. Il ne réussit pas toujours dans cette entreprise,<br />

l'édification d'un établissement scolaire nécessitant l'investissement<br />

fonds importants.<br />

Pour les obtenir, Booker T. Washington adopta la voie de la conciliation<br />

et tint aux Blancs le discours qu'ils voulaient et aimaient entendre:<br />

A savoir que la Reconstruction était une expérience malheureuse qui reposait<br />

sur une base fausse et artificielle; que l'agitation politique et la revendication<br />

des droits civiques éloignaient les Noirs des t~ches<br />

de<br />

les plus urgentes<br />

et les plus essentielles en l "occurrence l'apprentissage d'un métier,<br />

l'acquisition de biens matériels et d'une éducation. Son opinion était qu'<br />

après deux ou trois décades de liberté, les affranchis ne pouvaient plus expliquer<br />

leur pauvreté du moment et leur ignorance par leur servitude antérieure.<br />

Pour aider à la régénération de sa race, il se fit l'avocat des idées de<br />

Armstrong et plaça toute sa foi en l'éducation industrielle pour les sauver.<br />

M3me au plus fort de la campagne de violence et de ségrégation contre les<br />

Noirs en 1883, il déclarait encore:<br />

" Poverty and ignorance of Blacks had often justified the<br />

white man's contempt. But the day is breaking and education<br />

will bring the complete light."<br />

Il proposait aux Noirs de coopérer avec les Blancs et de contr~ler<br />

métiers gr~cê<br />

. . . ,<br />

à l'éducation industrielle et morale. Il montrait une franche<br />

opposition au genre d'éducation dispensée dans les universités en général<br />

et surtout les universités noires parce que le produit final qui en sortait<br />

était des intellectuels ignorants les réalités de la vie, des gens qui se<br />

préoccupaient plus de soigner leur apparence extérieure sans chercher à sauver<br />

l'homme intérieur. La finalité de l'éducation ne doit pas consister en<br />

la formation de ce qu'il appelle" the proud fop with his beaver hat, kid<br />

gl oves and walking cane. " mais de gens capables, par le travail de leur::::<br />

mains, de se consacrer ou tout au moins de contribuer à l'élévation de la race.<br />

les


- 56 -<br />

La notoriété de Booker T. Washington repose sur le discours qu'il a<br />

prononcé à l'Exposition d'Atlanta (The Cotton States and International Exposition<br />

of Atlanta) en 1895. Ce discours qui résume sa philosophie sociale<br />

venait au moment opportun calmer l'esprit des Blancs. Le moment était propice<br />

-parce que l'offensive contre les Noirs devenus boucs émissaires battait son<br />

plein, les pratiques ségrégationistes avaient atteint un paroxysme, la loi<br />

sur les droits civiques avait été abrogée par la Cour Supr@me quelques années<br />

plus tet tandis que la violence de la populace encline à la loi du Lynch<br />

avait dépassé le seuil critique. Frederick Douglass et la tradition de combativité<br />

qu'il avait instaurée, de mftme que la fierté et l'espoir qu'il avait<br />

incarnés avaient disparu. Pour la race noire aucune perspective brillante ne<br />

se profilait dans le futur immédiat.<br />

. Formé par une éducation puritaine<br />

caractérisée par une étroitesse d'esprit propre à la bourgeoisie de son époque,<br />

de nature humble, Booker;T. Washington représentait à perfection le<br />

personnage symbolique du noir tel que le voulaient et le concevaient les<br />

Blancs aussi bien au Nord qu'au Sud -un Noir qui les confortait et les confirmait<br />

dans leurs opinions et leurs pratiques.<br />

Le discours d'Atlanta, résumé de toute la philosophie sociale de Booker<br />

T. Washington, s'articulait autour de deux idées cardinales et d'une métaphore.<br />

La première idée reconnaissait la mutualité des intér8ts des races blanche'<br />

et noire en m8me temps qu'elle avalisait les pratiques ségrégationistes dont<br />

les Noirs &taient victimes:<br />

" In all things that are purely social, we can be as separate<br />

as the fingers, yet one as the hand in all things<br />

essential to mutual progresse ,,( 1)<br />

La seconde idée préconisait l'abandon pure et simple de toute revendication<br />

de nature politique et faisait de la jouissance des droits civiques<br />

une récompense pour les Noirs les plus méritants:<br />

.. The wisest among my race understand that the agitation<br />

of questions of social equality is the extremest folly, and<br />

that progress in the enjoyment of all privileges that will<br />

come to us must be the result of severe and constant struggle<br />

rather than artifical forcing. No race that has anything<br />

to contribute to the markets of the world is long in any<br />

(1) Booker T. Washington, Up From Slavery, New-York, 1901, p. 153. Cité par<br />

Gilbert Osofsky, The Burden of Race, A Documentary History of Negro-White<br />

Relations in America, 1967, pp 210-213.


- 51 -<br />

degree ostracimed. It is important and right that we be<br />

prepared for the exercises of these privileges. The opportunity<br />

to earn a dollar in a factory just now is worth infinitely<br />

more than the opportunity to spend a dollar in<br />

an opera house."(l)<br />

Quant à la métaphore, elle rejetait la migration au Nord ou hors des<br />

Etats-Unis comme solution possible aux ~oblèmes<br />

des Noirs et appelait les<br />

deux races à cultiver l'amitié, à oeuvrer dans le sens d'une nécessaire complémentarité<br />

en se saisissant des possibilités et des chances que le destin<br />

mettait à portée de leurs mains:<br />

" A ship lost at sea for many days suddenly sighted a friendly<br />

vessel. From the mast of the unfortunate vessel was seen<br />

a signal, " Water, water; we die of thirst!" The answer from<br />

the friendly vessel at once came back, " cast down your<br />

bucket where you are." A second time the signal "Water, water,<br />

send us water!" ran up from the distressed vessel, and<br />

was answered, "Cast down your bucket where you are." And<br />

a third and fourth signal for water was answered, "Cast down<br />

your bucket where you are." The captain of the distressed<br />

vessel, at last heeding the injunction, cast down his bucket,<br />

and i t came up full of fresh sparkling water from the mouth<br />

of the Amazon River. To those of my race who depend on bettering<br />

their condition in a foreign land or who underestimate<br />

the importance of cultivat~: friendly relations with<br />

the Southern white man who is their next-door neighbor, l<br />

would saya" Cast down your bucket where you are." Cast i t<br />

down in making friends in every manly way of the people of<br />

all races by whom we are surroundèd.<br />

" Cast it down in agriculture, mechanics, in commerce,<br />

in domestic service, and in the professions•••No race can<br />

pro~per till it learns that there is as much dignity in<br />

tilling a field as in writing a poem. It is at the bottom<br />

of life we must begin, and not at the top. Nor should we<br />

permit . our grievances to overshadow our opportunities."(2)<br />

S'adressant ensuite aux Blancs dans la même métaphore, il poursuit, dénonçant<br />

les dangers de l'immigration des Blancs d'Europe:<br />

" To those of the white race who look to the incomiDg.of<br />

those of foreign birth and strange tongue and habits for the<br />

prosperity.~ of the South, were l permitted l would repeat<br />

what l say to my own race, "Cast down TOU!' bucket where you<br />

(1) Booker T. Washington, op. cit., p 213<br />

(2) Ibid., p 213


- 58 -<br />

" are." Cast it down a'TIong eight millions(sic) of Negroes<br />

whose habits you know, whose fidelity and love you have<br />

tested in days when to have proved treacherous meant the<br />

ruin of your firesides. Cast down your bucket among these<br />

people who have without strikes and labour wars, tilled your<br />

fields, cleared your forests, builded your railroads and<br />

cities, and brought forth treasures from the bowels of the<br />

earth, and helped make it possible this magnificent representation<br />

of the progress of the South. Casting down your<br />

bucket among my people, helping and encouraging them as you<br />

are doing on these grounds, and to education of head, band,<br />

and heart, you will find that they will buy your surplus<br />

land, make blossom the waste places in your fields, and<br />

run your factories."<br />

Booker T. Washington était l'homme que la "nation" espérait et c'est à<br />

bras ouverts qu'il fut accueilli dès qu'il se manifesta. Il<br />

servait à merveille<br />

les desseins des Blancs qui ne pouvaient voir en lui qu'un allié de<br />

valeur. Ce qu'il faisait<br />

était de rendre les Noirs responsables de leur situation<br />

sociale et pâr conséquent enlever aux Blancs toute responsabilité<br />

quant à la solution du problème noir; ensuite en mettant l'acquisition des<br />

biens matériels au premier plan, il dépolitisait le problème de l'avancement<br />

des Noirs. Son compromis racial garantissait la paix entre les deux races<br />

et entre le Nord et le Sud. En outre l'éducation qu'il voulait donner aux<br />

Noirs non seulement visait à faire d'eux des paragons de la vertu bourgeoise<br />

mais présupposait aussi que le progrès ou la perfection humaine n-était presque<br />

rien d'autre que l'acquisition des attributs conventionnels de la bourgeoisie.<br />

Il y avait aussi, implicite dans sa philosophie, une acceptation de<br />

l'infériorité culturelle des Noirs. L'égalité telle qu'il la concevait était<br />

hiérarchique,en tout cas suivait la conception de classe de la bourgeoisiel<br />

Pour 8tre égaux aux Blancs, il faut que les Noirs méritent et gagnent leur<br />

égalité.<br />

Malgré toute la bonne foi de Booker T. Washington, sa philosophie comportait<br />

des faiblesses oertaines qu'il n'est pas arrivé à appréhender, parce<br />

que né et élevé au Sud et ayant décidé d'y vivre toute sa vie, il était coupé<br />

de l'élite noire du pays dont il n'avait pas au demeurant une opinion très<br />

favorable. Son éducation ne l'avait pas préparé à comprendre les mutations<br />

qui s'opéraient dans la vie économique et sociale du ~s.<br />

Il proposait un


- 59 -<br />

programme de préparation des Noirs aux métiers qui relevaient du stade artisanal<br />

de la production à une époque où le capitalisme était entré au stade<br />

des concentrations et des monopoles. Il ne voyait pas que l'éducation industrielle<br />

qu'il défendait était tombée en àésuétude du fait des progrès techniques<br />

et que ce n'était plus de bons ouvriers qu'il fallait au capitalisme,<br />

mais des ingénieurs qualifiés. De toute fa90n, même si les Noirs avaient eu<br />

la qualification requise ils auraient été écartés des possibilités d'apprentissage<br />

tant était vive l'hostilité des syndicats.(1)<br />

Les idées de Booker T. Washington étaient pédagogiquement valables surtout<br />

lorsqu'il insistait sur la nécessaire relation entre la théorie et la<br />

pratique. Mais il exagérait les prétendus défauts de l'enseignement supérieur<br />

et minimisait le rSle de la discipline intellectuelle dans la formation de la<br />

personnalité. On comprend que beaucoup d'intellectuels noirs se soient opposés<br />

à ses conceptions et à ses méthodes. Le plus illustre d'entre ses adversaires<br />

est sans conteste William Edward Burghardt Dubois, qui quoique ne voyant pas<br />

d'objection majeure à la formation industrielle des Noirs, ne pouvait pas ><br />

s'empêcher de douter de la validité des idées de B.T. Washington:<br />

" Il n'est pas dans mon intention, écrit-il, de nier, ou<br />

même de sembler nier, la nécessité souveraine d'apprendre<br />

au Noir à travailler avec adresse et régularité; je ne voudrais<br />

pas non plus parattre sous-estimer le moins du monde<br />

le rSle important que les écoles industrielles doivent jouer<br />

dans la réalisation de ce dessein mais ce que je soutiens"<br />

et j'insiste sur ce point, c'est que c'est un rêve d'industriels<br />

enivrés de visions de succès, que de croire que leur<br />

propre travail peut se faire sans qu'ils aient à assurer<br />

la formation d'hommes et de femmes d'une vaste culture destinés<br />

à instruire leurs propres professeurs, et ceux des<br />

écoles publiques."<br />

Toujours d'après lui,<br />

Il La race noire, comme toutes les races, sera sauvée par<br />

ses hommes exceptionnels. Chez les gens de couleur,le problème<br />

de l'éducation doit donc tout d'abord s'occuper de<br />

l'élite; c'est le problème de la formation des meilleurs de<br />

cette race, afin qu'ils puissent guider la masse et l'éloi~<br />

gner de la contamination et de la mort que leur lèguerait<br />

(sic) les plus mauvais, dans leur propre race et dans les<br />

autres. Former un homme est une tâche difficile et compliquée.<br />

C'est une technique qui relève des experts de l'ensei-<br />

(1) D. Spero, Abram L. Harris, The Black Worker, New-York, Columbia University<br />

Press, 1931, p 16 et sq.<br />

1<br />

1 ,f


- 60 -<br />

gnement, mais son objet est du ressort des prophètes. Si<br />

cet objet est l'argent, nous formerons desgag.neurs d'argent",<br />

mais pas nécessairement des hommes, si le but de cette formation<br />

est l'habileté technique, nous aurons peut-être des<br />

artisans, mais ce ne sera pas non plus de véritables hommes."<br />

(1)<br />

Or il est évident que l'objectif plus ~ue<br />

jamais était de former des<br />

hommes aux facultés épanouies et dotés de tous leurs attributs humains. Une<br />

telle formation intégrale de 1'homme, et surtout du Noir, devient un impératif<br />

catégorique dans un pays comme les Etats-Unis où une identit~<br />

de groupe<br />

àépréciée a été imposée aux Noir~non pas tant parce qu'ils étaient naguère<br />

des esclaves, mais parce que la couleur de leur peau et leur différence physique<br />

les désignaient facilement à la vindicte des autres et en taisaient des vietimes<br />

de la discrimination, toutes les fois que les tensions sociales poussaient<br />

des Blancs vivant dans l'insécurité à affirmer leur propre identité<br />

aux dépens des Noirs.<br />

La. faillite de Booker T. Washington est de n'avoir pas réussi à appréhender<br />

le problème noir dans sa complexité, de n'avoir pas vu qu'avec la montée<br />

de l'égalitarisme et de l'individualisme aux Etats-Unis, les Blancs euxm@mes<br />

ressentaient une angoisse quant à leur statut social et que les efforts<br />

qu'ils faisaient pour exclure les Noirs de la vie nationale leur garantissaient<br />

ce statut social fondé non plus sur la fortune mais sur la couleur de la peau.<br />

Revendiquer dans de telles conditions l'humilité comme moyen de survie et<br />

refuser de faire la compétition sur le m~me<br />

pied d'égalité que les Blancs,<br />

c'était fabriquer des complexés et avaliser le statut d'infériorité imposée.<br />

x<br />

x<br />

x<br />

L'attitude ambigüe des "leaders de la race" en particulier celle de<br />

Booker T. Washington a toujours intrigué Ralph Ellison et lorsqu'il a commencé<br />

à écrire, il a voulu décrire leur expérience et montrer leur trattrise ou leur<br />

anachronisme. Il explorait, à ses débuts, dit-il, l'idée que:<br />

(1) Cité par Franklin Frazier, Bourgeoisie Noire, Paris, Plon, 1965, p 62


- 61 -<br />

" When the chips were down, Negro leaders did not represent<br />

the Negro community. Beyond their own special interests<br />

they represented white philantbropy, white politicians, business<br />

interests, and so on•••lt seemed to me that they<br />

acknowledge no final responsability to the Negro community<br />

for their acts and implicit in their reles were constant<br />

acts of betrayal. This made for a sad, chronic division between<br />

their values of those they were supposed to represent.<br />

And the fairest thing to say about it is that the predicsment<br />

of Negroes in the United Sates rendered these leaders<br />

automatically impotent until they recognized their true<br />

source of power -which lie., as Martin Luther King perceived,<br />

in the Negro's ability to suffer even death for the attainment<br />

of our beliefs."(1)<br />

Cette exploration constitue la première partie du roman d'Ellison,<br />

Homme Invisible, Pour Qui Chantes-tu? qu'on peut lire comme l'histoire à<br />

rebours de la doctrine Washingtonienne telle que le narrateur anonyme du roman<br />

en a fait l'expérience vivante. De fait, il suit avec fidélité les préceptes<br />

de son martre dont il veut 8tre l'émule:<br />

,~ ces jours ou Je ne me sentais pas encore invisible, je<br />

me sentais comme un futur -Booker T. Washington. "(2)<br />

i<br />

f<br />

1<br />

1<br />

f<br />

Il a souserit si fermement à l'éthique de Booker T. Washington qu'il adopte<br />

non seulement ses idées mais aussi son style. Parce qu'il a épousé les idées<br />

de Washington et qu'il est quelque peu instruit, il s'estime supérieur aux<br />

masses incultes pour lesquelles il n'a que du mépris. Pour lui le moyen le<br />

plus rapide pour s'élever dans la hiérarchie sociale consiste à obéir aveuglément<br />

aux Blancs, à se plier à leurs moindres désirs, à faire toutes leurs<br />

volontés.<br />

Cette éthique de servilité conduit le jeune narrateur de R. Ellison à<br />

une série de mésaventures dont le but est précisément de détruire les fausses<br />

prémisses qui fondent l'idéologie de Booker T. Washington afin de l'amener à<br />

comprendre la réàlité de sa situation sociale.<br />

(1) R. Ellison, "That Barne Pain, That Seme Pleasure: An Interview", Shadow and.<br />

~, New-York, Random, 1964.(Nous avons utilisé l'édition Random/Vintage, 1972.)<br />

pp 1&.19.<br />

(2) R. Ellison, Hom:ne Invisible, Pour Qui Chantes-tu ?, p


- 62 -<br />

De fait, malgré son humilité, et en dépit de son mérite personnel -c'est<br />

en effet un très brillant élève- le narrateur n'est pas reconnu en tant qu'<br />

homme de valeur et de mérite par les Blancs qu'il cStoie. Avant de lui octroyer<br />

une bourse d'études supérieures dans une UL~iversité noire, les ~otables<br />

Blancs de la ville qui l'avaient invité à leur lire le discours d'adieu<br />

qu'il avait prononcé la veille dans son sollège lui font d'abord subir toutes<br />

sortes d'outrages: ils l'obligent dans un premier temps à assister, dans une<br />

atmosphère orgiaque à une danse où une Blanche toute nue essaie, par ses<br />

déhanchements lascifs, de redonner des sensations perdues à de vieux bourgeois<br />

bedonnants à la virilité émoussée, qui n'éprouvent de volupté que par procuration.<br />

Ensuite, ils lui enjoignent de se battre les yeux bandés contre neuf<br />

de ses frères de race pour leur simple défoulement.<br />

Après le match de boxe, ils éparpillent des pièces (qui apparemment<br />

semblent @tre des pièces d'or) et quelques billets de banque froissés sur<br />

un tapis électrifié et ordonnent aux dix Nègres de les ramasser. Ceux-ci<br />

n'ont guère touché le tapis qu'ils ont la désagréable surprise de recevoir<br />

des décharges électriques et de découvrir que les prétendues pièces d'or<br />

n'étaient en fait que du clinquant. Cet épisode qui n'est que le premier d'une<br />

série d'épisodes initiatiques dont il aura à faire l'expérience tout au long<br />

de sa carrière "d'aecommodatiol'Uliste". En tout cas, il ne lui est accordé aucune<br />

considération, lorsqu'en dernière minute, il est invité à prononcer le<br />

discours qui avait fait naguère sa gloire. C'est à peine si l'assemblée des<br />

Blancs bien-pensants lui pr@tent la moindre attention. En revanche, ils manifestent<br />

leur manque d'intér@t évident dans le discours du narrateur par leurs<br />

rires et lerrs bavardages intempestifs. C'est précisément ce vacarme qui par<br />

son intensité va distraire le narrateur et lui faire commettre une bourde<br />

grave: Il parle d"'égalité sociale"("expression que j'avais, dit-il, souvent<br />

entendu discuter en privé"(1») là où il aurait di! dire "responsabilité socia.­<br />

le", euphémisme pour désigner l'acceptation passive de la politique d'exploitation<br />

et d'infériorisation du Noir par le Blanc. Cet écart de langage pro-<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible Pour Qui Chantes-tu ?; p 45


- 63 -<br />

voque instantanément le déclenchement d'un tollé général qui se décharne<br />

contre lui, ponctué de menaces qui ne le cèdent qu'aux obscénités de tous genres.<br />

L'épisode se présente donc comme un épisode-test où le narrateur éprouve<br />

la validité des idées washingtoniennes qu'il défend, au regard de l'expérience<br />

concrète. C'est un épisode qui vise à l'édifier, qui se propose de<br />

lui dessiller les yeux sur quelques vérités élémentaires de la vie sociale<br />

américaine: par exemple que l'obséquiosité cynique a des oonséquences autodestructrices<br />

terribles. Les brutalités dégradantes dont il est victime ont<br />

pour objet de lui montrer les ambigurtés et les horreurs qui découlent de la<br />

philosophie de l'humilité comme source de progrès, philosophie dont il s'est<br />

fait l'adepte à l'instar de son martre et modèle Booker T. Washington. Le<br />

combat qui se déroule entre les Noirs qui se martèlent le visage à l'envi<br />

n'est que la manifestation symbolique de la véritable nature des rapports<br />

de sujétion qui s'établissent entre Blancs et Noirs. Comme le suggère Jonathan<br />

Baumbach, tout ici se passe comme si, redoutant la puissance du Noir qu'il<br />

envie et craint en mOrne<br />

temps, le Blanc la ridiculise et la retourne contre<br />

le Noir lui-mOme afin de satisfaire ses propres fantasmes de persécuteurs<br />

" That the bout is preceded by a nude, blond belly-danoer<br />

whom the boys are forced to watch suggests the prurience<br />

underlying the victimizer's treatment of his victim. The,<br />

degrading prizefight, a demonstration of potency to titillate<br />

the impotent, in which the Negro boys blindly flail one<br />

anèrther to entertain the sexually aroused stag audience.,,(1)<br />

Cependant l'ironie de la situation ne réside pas tant dans le fait que<br />

le Blanc ravale le Noir au rang de la bête en lui refusant toute expression<br />

de sa dignité d'homme; plus grave est le dommage causé aux idées de B.T.<br />

Washington par les coups qu'assène R. Ellison à la haute société bourgeoise<br />

blanche qui sert de modèle à B.T. Washington et à laquelle il aspire. Nous<br />

apprenons, à~les<br />

observer de l'intérieur, autant sur les vices de cette société<br />

que sur l'aliénation des Nègres. Nous pénétrons dans le cercle intime du<br />

victimaire dépravé autant que nous appréhendons les effets du gauchissement<br />

"oncle tomiste" imprimé à la personnalité du narrateur. La haute société bourgeoise<br />

qui se délecte de sexe et de violence gratuite alors qu'elle pr6ne<br />

(1) J. Baumbach, "Nightmare of a Native Son" in Landscapes of Nightmare,<br />

New-York, New-York University Press, 1965, p 70.


- 64 -<br />

des vertus ascétiques est en fait sadique et vicieuse. La luxure dont elle<br />

fait étalage dans l'intimité est en opposition diamétrale avec les principes<br />

puritains qu'elle prêche:<br />

" Je remarquai, dit le narrateur qui les observe regardant<br />

la danseuse nue, un certain commerçant qui ne la quittait<br />

pas des yeux, l'air avide, les lèvres entr'ouvertes et baveuses.<br />

C'était un gaillard dont la vaste panse gonflait à<br />

craquer le plastron orné de boutons de diamant. Chaque fois<br />

que la blonde balançait ses hanches ondulantes, il se passait<br />

les mains dans les rares cheveux de sa t~te chauve, et<br />

les bras en l'air, dans une.attitude aussi gauche que' cëlle<br />

çl'un-.pendah.ivre, il roulait son ventre dans un trémoW3sement<br />

obecèn~". (1)<br />

Une telle société ne connatt, pourrait-on affirmer, que deux distractions:<br />

te sexe et la violence. Pour ces banquiers goulus, ces professeurs,<br />

docteurs, ijommes de loi, commerçants et pasteur$ à la mode, la femme -qu'elle<br />

soit Blanche ou Noire- car c'est bien à une Blanche que nous avons affaire<br />

iCi, n'est qu'Un objet à procurer du plaisir. Elle aussi est un exploité majeur<br />

dans la société capitaliste américaine, dans la mesure où elle négocie<br />

son corps pour de l'argent à l'exemple de dix Nègres qui se battent pour le<br />

même objet:<br />

" Je lus dans ses yeux la terreur et le dégoftt, semblables<br />

à ma propre terreur et à celle de certains de mes camarades."<br />

( 2)<br />

dit le narrateur en la regardant.<br />

La base de la puissance des Blancs, c'est l'argent. C'est pour l'acquérir<br />

que la belle blende prostitue son corps; à la seule évocation de son nom,<br />

les dix Nègres qui dans la pure tradition de Sambo, Nègre gros amuseur, avaient<br />

diverti les Blancs en se cognant aveuglément les uns les autres, incapables<br />

qu'ils étaient de déterminer les causes et les auteurs véritables de leur<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible Pour Qui Chantes-tu?, pp 35-36<br />

(2} Ibid., p 36


- 65 -<br />

état subhumain, c'est-à-dire d'identifier leurs réels ennemis, ces Nègres<br />

qui viennent de se marteler de coups et de se fracasser les mains n'ont pas<br />

plus t6t entendu prononcer le nom de l'argent que leurs traits naguère tirés<br />

se relaxent, leurs plaintes se taisent et leurs douleurs se calment. Mais<br />

l'argent qu'ils reçoivent en paiement des services rendus aux Blancs n'est<br />

qu'une monnaie de singe, un trompe-l'oeil qu'il faut aller chercher de surcroît<br />

sur un tapis chargé d'électricité, c'est-à-dire dans la douleur. Leur<br />

acharnement à. se l'approprier montre, semble inférer R. Ellison, qu'il faut<br />

se livrer à toutes les bassesses, accepter toutes sortes d'humiliation et<br />

d'avilissement, même piétiner ses semblables avant de l'obtenir, si jamais<br />

on l'obtient. L'exemple est déjà assez clair pour apporter le démenti aux<br />

présupposés matérialistes de Beoker T. Washington qui, au prix de mille humiliations<br />

et d'outrages de tout genre voulait créer une caste de petits-bourgeois<br />

noirs. La voie du progrès pour l'ensemble des Noirs américains passait par<br />

là. Aussi a-t-il fondé lePNegro Business LeaguePet d'autres entreprises au<br />

Il<br />

nombre desquelles l'African Union Company dont l'objet était de promouvoir<br />

le commerce entre les Noirs d'Amérique et ceux d'Afrique.<br />

Quelques louables qu'aient été les intentions et les objectifs de<br />

Booker T. Washington, ils comportaient au moins deux ponnts de càrence qu'il<br />

n'était point parvenu à cerner: à. savoir que l'appât du gain rapide et<br />

facile risquait de briser le front de solidarité raciale (ainsi que le démontre<br />

l'hostilité manifeste vontre le narrateur par les neuf autres Nègres qui<br />

l'accusent de gâter leur marché) et que la faiblesse des moyens financiers<br />

des Noirs condamnait son rêve à terme. F.Frazier souligne à cet égard que<br />

u<br />

" bien qu'elles avaient été présentées comme une manière<br />

de s'aider soi-m@me, et aussi de permettre ce qu'on a<br />

parfois appelé une coopération sociale grâce à laquelle les<br />

masses obtiendraient leur émancipation économique, les entreprises<br />

noires durent avant tout leur existence ~u désir<br />

de profit personnel et furent orientées vers l'établissement<br />

d'une classe d'employeurs Noirs capitalistes. rr (1)<br />

Booker T. Washington voulait donc faire émerger une classe de capitalistes<br />

Noirs capables d'entrer en compétition avec les Blancs pour contr6ler<br />

(1) Franklin Frazier, Bourgeoisie Noire, Paris, Plon, 1956, p


- 66 -<br />

le marché américain. Rêve fallacieux d'un homme qui veut ignorer le rôle<br />

de la couleur comme facteur de ségrégation sociale et qui n'est pas assez<br />

perspicace pour s'apercevoir que le capitalisme américain dèpuis les années<br />

1860 avait dépassé le stade de la libre concurrence et était entré dans l'ère<br />

des monopoles liés aux prêts et crédits bancaires et non plus au petit capital<br />

privé. Or les Noirs n'avaient pas pu accumuler des capitaux pour s'imposer<br />

sur le marché et les financiers blancs qui n'ignorent pas où se trouvent<br />

leurs intérêt~n'avaient pas de raison spéciale de leur consentir des<br />

crédits. Les Noirs devaient rester à leur place (c'est-à-dire au Sud en position<br />

subalterne) et servir les intérêts du Sud.<br />

Il n'est donc pas étonnant que le discours que le narrateur prononce<br />

sur les vertus de l'humilité soit à peine écouté, sauf lorsque par mégarde<br />

il dit "égalité sociale" à la place de "responsabilité sociale". Cette humilité<br />

prétenddment source et essence du progrès pour les masses noires, n'est<br />

en dernière analyse, que l'assujétissement librement consenti des Noirs aux<br />

volontés des Blancs, un refus délibéré de leur part de se battre et d'oeuvrer<br />

en vue de l' ~élioration de leur condition sociale. Une telle humilité, toutes<br />

proportions gardées, est feinte. De toute façon, le narrateur qui en fait<br />

l'apologie, au fond de lui-même doute de sa vertu, quoiqu'il lui reconnaisse<br />

une certaine efficacité:<br />

." Le jour de mon dipl6me, dit-il, je fis une petite harangue<br />

ou Je démontrais que le secret, mieux l'essence du progrès,<br />

c'était l'humilité (je n'en croyais pas un mot. Et<br />

comment l'aurais-je pu, me rappelant mon grand-père? Simplement,<br />

je peJlsais que ce genre de truc marchait.) Et en<br />

effet ce fut un grand succès. Je fus grandement complimenté<br />

et l'on m'incita à répéter mon discours lors d'un rassemblement<br />

des Blancs influents de la ville. Ce fut un triomphe<br />

qui rejaillit sur notre communauté tout entière."(1)<br />

L'attitude du narrateur et son approbation par la communauté noire tout<br />

entière répond parfaitement aux attentes des Blancs dont l'objectif, semble<br />

indiquer R. Ellison, est d'obliger les Noirs à rester apathiques face aux<br />

traitements émasculateurs qu'ils subissent, à ne pas se révolter contre leur<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible, Pour Qui Chantes-tu 1, p 33


- 67 -<br />

condition sociale, même s'ils venaient à prendre conscience de l'injustice<br />

dont ils sont l'objet.<br />

Une contradiction psychologiquement préjudiciable à la personnalité<br />

s'établit ainsi entre l'individu évoluant publiquement et le même homme pensant<br />

en privé. Face au Blanc, il se conformera à l'image du "bon Nègre, oncle<br />

Tom" qui connaft et reste à sa place et ne franchit jamais la ligne des interdits<br />

tracée et des tabous imposés par les Blancs. Cependant le simple<br />

fait que le narrateur ne crott pas à ce qu'il dit, qu'il ne conforme pas ses<br />

actes à sa pensée -il n'en a pas d'ailleurs- lui ouvre déjà une voie vers<br />

le refus; mais il ne s'y engagera pas de sit6t. Au demeurant le succès inattendu<br />

que lui apporte son discours au sein de la communauté noire semble<br />

d'autant plus ambigu qu'il est toujours hanté par les paroles énigmatiques<br />

pro~oncées par son grand-père,modèle parfait de l'homme humble, avant de rendre<br />

l'âme:<br />

1<br />

t<br />

1-~<br />

"••• Notre vie à nous, disait le vieil homme, est une guerre,<br />

et du jour où j'ai rendu mon fusil, à la Reconstruction, je<br />

suis devenu un traitre pour la vie, un espion dans le camp<br />

ennemi."(1)<br />

Ces paroles du grand-père, tout à l'opposé des idées professées par<br />

Booker T. Washington, montrent s'il en était besoin, que le vieil homme malgré<br />

son passé de conciliateur reste assez clairvoyant pour ne pas légitimer<br />

sa conduite et ses actes antérieurs par des sophismes. Il accepte sur son lit<br />

de mort d'assumer les échecs résultant de ses attitudes pass~, attitudes<br />

dont il dénonce les lacunes et qu'il ne veut pas voir se perpétuer car le dommage<br />

est immense qui consiste à confondre une attitude tactique, passagère,<br />

dictée par les contraintes extérieures avec un comportement définitif; car<br />

le danger est grand qui consiste à confondre la liberté formelle, conception<br />

statique, avec la libération qui est lutte, action ~ique qui remodèle<br />

l'homme tout entier. En clair, le vieil homme répudie la philosophie washingtonienne,<br />

même si la méthode de lutte qu'il préconise -absorber le conquérant<br />

afin de sauvegarder son identité - demeure tout aussi ambigü~:<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 32


- 68 -<br />

" Tâche de vivre dans la gueule du loup. Je veux que tu les<br />

noies sous les oui, que tu les sapes avec tes sourires, que<br />

tu les fasses crever à force d'~tre d'accord avec eux, que<br />

tu les laisses te bouffer jusqu'à ce qu'ils te vomissent ou<br />

qu'ils éclatent.,,( 1)<br />

Au total l'invisibilité à ce niveau semble se traduire par le refus du<br />

négro-américain d'agir en vue de développer une persollllalité à lui, plutôt<br />

que de réagir aux ordres d'autrui, d'imiter servilement les autres et de leur<br />

obéir sans réfléchir:<br />

" J'essayais, dit le narrateur à ce propos, de me trouver,<br />

et je posais à tout le monde, sauf à moi-m~me, des questions<br />

auxquelles j'étais bien le seul à pouvoir répondre. Il me<br />

fallut longtemps et pas mal de déboires dans mes espérances<br />

pour posséder cette vérité que tous les autres hommes semblent<br />

connattre dès leur naissance. Je ne suis personne<br />

d'autre que moi-m~me."(2)<br />

L'invisibilité, c'est toujours à ce niveau de l'expérience vécue du<br />

négro-américain, l'aliénation des soi-disant leaders de la race du fait de<br />

leur inféodation aux intér~ts<br />

de la bourgeoisie blanche, et ce qui en découle,<br />

leur éloignement des masses. Les vrais responsables de l'état déplorable des<br />

Noirs aux Etats-Unis, so.t".à en croire R. Ellison, ces dirigeants noirs qui<br />

à cause de leur manque de confiance dans les masses, leur proposent des solutions<br />

de facilité qui ne résolvent .ucun problème. Au nombre de ces propositions<br />

et de ces solutions se détache le problème de l'éducation qui, à écouter<br />

les pédagogues négro-américains devraient être un facteur de mobilité<br />

sociale, mais qui en fait ne fabriquait que des aliénés et des compléxés.<br />

C'est pour détruire ce mythe que le grand-père du narrateur lui enjoint dans<br />

son sommeil d'ouvrir la serviette qui lui avait été offerte après sa harangue<br />

par les Blancs de la ville, serviette qui contenait, rappelons-le, une bourse<br />

d'études supérieures. Le message du grand-père recommande:<br />

" Avis à tous les intéressés. Continuez à faire courir ce<br />

négrillon•••"(3)<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 32<br />

(2) Ibid., p 31<br />

(3) Ibid., p 47


- 69 -<br />

Et de vrai, le narrateur continue sa course folle dont la première<br />

étape le conduit à Tuskegee dans un institut universitaire qui incarne l'oeuvre<br />

de Booker T. Washington. C'est selon ses propres termes "l'oeuvre de sa<br />

vie"(his life-work). Il a consacré toute son existence à l'ériger selon ses<br />

principes pédagogiques de formation technique (industrial training). C'est<br />

dans cet institut qu'est admis le narrateur afin de recevoir la formation<br />

adéquate qui doit le rendre apte à bien servir les intérêts des Blancs.<br />

Comme le fait remarquer le superintendant de son collège,<br />

" un jour il mènera ses frères dans le droit chemin. Et<br />

je n'ai pas besoin de dire que la chose est importante, de<br />

nos jours, à notre époque. Voici un bon sujet et un sujet<br />

intelligent.,,( 1)<br />

Aussi longtemps que l'intellectuel négro-américain évoluera dans la<br />

bonne voie c'est-à-dire qu'il continuera à servir les intérêts des exploiteurs;<br />

aussi longtemps qu'il restera à sa place et s'accommodera de l'ordre<br />

établi, les portes de l'enseignement supérieur lui seront ouvertes par la<br />

bonne grâce des Blancs et du même coup Battra pour lui l'espoir d'une vie<br />

meilleure! en d'autres termes, petite-bourgeoise.<br />

Booker T. Washington voulait justement faire de son Institut le centremoteur<br />

d'une telle vie pour les Noirs. L'éducation qui leur était donnée visait<br />

par conséquent à les réhabiliter aux yeux des Blancs. Il s'en explique<br />

dans Up From Slavery, son livre auto-biographique:<br />

" My experience is that there is something in human nature<br />

which always makes an individual recognize and reward merit,<br />

no matter under what color of skin merit is found. l have<br />

found, too, that it is the visible, tangible that goes a<br />

long way in softening prejudices."(2)<br />

Fort de cette expérience dont il parle, B.T. Washington fait de l'éducation<br />

du visible et du tangible, une panacée destinée à guérir les Noirs de<br />

tous les maux dont ils souffrent au sein de la société américaine, il en fait<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 46<br />

(2) Beoker T. Washington, Up From Slavery


- 70 -<br />

la clef miraculeuse devant leur ouvrir toutes les portes, la solution au<br />

problème de l'identité respectable que tous les Noirs doivent se forger.<br />

Pas un seul instant, il ne se préoccupe de savoir si la base économique<br />

et sociale que reproduit l'éducation qu'il donne aux Noirs est bien celle<br />

qui leur convient. Le résultat concret de cette méprise est que son Institut<br />

produit des hommes qui n'ont aucune prise sur leur propre culture et qui<br />

sont de surcrott en discordance avec leur race.<br />

Le narrateur nous décrit l'Institut comme un bel établissement d'allure<br />

bourgeoise, une espèce de majestueux manoir où tout respire la sérénité.<br />

C'est un cadre romantique, coupé du monde extérieur qui tient plus du paradis<br />

que d'une institution scolaire ordinaire. Le style de l'auteur, toute<br />

d'emphase, accentue encore cette impression de paix et de s~énité<br />

à l'établissement un air presqu'irréel:<br />

et confère<br />

" C' était un bel établissement. Le~ bâtiments étaient anciens<br />

et recouverts de plantes gri~pantes, et les allées<br />

serpentaient avec grâce, bordée de haies d'églantines éblouissantes<br />

sous le ciel d'été. Le chèvrefeuille et la glycine<br />

mauve pendaient des arbres en lourdes grappes et les magnolias<br />

blancs mêlaient leurs parfums à l'air bourdonnant d'<br />

abeilles. Je l'ai souvent évoqué ici, dans mon trou: l'herbe<br />

qui verdissait au printemps, les oiseaux moqueurs qui<br />

agitaient la queue et chantaient, la lune qui répandait sa<br />

clarté sur les bâtiments, la cloche dans la tour de la<br />

chapelle qui sonnait les heures précieuses et éphémères,<br />

·les filles en robes d'été aux couleurs vives qui se promenaient<br />

sur le gazon verdoyant •••"(1)<br />

C'est dans ce cadre à l'allure faussement bourgeoise, qU1 Jure avec<br />

la condition sociale des Noirs à l'ento~ qui s'isole de leurs problèmes et<br />

des contradictions de la vie américaine en généra~qu'est dispensée l'éducation<br />

que Booker T. Washing10n entend donnér aux Noirs: Une telle éducation<br />

ne peut qu'être formelle, sans prise réelle sur le milieu extérieur, sans<br />

rapport avec les structures socio-économiques de ceux à qui elle est destinée.<br />

Son utilité pour les masses est par conséquent douteuse. Au reste, en<br />

dépit de la luxuriance verdoyante du cadre, tout n'y est qu'aridité. Le narrateur<br />

se déclare en effet incapable "d'évoquer, dans cette tle de verdure,<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 49


- 71 -<br />

d'autre fontaine que celle qui était brisée, rougie et tarie" et qu'en outre<br />

"nulle pluie ne vient tomber et crépiter sur mes souvenirs, détremper la dure<br />

croate sèche d'un passé encore récent."(1)<br />

Il est à peine besoin d'ajouter que l'idéologie véhiculée par le collège<br />

universitaire est tout aussi aride, qu'on en sort avec une personnalité<br />

d'emprunt, sans aucune possibilité réelle d'épanouissement, incapable d'initiative<br />

créatrice. En adoptant une attitude opportuniste à l'instar du narrateur,<br />

les jeunes étudiants s'aliènent leur groupe ethnique, ont honte de<br />

leurs parents et sont même souvent franchement hostiles envers les paysans<br />

noirs qu'ils tiennent dans un mépris souverain, lors m~me<br />

qu'ils affirment<br />

oeuvrer pour le progrès de ces derniers. Ainsi parlant de Jim Trueblood, un<br />

métayer noir qui par sa conduite avait causé un "joli petit scandale", le<br />

narrateur nous apprend les sentiments de la commûnauté bien pensante des Noirs<br />

du collège envers les pauvres Boirs:<br />

" C' était aussi un bon ténor: parfois lorsque les h6tes de<br />

marque Blancs visitaient l'école, on le faisait venir en<br />

meme temps que les membres d'un quatuor de campagne, pour<br />

chanter ce que les officiels appelaient "leurs spirituals<br />

primitifs"•••Ces chants aux mélodies sensuelles nous plongeaient<br />

dans la g@ne, mais du moment qu'ils impressionnaient<br />

fort les visiteurs, nous n'osions pas rire des sons frustres,<br />

aigus animaux et plaintifs dont nous gratifiait Jim Trueblood<br />

à la tête du quatuor•••<br />

Sa mauvaise conduite avait effacé tout cela, et chez<br />

les officiels de l'école, l'attitude de mépris tempéré par<br />

la tolérance avait désormais cédé la place au ~épris attisé<br />

Par la haine. Ce qui m'échappait à cette époque pré-invisible,<br />

c'est que leur !laine tout comme la mienne était chargée<br />

de crainte. Comme on les détestait, à l'université, les<br />

gens de la ceinture noire, "les paysans", en ce temps-là!<br />

Nou~nous faisions tout notre possible pour les élever, et<br />

eux, de leur c6té, semblaient s'acharner à nous rabaisser."<br />

(2)<br />

Quelques remarques s'imposent: l'éducation dispensée dans l'université<br />

coupe ceux qui la reçoivent de leur culture originelle qu'ils tiennent pour<br />

primitive. Il découle de cette attitude, un complexe de supériorité des<br />

"intellectuels" envers ceux qu'ils appellent "les paysans". La conséquence<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 51<br />

(2) Ibid., P 60<br />

"<br />

1<br />

1<br />

1<br />

r<br />

1


- 72 -<br />

finale d'un tel état de choses est de miner toute solidarité susceptible<br />

d'exister entre "l'élite noire" et la masse des analphabètes négro-américains,<br />

parce que les premiers ne se considèrent plus de la même classe sociale que<br />

les seconds dont ils tiennent à t~ut<br />

prix à se dissocier. L'éducation qU'ils<br />

reçoivent est donc une éducation de classe. Car, quoique le monde des "paysans"<br />

ne soit géographiquement parlant qu'à quelques mètres du clos de l'université,<br />

la distance psycholoGique et culturelle qui sépare les deux groupes<br />

est très grande. D'ailleurs aucun d'eux n'ignore les sentiments que l'autre<br />

nourrit à son égard. Jim Trueblood considère les "gens importants" du collège<br />

(the biggity school-folks), comme des complexés, des trartres passés à l'ennemi:<br />

"Les gens là-haut à l'école, dit-il à leur propos, ils sont<br />

tout pour les Blancs, et ça me donnait les chocottes. Quand<br />

m~me pour la première fois qu'ils sont ici, j'ai cru qu'ils<br />

étaient pas pareils que quand j'y étais allé, y a longtemps,<br />

pour chercher de la science dans les livres et me tuyauter<br />

sur la façon de traiter mes récoltes••• Mais j'ai vu rouge<br />

quand j'ai compris qu'ils essayaient de se débarrasser de<br />

nous parce que, soi-disant, on était une honte."(1)<br />

Mais Jim Trueblood sait aussi, à l'instar de R. Ellison, que la puissance<br />

dont font étalage les Noirs instruits n'est qu'un tro~pe-l'oeil;" •••Le<br />

Nègre, il peut devenir aussi important qu'il veut, les Blancs pourront toujours<br />

lui marcher d'ssus."(2)<br />

Le propos dé R. Ellison est, pensons-nous, de montrer le caractère inadéquat<br />

d'w1e pareille éducation et son inadaptation aux réalités vivantes<br />

des Noirs. L'illustration de cet état de choses est apportée par le fait que<br />

les philanthropes blancs qui soutiennent financièrement l'établissement où<br />

ils viennent annuellement pour s'assurer que ceux en .qui ils placent leur<br />

confiance pour sauvegarder leurs intérêts au sein de la communauté noire,<br />

ignorent tout de la vie réelle, quotidienne de ceux qu'ils prétendent sauver.<br />

C'est au cours d'une de ces réunions que le narrateur, jusqu'alors<br />

étudiant modèle est invité à servir de chauffeur à l.1r. Norton, un bienfaiteur<br />

de l'université, représentant les intérêts du Nord. Au cours de cette<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 64<br />

(2) Ibid., p 65


- 73 -<br />

mission le narrateur commet sa première bévue qui devait être aussi la dernière,<br />

puisqu'elle a résulté en son expulsion du collège. La faute du narrateur<br />

? Avoir conduit ~œ. Norton en dehors des limites de l'université, vers<br />

"un ensemble de baraquements et de cabanes en bois, blanchis, et gauchis par<br />

les intempéries. Sur les toits, des bardeaux torturés par le soleil, semblables<br />

à des jeux de cartes trempés d'eau étalés pour sécher. Les maisons composées<br />

chacune d'une pièce unique et carrée, étaient jrnnelées p~ un toit et<br />

un plancher communs et séparés par un porche par lequel le passant apercevait<br />

les champs qui s'étendaient derrière elles."(1)<br />

Le narrateur a donc commis le crime impardonnable de montrer au philanthrope<br />

nordiste un autre aspect de la vie des Noirs, différent de celui que<br />

les officiels de l'université l'avaient accoutumé à voir. Faute d'autant plus<br />

grave que Norton se faisait une bonne conscience en donnant quelques subsides<br />

à l'établissement universitaire. En effet, il était habité par la conviction<br />

que par ses dons, il contribuait à la promotion sociale des Noirs et la majesté<br />

du cloftre universitaire qu'il visitait chaque année le confortait<br />

dans cette opinion. On comprend donc qu'il s'étonne à la vue des cabanes de<br />

rondins au milieu desquelles est érigée l'université dont il est à l'origine<br />

l'un des fondateurs et qui/selon ses propres termes/fait partie de sa vie.<br />

Son ignorance de ce qui existe et de ce qui se passe à un jet de pierre d'un<br />

endroit qu'il fréquente depuis des années nous fait déjà :douter de la sinc-érité<br />

de ses intentions.<br />

Cependant, ce n'est pas tant parce qu'il a montré à Norton des cabanes<br />

datant du temps de l'esclavage que le narrateur est expulsé de l'université;<br />

c'est surtout parce qu'il l'a abouché avec Jim Trueblood, un métayer qui avait<br />

déshonoré la communauté noire pour avoir eu des relations incestueuses avec<br />

sa propre fille. Sa mauvaise conduite rejaillissait sur tous les Noirs, en<br />

particulier les "intellectuels" et les officiels de l'université.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 59


- 74 -<br />

Le narrateur imprudent n'eut pas plus t8t révélé à Norton la forfaiture<br />

de Jim Trueblood que le philanthrope lui ordonne de le conduire auprès de celui-là.<br />

Et voilà le métayer en train de raconter une fois de plus son acte<br />

ignominieux. C'est d'abord un r~ve<br />

d'une femme blanche, dans la maison d'un Blanc, M.<br />

pendant lequel il se trouve en compagnie<br />

vain, pour se libérer de l'étreinte de la jeune femme qui ne<br />

Broadnax. Il se débat en<br />

veut pas le<br />

laisser s'échapper. A son réveil, il se retrouve sur sa propre fille en train<br />

d'abuser d'elle. A ce moment pathétique il se trouve plongé dans l'embarras<br />

quant à l'attitude à adopter: mouvoir ou ne pas mouvoir:<br />

" Je peux pas bc!Juger, parce que je calcule que SJ. Je bougeais,<br />

ce serait un péché. Et j'me pense aussi que si je ne bouge<br />

pas, c'est peut-~tre pas un péché, vu que c'est arrivé<br />

quand je dormais."(1)<br />

Il consomme donc le crime jusqu'au bout, comme un vrai joueur qui continue<br />

à risquer des sous m~me<br />

quand il perda<br />

"Vous y êtes jusqu'au cou, et vous ne pouvez pas vous en<br />

sortir, m~me si vous le voulez."(2)<br />

C'est alors que sa femme réveillée -tous vivaiènt dans la promiscuité<br />

dans une pièce unique et partageaient le m~me<br />

lit- au vu de son acte, empoigne<br />

une hache et le blesse. J. Trueblood, mis en quarantaine Par la communaut€<br />

s'exile pour un temps et dans sa retraite solitaire réfléchit sur le sens<br />

de son~cte:<br />

A t-il péché ou non? Est-il responsable de ses r~es ? Homme<br />

pratique, il met fin à son exil volontaire, incapable Qu'il est de trouver<br />

une réponse satisfaisante aux questions qu'il se posait. Il revient donc chez<br />

lui, en chasse tous les intrus et accepte de gaité de coeur d'assumer la<br />

responsabilité de son acte quelque dégradant qu'il soit:<br />

" Finalement, une nuit, à l'aube, je lève les yeux, je vois<br />

les étoiles et je me mets à chanter••• Cette nuit-là, je<br />

me chantonne des blues qui ont jamais été chantés avant,<br />

et tout en les chantant, je décide que je suis personne<br />

~'autre que moi-même et que je peux rien faire sinon laisser<br />

arriver ce qui doit arriver. Je décide que je retourne<br />

à la maison et que j'affronte Kate et Jf.a.tty-Lou."(3)<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 10<br />

(2) Ibid., p 11<br />

(3) Ibid., p 11


- 75 -<br />

Il est encore plus ferme dans sa décision lorsqu'il apprend que les<br />

deux femmes sont grosses de ses oeuvres. En homme responsable, il refuse<br />

d'envisager la solution de l'avortement:<br />

" Voyez-vous, tante Cloe, c'est une sage-femme, et m@me que<br />

cette nouvelle m'a coupé bras et jambes, y'a une chose que<br />

je sais pour sûr: je veui pas qu'elle tripatouille mes femmes.<br />

Ca aurait empilé un nouveau péché sur l'autre péché.<br />

Alors, je dis à Kate~ non, si tante Cloe s'approche de cette<br />

maison, je la tuerai, toute vieille qu'elle est."(1)<br />

C'est alors que l'inattendu arrive. Tout lui sourit, surtout du ceté<br />

des Blancs, m@me<br />

si les Nègres le boudent:<br />

" Les choses se sont ~tées tout de suite. Les Nègres de<br />

l'école là-haut, ils sont descendus pour me chasser et ça<br />

m'a fait voir rouge. J'suis allé trouvé les Blancs à ce<br />

moment-là et ils m'ont aidé. C'est c'que je comprends pas.<br />

J'ai fait la pire chose qu'un homme a jamais fait dans sa<br />

famille, et au lieu de me faire fout' le camp de la régionr<br />

les v'là qui m'aident plus qu'ils ont jamais aidé un homme<br />

de cou1eur,m6me le meilleur des Nègres••• Mais ce que j'peux<br />

pas comprendre c'est qu'ayant fait la pire chose qu'un homme<br />

peut faire dans Ba propre famille, les choses au lieu<br />

de se ~ter vont mieux que jamais. Les Nègres de l'école<br />

m'aiment pas, mais les Blancs, y me tra.itent bien."(2)<br />

Jim Trueblood est encore plus étonné quand, à la fin de son récit, Norton,<br />

bouleversé, ébranlé et titubant, le visage blanc comme de la craie (comme s'il<br />

venait d'avoir un orgasme ou une attaque cardiaque) lui offre un billet de<br />

cent dollars, le recolUlaissant implicitement par cet adte m6me comme son<br />

alter-ego. Ellison semble dire, si l'on considère le traitement particulièrement<br />

soigné que réservent les Blancs à Jim Trueblood,que ces derniers récompensent,<br />

donc encouragent le vice chez le<br />

Noir, non seulement parce qu'il<br />

lLeur offre par ses prétendues bassesses la preuve de sa propre infériorité<br />

congénitale et qu'il sert à les conforter dans leurs préjugés négrophobes,<br />

mais aussi parce que ce m@me<br />

négro-américain consomme pour eux les désirs<br />

enfouis et innommables de leur nature libidineuse refoulée. C'est pourquoi<br />

ils acceptent facilement l'inceste de Jim Trueblood, mieux ils se délectent<br />

m6me du récit du métayer; on peut m@me<br />

dire qu'ils en tirent un plaisir certain.<br />

(1) R. Ellison, op. Cit., p 77<br />

(2) Ibid., p 77


- 76 -<br />

Chez eux aucune indignation. Tant s'en faut. Du<br />

jour au lendemain, J.Trueblood<br />

se retrouve célèbre pour avoir violé les règles de la moralité bourgeoise,<br />

alors que ceux qui à l'instar de Booker T. Washington la suivent<br />

sont purement et simplement rejetés.<br />

On peut déduire de l'attitude des Blancs que l'intérêt qu'ils prétendent<br />

porter aux Noirs est pour le moins ambigu, superficiel et paternaliste de<br />

surcroît. L'épisode de J.Truetlood en est une illustration éloquente. Comment<br />

expliquer en effet que Nor~on,<br />

éminent représentant des industriels et banquiers<br />

du Nord -qui s'est chargé du fardeau de "l'homme blanc"-ignore tout<br />

de ceux à qui il affirme avoir lié sa destinée ? Quelle explication donner<br />

au fait que malgré son pélerinage annuel, à chaque printemps, dans l'université<br />

pour la f~te<br />

des fondateurs, il n'ait jamais cherché à connattre un peu<br />

plus la vie réelle que menaient les affranchis ? La réponse la plus pausible<br />

à ces questions, c'est comme l'écrit E. Margo1ies que les "libéraux" du Nord<br />

" since Reconstruction have endorsed Booker T. Washington's<br />

twin principles of equality and caste submission -not only<br />

a logical contradiction, but, again, a kind of blindness to<br />

reality. But Ellison is suggesting ~s weIl that the Northern<br />

white liberal philanthropist demands the invisibility of<br />

the Negro no less than his Southern racist counterpart, in<br />

Negro Slavery."(1)<br />

C'est le narrateur en effet qui, pour la première fois amène Norton à<br />

affronter la réalité de la condition des Nègres et lui fait découvrir les<br />

mobiles qui sous-tendent son action, et ce qui en découle, la ~ité de ses<br />

"efforts". Car ces mobiles sont intimement liés au thème de l'inceste dévelo}>pé<br />

par J. Trueblood. Le but de l'épisode est, nous semble-t-il, d'amener Norton<br />

à découvrir l'impureté de ces désirs qu'il sublime en faisant des dons<br />

aux Négro-américains. C'est pourquoi R. Ellison a fait de ce thème, un m~e<br />

d'Oedipe à rebours en le dépouillant de tout aspect tragique. Confronté au<br />

métayer noir, le millionnaire blanc ne peut que river ses yeux bleus étincelants<br />

au visage noir de Trueblood avec un mélange d'envie et d'indignation.(2)<br />

Car pour Norton, il n'est en réalité qu'un objet sur lequel sont transférés<br />

les sentiments enfouis. Selma Fraiberg, dans un brillant article le montre bien:<br />

(1) Edward Margolies: "History as Blues",in Native Sons, New-York, Lippincott<br />

p 136.<br />

(2) R. E11ison, op.cit., pp 64-18.


- 77 -<br />

tI There are two incest heroes in E1lison's story -or one<br />

if you like- for Mr. frueblood is Mr Norton's brother of<br />

the dream, his black self. Mr Norton who listens to Mr Trueblood's<br />

dream with dread and fascination is the witness of<br />

hie own dream. MT Norton's dream -sin of incest is concealed<br />

from him and from the world. He atones by creating monuments<br />

to the sacred memory of his daughter, and hie good works<br />

for the Negro are the symbole of his guilty partnership<br />

with the Negro: The Negro sins for Mr Norton and l'lI' Norton<br />

atones. Mr Trueblood who sinned in a dream and wakened to<br />

find himself embracing his daughter is stripped of pretense<br />

and the protection of the~h.He is confronted with his<br />

naked self and the testimony of his dream and the act. He<br />

can still ta1:e ref'uge in the myth by submitting to classical<br />

fate, for an instant he offered himself to the axe and then<br />

refused; for a short time he exiled himself but chose to<br />

come back. He becarlJe a hero because he refuse! to hide behind<br />

the cowardly deceptions that cloak sin; he faced the<br />

truth within himself."(1)<br />

Alors que Trueblood accepte d'assumer la vérité qu'il y a en lui jusqu'au<br />

bout, Norton est incapable de se rendre à l'évidence que lui-même a nourri<br />

naguère des désirs incestueux pour sa propre fille qu'il décrit comme un<br />

"8tre exceptionnel, plus beau, plus pur, plus parfait, plus délicat que le<br />

plus fantastique des r8ves d'un poète. Je ne suis jamais parvenu,ajoute ~il,<br />

" à la considérer comme chair de ma chair. Sa beauté ,tait<br />

une source de la plus pure, de la plus vivifiante des eaux;<br />

la contempler, c'était boire, boire, boire encore••• Elle<br />

était exceptionnelle, une perfection, une oeuvre d'art consommé~<br />

Une fleur délicate qui s'épanouissait sous la lumière<br />

de la lune. Elle n'était pas de ce-monde, elle ressemblait<br />

à une jeune fille biblique, gracieuse et royale. Il<br />

in' était difficile de la croire issue•••"(2)<br />

Il ne va pas au bout de sa pensée, mais il a assez parlé pour que nous<br />

le comprenions. Du reste, jamais au cours de son éloge de la beauté de sa<br />

fille, il ne mentionne la mère de l'enfant, sa femme. Omission capitale car<br />

on peut aisément constater que le langage de M.<br />

Norton ressortit plus à celui<br />

de "l'amoureux" qu'à celui d'un père éprouvant un simple amour paternel<br />

pour sa fille. Au demeurant le narrateur nous apprend, dans un style tout à<br />

l'opposé de celui de Norton que tout ce qu'il y avait de remarquable dans la<br />

(1) Selma Fraièergl" Two Modern Incest Heroes", Bartisan Review, 28(FalljWinter<br />

1961), pp 646-961. Rpt in John O.Reilly, ed., Twentieth Century Interpretations<br />

of Invisible Man, Prentice-Hall, Inc, Englewood Cliffs, N.J., 1970<br />

(2) R. Ellison, op.cit., p 56


- 78 -<br />

jeune fille, c'était "son ample costume de tissu soyeux et vaporeux" et qu'<br />

"aujourd'hui, v@tue d'un de ces tailleurs élégants, bien coupés, anguleux,<br />

stériles, modernisés, cousus machine, climatisés, qui s'étalent dans les revues<br />

de mode féminine,elle semblerait aussi quelconque qu'une co11teuse pièce<br />

de joaillerie travaillée à la machine, et sans plus de vie.,,( 1) .<br />

Norton,en forçant Trueblood à lui raconter l'histoire de son inceste,participe<br />

donc par procuration à l'acte sexuel avec sa propre fille et consomme<br />

ce faisant, ses propres désirs incestueux que seuls les blocages et la répression<br />

sociale l'ont empêché d'actualiser. N'affirmait-il pas lui-m@m~ que<br />

les Nègres étaient associés à sa destinée et que ce qui leur arrivait ne lui<br />

était pas indifférent ? Que fasciné et horrifié, s'adressant à Trueblood •<br />

"avec un m81ange d'envie et d'indignation", il s'exclame: "Vos yeux ont vu<br />

le chaos et vous n'@tes pas anéanti!"(2) ou s'interroge: "Vous ne ressentiez<br />

pas de tumulte intérieur, pas le besoin d'arracher de vous le membre qui a<br />

péché ?"(2), tout cela est symptomatique de ce qui se passe en lui, en son<br />

for intérieur, au niveau de l'inconscient. Il appelle chaos ses désirs enfouis<br />

et innommables. Contrairement à Trueblood, il refuse de regarder son<br />

moi en deshabillé, il ne veut pas accepter, encore moins assumer les ténèbres<br />

de son !me parce que la répression de ses désirs est la plus forte et il en<br />

éprouve un regret infini qui lui fend l'âme.<br />

La rencontre de Trueblood et de Norton montre, s'il en était encore<br />

besoin le pessimisme fondamental du millionnaire et l'optimisme agreste du<br />

mét~er noir. L'impression finale qu'on retire de cet épisode est que la<br />

civilisation occidentale met un accent plus fort sur la répression et la<br />

suppression que sur l'expression spontanée et l'accomplissement de soi. En<br />

outre, vu sous la problématique de l'idéologie de Booker T. Washington, l'épisode<br />

de J. Trueblood montre l'ambiguité de l'intér@t que les Blancs portent<br />

aux Noirs d'une part et administre la preuve de cette vérité élémentaire que<br />

le Noir le plus rustre sait d'expérience, à savoir que l'instruction, m~me<br />

si elle confère un certain prestige aux Noirs qui en bénéficient, ne font<br />

d'eux, à l'absolu, que des sous-fifres qui n'ont aucun pouvoir de décision.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 64<br />

(2) Ibid., p 64


- 79 -<br />

l !<br />

1 1<br />

J. Trueblood le dit sans ambages:" Le Nègre, il peut devenir aussi important<br />

qu'il veut, les Blancs pourront toujours lui marcher dessus."(1) L'illustration<br />

la plus claire de cette idée nous est apportée par l'épisode suiyant, en<br />

l'occurrence la rencontre de Norton aveb les anciens combattants de la<br />

Première Guerre Mondiale dans le tripot au nom évocateur de Golden Day où<br />

le narrateur conduisit Norton inconscient, le visage blanc comme de la craie,<br />

à la suite du choc ou de l'attaque que lui a causé le récit de J. Trueblood.<br />

F - L'IMPOSSIB<strong>LE</strong> RECONNAISSANCE<br />

-~ ..-.-- ..... -- ---~----.<br />

La visite de Norton au Golden Day, est providentielle comme le lui<br />

rappelle un ancien psychifltre maintenant "pensionnaire d'une maison de fous<br />

ou presque." Elle lui permet de prendre la vraie mesure de sa destinée et de 1-<br />

ne plue parler en termes vagues et abstraits de ses liens avec les Noirs. Une -<br />

autre des conséquences de cette visite est de dessiller les yeux àu narrateur,<br />

jeune étudiant innocent, sur les vertus miraculeuses de l'instruction. C'est<br />

d'ailleurs le narrateur lui-m&me qui nous informe qu'au nombre des détraqués<br />

qu'on amène une fois par semaine se défouler au Golden Day,<br />

" les anciens docteurs, avocats, professeurs fonctionnaires<br />

n'étaient pas rares; il y avait en outre plusieurs cuisiniers,<br />

un pasteur, un politicien et un artiste. Un autre<br />

tout à fait cinglé avait jadis été psychi~tre."(2)<br />

Chaque fois qu'il les rencontrait, confesse le narrateur, il éprouvait<br />

une sensation de malaise, car<br />

" ils étaient supposés appartenir à ces professions libérales<br />

auxquelles à diverses reprises j'avais moi-m@me plus<br />

ou moins aspiré. Et bien qu'ils n'aient jamais posé les<br />

yeux sur moi, je n'arrivais pas à voir en eux de véritables<br />

malades. Parfois, on aurait dit qu'ils jouaient un grand<br />

jeu compliqué avec moi et mes camarades d'étude, un jeu dont<br />

le:but était'dè-rire et dont je ne parvenais pas à mattriser<br />

les règles et les subtilités."(3)<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p65<br />

(2) Ibid., P 84<br />

(3) Ibid., P 84


- 80 -<br />

Si le narrateur manque d'appréhender la signification profonde de ce<br />

qu'il voit, n'est-ce pas que de par son éducation, il est déjà informé, complètement<br />

aveuglé par les différentes idéologies de la société blanche au<br />

point de vouloir ignorer de façon délibérée ce qui crève les yeux aux Nègres<br />

les plus frustres. C'est à l'ancien combattant, psychi~tre fou, doué pourtant<br />

d'une lucidité hors du commun qu'il revient d'ouvrir les yeux à Norton et à<br />

son "nouvel esclave nègre". L'histoire de la vie de l'ex-psychi§;tre est en<br />

soi pleine d'enseignements. Jeune,il était allé en France avec le service<br />

sanitaire de l'armée américaine et y était resté après<br />

l'Armistice pour<br />

étudier et exercer la médecine. En tant que médecin, il "avait mené à bien<br />

quelques interventions chirurgicales au cerveau qui lui valurent quelque<br />

semblant d'attention."(1) Aux Etats-Unis où, par nostalgie, il était revenu<br />

pour sauver des vies humaines, on l'a repoussé, battu pour avoir soigné un<br />

Blanc:<br />

" Dix hommes masqués m'ont emmené en voiture h ors de la<br />

ville, à minuit, et m'ont battu à coups de fouet pour avoir<br />

sauvé une vie humaine. Et je fus contraint à la dernière<br />

dégradation parce que j'avais des ma,Î)ns habiles et l'illusion<br />

que mon savoir m'apporterait la dignité, je ne dis pas<br />

la richesse, seulement la dignité et pour les autres hommes,<br />

la santé! "(2)<br />

Le sens du message est clair, à savoir qu'aux Etats-Unis, le Noir quels<br />

que soient son rang, son savoir, et son mérite personnel, s'il franchit la<br />

ligne des interdits, sera toujours rabaissé au niveau de la bftte. Il devra<br />

rester à sa place, sinon les Blancs l'y maintiendront de force, si c'était<br />

nécessaire. Il faut donc comprendre que le mérite, le savoir et l'effort soutenu,<br />

contrairement aux idées développées par Booker T. Washington n'apportent<br />

pas toujours la dignité et la considération aux Noirs et que l'éducation,<br />

tant qu'on a pas défini correctement son contenu et pris en considération la<br />

nature du système social qu'elle reproduit, ne peut pas être présentée comme<br />

la voie suprême qui mène au paradis. Pourtant, malgré sa clarté, la signification<br />

profonde du message échappe au narrateur qui, ainsi que le dit si bien<br />

le psychi~tre dément, na des yeux, des oreilles, et un bon nez épaté d'Africain,<br />

(1) R Ellison, op.cit., p 99<br />

(2) Ibid., pp 100-101


- 81 -<br />

mais il ne parvient pas à comprendre les simples réalités de la vie."<br />

Qui pis est, il se contente si~plement d'enregistrer avec ses sens et dans<br />

le m@me<br />

temps, met son cerveau en court-circuit. Pour lui, rien de ce-.,:qu'il<br />

voit et entend n'a de signification:<br />

" Il absorbe mais ne digère pas. Il est déjà -oui, ma parole!<br />

Regardez! Un zombie parmi les hommes! Il a déjà appris à<br />

réprimer non seulement ses émotions, mais son humanité. Il<br />

est invisible, personnification vivante du Négatif, l'accomplissement<br />

parfait de vos r@ves, monsieur! L'homme mécanique!"(1)<br />

Un @tre sans', volonté propre, un automate sans autonomie psychologique,<br />

voilà ce que le Blanc veut, consciemment ou non, que le Noir soit. D'ailleurs,<br />

que produit d'autre le campus universitaire sur lequel se forme sa destinée<br />

que ces déments qui font du raffut en bas de l'étage où Norton reste étendu,<br />

sinon ces hommes mécaniques qu'il lui est impossible de reconnaftre ? Le<br />

psychi~tre<br />

fou le dit fort éloquemment à Norton:<br />

" Vous n'arrivez pas à voir, à entendre,à sentir la vérité<br />

de ce que vous voyez et cependant, vous, vous cherchez votre<br />

destinée! "(2)<br />

Puis il poursuit, après avoir fait remarquer l'impossibilité pour le<br />

Blanc et le Noir de se voir:<br />

" Pour vous ce gar90n est une marque sur l'ardoise de votre<br />

réussite, une chose, pas un homme; un enfant, pas m@me, une<br />

ohose noire amorphe. Et vous, en dépit de toute votre puissance,<br />

vous n'@tes pas un homme à ses yeux, mais un dieu,<br />

une force.( ••• ) Il croit en vous comme il croit aux battements<br />

de son coeur. Il croit à cette grande fausse sagesse,<br />

bonne aussi bien pour les esclaves que pour les pragmatistes,<br />

à savoir que le Blanc est juste. Sa destinée à lui,<br />

je peux vous la tracer. Il pliera à vos ordres et pour ce<br />

faire, sa cécité est son principal atout. Il est votre homme,<br />

mon ami. Votre homme et votre destinée."0)<br />

Voilà qui est clair: De m@me que Norton, en dépit de son verbiage creux<br />

et vague sur le lien qui unit la destinée du Noir à la sienne est incapable<br />

de reconnaftre ce dernier en éon humanité, le Noir pareillement ne parvient<br />

pas à voir le Blanc pour ce qu'il est réellement: Un homme que les circons-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 101<br />

(2) Ibid., P 102<br />

(3) Ibid., p 102


-- -_._----~~---------<br />

- 82 -<br />

tances historiques et socio-économiques ont favorisé et ont placé dans une<br />

position de martre. Au contraire, il voit en lui une sorte de puissance surnaturelle<br />

qui l'écrase de toute sa force et qu'il ne peut que conjurer pour<br />

en obtenir des faveurs.<br />

Afin de maintenir et de perpétuer cette situation d'assujetissement du<br />

Noir, le Blanc s'efforce, par le truchement de l'école qui joue alors le<br />

r8le de contr8leur, de lui inculquer savamment la peur, l'agenouillement, le<br />

larbinisme et l'humilité. Mais quan,d ces mécanismes psychologiques de contrale<br />

cèdent, c'est le chaos qui s'installe. Ainsi quand Subrécargue, le surveillant,<br />

"un énozune Noir gigantesque vêtu d'un simple short blanc" est neutralisé et<br />

étendu sur le comptoir, les inhibitions disparaissent et le désordre s'installe.<br />

Car il représente avant tout, l'intériorisation des valeurs blanches,<br />

le défenseur de l'ordre établi contre le chaos de ceux qui pourraient s'y<br />

opposer.(1) C'est un r8le pareil que joue<br />

l'université.<br />

La rencontre de Norton et du narrateur avec le métayer Jim Trueblood<br />

et la visite qu'ils rendent ensuite au Golden Day se présentent en définitive<br />

comme un tour de force littéraire dans lequel R. Ellison nous promène à travers<br />

diverses époques historiques. Par la m8me occasion, il détruit dans un<br />

même souffle tant la philosophie de Booker T. Washington que les prétentions<br />

hypocrites et les complexes de culpabilité conscients ou non des Blancs.En effe~<br />

ainsi qu'en fait l'observation E. Margolies,<br />

" although Norton would like to believe the college is a<br />

monument to his efforts, in reality the maddened rioting<br />

veterans of the Golden Day are his true fate. They represent !<br />

the logical absurdity of his dream, for they are not, like t<br />

Trueblood, Negro peasants bound to the soil, but testimo- l<br />

niaIs to Negro progress -doctors, lawyers, teachers. Thti.s !<br />

has Ellison married elements of the Negro's invisible past<br />

to the Negro.l s invisible present slavery(Trueblood), Reconstruction(the<br />

College Campus), philanthropy(Norton) and World<br />

War I(the veterans) aIl resulting in a chaos called Golden<br />

Day."(2)<br />

Vu sous le jour de la visite de Norton à Trueblood et aux vétérans du<br />

Golden Day, la situation ironique de l'Université noire aux Etats-Unis s'éclaire<br />

(1) R. Ellison écrit daœShadow and Act que "Supercargo is the internalized<br />

representative of the community, conventional evil taken for civilization."p<br />

(2) E.Margolies, "History as Blues" in Native Sons, p 138


- 83 -<br />

lf<br />

d'une lumière particulièrement révélatrice. Sa fonction n'est pas tant de<br />

dispenser une éducation saine que d'endoctriner par des my1hes et de perpétuer<br />

l'idéologie dominante. C'est pourquoi, le psychiâtre fou du Golden Day appelle<br />

Norton "a trustee of consciousness" (un lyncheur d'âmes).<br />

L'erreur des éducateurs noirs et de Booker T. Washington singulièrement,<br />

c'est qu'ils voulaient délibérément ignorer que les libéraux blancs du<br />

Nord n'étaient pas des philonégristes déSntéressés, mais des capitalistes<br />

qui entrevoyant la future industriâ.1isation du Sud, se dép@chaient de nouer<br />

des alliances avec les aristocrates et les conservateurs du Sud pour fonder<br />

des centres de formation pratique du genre de Tuskegee. Leur objectif n'était<br />

rien moins que de former une main d'oeuvre à qualification moyenne capable de<br />

faire tourner leurs usines. Booker T. Washington, parce qu'il était un ardent<br />

défenseur du capitalisme américain les aidait dans cette entreprise. La doctrine<br />

de l'acquisition des biens matériels dont il s'était fait l'avocat,<br />

n'apportait, du fait de son caractère irréaliste et de sa vanité, aucune valeur<br />

auto-référentielle stable aux Noirs; de m@me l'idéologie qu'il propageait<br />

ne conduisait pas à un moi social positif, sftr de soi, encore moins à une personnalité<br />

confiante. Le résultat final d'une pareille philosophie est le sérieux<br />

dommage qu'elle a causé aux Noirs, nominalement affranchis, mais en<br />

fait toujours esclaves, car il faut se rappeler qu'aucun être humain, ne peut<br />

sous la contrainte, changer son comportement du jour au lendemain -m@me dans<br />

le cas d'une transition vers la liberté. Il faut, outre l'occasion offerte,<br />

du temps pour acquérir la capacité de mettre à exécution les décisions prises.<br />

Au demeurant, Booker T. Washington mettait l'accent sans le vouloir sur<br />

les facteurs psychologiques mêmes qui fondent le comportement servile: Passivité,<br />

obséquiosité, identification aux Blancs par l'imitation servile et<br />

l'aplatissement. Or le genre de cohésion qui compte pour la société n'est pas<br />

celle qui est conçue pour des cas d'exception, mais pour des situations stables<br />

qui perdurent, m@me si cette cohésion est lente à s'affirmer.(1)<br />

(1) Voir à ce propos A. Kardiner, et<br />

York, 1954, p<br />

Ovesey, The Mark of Oppression, New-


- 84 -<br />

G - UN ~~ITRE MOT: <strong>LE</strong> PO~lOIR.<br />

------~-------<br />

lu-delà la simple identification des Noirs aux Blancs, ce que recherchent<br />

les libéraux blancs, c'est de dominer purement et simplement les Noirs:<br />

Le pouvoir, celui de contr81er la vie de plusieurs milliers d'hom~es,<br />

voilà<br />

l'objectif que veut atteindre Norton, d'où son admiration pour le fondateur<br />

de l'Université,en l'occurrence B.T.Washington dont il dit:<br />

" Mais votre fondateur avait mieux: des dizaines de milliers<br />

de vie dépendaient de ses idées et de ses actes. Ce qu'il<br />

faisait retentissait sur votre race tout entière. En un sens,<br />

il avait la puissance d'un roi, ou même, d'un dieu. Cela,<br />

j'en suis convaincu, est plus important que mon travail personnel,<br />

car cela implique un plus grand pouvoir."(1)<br />

Ce pouvoir que les Blancs veulent avoir sur les Noirs, lorsqu'ils ne<br />

peuvent pas l'obtenir ou l'exercer directement, ils le font par leaders noirs<br />

interposés. Ces derniers ne parviennent à la célébrité que dans la mesure où<br />

ils se révèlent capables de contr81er leurs frères de race pour le compte des<br />

Blancs. Le pouvoir que détiennent ces dirigeants provient de leur sujétion<br />

aux intér@ts des Blancs qu'ils représentent. Tel est le cas du Docteur Bledsoe,<br />

l'épigone du fondateur. C'est lui qui décide en martre absolu de l'Université<br />

d'en expulser le narrateur parce que ce dernier a révélé à Norton les dessous<br />

de la vie des Noirs en lui faisant rencontrer J. Trueblood et en le-conduisant<br />

au Golden Day. Bref, en lui faisant subir le choc de la reconnaissance impossible.<br />

Les Dr Bledsoene peut admettre une pareille bévue d'autant plus que<br />

le jeune étudiant après ces aventures a gagné quelque clarté sur sa propre<br />

condition. Il le renvoiede l'établissement parce que le narrateur s'est plié<br />

aux ordres de Norton et a oublié l'art du mensonge alors que "le chenapan<br />

noir le plus b@te de la région cotonnière sait que la seule façon d'être agréable<br />

à un Blanc, c'est de lui raconter un mensonge."(2)<br />

Le plus grand reproche qu'il adresse au narrateur est d'avoir obéi à<br />

Norton alors qu'il' fallait faire semblant:<br />

(1) R~ Ellison, Homme Invisible, Pour gui Chàntes-tu ?, p 58<br />

(2) Ibid., p 141


- 85 -<br />

" Ces messieurs blancs, nous les conduisons où nous voulons<br />

et nous leur montrons ce que bon nous semble."(1)<br />

dit-il au narrateur éberlué. Par ces propos, il se dévoile au narrateur comme ~<br />

vivant exemple des qualités que recommandait à ce dernier son grand-père:<br />

" Tâche de vivre dans la gueule du loup. Je veux que tu les<br />

noies sous les oui, que tu les sapes avec tes sourires, que<br />

tu les fasses crever à force d'être d'accord avec eux, que<br />

tu les laisses te bouffer jusqu' à ce qu'ils te vomissent<br />

ou éclatent."(2)<br />

Sourd aux supplications du narrateur, Bledsoe reste ferme sur sa décision<br />

de l'expulser. Comme le narrateur menace de le dénoncer comme un homme<br />

faux et cynique, Bledsoe s'arr@te un instant pour lever un coin du voile qui<br />

couvre l'immensité de son pouvoir:<br />

" Dis-le à qui tu veux, dit-il. ~a m'est égal. Je ne lèverai<br />

m@me pas le petit doigt pour t'en emp@cher. Parce que je ne<br />

dois rien à personne, fils. Qui, Les Noirs ? Les Noirs ne<br />

dirigent pas cette école -ou quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs-<br />

n'as-tu m@me pas appris cela? Non, mon petit, ils<br />

ne dirigent pas cette école, les Blancs non plus, d'ailleurs.<br />

C'est vrai, ils la soutiennent, mais c'est moi qui la dirige.<br />

Moi, j'suis gros et noir, et je dis "oui, m'sieur" aussi<br />

fort que le premier négro venu, quand c'est nécessaire, mais<br />

je suis toujours le roi ici. Je me fiche pas mal que ça n'en<br />

ait pas l'air. La puissance n'a pas besoin de s'étaler. La<br />

puissance est sftre de soi, elle ne connatt d'autre garantie,<br />

d'autre aiguillon, d'autre frein, d'autre encouragement,<br />

d'autre justification, que ceux qu'elle se donne. Lorsque<br />

tu détiens le pouvoir tu le sais. Les Noirs peuvent bien ricaner,<br />

et les Blancs crève-la-faim rigoler! Tèls sont les<br />

faits, fils. Les seules personnes auxquelles j'affecte d'être<br />

agréable sont les gros Blancs, et même eux, je les dirige<br />

plus qu'ils ne me dirigent. Ce que tu vois ici, c'est un<br />

édifice de puissance, fils, et je suis aux commandes. Réfléchis<br />

à ça. Quand tu t'opposes à moi, tu t'opposes à la puissance,<br />

à celle des riches Blancs, celle de la nation -c'està-dire<br />

celle du gouvernement! ,,( 3)<br />

Pour le Dr Bledsoe, la menace de dénonciation proférée par le narrateur<br />

relève de la pure présomption. Il sait en effet ce qu'il représente pour les<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 108<br />

(2) Ibid., P 32<br />

(3) Ibid., p 144


- 86 -<br />

Blancs dont il sert les intérêts. Il sait aussi que ce sont ces mêmes Blancs<br />

qui détie~~ent les mass-~edia grâce auxquels ils font pasper leurs id~es pour<br />

des vérités universelles et éternelles.<br />

En outre Bledsoe est accoutumé aux procédés de trucage qui font de la<br />

vérité un mensonge et du mensonge la vérité. Il est habité par la conviction<br />

que face à. la "vérité" du narrateur, son mensonge l'emportera "parce que c'est<br />

le genre de mensonge qu'ils (les Blancs) ont envie d'entendre. ,,( 1) Pour lui,<br />

les Noirs quelles que soient leurs qualifications ou leur condition sociale<br />

n'ont auvune valeur, m@me<br />

le déclare en termes très clairs:<br />

les imbéciles de Noirs instruits. Au narrateur, il<br />

" Tu n'es personne. Tu n'existes pas. Ne le vois-tu pas ?<br />

Les Blancs disent à chacun ce qu'il doit penser -sauf à des<br />

hommes comme moi. C'est moi_qui le leur dit; c'est ma vie,<br />

ça, de dire aux Blancs ce qu'il faut penser des choses que<br />

je connais. Ca te choque, pas vrai ~'Que veux-tu, c'est comme<br />

ça. C'est une sale combine, et ça ne me platt pas toujours.<br />

Mais écoute-moi donc: ce n'est pas moi qui l'ai faite, et<br />

je sais que je ne peux rien changer. Mais j'y ai creusé ma<br />

place et je n'hésiterais pas à faire pendre tous les Noirs<br />

du pays aux grosses branches des arbres avant le matin, si<br />

mon maintien était à ce prix."(2)<br />

La moralité pour Bledsoe qui ne se défend pas d'@tre opportuniste,<br />

c'est qu'il faut dominer ou @tre dominé, contr61er la vie des autres et les<br />

soumettre à sa seule volonté. Et pour ce faire, point n'est besoin de lésiner<br />

sur les moyens. Ils sont tous bons: Déformation des faits, propagation de<br />

contre-vérités, obséquiosité, fausse humilité et autres. C'est à ce, prix<br />

qu'on obtient le pouvoir de contr61er<br />

la destinée des autres et cela le Dr<br />

Bledsoe en est conscient comme il l'est aussi de l'étendue de sa puissance:<br />

Il appartient à la catégorie restreinte des intellectuels qui façonnent les<br />

modes de vie et d'être des autres selon les pensées qu'ils ont élaborées et<br />

les modèles qu'ils ont préétablis. C'est pourquoi il fait feu de tout bois.<br />

Il capitalise sur les désirs et les craintes, les culpabilités et les imbécillités<br />

tant des Noirs que des Blancs. Le moins qdon puisse dire est que le<br />

Dr Bledsoe est cynique. Tout en se faisant le défenseur d'un noble idéal,<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 145<br />

(2) Ibid., p 145


- 87 -<br />

il ne vise en réalité que ses propres intérêts sordides et utilise les autres<br />

pour parvenir à ses fins. Il ne peut que se débarrasser alors du jeune étudiant<br />

narrateur qui en sait trop maintenant sur les ressorts de la puissance<br />

qu'il détient. De toute façon, coame la statue de bronze du fondateur placée<br />

à l'entrée de l'Université, on peut à juste titre se demander s'il a vocation<br />

réellement d'eter le voile de l'ignorance du visage du Noir agenouillé devant<br />

lui ou s'il est en train de le remettre en place de façon plus ferme. Car comme<br />

B.T.Washington à qui il ressemble comme un sosie, le Dr Bledsoe trouve que<br />

pour le Noir, le sentiment de dignité est absurde, cher, un drele de poids<br />

mort à assumer. Il ne s'en embarrasse d'ailleurs pas. En présence des philanthropes<br />

blancs, il peut se faire aussi humble que le àernier des garçons<br />

d'hetel. Il refuse de s'asseoir à la même table qu'eux. Mais toute cette humilité<br />

feinte n'a pour objectif final que de renforcer la puissance qu'il<br />

détient et à laquelle il tient à comme à la prunelle de ses yeux. Cependant,<br />

son pragmatisme ne le oonduit-il pas vers une cruelle déception?On ·est en<br />

droit de se poser la question, car, en dépit de tout le discours qu'il tient,<br />

il ne dirige les Noirs qu'avec la bénédiction et le soutien des Blancs à qui<br />

il rend d'inappréciables services. Il est plus gardien que propriétaire, et<br />

sa vulnérabilité le rend d'autant plus despote qu'il appréhende l'émergence<br />

d'opposants potentiels. C'est pour la même raison qu'il s'assure les services<br />

des louangeurs professionnels du genre du Révérend Homer Barbee pour chanter<br />

son désintéressement, son dévouement à la promotion sociale des Noirs et ses<br />

sentiments altruistes.<br />

C'est ainsi en to~cas que le présente Barbee dans son discours truffé<br />

d'idées". vagues et abstraites. Pour le Révérend, le dirigeant Noir (que ce soit<br />

Booker T. Washington ou son épigone le Dt' Bledsoe.. est une espèce de messie<br />

çhàrismatique, doté de qualités mystérieuses et divines. C'est ce messie qui<br />

par ses actes apporte au peuple noir, et singulièrement aux étudiants qui<br />

l'écoutent, la "liberté". Dans le cadre imbu de ferveur religieuse et idéaliste<br />

où le Révérend Barbee prêche son message d'humilité et de docilité, les étudiants<br />

et toute la congrégation présente se contentent d'enregistrer parce<br />

que les paroles de Barbee leur fournissent une catharsis émotionnelle. Que<br />

l'audience soit prise de fascination en écoutant parler Barbee est donc com-


- 88 -<br />

préhensible. Le message qu'il apporte ne vise, tout compte fait qu' à confirmer<br />

et à asseoir encore plus solidement le Dr Bledsoe dans sa position d'homme<br />

influent auprès des Blancs :riches, "consulté pour tout ce qui touchait à<br />

la race noire, et grand éducateur." Barbee ne tarit pas d'éloges et d'idées<br />

sur le Dr Bledsoe:<br />

"Par cet éloge, je ne fais que lui rendre son dtl, car il<br />

est le co-architecte d'une grande et noble entreprise•••<br />

La grandeur qu'il incarne est digne de votre imitation. Je<br />

vous le dis, modelez-vous sur lui. Aspirez, chacun de vous,<br />

à marcher quelque jour sur ses traces. Il y a encore de<br />

grands exploits à accomplir••• Des légendes doivent 6tre<br />

encore crées. N'ayez pas peur de vous charger des fardeaux·<br />

de votre guide, et l'oeuvre du fondateur sera de gloire éternelle,<br />

et l'histoire de la race, une saga de triomphes sans<br />

cesse grandissants."(1)<br />

Le modèle que Barbee recommande aux étudiants<br />

d'imiter est pour le<br />

moins douteux. En tou cas, si le Dr Bledsoe est, comme on est en droit de le<br />

croire, le type même du produit fini que livre l'Université, on peut alors<br />

émettre de sérieuses réserves sur la capacité de cet établissement à former<br />

des hommes équilibrés et responsables, susceptibles de prendre lB ~ de leurs<br />

frères encore plongés dans la nuit de l'ignorance. Des leaders tels que B.T.<br />

Washington et le Dr Bledsoe ne sont pas ceux qui conviennent aux Noirs, semble<br />

dire R. Ellison qui o~e le cynisme, la duplicité et le larbinisme<br />

qu'ils ont adoptés et qu'ils proposent aux Noirs comme stratégies de survie.<br />

Car de telles stratégies ne font Que détruire ce qu'il y a d'humain en l'hQmme.<br />

Il n'est donc pas étonnant que le Révérend H. Barbee qui chante les louanges<br />

de tels leaders se révèle en fin de compte aveugle non seulement physiquement,<br />

mais aussi à la réalité vécue quotidiennement par les Noirs.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 135


- 89 -<br />

II - <strong>LE</strong> MIRAGE DU NORD<br />

Pour montrer l'étendue de sa puissance et dans un geste d'apparente<br />

bonté, le Docteur Bledsoe, tOlljOurS ferme sur sa décision d'expulser le<br />

narrateur, lui remet néanmoins sept lettres de recommandation auprès de<br />

hautes personnalités blanches du Nord. Il le fait, laisse t-il entendre,<br />

dans le but de l'aider à vite trouver du travail à New-York où le jeune étudiant<br />

a manifesté le désir de se rendre à la suite de son expulsion, car il<br />

espère se procurer au Nord assez d'argent afin de revenir poursuivre ses études<br />

dans l'Université, ainsi que le lui a promis le Dr Bledsoe. Ce déplacement<br />

géographique du Sud rural vers le Nord urbanisé et industrialisé permet<br />

à Ralph Ellison d'explorer une autre période historique: La Migration des<br />

Noirs vers le Nord à partir de 1910, et les problèmes sociaux et politiques<br />

qui en découlent.<br />

Dans l'autocar qui conduit le narrateur vers New-York, ce dernier rencontre<br />

l'ancien combattant (dont les propos et les idées -mouches importunesavaient<br />

tant agacé Norton) accompagné d'un gardien, tous deux assis à l'arrière<br />

de l'autocar, ainsi que le prescrivent les lois ségrégationnistes. Le départ<br />

précipité du vétéran de l'asile où il était gardé surprend quelque peu<br />

la narrateur, mais lorsqu'il se rappelle les propos menaçants du Dr Bledsoe,<br />

il comprend la raison du transfert brusque de l'ex-psychiâtre, qui d'ailleurs<br />

n'en est pas du tout dupe. Il sait que son départ soudain, qu'il avait toujours<br />

sollicité sans suite favorable, a quelque rapport avec sa rencontre avec<br />

Norton.<br />

Doué comme il l'est d'une lucidité nors du commun, il comprend d'entrée<br />

de jeu la situation malheureuse du jeune étudiant et lui prodigue en conséquence<br />

les conseils qu'il lui faudra suivre s'il veut traverser sans beaucoup<br />

de heurts les dédales de la société urbaine américaine. Il devra, entre<br />

autres, jouer le jeu sans y croire; c'est-à-dire ne pas prendre les choses<br />

pour de l'argent comptant et se débarrasser des différentes illusions qui<br />

lui bloquent la vue et l'empêchent de saisir la réalité dans sa totalité et<br />

dans sa complexité. Car l'ancien combattant sait d'expérience que le Nord


- 90 -<br />

est plus sournois que le Sud et qu'y aller, c'est quitter le feu pour la<br />

fournaise. Il faut donc préparer la jeunesse rurale à affronter les désillusions<br />

pouvant résulter de son contact brusque avec le dur monde industriel<br />

où les forts écrasent les faibles sans ménagement tout en propageant des philosophies<br />

libérales et en établissant des préceptes moraux très élevés sans<br />

aucun souci de les voir appliquer concrètement.<br />

L'une de:cces philosophies illusoires est la liberté chère aux libéraux<br />

du Nord. Pour le narrateur, cette; liberté; explique le vétéran,restera en<br />

grande partie symbolique et se traduira entre autres par le franchissement<br />

de la ligne des interdits, la possession de la femme blanche étant le symbole<br />

le plus facilement accessible pour un Noir. Cette liberté est somme toute<br />

ambiguE puisque comportant un "élément de crime". Il est donc à craindre que<br />

le jeune homme, au lieu de "sortir dans la lumière du matin, part en réalité<br />

dans les ténébres de la nuit"(1). La dernière recommandation du vétéran au<br />

narrateur au moment de la séparation est de ne se fier quà lui-m@me:"Soyez<br />

votre propre père, jeune homme. Et n'oubliez pas: Le monde est plein de possibilités,<br />

pour peu que vous les découvriez."(2) Malheureusement le jeune<br />

narrateur<br />

ne comprendr~la profondeur du message de l'ancien combattant qu'à<br />

la fin de son odyssée. Pour l'instant, il continue plein d'un optimisme béat,<br />

typiquement américain, sa route vers le Nord. Il y arrive plus que jamais attaché<br />

au respect des préjugés racistes sur lesquels il modèle son comportemént:<br />

"••• Quand je rencontrerais les hommes influents à qui mes<br />

lettres étaient adressées, je me présenterais sous mon meilleur<br />

jour. Je parlerais doucement, de ma voix la plus suave,<br />

je sourirais agréablement et je serais extr@mement poli.<br />

Et je n'aurais garde d'oublier que s'il ("il" désignait l'un<br />

quelconque des messieurs importants) engageait la conversation<br />

(loin de moi l'idée de l'engager moi~@me) sur un sujet<br />

qui.-ne me serait pas familier, je devais me contenter de<br />

sourire et d'acquiescer. Mes chaussures seraient cirées, mon<br />

costume repassé, mes cheveux coiffés (pas trop de gomina)<br />

avec une raie sur le c6té droit, mes ongles seraient propres<br />

et mes aisselles soigneusement désodorisées -très important<br />

ce dernier pëint. Pas question de leur laisser croire que<br />

nous sentons tous mauvais, tous -tant que nous sommes. n (3)<br />

(1) R.Ellison, op.cit., p 156<br />

(2) Ibid., p 157<br />

(3) Ibid., p158<br />

1<br />

!<br />

~<br />

1<br />

!<br />

f<br />

J


- 91 -<br />

Le narrateur,on le constate aisément, n'a encore rien perdu des préjugés<br />

et des illusions qui ont formé sa vie et il s'avance allègrement au-devant<br />

d'autres-déboires. Pour l'heure, il voit le Nord, la ville, New-York, et<br />

Harlem surtout, avec des yeux nouveaux. Tout l'impressionne. La foule anonyme<br />

ne lui pr@te aucune espèce d'attention, m@me<br />

lorsque dans le métro, il se<br />

trouve, tout transi de peur, collé à une femme blanche. C'est le monde de<br />

l'indifférence ~u'il<br />

vient de découvrir; mais il n'est pas encore conscient<br />

des dangers qU'il cache. Fasciné par les tourbillons d'impressions qui l'assaillent,<br />

il ne sait pas quelles déceptions le guettent. C'est donc tout léger<br />

et plein d'optimisme qu'il aborde le lendemain, avec la découverte de la ville,<br />

le chemin qui le mènera vers son destin. Car les lettres qu'il porte sur lui,<br />

renferment comme l'a fait remarquer Kenneth Burke des messages bellerophoniques<br />

où se trouve imcrite- sa destinée. En effet les lettres du Dr Bledsoe, contr.airement<br />

aux promesses qu'il a faites au narrateur, ne visent point à aider ce<br />

dernier à se procurer un emploi et gagner de l'argent afin de réintégrer<br />

l'Université, mais tendent au contraire à l'en éloigner. Ainsi le jeune étudiant<br />

continue sa course, la t8te pleine d'illusions et de fausses promesses,<br />

incapable de comprendre l'hypocrisie que voilent les sourires sur commande<br />

des secrétaires qui le reçoivent, jusqu'au moment, où le jeune »Derson, fils<br />

en<br />

d'un des destinataires de la lettre, lui'révèle le contenu. C'est le comble<br />

du cynisme, un acte gratuitement nuisible. Car les lettres de Bledsoe n'ont<br />

d'autre dessein que d'entretenir chez le jeune homme l'espoir par une promesse<br />

fausse qui, selon les termes mêmes de Bledsoe, "comme l'horizon échappe toujours<br />

sans perdre de son éclat."(1)<br />

Le jeune narrateur, assormâé à la lecture de Bledsoe a le sentiment du<br />

"déjà vu". Il lui semblait, dit-il, que vingt-cinq ans s'étaient écoulés entre<br />

le moment où il avait pris la lettre des mains du jeune Emerson et celui où<br />

il avait pris connaissance de Bon contenu. Vingt-cinq ans de déceptions dftes<br />

à de fausses promesse et à de vains espoirs. C'est de toute évidence la malédiction<br />

du grand-père qui le poursuit. Seulement ce n'est plus en r8ve qu'il<br />

continue sa course vaine. A présent, c'est dans la réalité qu'il se meut, une<br />

réalité dont les ressorts secrets lui échappent. Car on peut, comme l'a écrit<br />

(1) R. Ellison, oR.cit., p 189


- 92 -<br />

C. Themba, "vivre intensément dans le réel et tout ignorer de la réalité."<br />

C'est à la m@me<br />

conclusion qu'aboutit le narrateur qui conclut de cette situation<br />

tragi-comiqu~ que" tout le monde paraissait avoir un plan secret pour<br />

moi, et au-dessus un plan plus secret."(1)<br />

La rencontre du narrateur avec le jeune Emerson aura eu au moins un<br />

avantage: celui d'amener le jeune étudiant à s'ouvrir les yeux sur la vérité<br />

qu'il refuse de voir en face, à amorcer une prise de conscience graduelle de<br />

la réalité sociale, ou pour parler comme R. Ellison, à sortir de son état de<br />

pré-invisibilité. C'est aussi une occasion pour le narrateur de découvrir que<br />

le confiance en soi et l'optimisme défendus par le grand Emerson ont subi des<br />

gauchissements dans les mains de ses successeurs qui ont mis à l'écart les<br />

idéaux et les qualités du passé. Le jeune Emerson dit par exemple manquer de<br />

courage et se décrit comme le prisonnier de son père qui le dirige, lui, l'entreprise<br />

et beaucoup d'autres choses. Il n'a pas non plus l'ambition et la<br />

confiance en l'homme américain qui caractérisaient son illustre pr@te-nom.<br />

En clair, c'est à une subversion des valeurs que représente l'idéal américain<br />

face aux p~issances<br />

d'argent que nous assistons.<br />

Le jeune Emerson a cependant assez de courage pour aborder de façon<br />

biaisée certes, les problèmes qui se posent aux membres des Aifférentes minorités<br />

raciales des ~ats-Unis,<br />

problèmes découlant des difficultés qu'ils<br />

ont à se voir en tant qu'hommes, c'est-à-dire sans masquesl<br />

_n••• Pensez-vous qu'il nous soit possible, à tous deux,<br />

d'arracher le masque des us et coutumes qui isolent l'homme<br />

de l'homme, et de parler à coeur ouvert, avec une sincérité<br />

et une franchise parfaite ?"(2)<br />

4~mande t-il au narrateur désemparé.<br />

Pourtant en dépit de la claire perception qu'il semble avoir de ces<br />

problèmes, Emerson n'est pas pr@t à se déterminer pour la recherche des solutions<br />

qui s'imposent, parce qu'un tel engagement comporte pour lui le risque<br />

de devenir trattre à sa race dont il connatt l'hypocrisie, les méchancetés<br />

et le cynisme que voilent des attitudes apparemment amicales. C'est pourquoi<br />

il se considère comme "prisonnier de son père" et appelle les révélations qu'il<br />

a faites au narrateur "la plus odieuse trahison."(3)<br />

R. Ellison, op.cit., p 192<br />

Ibid., p 185<br />

Ibid., p 190


- 93 -<br />

L'intér~t<br />

qu'il porte au narrateur et d'une manière plus générale aux<br />

Noirs demeure malgré tout ambigu. Si, à l'instar de Huckleberry Finn à qui<br />

il se compare volontiers, il est poussé par une forte inclination à considérer<br />

le Nègre en son intégrité d'homme et non en un @tre social dépouillé de tous<br />

ses attributs humains par les structures émasculatrices d'un système social<br />

rétrograde, ses mobiles ne sont pas purs pour autant/car.on peut inférer de<br />

ses invitations réitérées -quoique discrètes- à emmener le narrateur au Club<br />

Calamus qu'il est un pédéraste en puissance. Ne revient-il pas d'ailleurs<br />

d'une séance de psychana~se et n'est-il pas en train de lire Totem et Tabou<br />

de S. Freud ?<br />

A -<br />

SUR <strong>LE</strong> MARCHE <strong>DE</strong> L'EMPLOI.<br />

-- ... -- -. -- -- ..---- ----<br />

Perdu dans le monde de la civilisation urbaine et technologique, le<br />

narrateur n'a d'autre ressource que de se lancer à corps perdu à la recherche<br />

d'un emploi. Heureusement, le jeune Emerson lui avait indiqué que les entreprises<br />

de peinture Liberté recrutaient de la main-d'oeuvre. C'est vers elles<br />

qu'il se rend dès la première occasion.<br />

La rapidité avec laquelle il est embauché -après tans les !éboires qu'il<br />

a subis naguère- l'étonne. Ce n'est que plus tard dans la journée qu'il comprendra<br />

qu'il n'a été engagé que pour briser une grève. Nous voilà en plein<br />

dans l'une des situations aberrantes et ironiques du marohé de l'emploi américain:<br />

le Noir n'a pénétré dans l'industrie qu'en périodes de guerre ou pour<br />

briser des grèves. C'est préoisément ce que fait oomprendre au narrateur qui<br />

s'en défend, le garçon de bureau de l'usine où il est embauohé:<br />

" Les gars à la redresse flanquent à la porte les types réglo<br />

et se rabattent sur vous, les étudiants de couleur. Pas<br />

ai con, dit-il. Comme ça, ils n'ont pas à payer les tarifs<br />

ayndioaux."(1)<br />

La fabrique de peinture dans laquelle le narrateur a trouvé de l'embauche<br />

se donne elle-m8me oomme un microcosme des Etats4Unis et est de fait un<br />

monument à la gloire de l'Amérique à qui elle livre la. peinture qu'elle con-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 196


- 94 -<br />

ditionne. Son emblème est un aigle qui glatit alors que sa devise reprend<br />

comme pour l'actualiser un des mythes chers à l'Amérique<br />

" Gardez sa pureté à l'Amérique<br />

avec<br />

Les Peintures Liberté. "(1)<br />

phrase qui constitue à elle seule, toute une philosophie, tout un programme.<br />

Le thème de la pureté est en effet, un des thèmes récurrents de la littérature<br />

américaine. Elle recouvre celui de l'innocence si cher aux écrivains<br />

américains. C'est au nom de la pureté que le cloisonnement des communautés<br />

raciales est si prononcé tant au niveau des relations entre les individus<br />

que sur le plan social. Or dans une société multiraciale comme celle des<br />

Etats-Unis, lorsqu'intervient et que devient fonctionnelle la notion de pureté,<br />

on aboutit à coup s!tr à une ségrégation raciale qui s'exacerbe lorsqu'elle<br />

est opératoire sur un marché de l'emploi spécifiquement irrationnel parce<br />

que non planifié rigoureusement:<br />

" L'intensification de la concurrence pour un nombre limité<br />

d'emplois, écrit à ce propos Franklin Hugh Adler, conduit<br />

.à une rationaalisation artificielle du marché du travail<br />

(si l'on veut, à une adaptation de l'offre en fonction d'une<br />

demande limitée) au moyen de politique exclusionniste. La<br />

pureté par un retournement bizarre devient alors un instrument<br />

aU service d'un politique ségrégationniste."(2)<br />

En effet les défenseurs de la race tendent à mettre à l'écart ceux qui<br />

ont la peau noire ou brune surtout si l'on se rappelle les préjugés qui s'attachent<br />

à celle-ci, qui dans la pensée occidentale symbolise la bassesse, le<br />

vice, le mal ••• C'est au nom de cette pureté que sont interdits les rapprochements<br />

entre les membres des différentes communautés raciales. La notion de<br />

pureté est souvent (sinon toujours) combinée à celle de "place" c'est-à--dire<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 195<br />

(2) Franklin Hugh Adler, Les Temps Modernes.


- 95 -<br />

" la position sociale dans laquelle le groupe dominant<br />

cantonne le groupe exploité; elle consiste en toutes sortes<br />

d'interdictions de rapports primaires et secondaires<br />

qui s'ils se développaient sans restriction, amènerai'nt<br />

éventuellement la désintégration du rapport de domination.<br />

La couleur de la peau est ici d'une extrême importance.<br />

Puisque l'exploitation dont il s'agit prend pour base la<br />

facilité de distinguer les races, toute forme d'interaction<br />

sociale qui pourrait réduire cette facilité doit @tre prohibée.<br />

Ainsi la notion de place a pour fonction de supprimer<br />

la possibilité d'un amalgame massif et total."(1)<br />

Donc de réduire les tensions qui pourraient en résulter sur le marché<br />

du travail. C'est pourquoi les rapports sexuels et le mariage mixte sont interdits,<br />

et la pureté de la race est Par la m@me<br />

occasion sauvegardée.(2)<br />

Nous n'avons tant insisté sur la pureté dont se targue la fabrique de<br />

peinture que parce que aux Etats-Unis, derrière des mots apparemment innocents<br />

se profilent des idéologies sournoises qui informent la vie des gens sans<br />

que toujours ils s'en aperçoivent eux-m~mes.<br />

Et l'usine de peinture est justement<br />

un des centres véhiculaires de ces idéologies, dont elle a choisi deux<br />

aspects (pureté et liberté) comme devise. Ne représente ~elle pas d'ailleurs<br />

l'Amérique du capitalisme libéral à qui elle rend les honneurs ? Il Y a tout<br />

lieu de le penser si on se réfère à la description que nous en donne le narrateur:<br />

" Au-dessus de l'enseigne, un dédale de bâtiments, tous<br />

surmontés de drapeaux qui flottaient dans la brise. Pendant<br />

un instant, j'eus l'impression de contempler de l&in une<br />

cérémonie patriotique de grande ampleur. nO)<br />

Au rest~<br />

ce n'est pas d'être un centre de diffusion et de manipulation<br />

idéologique qui importe dans l'usine. En effet elle est elle-m~me un mythe,<br />

comme l'est la peinture qu'elle conditionne. Qu'est-ce que la peinture sinon<br />

un produit artificiel qui couvre la réalité? Donc propre à nourrir les gens<br />

(1) Franklin Hugh Adler, Les Temps Modernes, p<br />

(2) Il n'est peut-@tre pas inopportun de rappeler à cet égard les propos d'un<br />

district attorney du Mississipi qui s'adressait à ses compatriotes blancs en<br />

ces termes: "Ceux d'entre nous, qui, étant Blancs ont des concubines noires,<br />

détruisent la pureté de la race noire(!), créent un danger pour la race blanche<br />

(présence de métis), abaissent la moralité des deux races et ouvrent la<br />

voie aux émeutes, aux révoltss, à la violence, et finalement à une lutte à<br />

mort pour la suprématie raciale."<br />

(3) R. Ellison, op. cit., p 195


- 96 -<br />

d'illusions en leur faisant prendre et accepter l'apparence pour la réalité.<br />

Le blanc optique, spécialité par excellence de l'usine renforce de fait l'idée<br />

que toute la peinture blanche fabriauée par l'usine est un blanc qui fait<br />

illusion. Quant au slogan publicitaire qui sert àsa promotion commerciale,<br />

il se lit comme une da_ces phrases éculées qui pourtant ont la vie dure aux<br />

Etats-Unis:<br />

" Si c'est le !lanc Optique, c'est le Bon Blanc.(If it's<br />

Optic White, it's the Right White)."(1)<br />

Une phrase qui rappelle, comme le souligne R. Ellison lui-même, le dicton<br />

populaire:" if you're White, you're right(si tu es Blanc,tu as raison)."<br />

D'aiHeurs le Blanc Optique n'est livré en priorité qu'au gouvernement -représentant<br />

le plus éminent de l'Establishment et grand fabricant de mythes et<br />

d'illusions (le mYthe étant pris ici comme "une image simplifiée, souvent fausse<br />

que les groupes humains se forment ou acceptent au sujet d'un individu ou<br />

d'Un fait quelconque et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement<br />

ou leur appréciation"; l'illusion se définissant comme la distance entre le<br />

vrai et l'idée qu'on s'en fait ou la représentation que s'en fait l'opinion<br />

courante. )<br />

C - RIGUEURS DU MON<strong>DE</strong> INDUSTRIEL.<br />

- --- - - --. - -- -- - -- ---~<br />

Kimbro, le contre-martre sous .lequel le narrateur doit servir se montre<br />

d'entrée de jeu désagréable, hostile même envers les Noirs embauchés. Un sentimènt<br />

de malaise envahit le narrateur à l'idée d'avoir à collaborer avec un<br />

homme d~Wie<br />

humeur aussi exécrable, "un exploiteur de la sueur du peuple"(a<br />

slave-driver}. Kimbro ne fait rien pour rendre facile au narrateur la vie dans<br />

l'usine. Loin s'en faut. Il l'envoie travailler immédiatement sans même prendre<br />

la peine de lu~ expliquer en quoi consiste la tâche qu'il doit exécuter.<br />

t<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p214


- 97 -<br />

1<br />

" Bon, dis-toi bien une chose, dit Kimbro avec brusquerie.<br />

C'est un secteur où il y a beaucoup de travail, et je n'ai<br />

_pas le temps de répéter deux fois la même chose. Tu dois<br />

suivre les instructions, et comme tu vas te mettre à faire<br />

des choses que tu ne comprends pas, tu ferais aussi bien<br />

de te les fourrer dans la tête et d'les exécuter au quart<br />

de tour! J'aurais pas le temps de m'arrêter et d'expliquer<br />

tout de a à z. T'as qu'à piger et faire exactement ce que<br />

je te dis. Tu saisis ?"(1)<br />

1<br />

On est en droit de se demander comment le narrateur peut atteindre à<br />

un bon rendement s'il n'a pas le temps de se familiariser avec la tâche qu'il<br />

est appelé à remplir. Toutes les élucubrations de Kimbro ressortissent en<br />

fait d'une démarche idéologique bien définie: faire en sorte que le Noir<br />

n'acquière ni ne mattrise aucune technique, quitte à inférer de cette situation<br />

son incapacité congénitale à le faire.<br />

Quoiqu'il en soit, le narrateur suit tant bien que mal les directives<br />

de Kimbro: mélanger dix gouttes d'un liquide noir mat dans un seau de peinture<br />

brunâtre et laiteuse, remuer vigoureusement jusqu'à obtenir un blanc brillant.<br />

L'allégorie est par trop évidente: le Noir(qui représente le dixième<br />

de la population américaine) sert de révélateur au Blanc à qui il donne la<br />

pleine mesure de son humanité.<br />

Pourtant la portée de l'opération que le jeune homme est appelé à accomplir<br />

lui échappe encore et il se demande s'il n'est pas la dupe de Kimbro,<br />

car il ne comprend pas comment des gouttes noires peuvent se transformer en<br />

blanc brillant. Kimbro à qui il fait part de ses appréhensions lui répond<br />

sèchement qu'il n'est pas autorisé à réfléchir ou à donner son avis, d'autres<br />

étant payés pour ces tâches. En effet la caractéristique principale du système<br />

d'organisation du travail dans le monde industriel est bel et bien de<br />

faire de l'homme un appendice de la machine, d'opérer un divorce entre le<br />

travail intellectuel et le travail manuel. Taylor lui-même déniait déjà aux<br />

ouvriers le droit à la réflexion, ne leur laissant d'autres alternatives que<br />

d'exécuter des tâches parcellaires.<br />

La perspective de R. Ellison ne se limite plus aux seuls Noirs des<br />

Etats-Unis, mais englobe toutes les classes ouvrières du monde industrialisé<br />

où le travail est aliéné. Car l'un des problèmes majeurs de la société indus-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., pp 197-198


- 98 -<br />

trielle à l'heure actuelle, c'est sans conteste, celui de l'émiettement du<br />

travail que provoque l'introduction du machinisme, et partant, de la transformation<br />

des rapports de production d'une part et de l'autre de l'aliénation<br />

de l'homme qui en résulte. Certe~nous ne pouvons nier que la condition première<br />

de la maîtrise par l' homme de la nature pas~e<br />

nécessairement par le<br />

développement du machinisme. Cependant, force est de reconnaftre que la victime<br />

principale de la technique mal exploitée, c'est d'abord et avant tout<br />

l'homme lui-même qui en sort rabougri, mutilé de corps et d'esprit, incapable<br />

d'initiative créatrice.<br />

Kimbro s'installe donc dans le rationalisme outré de la civilisation<br />

technicienne du monde capitaliste moderne lorsqu'il interdit au narrateur<br />

d'user de sa faculté de réflexion. Son objectif, c'est de "changer du sang<br />

en argent" selon la formule de l'ancien combattant du Golden Day le Docteur<br />

Burnside, formule que lui aurait volé John D. Rockfeller. De toute manière,<br />

pour Kimbro seuls comptent le rendement et le gain final: obtenir une peinture<br />

d'un blanc "aussi blanc que la perruque du dimanche à George \ofashington<br />

et aussi solide que le dollar tout-puissant. ,,( 1)<br />

Dans ces conditions, la moindre erreur devient une tentative de sape<br />

et de destruction des piliers qui soutiennent l'édifice. Ainsi quand le narrateur,<br />

par imprudence prend du décapant concentré pour du lustre et endommage<br />

par ce geste tout un lot de peintures, Kimbro hors de lui, le tance<br />

vertement et lui signifie qu'il n'est pas à sa place dans une usine de peinture.<br />

Comme naguère lors de son discours d'adieu devant la haute bourgeoisie<br />

sudiste ou à l'Université alors qu'il servait de guide à Norton, le narrateur,<br />

de par son innocence menace de ruiné toutes les règles et les institutions<br />

établies sur lesquelles repose la société. Dans un accès de rage, il ajoute<br />

du lustre à la peinture décapée. A son grand étonnement, Kimbro manque de<br />

déceler le subterfuge et va même<br />

jusqu'à l'approuver alors que la 'peinture<br />

"présentait le même aspect que l'autre: une trainée grisâtre se découpait<br />

sur l'ensemble."(2) Le narrateur éprouve alors le sentiment que "quelque chose<br />

s'est détraqué. Quelque chose de plus important que la peinture. n (3) Ce qui<br />

s'est détraqué, c'est que le système élaboré par Kimbro et ses pairs et les<br />

(1)<br />

(2)<br />

(3)<br />

R. Ellison, op.cit., p 200<br />

Ibid., p 203<br />

Ibid., p 203


- 99 -<br />

mythes qui le soutiennent, les ont tant et si bien informés qu'ils en sont<br />

devenus, à leur insu les victimes quoiqu'ils continuent de les utiliser dans<br />

leur intér@t. Ce qui s'est passé, c'est que le narrateur par son geste m@me<br />

a porté un coup mortel à la fabrique de mythes que constitue l'usine. Il<br />

n'est donc pas surprenant que Kimbro, à l'instar du Docteur Bledsoe se débarrasse<br />

du jeune étudiant une fois ses cargaisons de peintures expédiées à<br />

Washington, et qu'il s'aperçoit qu'il n'a plus besoin des services de ce<br />

dernier.<br />

Ce qui retient notre attention et mérite d'@tre souligné c'est la possibilité<br />

de révolte laissée au narrateur. Il peut, pourvu qu'il le veuille,<br />

"subvertir" les mythes de l'Amérique blanche en ajoutant des gouttes noires<br />

à de la peinture blanche décapée et l'envoyer au Monument National sans que<br />

ses martres ne se doutent de rien. La possibilité lui est offerte d'inventer<br />

des contre-mythes, ou tout au moins de découvrir et d'exploiter à son propre<br />

profit les failles qui existent dans ceux qu'élabore à son détriment la société<br />

blanche. Car le mythe n'est réellement opératoire que tant que celui 40nt<br />

il informe les idées et le comportement reste ignorant de sa fonction. Maintenant<br />

que le narrateur commence par tirer des enseignements de ses expériences<br />

et que se développe sa personnalité, il perçoit de plus en plus clairement<br />

les illusions qui ont parsemé et continuent de parsemer sa vie. Il ne<br />

peut donc pas s'emp@cher, à voir les peintures défectueuses en route pour<br />

Washington, de se rappeler le gris des cabanes des métayers qui jurait avec<br />

la blancheur immaculée de la peinture dont on rev@tait son Université tous<br />

les ans. La majesté de l'Université est factice et ses assises fragiles, ce<br />

qui explique la nécessité de la repeindre tous les ans, afin de renforcer et<br />

d'assurer la pérennité du mythe qui la fonde. Car le danger est grand, qui<br />

menace de détruire tout l'édifice social si les gens venaient à perdre toutes<br />

leurs illusions. Ils deviendraient pessimistes et vulnérables comme Tod<br />

Clifton, cyniques comme Bledsoe et Rinehart, ou iconoclastes à l'exemple des<br />

fous du Golden Day et de Ras le Destructeur. Le Golden Day, faut-il le rappeler,<br />

était aussi, il n'y a pas si longtemps recouvert d'une belle couche<br />

de peinture blanche qui avait commencé à s'écailler au fil des années et qui<br />

maintenant tombait en pluie dès qu'un ongle la grattait. Le mythe sur lequel<br />

il reposait n'existant plus, il est retombé dans le chaos. Naguère pourtant


- 100 -<br />

le Golden Day avait servi de pilier à l'Establishment puisqu'il avait servi<br />

d'église, de banque avant de devenir restaurant et une espèce de tripot. Il<br />

aurait même fait office de prison avant d'être e,ffecté aux Nègres et aux fous<br />

qui viennent y "décharger leur trop plein d'énergie". L'histoire du Golden<br />

Day suggère que le sens d'évolution d'une société,qui a perdu les mythes sur<br />

lesquels elle avait établi ses fondements et ne sait pas par quoi les remplacer,<br />

est vers la régression et le chaos.<br />

D - <strong>LE</strong>S NOIRS ET <strong>LE</strong> SYNDICALISrr.E.<br />

~------------_ ...-<br />

Malgré sa bévue, le narrateur n'est pas pour autant débauché. Il est<br />

affecté à trois étages sous terre pour aider un certain Lucius Br0 ckway, vieux<br />

nègre rabougri qui assure avoir aidé à creuser les premières fondations de<br />

l'usine et qui en sait long sur son histoire et sur son fonctionnement:<br />

" J'ai aidé à poser les tuyaux et tout; ce que je veux dire,<br />

c'est que jJ connais l'emplacement de tous les tuyaux, je<br />

dis bien tous, de tous les commutateurs, les cables, les<br />

fils et tout le reste dans le sol, les murs et même dans<br />

la cour. Oui, monsieur! Et aut'chose, je l'ai si bien dans<br />

la t@te que je peux faire le tracé sur un papier, jusqu'au<br />

. dernier écrou et boulon; même que j'suis jamais allé dans<br />

une école d'ingénieur, que J'ai même jamais mis les pieds<br />

dans une, que je sache.,,( 1)<br />

En outre, c'est lui qui fabrique dans son "sous-sol" le "corps", le<br />

"véhicule" de la peinture, ceux d'en-haut se contentant de mélanger les couleurs.<br />

C'est toujours lui qui s'occupe des chaudières et met le "velouté"<br />

à la peinture:<br />

". •• Si notre peinture est si bonne, c'est rapport à la<br />

manière que Lucius Brockway met la pression sur ces huiles<br />

et résines avant qu'elles ont quitté les réservoirs••• Comme<br />

tout ici est fait à la machine, ils croient que ô'est<br />

l'fin mot de l'histoire. Y sont cinglés. Y se passe pas une<br />

foutue chose ici qui soye pas comme si j'avais trempé mes<br />

mains noires dedans."(2)<br />

(1) R. Ellison, op.cit., pp 212-213<br />

(2) Ibid., p 214


1<br />

- 101 -<br />

Cependant, malgré ses vingt-cinq années de présence et de loyaux services<br />

rendus à l'usine, Lucius Brockway vit dans l'insécurité permanente<br />

quant à son emploi, parce qu'il se sent toujours menacé par les ingénieurs<br />

blancs ou noirs que recrute l'entreprise. C'est pourquoi il accueille le narrateur<br />

avec mauvaise grâce et ne le garde d'ailleurs à contre-coeur que lorsque<br />

ce dernier le convainc qu'il n'a pas une formation d'ingénieur et que son<br />

enga~ement est te~poraire. C'est cette insécurité pour so~ emploi qui le conduit<br />

à s'opposer à toute espèce de syndicalisme. Pour lui, tous les syndiqués<br />

sont des fauteurs de troubles qui "reluquent sa place". Etre syndicaliste,<br />

c'est dans sa logique, @tre ingrat:<br />

" Si un de nous adhère à un de ces foutus syndicats, c'est<br />

Oomme s'il voulait mordre la main qui nous a appris à nous<br />

baigner dans un tub. ~,( 1)<br />

L'ingratitude est encore plus répréhensible si on est Noir.<br />

" Ici le Blanc, il leur(les jeunes gens de couleur du laboratoire)<br />

a donné du travail, c'est même du bon travail qu'il<br />

leur a donné, et eux ils sont si ingrats qu'ils se foutent<br />

à entrer dans ce syndicat qui l'débine par derrière."(2)<br />

On peut s'étonner de l'hostilité affichée par L.Brockway à l'encontre<br />

des syndicats, néanmoins, son attitude a son répondant dans l'histoire des<br />

syndicats aux Etats-Unis. En effet, jusqu'à la première Guerre Mondiale, on<br />

trouvait peu d'ouvriers noirs aux Etats-Unis qui préféraient importer de la<br />

main d'oeuvre européenne plut6t que d'utiliser des Noirs. A ce propos Spero,<br />

Sterling D.<br />

écrivent:<br />

et Harris Abrams L. dans leur ouvrage sur les ouvriers noirs<br />

" Negro labor engaged chiefly in agriculture and personal<br />

service was largely disregarded as a source of industrial<br />

man power except in such emergency as acute labor shortages<br />

or strikes. Even in the South where the Negro slave had<br />

competed successfully with the white man in almost every<br />

branch of industry, the tradition of the separation of the<br />

races operated after emancipation to check the full use of<br />

Negro labor in industry. The industrial backwardness of the<br />

section made the more extensive use of black labor unnecessar,f.and<br />

left the traditional relation between the races<br />

undisturbed.<br />

(1) R. Ellison, OP. cit., p 223<br />

(2) Ibid., p 223<br />

t


- 102 -<br />

"<br />

Northern employers drew upon the reserve of Negro<br />

farmers and servants to help break their strikes as long<br />

as the middle fifties, but it was not until the eighties,<br />

when Negro farmers began to find it difficult to eke out a<br />

living out of the sail that the blac:( men ',rent to the cities<br />

in large numbers and offered serious competition to the<br />

white labor. These migrants first settled in the cities of<br />

the South. Their further movement northward was determined<br />

by opportunity for employment. This opportunity came as a<br />

sudden windfall at the opening of the World War.<br />

In 1915-1916, when large numbers of recent irrl"nigrants<br />

returned totheir former homes in response to the calI to<br />

arms, huge waves of Southern Negro labor drifted Northward<br />

under the impetus of the war-time industrial expansion created<br />

by the entrance of this country into the conflict. When the<br />

war ended, foreign immigration was restricted, and the Northward<br />

trek of Negro labor continued."(1)<br />

L'arrivée de ces Noirs sur le marché de l'emploi fut systématiquement<br />

combattue par les syndicats blancs qui les exclurent de leurs organisations.<br />

Les migrants noirs qui, à l'instar du protagoniste du roman de R. Ellison,<br />

n'avaient pas ou avaient très peu de com1aissances sur les syndicats,se sentant<br />

victimes de l'ostracisme des syndicats blancs plus enclins à défendre<br />

des intérêts de race que de classe, se laissèrent facilement manipuler par<br />

le patronat qui les utilisait comme armée de réserve dans le but de briser<br />

les grèves. C'est pourquoi, comme Brockway leur loyauté, la plupart du temps,<br />

va au patron plut6t qu'aux organisa~IB ouvrières. L'explication que donnent<br />

Spero et Harris de la position des dirigeants noirs à l'égard des syndicats<br />

est la suivante:<br />

" They see that many employers use Negro labor, thereby<br />

giving the black man an opportunity to earn a living, which<br />

the pOlicy of most trade-unionists would deny him. They see<br />

white philanthropists and sentimental friends of the black<br />

man trying to help him by giving schools and social welfare<br />

agencies••• They are impressed with stories of the poor folks<br />

who became wealthy through thrift and hard work, and with<br />

the history of great institutions which sprang from small<br />

beginnings. Here, they say, are friends of the Negroes who<br />

have proved their friendship, and here are ways of success<br />

which have been tried and found effective. So the race leaders<br />

counsel their people to be~e of the white working<br />

man and to put their trust in the white upper classes. Labor<br />

solidarity to which the white unionist..appeals when he needs<br />

the black man to serve ~is selfish ends or which the radical<br />

(1) Spero Sterling D., Harris Abrams L., The Black Worker, New-York,<br />

Athenaeum, 1968, pp 149-150.


- H)j -<br />

"preaches to increase his tiny following from any possible<br />

source is, they say, a very dangerous doctrine. It is far<br />

safer to give loyal service to the white man who wants it,<br />

and by hard work and saving to a~ass enough wealth to bring<br />

comfort and security."(1)<br />

Les syndicats eux-aussi ne manifestent pas moins leur opposition aux<br />

Noirs qu'ils tiennent en suspicion du fait qu'ils sont souvent recrutés pour<br />

mettre en échec le mouvement ouvrier. Ainsi quand par hasard le narrateur<br />

parti chercher son casse-cro~te,tombesur une réunion syndicale, les syndicalistes<br />

It~euventd'injuresdès qu'ils surent qu'il travaillait sous la direction<br />

de L. Brock~.<br />

Pourtant il aurait voulu en savoir plus sur les syndicats,<br />

mais il se retrouve dans une situation ambiguë où il se trouve obligé d'accepter<br />

les choses telles que les voient 1e~<br />

son avis.<br />

autres, sans possibi1ité,d'émettre<br />

x<br />

x<br />

x<br />

Malgré tout, le narrateur tient l'hostilité du syndicat comme quelque<br />

chose de circonstanciel, puisque ceux-là mêmes qui le repoussent lui laissent<br />

entrevoir la possibilité de se joindre à eux lorque les conditions s'amélioreront<br />

entre les deux races. Cependant ce n'est pas des Blancs qui viennent<br />

de l'humilier sans lui permettre de placer un mot que le narrateur aura le<br />

le plus à souffrir. En effet, dès que son contremattre L. Brockway e~t su<br />

qu'il était tombé sur une réunion syndicaliste, sans rien vouloir entendre,<br />

il le renvoie de son service, le menaçant de le tuer. Il s'ensuivit un combat<br />

cocasse à l'issue duquel le vieil homme est défait. Pendant le combat et la<br />

discussion qui l'a suivi, le narrateur et son contremattre oublièrent de surveiller<br />

les manomètres des vannes qui explosèrent sous la poussée de la pression.<br />

Le narrateur que Lucius Brockway avait envoyé les fermer alors que<br />

lui-même se sauvait, se retrouve inconscient dans un lit d'h8pital.<br />

(1) Spero et Harris, op. cit., pp 462-463.


- 104 -<br />

E - UNE EXPLOITATION r.AJEURE:<br />

~ ~ .-. ~ -.- ~ -<br />

~<br />

.-. ~ ~ ~ ..<br />

.- ~ -<br />

- -- .-. ..<br />

- ~<br />

L'IGNORANCE <strong>DE</strong> SA PROPRE EXPLOITATION.<br />

~ -.---.-<br />

Lucius Brockway symbolise le Nègre qui depuis le commencement de la<br />

société américaine s'est toujours trouvé aux c6tés du ,Blanc. Il connatt de<br />

ce fait toute l'histoire de la société américaine dans laquelle il vit, non<br />

seulement parce qu'il a été un témoin privilégié des différents évènements, mais<br />

parce qu'il a été un participant actif. Cependant c'est un exploité majeur.<br />

Alors qu'il remplit les fonctions d'ingénieur, il ne perçoit qu'un salaire de<br />

concierge et en est satisfait. Son allégeance à l'homme blanc est totale et<br />

sans faille. C'est pour cela qu'il s'est personnellement et volontairement<br />

assujétti à lui, et qui pis est, aux machines que le Blanc fabrique:"Nous, on<br />

est, assure ~il, les machines à l'intérieur de la machine."(l) C'est lui qui<br />

des entrailles, fait marcher le monde industriel, sans broncher. On peut dire<br />

de Lucius Brockway qu'il est le type du "white man' s nigger" au niveau de<br />

l'ouvrier alors que le Dr Bledsoe l'est au niveau de l'intellectuel. Comme<br />

ce dernier, il est un aliéné majeur dans la mesure où il assure, envers et<br />

contre tous la bonne marche d'un système qui s'acharne à l'exploiter, à l'écraser.<br />

Mais à l'opposé du Dr Bledsoe, Lucius Brockway ignore qu'il est une<br />

victime innocente. Alors que le premier travaille pour le mattre blanc dans<br />

l'espoir de retirer de son travail des profits pour son compte personnel,<br />

Brockway met son dévouement dans la seule défense des intér@ts des Blancs.<br />

Il maintient littéralement son invisibilité èn allant travailler sous terre<br />

et en s'assujettissant complètement au Blanc dont il consacre, par son humilité<br />

et son obséquiosité, la suprématie. C'est lui qui a contribué à faire<br />

du blanc optique la première spécialité de l'usine. C'est aussi lui qui a<br />

trouvé le slogan publicitaire qui l'a lancé et en a assuré la promotion sur<br />

le marché: "Si c'est du blanc optique, c'est du bon blanc(if it's optic white,<br />

it's the right white)". Cette phrase rappelle comme nous l'avons déjà mentionné<br />

le refrain populaire des Noirsl "If you're white, you're right, il you're<br />

black, get black." Brockway est fortement convaincu que le capitaliste blanc<br />

a raison. C'est pourquoi il se donne en croisé volontaire pour combattre jus-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 213


1<br />

- 105 -<br />

qu'à la mort tous les hérétiques (entendez les syndicalistes) qui menacent<br />

de ruine le système dans lequel il a placé une foi aveugle.<br />

En amenant son protagoniste à faire l'expérience de la vie urbaine et<br />

du marché du travail industriel, Ralph E11ison nous a permis d'explorer les<br />

attitudes du patronat envers les syndicats, les comportements des travailleurs<br />

blancs envers les Noirs, et les problèmes relatifs à l'intégration de la maind'oeuvre<br />

noire au monde du travail industriel. Tout cela nous est présenté<br />

dans un survol rapide qui tient de l'eXpol(iff;1 littéraire.<br />

Le passage du narrateur dans le monde industriel lui aura fait faire<br />

un grand pas dans sa quête. Dans cet épisode, nous le voyons réagir pour la<br />

première fois contre l'injustice dont il a souvent souffert. Mais sa réaction<br />

est inutile parce qu'elle s'exerce contre un vieux nègre édenté; elle est<br />

sans portée réelle et en outre le conduit au désastre, ou plus exactement à<br />

l 'h8pital.<br />

1 t!<br />

1<br />

!<br />

1<br />

!t<br />

f<br />

L'institution hospitalière où le narrateur est supposé recevoir des<br />

soins à la suite de l'explosion, tait partie intégrante du système. Elle appartient<br />

d'ailleurs à la fabrique de peinture, et p1ut8t que le médecin-chef,<br />

c'est le directeur de l'usine qui est la dernière personne à lui rendre visite<br />

pour lui signifier son licenciement. Cette décision tient au fait que<br />

le narrateur, selon le directeur de l'usine, n'est pas préparé aux rigueurs<br />

de la vie industrielle, et partant est inapte à travailler dans les conditions<br />

requises. A preuve ce dia10guel<br />

"- On va vous laisser partir, mais j'ai pien peur que vous<br />

alliez au-devant d'une déception pour le travail, dit-il.<br />

- ~e vou1ez-vous dire, Monsieur ?<br />

- Vous avez traversé une dure épreuve, dit-il. Vous n'8tes<br />

pas préparé aux rigueurs de l'industrie. A présent, je vous<br />

demande de vous reposer, d'entrer en conva1escenoe. Vous<br />

avez besoin de vous réadapter et de reprendre des forces.<br />

- Mais, Monsieur.<br />

- Vous ne devez pas ess~er d'aller trop vite. Vous 8tes<br />

content d'@tre libéré, n'est-ce pas?


- 106 -<br />

-Oh, oui. Mais comment vais-je vivre ?<br />

- Vivre ? Il haussa et baissa les sourcils. Prenez un autre<br />

travail, dit-il. Quelque chose de plus facile, de plus tnanquille.<br />

Un travail pour lequel vous soyez mieux préparé.<br />

- Préparé? Je le regardai en pensant: il s'occupe de ça,<br />

lui aussi? Je prendrai n'importe quoi, Monsieur, dis-je.<br />

- La question n'est pas là,mon garçon. Vous n'@tes ~out<br />

simplement pas préParé pour travailler dans nos conditions<br />

industrielles. Plus tard peut-être, mais pas maintenant."(1)<br />

Son passage à l'hôpital n'a donc pour objectif que de le préparer à<br />

affronter les rigueurs du monde industriel et à le rendre apte à y<br />

servir.<br />

En ce sens, l'h8pital représente la société urbaine et industrielle du Nord,<br />

le creuset (melting-pot) où sont détruites la personnalité et l'identité oulturelle<br />

du Noir. C'est à une opiration de destruction psychologique et d'éradication<br />

des vestiges de l'identité rustique du Sud que procèdent les médecins<br />

qui le placent à l'étroit dans une machine qui tient plus du cercueil que<br />

d'autre chose. Là le narrateur subit une sorte de lobotomie préfontale selon<br />

les prescriptions de la théorie de la forme (Gestalt) mais sans les effets<br />

•<br />

négatifs du scal~f:<br />

ft Voyez-vous, dit le médecin psyohologue à son confrère<br />

ohirurgien, au lieu de diviser le lobe 'préfontal, un seul<br />

lobe, nous appliquons une pression soigneusement dosée aux<br />

prinoipaux oentres de contr81e des nerfs. Le résultat de<br />

cette opération est un ohangement de personnalité du patient,<br />

,aussi~adicale que dans .os. fameuses histoires à dormir debout,<br />

de oriminels transformés en aimables garçons après le<br />

oharcutage sanglant d'une opération du cerveau. Et qui plus<br />

est, le malade est intact physiquement."(2)<br />

En outre, le malade ainsi traité conserve malgré tout une psyohologie<br />

intégrale. Il n'éprouvera pas de oonflit majeur de motivation et oe qui mieux<br />

est, il n'occasionnera pas le moindre traumatisme à la société.<br />

L'attitude du médecin-psychologue fait pendant à oelle "hypocrite" que<br />

le Nord adopte envers le Noir, à l'opposé du Sud qui use de la violenoe brutale<br />

et que représente ici le chirurgien. Au lieu d'Stre ouverte et brutale, la<br />

violenoe du Nord est sournoise, mais tout autant efficace: le résultat des deux<br />

attitudes est identique: émasculer la victime, la rendre docile aux prescri~<br />

tions rigoureuses de la société américaine, le façonner tant physiquement que<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 240.<br />

(2) Ibid., pp 231-232.


- 101 -<br />

psychologiquement; c'est en tout cas ce que<br />

suggère l'usage combiné et simultané des électro-chocs, de la musique et<br />

de la lumière dans le traitement prescrit au narrateur. Il est soumis dans<br />

le même temps à des influences contradictoires, à des rythmes impossibles.<br />

Ses sentiments, dans de telles conditions sont instables et contradictoires<br />

et ne correspondent même plus à ses propres désirs. Il se retrouve avec une<br />

personnalité dissociée, incapable d'établir la distinction entre son propre<br />

corps et le monde blanc dans lequel il est immergé. Il vit dans une autre<br />

dimension et n'est plus qu'un jouet entre les mains de ceux qui l'utilisent<br />

à leur gré, parlent de lui de façon impersonnelle en sa présence qu'ils feignent<br />

d'ignorer, afin de bien lui faire sentir son n6ant. Une telle opération<br />

d'annihilation psychologique n'est pas nouvelle, mais vient du fond de l'histoire<br />

ainsi que le suggère un des médecins qui parlant du cas du narrateur dit:<br />

" Il serait plus scientifique de définir le cas. Voilà plus de trois cents<br />

ans gue...,,(1)<br />

~oiqu'il en soit, cette naissance à la machine est castratrice. L'individu<br />

en émerge impuissant et sans autonomie, ce qui est conforme aux objectifs<br />

que vise le traitement. En effet le narrateur n'est déclaré guéri que<br />

lorsqu'il est incapable d'établir la continuité avec son passé et qu'il ignore<br />

jusqu'à son prppre nom et celui de sa mère. Les spécialistes de l'altération<br />

de la personnalité exultent alors, parce qu'ils pensent avoir fait de<br />

lui (et des Noirs) un autre homme. Un homme qui se trouve dans l'impossibilité<br />

de s'insérer dans sa propre continuité historique et qui fuit la culture<br />

de son peuple qu'il qualifie de ridicule. Sa seule préoccupation à ce<br />

stade est d'échapper à la machine sans grand dommage pour lui-même. Car il ne<br />

veut pas s'électrocuter ou se détruire en essayant de détruire la machine.<br />

Il ne veut pas @tre Samson. Ce qu'il veut, c'est la liberté et non la destruction.<br />

En acceptant le cadre étroit d'un liberté somme toute métaphysique,<br />

le narrateur s'oriente dans une voie réformiste, parce que la liberté se pense<br />

en termes de libération. L'impossibilité qu'il éprouve à échapper à sa<br />

oondition semble donc résulter d'un obstacle majeur qu'il doit surmonter: luimBme.<br />

Un intellectuel petit-bourgeois à l'horizon limité,slmSp~rspective',féconde<br />

d'ouverture sur le monde, et qui n'est pas encore aoquis à la vérité<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 232


- 108 -<br />

que son identité est liée à l'acceptation de la réalité qu'il vit, et à la<br />

volonté de l'assumer telle qu'elle se présente. Il n'y a de liberté que dans<br />

l'acceptation de soi, c'est-à-dire pour le narrateur le rejet de ce qu'il a<br />

été.<br />

G - VERS LA <strong>DE</strong>COUVERTE ET L'ACCEPTATIO!! D~ SOI.<br />

-~--~--~------------<br />

C'est dans cette nouvelle direction qu'évoluera désormais le narrateur.<br />

Mais aupavant il lui faudra rejeter tous ceux qui lui ont offert de la réalité<br />

.<br />

une image déformée: Bledsoe, Emerson et leurs acabits. Il lui faudra se débarrasser<br />

de la peur que ces derniers lui inspiraient par "leurs paroles m@me<br />

les plus inoffensives qui n'en étaient pas moins des actes de violence. fi (1)<br />

On peut mesurer la distance parcourue par le narrateur lorsqu'à la sortie<br />

de l'hOpital, il déclare après son entrevue avec le directeur de l'usine:<br />

" En le quittant et en retrouvant l'air saturé de peinture,<br />

j'eus le sentiment d'avoir parlé au-delà de moi-même,d'avoir<br />

employé des mots et manifesté des attitudes qui n'étaient<br />

pas les miens _ d'@tre la proie d'une personnalité étrangère<br />

logée au pl~s profond de moi. II (2)<br />

Le narrateur qui ne comprenà<br />

pas encore comment il a pU,devant une<br />

personnalité du rang du directeur de l'usine, une usine qui compte parmi les<br />

piliers de l'Establishment américain se montrer naturel, sans personnalité<br />

d'emprunt. Alors qu'il a commencé à réintégrer sa personnalité ori~inelle,<br />

se demande s'il n'est pas toujours sous l'emprise d'une personnalité étrangère.<br />

Il a tant vécu dans la sujétion du Blanc qu'il ne reconnatt m@me<br />

plus qu'il<br />

est en voie d'acquérir sa propre autonomie. Malgré tout il est maintenant habité<br />

par une conviction, c'est qu'il n'a plus peur. Dès ce mbment les diverses<br />

inhibitions que paralysaient ses mouvements commençent à tomber graduellement,<br />

au point qu'il affirme:<br />

Il Peut-être étais-je en train de ma rattraper et avais-je<br />

exprimé des sentiments jusqu'à présent réprimés."(3)<br />

il<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 118<br />

(2) Ibid., p 242<br />

(3) Ibid., p 242


- 103 -<br />

D'@tre parvenu à éliminer de son moi la peur constitue une étape importante<br />

dans la voie de reconquête de sa personnalité. Ni les hommes impo~tants,<br />

ni les administrateurs, et les autres ne lui inspiraient plus de crainte parce<br />

que dit-il, " sachant bien à présent que je ne pouvais rien attendre d'eux,<br />

il n'y avait pas de raison d'avoir peur."(1)<br />

Cependant ce n'est pas seulement contre les Blancs importants, les administrateurs<br />

et autres qu'il aura à livrer bataille. Il lui reste à affronter<br />

deux ennemis tout aussi redoutables: les Noirs du Foyer, représentants de la<br />

Bourgeoisie Noire imitatrice servile du Blanc et surtout lui-même.<br />

H - RUPTURE AVEC UN CERTAIN PASSE.<br />

-- - - -- ... ~ -- ----- .... _-<br />

Parvenu à prendre conscience du poids mort que constituait pour lui<br />

son passé d'accommodationniste, le narrateur va dans un second temps s'évertuer<br />

à se dégager de son emprise régimentaire. D'abord sevrer les liens humiliants<br />

qui le retiennent dans le monde artificiel des Noirs du Foyer (la<br />

Bourgeoisie Noire)qui s'efforcent vainement de se procurer des compensations<br />

factices et qui vivent dans un monde de bluff. Car êes Noirs comptaient dans<br />

leurs rangs des<br />

"étudiants des écoles super~eures de COlmnerce du Sud, qui<br />

voyaient dans le commerce un vague jeu abstrait avec des<br />

règles aussi désuètes que l'Arche de Noé, et qui, cependant,<br />

étaient ivres de finance. Oui, et ce groupe plus ~gé, aux<br />

aspirations similaires, "les fondamentalistes", "les acteurs"<br />

qui cherchaient à obtenir le rang d'agents de change par la<br />

seule imagination, un groupe de portiers et de messagers<br />

qui gaspillaient le plus clair de leurs gaees en vêtements<br />

-car ils s'habillaient à l'image des agents de change de<br />

Wall Street- avec leurs complets des Brooks Brothers, leurs<br />

chapeaux melons, parapluies anglais, chaussures en cuir de<br />

veau noir et gants beurre frais."(2)<br />

Il y avait aussi au nombre des hates du Foyer des "guides" de la Communauté<br />

sans disciples,<br />

{1) R. Ellison, op.cit., p 242<br />

(2) Ibid., p 250


- 110 -<br />

" des prédicateurs sans église, ni fid8les qui n'étaient<br />

ordonnés par d'autre autorité que la leur; des défenseurs<br />

du progrès racial avec des plans utopiques pour bâtir des<br />

empires commerciaux noirs; des vieux de soixante ans ei plus<br />

toujours en proie à ces rêves de liberté à l'intérieur de<br />

la ségrégation qui avaient suivi la Guerre Civile; les pathétiques<br />

qui n'avaient rien à part leurs rêves d'être des messieurs,<br />

qui tenaient de petits emplois ou touchaient de maigres<br />

pensions et qui faisaient mine d'~tre engagés da!ls quelque<br />

vaste, mais obscure entreprise, qui affectaient des manières<br />

faussement polies de certains députés sudistes, qui<br />

se répandaient en courbettes et saluts au passage comme de<br />

vieux coqs séniles dans une cour de ferme."(1)<br />

Bref, le Foyer hébergeait des gens qui, étant toujours prisonniers des<br />

illusions qui venaient d'être arrachées de la tête du narrateur, compensaient<br />

leur manque psychologique en adoptant des attitudes d'auto-mystification.<br />

Ces gens-là n'ont pas plus t6t vu le narrateur en bleu de travail qu'ils lui<br />

lancent des regards réprobateurs, car sa présence en salopette ruinait leurs<br />

rêves les plus extravagants et heurtait les illusions dont ils se nourrissaient<br />

et qu'ils se refusaient à rejeter à l'instar du narrateur. Dans de telles conditions,<br />

la rupture des liens qui pouvaient encore maintenir le narrateur,<br />

à présent nouvel homme, avec~e<br />

groupe devient une nécessité. Cette rupture<br />

prend la forme d'une révolte contre tous ceux qui jusqu'alors ont contribué<br />

à voiler sa conscience, à le rendre aveugle aux réalités de la société où il<br />

vit, et en premier lieu le Docteur B1edsoe. C'est lui qu'il méprend pour le<br />

Révérend baptiste sur la tête de qui il déverse un liquide marron et transparent.<br />

Cet acte consomme sa rupture avec les gens du Foyer qui l'excluent de<br />

leur groupe pour "quatre vingt dix-neuf ans et un jour". Il ne devra d'être<br />

hébergé qu'à la bienveillance de Mary Rambo, négresse bien en chair, pleine<br />

de chaleur, qui seule dans cet univers hostile répand la vie autour d'elle,<br />

pour rien.<br />

Cependant, si les divers déboires dont il a été la victime l'amènent<br />

à avoir une perception plus claire des choses, il lui reste encone un long<br />

chemin à parcourir avant de coincider totalement avec lui-même: s'accepter<br />

tel qu'il est et pour ce qu'il est et assumer tout ce qui découle de cette<br />

acceptation.<br />

(1) R. E11ison, op.cit., p 249


- 111 -<br />

L'occasion pour lui de s'approprier son être objectif survient assez<br />

fortuitement: un soir, le narrateur agité, l'esprit en proie à un trouble<br />

extr~me,<br />

sort, décidé à se débarrasser de ses pensées bralantes. Dans la rue<br />

qu'il emprunte à Harlem, il réprime assure t-il, "une sauvage impulsion de<br />

lancer son poing" à travers les vitrines des magasins où sont rangées différentes<br />

sortes d'articles religieux et celles des salons de coiffure où sont<br />

exposés "des mèches postiches et raides, d'onguents qui opèrent à coup sar<br />

le miracle de blanchir la peau noire", le tout étant comme de juste, renforcé<br />

par l'inévitable panneau publicitaire qui proclame: "Vous aussi, vous pouvez<br />

être réellement beau. Atteignez un bonheur plus grand avec un teint plus<br />

blanc. Soyez exceptionnel dans votre milieu social. n(1)<br />

L'idéologie que véhicule,en ombre portée, ces panneaux publicitaires,<br />

les statues de Jésus et de Marie entourées de clefs de songes, de poudres<br />

d'amour, d'huile à attirer l'argent et de dés en plastique, outre qu'ils font<br />

de la blancheur-le parangon de la beauté et asseyent la notion de bonheur sur<br />

des bases mystificatrices, visent tous comptes faits à perpétuer chez le Noir,<br />

le larbinisme et l'agenouillement et à renforcer en lui le sentiment de sa<br />

propre infériorité. Kenneth Clarke dans son livre Ghetto Noir a décrit ce<br />

processus de refus et de honte de soi en ces termes:<br />

" Quand des enfants noirs, aussi jeunes que des enfants de<br />

trois ans, se voient montrer des poupées noires et blanches<br />

ou prier de colorer à leur ressemblance des images d'enfants,<br />

beaucoup tendent à. rejeter les poupées à peau sombre comme<br />

"sales", "méchantes", ou se colorer eux-mêmes en couleurs<br />

claires ou d'un ton bizarre pourpré. Mais il y a plus, car<br />

si on leur demande d'identifier la poupée qui leur ressemble,<br />

beaucoup d'enfants, noirs, particulièrement dans le<br />

Nord, refusent, éclatent en sanglots, et se sauvent. A l'~ge<br />

de sept ans, la plupart des enfants noirs ont accepté le<br />

fait qu'ils ont, cprès tout, la peau sombre. Nais la marque<br />

demeure: ils ont été contraints de se voir comme inférieurs.<br />

Peu de Noirs, s'il y en a, perdent vraiment complètement ce<br />

sentiment de honte et de haine de soi."(2)<br />

En clair tout dans l'environnement social de Harlem tend à amener le<br />

Noir à se nier, à se suicider psychologiquement. Il est donc compréhensible<br />

(1)R. Ellison, op. cit., p256<br />

(2) Kenneth Clarke, Ghetto Noir, Paris,'Payot, 1966, pp 103-107


- 112 -<br />

que le narrateur réprouve une impulsion à briser les vitrines qui diffusent<br />

l'idéologie aliénante de la grande société américaine et renforcent l'assujéttissernent<br />

du Noir au Blanc. C'est là d'ailleurs une preuve de son évolution<br />

psychologique. C'est dans cette disposition d'esprit de révolte consciente<br />

contre l'aliénation, subtilement imposée du dehors et acceptée sans problème<br />

par les victimes elles-mêmes, que le narrateur rencontre un marchand d'ignames<br />

cuites au four. Malgré sa gêne initiale, il en achète et en consomme sur place,<br />

au bord de la route. Du coup, il se sent libéré de ses inhibitions et des<br />

règles de conduite prescrites par la société. Il n'a plus peur du qu'en-dira­<br />

~on.<br />

Il abandonne sa recherche d'approbativité et décide de faire table rase de<br />

l'opinion des autres. Bref, il évacue de sa perB~nnalité une partie des composantes<br />

de servilité qui la structurait et ose affronter les jugements des<br />

autres:<br />

" Je marchai sans but en mâchonnant mon igname, débordant<br />

d'un profond sentiment de liberté, tout aussi soudain, simplement<br />

parce que je mangeais en déambulant dans la rue.<br />

Cela m'emportait dans un tourbillon de joie. Fini de se tracasser<br />

à propos d'éventuels espions de mes actes, de me poser<br />

des questions angoissantes sur ce qui était admis ou pas.<br />

Au diable, tout cela."(1)<br />

A partir de ce moment, il refuse de oonformer<br />

ses actes aux idées que<br />

ses oppresseurs ont de lui; il ne veut plus modeler son comportement sur les<br />

leurs. Parvenu à ce niveau de conscience,le narrateur ne peut manquer de déplorer:<br />

" Quel dr81e de groupe humain nous formions, pensai~je. Par<br />

exemple, on pouvait nous h~~ilier au plus profond de nous<br />

par une simple confrontation avec quelque chose que nous<br />

aimions."(2)<br />

La ligne de conduite qu'adoptera le narrateur se situera aux antipodes<br />

de son comportement de naguère et visera à amener les autre$ nègres à opérer<br />

chacun à son niveau, une profonde reconversion de sa mentalité, à se débarrasser<br />

des masques dont ils s'affublent. Ainsi le Dr Bledsoe malgré toute la<br />

respectabilité dont il fait étalage, se sentirait défaillir et à coup dégringolerait<br />

de son piédestal si d'aventure, il était convaincu de manger en ca-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 258<br />

(2) Ibid., p 258


- 113 -<br />

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1<br />

chette des boyaux de porc et des pois aux yeux noirs. En consommer c'est en<br />

effet s'avilir, c'est commettre un crime contre les prescriptions du savoirvivre<br />

et du décorum, ce qui est pire que le viol d'une vieille femme. C'est<br />

dire que la position même d·~un leader de la facture de Bledsoe tient à peu<br />

de choses. S'impose donc la nécessité d'un nouveau type de dirigeants sachant<br />

opérer des choix justes et indépendante, des dirigeants qui ne se contentent<br />

pas d'être de simples exécuteurs d'une politique élaborée par d'autres. Le<br />

narrateur maintenant débarrassé d'une partie de ses complexes -du moins le<br />

croit-il- semble être prêt pour assumer ce genre de leadership; car n'est pas<br />

encore libre celui qui, ayant pris conscience de sa condition d'opprimé n'a<br />

pas risquA sa vie dans l'action pour la transformer. Le passage du narrateur<br />

sur la scène politique permet à R. Ellison d'aborder un autre chapitre important<br />

dans l'expérience historique du Noir aux Etats-Unis, celui de son<br />

engagement politique.<br />

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- 114 -<br />

III - L'ENGAGEMENT POLITIQUE UNE IMPASSE.<br />

Dans les mêmes dispositions, le narrateur continue sa promenade qui le<br />

conduit sur une scène d'éviction d'un vieux couple devant une foule silencieuse,<br />

impuissante à réagir devant l'injustice dont elle est témoin. Devant l'impassivité<br />

des agents chargés de l'expulsion, le narrateur est saisi de dé~<br />

go~t,<br />

tant le spectacle lui parart indécent. Le mobilier du vieux couple était<br />

de la camelote et tous ses biens se réduisaient après quatre-vingt années de<br />

dur labeur, à quelques symboles de liberté et de servitudelun drapeau éthiopien,<br />

un portrait de Lincoln, un papier d'homme libre datant de 1859, des<br />

polices d'assurance nulles, un portrait de Marcus Garvey banni, quelques vieux<br />

os de ménestrels, des mâches postiches, des fers à friser et des peignes à<br />

décreper.<br />

La foule envahie d'un sentiment de culpabilité et de honte vacille entre<br />

la résignation et l'action. Finalement elle se décide à s'opposer à l'ex ­<br />

pulsion du vieux couple • Le narrateur naguère effrayé par sa propre colère<br />

indignée et paralysé par sa propre irrésolution se surprend en train d'haranguer<br />

la foule et la conduire à IFaction. Par ce geste spontahé, il se délivre<br />

de sea luttes intérieures et des réflexions sur la nature de. son geste.<br />

Pourtant il est surpris par l'ampleur du mouvement qu'il a lanceS. La<br />

foule avait décidé de transformer le mouvement de protestation en une marche.<br />

Une démonstration de cette ampleur devait attirer nécessairement les forces<br />

de police. Le narrateur dans ces conditions n'a autres ressources que de fuir.<br />

Il est aidé dans sa fuite par une jeune fille blanche qui lui indique<br />

le chemin non sans l'avoir auparavant félicité pour son discours. Le narrateur<br />

pris de court par cette sollicitude soudaine flaire un piège derrière l'attitude<br />

amicale de la jeune personne. Ce qu'il ignore, c'est que son discours<br />

l'avait désigné à l'attention des Blancs dont certains mêmes avaient aidé la<br />

foule à rentrer les meubles, et qu'à son insu, l'un d'eux l'avait suivi. C'est<br />

le frère Jack qui lui propose, au terme d'une conversation sur l'histoire et<br />

la nécessité historique de l'engager dans son organisation, qu'il appelle la<br />

Confrèrie, en qualité d'orateur, chargé d'exprimer les griefs et d'oeuvrer


- 115 -<br />

dans l'intérêt de ses frères de race. Le narrateur d'abord réticent (parce<br />

que selon lui "c'était se servir de moi pour quelque chose. Tout le monde<br />

voulait vous utiliser dans tel ou tel dessein"(1)) finit sous le coup de la<br />

nécessité par accepter.<br />

La première rencontre avec les membres de la Confrérie n'est pourtant<br />

pas dépourvue d'ambiguités. En effet, malgré l'idéologie progressiste dont<br />

ils se réclament, les membres de cette association qui, prétenda~ent, a vocation<br />

d'unir tous les hommes quelle que soit la couleur de leur peau dans<br />

une vaste confraternité, ne sont pas libérés de leurs préjugés anti-nègres.<br />

Ainsi, une militante ~éprouvée" trouve que le narrateur n'est pas assez noir,<br />

ce qui laisse entrevoir que la présence du narrateur au mmlieu de la masse<br />

des militants blancs ne répond qu'à un simple souci d'inclure dans leur groupe<br />

un Noir de temps à autre, .afin de soigner leur réputation de progressiste<br />

ou pour la couleur locale. Le narrateur,mal à l'aise,se demande si par hasard<br />

elle ne désirerait pas le voir suer le coaltar, l'encre, le cirage ou la<br />

plombagine et s'il était toujours à ses yeux un homme ou une ressource naturelle(2).<br />

Un autre militant lui affirme qu'il était celui qu'on attendait pour<br />

chanter les spirituals et les blues. L'amuseur public en somme. Une telle insinuation<br />

offensante, fait observer frère Jack, est la manifestation d'un<br />

chauvinisme racial inconscient. Le narrateur, écartelé entre la conviction<br />

qu'il y avait du plaisir à chanter les spirituals et les blues et l'insinuation<br />

rétrograde qui se profile derri~re la proposition du militant, se contente<br />

de partir d'un rire qui traduit l'ambiguité de la situation dans laquelle<br />

il se trouve.<br />

En invitant le narrateur à:"'se joindre au groupe de frères réunis au<br />

Chthonian, frère Jack voulait l'informer sur les objectifs de la Confrérie<br />

qui lutte contre les "ennemis de l'homme qui sont en train de déposséder le<br />

monde". Vu de l'intérieur, l'association apparaissait aU narrateur comme une<br />

espèce de société secrète dont le but est d'impulser ou d'infléchir la marche<br />

des événements dans le pays:<br />

" C'est à la fois incroyable et singulièrement excitant,<br />

convint le narrateur i~pressionné; j'avais l'impression d'assister<br />

à la genèse d'év~nements importants, d'8tre admis,<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p<br />

(2) Ibid., p 293


- 116 -<br />

"derrière un rideau écarté, à entrevoir de quelle façon le<br />

pays opérait. Et cependant, aucun de ces hommes n'était connu,<br />

ou du moins je n'avais jamais vu leur photo dans la<br />

presse."(1)<br />

Si comme on a tout lieu de croire la Confrérie symbolise le Parti Communiste<br />

des Etats-Unis(2), on peut alors affirmer que la stratégie développée<br />

par la Confrérie est celle du Front Populaire lancée par le Pouvement Communiste<br />

International dans les années 1930 en vue de contrer la montée du fascisme.<br />

Ainsi se comprend le concours que frère Jack espère avoir des héros<br />

morts dont il évoque le souvenir:<br />

" Chaque fois qu'ils (les morts) entendent les cris impérieux<br />

du peuple dans une crise, les morts répondent. Et en ce moment<br />

même, dans ce pays, avec sa variété de groupes nationaux,<br />

tous les anciens héros sont rappelés à la vie -Jefferson,<br />

Jackson, Pulaski, Garibaldi, Booker T. Washington, Sun Yat<br />

Sen, Dan~ O'Co~Del, Abraham Lincoln, et des myriades d'autres,<br />

se voient invités à parattre une fois encore sur la<br />

scène de l'histoire. Je ne dirai jamais avec assez de force<br />

que nous nous trouvons à un point terminal de l'histoire~<br />

une époq~e de supr@me crise mondiale. L'anéantissement est<br />

au bout si rien ne change. Et il faut que les choses changent,<br />

il le faut. Et c'est au peuple que revient cette tâche.<br />

Tant il est vrai, frère, que les ermenis de l 'homme sont<br />

en train de déposséder le monde."(3)<br />

Cet appel à l'union sacrée et au sentiment national n'est au fond qu'<br />

une tactique passagère qui répond à une situation de crise moment~ée • C'est<br />

la raison pour laquelle frère Jack peut solliciter p@le-m@le les héros nationaux<br />

de chaque groupe ethnique sans paraftre en contradiction avec lui-m@me.<br />

(1) R. Ellison,_op.cit., p 295<br />

(2) Quoique R· Ellison se soit maintes fois défendu d'assimiler la Confrérie<br />

au Parti Communiste des Etats-Unis, beaucoup d'éléments convergent qui appellent<br />

à pareille interprétation.<br />

-Le frère Jack est présenté comme rouquin(il a les cheveux rouges) couleur<br />

qui est celle du Parti Communiste) et parle une langue étrangère(probablement<br />

le Russe) ce qui laisse entendre qu'il est étranger ou chargé de représenter<br />

les intérêts étrangers.<br />

-La Confrérie est résolument matérialiste et la matérialisme historique<br />

est sa philosophie de l'histoire. Elle prône le rationalisme et fait de la<br />

lutte idéologique une nécessité.<br />

-Elle s'entoure de secret et a une peur panique des ennemis et des espions.<br />

Dans une sorte de demi-aveu, R. Ellison rappelle que quand bien même,<br />

ce serait le Parti- Communiste, ce sont aussi des Blancs.<br />

(3) .R. Ellison, op.cit., p 296


- 117 -<br />

C'est aussi ce qui explique<br />

la rapidité avec laquelle il engage le narrateur<br />

alors que la Confrérie fonctionne sur le mode d'une société secrète. Si tant<br />

est que la résurrection des héros du passé répond à une nécessité du moment,<br />

l'alliance conclue entre les différents groupes ne peut être que temporaire.<br />

Pour l'heure, frère Jack se contente de parler en termes d'efficacité<br />

et dans cet ordre d'idées enjoint à son nouvel employé,qu'il dote de nouveaux<br />

papiers d'identité, de quitter sa logeuse. En m~me<br />

temps il lui ordonne de<br />

prendre connaissance avec les spécimens de littérature déposés dans sa nouvelle<br />

chambre dans le quartier, car il devait le soir même prononcer un discours<br />

lors d'une réunion à Harlem.<br />

Le narrateur exécute avec diligence ces ordres et se retrouve sans s'y<br />

@tre préparé à Harlem pour prononcer un discours. Le test semble être positif,<br />

parce que à la fin de son allocution, la foule transportée par son éloquence<br />

et l'émotion de sa parole, vibre d'enthousiasme et l'applaudit à tout rompre.<br />

Au milieu de ces manifestations de joie, des voix discordantes s'élèvent pourtant<br />

pour reprocher au narrateur -dont c'était rappelons-le, la première allocution,<br />

un allocution impréparée- d'avoir prononcé ''un discours extravagant,<br />

hystérique et politiquement irresponsable et dangereux; et ce qui est pis, incorrect"(1).<br />

Le:noeud du désaccord selon ceux qui lui en faisaient le reproche,<br />

était que la façon dont le narrateur s'était exprimé était contraire à<br />

la démarche scientifique. En outre son discours était réactionnaire car faisant<br />

appel aux sentiments des gens plutet qu'à leur intellignce, aussi, "loin<br />

de réfléchir, l'auditoireest en.train de s'étourdir de hurlements."(2)<br />

Comme<br />

le fait remarquer un des membres de la Confrérie,<br />

" Notre point de vue est un point de we œtionel. Nous sommes<br />

les champions d'une manière scientifique d'envisager<br />

la société, et un discours comme celui que nous venons de<br />

cautionner ce soir détruit tout ce qui a été dit précédemment.<br />

"(3)<br />

Dans ce concert d'opinions. hostiles, frère Jack seul prend la défense<br />

du narrateur pour montrer aux "savants bardés de muscles" qu'ils bondissent<br />

en avant de l'histoire, parce que, précise t-il à leur intention:<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 335<br />

(2) Ibid., p 336<br />

(3) Ibid., p 335


- 118 -<br />

"Et je ne devrais pas avoir à vous dire, à vous, théoriciens,<br />

que la science fonde ses jugements sur l'expérience! Vous<br />

tirez vos conclusions hâtives avant que l'expérience ait suivi<br />

son cours. En fait, ce qui se produit ici ce soir,~n'est qu<br />

un pas dans l'expérience, le degré initial, la libération de<br />

l'énergie. Je comprends fort bien que cela puisse éveiller<br />

des craintes en vous(vous avez peur de passer à l'étape suivante),<br />

car il vous appartient d'organiser cette énergie.<br />

Eh, bien, elle va l'être, organisée, et pas par une poignée<br />

de timides théoriciens ratiocinant dans le vide."(1)<br />

Tout n'est pas perdu cependant pour le narrateur malgré l'hostilité de<br />

ceux qui, informés par un conception positiviste de l'histoire et des rapports<br />

humains veulent sacrifier tout appel à la subjectivité et aux sentiments au<br />

profit de la science. Mieux, ce sont ces derniers qui s'accordent sur la nécessité<br />

qu'il y<br />

a pour lui de parfaire son éducation scientifique et sa formation<br />

idéologique. Pour cela, il est confié à un certain Hambro, théoricien<br />

en chef de la Confrérie, qui le soumet à un endoctrinement systématique pendant<br />

quatre mois de dur labeur consistant en discussions quotidiennes sur divers<br />

sujets, un sévère programme de lectures, meetings ou ré\L~ions<br />

tous les<br />

soirs. Même au cours des mondanités, le narrateur était tenu de prendre note<br />

mentalement des diverses attitudes idéologiques que révélaient les conversations<br />

des invités.<br />

Puis un soir survient frère Jack qui l'amène à Harlem où il lui apprend<br />

qu'il est désormais chef de la section. Pour le narrateur, c'e~t<br />

l'apothéose,<br />

aussi, afin de mériter la confiance placée en lui par la Confrérie, s'évertue<br />

t-i1 à faire de sa section une section dyna~ique.<br />

Sa stratégie, toute simple<br />

consistait à créer un large front d'action en associant les "authentiques chefs<br />

de la communauté" à des prograrrunes d'action ponctuelle. En dépit de leur hostilité<br />

habituelle envers la Confrérie, pense le narrateur avec raison, ils<br />

étaient obligés de coopérer "indépendamment de leurs sentiments à l'égard du<br />

mouvement sous peine de parartre hostiles aux intérêts supérieurs de la communauté"(2).<br />

Ensuite à occuper les rues et se poser en rival de Ras l'Exhorteur.<br />

Malgré tous les obstacles qui se dressent sur son chemin, il parvient<br />

rapidement à imposer le mouvement dans Harlem. Ce succès comme il le dit 1uimême,<br />

le poussa à une allure vertigineuse. Il était sollicité de toutes parts<br />

(1) R. El1ison, op.cit., p 336<br />

(2) Ibid., P 348


- 119 -<br />

et son nom était bient8t co~~u<br />

Ses pires<br />

dans toutes les sphères de la vie nationale.<br />

ennuis proviendront de cette réussite même. Les anciens membres<br />

de la Confrérie jaloux de son succès manifestent à son égard de l'hostilité.<br />

Il est encore plus assommé par une lettre anonyme qui lui conseille la<br />

prudence et la modération:<br />

" Frère,<br />

Voici le conseil d'un ami qui vous observe attentivement<br />

depuis vos débuts. N'allez pas trop vite. Continuez à travailler<br />

pour le peuple, mais n'oubliez pas que vous restez<br />

l'un de ~, et rappelez-vous que si vous prenez trop d'importance,<br />

eux vous sabreront. Vous êtes originaire du Sud,<br />

et vous savez que ce monde où nous vivons est un monde de<br />

Blancs. Aussi, écoutez un conseil d'ami, et allez-y mou, de<br />

façon à pouvoir continuer à aider les gens de couleur. Les<br />

autres ne tiennent pas à ce que vous alliez trop vite; dans<br />

ce cas, ils sont prêts à vous saquer. Ayez l'oeil•••"(1)<br />

Le narrateur, ébranlé dans sa certitude nouvellement acquise, à la réception<br />

de cette lettre, ne continuera à avancer que grâce à son planton, le frère<br />

Tarp qui lui donne une leçon de courage et de persévérance tirée de sa propre<br />

expérience. Il est resté dix-neuf ans six mois et deux jours dans une<br />

chafne de forçats et n'est parvenu à fuir que grâce à sa volonté restée inébranlable:<br />

" Ils me laissaient approcher des chiens, de temps en temps,<br />

voilà comment. J'suis devenu ami de ces cleps et j'ai attendu.<br />

Tu apprends à attendre, là-bas, j't'assure. J'ai attendu<br />

dix-neuf ans, puis un matin, quand la rivière elle débordait,<br />

je suis parti. Ils ont cru que j'faisais partie des<br />

gars qui se sont noyés quand la digue a pété, mais moi j'avais<br />

cassé ma charne, et je mrétais taillé. J'étais debout<br />

dans la vase, je tenais une pelle à long manche et je me<br />

demandais, tu peux y arriver, Tarp ? Et au-dedans de moi,<br />

j'ai dit oui. Toute cette eau, cette vase et cette pluie,<br />

elles disaient oui, et j'ai filé."(2)<br />

Afin que l'exemple de sa vie ne se perde pas pour le narrateur, Tarp<br />

-. .<br />

lui off:e le maillon de la chafne qu'il a dtt briser avant de recouVrer sa<br />

liberté. Remis en confiance par les paroles réconfortantes du vieux planton,<br />

le narrateur Be convainquit que l'auteur de la lettre ne cherchait qu'à l'em-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 369


- 120--<br />

brouiller, en jouant sur sa vieille méfiance d'homme du Sud, sur "notre" peur<br />

de la trahison des Blancs. Plus tard, il s'apercevra de la similitude entre<br />

les écritures de la lettre et celle du bout de papier où frère Jack avait<br />

marqué sa nouvelle identité.<br />

Peu après, il est déplacé de Haxlem et envoyé dans un quartier du Centre<br />

pour y faire des conférences sur le problème de la femme. Ici encore, il<br />

sera confronté à des problèmes d'un autre ordre, car bien qu'il prenne garde<br />

de"tenir le biologique et l'idéologique soigneusement séparé", nombre de soeurs<br />

s'accordaient pour trouver que "l'idéologie était un simple voile superflu<br />

devant les véritables affaires de la vie".(1) Dans ces conditions, le narrateur<br />

incapable de traoer la ligne de démarcation entre la biologie et l'idéologie<br />

succombe aux vo1ont~s des soeurs. Sa nouvelle mission le plonge dans un<br />

autre enfer où il se trouve pris entre la culpabilité et-l'innocence au point<br />

de croire que les deux sentiments n'en font qu'un.<br />

Il était toujours dans cet état de tension constante lorsque frère Jack<br />

lui annonce son retour à la tête de la section de Harlem,parce que Tod Clifton<br />

avait disparu et que Ras l'Exhorteur et sa bande y avaient repris l'initiative<br />

et y intensifaient leur agitation.<br />

A - CLIFTON OU L'AMmTUME NEE DU <strong>DE</strong>SE3POIR.<br />

-~-------------------<br />

Le narrateur revient dans sa section pour constater à son grand désarroi<br />

et à sa profonde déception que la Confrérie y était comme inexistante, morte.<br />

Le Comité avait décidé, entre temps, d'abandonner l'agitation sur les ques~<br />

tions intéressant au premier chef les Noirs. Des choses graves ignorées du<br />

narrateur s'étaient passées au point de "tuer dans l'oeuf l'intérêt des adhérents,<br />

( ••• ) mais aussi pour les faire fuir en masse."(2)<br />

Laissé sans instructions précises, sciemment écarté des délibérations .<br />

du Comité, le narrateur prend la résolution de "remettre un peu d'ordre dans<br />

le foutoir." Et d'abord retrouver Clifton qu'il rencontre par hasard au détour<br />

d'une rue en train de vendre des pantins dansants:<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 399<br />

(2) Ibid., p 407


1<br />

- 121 -<br />

" Des pantins au large sourire, en papier de soie orange<br />

et noir avec de minces disques plats de carton en guise de<br />

t@te et de pieds, mus de bas en haut par un mécanisme mystérieux<br />

qui leur secouait les épaules, les désarticulait et<br />

les emportait dans un mouvement furieusement sensuel, une<br />

danse entièrement détachée du visage noir, semblable à un<br />

masque."(1)<br />

Clifton ne se contentait pas seulement de faire danser et de vendre à<br />

la criée ces objets ~obscènes",<br />

il accompagnait aussi leur danse par des litanies<br />

très significatives quant à la portée de son geste: le pantin disaitil,<br />

ft C'est Sambo, le pantin dansant, mesdames et messieurs,<br />

Secouez-le, tirez-le par le cou et reposez-le,<br />

- Il fera le reste. Ouit<br />

Il vous fera rire, il vous fera soupirer, sou-oupirer.<br />

Il vous donnera envie de danser, et vous fera danser•••<br />

Qu'est-ce qui le rend heureux, qu'est-ce qui le fait danser<br />

Ce Sambo, ce jambo, ce gai luron?<br />

C'est plus qu'un jouet, mesdames et messieurs,<br />

C'est Sambo, le pantin dansant, le miracle du vingtième siècle,<br />

Regardez cette rumba, cette java, c'est le noir-Sambo,<br />

Sambo-le-noir, pas besoin de le nourrir, il dort replié,<br />

il tuera votre dépression<br />

Et votre dépossession, il vit du soleil de votre sourire<br />

seigneurial. ,~(2)<br />

Le sens du geste de Tod Clifton que le narrateur,dans son adhésion<br />

flux idéaux de la Confrérie affirme ne pas comprendre, provient du fait que<br />

Clifton, déçu par la stratégie de la Confrérie, s'était fait le colporteur<br />

de Sambo-le-pantin pour exprimer une sorte de vengeance symbolique de la trahison<br />

des Noirs par la Confrérie: ils sont devenus en son sein de véritables<br />

pantins dont les Blancs tirent les fils invisibles afin de leur faire exécuter<br />

des danses macabres. Ainsi, même les radicaux et les soi-disant libéraux<br />

blancs, malgré l'égalitarisme social dont ils se réclament se révèlent incapables<br />

de se défaire de leurs préjugés. La seule voie de salut politique et<br />

social digne de ce nom,<br />

celle qui appelait à une fraternité de tous les opprimés<br />

sans distinction de race ou de religion, débouche aussi sur un oulde-sac.<br />

C'est précisément parce que T. Clifton s'est senti prisonnier de son<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 410<br />

(2) Ibid., pp 410-411


- 122 -<br />

i<br />

miltantisme et qu'en homme intègre, il était résolu à ne pas renier ses idéauxt<br />

et ses principes dont la validité n'est pas à mettre en doute, qu'il s'est<br />

vu contraint par les circonstances dé "plonger hors de l'histoire"." Ce<br />

geste d'amertume est l'expression de la profonde déception qu!il éprouve<br />

pour avoir été la dupe de bonne foi .d'une organisation qui professait 'd~<br />

principes élevés,- mais qui dans la pratique les trahissait. 1<br />

Cette attitude des libéraux et de la gauche américaine a été dénoncée<br />

par plusieurs écrivains négro-américains, fascinés par l'aspiration révolution- ,<br />

naire à la transformation sociale,avancée par ce courant politique. Le monde 1<br />

inhumain de violence et de frustration dans lequel vivaient les Noirs avait<br />

son origine, leur avait-on assuré, dans le crime bourgeois de l'exploitation<br />

de l'homme par l'homme, dont la ségrégation et la discrimination raciales .<br />

n'étaient qu'un aspect social et institutionnel.<br />

Seule la lutte commune pouvait renverser le cours des évènements. Mais<br />

dans la pratique, les intér@ts des Noirs comptaient pour de la fumée aux yeux<br />

des Blancs. Dans une interview au Harper'Magazine, Ralph Ellison , s'adressant<br />

aux jeunes écrivains noirs, déclarait, parlant des radicaux de la gauche américaine:<br />

" They fostered the myth that Communism was twentïeth-century<br />

Americanism, but to be a twentieth-century American meant,<br />

in their thinking, that you had to be more Russian than American<br />

and less Negro than either. That's how they lost the<br />

·Negroes. The communists recognized no plurality of interests<br />

and were really responding to the necessities of Soviet foreign<br />

policy and when the war came, Negroes got caught and<br />

were made expedient in the shifting of policy. Just as Negroes<br />

who fool around with them today are going to get<br />

caught in the next turn of the screw."(1)<br />

L'idée de la trahison des Noirs par les radicaux blancs n'est pas nouvelle<br />

chez R. Ellison. On la retrouve déjà dans les éditoriaux qu'il écrivait<br />

pour le NegrO Quaterly en 1943. En effet, après la violation par l'Allemagne<br />

nazie du pacte Russo-Allemand et l'entrée de l'U.R.S.S. dans la guerre, le<br />

Parti abandonna le problème noir pour se concentrer sur l'effort de guerre.<br />

Comme l'écrit Larry Neal à ce propos:<br />

1<br />

t f<br />

~'<br />

t<br />

&<br />

t<br />

1<br />

[<br />

t<br />

t<br />

t<br />

i<br />

t<br />

1<br />

! t<br />

!<br />

(1) March, 1961. In Larry Neal: "Ellison's Zoot Suit", Black World, Vol XX,<br />

n02, 1910, pp 31-50.


- 123 -<br />

1<br />

" Now that Russia was under attack, the Non-Agression Pact 1·<br />

abrogated, the Communist Party was urging i ts American Chap- .<br />

ter to de-emphal!lfse the struggle for Negro liberation and to,<br />

•.<br />

instead, concentrate on the war effort. They correctly rEa8n- ,<br />

ad that excessive political activism among Black people<br />

would only slow dovn the industrial wax machinery, thus<br />

endangering Russia by impeding the progress of the Allied<br />

struggle in Europe. AlI of this put left-wing Black intellectuals<br />

in a trick.,,( 1)<br />

C'est parce qu'il se juge victime de tels calculs politique~ somme toute<br />

sordides, que Tod Clifton, choisit, pour raconter son amertume, de vendre des<br />

pantins. Ce choix, en lui-même, est un signe<br />

de défection, de refus de poursuite<br />

de la lutte, car Clifton est incapable d'imaginer à son problème, une<br />

alternative autre que celle de Ras l'Exhorteur, défenseur d'un nationalisme<br />

séparatiste qui a tous les relents d'un racisme à rebours.<br />

... -----~<br />

B- <strong>LE</strong> NATIONALISI~ SEPARATISTE •<br />

...<br />

_-_ ... _--<br />

Ras l'Exhorteur est le deuxième élément politique que R. Ellison présente<br />

dans son roman Invisible Man.<br />

Il rappelle étrangement Marcus Garvey qui a<br />

été un leader charismatique, partisan d'un nationalisme noir intégriste. Les<br />

idées de Ras l'Exhorteur sont très simples: il n'est pas d'alliance possible<br />

des Noirs avec les Blancs. Ces derniers, à l'en croire, sont traîtres par<br />

nature et faux par vocation. Il est partisan de la pureté de la race dont<br />

il exalte la fierté. On se souvient en effet que lors de la première échauffourée<br />

entre la Confrérie et les partisans de Ras, ce dernier après avoir<br />

laissé la vie à Clifton lui tint ces propos:<br />

" - T'es mon frère, à moi, mon vieux. Les frères sont de<br />

la même couleur. Nom de Dieu, comment tu peux appeler ces<br />

Blancs frères? C'est de la merde, ces Blancs. De la merde.<br />

Les frères sont de la même couleur. Nous, on est fils de<br />

Maman Afrique, t'as oublié? T'es Noir, Noir! ••• T'as de<br />

sales cheveux! T'as des lèvres épaisses! Y disent que tu<br />

pues! Ils te détestent, mon vieux. Y te trahiront. Cette<br />

merde, c'est du passé. Y nous foutent en esclavage, tu oublies<br />

ça ? Alors, comment ils peuvent vouloir du bien à un<br />

Noir? Comment ils vont être ton frère ?"(2)<br />

(1) Larry Neal, Qp. cit., p 65<br />

(2) R. Ellison , op. cit., p 354


- 124 -<br />

1 t<br />

Pour Ras, l'idéal véhiculé par la Confrérie qui appelle à l'union de<br />

tous les hommes quelle que soit la couleur de leur peau, est une mystification.<br />

Seule compte pour lui la fraternité fondée sur la couleur de la peau.<br />

Partant, tout ce qui est Blanc se range dans le camp de l'ennemi; tous les<br />

Noirs sont en revanche frères. C'est cette idéologie fondée sur la couleur<br />

de la peau qui doit tout régir: la politique: ht religion, l'économie, tout<br />

doit être interprété en termes de race. Et la race noble, la race élue, c'est<br />

pour Ras l'Exhorteur, la race noire. C'est pourquoi, il exclut toute collaboration<br />

de race(1). Militer dans une organisation blanche, et qui pis est,<br />

frayer avec des femmes blanches est une forme de haute trahison que n'expliquerait<br />

m@me pas l'attrait des femmes -puisque ces "putains de femmes blanches<br />

n'ont même pas de sang dans les veines"- encore moins de l'argent, parce<br />

que leur"foutue oseille", "leur argent il saigne le sang noir. Il est impur!<br />

C'est dégueulasse, de prendre leur argent. De l'argent sans dignité -c'est<br />

vraiment de la merde".(2)<br />

Ni le narrateur, ni Clitton ne purent rester indifférents, encore<br />

moins insensibles à l'éloquence agreste de Ras. Quoique le narrateur lui conseille<br />

de penser avec sa t@te et non pas avec ses émotions s'il ne veut pas<br />

se perdre dans le remous de l'histoire, il est ébranlé par Ras au point de<br />

vouloir l'écraser. Mais ainsi que le lui rappelle Clifton, "c'est de 1'intérieur<br />

que Ras est fort. Sur l'intérieur, il dangereux."(3) Lorsque le narrateur<br />

envahi par une bouffée de souvenirs lui rappelant l'horreur de la mêlée<br />

générale, essaie d'entratner Clifton, celui-ci fasciné "ne quittait pas Ras<br />

des yeux et résistait à mes efforts pour l'entratner."(4) Le seul argument<br />

que Clifton trouva à opposer à Ras fut de l'envoyer à terre d'un coup de poing.<br />

Quoiqu'il rejette par son geste la théorie raciste et le nationalisme étriqué<br />

de Ras, il sait que ce dernier jouant en priorité sur les sentiments a de fortes<br />

chances de l'emporter sur lui, et sur. la Confrérie. La base sur laquelle<br />

il a fondé son parti lui permet de se poser, pour beaucoup de Noirs, comme<br />

une sorte de rédempteur. Et cela Clifton le sait, quand il affirme:<br />

(1) A ce propos, cette déclaration très significative de Marcus Garvey:<br />

(2) R. Ellison, op.cit., p 355.<br />

(3) Ibid., p 359.<br />

(4) Ibid., p 355.


J<br />

- 125 -<br />

ḷ<br />

" J'imagine qu'il y a des moments où un homme doit se jeter I·. ...•.•...•<br />

hors de l'histoire••• Se précipiter dehors, tourner le dos... •<br />

Sans lça, il risque de tuer quelqu'un, de perdre la boule."(1)<br />

On peut donc comprendre pourquoi il laisse couler des larmes au moment<br />

de se séparer de Ras. Ce sont des larmes de pitié et de compassion d'un homme<br />

qui est assez au fait du monde pour se rendre compte que la voie dans laquelle<br />

s'engage son frère mène à une impasse (et peut-être pire) mais qui se<br />

sait incapable de l'arr@ter. Comme le note J. Baumbach:<br />

" Clifton is sympathetic to Ras's mà>tives, but he is nevertheless<br />

too civilized to accept his methods. The Brotherhood,<br />

then, wi th i ts cant of "historic necessity" represents<br />

to Clifton the enlightened alternative to racist:violence<br />

through which the Negro-œn effect hilS proteste"(2)<br />

En provoquant donc l'agent de police qui lui interdisait de vendre des<br />

pantins sans autorisation au point d'obliger ce dernier à tirer sur lui, Clifton<br />

voulait de propos délibéré en finir avec la vie parce qu'il ne lui restait<br />

pas d'autres alternatives en dehors de celles qu'il a déjà essayées. Il ne<br />

peut pas retourner à la stratégie et à l'idéologie de Ras, ce serait une<br />

déchéance indigne de lui; il ne lui est pas possible non plus de continuer<br />

à militer au sein de la Confrérie pour laquelle ses intér@ts comptent pour<br />

rien; et voilà que de surcroft, il lui est interdit de "plonger en dehors de<br />

l'histoire", c'est-à-dire de dévoiler les pratiques cyniques de la Confrérie<br />

et mettre en garde ceux qui comme le narrateur refuse de se dépouiller de<br />

leurs illusions. Ainsi quand le narrateur pris d'une colère subite avait réduit<br />

les pantins de Clifton en un tas de guenilles flétries en papier de soie,<br />

la foule indignée s'était retournée contre lui finalement pour l'identifier<br />

avec le pantin:<br />

" Je vis un petit bonhomme bedonnant regarder à terre, puis<br />

lever les yeux avec stupéfaction et éclater de rire, en<br />

désignant tour à tour le pantin et moi, dans un mouvement<br />

de balance. Des gens reculèrent pour s'éloigner de moi."(3)<br />

Ainsi le narrateur refuse le suicide à la manière de Tod Clitton, et<br />

continue de militer au sein de la Confrérie. Il ne comprend pas pourquoi un<br />

1<br />

f<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 359<br />

(2) J. Baumbach, "Nightmare of a Native Son", in Landscape of Nieihtmare,<br />

New-York, New-York University Press, 1965, p 80<br />

(3) R. Ellison, op.Cit., p 412<br />

t<br />

!


- 126 -<br />

homme peut plonger délibérément en dehors de l'histoire et se faire le colporteur<br />

d'une saloperie:<br />

" Comment peut-il choisir de se désarmer, de renon~er à se<br />

faire entendre et de quitter la seule organisation qui lui<br />

offre une chance de se "définir" ? •• Pourquoi avoir choisi<br />

de plonger dans le néant, dans le vide des visages sans<br />

traits, de voix sans timbre, qui s'étendait en dehors de<br />

l'histoire ?"(1)<br />

C - LA NECESSITE HISTORIQUE: UN <strong>LE</strong>URRE ?<br />

--- .... _------_ ... -------<br />

Pourtant le narrateur ne se berce pas d'illusions quant à la portée<br />

réelle de l'histoire. Car, s'il est exact qu'elle offre des exemples de tout,<br />

et que toutes choses d'importance y sont dOment enregistrées, il n'en demeure<br />

pas moins que celui qui consigne les événements ne le fait que suivant<br />

son propre point de vue. Celui qui a survécu aux événements et qui transcrit<br />

l'histoire la falsifie d'une manière ou d'une autre, qu'il p@che par omission<br />

ou par commission:<br />

" Car en réalité, ne sont consignées que les choses vues,<br />

sues, entendues, que les év~nements importants aux yeux<br />

de l'enregistreur, ces mensonges par lesquels ses gardiens<br />

se conservent la puissance."(2)<br />

Ainsi, justice ne sera jamais rendue à Clifton et la portée de son<br />

geste sera vidée de tout contenu positif, aussi bien par ses bourreaux que<br />

par la Confrérie qui se moque aussi bien de sa mort, qu'elle s'est jouée de<br />

lui de son vivant. C'est pourquoi le Comité directeur de l'organisation<br />

condamne le narrateur pour avoir pris l'initiative d'organiser pour Clifton<br />

des funérailles publiques, même si c'était là une occasion de tirer la foule<br />

de son apathie, et lui "faire savoir que la signification de sa mort était<br />

plus grande que l'incident ou l'objet qui l'avait provoquée."(3) C'était,<br />

pensait le narrateur, à la fois un moyen de le venger et de prévenir d'autres<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 416<br />

(2) Ibid., pp 416-411<br />

(3) Ibid., p 425


- 127 -<br />

morts semblables, et cela malgré la répugnance personnelle que provoquait en<br />

lui la vue de ces pantins, dont la vente constituait, à en croire le narrateur,<br />

non seulement un acte de trahison, mais aussi un suicide politique:<br />

" L'équivalent politique d'un divertissement de ce genre, c'est la mort."(n<br />

Mais le Comité désapprouve totalement l'initiative du narrateur d'organiser<br />

des funérailles publiques pour Clifton, parce que ce faisant "il a<br />

agi sans instructions expresses et suivant des considérations racistes," et<br />

. . .<br />

que sous sa direction ~ traitre, qui vendaït d'ignobles instruments du<br />

fanatisme raciste anti-noir et anti-minorité, a reçu les funérailles d'un<br />

héros"(2). Toutes les tentatives du narrateur pour se justifier et expliquer<br />

le bien-fondé de sa décision sont tournées en ridicule par frère Jack et ses<br />

pairs avec une ironie cinglante. Ce qui compte pour le Comité c'est la discipline<br />

et non des initiatives personnelles sous "sa responsabilité personnelle".<br />

Parce que les "militants politiques ne sont pas des personnes personnelles."(3)<br />

D'ailleurs frère Jack le lui signifie sans ménagement: il n'a pas été "embauché<br />

pour penser"(4), ce rôle est dévolu au Comité qui l'assume pour tous:<br />

" Pour nous tous le Comité assume le raIe de penseur. Je<br />

dis bien, pour nous tous.( ••• ) Nous fournissons toutes les<br />

idées. Et nous en avons de subtiles. Les idées font partie<br />

de notre appareil. Les idées convenables pour l'occasion<br />

convenable, à l'exclusion de tout autre."(5)<br />

Il n'est donc pas question de faire une exception d'Harlem. En fait<br />

Harlem n'est qu'une goutte d'eau dans la mer de la dialectique pour les éminents<br />

stratèges et dialecticiens redoutables du Comité qui ont la martrise<br />

de "la vue de loin, la vue de près et la vue d'ensemble."(6) Et la vue de<br />

l'ensemble du tableau recommandait l·abandon des manifestations devenues<br />

désormais inefficaces, "parce que les foules de ce genre (celle qui avait<br />

accompagné la dépouille mortelle de Tod Clifton) ne sont que notre matière<br />

première, une de ces matières premières à modeler selon notre programme.''(7)><br />

Il n'était donc plus question de revenir sur ce genre de manifestation même<br />

si naguère elles avaient été efficaces.<br />

(1)<br />

(2)<br />

(3)<br />

(4)<br />

(5)<br />

(6)<br />

(7)<br />

R. Ellison, op.cit.,<br />

Ibid., p 443<br />

Ibid., p 443<br />

Ibid., p 446<br />

Ibid., p 446<br />

Ibid., p 447<br />

Ibid., p 448<br />

p 424


- 128 -<br />

Cependant la vue que frère Jack a des choses est unilatérale, c'està-dire<br />

déformée. En effet, il est borgne. Son second oeil est un oeil de cristal,<br />

un oeil de verre. "Un oeil blanc couleur de petit lait, déformé par les<br />

rayons lumineux."(1) Il ne voit qu'une partie de la réalité et la prend pour<br />

la totalité. Et OG qui est pire, il est prêt à se faire tuer pour ses idées.<br />

N'a t-il pas perdu son oeil en accomplissant son devoir?<br />

" On m'avait donné l'ordre de mener à bonne fin un objectif<br />

et je l'ai fait. Vous comprenez? Bien qu'il m'ait fallu<br />

perdre un oeil pour yarriver••• (2)<br />

Ce sacrifice, il l'appelle discipline et c'est la même chose qu'il exige<br />

du narrateur et des Noirs. Mais si la discipline implique le sacrifice,<br />

elle conduit aussi, dans le cas d'espèce, à la cécité et en dernière analyse<br />

à une sorte de mort.<br />

En s'apercevant de cette vérité, le narrateur réalise qu'il s'était<br />

retrouvé à son point de départ comme un boomerang et que tous comptes faits,<br />

il n' existe pePs~8ssieu Jack le "phare-borgne", lui et les autres. Il ne lui<br />

reste concrètement qu'à se faire violence, à accepter<br />

de "ne pas me voir<br />

comme les autres ne me voient pas. "(3), ou alors quitter la Confrérie et par<br />

là-même abandonner tout ce qui avait pu donner un sens à sa vie. Il choisit<br />

finalement de rester, de garder le contact, de lutter tout en sachant "qu'après<br />

cette nuit, il ne sera jamais le m~me,<br />

parce que, explique t-il, '~e<br />

CHfton. ,,( 4)<br />

ni d'apparence, ni de sentiments"<br />

partie de moi aussi, était morte avec Tod<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 450<br />

(2) Ibid., P 450<br />

(3) Ibid., p 452<br />

(4) Ibid., p 453


- 129 -<br />

IV - RlNEHART, <strong>LE</strong> VIRTUOSE <strong>DE</strong> L'I<strong>DE</strong>NTITE.<br />

C'est dans cet état d'esprit que le narrateur, conformément aux ukases<br />

du Comité, se rend chez Hambro son ancien instructeur, pour y ~tre<br />

informé<br />

du:~ouveau programme. Chemin faisant, il rencontre au détour d'une rue Ras<br />

l'Exhorteur qui avait repris du mordant et qui profitait de l'occasion offerta<br />

par la mort de Clifton pour se répandre en invectives contre la Confrérie<br />

et tous les agents stipendiés de "l'esclavagiste blanc" à Harlem, singulièrement<br />

le narrateur qu'il accuse d'avoir déserté la communauté au moment<br />

où "nos femmes et nos bébés souffrants" avaient le plus grand besoin de lui.<br />

Malgré les justifications qué.· tente ,de;donner oe dermer . -justifications<br />

qu*i1 sait d'ailleurs sans force de conviction- Ras l'attaque. Le narrateur<br />

ne doit son salut qu'à la sollicitude d'un portier de cinéma.<br />

Alors qu'il attendait un taxi, pour le conduire chez Hambro -car il<br />

savait que les sbires de Ras, tapis dans un coin, le guettait toujours- il<br />

lui vient à l'esprit de se déguiser afin d'échapper à ses poursuivants. Il<br />

ne s'est pas plus t6t affublé d'un canotier et de lunettes noires comme les<br />

sots imitateurs des dadas hollywoodiens, qu'il subit une métamorphose étrange.<br />

Personne ne le reconnaft, ni ses amis, ni Ras et ses hommes de main vers qui<br />

il revient en toute quiétude comme pour les braver pendant que de leur c6té,<br />

ils se concertaient sur la meilleure manière de mettre à feu et à sang tout<br />

ce qui est blanc ou appartient aux Blancs. Le narrateur est saisi d'exoitation<br />

par cette transformation soudaine:<br />

" Ils ne m'avaient pas reconnu, s'exclame t-i1. C'est le<br />

chapeau qu'ils voient, pas moi. Il est comme magique. Il<br />

me dissimule à leurs regards sous leurs yeux m@mes •••"(1)<br />

Son étonnement est encore plus grand lorsque tout le monde l'aborde<br />

familièrement et l'appelle Rinehart. Le narrateur en reste sidéré:<br />

" Tout se passait, se dit-il, comme si en m' habillant<br />

d'une façon et en adoptant une certaine démarche, je m'étais<br />

enr61é dans une fraternité où l'on me reconnaissait<br />

au premier coup d'oeil -pas par la physionomie, mais par<br />

les v~tements, l'uniforme, l'a11ure."(2)<br />

(1) R. E11ison, op.cit., p 460<br />

(2) Ibid., p 460


- 130 -<br />

C'est ainsi qu'une jeune personne le prend à tort pour son amoureux,<br />

en l'occurrence Rinehart. Pour d'autres il est joueur de loteries, "celui<br />

qui apporte la manne, et qui opère des miracles, celui qui transforme des<br />

pièces de jetons en grosses coupures de dollars, et qui de ce fait exploite<br />

les pauvres."(1) Rinehart est aussi de connivence avec la police qu'il corrompt.<br />

Il se fait passer encore pour pasteur, le Révérend B.P.R.(Bliss Proteus<br />

Rinehart), "technologue de l'Esprit, fondateur de la Nouvelle Révélation<br />

de la Religion des Temps Anciens, celui qui contemple le "vu inaperçu", qui<br />

opère des "prodiges inconnus", voit tout, sait tout, dit tout, guérit tout."(2)<br />

Devant la révélation des multiples personnalités de Rinehart, le narrateur<br />

ne peut qu'avouer sa fascination:<br />

" Mais tout de même, s'interroge le narrateur, pouvait-il<br />

@tre tous ces personnages: Rine le courtier de loterie,<br />

Rine le joueur, Rine le corrupteur, Rine l'amant, et Rine<br />

le Révérend? Pouvait-il @tre à la fois l'écorce et le<br />

coeur ? ,,( 3)<br />

Et pourtant, il n'était pas possible de douter de son existence. C'était<br />

un homme de talent qui avait plus d'une corde à son arc. " Il était aussi<br />

vrai que moi,<br />

j'étais vrai", poursuit le narrateur qui ajoute: " son monde<br />

était un monde possible et il le savait. Il avait des années d'avance sur<br />

moi; j'étais un imbécile••• Le monde où nous vivions n'avait pas de frontières.<br />

Un monde de fluidité, brdlant, immense, bouillonnant, et Rine la canaille<br />

était chez lui. Peut-@tre Rine la canaille était-il seul à s'y retrouver<br />

à l'aise. C'est incroyable, mais peut-@tre ne pouvait-on croire qu'à l'incroyable."(4)<br />

La découverte de Rinehart fascine et déprime en m@me<br />

temps le narrateur.<br />

Il voudrait l'approcher et le connartre de près afin de le classer politiquement.<br />

Une telle démarche lui apparart pourtant inutile parce que,<br />

dit-il,<br />

" le simple fait d'avoir pris conscience de son existence,<br />

d'avoir été pris pour lui, suffit à me convaincre que Rinehart<br />

est bien réel. Ca paratt impossible, mais cela existe.<br />

Ca peut exister et ça existe, parce que ça passe inaperçu.<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 56<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible, Pour Qui 6hantes-tu ? p 469<br />

(3) Ibid., p 411<br />

(4) Ibid., pp 411-412


f<br />

- 131 -<br />

" Jack serait incapable d'imaginer une telle possibilité,<br />

pas plus que Tobitt, qui se croit pourtant si au courant.<br />

On ignorait trop de choses, trop de choses restaient dans<br />

l'ombre."(1)<br />

Et. ~e sont justement ces choses cachées qui influent sur le cours des<br />

événements et leur impriment des mouvements bizarres. Ainsi la décision du<br />

Comité d'ignorer les intérêts spécifiques des Noirs. Si Rinehart pouvait<br />

prospérer dans l'ombre, pourquoi le narrateur n'en ferait-il pas autant?<br />

Car d·avoir été mis au courant du phénomène lui a donné la sensation qu'on<br />

venait de lui enlever un plâtre et lui a conféré une liberté de mouvements<br />

inaccoutumée. Il peut, s'il le veut, faire de lui-même un homme nouveau, en<br />

adoptant la stratégie de ce nouveau Protée, en se saisissant des possibilités<br />

offertes par les multiples personnalités de Rinehart, et ce faisant, mener le<br />

monde à sa guise, ou tout au moins, s'en accommoder de façon profitable. Cela<br />

est possible dans le Nord, ce saut dans l'inconnu, où on peut pendant des<br />

jours arpenter les rues de la grande cité sans rencontrer de connaissance.<br />

Les perspectives sont insoupçonnées, dans ce monde aux frontières abolies.<br />

Il avait voulu simplement se déguiser, voilà que son déguisement devient un<br />

instrument politique qui lui révèle une nouvelle section de la réalité, une<br />

réalité qui échappait aux catégories théori~ues élaborées par le Comité. Le<br />

narrateur, après avoir contemplé toutes les possibilités mirobolantes révélées<br />

par Rinehart, détourne finalement les yeux. Il ne veut pas être l'émule<br />

d'une telle personne. L'être c'est choisir de vivre dans la fluidité èt le<br />

chaos. Car à la limite, ce que représente Rinehart est la dissolution et l'aliénation<br />

absolues du moi, ce qui est à l'opposé de toute quête d'identité.<br />

En réalité, comme le fait observer Tony Tanner, Rinehart, n'est pas tant un<br />

homme qu'un phénomène dont il faut connattre l'existence, ou mieux une stratégie<br />

dont il faut être conscient. Il représente une des multiples possibilités<br />

offertes au narrateur pour déjouer les plans préétablis et toujours changeants<br />

de ceux qui veulent l'utiliser non comme une fin mais comme un vulgaire<br />

moyen.<br />

r<br />

1<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 412.


- 132 -<br />

Après s'être éloigné du phénomène Rinehart, en proie au doute quant<br />

à la démarche à adopter, le narrateur, afin de s'assurer qu'il n'était pas<br />

la victime d'une berlue, se dirige vers la demeure de son ancien martre,<br />

Hambro. Ce dernier lui révèle le "plan supérieur" établi par le Comité, plan<br />

qui consistait à sacrifier les adhérents de Harlem à leur insu. Un tel revirement<br />

trouve son explication dans le fait que la Confrérie était "en train<br />

de conclure des alliances te~poraires avec d'autres groupes politiques et<br />

les intérêts d'un groupe de frères doivent être sacrifiés à celui de l'ensemble."(1)<br />

C'est pour cela que la section de Harlem est appelée à consentir les<br />

plus grands sacrifices. C'est aussi pour la même raison qu'il faut "les tromper<br />

dans leur propre intérêt". Alors que le narrateur aurait voulu l'égalité<br />

dans le sacrifice, il constate qu'après avoir considéré les Noirs comme des<br />

~tres<br />

inexistants en son sein, la Confrérie s'engageait maintenant à les<br />

sacrifier avec un cynisme total qu'elle baptise du nom pompeux "d'objectivité<br />

scientifique". On ne peut qu'être d'accord avec le narrateur ~i qualifie<br />

cette sorte d'objectivité de mécanique, parce qu'elle ne laisse pas de place<br />

aux facteurs subjectifs. Le narrateur se retrouve dans une position intenable:<br />

il était à la fois sacrificateur et victime. Sacrificateur des intérêts<br />

et des aspirations de ses ~rères<br />

de race; en même temps il est victime<br />

du cynisme du Comité au même titre que tous les militants noirs. A entendre<br />

les propos de Hambro, il se vit encore une fois prisonnier des plans<br />

d'autrui. Alors il s'exclame, indigné:<br />

" Regardez-moi! Mais regardez-moi, moi! dis-je. De quelque<br />

c~té que je me sois tourné, il s'est toujours trouvé quelqu'un<br />

pour désirer me sacrifier pour mon bien. Seulement,<br />

c'était les autres qui en tiraient avantage. Et nous voilà<br />

repartis sur le vieux manège du sacrifice. A quel instant<br />

précis nous arrêtons-nous ? Sommes-nous en présence de la<br />

nouvelle vraie définition, la Confrérie a t-elle pour objet<br />

le sacrifice des faibles ?"(2)<br />

Le narrateur aboutit donc à la même conclusion que Tod Clifton: tout<br />

au long de son séjour au sein de la Confrérie, il n'a été qu'un Pantin, "sacrificateur<br />

et charlatan pour les siens", en même temps qu'il "appliquait l'a<br />

lame du couteau sur sa propre gorge."(3) Pour la Confrérie, il n'est rien<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 415<br />

(2) Ibid., p 418<br />

(3) Ibid., p 419


- 133 -<br />

moins qu'un pion sur un échiquier.<br />

" Mon ambition et mon intégrité ne les concernaient pas,<br />

et mon échec n'avait pas plus de signification que celui<br />

de Clifton. C'était comme ça depuis toujours."(1)<br />

Maintenant qu'il a découvert la réalité de sa situation, il accepte<br />

d'en assumer la responsabilité. Contrairement à Tod Clifton qui abandonne la<br />

lutte et commet un suicide, le narrateur décide de la poursuivre au sein de<br />

la Confrérie toujours. Mais il mènera son combat sur une base ambiguë, à l'instar<br />

de Rinehart:<br />

" Je pourrais peut-être leur dire (aux militants de Harlem)<br />

d'espérer jusqu'à ce .que j'aie trouvé la base. de quelque.<br />

chose de réel, un terrain solide pour l'action qui les mènerait<br />

jusque sur le plan de l'histoire. Mais en attendant,<br />

il faudrait les remuer sans l'être moi-même ••• J'allais devoir<br />

jouer les Rinehart."(2)<br />

Car Rinehart n'était-il pas aussi un principe d'espoir pour lequel ils<br />

payaient avec joie ?<br />

La strat~gie<br />

que le narrateur adopte pour régler ses comptes avec frère<br />

Jack et Tobitt est simple: mettre à exécution les conseils de son grand-père<br />

en noyant le Comité sous des oui. Puisqu'il existait tout en étant invisible,<br />

c'est un "monde effrayant de possibUités" qui s'offrait à lui.Il va l'exploiter<br />

à son profit; ·~tre<br />

d'accord avec frère Jack sans l'être:<br />

" J-allais être "justifieur", dit-il, ma t~che consisterait<br />

à nier l'existence de l'élément humain imprévisible de tout<br />

Harlem afin qu'il leur soit possible de ne pas le remarquer<br />

lorsque, si peu que ce soit, il risquerait de veniT contrarier<br />

leurs plans. Je devais maintenir constamment devant<br />

eux, l'image d'une masse, joyeuse, passive, joviale, réceptive,<br />

éternellement disposée à accepter tous leurs<br />

plans."(3)<br />

Puisque tout ce que le Comité voulait c'était un rot d'acquiescement, il le<br />

leur lâcherait comme un tonnerre.<br />

" Ils voulaient une machine ? Très bien, j'allais me transformer<br />

en confirmateur ultra-sensible de leurs fausses opinions,<br />

et simplement, pour maintenir leur confiance, j'essaierais<br />

d'avoir raison de temps en temps. Oh, je les ser-<br />

(1j R. Ellison, op.cit., p 479<br />

(2 Ibid., p 480<br />

(3 Ibid., p 486


- 134 -<br />

"virais bien; et mon invisibilité, je la rendrais sensible,<br />

sinon visible, et ils apprendraient que pour la pollution,<br />

cela valait bien un cadavre en décomposition, ou un morceau<br />

de viande avariée dans un ragotlt."(1)<br />

Cependant ce n'est là qu'une tactique temporaire, une solution de réserve,<br />

car après @tre passé de l'''arrogante absurdité" de Norton et d'Emerson<br />

à celle de frère Jack et de la Confrérie, le narrateur sait qu'il ne peut être<br />

facilement dupe. Il a pris conscience de son invisibilité et sait désormais<br />

et pour de bon que tous ceux qu'il a rencontrés sur son chemin ne voyaient<br />

en lui qu'un objet, une chose, une simple ressource naturelle à utiliser.<br />

En acceptant de "jouer le jeu sans y oroire", il change complètement de<br />

perspectiye. Tout ce qui lui importe dorénavant, c'est de ne pas lâcher prise<br />

maintenant qu'il a trouvé le vrai fil de la réalité, m@me<br />

s'il se voit<br />

contraint d'utiliser des méthodes "rinehartesques" pour mieux cerner cette<br />

dernière.<br />

Malheureusement le plan qu'il a élaboré pour saper la Confrérie de l'intérieur<br />

ne marchera pas pour longtemps parce que la communauté avait commencé<br />

à craquer aux entournures et le moindre incident provoquait des rassemblements<br />

de foule:<br />

" au cours de la matinée, bris de vitrines et algarades<br />

entre conducteurs d'autobus et passagers se multiplièrent.<br />

Les journaux faisaient état d'incidents semblables survenus<br />

la nuit. La façade tout en miroirs d'un magasin de la Centvingt-cinquième<br />

rue fut brisée•••"(2)<br />

Malgré la tournure prise par les évènements, le narrateur continue de<br />

jouer le jeu de son invisibilité: il fournissait au Comité des listes truquées<br />

de nouveaux adhérents et lui faisait de faux rapports sur le comportement<br />

des habitants de Harlem. Il participe aux réunions et manifestations<br />

mondaines sans rien montrer de son angoisse intérieure. En fait, il y assiste<br />

dans le secret dessein de soutirer des révélations d'importance aux épouses<br />

des "pontes" du Comité. C'est pourquoi il s'abouche avec Sybil, une jeune<br />

dame qui à son grand désespoir ne s'intéressait nullement à la politique.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 481<br />

(2) Ibid., p 485


- 135 -<br />

Tout son désir était de se rapprocher physiquement avec le "frère-tabou-avecqui-tout-est-possible"(1).<br />

Tout son problème était de se procurer des sensations<br />

nouvelles, inédites. Elle voulait se défouler parce que dit-elle "les<br />

hommes nous ont trop réprimées. On attend de nous que nous supprimions trop<br />

de choses humaines."(2) On avait inculqué aux femmes blanches des préjugés<br />

de toutes sortes à propos des Noirs, et "il était fatal que certaines désirent<br />

essayer et se rendre compte par elles-mêmes." C'était le cas de Sybi1,<br />

pour qui le "nègre mâle" était un p81e d'attraction. Elle se sentait à'autant<br />

plus proche du narrateur qu'elle aussi subissait dans sa sooiété une<br />

sorte d'oppression du fait de sa condition féminine. Mais, après s'@tre prêté,<br />

un moment au jeu, le narrateur y renonce parce qu'il ne tenait pas à<br />

devenir un nouveau Rinehart. C'est pourquoi il se débarrasse d'elle et se dirige<br />

vers Harlem.<br />

Là, il tombe dans une émeute raciale déclenchée précisément par la perfidie<br />

et le cynisme de la Confrérie qui savait pertinemment que les Noirs,<br />

exaspérés par les sévices et les injustices dont ils étaient victimes, n'auraient<br />

d'autres recours que de se lancer dans des actions désespérées. En<br />

abandonnant Harlem à la merci des troupes de Ras, le Comité ne visait qu'à<br />

pousser les Noirs à des actes de pillage et de vandalisme. L'affrontement entre<br />

la police et la communauté blanche d'une part et les foules de pauvres<br />

Noirs était inévitable. Et puisque Harlem ne disposait pas d'armes, c'est à<br />

une extermination pure et simple qu'il courait: un meurtre dont le" plan<br />

avait été préétabli par le Comité, et dont le narrateur avait été un instrument<br />

involontaire, puisqu'il avait manifesté son accord avec les décisions<br />

du Comité. Cette émeute était le sacrifice que devaient consentir les Noirs.<br />

Ainsi que l'explique le narrateur à la foule des Noirs ~urEJXCités par les propos<br />

incendiaires de Ras par cette nuit des longs couteaux, la Confrérie les<br />

avaient abandonnés poUr que dans leur désespoir, ils suivent des irresponsables<br />

de l'acabit de Ras qui les conduiront à coup s~ à leur propre destruction,<br />

afin d'exploiter leur meurtre à des fins de propagande:<br />

(1) R. El1ison, op.cit., p 488<br />

(2) Ibid., p 491


- 136 -<br />

" Ils veulent que les foules des pauvres viennent dans les<br />

beaux quartiers avec des mitrailleuses et ues carabines.<br />

Ils veulent que les rues soient inondées de sang; votre sang,<br />

du sang noir et du sang blanc, afin de pouvoir transformer<br />

votre mort, votre douleur, votre défaite, en propagande."( 1)<br />

Y1ais ceux qu'ils supplient de revenir à la raison s'en moquent. Seule<br />

compte pour eux l'aventure dans laquelle ns ge sont lancés. Ils se réjouissent<br />

au contraire de la tournure prise par les évênements. Témoin, ce dialogue entre<br />

une femme et son mari, dialogue qui, dit le narrateur, semblait donner<br />

un sens à la nuit:<br />

" - Dehart, dit la femme, montons sur la colline, Dehart.<br />

Là-haut avec les gens respectables.<br />

- La colline, mes fesses! On décanille pas d'ici, dit<br />

l'homme. C'truc-là fait que commencer. Si ça devient, 'fectivement,<br />

une émeute raciale, je veux 'tre ici où qu'on<br />

s'laissera pas faire comme des moutons."(2)<br />

Ces mots, dit le narrateur, "frappèrent comme des balles à bout portant"<br />

car ils montraient la détermination des habitants de Harlem qui quoique convaincus<br />

qu'ils allaient vers le suicide, n'en étaient pas moins résolus à<br />

donner libre cours à leur colère et à leur agressivité longtemps contenues,<br />

à les organiser et à les canaliser en vue de la destruction systématique et<br />

gratuite. Cette émeute était pour eux une f~te,<br />

âme à y<br />

et ils mettaient toute leur<br />

prendre part. Les uns lui donnaient un caractère dr81e comme ces<br />

trois vieilles femmes aux jupes relevées pleines de boîtes de conserves, qui<br />

imploraient la miséricorde de Jésus pour leurs péchés alors qu'elles continuaient<br />

leurs actes de grivellerie.<br />

" J'peux pas cesser de pécher tout de suite, mais aie pitié,<br />

Seigneur, dit l'une d'elles. Oh oui, Jésus, aie pitié, doux<br />

Jésus."(3)<br />

Tandis que les uns voyaient dans l'événement une occasion r@vée pour<br />

piller les magasins, d'autres plus organisés avaient saisi la nuit pour mettre<br />

à exécution leurs plans de destruction systématique. Ils le faisaient de<br />

façon si méthodique que le narrateur qui les suivait, ne ressentait plus le<br />

------------------------------------- -<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 525<br />

(2) Ibid., p 520<br />

(3) Ibid., p 522


- 137 -<br />

besoin ni de les guider, ni de les quitter. Sa meilleure consolation est de<br />

constater que des masses, peuvent surgir à tout moment des leaders authentiques,<br />

capables d'initiative et qui mettent effectivement à exécution les tâches<br />

qu'ils se sont assignés, au lieu d'agir sous la férule et sous les ordres<br />

d'autrui. C'est le cas de Dupré et de Scoffield qui l'entrainent d'autorité<br />

dans leur groupe dont la mission est de détruire avec méthode et discipline<br />

les taudis d'H.L.M. où ils ont tratné une existence aussi misérable<br />

que déplorable. Il n'y avait ~D<br />

eux aucun signe d'hésitation, constate le<br />

narrateur, incapable d'intervenir ou de contester leurs projets jusqu'à leur<br />

aboutissement final. Le narrateur exulte face à ce spectacle:<br />

" Je fus tout à coup saisi d'un violent sentiment d'exaltation.<br />

Ils l'ont fait, me dis-je. Ils l'ont organisé et l'ont<br />

mené à bonne fin, tout seuls; la décision leur appartient,<br />

l'exécution leur appartient. Capables d'agir par eux-mêmes."<br />

(1)<br />

Cette remarque du narrateur appelle à un abandon et à un rejet des dirigeants<br />

stipendiés imposés par d'autres aux masses~nôires.<br />

remettre en cause, parce qu'il n'a plus sa place à la t~te<br />

Il accepte de se<br />

des Noirs. Les<br />

dirigeants authentiques de la race, peu à peu émergent de son sein, même<br />

si pour l'instant ils leur manquent la capacité de définir correctement les<br />

objectifs qu'ils veulent atteindre.<br />

L'histoire pour les masses n'est pas la réflexion aride de théoriciens<br />

à schémas préfabriqués, c'est un mouvement, ce sont des actes qui pour @tre<br />

spontanés, violents, drôles et dramatiques, n'en revêtent pas moins un caractère<br />

émancipateur. Même Ras et sa bande de destructeurs malgré la nature a­<br />

veugle de leur violence gratuite, établissent un rapport d'émancipation entre<br />

eux et leurs oppresseurs. Ce rapport· est déterminé par le fait qu'ils<br />

se confirment à eux-mêmes et aux autres dans une lutte à mort. Car comme<br />

l'écrit Renate Zahar:<br />

" L'individu qui n'a pas mis sa vie en jeu peut bien ~tre<br />

reconnu comme une personne, mais il n'a pas atteint la<br />

vérité de cette reconnaissance d'une conscience de soi indépendante.<br />

"(2)<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 516<br />

(2) Renate Z8har, L'Oeuvre de Frantz Fanon, Paris, Maspéro, 1970


J<br />

- 138 -<br />

Certes cette confirmation de soi à soi dans le cas présent, conduit au<br />

suicide collectif, car que peuvent le courage, la détermination, l'enthousiasme<br />

et la violence spontanée devant la force meurtrière des armes? C'est pour<br />

ne pas supprimer la condition première de la liberté qu'il revendique -en<br />

l'occurrence la vie,-sa vie- que le narrateur décide de s'éloigner des lieux<br />

de l'émeute.<br />

Il n'ira pas loin, car dans sa fuite il tombe sur" la b~nde de Ras l'~xhorteur<br />

devenu pour la circonstance Ras le Destructeur, qui veut transformer<br />

l'émeute en guerre de race. Alors que "tout le monde qu'essaye de s'farcir<br />

du butin", Ras lui n'est intéressé que par le sang. Il traite les pillards<br />

d'imb6ciles et leur ordonne de se joindre à lui pour défoncer les manufactures<br />

d'armes afin de se procurer des armes et des munitions. Monté sur un<br />

grand canasson noir, "vieux cheval, le genre qui tire les voitures à légumes,<br />

avec une selle de cow-boy et de grands éperons", vêtu du cost~~e d'un chef<br />

abyssin, coiffé d'une casquette de fourrure, une cape en peau de bête qauvage<br />

sur les épaules, bouclier au bras et javelot au poing, Ras, d'une dignité<br />

aussi arrogante que vulgaire paraissait plus "une silhouette issue d'un rêve<br />

plut6t que de Harlem, même du Harlem de cette nuit, et cependant réelle, vivante,<br />

terrifia.nte. n( 1)<br />

Au son de la voix de Ras, (une voix qui telle une obsession le bantait<br />

depuis le début de l'émeute) le narrateur cherche à se déguiser, à redevenir<br />

Rinehart. Mais il constate, à son désarroi que ses lunettes étaient devenues<br />

mille miettes de verre. Il ne lui est plus permis de fuir, toute fausse issue<br />

lui est fermée. Il doit affronter Ras, affronter en fait une autre dimension<br />

de son propre être. Comme Clifton naguère, le narrateur pour se débarrasser<br />

de Ras, lui arrache son javelot et l'en transperce. de part en part, rejetant<br />

ainsi le "racisme" et la nationalisme étroit qui sont autant de doctrines<br />

d'action qui s'offraient à lui. Car il sait que "Ras n'était pas draIe, ihais<br />

en plus dangereux; qu'il avait tort, tout en étant justifié, qu'il était cinglé<br />

et en même temps parfaitement sain d'esprit•••"(2)<br />

(1) R. Ellison, op.cit., pp 523-524<br />

(2) Ibid., p 530


1<br />

1<br />

i<br />

j<br />

- 139 -<br />

La foule frappée de stupeur reste un instant figée et le narrateur en<br />

profite pour détaler, avec l'intention de se réfugier chez son ancienne logeuse,<br />

Mary. Il ne parviendra jamais à destination, car en chemin il rencontre<br />

un groupe de gredins blancs qui le prennent en chasse dans le but de lui<br />

ravir son porte-documents, qui pensaient -ils, renfermait des objets précieux<br />

volés au cours de l·émeute. Le narrateur en fuite dégringole et se retrouve<br />

dans un trou à<br />

charbon dont ceux qui le poursuivaient referme le couvercle<br />

sur lui. Le narrateur lassé par toutes ces mésaventures, s'abandonne au sommeil<br />

tout en se promettant de ressortir le lendemain. Mais il déchantera, car<br />

il n'y avait ni escalier, ni échelle pour sortir. Seul s'étendait autour de<br />

lui l'espace sans limite, impénétrable, dominé par une obscurité ténébreuse.<br />

Aussi le narrateur décide-t-il d'élire domicile dans ce trou dont il fait sa<br />

demeure, et où il écrit ses mémoires.<br />

En définitive, pour R. Ellison, l'engagement politique de m~me<br />

que les<br />

autres stratégies de survie, tant au Nord qu'au Sud, aboutit aussi à une impasse.<br />

Le militantisme et l'activisme de gauche débouchent sur un constat<br />

d'échec. Ralph Ellison n'est pas le seul à s'en plaindre. Harold Gruse dans<br />

son livre The Crisis of the megro Intellectual en a longuement parlé, de mOrne<br />

que Richard Wright dans son témoignage recueilli par Richard Crossman dans<br />

son livre The God That Faileds<br />

"Ce.n'titaient pas, écrit-il, les théories économiques du<br />

oommunisme qui m'attiraient, ni la puissance des syndicats,<br />

ni la fascination de l'action politique clandestine: mon<br />

attention était captivée par la ressemblance de l'expérience<br />

des travailleurs dans d'autres pays, par la possibilité<br />

d'unir des peuples épars mais apparentés. Il me semblait<br />

qu'ici au moins, dans le domaine de l'expression révolutionnaire,<br />

l'expérience nègre pouvait trouver un foyer, une<br />

fonction, une valeur, un rôle•••Il y avait ici quelque<br />

chose que je pouvais faire ou pltlt6t révéler. J'avais le<br />

sentiment que les communistes avaient simplifié: -à l'excès<br />

l'expérience de ceux qu'ils voulaient guider. Dans leur<br />

effort pour rallier les masses, ils envisageaient les gens<br />

d'une manière trop abstraite. J'essayerais de rétablir cette<br />

signification. Je dirais aux communistes ce que ressentaient<br />

les gens ordinaires, et je Parlerais aux gens ordinaires<br />

du sacrifice des communistes qui luttent pour les<br />

unir."(1)<br />

!<br />

! !f<br />

1<br />

1<br />

1,.1<br />

f<br />

(1) Cité par Albert Gérard in Les Tambours du Néant; Essai sur le Problème<br />

Existentiel dans le Roman Américain, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1969,<br />

pp 155-156.<br />

f


- 140 -<br />

C'est parce qu'ils estiment que le communisme rejette cet élément affectif,<br />

irrationnel, subjectif au profit de catégories abstraites de l'objectivité<br />

scientifique mécaniquement appliquée que les écrivains négro-américains<br />

récusent la gauche américaine. En fait aUCu.~ projet politique clairement<br />

défini ne les y pousse. Le modèle de société que propose le communisme<br />

n'est pas celui dont-ils r8vent. D'où, entre autres, leur désillusion.<br />

Le nationalisme séparatiste à la Marcus Garvey ne vaut guère mieux.<br />

Avec son idéologie exclusionniste et sa vision du monde fondée sur la seule<br />

réalité de la couleur de la peau, elle ne fait que perpétuer les maux qui affligent<br />

les Noirs, maux dont ils cherchent précisément à se débarrasser. Certe~~e<br />

telle idéologie, malgré son caractère réactionnaire, en glorifiant<br />

le passé du Noir, en exacerbant sa fierté et en cultivant sa vanité s'affiche<br />

en opposition à l'idéologie dominante de la suprématie blanche et partant<br />

constitue une contre-idéologie de restructuration profonde de la personnalité<br />

des Noirs à qui elle propose une image positive d'eux-m8mes. Cependant, poussée<br />

à ses ultimes conséquences, elle aboutit à un racisme irrationnel par<br />

conséquent dangereux. Ce n'est plus une idéologie de combat, mais une doctrine<br />

d'action à long terme qui ne peut que résulter en un désastre au mieux ou<br />

au pire à un génocide.<br />

La perspective qu'offre l'opportunisme sans principe de Rinehar~, en<br />

dépit des avantages immédiats qu'il en retire, ne peut pas non plas fonder<br />

l'action concertée d'un peuple. Un individu peut, à la rigueur, accepter d'abdiquer<br />

sa dignité d'homme et vivre en exploitant les b8tises et les imbécillités<br />

des gens ou les failles d'un système. Mais un peuple ne peut adopter<br />

une telle stratégie suicidaire.<br />

x<br />

x<br />

x


1<br />

- 141 -<br />

L'objectif de Ralph Ellison, dans son exploration des multiples aspects<br />

des dominations que subissent les Négro-Américains, a été de montrer, partant<br />

de l'histoire, comment une société qui travestit ses propres idéaux et ruse<br />

avec elle-m@m~ travaille à déperso~~aliser l'homme, l'oppresseur blanc aussi<br />

bien que sa victime, le négro-américain. Placé dans des situations d'oppression,<br />

ce dernier adopte face aux situations auxquelles il est confronté, des<br />

attitudes qui vont de l'obséquiosité extrême ou feinte, à cJes comportements<br />

affirmatifs de militantisme fondé tant6t sur un biologisme politique et culturel<br />

tant6t sur un radicalisme de gauche ambigu, sans oublier les cas ext~<br />

mes de refus que constituent la masse de ceux qui sombrent dans la folie. Le<br />

dénominateur commun à ces attitudes est qu'elles ne confèrent L,là aucun moment,<br />

à ceux qui les adoptent une personnalité autonome. Ils réagissent plus aux<br />

pressions extérieures qu'ils n'agissent selon leur propre volonté. Cette situation<br />

n'épargne pas davantage les Blancs. La trahison des idéaux et des<br />

principes élevés qu'ils brandissent à la face du monde, crée en eux des sentiments<br />

de culpabilité qu'ils essaient d'exorciser en échaffaudant des constructions<br />

idéologiques sans fondement solide.<br />

En clair, ni les Blancs, ni les Noirs, n'ont encore résolu le problème<br />

des rapports sains qui doivent exister entre eux, dans ~société multiraciale.<br />

Cette insuffisance explique en grande partie l'instabilité psychologique des<br />

uns et des autres lorsqu'ils se rencontrent. Or le problème véritable, tel<br />

que le perçoit Ralph Ellison, c'est la manière de rendre l'individu libre,<br />

c'est-à-dire, conscient de sa personne, de son histoire nationale et de sa<br />

culture, la véritable identité ne pouvant @tre que la convergence ~ symbolique<br />

de tous ces aspects de la personnalité.


Il Toute ta vie, vue par le<br />

trou de l'invisibilité est<br />

absurde."<br />

Ralph ELLISON,<br />

Homme Invisible... , p.543.<br />

<strong>DE</strong>UXIEME<br />

PARTIE<br />

INVISIBILITE et I<strong>DE</strong>NTITE


- 143 -<br />

On a souvent fait remarquer, à juste titre semble-t-il, que le roman<br />

de Ralph Ellison, Invisible Man, était un livre d'époque. La date de sa publication<br />

expliquerait entre autres, l'accueil enthousiaste que lui réservèrent<br />

les critiques. Un rapide examen du climat social et des manifestations<br />

de la vie culturelle et artistique aux Etats-Unis après la Seconde Guerre<br />

Mondiale et dans les années 1950, suffira pour nous convaincre de la validité<br />

de ces remarques.<br />

l - UNE EPOQUE <strong>DE</strong> DOUTES.<br />

La tendance dominante aux Etats-Unis dans les années 1940 et jusqu'après<br />

la moitiê des années 1950 est à un climat de peur, de terreur panique, d'incertitude<br />

et de violence, le tout mêlé à un sentiment obscur de tristes satiSfactions<br />

et de soulagement d~ à la victoire. C'est en m@me temps une époque<br />

de belligérance marquée par la guerre et ses séquelles. C'est le temps<br />

de la guerre dite froide et de la rupture entre l'Ouest et l'Est; de la bomatomique<br />

dont la puissanoe de destruction de l'homme et de ses oeuvres n'ont<br />

cessé d'inspirer à l'intellectuel contemporain une peur panique qui le prive<br />

de toute paix du coeur. Pour l'âme sensible et l'esprit porté à la médjtation,<br />

prl.x<br />

la vie dans cette atmosphère n'était qu'Un enfer dont il fallait à tout échapper.<br />

La réaction la plus répandue chez la plupart des gens était alors un<br />

refuge dans le silence et l'acceptation sans interrogation de tout ce que<br />

leur imposait les pouvoirs publics au nom du salut commun. Le trait caractéristique<br />

de cette période révèle donc un désir de l'homme (américain) de se<br />

retirer d'un monde qu'il se savait impuissant à mattriser, encore moins à<br />

diriger; un monde qui de surcrott menaçait à tout instant de le détruire.<br />

Ce repli de l'individu se comprend aisément lorsqu'on prend la mesure des<br />

forces qui alors travaillaient à dépersonnaliser l'homme: enrégimentation


- 144 -<br />

forcée, à une échelle immense, jamais connue auparavant de milliers de citoyens<br />

jetés dans l'organisation impersonnelle de guerres dont l'enjeu leur<br />

échappe. Tous ceux qui en faisaient l'expérience en retiraient le sentiment<br />

qu'ils n'étaient que des pions sur un échiquier, dans un jeu dont ils ignoraient<br />

jusqu'aux règles, ou alors qu'ils étaient les victimes innocentes parce<br />

que consentantes d'une machine ou d'un système qui les émasculait et menaçait<br />

de les réduire à néant.<br />

Le retour à la vie civile n'a pas fait disParattre cette impression.<br />

Loin s'en faut. En effet, la vie civile accusait déjà un caractère de plus<br />

en plus corporatif qui n'était qu'un pendant à la vie régimentaire de l'armée<br />

et qui exigeait tout autant un conformisme rigide. La société semblait<br />

@tre dominée par les "mégastructures impersonnelles" -les grandes compagnies<br />

multinationales, les syndicats tout-puissants, l'armée, le gouvernement et<br />

ses appareils de contrele bureauc~atiques-bref, les corps et les institutions<br />

fortement structurées qui offraient par avance une place toute faite<br />

à l'individu qui voulait bien abdiquer<br />

sa personnalité pour l'occuper.<br />

La sooiété était devenue ce que les sociologues ont qualifié de société de<br />

masse (mass society), c'est-à-dire une société mi-providence, mi-caserne dans<br />

laquelle des gens vivent dans la passivité et l'indifférence, préférant confier<br />

leur destin individuel et collectif aux "spécialistes". Une société dans<br />

laquelle, l'homme n'est ~ien<br />

go~ts,<br />

moins qu'un consommateur à qui on dicte ses<br />

ses idées et ses comportementsJ un consommateur fabriqué à la chafne<br />

tout comme les articles, les divertissements et les valeurs qu'il absorbe.<br />

Cette société de masse se caractérise par quelques traits distinctifs<br />

que Irving Howe(j) a fait ressortir dans un excellent article. Par exemple<br />

la perte du pouvoir d'attachement que les centres d'autorité traditionnels<br />

tels que la famille, les groupes sociaux ou religieux exeFcent Sur l'individu.<br />

Partout s'installe la passivité. Tout se passe comme si l'homme se<br />

découvrait subitement incapable de contreler le mouvement de sa vie. Quand<br />

bien m@me<br />

les gens partagent des opinions "autonomes", ils n'arrivent pas à<br />

agir ensemble dans le sens d'une transformation sociale radicale. D'ailleurs,<br />

(1)Irving Howe: "Mass Society and Post Modern Society", Partisan Review, 26<br />

(Summer 1959), pp 420-436. Rpt in Joseph J. Waldméir ed, Recent American<br />

Fiction: Some Critical Views, Boston, 1963<br />

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~


- 145 -<br />

l'opinion même devient un produit, manufacturé scientifiquement et systématiquement<br />

par les fabric.ants d'idées (les "hidden persuaders") qui la<br />

diffusent à dose homéopathique, dans un mouvement du haut vers le bas. Dans<br />

de telles conditions, le désaccord, la controverse ou la polémique sont perçus<br />

comme étant de mauvais goat. La réflexion sur la nature de la société<br />

se réduit par conséquent à l'observation et à la description de ses mécanismes.<br />

On ne s'engage plus à défendre les causes justes.<br />

Le type le plus connu de cet aspect de la vie américaine dans le monde<br />

des affaires notamment -est le tecJlnocrate (the organization man) décrit<br />

par Willam H. Whyte: un homme uniformément v8tu de f1an;elle grise, vivant<br />

dans une banlieU2qui lui impose un style de vie rigide auquel il semble incapable<br />

d'échapper. Chester E. Eisenger, dans une appréciation de l'époque<br />

écrit:<br />

" In their dependenoe upon personality testing and a sophisticated<br />

techno10gy, business and industry offered unsuperab1e<br />

obstacles to the deve10pment of the individua1 identity, encouraging<br />

uniformity and demanding submission to their machines<br />

in office and in p1ant.The -.g'Overnment a1so, in the<br />

rationa1ization of its operations discouraged the deve10pment<br />

of individua1ism. In addition the fear of Communists<br />

and of spies 1ed to a loyalty program that made unquestioned<br />

adherence to i11-defined national goals far more important<br />

than the free exercice of individua1 talent toward<br />

creative solutions of national prob1ems. As for 1abor, its<br />

size andits entrenched position made it 1ike business and<br />

government inhospitable to the presence of idiosyncrati.c self<br />

and gave it the sarne kind of impersona1ity. Fina11y the<br />

rise in size, in power and conspicuousness of the mi1itary<br />

in peacetime, natura11y contribued to the regimentation of<br />

Amerioan 1ife."(1)<br />

Cet assaut permanent des forces extérieures à 1'homme contre son intégrité<br />

physique et psychologique constitue, on s'en doute bien, un des thèmes<br />

favoris de la littérature américaine d'après-guerre. Retrouver la personne<br />

humaine dans son intégralité et la placer dans une situation de cohérence de<br />

soi avec soi et en m@me<br />

temps en relation harmonique avec les autres, voilà<br />

l'aspiration des coeurs sensibles aux mutations sociales que sont les artistes.<br />

De fait, on peut noter qu'au nombre des préoccupations de la vie cu1tu-<br />

(1) Bàester E. Eisenger, ed.: The 1940's: Profile of a Bation in Crisis,<br />

New-York, 1960, p XVL.


- 146 -<br />

relIe américaine de la période considérée émerge le thème de la qu~te de l'identité,<br />

souvent en conjonction avec le thème voisin de l'aliénation de l'homme<br />

coupé de la société et de son moi. L'aliénation telle qu'elle apparatt<br />

dans cette production littéraire n'est plus l'apanage du seul ouvrier frustré<br />

du produit, de la finalité et de l'acte même de son travail. D'autres<br />

membres de la société ressentent comme lui le m~me malaise. D'autres que lui<br />

perdent tout esprit de créativité alors que s'établit en eux un divorce prefond.<br />

entre la réalité extérieure qu'ils vivent -parce qu'ils sont devenus objectivement,<br />

un simple organe d'un mécanisme de production dont le contr81e<br />

leur échappe et qui de surcrott leur est hostile, voire tyrannique- et les<br />

espérances illusoires dont ils se neurrissent. Pour se réaliser, ils se lancent<br />

alors à corps perdu dans la consommation matérielle ou spirituelle. Le<br />

travail, acte créateur, étant devenu un simple moyen, c'est dans ''une religion<br />

des moyens que l'homme moderne espère trouver son accomplissement." Malheureusement<br />

ces moyens ne sont pas toujours ordonnés aux fins du développement humain.<br />

L'aliénation dont il est question ressortit donc à une privation d'initiative<br />

créatrice et de personnalité chez l'individu écrasé par les structures<br />

sociales qui ne sont plus à la mesure de l'homme livré à la manipulation<br />

inexorable des systèmes bureaucratiques,économiques ou politiques qui le condamnent<br />

à végéter dans l'anonymat et dans l'impersonnalité ou encore à une<br />

mobilité dont le contr8le lui échappe. c'est donc de la rupture des rapports<br />

de connivence essentiels établis entre l'homme et l'univers qu'il habite, des<br />

liens fondamentaux qui le font corncider avec lui-même qu'il est question.<br />

Beaucoup d'artistes de cette époque (écrivains, sculpteurs, peintres,<br />

etc.) avaient abouti, pourrait-on dire, à la conclusion que la vie de l'homme,<br />

dans de telles conditions se déroulait dans un monde cauchemardesque.<br />

Ils souffraient tout autant que leurs sujets de l'aliénation. Une des<br />

conséquences de cette vue est leur refus de se commettre comme les artistes<br />

des années 1930 pour la défense des causes sociales (c'est le rejet de la<br />

littérature dite protestataire) parce qu'ils préféraient rejeter en bloc la<br />

société dont ils ne voulaient ~tre que la conscience coupable. Une autre conséquence<br />

et non des moindres est l'apparition d'une littérature et d'un art<br />

plastique qui insistent sur la primauté et l'autonomie de l'art, l'objet


- 147 -<br />

d'art n'ayant de justification réelle que dans le seul contexte esthétique,<br />

en dehors de la société, même si c'est la société qui lui a donné naissance.<br />

Cette manière de considérer les choses n'implique en rien une capitulation<br />

de l'homme devant les assauts de la société, encore moins une résignation<br />

de la part des artistes américains. Ils ne se comportaient pas du tout en victimes<br />

consentantes. Ihab Hassan(1) analysant le roman américain d'après-guerre<br />

trouve que l'énergie qui l'anime est, en dernière instance, une énergie d'opposition.<br />

Une opposition née des p61es antagonistes qu'explore cette 1ittéra -<br />

ture et qui relève d'une dialectique de l'acceptation et du refus, de<br />

l'ordre et du chaos, de la norme et du désordre, de l'affirmation et de la<br />

négation. Un processus dialectique doBt la thèse essentielle insiste sur la<br />

répression de certaines tendances, de certaines propensions, de certaines inclinations<br />

et certaines facultés humaines qui malgré les assauts des forces<br />

de suppression, réclament leur réalisation. L'antithèse installe le réprimé<br />

au centre des investigations de la pensée critique alors que la synthèse nie<br />

la réalité présente. Cette négation, en dépit de son caractère souvent utopique<br />

reste une force de changement historique importante, car elle confère à<br />

la critique sociale des artistes sa vigueur et aide,par ce faire,à l'avènement<br />

de valeurs nouvelles.<br />

x<br />

• x<br />

L'expérience historique des Noirs aux Etas-Unis n'était pas fondamentalement<br />

différente de celle de la majorité des Américains. Cependant il y<br />

avait, greffée sur une situation historique commune à tous, une situation<br />

spéoifique d'exploitation et de ségrégation sociale et raciale particulière<br />

aux Noirs. La discrimination raciale restait toujours forte dans toutes les<br />

sphères de la vie sociale, et même dans les forces armées qui se posaient<br />

comme un instrument de délivrance du monde des forces du mal qu'incarnaient<br />

les différentes formes d.'~otalitarisme~ Le paradoxe aux ~eux des Noirs<br />

(1) Ihab H. Hassan, "The Character of Post-War Fiction in America" in<br />

The English JournaJ., L l, (January 1962), 1-8. Rpt. en Joseph J. Wa1dmeir ed.,<br />

Recent American Fiction: Sorne Critica,l Views. Boston, Houghton Miffing Com~,<br />

1963, pp 27-35.


- 148 -<br />

était qu'ils combattaient afin que d'autres profitent d'une liberté dont ils<br />

n'avaient point, eux,<br />

jouissance. Une telle situation était génératrice de<br />

névroses au niveau des Noirs, singulièrement des intellectuels, qui n'aspi~<br />

raient qu'à traiter d'égal à égal avec leurs pairs lœancs. L'opposition qu'ils<br />

rencontraient dans la réalisation de leurs aspirations sera à l'origine de<br />

l'ambivalence de leurs sentiments et de leurs difficultés à se déterminer<br />

pour la culture noire ou blanche. En effet, du fait de leur statut particulier<br />

dans la société américaine, les Noirs ont deux (ou plusieurs) systèmes<br />

de référence par rapport auxquels ils se situent. Le premier est la culture<br />

négro-américaine telle que l'a façonn&l'expérience tragique de leurs ancêtres,<br />

culture qu'ils rejettent aujourd'hui parce qu'elle entre, implicitement ou<br />

explicitement, en contradiction avec la culture du Blanc à laquelle ils aspirent<br />

en vain et qu'ils rEmplacent par un système de conformisme et d'imitation<br />

servile de tout ce que produit le Blanc. Comme les Juifs ainsi que<br />

l'écrit Jean-Paul Sartre,<br />

" Ils se sont laissé emprisonner par une certaine<br />

représentation que les autres ont d'eux et ils<br />

vivent dans la crainte que leurs actes ne s'y<br />

conforment, ainsi pourrions-nous dire que leurs<br />

conduites sont perpétuellement surdéterminées<br />

de l'intérieur."(1)<br />

Cette réflexion, bien qu'elle rende compte du comportement des Noirs<br />

n'explique pas tout. En effet, le Noir de par sa couleur ne peut pas, à l'opposé<br />

des Juifs, bénéficier de sa couleur<br />

la société. Il n'~;pas<br />

lui, mais s~tout<br />

pour passer inaperçu dans<br />

simplement esclave de l'idée que les autres ont de<br />

de son apparence extérieure. On peut donc dire qu'il est<br />

"surdéterminé" auslii"de l'extérieur". Une telle situation conduit à ce que<br />

Frantz Fanon(2) appelle une série d'aberrations psycho-affectives dont le<br />

résultat final est la dissociation psychique de l'ego du Noir, ou plus simplement<br />

à une sorte d'aliénation. Pour se réapproprier son @tre authentique<br />

le Noir<br />

plonge en lui-m@me, s'explore, afin de découvrir par le biais de<br />

cette introspection fictionnelle, les valeurs"authentiquet susceptibles<br />

d'assurer sa rédemption.<br />

(1) J.P. Sartre, Réflexions sur la Question Juive<br />

(2) Frantz Fanon, Peau Noire, Masques Blancs, Paris, Seuil, 1952, pp


J<br />

- 149 -<br />

Toutes ces raisons font écrire à Ihab Hassan:<br />

" The Negro seems to present only a social or histor~cal<br />

problem until we discover that the true question he presents<br />

is the old one identity. " Who knows but that, on<br />

the lower frequencies, l speak for you 1" asks the hero<br />

of Ellison's Invisible Man. Victim, rebel, outsider, scapegoat,<br />

or trickster, the Negro finally confronts us in the<br />

darkness of which no man can bleach himself, with~uestion:<br />

" Who am l 1" " At t.he root of the American Negro problem",<br />

James Baldwin writes'"Notes of a Native Son, "is the necessity<br />

of the American white man to find a wa:y of living<br />

with the Negro in order to be able to live with himself".<br />

This at bottom is a question of self-knowledge. But it is<br />

silly to assume that the predicament of the Negro can be<br />

finally identified with that of the white man in America<br />

-such an assumption m~ be just another prerogative white<br />

men exercise tê5 their own moral advantage. And. it is aqually<br />

vain to suppose that the situation of the Negro is an<br />

isolated case, that his alienation from a usable past, his<br />

aching expressions of the instinctual life, his rages and<br />

pains, have. Ilot affected in sorne unspeakable way our image<br />

of the self in culture."(1)<br />

x<br />

x<br />

x<br />

C'est donc à une' période où les intellectuels américains se repliaient<br />

de plus en plus sur eux-m@mes et se penchaient sur les problèmes introspectifs<br />

qu'est intervenue la publication du roman de R. Ellison. Invisible Man<br />

s'inscrivait d'emblée dans la ligne des préoccupations philosophiques et<br />

littéraires de son temps dont il développe également les thèmes. L'odyssée<br />

du héros de Invisible Man, malgré le fait qu'il soit noir n'est pas une simple<br />

relation des conditionè sociales défavorables dans lesquelles il se meut,<br />

c'est aussi à maints égards une pénétration ~ l'intérieur du moi, une qu@te<br />

du tragique universel inhérent à la nature m@me de l 'homme. C'est donc à<br />

une découverte de soi dans un monde organiquement lié au dualisme blanc et<br />

(1) Ihab Hassan, Radical Innocence: Studies in CODtemporary Novel, Princeton,<br />

New Jersey, Princeton University press, 1961, pp 80-81.


- 150 -<br />

noir que se lance le narrateur de Ralph Ellison.<br />

D'ailleurs lui-même écrit à ce propos:<br />

" Good fiction is made of that which is real and reality<br />

is difficult to come bye 50 much of it depends upon the individual's<br />

willingness to discover his true self, upon his<br />

defining liimsel~ -for the time being at least- against his<br />

background."(1)<br />

Quelle définition donne t~il<br />

de lui-même ? Quelle est la nature du<br />

vrai moi, de la vraie identité qu'il se découvre? C'est à ces questions<br />

que nous tenterons maintenant d'apporter des réponses.<br />

(1) R.Ellison, Shadow and Act, p XIX.


- 151 -<br />

II - I<strong>DE</strong>NTITE ET INVISIBILITE.<br />

Le thème de l'identité que Ralph Ellison a défini comme le thème majeur<br />

de la littérature américaine(1) en général, est aussi le thème récurrent<br />

de la production littéraire négro-américaine. De W.E.B. Dubois<br />

James Baldwin en passant par Richard Wright, la même préoccupation sollicite<br />

l'intérêt des écrivains négro-américains. Ralph Ellison ne fait pas exception<br />

à la règle. Dans tous ses écrits émerge cette quête d'identité stable.<br />

Mais que recouvre oe terme? Allen Wheelis en donne une définition que nous<br />

voudrions reprendre 1<br />

" Identity, éorit-il, is a ooherent sense of self, it depends<br />

upon the awareness that'one's endeavours and one's<br />

life make sense, that they are meaningful in the oontest<br />

in which life is lived. It also depends upon stable values<br />

and upon the conviction that one's actions and values<br />

are harmoniously related. It is a sense of wholeness<br />

of integration, of knowing what is right and what is WI'ong<br />

and of being able to choose."(2)<br />

L'identité relève donc essentiellement d'une prise de conscienoe des<br />

réalités sociales et du rapport que l'individu choisit, en toute conscienoe,<br />

d'entretenir avec ces réalités. Qu'en est-il des héros de Ralph Ellison et<br />

plus spécifiquement du protagoniste de Invisible Man ? Dès les premiers<br />

mots du roman, il se présente en termes de conformisme, laissant les autres<br />

penser pour lui et agir à sa place. La rupture est déjà consommée entre<br />

les efforts qu'il accomplit et le sens que le milieu où il vit leur attribUé,<br />

parce que les valeurs qu'il privilégie ne sont pas en accord avec ses propres<br />

convictions. Ayant<br />

.opté pour le mauvais choix, il se trouve en situation<br />

de dissonance vis à vis de lui-même et des autres. Il le reconnatt<br />

d'ailleurs de bonne grâce:<br />

" C'est une longue histoire, vieille de vingt ans. J'~tais<br />

depuis à la recherche de quelque chose et je rencontrais<br />

constamment des gens qui essayaient de m'expliquer ce que<br />

je cherchais. Malgré leur caractère souvent contradictoire,<br />

j'acceptais toutes les solutions, m8me bourrées de contradictions<br />

internes, J'étais narf. J'essayais de me trouver,<br />

à<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 177<br />

(2) Allen Wheelis, Qgest for Identity, New-York, W.W. Norton, 1958.


- 152 -<br />

"et je posais à tout le monde, sauf à moi-m@me, des questions<br />

auxquelles j'étais bien le seul à pouvoir répondre.<br />

Il me fallut longtemps et pas mal de déboires dans mes espérances<br />

pour posséder cette vérité que tous les autres<br />

hommes semblent connattre dès leur naissance: Je ne suis<br />

personne d'autre que moi-m@me."(1)<br />

Voilà indiquées les causes de son problème: sa volonté de s'insérer à<br />

tous prix dans l'ordre social existant, sa propension à obéir docilement et<br />

à respecter les normes prescrites sans chercher un seul instant à les""remettre<br />

en question. Son ambition est de vivre et de prospérer dans la société<br />

où il vit et à se comporter comme le veut le décorum. !'J'étais couvert de<br />

louanges par les Blancs les plus blancs de la ville, on donnait pour modèle<br />

ma conduite exemplaire" dit-il de cette époque où il se voyait "comme un futur<br />

Booker T. Washington"(2). Il sait en effet que pour réussir, il doit rester<br />

dans la ligne, reconnattre sa place et y<br />

demeurer. Tout écart de langage,<br />

toute déviation du comportement dans le sens d'une affirmation de sa personnalité<br />

ou d'une remise en cause de l'ordre établi étant réprouvés, il se<br />

censure lui-même, par avance. Il justifie ainsi le paternalisme de ceux qui<br />

veulent le voir se confiner dans un r8le subalterne. Un exemple éloquent de<br />

ce paternalisme nous est offert par la mise en garde que lui adressent les<br />

Blancs devant lesquels il prononce Bon discours, quand la langue lui ayant<br />

fourché, il parle .d'"éga.lité sociale" là où il aurait d'Cl<br />

dire "responsabilité<br />

sociale": "on te veut du bien, mais tu dois rester à ta place" lui est-il<br />

répondu en l'occurrence. Le narrateur d'Ellison a déjà intériorisé l'idéologie<br />

dominante au point de ne pas réagir en rebelle. Il ne perçoit pas d'alternatives<br />

autres que le conformisme le plus émasculateur et le conservatisme<br />

le plus rétrograde. Le changement n'est pas dans son programme alors que les<br />

circonstances exigent impérativement que son attitude soit dissidente et non<br />

conformiste. Son ambition est de s'attribuer une identité sociale en s'appropriant<br />

celle d'autrui. Cette stratégie opportuniste de salut individuel l'amène<br />

à se ~aire<br />

Ber~teur<br />

passer pour l'émule de Booker T. Washington, le bon et fidèle<br />

(a good and faithful servant) dont le principal objectif est de<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p31<br />

(2) Ibid., pp 32- 33


- 153 -<br />

s'élever en estime et en faveur aux yeux de son martre blanc. Tout comme son<br />

modèle, le narrateur cherche à fonder sa réussite dans la vie sur l'usage<br />

d'expédients. Comme Booker T. Washington,<br />

" he allows them (the Southern Whites) to believe that he<br />

accepts their estimate of the Negro!s inferior place in<br />

the social scheme. He is quiescent if not acquiucient as<br />

to the white man's superior claims. He shuts his eyes ta<br />

many of the wrongs and outrages heaped upon the race. He<br />

never runS against the Southerner's traditional prejudices••• "<br />

(1)<br />

En clair, le narrateur est déjà victime sans le savoir, d'un processus<br />

de dépersonnalisation qu'on peut caractériser en trois temps, à l'instar de<br />

E. Mveng(2):<br />

- Un moment de rupture avec les racines historiques de sa personnalité:<br />

"Mes grands-parents furent esclaves, je n'ai pas honte d'eux. J'ai plut6t<br />

honte de moi pour avoir, dans le temps, éprouvé de la honte à leur sujet."(3)<br />

- Un moment d'isolement et d'abandon qui engendre un troisième moment;<br />

- Un complexe d'insécurité et de dépendance.<br />

C'est par le dernier terme de ce triptyque que passe le narrateur lorsqu'il<br />

adopte la solution de conformisme.(4) Coupé des racines historiques de<br />

sa personnalité et soucieux d'émerger dans une société qui lui est hostile,<br />

il choisit de s'annihiler complètement en s'identifiant au Blanc, de s'intégrer<br />

dans son système de valeurs, d'adopter sa vision de la réalité. A ce<br />

stade de son évolution (qui est aussi, au-delà des Noirs, celle de tous les<br />

opprimés) le héros essaie, écrit R. Ellison "to fit into a traditional pattern<br />

(1) Kelly Miller, "Washington's Policy", Boston Evening Transcript, Sept. 18-19<br />

1903. Rpt. in AUgust Meier; Eliott Rudwick eds, The Making of Black America,<br />

New-York, Atheneum, 1969 vol. 2, p 122.<br />

(2)Engelbert Mveng "A'la Recherche d'un Nouveau Dialogue entre le Christianisme,<br />

le Génie Culturel et les Religions Africaines Actuelles", Présence Africaine,<br />

N° 96, p 453.<br />

(3) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 31<br />

(4) Ce n'est assurément pas toujours une solution de facilité. Parlant de l'attitude<br />

de Booker T. Washington, Kelly Miller fait observer que vu" the wave<br />

of race hatred now sweeping &Ver country, it is difficult to found an effective<br />

organization upon proteste There is little constructive possibility in<br />

negation." Puis il ajoute:" The progress of all people is marked by alternations<br />

of combat and contention on the one band, and compromise and concession<br />

on the other. Progress is the resultant of the play and counterplay of these<br />

forces." Kelly Miller, op. Cit., p 124


- 154 -<br />

and ( ••• ) his sense of certainty had not ~et been challenged. ,,( 1)<br />

D'ailleurs, lui-même reco~~art<br />

à la fin de son roman dans l'Epilogue:<br />

"J'en ai fait du chemin, depuis le temps où, plein d'illusions, je menais une<br />

vie d'homme public et m'efforçais de fonctionner en supposant que le monde<br />

était solide."(2)<br />

Ceux à qui il s'identifie tout au long de son développement sont nombreux.<br />

On peut citer parmi eux Norton, le philanthrope libéral, qui se conforte<br />

dans son raIe de "Messie"(3) par l'aide qu'il apporte aux Noirs aux<br />

fins de contribuer à leur "élévation". Le narrateur se laisse prendre à la<br />

vision de Norton<br />

" .omme de Boston, fumeur de cigares, conteur. d'anecdotes<br />

convenables sur les nègres, banquier avisé,savant de valeur,<br />

directeur, philanthrope, porteur, depuis quarante ans, du<br />

fardeau de l'homme blanc, et depuis soixante ans, symbole<br />

des grandes traditions."(4)<br />

Il ·s'insère tant et si bien dans le plan de Norton, qu'il sentait qu'il<br />

participait à une grande oeuvre rien qu'à écouter le verbiage creux du philanthrope<br />

blancl" Je m'identifiai. à l'homme riche qui égrenait ses souvenirs<br />

sur le siège arrière, "(5)dit-il pour marquer la force de son adhésion au système<br />

de Norton,<br />

(c'est-à-dire du Blanc) dont il ne perçoit pas l'aspect mécanique,<br />

superficiel et bassement matérialiste. Il ne se rend pas compte non<br />

plus qu'en souscrivant à cette vision et en s'identifiant à Norton, il perd<br />

toute autonomie psychologique et se dissout dans la construction d'autrui.<br />

Son empressement à adopter les valeurs de Norton est d'autant plus alarmant<br />

que ce dernier ignore où se situe sa propre destinée. Car le Noir à qui il<br />

la lie, n'est qu'un écran que sa conscience malheureuse, tourmentée par les<br />

instincts libidineux et incestueux qu'il a dft réprimer contre son gré, place<br />

devant comme bbjet de sublimation. La preuve en est qu'il ne s'aperçoit pas<br />

que les fous sont les produits finis de son système. C'est à un fou qu'il revient<br />

de le dépouiller de ses prétentions en exposant au grand jour les mobiles<br />

qui fondent son action. Le narrateur, informé qu'il est par son désir<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 178<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 541<br />

(3) Ibid., p 81<br />

(4) Ibid., p 52<br />

(5) Ibid., p 54


- 155 -<br />

ardent d~identification à autrui, manque d'appréhender la vérité des propos<br />

du psychiAtre aliéné. Il est certes bouleversé et embarrassé, il n'est pas<br />

éclairé<br />

pour autant. Il comprenait, dit-il, "les paroles du Vétéran sans<br />

saisir leur signification profonde"(1). Ce dernier, de son c8té, sait que<br />

pour le narrateur<br />

"rien n'a de signification", parce qu'il "absorbe mais<br />

ne digère pas". En outre, "il a déjà appris à réprimer non seulement ses<br />

émotions, mais son hQmanité. Il est invisible, personnification vivante du<br />

Négatif( ••• ) l'homme mécanique."(2)<br />

Pour échapper à la corrosion des idées du dément, il s'enfonce encore<br />

plus dans la vision sereine de Norton, tout en traitant l'ancien psychiâtre<br />

de corrupteur des gens sains. C'est la raison de son admiration excessive<br />

pour le Dr Bledsoe, qui à ses yeux incarne les valeurs qu'il chérit. Ici<br />

encore, le narrateur se voit offrir une autre ocoa~n de prouver l'inefficience<br />

des idées qu'il défend. Car de la tête a~pieds,<br />

Bledsoe est un bouffon<br />

masqué qui feint de s'introduire dans le plan du Blanc et de jouer en<br />

toute innocence le jeu alors qu'en réàlité c'est lui qui utilise le Blanc<br />

pour réaliser ses ambitions personnelles. Mais la naiveté du narrateur l'empOche<br />

de saisrrla duplicité inhérente au personnage; il accepte par conséquent<br />

de prendre pour modèle cette identitè de duplicité. Pour lui en effet~<br />

Bledsoe était<br />

"l'illustration vivante de toutes mes aspirations: influent<br />

auprès de tout ce que le pays comptait d'hommes riches, consulté<br />

pour tout ce qui touchait à notre race; guide de ses<br />

semblables; possesseur, non pas d'une, mais de deux Oadillac,<br />

d'un salaire confortable et d'une jolie femme douce<br />

au teint café-crème clair. De plus, il avait beau Otre noir,<br />

chauve et :tout ce qui est . Ilidicule aux yeux des Blancs, il<br />

avait quand mOrne la puissance et l'autorité; malgré sa couleur<br />

et sa peau ridée, il avait acquis plus d'importance<br />

dans la société que la plupart des sudistes blancs."(l)<br />

L'identification du narrateur au Dr Bledsoe ne repose sur aucQne valeur<br />

authentique', Ce ne sont pas les connaissances, les actes<br />

altruistes ou<br />

l'esprit de sacrifice de Bledsoe qui suscitent son admiration, mais sa position<br />

auprès des Blancs, la sécurité matérielle de sa situation sociale et<br />

(1)'R. Ellison, Homme Invisible••• , p 100<br />

(2) Ibid., P 101<br />

(3) Ibid., p 101


- 156 -<br />

l'autorité et la puissance qu'il détient. C'est pourquoi malgré l'image du<br />

père qu'il représente, malgré le fait qu'il maintienne la dotation de l'université<br />

à un niveau élevé et les fonds pour les bourses abondants, ce n'est<br />

pas un sentiment de gratitude qu'il inspire aux étudiants et aux professeurs,<br />

mais au contraire un sentiment de peur: " il était notre papa noir de charbon<br />

dont nous avions peur."(1) Peur bien justifiée -et le narrateur en fera<br />

l'expérience à ses propres dépens- car le Dr Bledsoe n'hésite pas à sanctionner<br />

la moindre incartade. Il expulse le jeune étudiant pour avoir montré à<br />

Norton la face cachée de la réalité, d'avoir dérangé par sa bourde, la sérénité<br />

de la vision ~u<br />

philanthrope blanc. D'avoir aménagé une rencontre entre<br />

Norton et Jim Truebood d'une part, et l'avoir conduit dans le tripot des<br />

fous, constituent un crime impardonnable, d'autant que c'est par narveté que<br />

le narrateur l'a commis. C'est d'ailleurs ce qui exaspère le plus le Dr Bledsoe.<br />

Le narrateur aurait da comprendre, rien qu'à l'observer, qu'ilHavance<br />

masqué: Son obséquiosité, son humilité n'ont d'autre but que de tro~per<br />

peu plus les Blancs pour mieux les disposer en sa faveur. Le reproche fondamental<br />

qu'il adresse au narrateur est d'avoir "oublié l'art du mensonge"<br />

~ors<br />

que "le chenapan noir le plus b8te de la région cotonnière sait que la<br />

seule façon d'8tre agréable à un Blanc, c'est de lui raconter un mensonge."(2)<br />

Il va même jusqu'à désespérer de la qualité de l'enseignement que dispense<br />

l'université qu'il dirige parce que pour lui, le narrateur est un imbécile<br />

à qui l'éducation-reçue n'a rien apporté et que son bon sens a de surcrott<br />

déserté:<br />

" Qu'est-ce que vous est arr1ve, à vous, jeunes Noirs?<br />

explose t-il, exaspéré. Je croyais que vous aviez compris<br />

comment les choses se passent ici. Mais vous ne savez<br />

m8me pas faire la différence entre l'apparence et la réalité.<br />

Mon Dieu, haleta t-il, où va la race ?-(3)<br />

Pourtant le narrateur ne veut pas se résoudre à accepter que c'est le<br />

cl.<br />

m8me homme qui lui tient.pareils propos et qui l'expulse pour ce qu'il considère<br />

8tre une faute vénielle. Désabusé, il perd avec toutes ses illusions<br />

et ses r8ves de succès rapide et d'intégration facile dans le système social<br />

un<br />

(1)<br />

(2)<br />

(3)<br />

R. Ellison, op. cit., p 121<br />

Ibid., p 141<br />

Ibid., p 144


- 157 -<br />

existant, tout sens de son identité. Quitter l'établissement qui symbDlisait<br />

pour lui l'intégrité psychologique, c'était se vouer à une désintégration<br />

certaine de sa personnalité:<br />

" Comment en étais-je arrivé-là ?se demande t-il. Je n'avais<br />

pas dévié d'un pouce du chemin tracé devant moi, j'avais<br />

fait à la lettre ce qu'on attendait de moi et malgré<br />

cela, au lieu de gagner la récompense attendue, j'étais là<br />

à marcher en titubant et à m'aveugler désespérement un oeil<br />

afin d'éviter de me fracasser la cervelle contre tel objet<br />

familier que ma vision faisait dévier et placer sur mon<br />

chemin."(1)<br />

Cette interrogation désespérée est le résultat de son incapacité à<br />

imaginer un autre ]Dode d'~tre<br />

et de vivre, à envisager une autre forme de<br />

réussite. Les liens qui l'attachent à ce genre d'existence sont si intimes<br />

qu'il lui faut, pense t-il, s'y réintégrer. Il se persuade donc de son tort<br />

et accepte d'en payer le prix:<br />

" Je ne sais comment je finis par m'en convaincre, j'avais<br />

enfreint le code et je devrais donc me soumettre au châtiment.<br />

Le Dr. Bledsoe a raison, me dis-je; l'école et ce<br />

qu'elle représente, doit &tre protégée. Il n'y avait pas<br />

d'autre moyen et quelles que soient les souffrances que<br />

je devràis endurer, je paierais ma dette au plus vite et<br />

je me remettrais ensuite à l'édification de ma carrière."(2)<br />

le r~nd.<br />

Un attachement si fort à la vision prescriptive et unilatérale'imperméable<br />

aux conseils réalistes et sages que lui prodiguent un nombre de personnages<br />

mineurs qu'il rencontre sur son chemin: ainsi le fou du Golden Day<br />

tui l'adjure de ne pas prendre les choses à leur valeur nominale et d'aller<br />

au-delà des apparences:<br />

" Apprenez à regarder sous la surface, dit-il. Sortez du<br />

brouillard, jeune homme. Et rappelez-vous que VOUS"'avez<br />

pas besoin d'@tre parfait imbécile pour réussir. Jouez le<br />

jeu, mais sans aller jusqu'à y croire -cela vous le devez<br />

à vous-m~me. M~me si vous aboutissez à une camisole de force<br />

ou à un cabanon. Jouez le jeu, mais haussez la mise,<br />

mon garçon. Etudiez son fonctionnement le v6tre aussi."(3)<br />

Le Vétéran fou l'exhorte aussi à @tre son propre père, à se créer une<br />

identité plut6t que de se contenter de celle qui lui a été conférée: "Soyez<br />

R. Ellison, op.cit., P. '148<br />

Ibid., pp 147-148<br />

Ibid., p 155


- 158 -<br />

votre père, jeune homme,<br />

le conseille t-il. Et n'oubliez pas: le monde est<br />

plein de possibilités••• Pour terminer, ne vous occupez pas des Mr. Norton."(1)<br />

Un autre personnage qu'il rencontre est Peter Whec1tstraw l'homme qui<br />

poussait une carriole où s'entassaiént des rouleaux de papier bleu (des plans<br />

d'architecte) et qui lui explique que les "gens sont en train de faire des<br />

plans et de les changer." Le narrateur narf lui répond alors :" Mais c'est<br />

une faute, il faut rester fidèle au plan."(2)<br />

Cette fidélité ~u<br />

système idéel prédominant l'emp8che de se débarrasser de<br />

ses convictions conservatrices. Il rejette par conséquent tous ces conseils<br />

comme il avait naguère écarté les recommandations de son grand-père. C'est<br />

donc avec une livrée d'emprunt qu'il pénètre dans la phase urbaine de son<br />

aventure., Ses relations avec les Blancs respectent les normes établies: il<br />

souscrit à leurs pires préjugés et modèle sa conduite sur les pensées qu'ils<br />

se font de lui. Il nous décrit sa stratégie d'auto-sujétion librement çonsentie<br />

en ces termes:<br />

" J'étais transformé: matois, suave, je portais non pas<br />

des v@tements sombres, mais un costume pimpant de tissu<br />

riche:, d'une bonne coupe du go11t du jour•••Une nouvelle<br />

version du docteur (B1edsoe), plus jeune, moins frustre,<br />

disons le mot: raffiné. Je n'élèverais jamais la voix auaessus<br />

du chuchotement poli et je serais toujours -c'est ça,<br />

il n'y avait pas d'autre mot- je serais charmant••• Je me<br />

dépouillerais de mes idiotismes et intonations sudistes."(3)<br />

Malheureusement tous ses efforts se révèlent, une fois encore, vains.<br />

Sa vision du monde se trouve détruite par ceux-là mêmes qu'il veut amener<br />

à. avoir des dispositions favorables à son égard. Tous se jouent de lui, de<br />

sa narveté et de la vulnérabilité de ses conceptions. Il aurait pd continuer<br />

à tourner sans cesse en rond dans ce cercle vicieux si le jeune Emerson qui<br />

en sait trop pour en avoir assez vu au point de ne plus se bercer d'illusions<br />

sur les ressorts secrets de la société qu'il connatt de l'intérieur, ne s'était<br />

offert pour l'aider à se débarrasser de sa vision du monde trop rigide.<br />

Gr~ce<br />

à lui, le narrateur apprend la traitrise du docteur Bledsoe qui, tout<br />

en lui laissant croire à un possible retour à sa vie antérieure, l'en é1oi-<br />

1) R. Ellison, op.cit., p 157<br />

2) Ibid., p 176<br />

3) Ibid., p 165<br />

1


- 159 -<br />

gne en fait. Du coup, tous les rêves de succès académiques rapides du narrateur<br />

s'écroulent en même temps que sont réitérées les vérités fondamentales<br />

qu'il doit assumer s'il tient à traverser la vie sans trop de dommages.<br />

Car même si (et le jeune Emerson, victime lui aussi de la frustration,le<br />

sait fort bien) "l'université à laquelle on apPartient vous tient lieu de<br />

père et de mère véritablement•••(et est) une chose sacrée u (1) il y a plus<br />

de bien à la quitter qu'à y rester, vu la vision du monde prescriptive et<br />

unilatérale qu'on y acquiert. Le narrateur doit donc se débarrasser des oeillères<br />

que l'ambition lui a placées, car si l'ambition peut aider à réussir<br />

dans la vie, elle n'en comporte pas moins un ennui très sérieux: "ô'est<br />

qu'elle vous rend aveugles aux réalités"(2) alors "qu'il faut être curieux<br />

de ce qui se cache derrière la face des choses."(3) Il ne se r&soud à accepter<br />

cette vérité que lorsque, ayant pris connaissance du contenu de la lettre<br />

de Bledsoe (à qui il s'en remettait quelques minutes auparavant pour<br />

déterminer son sort), il s'aperçoit qu'il n'a été rien d'autre<br />

qu'un jouet<br />

dans les mains d'autrui. La douleur qui suit cette découverte est si intense<br />

qu'il s'exclame,désabusé:<br />

" Tout le monde Paraissait avoir un plan pour moi, et<br />

au-dessous un plan plus secret. Quel était le plan du<br />

jeune Imterson el pourquoi devrais-je y 8tre impliqué ?"(4)<br />

Arrivé à ce point culminant du roman (aussi bien sur le plan structurel<br />

que thématique) où le narrateur éprouve une sorte de "désillusion catharti- <<br />

que"(5), R. Ellison est confronté à la responsabilité ou tout au moins à la<br />

possibilité de le conduire à une compréhension positive et autonome de la<br />

société où il vit, et de mettre un terme au problème qui le tourmente. Mais<br />

adopter une telle f!,ttitude serait suggérer que poser, m8me correctement, un<br />

problème, c'est déjà le résoudre:<br />

"To bring about that understanding easily or automatically,<br />

however, would be to suggest that the identification<br />

of the problem and its solution are virtually synonymous<br />

and simultaneous."(6)<br />

!1) R. Ellison, 9P.cit., p 183<br />

2) Ibid., p 184<br />

3) Ibid., p 187<br />

(4) Ibid., p 192<br />

(5) Jeffry Steinbrink: "Toward a Vision of Infinite Possibilityz A Reading<br />

of Invisible Man", Studies in Black Literature, N° 7, (Autumn 1976) ,p 3.<br />

(6) Ibid., p 3


-160 -<br />

Une telle suggestion ne convainc pas R. Ellison pour qui le problème de<br />

l'identité et de la liberté est multiforme et ne peut se limiter à un seul<br />

de ses aspects, car comme il le dit lui-même<br />

" Simply to take down a barrier doesn't make a man free. He<br />

can only free himself, and as he learns how to operate<br />

within the broader society, he learns how to detect the<br />

unwritten rules of the game." ( 1)<br />

Fort de cette conviction, R. Ellison amène le narrateur à rejeter son<br />

identification avec le monde du bluff de la bourgeoisie noire dont l'attitude<br />

de mépris pour tout ce que produit leur race renforce un peu plus leur<br />

inféodation à la vision blanche du monde. Dans le m8me ordre d'idées, il<br />

fait l'expérience négative du monde du travail et en conclut que cette expérience<br />

n'est pas ordonnée aux fins de la connaissance de soi, parce qu'il<br />

est interdit d'user de sa faculté de réflexion, pour ne se contenter que<br />

d'exécuter des tâches parcellaires. Il refuse donc d'être le nouvel esclave<br />

noir, qui, à l'exemple du Lucius Brockw~,<br />

se déclare "machine à l'intérieur<br />

des machines" et se complait dans une sorte de gratitude et de satisfaction<br />

servile. Le narrateur rejette Lucius Brockway et sa vision stérile et écoeurante<br />

de la réalité parce que le terme ultime en est un écrasement complet<br />

de toute identité personnelle, une annihilation de toute intégrité psychologique.<br />

L'attitude de L. Brockway est un refus total de toute autonomie,<br />

un appel à une immersion complète dans l'autre. Une telle fusion est,ainsi<br />

que l'écrit 1. Hassan, la forme la plus épouvantable de l'aliénation:<br />

" Living in the world exclusively, living in what Ortega<br />

y Grasset has called the other is brutish and deadening.<br />

Complete immersion in the otherness ri. things is the ghastlier<br />

form of alienation. It is alienation from the self."(2)<br />

En se démarquant de cette identité d'inexistence, forme suprême d'identité<br />

négative, et en répudiant cette vision rétrograde venue du temps révolu<br />

de l'esclavage, le narrateur montre sa capacité à percevoir la réalité<br />

de façon différente de celle des autres; partant, il reconnatt, implicitement<br />

tout au moins, l'existence de manières plurielles d'appréhender la<br />

(1) R. Ellison and Allen Geller, "An Interview with Ralph Ellison" in<br />

The Black American Writer, ed. C.W.E. Bigsby (Deland, Fla.aEverett/Edwards)<br />

(Vol. 1 Fiction), 1969, p 168. Une autre édition est celle de Pelican Publishing<br />

Co, Baltimore, 1911.<br />

(2) !hab Hassan, Radical Innocence: Studies In Contemporary Novels, Princeton,<br />

New-Jersey: Princeton University Press, 1961, p 31.


1<br />

- 161 -<br />

réalité en même temps que le caractère imparfait, parce que limité ou faux<br />

de certaines manières de la percevoir. Cette prise de conscience le conduit<br />

à adopter un comportement plus affirmatif et à être plus lucide. Ainsi tout<br />

en sachant qu'il ne peut pas se définir positivement dans le système où il<br />

évolue, il sait qu'il peut court-circuiter la machine où il est enfermé,<br />

tout en<br />

se gardant de se détruire en démolissant la machine. "Je voulais,<br />

dit-il, la liberté et non la destructio~."(1)Lacause principale de son inoapacité<br />

à s'échapper des circonstanoes désastreuses qui ont parsemé sa vie<br />

,<br />

provient en premier lieu de l'ignorance par lui-mIme de sa propre identité.<br />

Or cette connaissance seule libère: "Quand je découvrirai qui je suis, je<br />

'serai libre."(2) Cette clarté de jugement, expression d'une maturité psyohologique<br />

oertaine, va lui permettre à l'avenir de se montrer plus assuré tant<br />

dans son oomportement que dans son langage. La transformation qui s'est opérée<br />

en lui est si radicale qu'il en est lui-même surpris. Ainsi, après un<br />

entretien avec un des piliers de l'establishment, le directeur des Usines de<br />

peinture "Liber~~<br />

il déclare:<br />

" J'eus le sentiment d'avoir parlé au-delà de moi-même,<br />

d'avoir employé des mots et manifesté des attitudes qui<br />

.'étaient pas les miens, d'8tre la proie d'une personnalité<br />

étrangère logée au plus profond de moi ••• Tout se<br />

passait comme si je jouais une scène dans un film insensé.<br />

Peu~tre étais-je en train de ma rattraper et avais-je<br />

exprimé des sentiments jusqu'à présent réprimés. Ou bien,<br />

pensais-je, en remontant l'avenue, je n'avais plus peur,<br />

tout simplement••• C'était bien cela: je n'avais plus peur.<br />

Ni des hommes importants, ni des administrateurs et autres.<br />

Sachant bien à présent que je ne pouvais rien attendre<br />

d'eux, il n'y avait pas de raison d'avoir peur."(3)<br />

Pourtant il n'a pas enoore retrouvé la sérénité parce qu'il était toujours<br />

rongé par le souci obsessionnel de son identité. Il était toujours la proie<br />

de sentiments contradiotoires, partagé entre d'impérieux appels à l'action<br />

vengeresse et<br />

la pression du silence.<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 237<br />

(2) Ibid., p 237<br />

0) Ibid., p 242


- 162 -<br />

" J'avais besoin, dit-il, de paix, de calme et de tranquillité;<br />

mais j'étais en ébullition intérieurement. Quelque<br />

part, au-dessous de la couche de glace pr9pre à geler les<br />

émotions que ma vie avait conditionné mon cerveau à reproduire,<br />

luisait un point de noire colère qui jetait une chaude<br />

lumière rouge d'une telle intensité que si Lord Kelvin,<br />

avait eu vent de son existence, il se serait vu obligé de<br />

revoir ses mesures. Une lointaine explosion s'était produite<br />

quelque part, peut-@tre chez Emerson ou le fameux<br />

soir dans le bureau de Bledsoe et elle avait fait fondre<br />

la cro~te de glace et déplacer un infime morceau. Mais ce<br />

morceau, cette fraction était irréductible. Le départ pour<br />

New-York avait peut-8tre constitué une tentative inconsciente<br />

pour maintenir le vieux congélateur en marche, mais elle<br />

avait échoué; de l'eau chaude s'était glissée dans ses condensateurs.<br />

Une seule goutte, peut-~tre, mais cette goutte<br />

était la première vague du déluge. L'espaoa d'unCittstant,<br />

je crus que j'étais appelé à un destin, tout pr8t à me coucher<br />

sur des charbons ardents, faire n'importe quoi pour<br />

acquérir une situation sur le campus, puis clac!C'était fini.<br />

Terminé, classé. Il ne restait plus que le problème<br />

d'oublier tout cela••• Mais il n'y avait pas de répit. J'étais<br />

fou de ressentiment, mais trop Gominé par le "sang-.<br />

froid, cette vertu glacée, ce vice glaçant."(1)<br />

Sous l'empire de cette colère contenue, il abandonnera l'idéologie du<br />

salut individuel et toutes les compromissions qui en découlent; il partira<br />

en lutte contre toutes les façons plus ou moins subtiles de dépersonnalis~<br />

tion que diffuse l'idéologie dominante. Mais l'expérience qui le libérera de<br />

la:peur du qu'en-dira-t-on et du poids inhibiteur de l'opinion d'autrui sur<br />

son comportement survient lorsqu'il réussit à consommer de l'igname cuite ~u<br />

bord de la toute sans se soucier de l'approbation des autres: "I yam what l<br />

am", exulte t-il, à la pensée qu'il n'éprouvait plus de la honte pour les choses<br />

qu'il avait toujours aimées:<br />

ft Qu'avais-je perdu, et combien, en m'efforçant de ne faire<br />

que ce qu'ci>n attendait de moi, au lieu de ct[":que j'avais moi,<br />

envie de faire? Quel gaspillage, quel gaspillage insensé~"<br />

La seule façon d'éviter un renouvellement de ce gaspillage, c'est d'opérer<br />

soi-m8me ses choix. Pour le narrateur qui jusque là n'a jamais adopté<br />

une position personnelle, c'est un vrai problème posé et à résoudre. En effet,<br />

(1) R. Ellison, op.cit.,pp 252-253.


J<br />

- 163 -<br />

malgré son caractère régénérateur, la compréhension nouvelle qu'il a des choses<br />

n'est pas en soi la rédemption. Pour Ralph Ellison, la révélation n'équivaut<br />

pas au salut, le diagnostic n'est pas la guérison. Après avoir éprouvé<br />

l'inanité d'une vision de la réalité fondée sur la stratégie du salut individuel,<br />

Ralph Ellison fait subir à son héros l'épreuve du salut collectif en<br />

le faisant s'enrôler, dans la vie politique, au sein de la Confrérie, symbole<br />

des certitudes doctrinaires, du dogmatisme de tout système de pensée rigidement<br />

organisé qui impose une vue fixe, institutionalisée et prescriptive de<br />

la réalité(1). Séduit par le caractère scientifique de l'organisation et l'assurance<br />

et la certitude où se confortent ses dirigeants, le narrateur succombe<br />

encore à leur vision du monde et s'identifie à leur approche d3 la réalité,<br />

au point de se laisser imposer u~e<br />

nouvelle identité sociale:<br />

" - C'est votre nouvelle identité, dit le frère Jack. Ouvrez<br />

le pli. Je trouvai à l'intérieur un nom écrit 9ur un<br />

bout de papj.er.<br />

- C'est votre nouveau nom, dit le frère Jack. Commencez<br />

à vous y accoutumer dès cet instant."(2)<br />

QQ'il accepte à ce stade de son évolution de s'insérer dans les constructions<br />

d'autrui a pourtant de quoi étonner, surtout si on se rappelle<br />

qu'il se disait naguère heureux d'avoir décliné l'offre de frère Jack qui<br />

tentait de le recruter comme orateur dans son organisation:<br />

" QQ'il aille au diable. Il avait beau ~tre s'Ür de lui,<br />

moi je savais ~es choses que pour sa part il ignorait. Il<br />

n'avait qu'à trouver quelqu'un d'autre. Tout ce qu'il voulait,<br />

c'était se servir de moi pour quelque chose. Tout<br />

le monde voulait vous utiliser dans tel ou tel dessein."(3)<br />

On aurait pu s'attendre donc qu'il évolue au sein de la vie politique<br />

en gardant toujours présent à l'esprit ces paroles et en tenant compte des<br />

déboires de son passé réçent. Tel n'est pas le cas. Malgré l'attitude ambigUë<br />

des membres influents de la Confrérie envers lui, le narrateur n'a pas la<br />

réaction qu'il aurait dü adopter vu les résolutions qu'il venait de prendre.<br />

Il se contente de subir et de constater que m~me<br />

les groupes les plus progressistes<br />

sont toujours informés par des préjugés envers les Noirs, aussi<br />

(1) Voir à ce propos J. Steinbrick, op. cit., p 3<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 298<br />

(3) C'est nous qui soulignons.


- 164 -<br />

bien ceux qui les englobent dans la même apostrophe ("tous les gens de couleur<br />

chantent, sans exception"(1» que ceux qui les entourent de leur sollicitude<br />

(et qui comprennent que les Noirs "étaient blessés d'apparartre en<br />

bloc aux yeux des Blancs comme des amuseurs et des chanteurs nés"(2».<br />

Le narrateur dont ils n'ont à aucun moment sollicité l'avis sait que dans<br />

leur attitude se profile une ambiguité, une tentative de répression. Car il<br />

sait faire certaines choses et aime les faire. Ne s'étant pas déterminé pour<br />

un choix définitif, il se cantonne dans un rire ambigu. Ne s'interrogeait-il<br />

pas naguère sur "ces choses qu'en fait vous n'aimiez pas, non pas parce que<br />

vous n'étiez pas supposé les aimer, ni parce qu'avoir pour elles de l'aversion<br />

était considéré comme une marque de raffinement et d'éducation, mais parce<br />

que nous les trouviez déplaisantes ft ?(3)<br />

Confronté à un problème du même genre, c'est-à-dire à un problème de<br />

choix, il use d'expédient et se réfugie dans un rire palliatif. Il perd du<br />

même coup toutes ses réserves de perso~~lité d'affirmation, rompt avec tout<br />

son passé parce qu': "il entrevoyait la possibilité d'être plus que simple<br />

membre d'une race." Malheureusement son identification à la Confrérie le conduit<br />

encore à un désastre. Alors qu'il croyait être entré dans .une organisation<br />

fraternelle où les rapports s'établissent sur l'amour, il a la déoeption<br />

de oonstater que la politique ne peut pas 8tre l'expression de l'amour.<br />

Le narrateur se montre donc idéaliste, d'un idéalisme narf que rien<br />

dans sa condition' sociale présente ou passé ne justifie. Un idéalisme qui lui<br />

fait détruire tous les échaffaudages élevés par plusieurs générations de simulation<br />

et de dissimulation. Autant il ne comprend pas le geste de Bledsoe<br />

comme un moyen de détruire en lui toute vélléité d'appropriation facile de<br />

la vision d'autrui pour son identité, autant il est incapable de saisir la<br />

portée de la répudiation de la Confrérie par Tod Clifton. Alors que ce dernier<br />

refuse de s'identifier plus longtemps encore à une organisation qui ne le<br />

perçoit que dans le raIe d'un simple Pantin, le narrateur obnubilé par sa<br />

recherche d'une niche sociale, ne voit que le c6té positif du mouvement politique-:<br />

"l'organisation avait remodelé le monde et avait attribué à chacun un<br />

r61e capital" rappelle~t-il tout en déplorant la défection de son lieutenant<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 302<br />

(2) Ibid., p 303<br />

(3) Ibid., p 260


- 165 -<br />

dont il considère le départ comme "un répugnant rejet des valeurs humaines"(1).<br />

Devant la menace que constituait l'exemple subversif de Clifton, le narrateur<br />

n'a d'autres ressources que de plonger avec une ardeur militante plus forte<br />

dans le maelstrom de la Confrérie, comme il l'avait fait naguère lorsque<br />

Ras l'Exhorteur le réprimandait sévèrement parce qu'il militait dans une<br />

organisation fondée et dirigée Par des Blancs, une organisation qui non seulement<br />

professait une orientation de classe, mais appelait aussi à une fraternité<br />

des races. Pour Ras qui est l'un des personnages du roman à contester<br />

vigoureusement au<br />

narrateur sa vision du monde fondée sur des "valeurs blanches"<br />

et son adoption d'une identité qu'il ne contr6le pas, la seule alternative<br />

offerte à un Noir réside dans une espèoe de "négritude biologique"<br />

fondée sur la couleur de la peau et sur l'~tagonisme racial, une identité<br />

qui exalte la fierté de la race et valorise son passé. Ras propose, en fait,<br />

au narrateur une autre appréciation du monde qui l'entoure. Il procède, à<br />

l'instar de Marcus Garvey, à un réarrangement total des images relatives aux<br />

Noirs, ainsi que l'ont fait la plupart des mouvements idéologiques de l'histoire<br />

moderne. Les images auparavant considérées comme négatives sont valorisées.<br />

Ras, dans sa recherche d'une assise historique solide, susceptible<br />

d'ouvrir des perspectives futures valables pour lui, place la valeur absolue<br />

dans le Noir et exclut de son système eschatologique tout ce qui relève des<br />

Blancs. Il procède à un simple renversement de l'échelle des valeurs prévalant<br />

dans la société américaine. En appele.nt le Blanc "white devil" et en<br />

rejetant le symbolisme esthétique du oeuple blanc-noir tel qu'il fonctionne<br />

au détriment des Noirs, il aide oes derniers à acquérir une structure psyohologique<br />

solide et les réinsère dans une perspeotive historique dont ils se<br />

sentaient exclus. Il leur redonne l'initiative en exagérant leur importance:<br />

" Exaggerated self-importance is deemed an individual fault,<br />

but a racial virtue. It is the chief incentive of every<br />

race or nation that has ever gained prominence in the world's<br />

affairs. n (2)<br />

Cependant la prise de consoienoe des motivations intérieures qui résulte<br />

de ce renversement et de ce réarrangement d'images ne suffit pas à résou-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 413<br />

(2) Kelly Miller, inJŒIER,À.- et RUDWICK, E. eds, op.cit.,p123


- 166 -<br />

dre le problème concret des conditions réelles sur lesquelles une identité<br />

en développement peut se fonder. Car mal canalisées, les énergies libérées<br />

par la restructuration idéologique de Ras débouchent en droite ligne sur une<br />

perversion historique, faute de transcender l'identité "pseudologique"(1) sur<br />

laquelle elles se fondent. L'exemple classique de cette sorte de valorisation<br />

excessive de l'identité raciale est le nazisme. On comprend donc le refus<br />

du narrateur de Ralph Ellison de suivre Ras dans cette valorisation excessive<br />

de l'identité biologique dont les conséquences (un racisme antiraciste) ne<br />

peuvent être que fatales pour toute la race, et pour toute la société. Mais<br />

comme il l'a déjà dit, il n'est pas Samson pour se détruire en voulant détruire<br />

la société, ce qui est le résultat logique de la démarche de Ras. Cette<br />

raison le conduit à tuer ce dernier, étouffant en lui-même toute réaction<br />

superficiellement raciste.<br />

Cependant ce n'est pas Ras seul qui lui propose une autre vision de la<br />

réalité. Son objectif en dernière analyse n'est que de le conditio~~er pour<br />

des valeurs opposées au système idéel existant. . Celui qui symbolise le<br />

rejet de toute espèce de valeurs est Rinehart dont l'identité s'établit<br />

sur le rejet de tout contr81e des institutions sociales sur sa vie, mais qui<br />

se sert d'elles pour ses propres intér6ts, et qui pour parvenir à ses fins<br />

adopte l'identité qui convient à la situation. Chevalier d'industrie et opportuniste<br />

né, il joue le jeu sans y croire. Il en a appris les règles instinctivement,<br />

noie tout le monde sous les oui, exploite l'apparence et en<br />

tire les avantages pour lui seul. Il n'accepte pas de constructions rigides<br />

de la réalité. Il ne se laisse pas manipuler, il manipule. Son identité est<br />

la fluidité même,ce qui lui permet dans un pays sans passé solide et où la<br />

ligne qui sépare les classes sociales est fort ténue, de passer facilement<br />

d'une classe à l'autre. (2)<br />

Le narrateur fasciné par le personnage se voit contraint d'admettre<br />

que Rinehart jouissait d'une liberté sans frontières dans un monde aux possibilités<br />

illimitées:<br />

(1) Erik Erikson, Youth, Identity and Crisis, p<br />

(2) R. Ellison, Shadow and Act, pp 181-182


-167 -<br />

" Il avait des années d'avance sur moi, reconnatt le narrateur;<br />

j'étais un imbécile. Cinglé et aveuglé, voilà ce<br />

que j'étais jusqu'ici. Le monde où nous vivions n'avait pas<br />

de frontières. Un monde de fluidité, bralant, immense,<br />

bouillant, et Rine la Canaille était chez lui. Peut-@tre<br />

Rine la Canaille était-il le seul à s'y trouver à l'aise.<br />

C'était incroyable, mais peut-@tre ne pouvait-on croire'<br />

qu'à l'incroyable. La vérité était peut-@tre toujours un<br />

mensonge."(1)<br />

Cette révélation soudaine fait entrevoir au narrateur une nouvelle liberté<br />

de mouvement; comme si on venait de lui enlever un plâtre. Perdu dans<br />

l'anonymité d'une grande ville, il s'aperçoit qu'il lui est possible de se<br />

constituer un visage nouveau et d'exploiter à son profit, les immenses possibilités<br />

que lui offrent les multiples personnalités de Rinehart. Mais à la<br />

réflexion, cette identité instable ne lui convient pas parce que c'est une<br />

identité sans forme. Quoique Rinehart incarne "un principe d'espoir"(2) .et<br />

que le rejeter "revenait ni plus ni moins à servir Bledsoe et Emerson."(3)<br />

Pourtant le suivre jusqu'à son terme ultime impliquerait qu'on a souscrit à<br />

l'inexistence de toute forme de valeurs dans le monde. Perdre de vue que<br />

son r6le dans la structure formelle du roman d'Ellison est de suggérer au<br />

héros une voie de sortie hors du carcan du monde rigide où il se meut, serait<br />

avaliser le cynisme,<br />

le matérialisme et l'amoralisme qui prédominent<br />

dans les relations humaines. Pour l'idéaliste déçu qu'est devenu le narrateur<br />

une telle adhésion aux contre -valeurs forgées par Rinehart équivaudrait à<br />

une trahison pure et simple. Car il ne répudie pas tant les principes de<br />

la Confrérie ou des autres que la pratique de caux qui ont dévoyé ces principes<br />

pour les adapter à leurs intér@ts sordides. Ce qu'il refuse, c'est qu'on<br />

pense pour lui et qu'on lui dicte sa conduite. Il ne veut pas d'une discipline<br />

qui sacrifie les uns au profit des autres, d'un'~éalisme qui trompe les<br />

gens dans leur propre intér@t:'<br />

La conclusion à laquelle aboutit le narrateur à cette étape de son<br />

évolution est qu'aucune identité réelle -tant psychologique que sociale- ne<br />

peut @tre la somme arithmétique d'identifiQations à des hommes, des r6les ou<br />

à des systèmes. Cependant, s'il a représenté jusque là l'identification<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 47a<br />

(2) Ibid., p 479<br />

(3) Ibid., p 479


- 168 -<br />

aveugle aux systèmes mécaniques d'autrui, il ne se détermine pas pour autant<br />

à adopter l'identité fluide de Rinehart, car cette identité là est en<br />

réalité non-identité. Rinehart représente en effet, la diffusion ultime et<br />

la perte de l'ego ("the ultimate diffusion and loss of self"(1)) à en croire<br />

Tony Tanner.<br />

En qu@te de son identité le héros de R. Ellison ne peut que rejeter<br />

Rinehart comme s'il s'était déjà démarqué de la Confrérie et s'était soustrait<br />

de la vision de Norton, Emerson, Bledsoe et tous ceux qui cherchent à l'utiliser<br />

pour leurs propres fins: pour tous ces gens,<br />

" nous n'étions guère que des noms griffonnés sur des bulletins<br />

de vote truqués, à utiliser à leur convenance et à<br />

classer et à remiser dans le cas où l'on n'en a pas besoin.<br />

C'était une farce, une farce absurde. Je me suis mis à<br />

fouiller du regard un coin de mon esprit et je vis Jack,<br />

Norton et Emerson se fondre en une seule et même silhouette<br />

blanche. Quelle similitude entre eux! Chacun essayait de<br />

m'imposer sa vision de la réalité et se souciait comme de<br />

l'an quarante de la façon dont les choses m'apparaissaient.<br />

J'étais simplement un matériau, une ressource naturelle,<br />

à utiliser. J'étais passé de l'arrogante absurdité de Norton<br />

et d'Emerson à celle de Jack et de la Confrérie, et<br />

oela revenait au m@me -sauf que à présent, je me rendais<br />

oompte de mon invisibilité."(2)<br />

L'ultime révélation qu'il a de son identité est donc qu'il ne jouit<br />

pas, dans le cadre des transactions sociales existantes, de la liberté de<br />

se déterminer de façon autonome et responsable. Mais de cela, il a une claire<br />

conscience. C'est ce qui le conduit à qualifier d'invisible son identité à<br />

ce stade de son évolution, au terme de son initiation douloureuse. Cette identité<br />

est qualitativement différente de l'identité de pré-invisibilité qui le<br />

caraotérisait à l'époque où ses certitudes n'étaient point ébranlées et où<br />

il se prenait pour un leader de la race:<br />

" En oes jours où je ne me sentais pas encore invisible,<br />

je me voyais comme un futur Booker T. Washington"(3)<br />

(In those pre-invisible days, l visualized myself as a potential<br />

Booker T. Washington.)<br />

(1) Tony Tanner, City of Words: American Fiction 1950-1970, London, Jonathan<br />

Cape, p 57<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 481<br />

(3) Ibid., p 33


- 169 -<br />

On peut donc dire que l'identitf finale du héros de il. Ellison n'er;i;<br />

pas une identité définitive, une identité d'affirmation. Car s'il sait ce<br />

qu'il n'est pas<br />

et ne veut plus être, il ignore encore qui il est et veut<br />

être. C'est parce qu'il n'a pas encore trouvé un mode de reconciliation satisfaisant<br />

pour lui qu'il est demeuré dans une cave. b~is<br />

la retraite n'est pas<br />

définitive non plus. Il n'est qu'en hibernation et "une hibernation est une<br />

préparation couverte à une action plus ouverte."(1) C'est par le truchement<br />

de l'action que l'identité réelle peut s'acquérir. En effet R. Ellison distingue<br />

entre l'identité conférée et l'identité que l'homme se crée.<br />

" The hero's invisibility is not a matter of being seen,<br />

but a refusaI to run the risk of his own humanity, which<br />

inwolves guilt•••lt is what the hero refuses to do in each<br />

section that leads to further action. He must assert and<br />

achieve his own hwnanitY."(2)<br />

L'identité de visibilité que Ralph Ellison souhaite acquérir ne peut<br />

advenir que par la médiation de l'action, une action qui ordonne et donne forme<br />

au chaos que Ralph Ellison perçoit être à la base de toute réalité. Car<br />

l'identité recherchée par R. Ellison est en relation intime avec la perce~<br />

tion de la réalité.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 28<br />

(2) R. Ellison, Shadow and Act, p 119


- 170 -<br />

III - I<strong>DE</strong>NTITE ET REALITE: UNE VISIO!! <strong>DE</strong> CJ-i.AOS Err D'ORDRE.<br />

t<br />

Qu'est-ce que la réalité? A cette interrogation R. Ellison n'apporte<br />

aucune réponse définitive susceptible de nous éclairer, alors qu'à l'évidence<br />

cette notion de réalité fonde sa vision du monde et informe toute so~<br />

oeuvre. Pourtant, il se dégage, en filigrane, de ses écrits une perception<br />

de la réalité qui est à la fois tout d'ordre et de chaos. Un chaos tant intérieur<br />

qu'extérieur à l'homme, un chaos que ce dernier doit nécessairement<br />

ordonner. En effet, R. Ellison ne conçoit pas l'espace américain comme étant<br />

achevé une fois pour toutes. Au contraire il est mouvant et fluide, même s'il<br />

présente parfois des aspérités rigides. Ainsi, parlant de son Oklahoma natal,<br />

R. Ellison le décrit comme une com~nauté chaotique sans règles rigoureusement<br />

codifiées, à l'opposé du Sud profond des aristocrates terriens. C'était,<br />

dit-il, une société caractérisée par des attitudes de frontière, où le narf<br />

se mêle facilement au sophistiqué et où le bénin se confond au malin. Bref,<br />

un environnement non structuré où l'esprit et l'imagination des gens, des<br />

jeunes en particulier, sont portés au vagabondage et à l'exploration de continents<br />

nouveaux. Dans une telle société, l'individu n'est pas enserré dans<br />

un corset de fer comme c'est le cas par exemple dans le Mississipi de R.Wright<br />

où les sensibilités tant des Blancs que des Noirs sont inhibées par un environnement<br />

rigide. Un tel environnement n'offre aux Noirs, assure R. Ellison,<br />

que<br />

trois façons de réagir et de confronter leur destinée:<br />

" They could accept the role created for them by the Whites<br />

and perpetually resolve the resulting conflicts through<br />

the hope and emotional catharsis of Negro religion; they<br />

could repress their dislike of Jim Crow social relations<br />

while striving for a middle way of respectabilit~, becoming<br />

-consciously or unconsciously- the accomplices of the Whites<br />

in oppressing their brothers; or they could reject the situation,<br />

adopt a criminal attitude, and carry on an uncreasing<br />

psychological scrimmage with the Whites, which often<br />

flared forth into physical violence."(1)<br />

Ces trois alternatives débouchent, on s'en aperçoit aisément sur des<br />

impasses, parce que aucune des réponses de l'individu n'est authentique. Il<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 83


- 171 -<br />

réagit sous la pression des év~ne~ents extérieurs au lieu d'agir conformément<br />

à une volonté propre ou à un pensée autonome. Un environnement trop rigide<br />

ou dans l'optique de R. Ellison trop ordonné, tend donc à détruire les potentialités<br />

de l'individu à qui il n'offre que des choix, au mieux limités, au<br />

pire inauthenticp. es.<br />

A l'inverse, une société chaotique comme celle de l'Oklahoma permet le<br />

développement de la personnalité de l'individu à qui elle permet d'entrevoir<br />

des possibilités illimitées parce qu'il peut r@ver, se créer des héros, en<br />

un mot laisser la bride sur le cou à son imagination. De fait, R. Ellison<br />

tient l'imagination pour une faculté éminemment subversive en ce qu'elle offre<br />

à l'individu la possibilité de rejeter les fausses valeurs établies, et<br />

les normes imposées par la société; en ce qu'elle l'aide à transcender toutes<br />

les restrictions et les limitations. Evoquant l'activité de cette faculté<br />

telle qu'il en a fait l'expérience dans son jeune âge, R. Ellison écrit:<br />

" l realize now that we were projecting archetypes, recree.­<br />

ting folk figures, legendary heroes, monsters even, most<br />

of which violated aIl ideas of social hierarc and order<br />

and aIl accepted conceptions ••• handed down by cultural,<br />

religious and racist tradition.n( 1)<br />

Mais le chaos n'est pas seulement dans la fluidité de la situation sociale<br />

ou du monde extérieur. Il est aussi dans le iésordre intérieur à l 'homme<br />

qui ne peut contr6ler ses impulsions. Ainsi Norton qui a réprimé (il a mis<br />

de l'ordre dans) ses sentiments incestueux pour sa fille, s'écrie, s'adressant<br />

à Trueblood: "Vos yeux ont vu le chaos et vous n'@tes pas anéanti!"(2) Ce<br />

chaos, totalement différent du chaos de la société non structurée de l'Oklahoma,<br />

est l'expression des sentiments ambigus enfouis dans l'inconscient de<br />

l'individu, sentiments qui tendent à émerger dès que les mécanismes de contr8­<br />

le cèdent. C'est précisément le cas âu Golden Day où les anciens combattants,<br />

une fois débarrassés de leurs inhibitions et des barrières psychologiques et<br />

coercitives érigées pour les dresser afin de maintenir l'ordre se lancent<br />

dans des actes de destruction gratuite, comme le feront plus tard les habitants<br />

de Harlem déboussolés. L'ordre dans ce cas, c'est le conditionnement,<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p XVI. C'est nous qui soulignons.<br />

(2) Ibid., p 64


- 172 -<br />

le refoulement des sentiments de révolte et de contestation, en vue de l'acceptation<br />

de l'ordre établi. R. Ellison appelle d'ailleurs Supercargo , "an<br />

internalized representative of community. It is conventional evil taken for<br />

order. 1l<br />

L'idée qui se profile derrière cette vision de l'ordre est que l'existence<br />

humaine est désagrégée, que quelque chose de vital et d'essentiel pour la<br />

vie et l'existence humaine est abandonné ou supprimé. Cette répression fonde,<br />

selon R. Ellison, notre inquiétude et la vague de désespoir qui secoue les<br />

Etats-Unis aujourd'hui. Pour lui, "les évlmements extérieurs sont le résultat<br />

avant tout d'une répression historique, collective, des nécessités, propensions,<br />

aspirations et dimensions humaines essentielles."(1) La perspective<br />

historique est aussi, nous pouvons nous en apercevoir facilement, expression<br />

de chaos et d'ordre. L'illustration de ce genre de chaos nous est offerte<br />

par le plongeon de Tod Clifton hors de l 'histoire dont il dit avoir découvert<br />

la duplicité. L'histoire est aussi l'expression d'un chaos qui se donne<br />

pour ordre. Un ordre que l'agent de police qui a abattu Tod Clifton appelle<br />

réalité. Ainsi comprise, l'histoire devient une force d'inertie qui pétrifie<br />

l'homme qui se fie uniquement à elle. Comme le dit Tony Tanner:<br />

" History is the temporal dimension of the social structu-·<br />

re, its emerging shape, as weIl being tbe accumulation of<br />

memories which weigh on us. It is everything that has conditioned<br />

society and the individual within it. History we<br />

could say is the visible part of society's progress or<br />

change, the fraction that shows above the surface._"(2)<br />

L'histoire a donc une dimension cachée qui est totalement opposée à<br />

sa dimension visible. En choisissant de plonger délibérément en dehors de<br />

l'histoire, Tod Clifton condamne implicitement la distance qui sépare les<br />

deux aspects de la même réalité. Ce faisant, il présente la réalité historique<br />

comme une force insidieuse qui n'a d'autre justification qu'elle-m~me,<br />

une farce inexplicable lachée par des mains mystérieuses contre l'homme et<br />

le monde. La perspective historique devient à la limite, expression de la<br />

totalité du chaos. Comme le saloon du Golden Day, siège du chaos et du raffut,<br />

(1) Walter A. WeisSkopf, Aliénation, Idéologie et Répression, Paris, P.U.F.,<br />

1976, p 16. (Traduction française de Alienation and Economies, New-York, E.P.<br />

Dutton, 1911, par Tradecom.)<br />

(2) Tony Tanner, op.cit., p 55


- 173 -<br />

l'histoire de la nation américaine, en dépit de sa prétention à l'ordre, est<br />

chaotique. C'est une ~istoire<br />

qui se lit comme un Qiagnostic de démence.<br />

" Et si l'histoire était joueuse, et non pas une force<br />

dans une expérience de laboratoire••• Et si l'histpire n'était<br />

pas une citoyenne raisonnable, mais une folle ruisselante<br />

de ruse paranoïaque ?"(1)<br />

s'interroge le héros de Ralp!i Ellison dans Invisible l"an. Quoique l'auteur<br />

lui-même n'apporte pas une réponse claire et nette à cette question, on est<br />

tenté de répondre par l'affirmative quand on se rappelle sa théorie de l'histoire<br />

comme choc en retour;' C'est, dit-il en effet, sur "le principe de contradiction<br />

que repose le mouvement du monde: pas comme une flèche, mais comme<br />

un boomerang. (Méfiez-vous de ceux qui parlent de la spirale de l'histoire;<br />

ils préparent un boomerang. Gardez un casque sous la main.)"(2)<br />

De toute façon la répudiation de l'histoire par Tod Clifton repose sur le<br />

fait qu'il en a fait l'expérience en tant qu'abstraction intellectuelle de<br />

quelque minorité en passe de mettre le monde dans des corsets préfabriqués,<br />

des gens pour qui la masse est tout et l'individu, rien. Cette conception<br />

de l'histoire qui veut dissoudre l'individu dans l'universel arbitraire est<br />

aussi une forme du désordre et du chaos que dénonce l'auteur de Invisible Man.<br />

La réalité historique ainsi conçue maintient l'individu dans l'inexistence<br />

et dans l'impuissance puisque ce n'est pas lui qui détermine ce qui y est<br />

important de ce qui ne l'est pas:<br />

" En réalité, ne sont consignées que les choses vues, sues,<br />

entendues, que les év~nements importants aux yeux de l'enlesguels<br />

ses gardiens conser-<br />

registreur, ces menso~es par<br />

vent la puis sance."(3<br />

Sont omis de la réalité historique<br />

" les oiseaux de passage trop obscurs pour la classification<br />

savante, trop silencieux pour les appareils enregistreurs<br />

des sons les plus sensibles; de nature trop ambiguë pour<br />

les mots les plus ambigus et trop éloignés des centres de<br />

la décision historique pour signer, ou m~me applaudir à la<br />

signature des documents historiques"(4)<br />

comme les jeunes Zazous que le narrateur croise dans le métro et qui "couraient<br />

(1)R. Ellison, op.cit., p<br />

!2) Ibid., p 22<br />

3) Ibid., p 417. C'est nous qui soulignons.<br />

4) Ibid., p 417


- 114 -<br />

et se soustrayaient à la poursuite des forces historiques au lieu d'offrir<br />

une résistance do;ni~ante."(1)<br />

La question reste toujours posée de savoir si l'homme doit se "situer<br />

en dehors du domaine de l'histoire"(2) ou s'il doit y être "intégré" ainsi<br />

que le prétend le nar.rateur. Ce dilemme est renforcé par la rencontre que<br />

fait le héros de Invisible Man avec Rinehart, le prototype de l'homme qui<br />

vit dans le chaos, en dehors de l'histoire. Comme<br />

le dit R. Ellison lui-~ême,<br />

Rinehart qui porte le prénom symbolique de Protée est un virtuose de l'identité,<br />

et l'incarnation vivante du chaos:<br />

" Rinehart is my name for the personification of chaos.<br />

He is also intended to represent America and change. He<br />

has lived so long with chaos that he knows to manipulate it.<br />

It is the old theme if 1'The Confidence Man". He is a figure<br />

in a country with no solid past or stable class lines,<br />

therefore he is able to move about easily from one to the<br />

other•" (3)<br />

S'étant délibérément exclu de toutes les structurations de la réalité<br />

historique telle qu'en a fait l'expérience le narrateur de Invisible Man,<br />

c'est-à-dire une réalité d'ordre rigide et de manipulation mécanique des idées.<br />

et des hommes, Rinehart choisit de vivre dans un monde souterrain et fluide,<br />

en marge de la société, et de ses lois, et des forces de conditionnement.<br />

Son monde devient un monde sans limites et sans règles, abandonné à la "fluidité<br />

convergente des formes." Bref il choisit de faire de la réalité, -sa réalité-<br />

un<br />

chaos historique et social et d'y prospérer. La réalité elle-même<br />

est perçue comme chaos et Rinehart, personnification de ce chaos. Il se dissout<br />

dans la fluidité, devient une sorte de gelée sans forme. Or vivre sans<br />

conscience de sa forme,<br />

"c'est vivre une mort"(4). Et Ralph Ellison ne veut<br />

pas de ce chaos de diffusion pas plus qu'il n'accepte l'ordre ultime de rigidification<br />

et de pétrification.<br />

Ce double refus de l'ordre des fixités mécaniques des contr6leurs de<br />

la vie et de l'histoire d'une part et des adaptations improvisées et opportunistes<br />

de Rinehart d'autre part, n'apporte pas, malheureusement, de solution<br />

au dilemme de R. Ellison. Car on a beau s'éloigner des institutions et<br />

1) R. Ellison, op.cit., p 419<br />

2) Ibid., p 420<br />

13) R. Ellison, Shadow anè Act, p 181<br />

(4) R. Ellison, Homme Invisible••• ! p 22


- 175 -<br />

des centres où s'élaborent les décisions historiques et élire domicile dans<br />

un souterrain situé dans une zone marginale, l'histoire n'en continue pas<br />

moins de vous affecter et de régenter votre vie, car elle a une valeur supérieure<br />

à celle que nous lui attribuons. En s'apercevant de cette vérité, le<br />

narrateur s'éloigne des partis et des institutions diverses, des personnages<br />

de l'acabit de Norton, Bledsoe représentant de la pétrification sociale et<br />

de la manipulation mécanique de l'histoire en tant que dimension temporelle<br />

de la réalité. La même raison le conduit à ne pas capituler devant le chaos<br />

en se posant en émule de Rinehart.<br />

La fuite hors de l'histoire se révélant<br />

fttre un leurre, il ne reste<br />

objectivement au héros d'Ellison que le choix de demeurer un marginal, de<br />

vivre dans sa cave. C'est la seule alternative valable que lui offre la nouvelle<br />

conscience dont il est doté. Il ne se laissera plus prendre dans les<br />

constructions d'autrui et imprimera un mouvement autonome à sa vie. De la<br />

profondeur de sa cave, il peut observer aveo détachement, spectateur impassible,<br />

les grouillem~ et les grenouillements de ceux qui s'acharnent à vouloir<br />

contr8ler la vie au lieu de la vivre.<br />

Cependant, pour que soit complète son autonomie il lui faut une conscience<br />

claire de sa condition présente, il lui faut s'éclairer de son passé<br />

afin de se débarrasser définitivement des mythes et des préjugés qui ont informés<br />

sa vie antérieure. C'est pourquoi le premier geste du héros de Invisible<br />

Man dans sa cave est de brftler tous les papiers qui encombrent sa valisette.<br />

" Those papers represent" , nous dit Tony Tanner, "aIl the<br />

schemes and treacheries that his various controllers have<br />

planned for him. He is in fact burning up his past and aIl<br />

the false roles it has sought to trap him in"(1).<br />

Avec la lumière ainsi obtenue, il s'éclaire, c'est-à-dire qu'il a tiré une<br />

leçon de son expérience. Dans le même temps il engage un combat contre la<br />

Compagnie Générale d'Electricité (Monopolated Light(2)) qui monopolise non<br />

seulement les sources de lumière, mais se veut aussi la détentrice de la Vé-<br />

(1) Tony Tanner, op.cit., p 59<br />

(2) Butterfield Stephen: Black Autobiography: Amherst: University of Massachusetts<br />

Press, 1914<br />

L'i ,<br />

~<br />

-------------i


- 176 -<br />

rité. Il en gaspille l'énergie en illuminant son trou avec 1369 ampoules<br />

à filaments. S'i1~inonde d'un tel flot de lumière "c'est que la lumière confirme<br />

(sa) réalité, donne naissance à (sa) forme ••• et que sans lumière, (il)<br />

est non seulement invisible, mais informe éga1ement."(1) Or il ne veut pas<br />

perdre Sa forme comme la jeune fille qui couchée dans une pièce dans l'obscurité<br />

rêvait que son visage se dilatait jusqu'à remplir la pièce entière et<br />

devenir une masse informe, tandis que ses yeux transformés en gelée bilieuse,<br />

montaient à vive allure vers la cheminée.<br />

De toute façon, rien ajoute le narrateur, "ne peut faire obstacle à<br />

notre besoin de lumière, de lumière toujours plus brillante et toujours plus<br />

intense". Parce que "la vérité est lumière et la lumière est vérité."(2)<br />

La lumière dont fait état R. E11ison est bien la conscience claire qui perçoit<br />

en toute indépendance et en toute connaissance de cause; les jugements qu'elle<br />

porte sur la chose perçue constituent sa vérité. A la limite la vérité devient<br />

opinion. Nous y reviendrons.<br />

(1) R. E11ison, Homme Invisible••• , p 22<br />

(2) Ibid., p 22


1<br />

- 177 -<br />

IV - PLAIDOYER POUR L'ORDRE.<br />

Ralph ellison ne s'arrête pas à la découverte que la réalité est de<br />

nature chaotique. Son besoin même de forme est déjà un plaidoyer pour l'ordre.<br />

Ainsi après avoir présenté la réalité comme une construction fictive<br />

des autres, comme quelque chose de fluctuant et de complexe, Ralph Ellison<br />

procède malgré tout à une structuration de la réalité, c'est-à-dire crée sa<br />

propre fiction de la réalité. Il ne veut pas être informe comme nous l'avons<br />

indiqué. Car l'ordre c'est la forme et la forme c'est la vie. Le refus du<br />

chaos total au Golden Day ou de la rigidité inflexible de la Confrérie ne<br />

doit pas conduire l'individu à adopter de la réalité une vision protéenne.<br />

En fait la stratégie de R. Bllison consiste à n'écarter a priori aucun aspect<br />

de la réalité ou mieux de prendre en compte toutes les perceptions qu'il en a<br />

eues, ceci à fin de trouver ce qu'il appelle le principe supérieur de la<br />

réalité. C'est pour cette raison qu'il rappelle aux écrivains négro-américains<br />

les conseils d'Eidothea à Menelaus:<br />

" We whQ struggle with form and with America should remember<br />

Eidothea's advice to Menelaus when in the O~ssey he<br />

and his friends are seeking their way home. She tells him<br />

to seize her father, Protèus ., and to hold him fast however<br />

he may struggle and fight. He will turn into aIl sorts of<br />

shapes to try you, into water, into blazing fire, but you<br />

must hold him fast and press him aIl the harder. When he<br />

is himself, and questions you in the same shape that he was<br />

when you saw him in his bed, let the old man go; and then,<br />

sir, ask which god it is who is angry, and how you shall<br />

make your way homewards over the fishgiving sea."(1)<br />

Pour le romancier, poursuit Ralph Ellison, Protée représente à la fois<br />

l'Amérique et l'héritage d'illusions que les hommes doivent combattre avant<br />

d'atteindre à la réalité; le dieu offensé représente nos péchés contre les<br />

principes que nous tenons pour sacrés; la voie de salut que nous recherchons<br />

est la condition de l'homme en symbiose avec le monde où il vit; c'est ce que<br />

d'aucuns appellent amour et que d'autres nomment démocratie.<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, pp 105-106


- 178 -<br />

La tâche principale de l'écrivain dans ces conditions est de toujours<br />

interpeller les formes apparentes de la réalité -c'est-à-dire les manières<br />

figées et les valeurs particulières de la classe dirigeante, de la combattre<br />

jusqu'à ce qu'elle révèle son chaos fou et ses implications multiples, ses<br />

faux visages, sa profondeur et sa vérité.<br />

C'est à pareille tâche que s'adolli'1e le héros de Invisible r':an<br />

quand<br />

il nous dit qu'il essaie de "donner forme au chaos qu'abrite le canevas de<br />

(nos) certitudes. ,,( 1) Il le fait, nous assure t-il, parce que "en descendant<br />

~ous<br />

terre, j'ai tout enlevé sauf l'esprit, oui l'esprit. Et l'esprit qui a<br />

élaboré un plan de vie ne doit jamais perdre de vue le chaos sur lequel ce<br />

plan a été élaboré. Cela vaut pour les sociétés aussi bien que pour les individus"(2).<br />

L'esprit -la conscience en d'autres termes- devient une réalité supérieure<br />

Rui plane sur le chaos de la vie et de l'univers. La distinction qu'opère<br />

R. Ellison entre l'esprit, et l'individu et la société confirme, s'il en<br />

était besoin que la réalité est la conscience et que la vérité ainsi que nous<br />

le disions plus loin était opinion.<br />

En effet Ralph Ellison, par réalité, entend une vision ou une perception<br />

de la réalité. Pour lui, chacun vit sa réalité selon sa propre sensibilité:<br />

" When l examined the rather rigid concepts of reality<br />

which informed a nùmber of the works which impressed me and<br />

to which l owe a great deal, l was forced to conclude that<br />

for me and for so many hundreds of thousands of Americans,<br />

reality was simply far more mysterious and uncertain, and<br />

at the same time more exciting, and still, despite its raw<br />

violence, and capriciousness, more promisln.g•••"(3)<br />

On peut inférer de cette déclaration de R. Ellison que la réalité n'est<br />

pas quelque chose d'objectif, susceptible d'être connu scientifiquement. Il<br />

la subjectivise, l'intériorise et la dépouille de tout caractère factuel et<br />

objectif et en fait en dernière analyse un simple problème de perception.<br />

Mieux, bien percevoir, c'est être libre: "When l discover who l am, 1'11 be<br />

free", fait dire l'auteur à son héros invisible. La liberté aussi devient un<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• _ p 544<br />

(2) Ibid., p 544<br />

(3) Ralph Ellison and Allen Geller "Light on Invisible Man: An Interview with<br />

R. Ellison", The Crisis, March 1953 pp 151-158. Rpt. in C.W.E. Bisgby ed.


- 119 -<br />

point de vue. En outre elle est subjectivisée. Nous sommes en présence d'une<br />

conception solipsiste de la réalité, dont la conséquence est l'hostilité que"<br />

la plupart des écrivains négro-américains manifestent contre R. Ellison.<br />

En rejetant la version de la réalité que proposent les écrivains militants<br />

qui veulent changer l'état des choses existant et en faisant se corncider le<br />

problème de la réalité et son identité personnelle ("Here the question of realitY<br />

and personal identity merge"(1)) Ralph Ellison se place dans une position<br />

marginale, féconde pour lui, pour son art peut-@tre, mais assurément ambigu<br />

pour la littérature négro-américaine et le problème de l'identité culturelle<br />

en général.<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p XX.


- 180 -<br />

v - I<strong>DE</strong>NTITE CULTUREL<strong>LE</strong>: AMERICAINE OU NEGR~AMERICAINE?<br />

Pour Ralph Ellison, le problème de l'identité personnelle est intimément<br />

lié à celui de la réalité, qu'il situe, qinsi que nous l'avons déjà indiqué,<br />

au niveau de l'esprit(mind). C'est à cette altitude que ses héros é­<br />

voluent. Si le narrateur de Ho~e<br />

ses mémoires, c'est "parce qu'en dépit de moi,<br />

Invisible relate son expérience, s'il écrit<br />

j'ai appris quelques petites<br />

choses" et que"certaines idées ne sont pas près de m'oublier."(1)<br />

Au nombre des petites choses qu'il a apprises et des idées qui collent<br />

à lui, émerge le problème de l'identité dans sa relation avec le problème de<br />

culture. En effet l'identité que recherche le protagoniste n'est pas seulement<br />

personnelle; sa qu@te ne se réduit pas à la simple découverte d'une niche ou<br />

d'un mode d'être et d'action dans la société. Là il a déjà échoué et ne mériterait<br />

pas qu'on se souvienne encore de lui s'il ne s'était pas décidé à<br />

accomplir un geste public: mettre l'invisibilité noir sur blanc et en chanter<br />

la musique. Le problème tel qu'il le pose n'est plus tant individuel que collectif.<br />

En d'autres termes l'identité qu'il recherche n'est pas seulement ou<br />

simplement l'identité ontologique de l'individu nègre, universel et abstrait,<br />

c'est d'abord et avant tout celle d'un Nègre spécifique, dominé et vivant<br />

en position subalterne dans une société blanche. La quête du narrateur de<br />

Homme Invisible, son rejet des solutions partielles et partiales dont il a<br />

fait l'expérience reposent sur la conviction que la vie du Négro-américain<br />

a quelque chose d'unique et de désirable, que le sens des valeurs et la joie<br />

de vivre qui dérivent de son expérience drastique aux Etats-Unis doivent être<br />

assumés par tous les membres de sa race, en toute conscience et en toute responsabilité.<br />

Le véritable problème du Négro-américain tel que le perçoit<br />

Ralph Ellison, est de laisser à d'autres le soin de penser à sa place et de<br />

parler en son nom de ces choses essentielles pour lui. Il est explicite sur<br />

ce point:<br />

" Our lives since slavery, écrit-il, have been described<br />

mainly in terms of our political, economic, and social<br />

conditions as measured by outside norms, seldom in terms<br />

of our own sense of life or our own unique experience."(2)<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 543<br />

(2) Ralph Ellison:"A very stern Discipline: An Interview" Harper's (Magazine)<br />

March 1967, p 78


- 181 -<br />

Cette volonté de ne prendre pour référence supr~me<br />

et ultime que sa propre<br />

perception et sa compréhension personnelle de la réalité, Ralph Ellison<br />

affirme l'avoir tirée de la tradition des négro-américains et singulièrement<br />

leur folklore où s'expriment avec humour,l'horreur et les vicissitudes de la<br />

vie et où se rencontrent leurs projections métaphysiques:<br />

" In the folklore we tell what Negro experience really is.<br />

We back away from the chaos of experience and from ourselves,<br />

and we depict the humor as weIl as the horror of<br />

our living. We project Negro life in a metaphysical perspective<br />

and we have seen it with a complexity of vision<br />

that seldo:n gets into our writing."(1)<br />

Mieux_placée dans une position subordonnée, la culture négro-américaine<br />

n'a pu s'affirmer et survivre qu'en s'eXPrimant avec courage. Courage de ne<br />

pas sombrer dans le désespoir, de ne pas valoriser aveuglément la culture du<br />

maître et de ne prendre pour norme que sa conception et son appréciation de<br />

la réalité:<br />

" Negro folklore, écrit R. Ellison dans Shadow and Act,<br />

evolving within a larger culture which regarded i t as inferior,<br />

was an especially courageous expression. It announced<br />

the Negro's willigness to trust his oWR experience,<br />

his own eensibilities as to the definition of reality, rather<br />

than allow his masters to define these crucial matters<br />

for him."(2)<br />

Se fondant sur l'insistence de l'auteur de Homme Invisible••• à affirmer<br />

le caractère distinct de l'expérience négro-américaine, on aurait pu s'attendre<br />

à le voir se cantonner dans une sorte de provincialisme ou de particularisme<br />

nègre. Tant s'en faut. En effet, aussi bien sur le plan stylistique<br />

que sur celui des idées, il est éloigné d'un poète comme Paul Lawrence Dunbar<br />

et m8me d'un Langston Hughes. Son attachement à la tradition culturelle négroaméricaine<br />

et sa défense de cette forme d'''expression courageuse" ne l'empêchent<br />

pas de voir que la culture négro-américaine n'est qu'une forme particulière<br />

de la Culture Américaine sur laquelle elle agit de façon dialectique.<br />

En ce sens la Culture Américaine, expression particulière de la Culture Européenne,<br />

n'est en fin de compte qu'une symbiose de différentes cultures. Cette<br />

(1) R. Ellison: A Very Stern Discipline: An Interview" Harper's (Magazine),<br />

March 1961, p 80<br />

(2) R. Ellison: "The Art of Fiction: An Interview", Shadow and Act, p112


- 182 -<br />

idée est défendue avec vigueur par R. Ellison qui écrit:<br />

" We are fortunate as Arnerican writers in that with our<br />

variety of radical and national traditions, idioms and manners,<br />

we are yet one. On its profundest level, American<br />

experience is of a whole."(1)<br />

Ailleurs, il maintient l'idée que l'histoire négro-américaine est partie<br />

intégrante de l'histoire américaine et que les Etats-Unis ne sont parvenus<br />

à être que grâce à l'esclavage. En conséquence la culture négro-américaine<br />

elle-même s'apparente plus à la culture américaine et occidentale qu' à<br />

autre chose:<br />

" The history of the American Negro is a most intimate part<br />

of American history. 'l'hrough the very process of slavery<br />

came the building of the United States ( ••• ) Hïs (the American<br />

Negro) experience is that of America and the West,<br />

and is as rich a bo~ of experience as one would find anywhere.<br />

We can view it narrowly as something exotic, folksy<br />

or "low-down", or we may identify ourselves with it and recognize<br />

it as an important segment of the larger American<br />

experience -not lying at the bottom of it, but intertwined,<br />

diffused in i ts very texture. l can't take this lightly or<br />

be impressed by those who cannot see its importance; it is<br />

important to~. One ironic witness to the beauty and the<br />

universality of this art is the fact that the descendants<br />

of the very men who enslaved us can now sing the spirituals<br />

and find in the singing an exaltation of their own humani~ .<br />

ty."(2)<br />

Les: propos de l'auteur de Hom~e<br />

Invisible••• , tels que nous venons de<br />

les rapporter justifient, s'il en était encore besoin, la remarque de Henry<br />

James au sujet de la complexité du destin de l'américain: "It is a complex<br />

fate to be an American." Si l'amérioain estime que son destin est complexe,<br />

celui du négro-américain l'est d'autant plus qu'il entretient une relation<br />

ambiguë avec sa communauté ethnique, sa culture et la culture du courant<br />

principal de son pays. D'une Part il doit se penser en termes de nègre, ce<br />

qui a pour inconvénient de le murer dans le "particulier" nègre, qui ne coïncide<br />

pas toujours avec les aspirations légitimes de l'individu. En effet le<br />

monde extérieur est hostile à sa race en tant que race, d'où la nécessité de<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 106<br />

(2) Ibid., p 112


- 183 -<br />

prendre position en faveur ou en défaveur de ces pratiques. La conscience<br />

d'être nègre imposée du dehors et exacerbée par mille pratiques discriminatoires<br />

impose, quand on ne choisit pas de se dissoudre dans le néant, et qu'on<br />

oeuvre pour l'avènement d'une société plus juste, d'affirmer sa apécificité,<br />

de résister à toute assimilation.<br />

Le problème est d'une complexité très grande en ce qui concerne les artistes<br />

et singulièrement les écrivains qui doivent éviter de s'enfermer dans<br />

leur "négritude"(un mot que R. Ellison n'aime pas entendre appliquer aux<br />

Négro-américains) et pourtant en rendre compte de façon adéquate. Car quoi~<br />

qu'étant une partie inséparable de la littérature américaine, la production<br />

littéraire négro-américaine a ses :impératifs, qui sont uniques et propres<br />

à la communauté noire. Le problème n'est pas particulier aux seuls Négro-américains.<br />

Il se pose dans les mêmes termes aux autres minorités, comme les<br />

Juifs, les Chicanos, les catholiques, etc•. Mais aucun groupe ne peut dire<br />

toute la vérité sur l'expérience américaine:<br />

" However, l don't believe, écrit R. Ellison, that any one<br />

group can speak for the whole experience -which isn't perhaps,<br />

desirable. They can only reduce it to metaphor, and<br />

no one has yet forged a metaphor rich enoughto reduce Arnerican<br />

diversity to form."(1)<br />

La vérité dont l'écrivain négro-américain doit rendre compte est d'une<br />

rare intrication, à l'image de la situation-qu'il doit présenter. Il vit en<br />

effet dans un monde blanc, participe à une version blanche de l'histoire et<br />

adopte une tradition littéraire occidentale, mais dans le même temps il ne<br />

peut se dire blanc, ni tout à fait noir, en tout cas pas africain. Rendre<br />

compte de soi et de son environnement devient dans ces conditions une tâche<br />

ardue. Les termes de l'alternative, tous aussi réducteurs, sont de se nier<br />

en tant que noir ou de valoriser excessivement sa spécificité. Trouver un<br />

moyen terme pour sortir de ce dilemme, de cette forme d'invisibilité, telle<br />

est la tâche que le Négro-américain doit s'assigner tout au long de sa carrière<br />

d'écrivain. Et sa marge de manoeuvre est d'autant plus réduite qu'il ne<br />

lui est pas souvent facile de se dédoubler, de sortir de lui, d'être objectif<br />

(1) R. Ellison, "A Very Stern Discipline~' Harper's, p18


- 184 -<br />

comme le lui conseille Langston Hughes:<br />

1\ Ta write about yourself, you should first be outside yourself-<br />

objective.( ••• ) Advice ta Negro ~Titers: step outside<br />

yourself, then look back- and you will see how h~~an, yet<br />

how beautiful and black you are."(1)<br />

La difficulté provient du fait que, vivant dans une société où toute sa vie<br />

est régie par des normes et (les prescriptions, il ed iné'.ritable qu'il émette<br />

des jugements de valeur sur la morale et la société. L'histoire pour lui est<br />

subjectivisée, ou comme le dit 5aunders Redding,<br />

" History is as personal ta him as the woman he loves; and<br />

he is caught in the flux of its events, the currents of its<br />

opinion and the tides of its emotion; and he believes that<br />

the mood is weak which tolerates an impartial presentment<br />

of these, and that this weak mood cannot be indulged in a<br />

world where the consequences of the actions of a few men<br />

produce insupportable calarnities for millions of humble folk.<br />

He is one of the humble folk. He forages in the cause of<br />

righteouness. He forgets that he is also one of Appolo's<br />

company ."(2)<br />

Mais l'art impose de transcender les circonstances qui lui ont donné<br />

naissance. Il veut que l'individu ne soit pas considéré comme un problème,<br />

mais traité en personne. Parce que le pathétique chez l'homme réside dans son<br />

ardent désir de trouver un sens, une plénitude à sa vie; une vie vécue en<br />

symbiose avec sa communauté. Or aux Etats-Unis, il n'y a pas de caractère national<br />

défini. C'est donc à partir de la seule situation américaine telle<br />

qu'il l'a connue que l'artiste négra-américain doit se chercher. Ce Qu'il<br />

découvre c'est par exemple qu'il est aliéné, non pas tant parce qu'il est<br />

Nègre, mais parce qu'il est intellectuel et que la démocratie américaine confine<br />

l'intellectuel dans une sorte de ghetto. Comme le fait observer 5aunders<br />

Redding:<br />

" The intellectual in America is a radically alienated<br />

personality, the Negro in common with the White,and both<br />

were hungry and seeking and sorne of the best of both found<br />

food and an identity in communism. But the identity was<br />

only partial and, the way things turned out, further emphasized<br />

their alienation. 50 -at least for the Negro<br />

writers among them- back into the American situation,<br />

(1) Langston Hughes: "Writers: Black and Whites" in Black Voices: An Anthologv<br />

of Afro-American Literature", Abraham Chapman ed, New-York, Mentor Book, 1968,<br />

pp 619-622.<br />

(2) 5aunders Redding, "l'he Negro Writer and His Helationship to His Roots" in<br />

A. Chapman ed, op.cit., p 613


La préoccupation de~<br />

"the jungle where they could find themselves. A reflex of<br />

the natural gradation of impulse to purpose."(1)<br />

écrivains négro-américains devient alors celle de<br />

tous les c~éateurs d'oeuvres de fiction: la conditon humaine,<br />

la découverte<br />

de soi, la communauté, l'identité. Car l'identité de la personne doit ~tre<br />

affirmée avant que ses rapports avec l'identité générique de l'homme soient<br />

établis. Une idée chère à R. Ellison qui écrit à ce propos dans Homme<br />

Invisible•••<br />

:<br />

" Le problème de Stephen, comme le n6tre, ne résidait pas<br />

exactement dans le fait de créer la conscience inexistante<br />

de sa race, mais de créer les traits inexistants de son visage.<br />

Notre tâche consiste à faire de nous des individus.<br />

La conscience de la race est un don des individus qui la<br />

composent, et qui voient, évaluent, enregistrent••• En nous<br />

créant nous-m~mes, nous créons la race; à notre grand étonnement,<br />

nous aurons alors crée quelque chose de bien plus<br />

important: nous aurons crée une culture."(2)<br />

Les lignes qui précèdent nous plongent au coeur de la philosophie culturelle<br />

de R. Ellison. C'est l'individu qui crée la race, c'est l'individu qui crée<br />

la culture. M~me<br />

la culture collective, les chants, les danses, les dictons<br />

aujourd'hui anonymes sont l'oeuvre d'individus créateurs, dans la lignée desquels<br />

l'auteur de Homme Invisible••• veut prendre place. Aussi s'efforce t-il,<br />

non pas de reprendre la tradition culturelle négro-américaine telle qu'elle<br />

existe et de la pasticher, mais de créer à partir d'elle une nouvelle tradition<br />

qui soit l'adaptation consciente des éléments spécifiques aux Négroaméricains<br />

pour les insérer dans la tradition culturelle de l'Amérique et de<br />

l'Occident. Il veut renouveller sur le plan de la création littéraire la prouesse<br />

des musiciens nègres qui ont su adapter avec bonheur les éléments du folklore<br />

musical négro-américain à la tradition musicale européenne pour faire<br />

émerger de nouvelles formes musicales connues sous le nom de jazz, blues,<br />

spirituals. Dans sa tentative de donner naissance à une synthèse littéraire<br />

alliant les éléments culturels de la tradition négro-américaine à ceux de la<br />

tradition américaine et occidentale, -c'est-à-dire le courant culturel principal<br />

(mainstream culture)- R. Ellison est conduit à ritualiser les éléments<br />

( 1) Saunders Redding, '''l'he Negro Writer and His Relationship to His Roots"<br />

in A.Chapman, op.cit., p 617<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 339


- 186 -<br />

du folklore négro-américain et à les mettre en parallèle avec les mythes de<br />

la tradition occidentale. Le résultat n'est pas toujours à la hauteur des<br />

ambitions et ce qui semblait être une innovation féconde aboutit en fin de<br />

compte à une impasse.<br />

Dans une interview sur l'art du roman, R. ~llison<br />

oeuvre certains thèmes, certains symboles<br />

rappelle que da,ns 80n<br />

et certaines images sont tirés du<br />

folklore. Puis il poursuit en donnant des exemples de l'extension du sens<br />

qu'il a fait subir à ces éléments et à ces thèmes folkloriques:<br />

" For example, dit-il, there is the old saying amongst Negroes:<br />

if you're black, stay black; if youfre brown, stick<br />

around; if you're white, you're right. And there is the<br />

joke Negroes tell on themselves about their being so black<br />

they can't be seen in the dark. In my book this sort of<br />

thing was merged with the meanings which blackness and light<br />

have long had in Western mythology: evil and goodness, ignorance<br />

and knowledge, and so on••• It took me a long time<br />

to learn how to adapt such examples of myth into my work<br />

-also ritual. The ~se of ritual is equally a vital part of<br />

the creative process. l learned a few things from Eliot,<br />

Joyce and Hemingway, but not how to adapt them. When l<br />

started writing, l knew that in both the Waste Land and<br />

Ul,sses ancient mYth and ritual were used to give form and<br />

significance to the material; but it took me a few years<br />

to realize that the mYths and rites we find functioning in<br />

our everyday lives could be used in the sarne way. ,,( 1)<br />

Quelques remarques s'imposent à propos des exemples de R. Ellison. Il fait,<br />

comme le dit avec beaucoup de pertinence Susan L. Blake, une confusion entre<br />

la sagesse populaire et le mythe(2). En effet le dicton "if you're black,<br />

stay black" ne ressortit a.u domaine mythique mais résume plut6t une situation<br />

sociale que la sagesse populaire accepte de façon provisoire et dont elle<br />

vide le caractère destructeur par le truchement de l'humour et du rire palliatifs.<br />

En second lieu, il faut faire observer que le rituel n'est jamais<br />

complètement indépendant du mYthe. C'est au contraire la forme d'expression<br />

que revêt très souvent ce dernier. Dans son effort de création d'une tra.dition<br />

littéraire qui prenne en compte la culture populaire négro-américaine"<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, pp 173-174.<br />

(2) Susan L. Blake: "Ritual and Rationalization: Black Folklore in the Worka<br />

of Ralph Ellison" P.M.L.A., 94(Jan. 1919); p 122.


- 187 -<br />

et la fusionne avec la culture occidentale dans sa variante américaine, Ralph<br />

EllisoR se trouve obligé de ritualiser le folklore négro-a~éricainpour en<br />

élargir le sens et le mettre au service d'une mythologie qui lui est étrangère<br />

et qui le dépasse.<br />

Il n'existe pas d'unanimité au sujet de la définition du mythe et de<br />

sa relation avec le conte populaire (folktale) ni des autres formes d'expression<br />

populaire. On peut toutefo~s<br />

laire est une oeuvre de pure fiction qui ne<br />

dire avec Géza Roheim que le conte popu~<br />

met en jeu que des êtres humains<br />

historiquement situés et déterminés et que celui qui l'écoute n'y croit pas.<br />

A l'opposé les mythes ont pour acteurs des personnages divins, et se situent<br />

hors du temps historique. En outre ceux qui les rapportent et leurs auditeurs<br />

y croient:<br />

" In a myth the actors are mostly divine and sometimes human.<br />

In a folktale, the dramatis personae are mostly human<br />

and especially the hero is human, frequently with supernatural<br />

beings as his opponents. In a myth we have definite<br />

locality; in a folktale the actors are nameless, the scene<br />

is just anywhere. A myth is part of a creed; it is believed<br />

by the narrator. The foDiale is purely fiction, and not<br />

intended to be anything else."(1)<br />

La fonction du mythe, à en croire un historien des religions, Mircea<br />

Eliadaest de relater comment ''une réalité est venue à l'existence, que ce<br />

soit la réalité totale, le Cosmos ou seulement un fragment: une fIe, une espèce<br />

végétale, un compDrtement humain, une institution. C'est donc toujours<br />

le récit d'une "création"."(2)<br />

L'idée centrale de cette définition, fait observer à juste titre Michel<br />

Terrier, est celleœ'naissance, d'origine, de création. Appliquée aux mythes<br />

fondateurs de la nation américaine, cette définition, outre qu'elle explique<br />

l'avènement d'une réalité radicalement nouvelle par l'accent que porte la<br />

mythologie américaine sur la recréation du monde et la rupture avec l'histoire,<br />

fonde l'''exceptionna.lisme''américain. Le mythe identifie en effet<br />

t 1<br />

(1) Géza Roheim;"Myth and Folktale", American Imago, II (1941) pp 266-279.<br />

Rpt. in John B. Vickery ed., }1yth and Literaturel Contemporary Theory and<br />

Practice, University of Nebraska Press, Lincoln, 1966,pp 25-32.<br />

(2) Cité par Michel Terrier dans son livre Individu et Société dans le Roman<br />

Américain de 1900 à 1940: Essai de Poétique Sociale, Paris, Didier, 1973, p 37.


- 188 -<br />

"nouveauté et originalité, originel et original"(1). Lorsqu'on.aborde l'étude<br />

de la création de l'Amérique, il importe donc de toujours garder présent à<br />

l'esprit que<br />

Cela revient à dire que<br />

" l'histoire amer1.caine a une or1.g1.ne absolue qu'elle n'est<br />

pas le résultat d'un courant ininterrompu prenant sa source<br />

dans la nuit des temps, que le continent préexistait à<br />

la découverte, la nature à la société et à l'histoire, et<br />

qu'ainsi le début apparaft comme une épiphanie, un surgissement<br />

merveilleux hors de rien, une création pure. Mais<br />

d'autre part, poursuit Terrier, pour la pensée mythique 1'0­<br />

rigine est toujours présente au coeur du réel dont elle<br />

fonde la plénitude, et il convient de réactualiser sans cesse<br />

cette pureté originelle: ce sera là une des missions<br />

de l'artiste."(2)<br />

" que le temps mythique est réversible, qu'on peut ramener<br />

l'essence au sein de l'existence soit pour constater leur<br />

divorce, soit pour confirmer leur coincidence. Dans la mesure<br />

où cette dernière se révèle impossible, le mythe subsiste<br />

sous forme d'un idéal moral à partir duquel la réalité<br />

doit @tre remodelée: l'idéalisme américain est le<br />

succédané du mythe."(3)<br />

Cependant le mythe n'est pas seulement le récit d'une création. Il<br />

ne présente pas la simple accession.à l'être d'une nouvelle réalité. C'est<br />

aussi une forme de pensée, une catégorie philosophique, à en croire Georges<br />

Gusdorf:<br />

" Si le mythe correspond à une catégorie, la seule qui lui<br />

convienne serait celle de totalité concrète, ou encore celle<br />

de l'identité radicale, de l'unité ontologique. Toute<br />

la réalité s'inscrit dans un seul ordre où elle se développe<br />

selon un dynamisme commun qui s'inscrit en elle comme<br />

une circulation de vie et d'intelligibilité. La conscience<br />

mythique affirme un monde à l'état p~teux, dans sa première<br />

cohérence et sa coalescence. Les articulations du langage,<br />

de la technique et de la pensée n'entament pas la masse.<br />

Elles désignent bien plut8t ~u'elles n'analysent cette première<br />

image d'un monde dont la plénitude se trouve préservée."(4)<br />

Le mythe appréhendé d'un point de vue philosophique n'opère pas de distinction<br />

le Roman Améri-<br />

1913, p 38


-189 -<br />

~~tre<br />

la pensée et la réalité, le sujet et l'objet. Son principe premier<br />

est l'unité de toutes choses. Le monde mythique est un moncie où n'existent<br />

point les contradictions et les conflits inhérents à la réalité. Il y règne<br />

en revanche une harmonie plénière. C'est un monde où le principe spirituel<br />

n'est pas dissocié du principe matériel, donc un monde antérieur à la pensée<br />

discursive. Pour la conscience mythique, ainsi que le dit Terrier, le monde<br />

est une présence personnelle et vivante et non un objet étranger et figé. Le<br />

monde mythique est celui de la communion et de<br />

" la communication universelles, monde de la circulation<br />

d'une même sève vitale et spirituelle dans l'homme et<br />

dans la nature. Avec le déroulement de l'histoire cet univers<br />

plastique et osmotique se fige et se bloqie, mais<br />

toujours subsistent des résurgences et des nostalgies de<br />

l'unité perdue."( 1)<br />

Les définiüons qui précèdent nous aident à mieux cerner le problème.<br />

Il existe deux niveaux intimément liés dans la pensée populaire: Un niveau<br />

concret et temporel spécifique au groupe qui s'en sert pour reproduire ses<br />

ses valeurs morales et esthétiques, son expérience en tant que groupe. L'au~·<br />

tre niveau est abstrait et transcende les préoccupations immédiates du groupe.<br />

Il émet des vérités "universelles", "éternelles'; communes au genre humain.<br />

Précisons que le groupe qui crée ses mythes n'opère aucune distinction<br />

entre les deux niveaux que nous venons de mentionner; en outre les épithètes<br />

"universelles" et "éternelles" sont de valeur relative~ne se réfèrent qu'à<br />

des univers plus vastes que celui du groupe donné sans recouvrir pour autant<br />

la totalité de la surface de la terre.<br />

Les deux niveaux d'appréciation de la culture populaire se retrouvent<br />

chez R. Èllison qui écrit:<br />

" People rationalize what they shun or are incapable of<br />

dealing with, these superstitions and their rationalizations<br />

become ritual as they govern behavior. The rituals<br />

become social forms and it is one of the functions of the<br />

artist to recognize them and raise them to the level art."<br />

(2)<br />

(1) Michel Terrier, op.cit., pp 38-39<br />

(2) R.Ellison, Shadow and Act, p 174


- 190 -<br />

Il reconnatt aussi de façon explicite que le rituel trouve son origine dans<br />

l'irrationel et est un refus de confronter le moncie d'une façon conforme à la<br />

raison. Le rituel ne justifie que l'expérience immédiate. Le comportement qui<br />

se fonde sur un tel mode de connaissance ne peut être qu'ambigu. De toute manière,<br />

le rituel comme le mythe fournissent des solutions culturelles aux<br />

problèmes ~uxquels<br />

sont confrontés les hommes~<br />

" In the face of want and death and destruction, aIl humans<br />

have a fundamental insecurity. To sorne extent, aIl culture<br />

is a gigantic effort to mask this, to give the future the<br />

simulacrum of safety by making activity repetitive, expective<br />

-"to make the future predictable by making it conform<br />

to the past.,,( 1)<br />

Le rituel est donc dans son essence la répétition de l'action dans un but<br />

symbolique:<br />

" It abstracts experience from history by extending i t over<br />

time and emphasizing form over context( ••• ) Ritual, theoretically<br />

at least turns social experience into the symbol<br />

of mythic experience."(2)<br />

Ainsi quand Ralph Ellison, dans sa volonté et Bon effort d'élargir le<br />

sens de l'expérience négro-américaine en adapte les éléments culturels à ceux<br />

de l'expérience américaine, il les ritualise, c'est-à-dire fait d'une expérience<br />

la répétition de l'autre. Le résultat de sa tentative est la destruction<br />

de toutes les références temporelleset spatiales caractéristiques d'une<br />

expérience sociale particulière et sa transformation en l'expression abstraite<br />

d'une expérience myhtique née dans un monde cosmique sur lequel l'homme<br />

n'a aucune prise, ni aucun contr~le;<br />

de l'expérience négro-américaine revue par R. Ellison:<br />

ou comme le dit S. L Blake à propos<br />

" When El1ison puts elements of black American folk experience<br />

into series with similar elements of American or Western<br />

mythology, he is ritualizing them, making each experience<br />

a repetition of the other. He is removing the black experience<br />

from its historical time, erasing its distinctiveness,<br />

(1) Clyde Kluckhohn: "Myths and Rituals: A General Theory", Harvard Theological<br />

Review, 35 (1942) pp 45-49. Rpt. in John B. Vi ckery, ed., op.cit. pp 35-44<br />

(2) Susan L. Blake, "Ritual and Rationalization: Black Folklore in the Works<br />

of R. Ellison", P.M.L.A., Vol. 94, Jan. 1979, p 122. Dans tout ce chapitre<br />

nous nous sommes largement inspirés de cet article.


- 19î -<br />

"heightening its similarity to other experience. He is translating<br />

an expression of the way things work in a particular,<br />

man-made, social world to an expression of the way they work<br />

in a larger, uncontrolled cosmic world."(1)<br />

L'exemple le plus éloquent des implications d'une telle dilution du<br />

sens de l'expérience sociale et sa transformation en mythe nous est fourni<br />

par Ralph Ellison lui-même qui déclare dans un commentaire à propos de l'emploi<br />

d~<br />

folklore dans son roman:<br />

" Take the "Battle Royal" passage in my novel, where the<br />

boys are blindfolded and forced to fight each other for the<br />

amusement of the white observers. This is a vital part of<br />

behavior pattern in the South, which both Negroes and Whites<br />

thoughtlessly accepte It is a ritual in preservation of caste<br />

lines, a keeping of taboo to appease the gods and ward<br />

off bad luck. It is also the initiation ritual to which aIl<br />

greenhorns are subjected. This passage which states what<br />

Negroes will see l did not have to invent; the patterns were<br />

already there in society so that aIl l have to do was present<br />

them in a broader context of meaning. In any society<br />

there are many rituals of situation which, for the most part,<br />

go unquestioned. They can be simple or elaborate, but they<br />

are the connective tissue between the work of art and the<br />

audience."(2)<br />

Quelques idées se dégagent de ce commentaire, à savoir qu'il existe dans toutes<br />

les sociétés des rituels de situation que personne ne remet en question<br />

et que tout le monde accepte. L'épisode de la Mêlée Générale(Battle Royal)<br />

met en jeu un de ces rituels de situation qui régit le comportement social<br />

des Noirs et des Blancs, comportement qu'aucun des groupes ne songe à soumettre<br />

aU crible de la raison. Cependant, l'auteur identifie dans ce rituel un<br />

contenu social (préservation des castes) et un contenu religieux (respect des<br />

tabous afin de se concilier les dieux et d'éloigner la mauvaise chance). Il<br />

interprête dans le même temps ce même épisode comme un rite d'initiation, de<br />

passage de l'enfance à l'âge adulte. La Mêlée Générale perd du coup toute<br />

signification sociale spécifique aux Noirs. Ralph Ellison a incontestablement<br />

raison lorsqu'il affirme n'avoir pas inventé le passage et que le modèle existait<br />

déjà dans la société, son seul mérite ne résidant que dans l'élargissement<br />

du sens et du contexte. L'épisode de la Mêlée Générale renonte en effet<br />

(1) S.L. Blake, op.cit., p 122<br />

(2) J.- ~llison, Shadow and Act, pp 174-175


- 192 -<br />

à la période de l'esclavage com~e l'attestent les nomnreux contes qui rapportent<br />

1er varié'.ntes de ce pugilat (1) où le~ escleves noirs, Èt 12 requête èe<br />

leurs rnaItres se battent les uns contre les autres, pour le plaisir de ces<br />

derniers. Parfois, ces rencontres donnent lieu à des paris dont l'enjeu est<br />

souvent la plantation des martres. Un tel modèle de dramatisation des relations<br />

sociales a été exploité par de nombreux écrivains, tant blancs que noirs,<br />

au Y.Iomore desquels, William Faulkner dans Absalom, Absalom!, lÜcharci Viright<br />

dans Black Boy, O. Killens dans Youngblood(2).Le but de ce pugilat, avonsnous<br />

dit est de dramatiser les relations sociales établies entre les Noirs<br />

et les Blancs; Cependant, il résume aussi, comme l'a fait remarquer Susan L.<br />

Blake, l'exploitation physique, économique, psychologique et sexuelle de<br />

l'esclavage et en élargit la compréhension au niveau de l'esclave.(3) En assimilant<br />

un rituel de situation servile à contenu social spécifique à un<br />

un rituel religieux ou à un rituel d'initiation, Ralph Ellison transforme une<br />

expérience sociale marquée par le temps en expérience religieuse aux lois<br />

immuables et la dissocie de tout contexte socio-culturel précis. Mieux(pire?)<br />

par son insistence exagérée sur le c6té symbolique au détriment des éléments<br />

SOCiaux, il réduit une expérience sociale complexe en mythe.<br />

L'interprétation mythique d'un rituel de situation tel que celui de la<br />

M~lée<br />

Générale contredit absolument la vérité de l'expérience sociale. En<br />

tant que rituel de situation sociale, la Mêlée Générale traduit la faiblesse<br />

du Noir face au pouvoir blanc, alors que le rituel d'initiation ou rite de<br />

passage ne reflète que la limitation temporaire de la jeunesse face à l'âge<br />

mature, de l'i~~ocence face à l'expérience. Mais tandis que tout jeune homme<br />

normalement constitué est appelé (c'est une loi biologique dans laquelle<br />

n'intervient pas de facteur social extérieur) à grandir, à devenir adulte et<br />

à acquérir de l'expérience, le Noir ne peut pas, même si tel était son plus<br />

ardent désir, devenir blanc. le rituel d'initiation s'inscrit dans le cadre<br />

des rapports entre l'individu et son groupe de référence, groupe au sein<br />

duquel il espère jouer un r61e responsable dans l'avenir et dont il accepte<br />

les valeurs. A l'opposé le rituel de situation sociale exprime des rapports<br />

de domination entre un groupe oppresseur et un groupe assujetti, entre un<br />

(1) Richard M. Dorson, dans son recueil "American NegrO Folktales, Greenh~ch,<br />

Conn: Fawcett, 1967, pp 132-135) rapporte trois variantes de ce conte.<br />

(2) S.L.Blake, op.cit., p 122<br />

(3) Ibid., p 122


- 193 -<br />

fort et un faible et seuls un renversement des valeurs et un bouleversement<br />

des rapports sociaux peuvent changer ce rituel. Il en est ainsi parce que le<br />

rite d'initiation est dans la nature des choses, tandis que le rituel de situation<br />

sociale comme le rituel religieux sont des conventions établies par<br />

les hommes. Le premier rend compte d'UL~ processus naturel, la maturation, que<br />

l'homme a ritualisé parce qu'il lui est impossible de l'éviter. Les autres<br />

célèbrent des conventions hUrlaines ('lui sont ritualisées dans le but de voiler<br />

leur origine, de les faire apparattre comme naturelles afin d'éviter de les<br />

modifier. On ne peut donc assimiler ou accorder la même valeur à ces formes<br />

de rituel, dont l'une relève de l'organisation et de la distribution du pouvoir<br />

au sein de la société alors que les autres ressortissent au domaine mythique.<br />

Il paratt évident qu'assimiler comme le fait R. Ellison un rituel social<br />

à un rituel religieux ou à un rite de passage, en d'autres termes transformer<br />

une expérience sociale en expérience mythique, c'est affirmer dans le<br />

contexte social américain caractérisé aujourd'hui encore par des relations<br />

inégalitaires entre Blancs et Noirs, que les rituels qui pérennisent les comportements<br />

des Noirs vis-à-vis des Blancs et les lois qui les codifient sont<br />

éternels et immuables, que ayant reçu une sanction divine et étant validé<br />

par le temps, ils doivent @tre préservés. L'évolution des rapports entre les<br />

deux communautés prouvent qu'il n'en est rien. La ségrégation raciale, l'injustice<br />

sociale dont sont victimes les Nègres n'ont rien de prédestiné, ni<br />

de permanent. Quand bien m@me la culture populaire négro-américaine semble<br />

accepter la situation qui prévaut comme dans le dicton "if you're black,<br />

stay black; if you're brown, stick around; if you're white, you're right",<br />

elle le fait dans le but d'ironiser.<br />

En plaçant un rituel né d'une situation précise, un rituel affecté par<br />

le temps et l'espace dans un 00 ntexte "a-temporel", "universel", et sans référence<br />

spatiale, l'auteur de Homme Invisible••• en travestit le sens social<br />

profond. L'adaptation qu'il veut faire subir à l'expression populaire propre<br />

à la commuanuté afro-américaine en l'investissant dans des formes mythiques<br />

américaines et occidentales, le contraint à rendre "universel" le produit<br />

final de ses recherches, à ignorer, minimiser, travestir ou à nier les particularités<br />

de la tradition populaire afro-américaine. La culture afro-amé-


- 194 -<br />

ricaine portant les stigmates de l'esclavage, l'effort de Ralph Ellison<br />

pour les transcender, le conduit à insister plus sur ce qu'il estime ~tre<br />

les convergences au lieu de rendre compte de ce qui fait la spécificité de<br />

l'expérience afro-américaine et la distingue de celle des autres communautés.<br />

Ainsi dans le roman ~e Invisible••• , les tribulations du narrateur l'amènent<br />

non pé'S à. a,préhe!1der ce qui rle'":c- 12 r0é'1~t€ socio-politique explique<br />

son échec final (à savoir qu'il est un homme noir dominé, vivant dans un<br />

pays contr61é par des blancs) mais plut8t à détecter le chaos de l'univers,<br />

à situer la réalité dans son esprit et la liberté dans la découverte de soi.<br />

Les circonstances qui ont provoqué son agonie ne semblent même plus exister.<br />

Mais ce n'est qu'une illusion, car malgré la profession de foi optimiste du<br />

narrateur qui affirme vouloir redevenir visible, tout son récit, est marqué<br />

du sceau de l'échec. C'est ce constat qui l'a conduit à élire domicile dans<br />

une cave cauchemardesque; comme l'explique si bien Marcus Klein, ce sont les<br />

faits sociaux de l'Amérique qui le maintiennent dans son état:<br />

" He is removed into nightmare not because it may be that<br />

in ordinary ways of being, men are inevitably determined,<br />

nor because the gratuitous act may be really gratuitous and<br />

without sense except in dreams. That would be certainly to<br />

open the universal theme. And he is condemmed not because<br />

of cowardice or lack of maturity -despite the fact Ellison<br />

has once commented on his hero's "refusaI to run the risk<br />

of his own humanity, which involves guilt... He is not a<br />

coward and he is very little guilty. And he is thrust into<br />

a nightmare not, despite the fact that Ellison has said it,<br />

because the frustation of identity is peculiarly the American<br />

theme. He is condemmed first of aIl because he is black.<br />

The novel is glued to the fact."(1)<br />

L'examen des oeuvres de fiction de Ralph Ellison illustre le processus<br />

d'adaptation de la tradition populaire négro-américaine aux formes de rituel<br />

et de mythe. Dans ses premiers écrits, les rituels de situation qu'il explore<br />

sont une version dramatisée du conflit racial entre Blancs et Noirs. Dans<br />

ces nouvelles l'accent est porté sur l-aspect purement social des rituels de<br />

situation, sur les dimensions sociales du combat que livre le héros noir aux<br />

(1) Marcus Klein, After Alienation: American Novels in Mid Century, New-York,<br />

Cleveland, The World Publishing Co, 1964, p 83. C'est nous qui soulignons.


- 195 -<br />

détenteurs du pouvoir blanc pour acquérir une identité personnelle et culturelle.<br />

Dans des nouvelles telles que<br />

Slick Gorma Learn(1), R. Ellison nous<br />

expose le sort d'un ho~me i~puissant à se défena~e contre le pouvoir de la<br />

police blanche, parce qu'il est noir. Le même thème revient dans la nouvelle<br />

Birthmark(2) où les parents d'un jeune noir lynché avec la coopération de la<br />

police sont forcés d'accepter la version officielle de la mort par accident<br />

d'automobile que donnent les agents de police et le juge qui les amènent à<br />

identifier le cadavre de la victime. La nouvelle ne se limite pas à cet abus<br />

corrupteur du pouvoir et au problème du lynchage. Elle explore aussi l'appréhension<br />

brutale de la culpabilité, le problème du déterminisme historique,<br />

de la peur, de la sexualité pervertie qui a résulté en l'assassinat du frère<br />

de ~~tt<br />

temp'~ ,<br />

et Clara. En même· 1e11e pose le probleme de la solution à apporter<br />

à la situation, quand Clara, surmontant son chagrin, déclare à son frère:<br />

" They asked us last month to sign a piece of paper saying<br />

we wanted things like this to stop and you was afraid."<br />

Les rituels de situation présentés dans ces deux nouvelles servent à attirer<br />

l'attention des lecteurs sur des problèmes sociaux bien définis. Les deux<br />

nouvelles précitées explorent les thèmes de l'impuissance et de la frustration<br />

des Noirs face à un pouvoir blanc tout-puissant qui ne connart pas de limites<br />

quand il s'exerce contre eux. On ne trouve point ici une extension exagérée<br />

du sens de ces thèmes pour englober la corruption inhérente à tout pouvoir<br />

absolu; quoique l'aspect universel existe, il ne défigure pas l'expérience<br />

sociale. Il en est de même d'une autre nouvelle Mister Toussan(3) qui commence<br />

comme un hommage à Toussaint l'Ouverture, héros de la révolte anti-esclavagiste<br />

qui a abouti à l'indépendance et à la création de l'Etat d'Haïti. La<br />

nouvelle tire son origine de la situation conflictuelle qui prévaut dans les<br />

relations interraciales et est présentée par deux petits garçons noirs Riley<br />

et Buster qui, surpris en train de voler des cerises dans le verger d'un<br />

Blanc du voisinage sont chassés par celui-ci à coup de fusil. Assis sous la<br />

vérandah de Riley, ils regardent avec envie les oiseaux moqueurs s'attaquer<br />

sans ennui et en toute liberté aux cerises dont on vient de leur interdire<br />

l'accès. Dans le même temps Riley se rappelle l'histoire de Mister Toussan<br />

(1) R. Ellison, "Slick Gonna Learn" Direction, Sept. 1939, pp 10-16<br />

(2) R. Ellison, "The Birthmark", New Masses 36, 2 July 1940) pp 16-11. Rpt. in<br />

NegrO World Digest l (Nov. 1940) pp 61-65<br />

0) R. Ellison, "Mister Toussan" New Masses 41 (Nov. 4, 1941) pp 19-20.<br />

Rpt. in Negro story l (July-August 1944) pp 36-41.


- 196 -<br />

et en donne son interprétation, ce qui suscite la réponse enthousiaste ne<br />

Buster. Le point central sur lequel insiste la nouvelle est la liberté d'action<br />

dont jouissent les moqueurs qui peuvent picorer à leur gré les cerises<br />

alors que les deux enfants sont contrariés dans leurs désirs. Le thème de<br />

la liberté est repris par la chanson qu'ento~~e la mère de Riley, chanson<br />

qui s'intitule "1 Got l-lings" (Je possèdais des ailes). L'ironie est qu'elle<br />

croit en posséder réellement. Dans le même temps les enfants admirent les<br />

évolutions d'un pigeon et spéculent sur ce qu'ils feraient s'ils avaient des<br />

ailes. Mais la mise en parallèle de la liberté des oiseaux et celle des hommes<br />

n'éloigne pas R. Ellison du sens social du thème de la liberté. Il n'en<br />

fait pas un problème métaphysique. Au contraire il permet aux enfants de poser<br />

le problème concret de la liberté sociale de l'homme même si les termes<br />

dans lesquels ils le posent ne sont pas satisfaisants. Ainsi à la question<br />

de Riley lui demandant ce qu'il ferait s'il avait des ailes, Buster répond<br />

qu'il irait "a zillion miles away, to Chicago, Detroit, the moon, Africa,<br />

or any place else colored is free". Si Chicago et Detroit renvoient au Nord,<br />

qui comme le rappelle R. Ellison représente dans la tradition populaire<br />

négro-américaine la liberté, le mouvement ascensionnel, la référence à l'Afrique<br />

permet à l'auteur de stigmatiser l'image qu'offrent les medias américains<br />

de ce continent et ramène les deux enfants àu héros Toussaint l'Ouverture.<br />

Leur identification à ce dernier leur donne le courage de voler les cerises<br />

convoitées. L'envolée imaginaire des enfants leur a permis de poser le problème<br />

de la liberté et de le faire déboucher sur une action concrète.<br />

Une autre nouvelle reprend le symbolisme des oiseaux et poursuit l'exploration<br />

du thème de la liberté. C'est That l Rad The Wings(1). Ici néanmoins<br />

la privation de la liberté n'est plus perçue comme résultant d'une situation<br />

d'oppression sociale, mais signifie plut6t une incapacité de l'homme<br />

à réaliser certaines de ses aspirations, donc à se réaliser pleinement.<br />

Ainsi Riley, frustré par son incapacité à voler, parce qu'il était tombé<br />

la veille du haut du clocher de l'église, essaie d'apprendre à voler aux<br />

poussins. Sa noble tentative n'aboutit qu'à les tuer. Comme dans la nouvelle<br />

précédente, la mère de Riley, devenue maintenant "Aunt Kate", chante dans sa<br />

(1) R. Ellison,"That l Rad The Winge", Common Ground III(Summer 1943) pp 30-31


- 197 -<br />

cuisine un "spiritual" et le co!Ûlit de la nouvelle ne se trouve plus dans<br />

l'opposition de Riley au monde blanc et aostrait, mais dans le passé esclavagiste<br />

("she was born vra::y back in slavery times") qu'elle représente. r,iais<br />

son destin est intimément lié à celui de sa mère, m~me s'il trouve émasculateur<br />

pour lui le fait qu'elle réprime ses aspirations et lui rappelle toujours<br />

sa place. Les obstacles à son plein épanouissement ne sont plus à<br />

chercher dans la situation sociale, mais en sa mère, c'est-à-dire finalement<br />

en lui-m~me1<br />

écrasé par son int4riorisation de son propre passé. En fait, la<br />

liberté qu'il recherche est la possibilité de transcender la finitude, la<br />

limitation et le conditionnement inhérents à l'existence humaine. S'il ne<br />

peut s'élever dans les airs c'est parce qu'il ne peut pas vaincre la gravité;<br />

Si les poussins sont incapables de voler, cela est d~ à leur immaturité.<br />

Le rituel de situation prend subrepticement une signifaication mythique, universaliste:<br />

la liberté de l'homme n'est ni arbitraire, .ni illimitée. Les<br />

choix qu'il peut opérer sont déterminés par de multiples facteurs au nombre<br />

desquels ses conditions d'existence, sa physiologie, l'histoire de sa vie,<br />

son éducation, etc. En d'autres termes la liberté ainsi conditionnée est limitée.<br />

Les obstacles dans le cas de Riley sont l'immaturité et l'incapacité<br />

à vaincre la gravité. A partir de cet instant, la définition de l'identité<br />

et le problème de la culture prennent des sens plus étendus, n'entretiennent<br />

plus nécessairement des liens avec les données de l'expérience afro-américaine<br />

et se dissolvent dans l'universel.<br />

La nouvelle -la meilleure de H. Ellison avant la publication de Homrne<br />

Invisible•••- qui développe dans tous ses aspects le problème de la liberté<br />

en connection avec la métaphore du vol et où les éléments de la culture populaire<br />

afro-américaine sont le mieux intégrés à des formes mythiques universalistes,<br />

est sans conteste ''Flying Home"(1). En effet, pouvoir vaincre la<br />

gravité et s'élever dans les airs est un motif qu'on retrouve tant dans le<br />

folklore négro-américain que dans la mythologie occidentale. ~ais sa signification<br />

varie d'une tradition à l'autre. Chez les Grecs, cette capacité<br />

était un attribut des dieux, une marque de leur puissance et de leur pouvoir<br />

sur les hommes. Avec Freud, ce motif symbolise la virilité masculine, tandis<br />

f<br />

J<br />

!<br />

!(<br />

(1) R. Ellison, "Flying Home", Cross-section, ed, Edwin Seaver, New-York<br />

L.B.Fisoher, 1944, pp 469-485. Rpt. in Langston Hughes ed, The Best Short<br />

Stories by NegrO Writers, Boston, Little, 1967, pp 151-170<br />

1<br />

1<br />

!


que dans sa version négro-américaine, il est toujours lié à la notion de<br />

liberté. A cet égard, Susan L. Blake nous rappelle fort à propos que d~nR<br />

contexte populaire négro-américain, l'aspiration à voler évoque toujours la<br />

libération du joug servile:<br />

" In a folk conteri, écrit-elle, the aspiration to fly recalls<br />

Harriet Tubman's dream of flying over a great wall,<br />

the numerous references in the spirituals to flying to freedom<br />

to Jesus, the Sea Islands legends of the Africans who<br />

rose up from the field one day and flew back to Africa, and<br />

the humourous folktale of the Colored Man who went to heaven<br />

and flew around with such abandon that he had to be<br />

grounded but who boasted that he was "a flying bastard"<br />

while he had his wings."(1)<br />

L'accent principal dans les différentes variantes de ce thème, en dépit<br />

d'autres connotations implicites, porte pour l'essentiel sur l'aspect social<br />

de la liberté, sur les obstacles que la société a érigés pour emp~cher<br />

Noirs d'en jouir. Les limitations ne sont pas inhérentes à la nature biologique<br />

de l'homme, ni ne se trouvent dans les lois immuables de l'univers<br />

physique.<br />

Flying Home relate les mésaventures d'un jeune pilote noir dont l'avion, à<br />

la suite d'un heurt avec un vautour, s'est écrasé dans le champ d'un Blanc.<br />

Jefferson,le vieux Nègre qui le découvre, envoie son fils appeler un médecin<br />

et pendant la longue attente des secours, lui dit deux contes populaires. Le<br />

premier a trait à deux vautours qu'il prétend avoir vu sortir des entrailles<br />

d'un cheval mort; le second rapporte l'histoire comique du Nègre volant qui<br />

mit le ciel en émo~<br />

il évoluai't.<br />

à cause de l'excès de vitesse et de la grâce avec laquelle<br />

Comme la plupart de ses nouvelle5,Flying Home a son répondant dans la<br />

situation historique réelle des Etats-Unis. Elle se rapporte à l'exclusion<br />

des Noirs des écoles d'aviation militaire ou civile. A la suite des manifestations<br />

et des protestations décriant cette discrimination, une école d'aviation<br />

militaire pour Noirs fut établie<br />

les<br />

à Tuskegee, dans le but apparent de<br />

désamorcer le mécontentement populaire. Marcus Klein parle à ce propos de<br />

"Sop to divil libertarians". De fait, les jeunes qui fréquentaient l'école<br />

n'avaient jamais la qualification nécessaire pour participer aux combats et,<br />

le<br />

(1) S.L.Blake, 0E.cit., p 124


- 199 -<br />

rapporte toujours ~arcus<br />

Klein,<br />

" The school became a sufficient issue for Judge Hastie to<br />

resign from the ~Jar Department in protest over it, and it<br />

was an issue about which El1ison had spoken."(1)<br />

Todd, le pilote de la nouvelle, est le symbole du Noir qui lutte pour s'élever<br />

au-dessus de sa condition sociale. Il vient, en outre du Nord, a reçu<br />

une éducation solide, et de ce fait appartient à<br />

l'élite; il fait partie du<br />

"ta1ented tenth" si cher à W.E.B. Du Bois. Mieux, il apprend un métier prestigieux,<br />

et d'ailleurs sait le faire très bien. Malgré tous les atouts dont<br />

il dispose, il se sent dans l'insécurité et recherche de ce fait l'approbation<br />

constante de ses instructeurs blancs. Mais ces derniers qu'il estime être les<br />

seuls à pouvoir l'apprécier à sa juste valeur et à reconnattre ses mérites<br />

sont pleins de condescendance à son égard.<br />

L'histoire de Todd serait d'une relative simplicité n'étaient-ce les motifs<br />

symboliques qui la sous-tendent. En effet, ces motifs revêtent simultanément<br />

deux significations différentes, l'une racÜ$le, l'autre mythique,<br />

" On the racial level, the story gives us a parable of the<br />

complex interrelationship between the individual black man<br />

and his racial community; on the mythic level, the history<br />

refashions the Daedalus mYth. The two levels are connected<br />

symbolically by implied parallels to three other related<br />

sources -the mYth of the Phoenix, the Christian doctrine of<br />

feUx culpa, or fortunate fan, and the story of the prodigal<br />

son."(2)<br />

Sur le plan racial le problème de Todd réside dans son incapacité à réconcilier<br />

son identité en tant que négro-américain avec son aspiration à être un<br />

individu américain, un problème de double conscience dont W.E.B. Du Bois a<br />

donné la formulation la plus classique:<br />

" It is a peculiar sensation, this double consciousness,<br />

this sense of always looking at one's self through the eyes<br />

of others, of measuring one's soul by the tape of a world<br />

that looks on in amused contempt and pity. One ever feels<br />

his twoness, -an American, a Negro; two souls, two thoughts,<br />

two unreconciled strivings, two warring ideals in one dark<br />

body, whose dogged strength alone keep it from being torn<br />

asunder."(3)<br />

(1) Maroua Klein, op.cit., p103<br />

(2) Joseph Trimmer, "Ralph El1ison' s''Flying Home"" Studies in Short Fiction,<br />

Vol. 9, N°2, Spring 1912, p 116.<br />

(3) W.E.B. Du Bois, Souls of Black Folk, Chicago, A. C. McClurg, 1903, p 3


- 200-<br />

Les rapports qu'entretient Todd avec la<br />

ambigus. Alors qu'il veut s'affirmer en tant qu' individu Et<br />

communauté négro-américaine sont très<br />

réaliser son aspiration<br />

à être pilote, tous ceux qui l'entourent le découragent et l'invitent<br />

à délaisser son projet sous le prétexte qu'~tre<br />

pilote est un métier réservé<br />

aux Blancs. Au lieu de l'encourager dans la voie de l'excellence, ils cherchent<br />

à le cantonner dans la médiocrité. Le désir de Todd d'être pilote représente,<br />

non seulement une façon d'affirmer son individualité, mais aussi<br />

et surtout un moyen d'échapper à son identité négro-américaine et son infériorité<br />

supposée, pour se faire accepter par les Blancs.<br />

J)-ans le même temps,<br />

il veut épater les vieux nègres qui viennent ~ssister aux séances d'entrafnement;<br />

mais à sa déception, ceux-ci sont incapables de comprendre sonméritel<br />

" He feIt cut off from them by age, by understanding, by<br />

sensibility, by technology and by his need to measure himself<br />

against the mirror of other men's appreciation."(1)<br />

Malheureusement pour lui, les Blancs à qui il cherche à s'identifier, et avec<br />

qui, il veut rivaliser l'ignorent; ainsi pris 'entre l'ignorance et la bOtise<br />

des Noirs et la condescendance et le ~épris<br />

des Blancs, "his course of<br />

flight seemed mapped by the nature of things away from aIl needed and naturaI<br />

landmarks."(2)<br />

Les relations entre Todd et son groupe de référence sont présentées<br />

aussi de façon énigmatique<br />

par toute une série d'allusions aux vautours et<br />

aux chevaux. Par éxemple, sa fiancée, dans une lettre lui conseille de ne pas<br />

prendre trop à coeur l'allégation d'infériorité intellectuelle avancée pe~<br />

les Blancs pour empêcher les Noirs d'être pilotes de guerre: "'l'hey keep beating<br />

that dead horse because they don't want to say why you boys are not yet<br />

fighting."(3) C'est pour infirmer ce préjugé d'infériorité que Todd s'acharne<br />

à se conformer à l'image qu'il veut que les Blancs aient de lui. C'est<br />

pour cette raison qu'il est devenu pilote. Mais dans un moment de distraction,<br />

l'accident fatal arrive pour ruiner ses rêves et lui apprendre la vanité de<br />

ses efforts. L'accident survient par la faute des vautours contre lesquels<br />

on l'avait pourtant mis en garde. Ce sont ces mêmes oiseaux qui servent de<br />

symboles au vieux Jefferson pour révéler au jeune pilote certaines<br />

R. Ellison, op.cit., p 251<br />

Ibid., p 251<br />

Ibid., p 255


- 201 -<br />

vérités<br />

.' Les vautours,reconnatt Jefferson,apportent la déveine et<br />

ne s'intéressent qu'aux charognes. Son fils Teddy les appelle "Jim Crows".<br />

Jefferson poursuit la conversation par une fable cryptique à propos de deux<br />

vautours qui s'engraissent des entrailles d'un cheval mort<br />

" Once l seen a hoss aIl stretched out like he was sick,<br />

you know. So l hollers, Gid up from there, ~uh ! Just to<br />

make sho! And doggone, son, if l don't see two ole jimcrows<br />

co:ne flyi':'; right up outa that hoss' s insides! Yes2uh! The<br />

sun was shinin' on'em and they couldn't a been no greasier<br />

if they'd been eating barbecue. Todd's stomach convulses<br />

at this picture and he protests that Jefferson "made that<br />

up". But Jefferson says "Nawsuh ! Saw him just like l see<br />

you."(j)<br />

La morale de la parabole de Jefferson est clairez le préjugé d'infériorité<br />

des Noirs, sert aux Blancs qui l'ont inventé et qui le propagen\ à justifier<br />

l'éthique discriminatoire de "Jim Crow" dont ils se nourrissent. Le m8me<br />

préjugé explique le refus d'identification de l'élite représentée par Todd<br />

au vautour qu'est Jefferson. Todd se plaint de ne pouvoir ~tre<br />

•<br />

apprécié pour<br />

ce qu'il est, car aux yeux des Blancs, il est toujours perçu comme étant<br />

"part of this old black ignorant man"(2). C'est son orgueil à s'échapper de<br />

ce passé qui précipite sa chute et le ramène à ce passé qu'il voulait fuir.<br />

Le vautour comme les avions hantent les mêmes cieux.<br />

Et c'est précisément un vautour que se présente à Todd qui, à la vue<br />

d'un point noir dans le ciel, s'attendait à voir un avion. Il ne peut alors<br />

réfréner cette question:" Why did they make them so disgusting and yet teach<br />

them to fly so weIl 1"(3) Cette interrogation introduit la seconde fable<br />

de Jefferson et renforce la signification de l'expérience de Todd vue dans<br />

une autre perspective. Jefferson raconte que lors de son séjour au ciel, il<br />

voulait faire comprendre à tout le monde qu'il savait voler aussi bien que<br />

les meilleurs. Il rapporte aussi que les anges de couleur sont contraints<br />

à porter une forme spéciale de harnais lorsqu'ils évoluent. Malgré ce désavantage<br />

initial, Jefferson ne se désespère pas et à l'instar de Todd cantonné<br />

lui aussi dans une école de seconde classe, essaie de voler comme tout le<br />

monde. Il le fait même si bien que le grand Saint Pierre l'admoneste pour sa<br />

R. Ellison, op. cit., p 259<br />

Ibid., p 256<br />

Ibid., p 260


- 202 -<br />

trop grande vitesse qui constitue un danger pour la communauté céleste. Mais<br />

pour n'avoir pas tenu compte de ces avertissements , ~efferson est puni:<br />

" If l was to let you keep on flyin"' lui dit· Saint. Pierre, "heaven wouldn't<br />

be nothin' but uproar. Jeff, you got to go."(1)Aussit6t les anges blancs de<br />

se ruer sur le pauvre Jefferson pour l'expulser du paradis, non sans lui avoir<br />

leur tient ce discours:<br />

" WeIl, y6u done took my wings. And you puttin' me out.<br />

You got charge of things SOlS l can't do nothin' about it.<br />

But you got to admit just thisc "While l was up here l<br />

was the flynest sonofabitch what ever hit heaven!"(2)<br />

Alors que dans son premier conte, Jefferson semblait suggérer que ceux qui<br />

aspirent à occuper les premiers rangs dans l'échelle sociale le font au détriment<br />

des autres et qu'en conséquence ils méritent d'être rabaissés, dans<br />

le second récit, il met plut6t l'accent sur les restrictions iniques que le<br />

pouvoir existant imposent aux aspirations, qu'il trouve maintenant légitimes,<br />

des Noirs à voler, c'est-à-dire à s'élever dans l'échelle sociale. La réaction<br />

de Todd à ces deux fables est négative:<br />

" Maybe we are a bunch of buzzards feeding on a dead horse,<br />

but we can hope to be eagles, can't we 1"<br />

proteste t-il contre ce qu'il oense ~tre le défaitisme du vieil homme. Il<br />

le fait Parce qu'il se rappelle les pressions exercées sur lui dans sa propre<br />

communauté d'origine, dans sa famille, par sa mère, pour l'empêcher de<br />

réaliser ses aspirations. Sa mère à qui, petit garçon, il demandait un avion,<br />

lui répond, indignée: " Airplane. Boy, is you crazy 1 How many times l have<br />

to tell<br />

you to stop that foolishness••• l bet l'm gon'wham the living daylight<br />

out of you if you don't quit worring me<br />

'bout them thingsl"(3) Peu de<br />

temps après, sa mère le fait examiner par un médecin pour s'assurer qu'il<br />

était bien sain, tandis que sa grand-mère fredonne la chanson de "l'Enfant<br />

Prodigue" de James Weldon Johnson:<br />

" Young man, young man.<br />

Yo' arms too short<br />

To box with God."(4)<br />

1 R. Ellison, op.cit., p 262<br />

2 Ibid., p 262<br />

3 Ibid., p 265<br />

(4 Ibid., p 266


- 203 -<br />

Une autre expérience qui semble avoir marqué Todd et dont il se souvient<br />

pendant son martyre, est relative à un avion qui inondait les rues de feuilles<br />

blanches. Todd en ramasse une pour y voir imprimée la cagoule d'un membre<br />

du Ku Kliu: Klan, avec cette légende :" Niggers Stay From Polls".(1)<br />

Les expériences antérieures de Todd paraissent renforcer la signification<br />

des deux contes de Jefferson. Il a tort de vouloir ~tre pilote parce<br />

qu'il aspire à une illusion qui peut causer sa perte. Il a aussi tort de persévérer<br />

dans cette voie parce qu'il s'engage dans une activité susceptible<br />

d'apporter la mort et la destruction à son peuple. L'homme-dieu blanc semble<br />

avoir la charge des choses et les bras de Todd sont trop courts pour boxer<br />

contre lui.<br />

Subtilement, Ralph Ellison est passé du niveau social au niveau mythique.<br />

Le Blanc devient un dieu méchant semant la mort et la destruction parmi<br />

les Noirs, comme le propriétaire du champ où s'est écrasé l'avion de Todd<br />

et àont Jefferson parle en ces termes:" Everybody knows 'bout Dabney Graves,<br />

especially the colored. He done killed enough of uS."(2) Et il n'est pas question<br />

pour les hommes de couleur qu'il tue,juste parce que, dit Jefferson,<br />

" l thought they was men"(3), de fuir. Tout ce qu'ils_peuvent faire, c'est<br />

s'accommoder de lui et se concilier ses faveurs: "You black son••• You have<br />

to come by white folks too" répète à tout propos Jefferson.<br />

La nouvelle de R. Ellison évoque ainsi que l'a fait observer Joseph F.<br />

Trimmer le mythe d'Icare. On y trouve aussi des allusions au mythe du phénix<br />

et aux mythes chrétiens de la chute de l'homme et de la parabole de l'Enfant<br />

Prodigue qui retourne au bercail après des mésaventures. Le point commun à<br />

tous ces mythes est qu'ils présentent des ~tres luttant pour transcender leur<br />

condition, à l'instar de Todd essayant de dépasser les implications de sa<br />

condition nègre. La tentative d'Icare, la chute de l'homme et le voyage de<br />

l'Enfant Prodigue au-devant de l'expérience, sont des mythes à divers degrés<br />

prométhéens, qui mettent en scène des héros refusant de se plier par avance<br />

aux volontés divines et luttant contre des forces qu'ils savent supérieures<br />

en m~me<br />

temps qu'extérieures à leur humaine nature. La parabole de la chute<br />

salutaire de l'homme et l'image finale du vautour qui à la fin du récit de<br />

(1) R. Ellison, op. cit., p 268<br />

(2) Ibid., p 267<br />

(3) Ibid., p 267


- 204 -<br />

Jefferson, pénètre dans le soleil et devient comme de l'or suggèrent, ainsi<br />

que le fait remarquer S.L. Blake et que l'attestent les éléments àe la tradition<br />

populaire de la nouvelle, que l'échec de celui qui cherche à s'élever<br />

dans les airs constitue d'une certaine manière une victoire. Mais les rituels<br />

auxquels nous avons affaire ne sont pas analogues. La signification des mythes<br />

diffère absolument de celle des rituels de situation sociale. Faire de l'homme<br />

blanc un dieu et impliquer qu'il faut s'accommoder de lui et se concilier<br />

ses faveurs parce qu'il est un agent de mort et de destruction avec lequel<br />

on est obligé de vivre, c'est refuser le combat et mettre l'homme au niveau<br />

de Dieu. Or ce n'est pas contre Dieu ni contre les dieux que Todd lutte,<br />

mais bien contre des hommes. Son problème est d'échapper à sa condition subalterne<br />

en s'élevant au-dessus de ses frères de race subjugués. C'est au-dessus<br />

des hommes qu'il veut planer, singulièrement au-dessus des hommes noirs. L'implication<br />

de sa chute ne relève aucunement d'une cause mythique. La responsabilité<br />

lui en incombe aussi, pleinement. Les allusions myhtiques,en minimisant<br />

l'as~~ct<br />

social du récit et en entretenant une confusion sur la dualité<br />

du symbole/vautour, amoindrissent l'ironie et l'humour inhérents aux formes<br />

d'expression populaire et déplacent l'accent du problème d'identité sociale<br />

pour le porter sur celui de la condition humaine générale et en particulier<br />

sur le problème de la mort. Le vautour qui représente le parasite qui, pour<br />

survivre, vit aux crochets d'autrui et qui témoigne de la précarité de la vie<br />

dans un monde de rapaces, devient un oiseau d'un or vif (a bird of flaming<br />

gold), un phénix, à la fin de la nouvelle. La morale finale de là nouvelle<br />

porte sur la vanité des efforts de Todd en vue de transcender sa condition<br />

sociale. En outre, il faut envisager son échec comme un bienfait, car'comme<br />

péché d'Adam, sa chute lui apporte le salut: il retourne à Jefferson, à la<br />

condition nègre dont il voulait~'échapper. C'est dire que la condition d'homme<br />

est inhérente à l'individu, que la société blanche ne peut ni l'asservir<br />

ni la briserJ en essayant de se fuir, Todd ne réussit qu'à s'anéantir. De<br />

même qu'il ne peut échapper à sa condition nègre, il ne peut échapper à sa<br />

conditiœn sociale. C'est en tout cas ce qu'on peut inférer de l'extension du<br />

sens des rituels de situation sociale et leur transformation en mythes. En<br />

effet Todd ne peut pas se mesurer à Dieu, -comprenons l'homme-dieu blanc-


1<br />

J<br />

- 205 -<br />

parce que ses bras sont trop courts. A l'opposé de l'enfant prodigue, il ne<br />

peut espérer trouver le salut dans le Babyloneaméricain, même si telles étaient<br />

ses aspirations les plus profondes. Un pareil espoir relève de l'illusion,<br />

parce que ce Babylonea pour dessein d'exclure les Noirs. La conséquence tragique<br />

d'une telle illusion, dit Joseph F. Trimmer, est de conduire<br />

Todd à refuser en fin de compte de s'assumer en même temps qu'il rejette Jefferson:<br />

" To fly for white approval is not a way to fulfillment but a way<br />

to psychic suicide."(1) Sa chute en fait ne l'a conduit qu'à un isolement plus<br />

grand encore, même si dans le même tEmPS il apprend à composer avec son propre<br />

passé. L'image finale de la nouvelle, c'est-à-dire le mythe du phénix,<br />

suggère un modèle similaire: ce fabuleux oiseau, explique J.F. Trimmer, vit<br />

de cinq cents à mille ans et au bout de cette période, entonne une chanson<br />

funèbre mélodieuse; puis met le feu à son nid où il se consumme pour .~enaître<br />

l'instant d'après pour une nouvelle vie. Pareillement, l'accident de Todd<br />

lui a permis, non seulement de détruire les corsets de fer blancs qui l'enserrent,<br />

mais ~ussi de se retrouver. Mais les termes de sa résurrection sont<br />

ambigus. Dès qu'il accepte l'identité communautaire de Jefferson, lui le<br />

vautour-Jimcrow se transforme en phénix. C'est-à-dire qu'il est mort et peut<br />

espérer une vie nouvelle. Comme l'Enfant Prodigue, il a retrouvé le chemin<br />

de la demeure paternelle. Mais elle a tout l'air d'être la dernière demeure<br />

de l'hymnaire religieux.<br />

Le même renversement de sens s'observe dans le roman Homme Invisible•••<br />

dont le personnage principal dans sa quête d'identité ne s'assume comme lui<br />

~u'à<br />

partir du moment où il refuse de se voir dans le regard d'autrui; et qu'il<br />

rejette la définition de la réalité que lui impose ses maîtres blancs et leurs<br />

hommes liges noirs, pour adopter une définition de la réalité qui ,prenne en<br />

compte la spécificité négro-américaine. Il ne devient affirmatif, nous l'avons<br />

déjà fait remarquer que dès le moment où n'éprouvant plus de honte à manger<br />

de l'igname cuite au bord de la route, il déclare comme par défi à lUi-même"<br />

"1 yam what l am". Peu de temps après cette délivrance de la peur du qu'endira-t-on,<br />

nous le voyons réprimer de justesse l'envie de briser les vitrines<br />

où s'étalent les produits dits de beauté, mais qui en réalité dépersonnalisent<br />

le Noir.<br />

(1) Joseph F. Trimmer, op.cit., p 181


- 206 -<br />

Malheureusement, la suite du roman ne se développe pas dans cette<br />

voie. La vérité ultime du héros ne le rapproche pas du vécu social du négroaméricain;<br />

au contraire elle l'en éloigne. C'est ce qui explique les variations<br />

de style du roman qui d'abord naturaliste, devient expressionniste,<br />

pour finalement s'installer dans le surréalisme.(1)<br />

amalgame, accepte toutes les images du Noir offertes par la société. Il revendique<br />

comme son identité et comme tradition négro-américaine ce qui dans<br />

le déroulement de la narration est décrit comme relevant de la mentalité rétrograde<br />

de Sambo. La tradition négro-américaine ainsi présentée inclut tout<br />

ce qui s'enracine dans l'héritage esclavagiste ou qui lui est associé, tout<br />

qui appartient à la culture populaire du Sud dans son ensemble, et la version<br />

urbaine de cette tradition réaménagée dans les ghettos du Nord. Une pareille<br />

globalisation semble abusive dans la mesure où la culture populaire sudiste<br />

relève de deux origines distinctes, l'une provenant des esclaves noirs, l'autre<br />

de la société blanche. Deux traditions qui, malgré leur proximité, ont<br />

peu de points communs et souvent sont en conflit. Il suffit d'examiner par<br />

exemple l'image de~'homme noir (et de l'homme tout court) que chacune d'elles<br />

propose pour s'apercevoir de l'opposition radicale qui se manifeste entre les<br />

perspectives du martre et de l'esclave. Sambo et Oncle Tom sont des créatures<br />

des blancs par exemple, alors que les héros du folklore négro-américain s'appellent<br />

High John de Conquer, Buck, Brer Rabbit, Brer Be~ etc. Les comportements<br />

de ces deux types de héros sont aussi diamétralement opposés. Sambo<br />

s'accommode toujours du système social existant et accepte le Blanc pour martre,<br />

tandis que John se pose toujours en rebelle m~me<br />

lorsqu'il feint d'acquiescer<br />

aux ordres de son martre. Susan L. Blake écrit à ce propos:<br />

" The archetype black man of slave folklore is John, the<br />

hero of an extensive cycle of tales, who comically but constantly<br />

s~s "no""to Old r.1arster and the slave system he<br />

represents. The stereotypical black man of the plantation<br />

tradition is Sambo, who sings, grins" fawns, and otherwise<br />

s~s "yes" to Old Marster, old times, old Kentucky home:<br />

John m~ appear to acquiesce, but he manages to subvert Old<br />

Marster intentions; Sambo m~ ~ppear mischievous, but he is<br />

fundamentally loyal."(2)<br />

(1) Voir à ce propos Shadow and Act, pp 178-179<br />

{2) S.L.Blake, op.cit., p 126


- 207 -<br />

Ce sont ces deux images opposées du Noir que R. Ellison tente de faire se<br />

coïncider dans Homme<br />

Invisible••• comme si elles étaient compatibles. Cela<br />

provient du fait que notre auteur voit une imbrication entre les archétypes<br />

et les stéréotypes; tous deux font appel,selon lui,à quelque chose de fondamentalement<br />

humain. Certes, il reconnatt que le stéréotype est une réduction<br />

malveillante de le comnlexité humaine oue l'ho"171e plein de préjugés agite.<br />

dans le but d'éviter d'avoir à confronter l'humanité de celui-ci au détriment<br />

de qui s'applique le stéréotype; alors que l'archétype exprime les traits<br />

constants inhérents à l'homme générique, indépendamment des différences de<br />

race, de religion et de culture, et que de ce fait, l'archétype transcende<br />

le temps et la race.(1) Pourtant, dans le même temps il les met au même<br />

niveau, sur le plan de la caractérisation littéraire, parce que, assure t-il,<br />

" in literary form stereotypes function, as do other forms<br />

of characterization, as motives."(2)<br />

Aussi son but quand il utilise les stéréotypes dans les oeuvres de fiction<br />

est de révéler leurs aspects archétypiques, c'est-à-dire ce qu'ils ont .de fondamentalement<br />

humain, et éternel et qui se situe lors du temps et de la race.<br />

Il y a une contradiction évidente qui surgit dans le raisonnement de R. Ellison.<br />

x<br />

x<br />

x<br />

On peut diviser en deux groupes les différents personnages de Homme<br />

Invisible••• et les ranger les uns dans le camp de Sambo et Old Marster, les<br />

autres du c6té de John et des Noirs.(3) Sambo rassemble autour de lui des<br />

personnages tels que le. Fondateur (Booker T. Washington), Bledsoe, Homer Barbee,<br />

Norton, Emerson, Jack, Lucius Brockway, etc. Leur dénominateur commun,<br />

c'est que les stratégies conservatrices de survie qu'ils proposent au narrateur<br />

conduisent ce dernier, non à la décmlverte de lui-même en tant qu'être<br />

(1) R. Ellison, "A Very Stern Discipline" Harper's, p 80<br />

(2) Ibid., p 80<br />

(3) Nous empruntons cette classification à Susan L. Blake, op.cit., p 126


- 208 -<br />

social commis à la transformation de la société -une société inique-, mais<br />

à l'appréhension du chaos inhérent, selon lui, à toute réalité. La foi qu'il<br />

a placée dans les principes conventionnels que sont l'accommodation, le capitalisme,<br />

le syndicalisme, le communisme, le nationalisme ne lui apporte ni<br />

la rédemption, ni la sécurité, ni la vérité, mais le chaos. C'est pour cette<br />

raison oue le narrateur englobe dans la même anostrophe rénrobatrice tou:=,<br />

ceux qui ont été les thuriféraires de ces principes et de ce monde.<br />

" Mais je ne sais comment, le sol s'était tout-à-coup<br />

changé en sable et les ténèbres en l~~ière, et je me trouvais<br />

prisonnier d'un groupe composé de Jack, du vieil Emerson,<br />

de Bledsoe, de Norton, de Ras, du surintendant de l'école,<br />

et d'un certain nombre d'autres que je ne parvins pas<br />

à identifier, mais qui tous m'avaient pourchassé,qui maintenant<br />

se pressaient autour dè moi tandis que je gisais à<br />

cOté d'un fleuve d'eau noire près de l'endroit où un pont<br />

blindé formait une arche vive menant vers des régions que<br />

je ne pouvais pas voir. Et je protestais contre ma détention,<br />

et eux exigeaient que revinsse à eux, et ils étaient<br />

contrariés par mon refus.( ••• ) Mais ils s'avancèrent alors<br />

avec un couteau, et me tinrent solidement; je sentis la<br />

vive douleur rouge, ils enlevèrent les deux boulettes sanglantes,<br />

et les jetèrent par-dessus le pont••• "(1)<br />

Le narrateur, débarrassé de ses illusions s'aperçoit que la peur ne l'habite<br />

plus, qu'il peut voir ce qui lui était caché et que ce ne sont pas seulement<br />

·ses générations qui pendent là, s'épuisant sur l'eau mais le soleil, la lune,<br />

et le monde de tous ces personnages qui s'étaient mués en un m@me<br />

blanc~<br />

visage<br />

A l'opposé des représentants du monde blanc tout épris de rationalisme<br />

cartésien, de réalisme et de dollars tout-puissants, se détachent ceux qui<br />

se posent comme les détenteurs de la sagesse et de l'expérience contenues<br />

dans la tradition culturelle négro-américaine. C'est le groupe de John, au<br />

nombre desquels on peut mentionner le grand-père du narrateur, Trueblood,<br />

Bledsoe, Emerson Jr., le Vétéran, le charretier de New-York, Ras, etc. Tous<br />

ont un lien avec le passé et la culture négro-américaine, et ce qui les caractérise<br />

principalement est leur contestation et leur dénonciation même de la<br />

réalité fournie par les; Blancs. Alors que le groupe de Sambo agit à partir<br />

--------------------------------<br />

(1) R. Ellison, Ho~me Invisible••• , pp 534-536


- 209 -<br />

d'un point de vue blanc, le groupe de John part de la perspective des Noirs.<br />

Ainsi le grand-père du narrateur, ancien esclave considéré jusqu'alors comme<br />

modèle de l'homme lige du blanc, se rebelle sur son lit de mort contre cette<br />

image conformiste et qualifie toute sa vie de trahison: suivre la tradition<br />

blanche ne libère pas, semble t-il inférer, et la voie suivie par le narrate-..r,<br />

son petit-fils, e:::t ~e:~.~e d'e~(.bûches. L'avcrtisse::'161lt ciu granet-père<br />

fait écho à en croire SusanL. Blake, à une pratique vicieuse, courante èhez<br />

les propriétaires blancs qui remettaient à leurs esclaves noirs des documents<br />

invitant le lecteur à leur administrer une correction. C'est ce que fait Bledsoe<br />

quand il remet au narrateur des lettres qui l'éloignent un peu plus de<br />

ses aspirations. Le même déboire lui est infligé par Jack qui après lui avoir<br />

donné un nouveau nom, lui adresse une lettre anonyme l'engageant à ne pas<br />

chercher à s'élever trop vite. Le narrateur est frappé de stup~urà la découverte<br />

de cette duplicité, juste comme il l'avait été quand il entendait son<br />

grand-père se traiter de félon: "Que lui(Jack) ou quiconque récemment ait<br />

pu me donner un nom et me mener en bateau d'un seul et même trait de plume,<br />

c'était trop", hurle t-il, indigné. Ces deux lettres ne sont en fait que la<br />

répétition sous une autre forme de l'épisode de la Mêlée Générale à laquelle<br />

il a d~ participer avant de se voir octroyer une bourse d'études supérieures.<br />

L'émancipation telle que la pratiquent les Blancs n'est que la variante édulcorée<br />

(ou non) de la même servitude originelle: le principe d'émancipation<br />

par le conformisme défendu par le fondateur, Bledsoe et H. Barbee est battu<br />

en brêche par la pratique rustre de Trueblood. Le capitalisme n'offre guère<br />

de meilleurs perspectives: Lucius Brockway, comme le narrateur lors de son<br />

passage dans la vie industrielle, est un exploité majeur.La Confrérie lui<br />

impose une exploitation similaire.<br />

En fait, à y regarder de près, les alternatives que les représentants<br />

du groupe de John proposent en vue de corriger les stratégies du Blanc, ne<br />

sont guère convaincantes. On peut même affirmer qu'elles sont ambiguës. Le<br />

programme qu'ils présentent dans le but d'ordonner le chaos n'est, toutes<br />

proportions gardées, que l'acceptation du chaos comme réalité. Un exemple<br />

éloquent de cette stratégie ambiguë est le grand-père du narrateur. Ses conseils<br />

illustrent le principe même de la contradiction. Ralph Ellison s'en<br />

J~<br />

il<br />

11-,<br />

li'<br />

if<br />

Iḷ


- 210 -<br />

explique avec Stanley Edgar Hyman dans un échange de communications:<br />

" So intense is Hyman's search for archetypical forms that<br />

he doesn't see that the narratorb grandfather in Invisible<br />

Man is no more involved in a "darky" act than vJas Ulysses<br />

in Polyphemus' Cave. Nor is he so much a "smart-man-playingdumb"<br />

as a weak man who knows the nature of his oppressor's<br />

weakness. There is a good deal of spite in the old man, as<br />

there cornes to be in his grandson, and the strategy he auvises<br />

is a kind of jiujitsu of the spirit, a denial and rejection<br />

through agreement. Samson, eyeless in Gaza, pulls<br />

the building down when his strength returns; politically<br />

weak, the grandfather has learned that conformity leads to<br />

a similar end, and so advises his children. Thùshis mask of<br />

meekness conceals the wisdom of one who has learned the secret<br />

of saying the "yes" which accomplishes the expressive<br />

-no". Here, too, is a rejection of a current code and a deniaI<br />

become metaph,ysical."(1)<br />

La même ambiguité se retrouve dans les propos des autres membres du groupe<br />

de John. Tous offrent au narrateur une vision de la réalité fondée sur le principe<br />

de la contradiction. L'affirmation devient alors négation, la faiblesse<br />

une force, l'esclavage est liberté et le refus du monde social métaphysique.<br />

Leurs propos sont sybillins à l'instar des paroles énigmatiques du blues que<br />

chante le charretier Peter Wheatstraw, beau fils unique du diable:<br />

" Elle a des pieds comme un singe<br />

Des jambes comme une grenouille, Seigneu', Seigneu'<br />

Mais quand elle se met à m'aimer<br />

Je gueule Whooooo, cafard de Dieu<br />

Parce que j'l'aime, ma poupée<br />

ltlieux que j' m'aime !!loi."(2)<br />

L'étrangeté de cette description surprend le narrateur qui s'interroge:<br />

" S'agissait-il d'une femme, de quelque bizarre animal<br />

d'alluresphingique 7 Certainement, ni sa femme, ni aucune<br />

femme ne correspondait à cette description. Et pourquoi décrire<br />

une personne en des termes aussi contradictoires 7•••<br />

Mon vieux bas-de-cul avec des pantalons à la Charlot l'aimait-il<br />

ou la haïssait-il 7••• Comment pouvait-il l'aimer<br />

si elle était aussi répugnante que dans la chanson 7"(3)<br />

Les conseils de l'anctiêm combattant adjurant le jeune narrateur à jouer le<br />

jeu sans y croire renferment la même ambiguïté:<br />

(1) R. Ellison, "Clnnge the Joke and Slip the Yoke", Shadow and Act, p 56<br />

C'est nous qui soulignons.<br />

(2) R, Ellison, Homme Invisible••• , p 174<br />

(3) Ibid., p 177


- 211 -<br />

" Apprenez à regardez sous la surface, dit-il au jeune homme.<br />

Et rappelez-vous que nOtE n'avez pas besoin d'être parfait<br />

imbécile pour réussir. Jouez le jeu, mais sans aller<br />

jusqu'à y croire, cela vous le devez à vous-même. Jouez le<br />

jeu, mais haussez la mise, mon garçon. Etudiez son fonctionnement,<br />

le vôtre aussi••• Tout ça est analysé et couché dans<br />

les livres. Mais là-bas, ils ont oublié de prendre garde<br />

aux livres et c'est votre chance. A l'air libre, vous @tes<br />

so~st~ait a'v: regarfs, c'est-à-Qire, vo~s le seriez si seulement<br />

vous vous en rendiez compte."(1)<br />

L'indignation de Bledsoe irrité de la narveté du narrateur qui obéit à Norton<br />

au lieu de feindre, s'inscrit dans la même perspective:<br />

" Vous @tes Noir, vous venez du Sud; avez-vous oublié l'art<br />

du mensonge ? •• Mais enfin, le chenapan noir le plus bête<br />

de la région, cotonnière sait que la seule façon d'être a­<br />

gréable à un Blanc, c'est de lui raconter un mensonge."(2)<br />

Une fois encore c'est le principe de la contradiction qui prime. Même<br />

jeune Emerson interpelle la narveté du narrateur:<br />

le<br />

" N'@tes-vous curieux de ce qui se cache derrière la face<br />

des choses ? •• Vous n'avez pas à vous aveugler sur la vérité.<br />

Ouvrez l'oeil."(3)<br />

Quand l'oeil s'ouvre, toutefois, la vérité qu'il"per90it est la duplicité et<br />

le mensonge inhérents à la nature de l'homme.<br />

L'inclusion du jeune Emerson et de Bledsoe dans les deux groupes Comme<br />

porte-paroles de deux traditions opposées n'est pas une contradiction en soi,<br />

mais illustre plutôt les oppositions simultanées que R. Ellison considère être<br />

au coeur de la vision du monde du peuple noir aux Etats-Unis. En ce sens l'invisibilité,<br />

c'est un véritable triomphe des contradictions. Ainsi une igname<br />

peut-@tre douce, évoquer d'agréables souvenirs et symboliser tout ce que le<br />

passé comporte d'heureux. Mais elle peut-être amère aussi:<br />

" Maintenant que j'avais cessé d'éprouver de la honte pour<br />

les choses que j'avais toujours aimées, il est probable que,<br />

pour nombre d'entre elles, je serais désormais incapable<br />

de les digérer••• Mais pour les ignames, cela ne posait pas<br />

de problème, j'en mangerais aussi souvent que l'envie m'en<br />

prendrait, où que ce soit. En se maintenant au niveau de<br />

l'igname, la vie serait douce, bien qu'un peu jaunâtre.<br />

R. Ellison, op.cit., p 155<br />

Ibid., p 141<br />

Ibid., pp 187-.et 190


- 212 -<br />

Cependant la liberté de manger des ignames se révélait<br />

bien moins excitante que je l'avais imaginé en arrivant en<br />

ville. Un goût désagréable m'emplit la bouche au moment où<br />

je mordais la fin de la patate; je la jetai dans la rue;<br />

elle était ge1ée."(1)<br />

(1) R. E11ison, op.cit., p 260


- 213 -<br />

VI - L' HARMONIE SUBTI<strong>LE</strong> <strong>DE</strong> L'INVISIB<strong>LE</strong> DISCORDANCE ET DU VIS IB<strong>LE</strong> EGNIlI'JATIQUE.<br />

(1)<br />

Il faut donc comprendre qu'un même objet peut renfermer le principe<br />

de la douceur et de l'amertume; du progrès et de l'arri~ration;<br />

de la liberté<br />

et de la servitude. Il en est des hommes comme des choses. Ceux qui ont<br />

produit les textef' avancés qui fonoent 8 1 J.jOll-rd 'hui encore la démocratie a:néricaine<br />

étaient de grands esclavagistes commis à la défense d'un système inégalitaire.<br />

Un objet comme le chainon de pied a des significations différentes<br />

selon les individus. Ainsi celui que Bledsoe appelle "symbole de notre progrès"<br />

représente plut6t l'esclavage nouveau dans lequel il maintient les Noirs<br />

instruits. A l'opposê celui que le frère Tarp offre au narrateur représente<br />

le chemin douloureux parcouru par un homme qui grâce à sa ténacité et à son<br />

courage à toute épreuve a pu vaincre les obstacles placés sur son chemin.<br />

Le chainon explique t-il, au narrateur, représente sa volonté d'@tre libre,<br />

après dix-neuf ans dans les fers<br />

pour avoir eu le toupet de "dire non à un<br />

homme qui voulait lui prendre quelque chose", sa liberté:<br />

" J'étais debout dans la vase, je tenais une pelle à long<br />

manche et je me demandais, tu peux y arriver Tarp ? Et audedans<br />

de moi, j'ai dit oui. Toute cette eau, cette vase<br />

et cette pluie, elles disaient oui, et j'ai filé••• Il ('le-êhainon)<br />

est bourré de tas de significations et il pourrait t'aider à<br />

ne pas oublier contre quoi nous nous battons réellement.<br />

Ca se réduit pas à oui et non dans ma t@te, ça signifie des<br />

tas d'autres choses."(2)<br />

Malgré leur similitude les deux chainons, accusent des différences notoires.<br />

Alors que celui de Bledsoe "était intact, celui de Tarp porte des marques<br />

de hâte et de violence; on aurait dit qu'il avait fallu l'attaquer et le<br />

vaincre avant de le voir céder de mauvais gré. n{ 3)<br />

La signification de deux objets même semblables ne réside pas dans l'objet<br />

en tant que tel, mais dans l'usage qui en est fait. La valeur d'un fait de<br />

culture ou autre ne se trouve pas dans le fait en tant que tel, mais dans<br />

l'exploitation qu'on en fait. Le culturel devient instrumentaliste.<br />

R. Ellison, op.cit., p 391<br />

Ibid., p 370<br />

Ibid., p 370


- 214 -<br />

Cependant le principe de contradiction i~~érente à tout fait ou à toutoQjet<br />

ne se rencontre pas chez les seuls représentants de la tradition de "High<br />

John de Conquer": m~me Sambo, le prototype du négro-américain subjugué a des<br />

significations simultanément opposées. Il n'incarne pas la simple dégradation<br />

humaine du Noir, il est aussi source de pouvoir. Tous les personnages conformistes<br />

et obséquieux qui se courbent jusqu'à terre devant le Blanc, montrent<br />

leure illustration nous en est fournie par le Dr. Bledsoe qui reconna!t avec<br />

une verdeur cynique, exploiter les bêtises des imbéciles noirs et blancs.<br />

" Les Noirs ne dirigent pas cette école,(••• ) les Blancs<br />

non plus d'ailleursi C'est vrai, ils la soutiennent, mais<br />

c'est moi qui la dirige. Moi, je suis gros et noir, et je<br />

dis "oui m' sieur~' aussi fort que le premier négro venu<br />

quand c'est nécessaire, mais je suis toujours le roi ici.<br />

Je me fiche que ça n'en ait pas l'air. La puissance n'a pas<br />

besoin de s'étaler.(••• ) C'est un édifice de puissance, fils,<br />

et je suis au commandes.( ••• ) Les Blancs disent à chacun<br />

ce qu'il doit penser -sauf à des hommes comme moi.( ••• )<br />

C'est ma vie, ça, de leur dire ce qu'il faut penser des<br />

choses que je connais.(••• )C'est une sale combine et ça ne<br />

me plait pas toujours. Mais écoute-moi donc, ce n'est pas<br />

moi qui l'ai faite, et je sais que je ne peux rien changer.<br />

Mais j 'y ai creusé ma place•••,,( 1)<br />

A l'instar du grand-père du narrateur, Bledsoe transforme sa faiblesse et sa<br />

vulnérabilité en puissance et s'en sert pour exploiter Blancs et Noirs à son<br />

seul profit. Même un exploité majeur COmme Lucius Brockway, sait malgré son<br />

salaire de misère, qu'il est en. réalité le véritable chef de production dans<br />

l'entreprise qui l'emploie. Et il en s'en glorifie:<br />

"••• Les peintures Liberty elles vaudraient pas un pet de<br />

lapin s'ils m'avaient pas ici pour s'assurer qu'elles ont<br />

une bonne base solide. L'patron Sparland, il sait bien<br />

pourtant, ( ••• ) il sait bien que si not' peinture est si<br />

bonne, c'est rapport à la manière dont L. Brockway met la<br />

pression sur ces huiles et résines avant qu'elles ont quitté<br />

les réservoirs."(2)<br />

Malgré sa veulerie, L. Brockway sait qu'il dispose d'une force certaine au<br />

sain de l'entreprise, qu'il peut la bloquer du jour au lendemain; et s'il<br />

(1) R. Ellison, ~cii., pp 144-145<br />

(2) Ibid., pp 214-215


- 215 -<br />

l !<br />

s'estime à sa juste valeur, cela ne l'empêche pas ~e tenir jusqu'au bout son<br />

rale de Sambo, sans d'ailleurs en avoir clairement conscience. Contrairement<br />

à Bledsoe, il ne tire aucun benéfice de sa force, qui demeure potentielle.<br />

Il ne l'investit pas dans l'action comme Todd Clifton ou Rinehart. En réalité,<br />

Tod Clifton n'est pas le type du Sambo; c'est un rôle qu'il n'a jamais<br />

accepté de jouer. S'il s'est fait vendeur de poupées "samboesques", c'est<br />

pour e::primer son dépit d'avoir été un jouet à2ns la rnsins des Blë',ncs. En<br />

parodiant ce modèle de comportement, il se montre conscient de la place qui<br />

est la sienne dans sa société, et il est plus martre de ses mouvements que<br />

le narrateur qui se laisse toujours mener. Sambo ne représente pas, dans la<br />

perspective de R. Ellison, la sujétion pure et simple du Noir, ni même les<br />

comportements obséquieux de ce dernier; il est aussi la faiblesse consciente<br />

d'elle-même; faiblesse qui devient alors force, ainsi que le dit S.L.Blake:<br />

l'<br />

1 ~<br />

If<br />

" Sambo represents not only powerlessness but the knowledge<br />

of powerlessness, not only the absence of identity<br />

but knowledge of the absence -and knowledge is a kind of<br />

power in i tself. ,,( 1)<br />

C'est aussi la conclusion à laquelle aboutit le narrateur à la fin de son<br />

odyssée: la puissance provient de la connaissance. Connaissance des mécanismes<br />

secrets de la société, connaissance de ses propres limites et de celles<br />

des autres, des mobiles qui poussent les gens à l'action ou à la passivité,<br />

des mensonges que ~a<br />

sociétéinyente pour mieux contr6ler les mouvements de<br />

ses membres et des fausses constructions qu'elle fait passer pour l'identité.<br />

Celui qui n'a pas cette connaissance est comme un pion sur un échiquier, manipulé<br />

par le premier venu. Dans son désir de s'avancer dans le sens de marche<br />

imposé par les réprésentants de la perspective caucasienne, le narrateur<br />

se trouve confronté à des points de vue divergents. Pour eux tous, son identité<br />

est inexistante. C'est Bledsoe qui le lui dit sans ambages: "Tu n'es<br />

personne, fils. Tu n'existes pas. Ne le vois-tu pas ?"(2)<br />

A l'opposé<br />

l'ancien combattant, exprimant l'opinion de la tradition<br />

négro-américaine, l'exhorte à se créer une identité à lui, à se recréer non<br />

pas suivant les présupposés de la culture blanche, mais de la culture négro-<br />

(1) S.L.Blake, op.cit., p 129<br />

(2) R. Ellison, op.cit., p 145


- 216 -<br />

américaine. En ce sens, il lui conseille: "Soyez votre propre père, jeune hO::1­<br />

me. Et n'oubliez pas, le monQe est plein de possibilités pour peu que vous<br />

les découvriez."(1)<br />

De son c6té, le jeune Emerson, incapable d'échapper aux limitations de sa<br />

tradition culturelle blanche et se trouvant dans l'impossibilité de se déterminer<br />

pour celle des Noirs, se réfugie dans des lamentations qui relèvent du<br />

nihilisme:<br />

" Votre identité! Mon Dieu! De toute façon, qui a encore<br />

une identité ?"(2)<br />

s'exclame t-il à la face du narrateur stupéfait.<br />

Le problème d'identité pour ces trois personnages ne coIncide pas du<br />

tout. Chacun émet une opinion sans intersection avec celle de l'autre. Pour<br />

l'un, l'identité du négro-améric~in<br />

n'a pas d'existence; pour le second,<br />

c'est à l'individu à. la créer par sa volonté de ne prendre pour dernière<br />

référence que soi; le troisième quant à lui, préfère noyer le problème dans<br />

des généralisations nihilistes. Ainsi, le problème d'identité devient aussi<br />

un pG>int de vue, comme le dit bien Susan L. Blake: " Whether invisibility is<br />

identity or non-entity depends on your viewpoint."(3)<br />

Or le défi lancé au narrateur n'est pas tant d'exprimer une opinion<br />

que d'appréhender la réalité selon la perspective noire, d'examiner avec un<br />

oeil critique, la.face cachée des choses, d'où émerge la contradiction et le<br />

chaos. ~~is<br />

il se contentera lui de se retirer du monde, pour plsnger littéralement<br />

dans les entrailles de la terre, pour élire domicile dans ce<br />

monde caché où prospèrent tous ceux qui s~accommodent avec succès de l'état<br />

des choses existant: Bledsoe, Br0 ckway, Rinehart, etc. Ces personnages, à<br />

l'exception du narrateur lui-m~me<br />

qui pêche par excès d'idéalisme ou d'intellectualisme,<br />

ne reprochent et n'ont rien à reprocher au monde blanc dont ils<br />

sont exclus, mais qu'ils savent exploiter à leur profit:<br />

" All the characters who function well in the white world<br />

inhabit sorne sort of underworld: Bledsoe's is calculated<br />

humility; Trueblood's the subconscious; Brockway's the<br />

cellar of Liberty Paints; Rinehart's organized crime. And<br />

they all accept the chaos apparent from down below."(4)<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 157<br />

(2) Ibid., p 186<br />

(3) S.L.Blake, op.cit., p 129<br />

(4) Ibid., p 129


- 217 -<br />

La découverte de cette vérité amène le narrateur à ne plus suivre les normes<br />

de la société et à aboutir à la conclusion que son identité comme l'identité<br />

américaine est une belle absurdité:<br />

" Je savais à présent qui j'étais, où j'étais, je savais<br />

aussi que je n'avais plus à chercher ou à fuir les Jack,<br />

les Emerson, les Bledsoe, les Norton, mais seulement à fuir<br />

leur confusion, leur impatience, leur refus d'accepter la<br />

belle absurdité de leur identité et la mienne, présente ou<br />

passée."(1)<br />

Après cette révélation, il choisit d'élire domicile dans une cave située dans<br />

une région marginale. Là, il découvre ce que les représentants de la tradition<br />

blanche lui ont appris; à savoir: que.l'esprit est tout, et que la signification<br />

véritable de son expérience se trouve dans son esprit. Sa retraite, en<br />

d'autres termes, n'est pas simplement physique. C'est aussi une retraite en<br />

lui-même, une descente dans son moi qu'il explore. Cette retraite est présentée<br />

comme une négation du monde blanc et de ses absurdités. Elle est aussi<br />

vue comme une bénédiction, un soulagement. Il n'est plus tenu d'être d'accord<br />

avec ceux qui l'utilisent comme un vulgaire moyen, ni de "confirmer leurs propos,<br />

de dire "oui" contre les dénégations de son estomac -sans parler de son<br />

cerveau. ,,( 2)<br />

Cependant les personnages qu'il imite en s'éloignant du monde sont tous,<br />

et S,. L. Blake a raison de le préciser, d'un point de vue conventionnel(blanc);<br />

quelque peu diaboliques alors que ceux dont il suit les conseils sont présentés<br />

comme des ,cinglés -le grand-père fou, l'ancien combattant dément, le jeune<br />

Emerson névrosé. Les modèles tiennent du diable, les conseillers sont fous.<br />

Entre la diablerie et la folie la marge de manoeuvre est très étroite et tout<br />

dans la pratique du narrateur l'atteste. C'est pour cette raison qu'on n'est<br />

guère convaincu par sa rétractation finale et sa réinterprétation des paroles<br />

de son grand-père:<br />

" Et sans fin ni trêve, dit-il, mes pensées retournaient à<br />

mon grand-père••• Peut-être avait-il enfoui son message<br />

plus profondément que je n'avais pensé,peut-être sa colère<br />

m'a t-elle secouée, je ne saurais dire••• A moins qu'il ait<br />

voulu dire -oui, c'est cela, bon Dieu, à coup sar; il a vou-<br />

R. Ellison, op.cit., p 526<br />

Ibid., p 538


- 218 -<br />

"lu désigner le principe, dire que nous devons revendiquer<br />

le principe sur lequel fut bâti le pays, et non les hommes,<br />

ou du moins, pas les hommes qui ont usé de violence. Son<br />

dis "oui", c'était peut-être parce qu'il savait que le principe<br />

est plus grand que les hommes, plus grand que les chiffres,<br />

la puissance hafneuse et toutes les méthodes employées<br />

pour corrompre son nom. Désirait-il soutenir le principe,<br />

qui, rêvé mille et mille fois, avait sorti les Blancs du<br />

chaos, des ténèbres du passé féodal et qu'ils avaient violé<br />

et compromis jusqu'à le rendre absurde, même dans leurs esprits<br />

corrompus? A moins qu'il ait estimé que nous devions<br />

assumer la responsabilité du tout, des hommes aussi bien<br />

que du principe, parce que nous'étions lesh~ritier8 dèstinés<br />

à utiliser ce principe, nul autre ne correspondant à<br />

nos besoins ? Pas pour la puissance ni pour la justification,<br />

mais parce que pour nous, étant donné notre origine, c'était<br />

le seul moyen de trouver la transcendance ?"(1)<br />

En se pensant héritier destiné à utiliser ce principe susceptible de<br />

lui apporter la transcendance, le héros de Ralph Ellison<br />

aboutit à une conclusion<br />

que rien dans le déroulement du roman ne laissait présager: il estime<br />

possible pour un homme invisible de jouer un r6le utile dans la société:<br />

" Même les hibernations peuvent être trop longues, réfléchissez-y.<br />

Voilà peut-être mon plus grand crime social, j'ai<br />

fait trop durer mon hibernation, puisqu'il existe une possibilité,<br />

même pour un homme invisible de jouer un r6le utile<br />

dans la société."(2)<br />

On est en droit de douter de l'utilité que peut apporter à la société un homme<br />

qui a épuisé toutes les alternatives qui lui étaient ouvertes et qui se<br />

retrouve dans un cave située dans une zone marginale de la société. Car se<br />

retirer du monde n'est pas toujours un refus du monde. Affirmer que le monde<br />

est absurde et que la réalité est dans l'esprit ou est l'esprit est une manière<br />

de dire que le monde et les mensonges et les<br />

-pratiques qui le rendent absurdes'~'ont<br />

aucune importance. C'est manifester son accord avec le monde tel<br />

qu'il est. L'objectif du narrateur n'est pas tant de changer que de connattre<br />

et c'est la connaissance qu'il nous présente comme équivalente au changement,<br />

à la liberté et même à la libération. Or conscience et conscience d'action<br />

ne se confondent pas; de même que la connaissance ne débouche pas nécessairement<br />

sur l'action. Il faut un projet et une volonté de le mener à concré-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., pp 538-539<br />

(2) Ibid., p 545


- 219 -<br />

tisation. C'est lorsque l'esclave met ses connaissances en pratique, qu'il<br />

s'oppose à son mattre dans un combat pouvant aller jusqu'à la mort, que les<br />

rapports qui existent entre eux subissent des modifications:<br />

" Whether or not Sambo knows is something Old Marster never<br />

knows; it is only when Sambo shows he knows that the<br />

relationship changes -and then Sambo is not Sambo at all,<br />

but Jo~~, Old Marster natural equal and moral and intellectuaI<br />

superior. When John says "yes" to Old Marster, he is<br />

either covering up hie crimes against slavery or setting<br />

up new ones. The result is, at least, a couple of chickens<br />

in his pot; at most, sorne erosion of the power of slavery<br />

that Old Marster is forced to acknowledgelOld Marster whipped,<br />

Old Miss gets slapped, or Old John gets freedom."(1)<br />

L'affirmation de Homme Invisible••• n'accomplit aucune des actions subversives<br />

de John. Il n'est pas un saboteur politique de l'ordre social, car il<br />

situe son refus au niveau de l'esprit. Son identité n'est pas du tout sa<br />

propre création, mais celle que lui a conféré la société chaotique dans laquelle<br />

il se meut. Il aurait pu adopter la perspective de deux personnages<br />

secondaires du roman, Mary Rambo et le frère Tarp, qui sont qualifiés tous<br />

deux d'ancres contre le chaos. Mais la perspective du roman n'est pas celle<br />

de ces deux personnages. Car tous deux demanâent à la nouvelle génération de<br />

relever le défi lancé par le Blanc au Noir. Pour elle, il ne suffit pas d'espérer,<br />

mais de faire en sorte que les choses changent et fassent honneur à<br />

la racez<br />

" C'est vous, les jeunes, qu'allez faire les changements,<br />

dit-elle. C'est vous tous, oui. Faut prendre la tête, faut<br />

se battre, et nous faire monter un petit peu plus haut. Et<br />

j' te dirai aut'chose encore, c'est ceux du Sud qui faut<br />

qu'ils le fassent; eux ils connaissent le feu et ils ont<br />

pas oublié comment il braIe. Par ici, y en a trop qui l'oublient.<br />

Ils se trouvent une place pour eux et les v'là<br />

qu'oublient les gars qui restent au fond. Oh, ils sont des<br />

tas à parler de faire des choses, mais la vérité c'est qu'ils<br />

ont oublié. Non, c'est les jeunes qu'il faut qu'ils se rappellent<br />

et prennent les choses en main."(2)<br />

La réponse du narrateur face aux exhortations de Mary, "cette solide force<br />

familière comme<br />

jaillie de mon passé, et qui m'empêchait de me lancer à corps<br />

-<br />

(1) S.L. Blake, op.cit., p 130<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible••• , pp 248-249


- 220-<br />

perdu dans un inconnu que je n'osais affronter"(1) est de l'irritation et un<br />

vague sentiment de reconnaissance. Mais de toute façon, il y a beaucoup de<br />

choses qui lui déplaisent, lui individualiste, chez les gens cormne l'lary:<br />

" D'abord, il est rare qu'ils sachent où finit leur personnalité<br />

et où commence la tienne; ils pensent généralement<br />

en termes de "nous", alors que j'ai toujours été enclin à<br />

penser en termes de "moi"."(2)<br />

A l'instar de frère Tarp qui a passé dix neuf ans dans les charnes,<br />

Mary ne situe pas le chaos dans l'esprit général, encore moins le sien, mais<br />

dans le monde social, un monde social qui n'est pas gratuitement absurde,<br />

mais qui est rendu irrationnel par la volonté d'une minorité de gens qui cherchent<br />

à maintenir de façon délibérée les autres dans une position d'assujettissement<br />

social.<br />

x<br />

x<br />

x<br />

Dans les extraits publiés de son roman en cours d'élaboration, Ralph<br />

Ellison pose toujours le problème d'identité culturelle, par conséquent celui<br />

d'identité tout court, en termes d'universalité. " And Hickman Arr.!.~"(3)<br />

explore les relations entre un représentant du pouvoir blanc, le Sénateur<br />

Sunraider et les Noirs. Sénateur blanc du peuple blanc qu'il représente au<br />

Sénat américain, Sunraider incarne et défend les points de vue des Blancs.<br />

Son racisme extrême, quintessence de la conscience blanche se réalisant comme<br />

valorisation absolue de la condition blanche, l'amène à se comporter envers<br />

les Noirs, non seulement comme si ces derniers étaient sa propriété<br />

privée, mais aussi comme si lui aussi appartenait à leur communauté.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., pp 251-252<br />

(2) Ibid., p 305<br />

(3) R. Ellison, "And Hickman Arrives", The Noble Savage l, 1960<br />

Rpt. in Black writers of America, ed, R. Barksdale and K. Kinnamon, N-York,<br />

Mac Millan, 1972.


- 221 -<br />

Dans "Juneteenth"('r) et dans "The Roof, the Steeple and the people"(2), il<br />

porte le nom de Bliss, comme Bliss Proteus Rinehart et comme lui change d'identités<br />

selon les circonstances. Dans les deux extraits sus-mentionnés, il<br />

apparatt comme un prêcheur en formation sous la direction du Révérend A.Z.<br />

Hickman, la trombone de Dieu(God's Trombone). Alors que ~ien<br />

ne l'y prédisposait,<br />

cet enfant trouvé et élevé dans une communauté noire du Sud, par des<br />

Noirs, devenu sénateur d'un Etat de la Nouvelle Angleterre, se transforme en<br />

négrophobe viscéral. Mais tout en lui trahit le passé avec lequel il veut<br />

rompre et les liens privilégiés qui l'attachent avec les gens à qui il voue<br />

une haine aveugle: ses manières, Bon langage, tout rappelle l'ancien prêcheur<br />

sudiste qu'il a été; tout son être semble tenir de son ancien mattre et révérend<br />

pasteura<br />

" Why, Reveren' that's you! He's still doing you! 0 my<br />

Lord•••Still doing you after aIl these years and yet he<br />

can say aIl the mean things he says•••"(3)<br />

s'exclame indigné un des membres de la congrégation de A.Z. Hickman, venus<br />

avec lui en délégation à Washington pour rencontrer le Sénateur. Le message<br />

est clair: Sunraider répudie ses racines en développant un comportement a­<br />

gressif contre ses frères de "sang" qu'il aurait dtt aimer. Il apPartient<br />

au groupe auquel, dans son aveuglement irraisonné, il s'oppose. Ce sont ses<br />

véritables racines, profondément enfoncées dans le peuple noir qu'il veut<br />

arracher. L'implication de ce qui précède est que les relations existant entre<br />

Sunraider et Hickman constituent l'archétype des relations existant entre<br />

les Blancs et les Noirs aux Etats-Unis. Il y a entre les deux groupes plus<br />

que de la simple fraternité: une communauté de destins, une imbrication d'identités<br />

qu'aucun des groupes ne veut reconnattre, ni accepter.<br />

Le but de R. Ellison lorsqu'il établit cet archétype est de créer le<br />

mythe d'une identité américaine qui serait la somme ou prendrait tout au<br />

moins en compte les éléments culturels de l'Amérique blanche et ceux de l'expérience<br />

négro-américaine. D'où la mise en série des deux traditions, ce qui<br />

fait écrire à Susan L. Blake:<br />

(1) R. El1ison, "Juneteenth", Quaterly Review of Literature, 13, N° 3-4( 1965)<br />

pp 262-276.<br />

(2) R. Ellison, "The Roof, The Steeple and The People", Quaterly Review of<br />

Literature, 10, N°), 1960<br />

0)


- 222 -<br />

De fai~on<br />

" Like a quilter making two-color patterns, Ellison matches<br />

black folk characters to white racist stereotypes, the<br />

folklore of race relations to the conventions of south-west<br />

humor, and ultimately the emancipation of black folks from<br />

slavery to the emancipation of whites from racism. The<br />

patterns are set against a background of allusions to stories<br />

-historical and literary- that have already become<br />

myths of American identity."(1)<br />

peut considérer les relations existant entre le Révérend Hickman<br />

et le Sénateur Sunraider comme étant du m@me<br />

type que celles qui existent<br />

entre l'Oncle Remus et le Petit Garçon(Little Boy)."L'Oncle Remus" Hickman<br />

traite le Sénateur Sunraider avec condescendance comme si ce dernier était<br />

demeuré le jeune BlissJ d'autre part, sa patience à l'égard des Blancs est<br />

proverbiale et rappelle celle du conteur de la tradition de la plantation.<br />

Bliss et Sunraider représentent les deux faces d'une même médaille: celle du<br />

petit enfant blanc, à la fois mattre et enfant. Quand le Sénateur victime<br />

d'une tentative d'assassinat délire, c'est Daddy Hickman qu'il appelle à<br />

son chevet, ce sont les sermons du vieux pasteur noir qu'il déclame. Le rôle<br />

de Bliss dans ces sermons avait été d'actualiser sur le mode dramatique le<br />

thème de la vie dans la mort, de la Résurrection et de la Rédemption. Dans<br />

-Junteenth", f@te anniversaire de la proclamation de l'Acte d'Emancipation,<br />

Hickman dans son homélie reprend le thème de la résurrection qu'il applique<br />

à l'histoire de son peuple. Le m@me<br />

sermon associe l'éveil de Sunraider à la<br />

rédemption de l'Amérique blanche. Dans le même sermon, Hickman appelle l'asser­<br />

Vissement et l'émancipation du peuple noir une calamité cruelle doublée d'une<br />

bénédiction:<br />

" A cruel calamity laced up with a blessing -or maybe a<br />

blessing laced up with a calamity••• because out of all<br />

the pain and the suffering, out of the night of storm,<br />

we found the Word of God."(2)<br />

Tandis que Hickman développe ce thème, Bliss (Sunraider) en réponse, lui en<br />

fait la représentation mimée: " WE<br />

WERE THE VAL<strong>LE</strong>Y OF DRY BONES"(3) crie le<br />

Révérend Hickman et le Révérend Bliss de tourner en se pavanant trois fois<br />

autour de la chaire et de l'estrade. Ensuite, le Révérend Hickman insiste en-<br />

(1) S.L.Blake, op.cit., p 131<br />

(2) R. Ellison, "Juneteenth", p 264<br />

(3) Ibid., p 271


- 223 -<br />

core sur le thème de la rédemption en s'écriant, tout à l'exultation:<br />

" And if they ask you in the city why we praise the Lord<br />

with bass and drums and brass trombones tell them we were<br />

rebirthed dancing, we were rebirthed crying affirmation of<br />

the Word, quickeJllling our transcended flesh."(1)<br />

li :1<br />

'I!~,<br />

~.<br />

1 "<br />

Le Sénateur évoquant dans son délire cette scène a les os qui tremblent. A<br />

son réveil il est rédimé, il est rené. Il émancipe alors les Noir~<br />

sur lesquels<br />

il exerçait un pouvoir tyrannique et libère son humanité en se départissant<br />

des ténèbres qui hantent son ~me.<br />

Le m@me<br />

schéma et des conclusions identiques se retrouvent dans les autres<br />

extraits du roman, publiés par Ralph Ellison: "Cadillac Flamb~"(2),<br />

" It<br />

always Breaksout."(3) Chacun de ces extraits ont leur réplique dans la tradition<br />

raciale et littéraire. Dans "Cadillac Flambé", Lee Willie Minifees,<br />

type du militant noir et mauvais nègre de la littérature américaine, brdle<br />

sa Cadillac sur la pelouse du Sénateur Sunraiser, manifestement en signe<br />

de protestation contre les propos outrés et outrageants de ce dernier qui<br />

critique la prédilection exagérée des Noirs pour cette voiture prestigieuse<br />

qu'il voudrait rebaptiser" Coon Cage Eight". Lee Willie Minifees appartient<br />

à la tradition des Noirs qui s'opposent à l'état de choses prévalant. Son langage<br />

et son style sont de défi.<br />

" You have taken the best" he boomed, "so dammit, take a11<br />

the reste Talce all the rest!"<br />

" In fact, nO\'l l don' t want anything you think i s too good<br />

for me and ~y people. Because, just as the old man and the<br />

mule said, if a man in your position is against our having<br />

them, the.n, there must be something wrong with our wanting<br />

them. So to keep you happy, l, me, Lee Willie Minifees, am<br />

prepared to WALK. l'm ordering me sorne clubfooted, pigeon<br />

toed SPACE SHOES. l'd rather crawl or fly. l'd rather save<br />

my money and wait until the A-RABS make a car. The Zulus<br />

even. Even the ESKIMOS! Oh, l'11 walk and wait. l'11 grab<br />

me a GREYHOUND on a ~IGHT! So you can have my Coon Cage,<br />

fare thee weIl! ••• And thank you KINDLY for freeing me from<br />

the Coon Cage. Because befo:œI'd be in a Cage, l'Il be buried<br />

in my GRAVE. Oh! Oh!"(4)<br />

Mac Gowan le journaliste qui commente l'acte de Lee Willie Minifees sous<br />

1 R. Ellison, "Juneteenth", p 271<br />

2) R. E11ison, "Cadillac Flambé" American Review, 16, N-York(Bantham 1973)<br />

pp 249-269<br />

(3) R. Ellison, "It Always Breaks Out", Partisan Review, 30, (Spring 1963)<br />

pp 13-28<br />

(4) R. Ellison, "Cadillac Flambé", p 264


- 224 -<br />

l'oeil indifférent de Sam le serviieur noir, représente, à en croire S. L.<br />

Blake le rebelle et le fanfaron de la tradition hu~oristique du Sud-Ouest<br />

américain. Son commentaire sur les Noirs forme l'ossature de la.nouve11e<br />

"It A1ways Breaks out". L'essentiel de la thèse qu'il expose se résume en<br />

une phrase: Tous les actes que posent les Noirs sont des actes politiques:<br />

Pourtant ce même<br />

" Don't you Yankees recognize that everything the Nigra does<br />

is political?" lance lf.ac Gowan à Thomson avant de poursuivre<br />

ft Thomson, you amaze me. You are Southern-bonn and bred and<br />

there are three things we Southerners are supposed to know<br />

about and they're history, politics and Nigras. And especia11y<br />

do we know about ~he politica1 significance of the<br />

Nigra.( ••• ) The Nigra is a political animal. He came out<br />

of Africa that way. He makes po1itic the same way a dirt<br />

dauber makes mud houses or a beaver builds dams. So watch<br />

his environment. If you see his woman putting up pictures<br />

on the wall -regard her with suspicion because she's liab1e<br />

to break out in a rash of politics."(1)<br />

journaliste qui se targue de connattre tout ce qui est relatif<br />

aux Noirs aboutit, au terme de sa diatribe à la conclusion inepte que les<br />

Noirs sont incapables de commettre un assassinat politique: " But gentlemen,<br />

dit-il en l'occurrence, to my considerable know1edge, no Nigra has ever even<br />

thought about assassinating anybody."(2)<br />

Les implications de son discours que dans son ignorance, sa présomption<br />

et son étroitesse d'esprit il n'appréhende pas, sont que le Noir est incapable<br />

par destinée de détruire par choix librement consenti ou par volonté, un<br />

symbole ou un représentant de la société américaine. ,Comme le narrateur du<br />

récit, un "ex-radical libéral nordiste" manque de noter la présence de Sam,<br />

le serviteur noir qui s'occupe de lui, de même,<br />

le journaliste Mac Gowan ne<br />

voit en Lee Willie Minifees et par extension en tous les Noirs qu'une abstraction.<br />

Tous deux appartiennent à la même catégorie que le Sénateur: ensemble<br />

ils dépouillent le Négro-américain de son humanité et de par leurs propres<br />

comportements se couvrent de ridicule.<br />

L'épisode du "Cadillac Flambé" vise à montrer que l'humanité<br />

des personnages<br />

tels que Mac Gowan est liée à celle des Noirs(Lee Wil1ie Minifees<br />

(1) R. Ellison, "It Always Breaks out", pp 18-21<br />

(2) Ibid., p 21


- 225 -<br />

et Sam) et que si ces derniers sont stéréotypés et dépouillés de leur humanité<br />

la faute en imcombe aux Blancs qui refusent de les reconnattre pour<br />

hommes. Le message final de " And Hickman Arrives" prolonge et enrichit celui<br />

de Homme Invisible••• Alors que dans ce dernier roman comme dans ses premières<br />

nouvelles, il établissait une équation entre la noirceur(blackness) de la<br />

condition nègre et 1'humanité, dans "And Hickman Arrives" le message est que<br />

l'h~~anité,<br />

et singulièrement l'humanité américaine est noirceur: c'est ce<br />

que R. Ellison appelle "the black mask of humanity"( 1) Ce que cache ce masque<br />

noir est l'ambiguité complexe de l'humain que des écrivains de premier ordre<br />

tels que Hemingway ou Faulkner tendent à ignorer ou travestissent lorsqu'ils<br />

présentent dans leurs o~uvres des personnages nègres. Or, soutient R. Ellison,<br />

le Négro-américain qui est décrit comme un clown schématique, une bête ou un<br />

ange est une version complexe de l'homme occidental: " A most complex example<br />

of Western ~an••• (a) sensitively focused process of opposites, of good and<br />

evil, of instinct and intellect, of passion and spirituality"(2). Le refus<br />

d'admettre ce fait pourtant fondamental de la vie américaine, poursuit R. Ellison,<br />

a son répondant dans l'histoire américaine et constitue une partie du<br />

grand conflit qui oppose les groupes d'immigrés de vieille souche, particulièrement<br />

le groupe dominant des Anglo-saxons blancs et protestants (WASPS)<br />

aux nouveaux immigrants blancs et noirs. Les premiers tiennent en effet à<br />

imposer leurs idéaux aux nouveaux venus et insistent à faire passer leur image<br />

de l'Amérique comme la seule image exclusive. Mais objecte R. Ellison,<br />

"despite the impact of the American idea upon the world, the "American" himself<br />

has not (fortunately for the United States, its minorities, and perhaps<br />

for the world) been finally defined."(3) Mieux le combat que se livrent les<br />

Américains entre eux dans le but de savoir ce que doit être l'Américain,<br />

loin d'être socialement dommageable, est une dimension du processus démocratique<br />

par lequel la nation doit passer avant de se constitUer. C'est ce même<br />

conflit qui peut donner lentement naissance à l'Américain type. Le rejet du<br />

Noir et son exclusion du processus, ne font qu'en retarder l'avènement.<br />

(1) Titre d'un essai de R. Ellison: "Twentieth Century Fiction and the Black<br />

lw1ask of Humanity" in Shadow and Act, p 24<br />

(2) Ibid., p 26<br />

(3) Ibid., p 26


- 226 -<br />

Il faut donc comprendre que toute définition ue l'iQentit~<br />

a~éricaine<br />

qui exclurait le Noir est illusoire. La distinction entre Noirs et Blancs est<br />

une des illusions que les américains pensent leur être nécessaire pour vivre<br />

décemment. Mais ils ne vivront réellement que lorsqu'ils s'apercevront du<br />

caractère fallacieux de cette prétendue nécessité, et l'abandonneront. Alors<br />

seulement pourra s'instaurer une communauté fraternelle entre Blancs et Noirs,<br />

prélude à la réalisation de la vraie démocratie que tous les Américains appellent<br />

de leurs voeux. Ainsi pour R. Ellison, la présence des Noirs, groupe asservi<br />

et ne jouissant pas des droits proclamés par la Constitution du pays<br />

auquel ils appartiennent est une bénédiction, car cette présence favoriserait<br />

l'avènement de la démocratie. Dans un essai écrit pour le magazine ~ et<br />

intitulé "What America Would Be Without Blacks"(1), Ralph Ellison estime que<br />

les Noirs ont principalement apporté deux contributions à la culture américaine:<br />

ils a'ont doté d'un style culturel et d'un centre moral:<br />

" For not only is the black man a co-creator of the language<br />

that Mark Twain raised toihe level of literary eloquence,<br />

but Jim's condition as American and Huck's commitment<br />

to freedom are the moral center of the novel".(2)<br />

Une fois encore, Ralph Ellison suggère que la souffrance des Noirs est d'émanciper<br />

l'humanité blanche, et subordonne ce faisant, la rédemption de l'Amérique<br />

à l'asservissement du Noir. Nous ne sommes pas loin de la thèse d'un<br />

James Baldwin selon laquelle les Noirs doivent saUver les Blancs à force de<br />

les aimer.<br />

x<br />

x<br />

x<br />

(1) ~, April 6, 1970, pp 54-55<br />

(2) Ibid., p 55


- 227 -<br />

Dans son article intitulé "Ralph Ellison and Afro-American Folk and<br />

Cultural Tradition"(1), George E. Kent après avoir rendu hommage au talent<br />

de l'auteur pour son adaptation du folklore négro-a~éricain, fait observer:<br />

" Yet there is something of the great performance, the tour<br />

de force, in Ellison's use of the folklore and cultural---­<br />

tradition that makes for both enlightenment regarding the<br />

literary potential of folklore and a certain unease."(2)<br />

Ce malaise provient selon lui du système élaboré d'interconnections de la<br />

tradition culturelle afro-américaine avec les éléments symboliques et mythologiques<br />

de la tradition occidentale, une tradition qui, à l'opposé de la<br />

tradition négro-américaine a déjà été définie et cernée dans tous ses<br />

aspects, a retenu l'attention et sollicité le talent d'innombrables critiques<br />

littéraires. Ce malaise découle ~ussi,<br />

toujours selon George E. Kent, de la<br />

foi qu'on a dans l'Occident et de la suspicion entretenue par les plus grands<br />

écrivains américains eux-m6mes, y compris Melville et Faulkner, que la tradition<br />

occidentale n'est plus en vigueur de santé et que sa mort peut survenir<br />

à tout moment. Qui plus est, la tradition négro-américaine adopte une<br />

attitude ambivalente vis-à-vis de son pendant occidental et les critiques<br />

qu'elle lui adresse vont plus loin que la simple désapprobation du rationalisme<br />

et de la technologie.<br />

Une autre objection de taille adressée à R. Ellison et à sa théorie<br />

d'utilisation de la tradition culturelle afro-américaine apparatt sous la<br />

plume de Larry Neal qui lui reproche<br />

essentiellement de limiter le champ<br />

d'investigation culturelle des écrivains négro-américais à l'Amérique et à<br />

l'Europe:<br />

" If there is any fundamental difference l have with Ml'.<br />

Ellison it is his, perhaps unintentional, tendency to imply<br />

that Blacks writers should confine their range of cultural<br />

inquiry strictly to America, and even Europe. For a man<br />

who was not exactly parochial about his search for knowledge<br />

to subtly impose such attitudes on young writers, is to<br />

deny the best aspects of his own development as an artist."<br />

(3)<br />

(1) George E. Kent, "Ralph Ellison and Afro American Folk and Cultural<br />

Tradition", C.L.A.Journal, vol XIII, N°), (March 1970) pp 275-276. Rpt. in<br />

John Hersey, ed., Ralph Ellison: A Collection of Critical Essays, Prentice<br />

Hall, Englewood Cliffs, N-Jersey, pp 160-170.<br />

(2) Ibid., p 169<br />

(3) Larry Neal, "Ellison's Zoot Suit", Black World, 20, N°2(Dec., 1970)


- 228 -<br />

tlon.<br />

Quand Larry Neal dit que c'est de façon.intentionnelle que R. Ellison se limite<br />

à la culture occidentale qu'il veut subtilement imposer aux jeunes écrivains<br />

négro-américains, nous pensons qu'il est loin de la vérité. Nous ne<br />

voulons pour preuve du contraire que la déclaration de R. Ellison à la revue<br />

Preuves. A une question relative à sa compréhension de l'expression "Negro<br />

Culture", il répond après 2.voir avec raison rejeté toutes les confusions entretenues<br />

sur les termes nègre et culture, que pour lui le négro-américain<br />

n'est qu'américain:<br />

Il The American Negro people is North American in orl.gl.n<br />

and has evolved under specifically American conditions:<br />

climatic, nutritional, historical, political and social.<br />

It takes its cbaracter from the experience of American<br />

slavery and the struggle for, and the achievement of, emancipation;<br />

from of American race and caste discrimination,<br />

and from living in a highly industrialized and highly mobile<br />

society possessing a relatively high standard of living<br />

and an explicitly stated equalitarian concept of freedom.<br />

rts spiritual outlook is basically Protestant, its<br />

system of kinship is Western, its time and historical sense<br />

are American (United states), and its secular values are<br />

those professed, ideally at least, by aIl the people of<br />

the United States. Culturally this people represents one<br />

of the many subcultures which ma'ke up that great amalgam<br />

of European and native Arnerican cultures which is the culture<br />

of the United States. ,,( 1)<br />

Ce sont de telles idées exclusives qui l'amènent à ritualiser les éléments<br />

de la culture négra-américaine et à les fondre dans la tradition culturelle<br />

et dans la mythologie occidentale. Le résultat est une nouvelle réalité, une<br />

synthèse qui modifie la signification première de la tradition afro-américaine,<br />

et qui conduit à penser que Ralph Ellison n'est au fond qu'un défenseur<br />

de l'état des choses existant.<br />

En effet, la caractéristique du rituel, c'est sa permanence et sa<br />

fixité. Il évolue très peu, en tout cas moins vite que les autres aspects de<br />

la vie sociale. Quand les gens utilisent les formes ritualistes, c'est dans<br />

le but d'affronter, comme le dit Clyde Kluckhohn, "those sectors of experience<br />

which do not seem amenable ta rational control"(2). Ralph Ellison en est<br />

11) R. Ellison, Shadow and Act, pp 262-263<br />

(2) Clyde Kluckhohn: "Myths and Rituals: A General Theory~' Harvard Theological<br />

Review , 35, (1945) pp 45-79. Rpt. in John B. Vickery ed., ~h an Literature:<br />

Contemporary Theory and Practice., University of Nebraska Press, Lincoln, 1966<br />

p 43.


- 229 -<br />

d'ailleurs fort conscient puisqu'il déclare lui aussi:<br />

n People rationalize what they shun or are incapable of<br />

dealing with; these superstitions and their rationalizations<br />

become ritual as they govern behavior. The rituals<br />

become social forms, and it is one of the functions of<br />

the artist to recognize them and raise them to the level<br />

of art. n( 1)<br />

Le rituel est donc une sorte de formalisme qui fige les rapports entre<br />

les individus qui, n'en comprenant plus la véritable nature, les trouvent<br />

naturels et ne songent plus à les modifier. Les rituels fournissant des<br />

points fixes à l'homme perdu dans un monde décevant et sujet à des changements<br />

brusques. Le rituel est en ce sens, une célébration de la conformité,<br />

même dans les sociétés, y compris la société américaine, où la moralité est<br />

élevée au rang d'institution:<br />

n Even in a culture like contemporary American culture<br />

which has made an institutionalized value of change (both<br />

for the individual and for society), conformity is at the<br />

same time a great virtue. To sorne extent, this is phrased<br />

as conformity with the latest fashion, but Americans remain,<br />

by and large, even greater conformists tha,n most Europeans. n<br />

(2) .<br />

C'est donc pour une préservation de l'état des choses tels qu'elles existent<br />

que plaide R. Ellison lorsqu'il affirme que sans mythe l'homme est en proie<br />

au chaos:<br />

n When tr.e belief Khich nurtures a great social myth declines,<br />

large sections of society become prey to superstition.<br />

For man without myth is Othello with Desdemona gone:<br />

chaos descends, faith vanishes and superstitions prowl in<br />

the mind. n (3)<br />

Il lui faut donc chercher la transcendance dans la forme du rituel.<br />

Il y a un danger évident dans une telle entreprise. Vouloir élever le<br />

rituel au rang d'art ou chercher la transcendance dans les formes rituelles<br />

comporte un risque de mystification. Car l'art, contrairement au mythe qui<br />

s'attache à envisager son objet comme existant réellement, est caractérisé<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p<br />

(2) Clyde Kluckhohn, op.cit., p 42<br />

(3) R. Ellison, op.cit., p 41


- 230 -<br />

surtout par son attachement d et sa sublimation de ce qui est matériel ou qui<br />

existe concrètement. Alors que l'art libère, le mythe ou le rituel asservit.<br />

Ce danger est dénoncé par Philip Pahv dans son essai The Myth and The Powerhouse.(1)<br />

La ritualisation de l'art, assure t-il avec raison, est une limitation<br />

de la liberté accomplie par la mystification du monde par le truchement<br />

du mythe et du dogme. Son aboutissement final est d'étRblir une Doétioue<br />

de compensation. Compensation du désenchantement de la réalité provoquée par<br />

le rationalisme, la science et surtout la conscience historique. Les rituels,<br />

comme les mythes, fournissent une retraite lors de l'histoire:<br />

" as to Stephen Dedalus in Ulysses, history is a nightmare<br />

from which they are trying to awake.But to awake from history<br />

into myth is like escaping from a nightmare into a state<br />

of permanent insomnia."(2)<br />

La vérité c'est que la ritualisation des faits voile une peur de l'histoire,<br />

et des changements historiques qui se produisent à une vitesse vertigineuse,<br />

changements difficiles à comprendre encore<br />

plus à contreler. La vie<br />

moderne apparatt donc absurde, ou allant à la dérive. Une des réponses que<br />

certains intellectuels ont trouvée pour affronter cette peur est, selon<br />

philip Rahv<br />

" to den;y historical time and induce in themselves through<br />

aesthetic and ideological means a sensation of mythic time<br />

~the eternal past of ritual. The advantage of mythic time<br />

is that it is without definite articulation conf~Qllding<br />

past, present, an1 future in én undifferentiated unity, as<br />

against historical time which is unrepeatable and of an<br />

ineluctable progression. II (3)<br />

Cela se voit dans les oeuvres des mattres de la littérature américaine tels<br />

que Ezra Pound, Hemingway et surtout T.S. Eliot que R. Ellison cite comme le<br />

premier de ses ancêtres littéraires. Les oeuvres de ces auteurs<br />

rendent<br />

l'histoire a-historique. Allen Tate par exemple dit que les Cantos de Pound,<br />

dans leur<br />

" powerful juxtapositions of the ancient, the Renaissance<br />

and t~e modern worlds reduce aIl three elements to an unhistorical<br />

miscellany, timeless, without origin."<br />

(1) Philip Rahv. "The Myth and The Powerhouse" Partisan Review, 20(1953)<br />

pp 635-648. Rpt. in J.B.Vickery,ed., op.cit., pp 109-118<br />

(2) Ibid., p 113<br />

(3) Ibid., p 114


- 231 -<br />

Dans son analyse deË oeuvres de T.S. Eliot, The Waste Land,Ulysses, Nightwood,<br />

Joseph Frank aboutit à des conclusions identiques: quoique, d'lli~<br />

point de<br />

vue, ces oeuvres semblent traiter du "clash of historical perspectives induced<br />

by the identification of contemporary figures and events with various historical<br />

prototypd", en pratique, elles rendent l'histoire a-historique en ce<br />

sens qu'elles la font apprattre comme un<br />

" continuum in which distinctions of past and present are<br />

obliterated••• past and present are seen spatially, locked<br />

in a timeless unity which, even if accentuating surface differences,<br />

eliminates any feeling of historical sequence by<br />

the very act of juxtaposition. The objective historical imagination,<br />

on which modern has prided himself, and which he<br />

has cultivated so carefully since the Renaissance, is transformed<br />

in those writers into the mythical imagination for<br />

which historical time does: net eXist."(n<br />

Cette même retraite hors de l'histoire se retrouve dans leur émule R. Ellison,<br />

pour qui l'histoire, non seulement agit comme un boomerang, mais est paranoïaque.<br />

Tout bien considéré, la peur de l'histoire et de la vie moderne est<br />

un refus d'accepter les risques inhérents à la liberté. Dans la mesure où<br />

l'homme est capable d'auto-détermination, c'est nécessairement dans le sillon<br />

de l'histoire qu'il peut la réaliser. Certes, même si l'histoire est par-dessus<br />

tout le domaine privilégié de la liberté elle est aussi la sphère dans<br />

laquelle l'homme, à en croire Paul Tillich<br />

" is determined by fate against his freedom. Very often<br />

the creations of his freedo~ are the tools used by fate<br />

against him with irresistible force. There are periods in<br />

history in which the element of freedom predominates, and<br />

there are periods in which fate and necessity prevail. The<br />

latter is true of our day."(2)<br />

Une analyse de ce type explique la fuite hors de l'histoire qu'on observe<br />

chez les écrivains qui ritualisent l'expérience sociale et la transforment<br />

en expérience mythique. Que le procès historique de notre temps s~it<br />

marqué<br />

plus par l'extrémisme et la perte de foi dans les valeurs humanistes qui fondent<br />

l'époque moderne que par la mattrise et la croissance ordonnée aux fins<br />

humaines des actes posés par l'homme, ne doit pas servir de justtfication<br />

(1) Joseph Frank in Criticism: The Foundations of Modern Literary Judgement<br />

eds Mark Schorer, Josephine Miles, and Gordon McKenzie, N-York: Harcourt<br />

Brace and World, 1948, p 392. Cité par Philip Rahv, 02.cit., p115<br />

(2) Paul Tillich, The Protestant Era, Chicago, University of Chicago Press,<br />

1948, p 186. Cité par Philip Rahv, op.cit., p 117


- 232 -<br />

facile au retour vers le traditionnalisme qui est dans son essence, immobilité,<br />

fixité. La stabilité qu'il offre est illusoire; comme est futile la<br />

délivrance du monde historique par le truchement du mythe.<br />

En littérature, écrit Philip Rahv<br />

dans cet ordre d'idées,<br />

" the withdrawal from historical experience and creativeness<br />

C2:l enly mean stf1V1ation. For tne cre;:>tive PTtist te<br />

deny time in the name of the timeless and immemorial is to<br />

misconceive his task. He will never discover a shortcut to<br />

transcendance. True, in the imaginative act the arti~t does<br />

indeed challenge time, but in order to win he must also be<br />

able to meet its challenge; and its triumph over it is like<br />

that blessing which Jacob exacted from the angel only<br />

after grappling with him till.the break of day."(n<br />

Appliquer à la tradition culturelle et folklorique les formes rituelles<br />

et y retrouver un modèle fécond pour la création littéraire implique la réduction<br />

aux structures formelles du conflit qu~dans une oeuvre de fiction<br />

oppose les personnages aux forces sociales, naturelles ou métaphysiques<br />

contr6lànt leurs vies. C'est du même coup minimiser ou même nier le r6le et<br />

la responsabilité de l'individu dans l'édification du monde où il vit; c'est<br />

personnifier les forces impersonnelles et déshumaniser les institutions. C'est<br />

aussi homogénéiser toute l'expérience humaine qu'on rend linéaire par le fait<br />

d'insister sur la continuité plut6t que sur les développements qualitatifs;<br />

c'est enfin de compte, réduire toute action humaine quelle qu'elle soit à un<br />

geste insignifiant, répétition inutile d'un geste issu comme tant d'autres<br />

de la nuit des temps. La signification même du conflit se perd, noyé dans<br />

une multitude d'autres oonflits, passés, présents, ou à venir. Des conflits<br />

dont l'issue est déjà connue. Ce n'est rien moins qu'une défense de l'ordre<br />

établi" •<br />

Le fait de ritualiser le folklore négro-américain, implique la formalisation<br />

du conflit social spécifique qui existe entre les Noirs et les Blancs<br />

et les institutions esclavagistes ou ségrégationnistes. Cela implique aussi<br />

que ce conflit s'inscrit dans le canevas général des conflits éternels et<br />

inéluctables qui opposent les êtres humains à leur condition d'êtres finis<br />

et conditonnés. Une telle ritualisation, en refusant de reconnattre la vali-<br />

(1) Philip Rahv, op.cit., p 118


- 233 -<br />

dité de l'import?nce du conflit social, transforme un antaEÇonisf"le soci21 en<br />

problème métaphysique. Or les rapports entre un peuple oppresseur et un peuple<br />

opprimé sont éminemment de nature sociale. Ils résultent de l'action des<br />

hommes et ne relèvent point de Dieu. Comme tels ils peuvent et doivent être<br />

modifiés par les hommes. Toute affirmation contraire, -et Susan L. Blake l'~<br />

bien perçu- n'est qu'une jusLification a posteriori. I.:alheureuserüelLt, c'est<br />

le résultat concret auquel aboutit Ralph Ellison lorsqu'il réduit l'expérience<br />

afro-américaine au rituel. Il justifie les rapports qui prédominent entre<br />

les Noirs et les Blancs en s'efforçant de les nier, tant sur le plan idéologique<br />

qu'artistique. Dans '~lying HomeV il fait du problème de la discrimination<br />

raciale tel qu'en fait l'expérience un adolescent nègre dont la personnalité<br />

n'est pas encore psychologiquement bien structurée, un problème d'orgueil<br />

démesuré de 1'homme luttant contre Dieu ou une puissance extérieure à<br />

l'humanité. En posant ce problème spécifique à la société américaine dans le<br />

contexte élargi du myhte occidental d'Icare et des paraboles judéo-chrétiennes<br />

de l'enfant prodigue et de la chute originelle de l'homme, il en escamote la<br />

signification et la portée fondamentales. Le mythe d'Icare relève de l'effort<br />

prométhéen de l'homme luttant contre les dieux dont il conteste la suprématie.<br />

S'il est vaincu, c'est par des êtres qui lui sont surnaturellement supérieurs<br />

et contre lesquels son combat est nécessairement vain. En ce sens, sa défaite<br />

est une victoire pour l'humanité à laquelle il montre la voie pour se délivrer<br />

de la tyrannie des dieux. Todd lui ne mène pas une telle lutte. Il n'en<br />

mène, en fait, aucune. Il est vancu d'avance, longtemps même avant d'avoir<br />

engagé les hostilités. Quant aux paraboles chrétiennes, elles montrent la<br />

vanité de l'homme cherchant à s'élever et s'affranchir de la tutelle de Dieu.<br />

Seul ce dernier, dans son omniscience et son omnipotence peut dans un geste<br />

magnanime lui tendre sa main salvatrice. En clair, les efforts de Todd sont<br />

inutiles et voués à l'échec. Dans Homme Invisible••• les personnages sortis<br />

de la tradition négro-américaine, conseillent au narrateur de voir la société,<br />

non pas d'un point de vue révolutionnaire mais de façon métaphyqique<br />

afin d'y vivre et prospérer. Pour eux l'invisibilité est un atout personnel,<br />

et non un handicap social; le chaos est l'ordre, l'affirmation est la négation.<br />

Mais tout dans le passé et l'expérience du narrateur affirme le contraire de


- 233(bis) -<br />

ces conseils. Comme<br />

le dit avec justesse Susan L. Blake, l'invisibilité est<br />

un handicap social, et le chaos provient du racisme; l'attitude de Sambo est<br />

un acquiescement et le non ne signifie oui que d?ns la t~te<br />

du narrateur.<br />

Le même schéma se retrouve dans les extraits publiés du futur roman<br />

de Ralph Ellison,( And Hickman Arrives) où il élargit, dans le sens d'une universalisation,<br />

le contexte et le domaine de validité de l'expérience négroaméricaine,<br />

amoindrissant par ce faire sa pertinence sociale. Ainsi Daddy<br />

Hickman, donnant une interprétation religieuse aux épreuves du peuple noir,<br />

clame dans son prêche qu'il commence pourtant par une condamnation de la condition<br />

sociale de son peuple:<br />

Il We were born••• in chains of steel. Yes, and chains of<br />

ignorance••• We had no schoo1s, we owned no too1s; no cabins,<br />

no churches, not even our own bodies. We were chained,<br />

young brothers, in steel. We were chained, young sisters in<br />

ignorance••• We were schoo1ess, too1-1ess, cabin-1ess,<br />

-owned••• "(1)<br />

Cette condamnation explicite de la condition sociale désastreuse faite aux<br />

Noirs,est dissoute l'instant d'après dans une interprétation universa1isante<br />

qui fait appel à la mytho10giejudéo-c~étienneappliquée aux Noirs. Le résultat<br />

est, on ne peut plus déroutant, comme le prouve le passage suivant:<br />

" We were owned and faced with the awe-inspiring 1abor of<br />

transforming God's Word into a 1antern so that in darkness<br />

wé'd know where we were. Oh God hasn't been easy with us because<br />

He a1ways plans for the loooong hau1. He's looking far<br />

ahead and this time He wants a we11-tested people to work<br />

his will. He wants sorne sharp-eyed, quickminded, generoushearted<br />

people to give names to the things of this wor1d and<br />

to ils values. He's tired of untempered too1s and ha1f-b1ind<br />

masons! Therefore He's going to keep on testing us against<br />

;l;herocks and in the fires. He's going to heat us ti11 we a1­<br />

most me1t and then He's going to p1unge us into the ice-co1d<br />

water. And each time we come out we'll be b1ue and as tough<br />

as co1d-b1ue steel! He means us to lie a new kind of human.<br />

May be we won't be that people but we'll be part of that<br />

people, we'll be an e1ement in them, Amen! ••• He's going to<br />

throw bolts of lightning to b1ast us so that we' 11 have good<br />

footwork and 1ightning fast minds. He '11 drive us hither<br />

and yon around this land and make us run the gaunt1et of hard<br />

times and tribulations, misunderstanding and abuse. And sorne<br />

(1) R. E11ison, "Juneteenth", p 273.


- 234 -<br />

will pity you and sorne will despire you. And sorne will try<br />

to deal you out of the game ••• And sometimes you'll feel<br />

so bad that you wish you could die. But it's aIl the pressure<br />

of God."(1)<br />

Ce qui commence comme une dénonciation d'une situation sociable déplorable,<br />

issue des rapports de servitude précis, est présenté comme l'oeuvre de Dieu,<br />

qui veut éprouver son peuple comme il l'a fait à Job. La responsabilité cies<br />

hommes dans le traitement émasculateur que subissent les Noirs est nié. Ceux<br />

qui les oppriment sont des instruments dans la main de Dieu et la souffrance<br />

est une bénédiction. A la vérité, le tour de force que réussit R. Ellison dans<br />

le passage précité, c'est de célébrer par le biais de la ritualisation de l'expérience<br />

négro-américaine, le mythe américain de l'échec prédestiné de l'homme<br />

noir. Ralph Ellison ne voit dans le désastre social du négro-américain qu'un<br />

test pour l'Amérique et ses idéaux. S'il condamne ou plut8t s'il reconnaît<br />

l'existence des pratiques racistes, il ne préconise aucune action<br />

pour les<br />

arrêter. Ras, l'Exhorteur-Destructeur, ne l'inspire pas; et il ne souhaite pas<br />

être l'émule de Samson. La patience et le temps apporteront les solutions appropriées:<br />

" We learned patience and to understand Job. Of all the<br />

animaIs, man's the only one not born knowing almost everything<br />

he'll ever know. It takes him longer than an elephant<br />

to grow up because God didn't mean him to leap to any conclusions,<br />

for God himself is in the very process of things."<br />

(2')<br />

Le déterminisme social est ainsi assimilé au déterminisme biologique et le<br />

tout est présenté comme relevant de la volonté et de la science divines.<br />

Vue dans la perspective d'Ellison, la faillite des idéaux américains,<br />

telle qu'elle se. manifeste dans les rituels inégalitaires autour desquels s'articulent<br />

les rapports entre Blancs et Noirs, est encore quelque chose de positif.<br />

L'élargissement des problèmes sociaux, l'extension de leur signification<br />

par le rituel et leur interprétation mythique suggèrent que les rapports sociaux<br />

peuvent connaître une modification de leur nature si on les appréhende<br />

dans des matrices autres que celles qui les ont originées. Il s'ensuit que la<br />

(1) R. Ellison, "Juneteenth", pp 213-214.<br />

(2) Ibid., p 214.


- 234(bis) -<br />

iaçor. d'appréhender les choses er~ ~l:)difie le sens, oue la vérité ne peut être<br />

absolue, mais n'est qu'un point de vuer "Nobody has a patent on truth or a<br />

copyright on the best way to live"(1). En dernière analyse la seule réalité<br />

existante, c'est l'esprit. Par sa médiation, tous les obstacles seront vaincus<br />

et les problèmes qui se posent aux hommes trouveront leurs solutions. Dieu le<br />

veut ainsi.<br />

Cette perspective n'es~ dans la pratique, rien d'autre qu'un refus d'opérer<br />

des changements qualitatifs dans la structure des rapports sociaux. Elle<br />

se fonde sur la prémisse contestable que dans une société multiraciale et inégalitaire<br />

dans laquelle une-majorité blanche opprime une minorité noire, la<br />

solution aux problèmes sociaux, transite par une reconversion des mentalités,<br />

surtout celles des opprimés. Cette reconversion semble dire Ellison, peut amener<br />

un changement dans la réalité sociale. En fin de compte, ce sont les victimes<br />

qui grâce à leur attitude, leur obstination et leur patience à la Job,<br />

peuvent opérer les changements souhaités.<br />

La définition de l'identité culturelle et de l'identité tout court,que<br />

donne R. Ellison, est on ne peut plus équivoque. En ritualisant l'expérience<br />

culturelle négro-américaine et en insistant sur l'idée que le changement social<br />

n'est que la conséquence du changement de mentalités, R. Ellison sert les<br />

intérêts de la société blanche d~ns laquelle il dilue tout ce qui constitue<br />

la particularité de l'expérience afro-américaine. Son élargissement du contexte<br />

social p!'opre à cette expérience aboutit simplement, même si ce n'est pas là<br />

l'objectif visé, à échanger la définition de soi du peuple asservi contre la<br />

définition du martre. L'identité recherchée devient en fin de compte, une<br />

identité d'emprunt qui ne repose plus sur l'expérience sociale et la tradition<br />

culturelle qui lui ont donné naissance et qui seules peuvent en assurer la<br />

pérennité.<br />

1<br />

(1) R. Ellison, "Juneteenth", p 214.


TROISIEME<br />

PARTIE<br />

INVISIBILITE COMME REVOLTE ESTHETIQUE ET MORA<strong>LE</strong>


- 236 -<br />

" If the writer exists for any social good, his role is<br />

that of preserving in art those hQ~an values which can<br />

endure by confronting change."<br />

R. Ellison, Shadow and Act, p 21<br />

" Most of the social realiets of the period were concerned<br />

lees with tragedy than with injustice. l wasn't, and am<br />

not primarily concerned with injustice but with art."<br />

R. Ellison, Shadow and Act, p 169<br />

" Anyway, l think style is more important than political<br />

ideologies."<br />

Interview in Harper's Magazine,<br />

Vol 234, N°1042(March 1961), pB


- 237 -<br />

La différence essentielle que R. Ellison établit entre les écrivains<br />

négro-américains et lui se situe, assure t-il, dans le domaine esthétique et<br />

particulièrement sur le plan stylistique. De fait, à l'instar d'écrivains<br />

américains tels que Faulkner et T.S. Eliot, Ralph Ellison cherche avant tout<br />

à représenter l'ambiguité de l'expérience subjectivement perçue, paroe qu'il<br />

a de la réalité négro-américaine, une oonception qui ne cornoide pas avec oe1­<br />

le des autres écrivains négro-américains qui, à l'exemple de Richard Wright,<br />

adhèrent à l'esthétique du réalisme. Le réalisme impose à l'artiste de ne<br />

pas chercher à idéaliser le réel ou à en donner une image épurée. Il insiste<br />

avant tout sur la clarté de la perception et la libération de l'individu de<br />

ses illusions, à l'opposé de l'esthétique moderniste qui privilégie la conception<br />

aU détriment de la perception. Pour l'écrivain qui comme R. E11ison,<br />

adopte l'esthétique moderniste, la réalité a plusieurs faces et la façon de<br />

l'appréhender provient de l'aooeptation implicite ou explicite d'une idéologie<br />

ou l'autre. Ralph Ellison répudie les idées que nous nous faisons de la<br />

réalité en même temps qu'il essaie de nous proposer les siennes.<br />

La conception esthétique qui est la sienne explique en grande partie<br />

les extravagances stylistiques de son oeuvre romanesque où le réalisme se<br />

confond avec le symbolisme. Aussi , fait-il par exemple, de l ' esprit du narrateur<br />

dans Invisible Man un lieu de significations complexes. Dès le prologue<br />

du roman, le narrateur nous avertit que son récit relate des aventures<br />

qui se sont produites, dans le sens objectif, depuis plus de vingt ans déjà<br />

et qu'elles n'existent au mo~ent<br />

de la narration que dans sa seule conscience.<br />

La distinction entre la réalité extérieure et la sensibilité intérieure<br />

s'efface. Le temps et l'espace se confondent dans son esprit ainsi que le<br />

suggère la vision qu'il a après avoir consommé de la marijuana tout en<br />

écoutant du jazz:<br />

" Le sens du temps, je dois l'expliquer, est légèrement<br />

modifié par l'invisibilité; vous n'êtes jamais tout à fait<br />

au temps. Vous êtes tant8t en avance, tant6t en retard.<br />

Au lieu de l'écoulement rapide et imperceptible du temps,<br />

vous avez conscienoe de ces points où il s'immobilise, ou<br />

alors fait un bond. Et vous vous glissez dans les temps<br />

morts et vous regardez le monde. Voilà ce que vous entendez<br />

vaguement dans la musique de Louis (Armstrong)."(1)<br />

(1) R. ElIsion, Homme Invisible••• , p 23


- 238 -<br />

Il faut donc comprendre dès la lecture du prologue que le point de vue du<br />

narrateur est surréel et que pour pénétrer son message, il faut accéder<br />

à son style de vision, c'est-à-dire explorer avec lui les recoins de sa<br />

propre pensée. C'est ce à quoi il se livre dans l'épilogue où, martre de<br />

son destin, il réfléchit sur son expérience. La leçon principale qu'il en<br />

tire est oue la réalité de son roman In~isible<br />

au niveau de l'esprit:<br />

Man doit être appréhendée<br />

" En descendant sous terre, j'ai tout enlevé, sauf l'esprit,<br />

oui l'esprit. Et l'esprit qui a élaboré un plan de<br />

vie ne doit jamais perdre de vue le chaos sur lequel ce<br />

plan a été élaboré."(1)<br />

Le protagoniste du roman de R,. Ellison a déjà vécu ses moments de<br />

choix et d'action, et sa conscience présente est la somme des angoisses qui<br />

en ont résulté. Cette conscience, avec le recul, est libérée des entraves<br />

de ce monde et c'est gr~ce<br />

autonomie vis-à-vis des plans d'autrui.<br />

à elle qu'il peut se dire libre, et garder son<br />

On pourrait s'interroger sur le contenu réel de cette liberté, et sur<br />

sa véritable nature. Dans un rêve surréel du Prologue de Invisible Man<br />

narrateur rapporte une conversation qu'il a eue avec une vieille esclave<br />

qui venait d'empoisonner son martre blanc, père de ses enfants, en dépit<br />

de l'amour qu'elle lui portait. La raison invoquée pour expliquer son geste<br />

était l'irrésolution de ce dernier à lui accorder sa liberté. A la demande<br />

du narrateur, elle définit la liberté comme étant le fait de "savoir dire<br />

ce que j'ai dans la tête."(2) Elle a fait, suggère t-elle en outre, l'expérience<br />

de l'ambivalence, des sentiments contradictoires et de la confusion<br />

de la pensée. La liberté que découvre le narrateur est du même ordre: "savoir<br />

dire ce qu'il a dans la tête." Car après toutes ses mésaventures, le narrateur<br />

se sait impuissant à réformer le monde ou à le remodeler suivant ses<br />

propres principes. Il n'est pas libre de poser ce genre d'acte. Sa liberté<br />

sera donc symbolique comme le lui avait dit l'ancien combattant illuminé du<br />

Golden Day dans l'autocar qui les conduisait au Nord. Aussi arrive t-il tout<br />

naturellement à la fin de son odyssée à la même conclusion que la plupart<br />

le<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 544<br />

(2) Ibid., p


- 239 -<br />

des héros américains contemporains, à savoir que:<br />

" he is not free ta reorganize and 0:2o.er the v!Orlci, but<br />

he can at least exercise the freedom to arrange and na~e<br />

his perceptions of the world. He ca~~ot perhaps assert and<br />

define himself in action, but sometimes at least he can<br />

assert and create himself in sorne private space not in the<br />

grip of historical forces."(1)<br />

Son échec à dominer le monde extérielU' oel. tout &u moins '-" s' é.CCo::-'o.cr él,VèC lui<br />

le conduit à déterminer et à explorer les traits réels de son monde intérieur.<br />

Ce faisant, il ordonne dans sa tête le chaos de son monde,<br />

à Tony Tanner:<br />

ce qui fait dire<br />

Il his most important affirmation may be, not of any pattern<br />

in the outside world, but of the patterning power of<br />

his own mind."(2)<br />

La démarche du narrateur dans son trou consiste justement "à donner forme<br />

au chaos qu'abrite le canevas de nos certitudes"(!) par le truchement de<br />

l'esprit. Parce qu'il veut sortir de son refuge,<br />

émerger. Il oède<br />

alors à la nécessité de transcrire l'invisibilité en noir sur blanc, et d'en<br />

chanter la ~usique. En d'autres termes, il Qevient artiste, plaçant Ë8 liberté<br />

dans la création d'un livre, celui de ses Mémoires dont la rédaction<br />

et la publication constituent selon R. Ellison<br />

" an act of self-definition and also an act of some social<br />

significance."(4)<br />

En écrivant ce livre, le narrateur crée, non seulement une forme, -ignorer<br />

sa forme, c'est dit-il, vivre une mort- mais se crée aussi pax le même fait,<br />

un visage, une identité. Bref, il devient visible (tout au moins à lui-m~me)<br />

ayant maintenant découvert sa propre mesure du temps.<br />

g~<br />

l "<br />

Tony Tanner, City of Words, p 58<br />

Ibid., p 59<br />

(3) Ibid., pp 544-545<br />

(4) Allan Galler-R. Ellison "An Interview" in C. W.Bigsby ed., The Black American<br />

Writer, T.2, Baltimore, Penguin Books, 1969, P 159


- 240 -<br />

Mais cette découverte n'arrive qu'au terme d'une longue série d'expériences<br />

rituelles s'inscrivant dans le canre cyclique d'une initiation mystique Qe<br />

l'artiste. Ses aventures successives sont autant de phases d'initiation où<br />

se heurtent les fragments de sa personnalité dissociée. Il ne devient libre<br />

et mattre de lui qu'après s'être découvert une identité stable (When l discover<br />

who l a~,<br />

l'Il be free, dit-il) -une identité d'artiste, c'est-à-dire<br />

de créateur, "the only actor in our society whose "end" is a search beneath<br />

the label for what is individual"(1).<br />

Ainsi donc, le narrateur de Invisible Man<br />

réarrange son eXT)érience par<br />

le truchement de l'art, faisant au surplus de lui-m6me une oeuvre d'art.<br />

Avec la lumière, c'est-à-dire la connaissance qu'il a acquisejrâce à son<br />

expérience, il situe ses responsabilités et celles des autres dans les mésaventures<br />

qu'il a vécues. Il est assez honn6te pour admettre que n'était-ce<br />

son consentement à se plier facilement aux ordres d'autrui, il n'aurait pas<br />

subi le calvaire qui a été le sien. C'est signe qu'il deviendra plus affirmatif<br />

dans ses relations avec les autres. Mais pour l'instant, il est et<br />

demeure dans son trou et son seul acte positif est la rédaction de ses Mémoires.<br />

D'ailleurs R. Ellison lui-même affirme:<br />

" Invisible Man is a memoir of a man who bas gone through<br />

( ••• ) experience and now cornes back and brings his message<br />

to the world. It is a social act, it is not a resignation<br />

·from society but an attempt to come back and be useful.<br />

There is an implied change of role from that of a would-be<br />

politician and rabble-rouser and orator to that of a vrriter•••<br />

l think that the memoir which is titled Invisible<br />

~ , his memoir is an attempt to describe reality as it<br />

really exists rather than in terms of what he had assumed<br />

it to be. Because it was the clash between his assumption,<br />

his illusions about reality and its actual shape which<br />

made for his agony."(2)<br />

On le voit bien, ce n'est pas à un simple récit de ses souvenirs que<br />

se consacre le narrateur, il procède en outre à la création d'une autre réalité,<br />

cette réalité étant une oeuvre d'art. Quelles caractéristiques distinguent<br />

cette oeuvre des autres ?<br />

(1) Ellin Horowitz, "The Rebirth of the Artist", in John M. Reilly ed.,<br />

Twentieth Century Interpretations of Invisible Man, p 80<br />

(2) Allan Geller-R. Ellison: "An Interview", in C.W.Bigsby, ed., op.cit., p


- 241 -<br />

La rédaction d'un roman pour R. Ellison, n'est rien moins que la confrontation<br />

de l'écrivain avec le monde, la conversion des expériences qu'il<br />

a accumulées tout au long de sa vie en actes symboliques. C'est aussi un effort<br />

constant et soutenu pour transformer en pensées conscientes quelques<br />

uns des thèmes de sa vie, des problèmes qui l'assaillent, des énigmes qu'il<br />

rencontre, des différentes contradictions de caractère personnel ou social<br />

ou culturel qu'il a vécues. C'est ce qu'il appelle ordonner "le chaos de sa<br />

pensée."


- 242 -<br />

l - LA PHILOSOPHIE DU JAZZ.<br />

Pour procéder à cette remise en ordre, R. Ellison qui a reçu avant son<br />

intrusion dans le somaine littéraire une solide formation de musicien, emprunte<br />

avant tout ses teahniques à la musique, et singulièrement au jazz et au<br />

blues. De fait la philosophie de la co:npositian des oeuvres musicales qui<br />

ressortissent du jazz exerce un attrait particulier sur notre auteur. L'essence<br />

du jazz, nous assure t-il, est l'improvisation dont la réussite dépend<br />

dans une large mesure de l'équilibre délicat et subtil que chaque membre de<br />

la formation maintient entre lui et les autres. Par ailleurs, le jazz est<br />

une forme musicale qui permet à l'individu de s'affirmer sans porter pour<br />

autant atteinte à l'intégrité expressive de l'ensemble:<br />

" True jazz is an art of individual assertion within and<br />

against the group. Each true jazz moment springs from a<br />

contest in which each artist challenges aIl the rest, each<br />

solo flight, or improvisation, represents (like the successive<br />

canvasses.of a painter) a definition of his identity<br />

as an individual, as a member of the collectivity'and<br />

as a link in the chain of tradit ion.,,( 1)<br />

C'est sur le modèle du soliste du jazz que l'auteur veut construire<br />

son roman. En effet dans le cadre de, et souvent en opposition à, la progression<br />

rythmique de l'ensemble et des modèles musicaux disponibles ou prescrits,<br />

le soliste est libre d'explorer une variété infinie d'idées et de trilles<br />

nouvelles selon son émotion et son état d'esprit du mo~ent.<br />

Mais il ne jouit<br />

pas, tant s'en faut, d'une liberté absolue. Il ne lui est pas permis de détruire<br />

l'harmonie musicale bâtie par les autres. Il peut s'il le veut laisser<br />

libre cours à sa .propre inspiration, se lancer dans des expérimentations<br />

personnelles, mais il doit toujours se rappeler son appartenance au groupe<br />

et en tenir compte, s'il ne veut pas le perdre et ce faisant se perdre. Enfin<br />

la musique, quelque<br />

tragique qu'en soit le message, est -comme les autres<br />

formes artistiques et singulièrement la création littéraire- un hymne à la<br />

vie, une célébration de l'indomptable esprit humain en ce sens qu'elle impo-<br />

(1) R. Ellison, "The Charlie Christian Story", in Shadow and Act, p 234.


- 243 -<br />

se forme et ordre au chaos de l'expérience:<br />

n ••• In the s'v;ift change of American society in which<br />

the meanings of one's origin are so quickly lost, one<br />

of the chief values of living with music lies in its power<br />

to give us an orientation in time. In doing so, it<br />

gives significance to aIl those indefinable aspects of<br />

experience which nevertheless help to make us what we<br />

are. n( 1)<br />

Cette expérience plongeant ses racines dans le passé, le jazzman doit aussi<br />

assumer la tradition; en clair, il doit maftriser les aspects techniques de<br />

son domaine arti~tique<br />

avant de se lancer dans l'expérimentation individuelle;<br />

ce qui fait écrire à notre auteur:<br />

" The delicate balance struck between strong individual<br />

personalityand the group••• was a marvel of social organization.<br />

l had learned too that the end of aIl this<br />

discipline and technical mastery was the desire to express<br />

an affirmative way of life through_its musical tradition<br />

and that this tradition insisted that each artist achieve<br />

his creativity within its frame. He must learn the best<br />

of the past and add to it his personal vision. Life could<br />

be harsh, loud and wrong if it wished, but they lived it<br />

!Ully and when they expressed their attitude toward the<br />

world, it was with a fluid style that reduced chaos of<br />

living to form."(2)<br />

Ce modèle du jazz s'applique pleinement à l'artiste arméricain qui<br />

s'appelle R. Ellison et au protagoniste de son roman Invisible Man. Tout<br />

artiste soutient en effet notre auteur a un r6le à jouer au sein de son<br />

groupe ethnique, une place à tenir dans le courant culturel principal des<br />

Etats-Unis tout en préservant au maximum son intégrité individuelle. Il doit<br />

assumer ce qui dans son expérience ressortit à son passé de nègre sans pour<br />

autant renier les influences que le courant culturel principal a exercé sur<br />

sa culture minoritaire. C'est pour cette raison qu'Ellison considère comme<br />

lui appartenant tous les éléments du folklore négro-américain, qu'il les<br />

embellit et les adapte à ses objectifs littéraires, bref qu'il les élève au<br />

niveau de l'art conscient.<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 198<br />

(2) Ibid., p


- 244 -<br />

Un autre enseignement que R. Ellison tire de la philosophie implicite<br />

au jazz est qu'un équilibre subtil doit s'établir entre la contrainte et la<br />

spontanéité, la liberté et la discipline. La liberté du jazzman ne dérive t­<br />

elle pas d'un sérieux travail préalable de mattrise technique? Ce qui im ­<br />

porte n'est pas le rejet de toute contrainte, mais la transcendance en bien<br />

de toutce qui peut @tre perçu comme limitatif. Le jazz revèle plus que tout<br />

autre art la possibilité qu'a l'individu de transcender, grâce à la technique<br />

les limites prescrites tout en les respectant.<br />

II<br />

VIRTUOSITE<br />

.<br />

TECHNIQUE ET MORALITE..<br />

Y~is qu'on ne s'y tro~pe pas. La mattrise technique et l'aspiration à<br />

l'excellence auxquelles se réfère sans cesseR. Ellison, ne doivent pas servir<br />

de voile pour masquer les problèmes moraux que soulève la production<br />

littéraire. C'est l'une des raisons pour lesquelles, il se démarque de E.<br />

Hemingway dont les descriptions de la nature et des émotions humaines et<br />

l'excellence technique l'ont séduites au point qu'il l'a adopté comme modèle.<br />

Le reproche qu'il adresse à l'auteur de l'Adieu<br />

aux Armes provient de l'échec<br />

de ce dernier à explorer en profondeur la nature humaine, et de son insistance<br />

à faire de la perfection technique une fin en soi:<br />

" Hemingway' s blindness to the moral values of Huckleberry<br />

~, fait observer R. Ellison, despite his sensitivity to<br />

its technical aspects duplicated the one-sided vision of<br />

the twenties. Where Twain, seeking for what Melvil~called<br />

"the common continent of man", drew upon the rich folklore


- 245 -<br />

of the frontier (not omitting the Negro's) in order to<br />

"Americanize" his idiorr., thus broadening his stylistic appeal,<br />

Hemingway was alert only to iwain's technical discoveries<br />

-the flexible colloquial language, the sharp naturalism,<br />

the thematic potentialities of adolescence. Thus<br />

what for Twain was a means to a moral end became for Hemingway<br />

an end in itself. And just as the trend toward technique<br />

for the sake of technique and production for the sake<br />

of the market lead to the neglect of the human neeà out of<br />

which they spring, so do they lead in literature to a marvelous<br />

technical virtuosity won at the expense of a gross<br />

insensitivity to fraternal values."(1)<br />

Le danger d'une littérature qui fait de son objet la seule virtuosité technique<br />

est qu'elle ~emplit,<br />

sur le plan social, une fonction identique à celle<br />

du stéréotype. Elle conditionne le lecteur à accepter les valeurs les plus<br />

contestables de la société et sert à l'absoudre de tous ses péchés d'irresponsabilité<br />

sociale.<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 35


- 246 -<br />

III - CONT'rlE LA SE~:ŒGATION <strong>DE</strong> L'ESPRIT KI' <strong>LE</strong> REDüCTIOIJNISliE<br />

Le genre d'irresponsabilité sociale contre laquelle R. Ellison part<br />

en guerre est le rédictionnisme qu'il décèle dans la manière dont les écrivains<br />

américains, blancs et noirs, décrivent les Noirs dans leurs oeuvres.<br />

Quand les Elancs se risquent à décrire les IJo::'rs,<br />

ils tendent à les voir en<br />

noir(mal) ou en blanc(bien) à cause de la fascination manichéenne qu'exerce<br />

sur eux le symbolisme de la blancheur et de la noirceur. Face à un problème<br />

personnel susceptible de provoquer un sentiment de culpabilité, les images<br />

et les personnages qui se présentent à leur esprit s'affublent d'une livrée<br />

noire. Aussi, selon R. Ellison,<br />

" it is practically impossible for the white American to<br />

think of sex, of economics, his children or womenfolk, or<br />

of sweeping socio-political changes, without summoning into<br />

consciousness fear-flecked images of black men. Indeed,<br />

it seems that the Negro has become identified with those<br />

unpleasant aspects of conscience and consciousness which it<br />

is part of the American's character to avoid. Thus when the<br />

literary ar~ist attempts to tap the charged springs issuing<br />

from his inner world,up .float his mishapen and bloated images<br />

of the Negro, like the fetid bodies of the drowned, and<br />

he turns away, discarding an ambiguous substance which the<br />

artists of other cultures would confront boldly and humanize<br />

into the stuff of a tragic art. ,,( 1)<br />

Cet art tragique n'est pas totalement inexistant dans la littérature américaine.<br />

On le trouve 'chez certains écrivains américains du dix-neuvième siècle,<br />

au nombre desquels on distingue notamment Melville, Mark Twain et Stephen Crane<br />

qui ont accepté de confronter "the blackness of darkness" de leur esprit envahi<br />

par un doute profond quant aux valeurs morales de leur société.<br />

Ces écrivains concevaient le nègre comme le symbole de l'h~manité,<br />

parce<br />

que comme les romantiques ils récusaient l'ancienne autorité morale et se<br />

commettaient, en dépit du sentiment de culpabilité qui pouvait résulter de<br />

leurs choix, à défendre avec passion la liberté de l'homme au point de s'iden-<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 100.


- 247 -<br />

tifier le primitif (le noble sQuvage, l'esclave noir)<br />

" who symbolizei the darker u:r.knovm potential side of<br />

his personality, that underground side, turgid with possibility,<br />

which might, if given a chance, toss a fistful<br />

of mud into the sky and create a "shinil\g star" ,,( 1)<br />

Le mérite de ces écrivains est d'avoir perçu le Nègre non pas simplement<br />

comme un bouffon, une brute ou un ange, mais à la fois comme homme et<br />

symbole de l'homme. Ils ont décrit le Négro-américain, exemple très complexe<br />

de l'occidental, comme un "sensitively focussed process of opposites, of good<br />

and evil, of instinct and intellect, of passion and spirituality, which great<br />

literary art has projected as the image of man."(2)<br />

Le désaccord d'Ellison avec la plupart des écrivains américains contemporains<br />

provient précisément du fait que ces derniers ont abandonné cette<br />

préoccupation morale et cette qu@te de liberté dans leur description des<br />

Négro-américains.<br />

" The Negro of fiction, écrit R. Ellison à cet égard, are<br />

so consistently false to human life that we must question<br />

just what they truly represent, both in the literary work<br />

and in the inner world of the white American. Despite their<br />

billings as images of reality, these Negroes of fiction are<br />

counterfeits. They are projected aspects of an internaI<br />

symbolic process through which, like a primitive tribesman<br />

dancing himself into the group frenzy necessary for battle,<br />

the white American prepares himself emotionally to perform<br />

a social role. These fictive Negroes are not as sometimes<br />

interpreted, simple racial clichés introduced into society<br />

by a ruling class to control political and economic realities.<br />

For although they are manipulated to that end, such<br />

an externally one-sided interpretation relieves the individual<br />

responsability for the health of democracy."(3)<br />

La querelle de R. Ellison avec Irving Howe à propos de l'analyse que<br />

ce dernier fait de son oeuvre<br />

d'une part,et la réfutation qu'il apporte aux<br />

idées de Stanley Edgar HYman relatives aux rapports entre la littérature<br />

négro-américaine et le folklore négro-américain d'autre part , dérivent de<br />

cette insuffisance à appréhender le Nègre dans toute sa globalité. Le reproche<br />

,principal que R. Ellison adresse à Howe est d'@tre trop orienté vers<br />

(1) R. Ellison: Twentieth Century Fiction and the Black Mask of Humanity",<br />

in Shadow and Act, p 32.<br />

(2) Ibid., p 26<br />

(3) Ibid., pp 27-28


- 248 -<br />

la sociologie au point de valoriser la politique et l'idéologie au détri~ent<br />

de l'art et de la littérature. Selon lui, les critiques de la catégorie de<br />

Howe sont prêts à tuer le roman plut8t que de modifier leurs présomptions à<br />

propos de la réalité que l'oeuvre cherche, dans ses propres termes à projeter.<br />

Le genre de roman négro-américain que Howe voit comme représentatif de<br />

la situation du Nègre aux Etats-Unis est Native Son de R. Wright, dont il<br />

donne l'appréciation suivante:<br />

Il The day (Native Son) appeared, American culture was changed<br />

forever••• it made impossible a repetition of the old<br />

lies••• it brought into the open••• the fear and violence<br />

that have crippled and May yet destroy our culture••• A<br />

blow at the white man, the novel forced him to recognize<br />

himself as an oppressor. A blow at the black man, the novel<br />

forced him to recognize the cost of his submission. Native<br />

~ assaulted the Most cherished of American vanities; the<br />

hope that the accumulated injustices of the past would<br />

bring with it no lasting penalties, the fantasy that in<br />

his humiliation the Negro somehow retained a sexual potency<br />

••• that made it necessary to envy and still more to suppress<br />

him. Speaking from the black wrath of retribution,<br />

Wright insisted that history can be a punishment. He told<br />

us the one thing even the most liberal whites preferred<br />

not to hear: that Negroes were far from patient or forgiving,<br />

that they were scarred by fear, that they hated every<br />

moment of their suppression even when seeming most acquiescent,<br />

and that often enough they hated us, the decent<br />

and cultivated white men who from complicity or neglect<br />

share in the responsability of their plight•••" (1)<br />

. aUJ:oman<br />

Les critiques négatives que Howe trouveV(qualifié par lui de "crude",<br />

"melodramatic" and marred by "claustrophobia" of vision) sont insuffisantes,<br />

poursuit E11ison, pour détruire ce que Howe appe11e "the book's "clencled<br />

militancy"." Cette vision du critique blanc pour qui toute littérature négroaméricaine<br />

véritable doit !tre engagée, réduit au squelette le portrait que<br />

celui qui y souscrit veut donner du Nègre. L'intention peut-être bo~~e,<br />

résultat est désastreux, parce que l'image du Nègre offerte est drainée de<br />

toute vie. Ce qui fait dire à R. Ellison que<br />

Il One unfamiliar with what Howe stands for would get the<br />

impression that when he looks at a Negro he sees not a human<br />

being but an abstract embodiment of living helJ."(2)<br />

le<br />

(1) Irving Howe, Black Boys and Native Sons, Dissent, (Aut. 1963).<br />

Cité par R. Ellison, op.cit., p 109<br />

(2) Ibid., p 112


------<br />

- 249 -<br />

A l'opposé de Richard Wright et d'Irving Howe, Ralph Ellison trouve que la<br />

vie du Négro-américain n'est pas que désolation et privation. L'expérience<br />

négro-américaine, estime t-il, ne se réduit pas à une souffrance impossible<br />

à soulager. La vie du Négro-américain n'est pas seulement un fardeau, mais<br />

aussi une discipline, comme toute vie humaine faite d'endurance est une<br />

discipline qui enseigne sa propre connaissance des profondeurs de la condition<br />

h~~aine,<br />

ses propres stratégies de survie. Pareille expérience est lourde<br />

de richesse et de signification, en dépit des réalités de la politique,<br />

parce que c'est l'expression de la vie, une vie pleine de possibilités. Affirmer<br />

le contraire, c'est refuser de voir la réalité en face:<br />

" To deny in the interest of revolutionary posture that<br />

such possibilities of human richness exist for others,<br />

even in Mississipi, is not only to deny us our humanity<br />

but to betray the critic commitment to social reality."( 1)<br />

L'hypothèse de départ de R. Ellison, point de sa divergence avec R. Wright,<br />

postule que<br />

" men with black skins, having retained their humanity<br />

before all of the conscious efforts made to dehumanize<br />

them, especially following the Reconstitution, are unquestionably<br />

human. Thus they have the obligation of freeing<br />

themselves -whoever their allies might be- by depending<br />

upon the validity of their own experience for an accurate<br />

picture of the reality which they seek to change, and for<br />

a gauge of the values they would see manifeste Crucial to<br />

this view is the belief that their resistance to provocation,<br />

their coolness under pressure, their sense ot timing<br />

and their tenacious hold on the ideal of their ultimate<br />

freedom are indispensable values in the struggle, and are<br />

at least as characteristic of American Negroes as the hatred,<br />

fear and vindictiveness which Wright choose to emphasize."(2)<br />

L'esthétique de R. Wright repose, assure R. Ellison, sur la proposition idéologique<br />

que la conception qu'ont les Blancs de la réalité négro-américaine<br />

est plus importante que l'idée que les Noirs eux-m@mes s'enfunt. C'est pour<br />

cela qu'il présente Bigger Thomas comme<br />

" a near-subhuman indictment of white oppression. He was<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 113<br />

(2) Ibid., pp 113-114


- 250 -<br />

"designed to shock whites out of their apathy and end<br />

the circumstances out of which Eright insistec3 BigGer<br />

emerged. Here envi~onment is aIl -and interertingly enough,<br />

environ~ent conceived solely in terms of the physical,<br />

the non-conscious."(1)<br />

Une telle image de l'homme noir procède de la théorie fausse selon Ellison,<br />

de l'art comme arme de transformation sociale, théorie à laquelle adhère<br />

Richard Wright:<br />

" Wright believed in the much abused notion that novels<br />

are "weapons" -the counterpart of the dreary notion, common<br />

among most minority groups, that novels are instruments<br />

of good social relations."(2)<br />

Ellison ne partage pas cette conception du but de la littérature, parce que<br />

dit-il,<br />

" l believe that true novels, even when most pessimistic<br />

and bitter, arise out of an impulse to celebrate human<br />

life and therefore are ritualistic at core. They would<br />

preserve as they destroy, affirm as they deny."(3)<br />

R. Ellison, op.cit., p 114<br />

Ibid., p 114<br />

Ibid., p 114


t<br />

!1,<br />

- 251 -<br />

IV - L' HEROrSME DU BLUES •<br />

Vue dans cette perspective, la conception ellisonienne du roman<br />

coincide avec celle qu'il donne du blues qu'il définit comme<br />

" an impulse to keep the painful details and episodes<br />

of a brutal expcrience alive in onc's achint; consciou::mcEs)'<br />

to finger its jagged grain, and to transcend it not by<br />

the consolation of philosopny, but by squeezing from it<br />

a near-tragic, near comic lyricism. As a form, the blues<br />

is an autobiographical chronicle of personal catastrophe."<br />

(1)<br />

De fait le blues se présente comme l'expression poétique d'une confrontation<br />

douloureuse de l'individu avec la réalité, comme une forme de discipline<br />

spirituelle, et un moyen de transcender les circonstances désastreuses<br />

dont il fait mention, -circonstances suceptibles d'émasculer l'homme, qu'elles<br />

soient le fait des autres ou qu'elles proviennent de ses propres faiblesses.<br />

La leçon que nous donne par conséquent cette forme d'expression musicale,<br />

est que l'important n'est pas la dureté de la situation, mais la réponse<br />

que l'homme apporte à chaque problème, l'attitude qu'il adopte devant chaque<br />

évènement. Ainsi Trueblood, convaincu d'inceste et rejeté de tous à<br />

cause de ce crime abominable, parvient, gr~ce<br />

avec lui-m~me<br />

au blues, à se réconcilier<br />

et à prospérer dans une société qui naguère, voulait l'exclure.<br />

Il est parvenu à se tirer de son opprobre, parce que homme pratique, il a<br />

refusé de passer sa vie à s'apitoyer sur son sort. Au contraire, il a décidé<br />

d'affronter son destin, de boire le calice jusqu'à la lie s'il le faut, mais<br />

de ne pas s'avouer vaincu avant d'avoir lutté. C'est cette résolution qui<br />

l'a aidé à triompher des circonstances et à assurer sa victoire. Ce refus<br />

de la fatalité est unepreuve de l'invincibilité de l'esprit humain, ainsi<br />

que le dit Selma Fraiberg, pour qui,<br />

" Trueblood became a hero because he refused the refuge of<br />

mind-sickness, and his manhood refused the axe. He did not<br />

bargain with God in the wilderness, but fairly judged his<br />

own woithiness to live and manfully returned to his living•••<br />

When Trueblood decides to go home and face his crime and<br />

assume his masculine prerogatives, God approves andrewards<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p


- 252 -<br />

"him by causing him to prosper. This suggests ( ••• ) that<br />

God is sick of naked and sightless fools wandering in the<br />

wilderness and that any man who wants to go home and face<br />

up to things may get His blessings.,,( 1)<br />

L'enseignement qu'on peut tirer de la conduite de Trueblood et de plusieurs<br />

autres personnages du roman est que même dans les situations les plus désastrE:uses<br />

l'hom;-rd:: jO'J.it J'une marge certaine G.s liberté pour s'c_ffiriT,e:::, que<br />

nul n'est entièrement victime des circonstances. Il existe toujours dans les<br />

limites imposées par elles, un choix à faire, une volonté à affirmer. C'est<br />

par référence à cette liberté de choix dont le blues offre un modèle parfait,<br />

que R. Ellison parle de l'existentialisme séculaire du blues, " an art of<br />

ambiguity, an assertion of the irrepressibly human over circumstance."<br />

Toute la stratégie esthétique de notre auteur consiste donc, à explorer<br />

dans toute sa plénitude<br />

la marge de liberté qui lui est réservée, à user de<br />

toutes les possibilités qui lui sont offertes dans une société qui s'acharne<br />

à l'opprimer et à lui interdire toute possibilité d'expression:<br />

If Even as his life toughens the Negro, even as it brutalizes<br />

him, sensitizes him, dulls him, goads to anger, moves him<br />

to irony, sometimes fracturing and affirming his hopes;<br />

even as it shapes his attitudes toward family, sex, love,<br />

religion; even as it modulates his humor, tempers his joy<br />

-it conditions him to deal with his life and with himself.<br />

Because it is his life and no mere abstraction in someone's<br />

head. He must live it and try consciously to grasp its COl&-<br />

plexity until he can change it; must live it ~ he changes<br />

it. He is no mere product of his socio-political predicament.<br />

He is a product of the interaction between his racial<br />

predicament, his individual will and the broader American<br />

cultural freedom in which he finds his ambiguous existence.<br />

Thus he, too, in a limited way, is his own creation."(2)<br />

Cette création requiert, on s'en aperçoit aisément, une âme stoïcienne, portée<br />

au rire. On comprend pourquoi Albert Murray qualifie le roman Invisible<br />

~ de ''blues novel". Selon ses termes;<br />

" Invisible Man was par excellence the literary extension<br />

of the blues. It was as if Ellison had taken an everyday<br />

twelve bar blues tune (by a man from down South sitting in<br />

a manhole up North singing and signifying about how he got<br />

(1) Selma Fraiberg, "Two Modern Incest Her~, in J.M. Reilly ed, op.cit.<br />

pp 78-79<br />

(2) n. Ellison; Shadow and Act, p 112.


- 253 -<br />

"there) and scored i t for full orchestra••• It had ne",.'<br />

dimensions of rhetorical resonance (based on lying and<br />

signifying)••• It was a first rate novel, a blues odyssey,<br />

a tall tale••• And like the blues, and echoing the irrepressibility<br />

of America itself, it ended on a note of<br />

promise ironie and ambiguous, but a note of promise stil~.<br />

The blues with no aid from existentialism have always known<br />

that they were no clear-cut solutions for the human solution.<br />

,,( 1)<br />

A l'instar de Louis Armstrong jouant avec sa trompette, le narrateur<br />

de Invisible Man lutte pour affronter avec les changements successifs qu'il<br />

subit avec la magie des mots. En ce sens il est comme le dit Murray un héros<br />

de blues, qui fait de l'improvisation un art. Or l'improvisation seule peut<br />

selon lui, permettre à l'homme moderne de surmonter les crises qu'il affronte:<br />

" Improvisation is the ultimate human (i.e. heroic) endowment<br />

••• Even as flexibility or the ability to swing (or<br />

to perform with grace under pressure) is the key ta•••<br />

the cbarisma of the hero, and even as infinite alertnessbecome-dexterity<br />

is the functional source of the magic of<br />

all master craftsmen, sa May skill in the art of improvisation<br />

be that which both will enable contemporary man to<br />

be at home with his sometimes tolerable but never quite<br />

certain condition of ]2i being at home in the world and<br />

will also dispose hirn to regard his obstacles and frustrations<br />

as weIl as his achievements in terrns of adventures<br />

and romance."(2)<br />

Si le blues permet à l'esprit de triompher des difficultés d'ordre<br />

matériel, il requiert ainsi que nous l'avons fait observer, une discipline<br />

spirituelle, ou selon les termes de Stanley Edgar Hyman, il nous impose de<br />

reconnaître la nécessité. En art la nécessité à laquelle il faut se plier<br />

pour acquérir la liberté est la maîtrise technique. R. Ellison, fait remar<br />

quer Stanley E. HYman à ce propos,<br />

" identifies art as "an instrument of freedom" and defines<br />

"the writer's greatest freedom" as his p~ssession of technique".<br />

He writes of the paradoxical necessity that the<br />

jazz musician must learn "the fundamentals of his instrument<br />

and the traditional techniques of jazz" in order "to express<br />

his own unique voice". Technique, Ellison informs Le<br />

Roi Jones is "the key ta creative freedom"."(3)<br />

(1) Albert Murray, The Ornni Americans, (N-York: Outerbridge, 1910), p 161.<br />

Cité par O'Meally Robert G., The Craft of Ralph Ellison, Harvard University<br />

Press, 1980, p 84.<br />

(2) Ibid., pp 84-85.<br />

(3) Stanley Edgar HYman: Ralph Ellison in Our Time, The New Leader, 47, 2, 1964;<br />

John Bersey ed., Ralph Ellison: A Collection of Critical Essays, Englewood<br />

Cliffs, N-Jersey, Prentice Hall, pp 39-42.


- 254 -<br />

Une autre nécessité que tous les artistes doivent reconnattre est la capacité<br />

du Nègre à endurer. Cette reconnaissance seule peut rendre libre.<br />

Il n'est pas étonnant que convaincu d'une philosophie pareille, Ellison<br />

rejette la littérature négro-américaine dite de protestation qui présente le<br />

Négro-américain co~me<br />

une simple victime et accorde plus de poids qu'il n'en<br />

faut aux circonstances qui le déterminent. Son objectif est de révéler ses<br />

véritables sentiments et de traduire la plénitude de la vie du Négro-américain<br />

telle qu'il l'appréhende: dans l'introduction à son recueil d'essais<br />

Shadow and Act, il fait observer:<br />

" l found the greatest difficulty for a Negro writer was<br />

the problem of revealing what he truly felt rather than<br />

serving up what Negroes were Bupposed to feel, and were<br />

encouraged to feel. And 1inked to this was the difficulty,<br />

based upon our long habit of deception and evasion, of<br />

depicting what really happened within our areas of American<br />

life, and putting down with honesty and without bowing to<br />

ideological expediencies the attitudes and values which<br />

give Negro American 1ife its sense of wholeness and which<br />

render it bearable and human and, when measured by our<br />

own terms , desirable."(1)<br />

Cette déclaration de but moral et esthétique que R. Ellison emprunte à<br />

Ernest Hemingway appelle quelques observations: l'effort moral pour voir et<br />

reconnattre la vérité du moi, de l'individu et celle du monde d'une part et<br />

l'effort artistique pour dire cette vérité sont considérés par notre auteur<br />

comme étant des aspects d'un m~me<br />

processus. Il y a au coeur de la vision de<br />

R. El1ison une fusion de l'esthétique et de l'ethique. La conséquence en est<br />

que si la vérité pénètre dans l'art, l'art pareillement peut informer la<br />

vérité. En d'autres termes l'art informe la vie elle-même. Car il nous aide<br />

à acquérir une nouvelle vision et à nous recréer. La nature du vrai artiste<br />

et son mode d'action est de dominer le monde et le temps par le truchement<br />

de sa mattrise technique. Sa tâche selon Ellison, est de créer, grâce à<br />

l'acuité de sa vision, de la valeur:<br />

" His mission is to bring a new vieual order into the<br />

world, and through his art he seeks to reset society's<br />

clock by imposing upon it his own method of defining the<br />

(1) R. Ellison, Introduction, Shadow and Act, p XXI


- 255 -<br />

1 1<br />

r~<br />

!<br />

"times. The urge to do this determines the form and character<br />

of his social responsibility, it spurs his restless<br />

exploration for plastic possibilities, and it accounts to<br />

a large extent for his creative aggressiveness."(1)<br />

Ce processus est, comme l'écrit Robert Penn Warren<br />

" a life-process, a way of knowing and experiencing in<br />

which is growth: a gro~~h in integrity, literally a unifying<br />

of the self, of the random or discrepant possibilities<br />

and temptations of experience."(2)<br />

Agir autrement, céder aux tentations idéologiques et présenter le Négro-américain<br />

comme simple victime, c'est le dépouiller de son humanité et faire de<br />

la sociologie au lieu d'8tre artiste. En d'autres termes, ce qui importe<br />

pour R. Ellison, c'est plus la façon dont l'individu fait face à son destin<br />

individuel que les conditions dans lesquelles il vit. Le pathétique ne l'émeut<br />

pas, son objectif étant de mattriser et de dominer les circonstances.<br />

C'est la raison pour laquelle il préfère l'individu Richard Wright à ses<br />

personnages:<br />

" l felt that Wright was over committed to ideology•••<br />

you might say that l was much less a social determinist.<br />

But l suppose that basically it cornes down to a difference<br />

in our concepts of the individual. l, for instance, found<br />

it disturbing that Bigger Thomas had none of the finer<br />

qualities of Richard Wright, none of the imagination, none<br />

of sense of poetry, none of the gaièty."(3)<br />

Non que R. Ellison rejette les difficultés que rencontre les Négro-américains.<br />

La vie de R. Wright telle qu'il la décrit est assez éloquente pour illustrer<br />

ses propos:<br />

" R. Wright's early childwood was crarnmed with catastrophic<br />

incidents. In a few short yeara his father deserted<br />

his mother, he knew intense hunger, he became a drunkard<br />

begging drinks from black stevedores in Memphis saloons;<br />

he had to flee Arkansas, where an uncle was lynched; he<br />

was forced to live with a fanatically religious grandmother<br />

in an atmosphere of constant bickering; he was lodged in<br />

an orphan asylum; he obaerved the auffering of his mother,<br />

who became a permanent invalid, while fighting off the<br />

blows of the poverty stricken relatives with whom he had<br />

(1) R. Ellison, "The Art of Romare Bearden", Massachusetts Review, Winter<br />

1911, p 615.<br />

(2) Robert Penn Warren: "The UnitY of Experience", Commentary, 39, 5(1965),<br />

pp 91-96. Rpt. in J. Hersey ed., R. Ellison: A Collection of Critical Essaya"<br />

pp 21-25.<br />

(3) R. G. stern-Re Ellison, "That Same Pain. That Same Pleasure," Shadow and<br />

!!i, p 16.<br />

1 r


- 256 -<br />

" to live, he was cheated, beaten and kicked off jobs by<br />

white employees who disliked his eagerness to learn a<br />

trade; and to these objective circumstances must be added<br />

the subjective fact that Wright with his sensitivity,<br />

extreme shYness and intelligence, was a problem child who<br />

rejected his family and was by them rejected."(1)<br />

Ces conditions défavorables n'ont pas fait sombrer R. Wright dans la démence.<br />

Il a su grâce à sa volonté les transcender et les relater avec bonheur dans<br />

un roman autobiographique Black Boy. S'il a pu accomplir cet exploit, ajoute<br />

R. Ellison, c'est qu'il s'est posé en artiste véritable "forged in injustice<br />

as a aword ia forged", et qu'entant que tel, il. jouissait d'un "miscroscopic<br />

degree of cultural freedom( ••• ) found in the South's stony injustice."<br />

A cela il faut ajouter qu'il possédait une personnalité "agitated to a state<br />

of almost manic restlessness."(2)<br />

La production de cette oeuvre de valeur n'a été possible que grâce à<br />

l'insertion de R. Wright dans la tradition de l'autobiographie littéraire.<br />

Ce faisant, il a exprimé sa relation avec la culture occidentale en s'identifiant<br />

à ce qui dans cette culture lui Paraissait désirable et en rejetant ce<br />

qui lui déplaisait. Mieux, il élargit l'espace de son imaginationr<br />

" Black Boy recalls the conflicting patterns of identification<br />

and rejection found in Nehru's Toward Freedom. In its<br />

use of fictional techniques, its concern with criminality<br />

(sin) and the artistic sensibility, and its author's judgement<br />

and rejection of the narrow world of its origin, it<br />

recalls Joyce's rejection of Dublin in the A Portrait of<br />

the Artist. And as a psychological document of life under<br />

oppressive condition~, it recalls The House of the Dead,<br />

Dostoievsky's profound stuQy of the humanity of Russian<br />

criminals."(3)<br />

Que Black Boy soutienne la comParaison avec les oeuvres d'auteurs aussi<br />

célèbres que Joyce et Dostoievsky ou Nehru, fournit la preuve que son auteur<br />

ne s'est pas limité à son monde étroit, qu'il l'a transcendé ne serait-ce<br />

que par l'imagination. En outre, il a transfiguré son expérience en la traduisant<br />

dans une oeuvre d'art. Ainsi, en même temps qu'il fournit "an almost<br />

unrelieved picture of a personality corrupted by brutal environment" il présente<br />

aussi "those fresh, human responses brought to its world by the sensil1)<br />

R. Ellison, Sbadow and Act, p 79<br />

2) Ibid., p 80<br />

3) Ibid., p 78


- 257 -<br />

tive child. ,,( 1) Ce faisant R. 'Wright admet implicitement que le noyau de<br />

la sensibilité plastique (the nucleus of plastic sensibility) est un héritage<br />

commun à tous les hommes dont le devoir est d'élargir, approfondir et<br />

enrichir la sensibilité. Nous nous trouvons en présence d'une théorie chère<br />

à R. Ellison: celle de l'unité fondamentale de l'expérience humaine et la<br />

théorie de la force morale de l'imagination. En effet pour R. Ellison la<br />

fraternité dans la société passe nécessairement par la fraternité dans le<br />

monde de l'imagination:<br />

" l learned very early" dit-il dans son interview avec<br />

R. G. Stern, "that in the realm of the imagination aH<br />

people and their ambitions and interests could meet."(2)<br />

La rencontre n'est pas nécessairement une occasion de joie ou de gaité,<br />

mais c'est toujours une célébration de la vie:<br />

" l think that art is a celebration of life even when<br />

life extends into death and that the sociological conditions<br />

which have made for so much misery in Negro life are not<br />

necessarily the only factors which male for the values<br />

which l feel should endure and shaH endure."(3)<br />

La célébration de la vie est la finalité de l'oeuvre d'Ellison et de tout<br />

art; la vision que l'art permet d'acquérir rend possible la réconciliation<br />

et l'amour entre les hommes parce qu'il amène l'opprimé à reconnattre "the<br />

humanity of those who inflict injustice."<br />

On peut donc lire Invisible Man comme un triomphe de l'homme sur les<br />

conditions déshumanisantes qu'il subit; on comprend alors pourquoi R. Ellison<br />

choisit de faire de son personnage central non pas unevictime, mais un aventurier<br />

qui voyage vers le possible tout en ignorant complètement les limites<br />

imposées à ses mouvements. Certes il est débarrassé de ses illusions à la<br />

fin de son voyage et se réconcilie même avec la réalité; mais en dépit du<br />

caractère hautement tragique des épreuves qu'il subit, il peut encore partir<br />

d'un rire salvateur qu'il mêle à ses pleurs mêmes. Cet étrange mélange d'émo-<br />

R. Ellison, Shadow and Act, p 81<br />

Ibid., p<br />

Ibid., p 22<br />

l<br />

f<br />

Il 1


- 258 -<br />

tions relève aussi du blues dont Robert Bone écrit:<br />

" For the American Negro, they(the blues) are a mean<br />

of prophylaxis, a specifie for the prevention of spiritual<br />

ulcers. It is not a question of laughing away one's troubles<br />

in any superficial sense, but of gazing steadily at<br />

pain while perceiving its comic aspect. Ellison regards<br />

this tragicomic sensibility as the Most precious feature<br />

of his Necro herita~e. From it stems his lyrical intensity<br />

and the complex interplay of tragic and comic elements<br />

which is the distinguishing mark of his fiction. ,,( 1)<br />

x<br />

x<br />

x<br />

Puisque le blues est de par sa nature même une récapitulation des<br />

maux, des souffrances et des défaites subies dans le passé, cela suppose<br />

que celui qui s'en inspire a fait l'expérience de la douleur et qu'il a une<br />

histoire. Dans le cas du narrateur de Invisible Man, c'est l'histoire des<br />

Nègres dans leur totalité -le blues comme le jazz ne sert-il pas aussi le<br />

besoin du groupe ?- qu'il ass~~e. Il est tour à tour Oncle Tom, le larbin,<br />

Booker T. Washington, le leader ambigu dont on ne sait pas s'il enlève le<br />

voile du visage de l'esclave ou s'il le remet encore plus fermement; il<br />

éprouve la dureté de la vie dans le Nord industrialisé à l'instar de ceux<br />

qui ont immigré du Sud rural; il flirte avec le communisme et teste la validité<br />

et la factibilité des différentes approches proposées comme solutions<br />

au problème noir. Finalement, il admire sans se résoudre à l'imiter Rinehart,<br />

l'homme sans attaches, le vagabond sans rivage, virtuose de l'identité fluide<br />

qui a choisi de se dissoudre dans l'''autre'' et qui profite de sa stratégie<br />

pour exploiter les uns et les autres, blancs comme noirs, hommes et fe~~es.<br />

(1) Robert Bone, "Ralph Ellison and the Uses of Imagination", in J.M. Reilly<br />

ed., op.cit., p 25


- ----------,<br />

- 259 -<br />

Mais outre qu'il relate symboliquement l'histoire des Noirs aux Etats­<br />

Unis, la structure de symphonie à un thème à variations multiples du roman,<br />

suggère aussi unrphilosophie de l'histoire tout court. Quelque chose qui<br />

échappe à tout déterminisme, au progrès et aux diverses idéologies; quelque<br />

chose d'humainement indéfinissable, d'irrationnel et d'énigmatique. Un continent<br />

non se'.1lement invisible, mais informe, o~ la, contingerJce règne en<br />

martre, un monde sans direction et sans signification. On pourrait se demander<br />

à la limite, si la vie étant elle-même absurde, vaut la peine d'être. R. Ellison<br />

n'apporte aucune réponse nette à cette interrogation. Tout au plus reconnart-il,<br />

que, pour conférer un sens à sa vie, l'homme doit nécessairement<br />

admettre l'absurdité et l'ambiguité de l'existence, à l'exemple du chanteur<br />

de blues qui sublime sa douleur, ironise sur ses malheurs en les transmuant<br />

en art.


- 260 -<br />

v - CE<strong>LE</strong>BRATION <strong>DE</strong> L'INDIVIDU.<br />

Le blues et le jazz se présentent, en dernière analyse, comme des<br />

formes d'expression artistique qui convergent sur des points essentiels,<br />

de surcrort complémentaires. Tous deux postulent la primauté de l'individu<br />

à qui ils permettent de s'affirmer. Si le blues apparart comme un art qui<br />

privilégie la discipline spirituelle -(selon E. Ellison, il est faut-il le<br />

rappeler "an assertion of the irrepressibly human over circumstances)-, le<br />

jazz se distingue comme une philosophie de l'action; il est une affirmation<br />

de l'individu dans le groupe et en m@me temps contre le groupe. Les efforts<br />

du narrateur de Invisible Man tendent à de pareils actes d'affirmation de<br />

soi, tant au niveau de l'esprit qu'au niveau de la pratique. Certes, il<br />

subit des revers dont les causes sont à chercher aussi bien en lui-même que<br />

dans l'attitude des groupes au sein desquels il cherche à se réaliser.<br />

D'une part les crédos américains dans lesquels il a placé sa foi n'ont<br />

pas de validité pour les minorités, et les groupes qu'il tente d'intégrer<br />

le rejettent carrément. Il ne découvre sa véritable direction qu'à la fin<br />

de son o~ssée, lorsque fuyant aussi bien les sbires de Ras que les théoriciens<br />

de la Confrérie et les émeutiers, il échoue dans une cave du 19è siècle,<br />

oubliée de tous. C'est dans cet univers souterrain qu'il jouit d'un semblant<br />

de liberté et qu'il est en fait plus libre puisqu'il accepte d'assumer réellement<br />

son individualité. En ce sens Invisible Man est un éloge de l'individu<br />

et de l'individualisme que R. Ellison définit comme étant l'attitude<br />

fondamentale de l'homme à l'encontre d'un ordre social qu'il répudie alors<br />

qu'à l'opposé l'humanisme traduit son acceptation de cet ordre social.<br />

Coïncider avec soi-même et assumer son intégrité individuelle implique qu'on<br />

s'isole quelque peu des autres. Ainsi, l'individualisme, en dépit du fait<br />

qu'il est une stratégie d'affirmation de soi, est d'un prix onéreux: il<br />

n'offre à celui qui l'accepte aucune issue de secours. Comme le dit R. Ellison<br />

lui-même: "It offers no scapegoat but the self." L'affirmation de soi<br />

est donc en raison directement proportionnelle à la plongée dans l'isolement


- 261 -<br />

et dans l'anonymat. Une fois dans le Nord, le narrateur mesurant le poids<br />

de sa solitude se demande désabusé et amer:<br />

" How many days could you walk the streets of the big<br />

city without encountering anyone who knew you, and how<br />

many nights ? "<br />

Le voyage dans le Nord ne lui a pas seulement fait entrevoir la liberté et<br />

la connaissance de soi, il l'a aussi coupé de sa communauté et isolé de tout<br />

groupe de référence. Car eTh dépit de son caractère inhibiteur -en tant qu'il<br />

bloque le développement autonome de l'individu, lui impose une fidélité absolue<br />

aux prescriptions collectives et lui interdit toute attitude déviantele<br />

groupe constitué par les Noirs avant leur insertion dans la vie urbaine<br />

possédait une cohésion certaine où chaque individu avait une place. C'est<br />

ce qu'explique R. Ellison en ces termes:<br />

" In the South the sensibilitiesof both blacks and whites<br />

are inhibited by the rigidly defined environment. For the<br />

Negro there is relative safety as long as the impulse toward<br />

individuality is suppressed.( ••• ) And it is the task<br />

of the Negro family to adjust the child to the Southern<br />

milieu; through it the currents, tensions and impulses<br />

generated within the human organism by the flux and flow<br />

of events are given their distribution. This also gives the<br />

group its distinctive character. Which because of Negroes'<br />

suppressed minority position, is very much in the nature<br />

of an elaborate but limited defense mechanism. Its function<br />

is dual: to protect the Negro from whirling away !rom the<br />

undifferentiated mass of his people into unknown, symbolized<br />

in its most abstract form by insanity, and most concretely<br />

by lynching; and to protect him from those unknown<br />

forces within himself, which might urge to reach out for<br />

social and human equality which the white South says he<br />

cannot have. Rather than throw himself against the charged<br />

wires of his prison he annihilates the impulses within him.<br />

" The pre-individualistic black community discourages<br />

individuality out of self defense. Having learned through<br />

experience that the whole group is punished for the actions<br />

of the single member, it has worked out efficient techniques<br />

of behavior control. For many Southern communities everyone<br />

knows everyone else and is vulnerable to his opinions. In<br />

sorne communities everyone is "related" regardless of bloodties.<br />

The regard shown by the group for its members, its<br />

general communal character and its cohesion are often men-


- 262 -<br />

"tioned. For by comparison with the coldly impersonal relationships<br />

of the urban industrial com~unity, its relationships<br />

are personal and warm."(1)<br />

Nous avons cité ce long passage pour illustrer tout ce contre quoi le<br />

narrateur se rebelle. Il ne veut pas être de la masse informe et sans trait,<br />

il refuse d'être de ceux (lont on parle globale,..,ent, en termes abstraits et<br />

généraux. Dès le début il a cherché à se distinguer, à émerger de l'anonymat<br />

collectif. D'abord en cherchant à évoluer dans le contexte social existant.<br />

Il découvre que cette voie le conduit à l'échec; aussi tourne t-il sur<br />

lui-même un regard intérieur et s'explore, seul dans son "no man's land".<br />

Sans attaches familiales solides, il avance sans se préoccuper des siens.<br />

En fait il a choisi de rompre avec la société pré-individualiste ausein de<br />

laquelle les liens familiaux pèsent lourdement sur l'individu au point de<br />

lui 8ter toute notion de son altérité et tout sens d'identité perso~~elle.<br />

D'ailleurs une fois hors du Sud, il n'est plus fait mention de sa famille.<br />

Cependant il refuse l'identité rurale, il ne s'affranchit pas pour<br />

autant de la tutelle des groupes ou des systèmes; pendant longtemps la solution<br />

à son problème d' tdentité restera synonyme d'intégration à une institution<br />

ou à une organisation. Si malgré les déceptions qu'il subit dans ces<br />

systèmes il ne sombre pas dans la démence, comme les anciens combattants du<br />

Golden Day qui mieux que tous les autres témoignent de la vanité de ses<br />

efforts, c'est parce qu'il est doté d'assez de ressources humoristiques pour<br />

dominer les situations.<br />

L'humour dont il fait usage traduit d'ailleurs son incapacité à changer<br />

le cours des év~nements.<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, pp 89-90


- 263 -<br />

VI - INVISIBILITE: REVOLTE l'~Œt.A<strong>LE</strong> ET ESTHETIQUE.<br />

Il semble avoir souscrit implicitement à la théorie de frère Jack<br />

relative à l'évolution de l'histoire et la société: en effet parlant des<br />

vieilles gens expulsées de leur appartement, frère Jack dit:<br />

" Les Vieux, ce sont des types agraires, vous savez.<br />

Broyés par les conditions industrielles. Jetés sur les<br />

tas d'ordures et mis au rebut.( ••• ) L'histoire est passée<br />

à c8té d'eux.( ••• ) Ils sont morts parce qu'ils sont incapables<br />

de s'élever à la nécessité de la situation historique.<br />

,,( 1)<br />

Une mort pareille guette le narrateur s'il tente de faire faire un<br />

retour en arrière à l'évolution historique, s'il veut passer de la société<br />

industrielle à la société féodale, de l'individualisme au collectivisme primaire.<br />

C'est ce qui explique que, malgré sa nostalgie au début de son séjour<br />

en milieu urbain, -nostalgie qui n'est en fait que la manifestation d'un<br />

'é '11 t l' . #<br />

sentiment d hostilit envers la ~ e e express10n de la desillusion/par causée<br />

son contact avec elle- il ne revient pas au Sud.<br />

L'idée de la primauté de l'individu sur tous les groupes semble donc<br />

@tre le principe de base de la conception de R. Ellison. Ainsi alors que le<br />

narrateur de son roman milite avec ardeur et enthousiasme pour la cause de<br />

la Confrérie, il se rappelle au m~me<br />

moment les paroles que Woodridge, son<br />

professeur de français prononçait pour caractériser le problème de Stephen<br />

Dedalus:<br />

" Le problème de Stephen, comme le n8tre, disait en l'occurence<br />

le professeur, ne résidait pas exactement dans le<br />

fait de créer la conscience inexistante de sa race, mais<br />

de créer les traits inexistants de son visage. Notre t~che<br />

consiste à faire de nous des individus. La conscience de<br />

la race est le don des individus qui la composent, et qui<br />

voient, évaluent, enregistrent••• En nous créant nous"", mêmes,<br />

nous créons quelque chose de bien plus important: nous<br />

aurons créé une culture. Pourquoi perdre du temps à créer<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 281


- 264 -<br />

" une conscience pour une chose qui n'existe pas? Car<br />

voyez-vous, le sang et la peau ne pensent pas!"(1)<br />

Ce n'est pas seulement le biologisme culturel que rejette R. Ellison,<br />

mais il voit aussi dans tout conformisme un danger pour l'individu:<br />

"D'où vient tant de passion pour la conformité, de toute<br />

façon? Diversité, voilà le mot. Qu'un homme ait le loisir<br />

de jouer ses divers r5les et vous n'aurez pas d'états tyrans•••<br />

L'Amérique est tissée de fibres multiples; je voudrais<br />

que les identifier, et que les choses restent en<br />

l'état."(2)<br />

L'individu doit garder son autonomie à tout moment; et c'est dans la mesure<br />

où il la. maintient et la défend contre tout empiètement extérieur qu'il peut<br />

se sentir à l'aise dans ce monde, aimer et aider à l'avènement d'une vraie<br />

démocratie, car "democracy is a collectivity of individuals."(3)<br />

On serait tenté de penser qu L<br />

Ellison cherche à détruire toute notion<br />

de solidarité des Noirs entre eux. En fait il est plus subtil. Ce qu'il rejette,<br />

c'est le maintien d'une tradition collectiviste qui inhibe le développement<br />

harmonieux de l'individu. En affirmant au contraire le primat de l'individu,<br />

il veut que ce dernier prenne en charge son propre destin et celui de<br />

la société qui de ce fait, devient une communauté d'individus libres et responsables:<br />

c'est pourquoi, suggère t-il,<br />

" being a Negro Amerioan involves a willed affirmation of<br />

self against aIl outside pressure -an identification with<br />

the group as extended through the individual self which<br />

rejects aIl possibilities of escape that do not involve a<br />

basio resuscitation of original American ideals of social<br />

and politiqal justice."(4)<br />

Au total le héros de Invisible Man se présente comme un individu qui<br />

évolue d'une détermination de type traditionnel vers une détermination extroaotive<br />

pour finalement éohouer dans une détermination intro-aotive.<br />

Dans la détermination de type traditionnel, l'individu-héros est, selon<br />

Sunday Anozie, "conditiqnné par des valeurs oonservatrioes qui interdisent<br />

toute attitude déviationniste ou anti-conformiste et exigent une fidélité<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 339<br />

(2) Ibid., p 541<br />

(3) R. Ellison, Shadow and Aot, p 28<br />

(4) Ibid., p 131-132


- 265 -<br />

sans faille au système idéel existant."(1) C'est le cas du protagoniste du<br />

roman d'Ellison au moment où il entre dans la vie en quête dans le système<br />

social. Durant cette période, il se contente de se soumettre aux prescriptions<br />

du groupe social et ethnique dominant. La ruine de ses rêves chimériques<br />

d'intégration facile dans le système par le truchement de l'instruction,<br />

du conformisme et de l'humilité obséquieuse et la désillusion subséquente<br />

qui en a résulté l'oblige dans un second temps à adopter une attitude qui<br />

peut ~tre<br />

caractérisée comme relevant d'une détermination de type extro-actif.<br />

De fait, la deuxième phase de son évolution ne diffère fondamentalement de<br />

la première qu'en"tant qu'il est conditonné par des motifs externes et des<br />

buts productifs." Son objectif n'a guère subi de modifications. Son souci<br />

est toujours de s'intégrer dans le système social existant pour en retirer<br />

quelque avantage. Exemples ? Son passage à la fabrique de peinture et son<br />

adhésion (incroyable) à la Confrérie. Dans cette phase de sa vie, le héros,<br />

malgré le degré de perception consciente qu'il croit avoir, est dans la réalité,<br />

toujours mené par les autres. Certes, il se dit décidé, déjà à ce stade,<br />

à changer d'attitude, mais sa résolution est vaine. Il n'est pas surprenant<br />

alors que, découvrant à la fin de son odyssée la place réelle qu'il<br />

occupe dans le monde où tous conspirent à l'utiliser pour des fins inavouées,<br />

le protagoniste du roman de R. Ellison, élise domicile dans une région marginale,<br />

à l'écart de la société et vive replié sur lui-même, adoptant par<br />

oe faire, une attitude qui l'installe dans une détermination de type introactif.<br />

C'est précisément de ce point de vue qu'il nous narre ses mésaventures,<br />

en prenant soin de nous inviter dans le cadre du Prologue et de l'Epilogue<br />

à considérer son récit comme un év~nement passé qui n'existe que dans<br />

sa seule conscience au moment où il l'écrit.<br />

Le roman de R. Ellison se déplace donc de manière dramatique de la<br />

simple interprétation vers une étude analytique de l'évolution (intellectuelle,<br />

politique) du narrateur, de ses réactions vis-à-vis de la réalité<br />

sociale multiforme qui l'environne. Il se pose en fait comme le problème<br />

principal de ses mémoires. Il devient alors un personnage problématique,<br />

(1) Sunday Anozie, Sociologie du Roman Négro-Africain, Paris, Aubier-Montaigne.


- 266 -<br />

"1 ' ponge dans la recherche dégradée et par là-même inauthentique des valeurs<br />

authentiques dans un monde de conformisme et de conventions."(1)<br />

L'évolution de ce type de héros dans le domaine littéra.ire écrit<br />

Sunday Anozie, est à la fois logique et phénoménale. Ce phénomène logique<br />

se dégage nettement au fur et à mesure qu'on considère les conflits internes<br />

qu'éprouvent ces héros comme les résultats "des traumatismes spirituels et<br />

psychiques". C'est le cas du narrateur -héros du roman d'Ellison- qui avec<br />

sa sensibilité agrandie et sa compréhension intellectuelle croissante, mesure<br />

la distance entre l'idéal humaniste de la civilisation américaine et la<br />

pratique dégradante subie par la race noire; il découvre aussi que les rigueurs<br />

du monde industriel et la création de besoins factices par la société<br />

de consommation ne sont pas de nature à assurer l'épanouissement de l'homme.<br />

Il s'aperçoit, par conséquent, que son équilibre spirituel ne peut devenir<br />

stable qu'en marge du monde "normal". Les implications de cette découverte<br />

sont immenses. Elle présente aussi quelques caractéristiques analysées par<br />

S. Anozie, et que nous voudrions reprendre parce qu'elles s'appliquent très<br />

bien au héros du roman de R. Ellison.<br />

La première caractéristique est ce qu'on pourrait appeler une quête.<br />

Al'instar de la plupart des héros du type "détermination intro-active", le<br />

narrateur de Invisible Man semble s'être engagé dans une qu~te,<br />

longue et<br />

labyrinthique, qui l'amène nulle part sinon à l'ultime découverte de lui-m@­<br />

me. Il l'affirme d'ailleurs dès les premières lignes du roman:<br />

" J'étais depuis toujours à la recherche de quelque chose<br />

et je rencontrais constamment sur mon chemin des gens qui<br />

essayaient de m'expliquer ce que je cherchais. Malgré leur<br />

caractère souvent contradictoire, j'acceptais toutes les<br />

solutions, même bourrées de contradictions internes. J'étais<br />

naïf. J'essayais de me trouver, et je posais à tout<br />

le monde, sauf à moi-même, des questions auxquelles j'étais<br />

bien le seul à pouvoir répondPe. Il me fallut longtemps<br />

et pas mal de déboires dans mes espérances pour posséder<br />

cette vérité que tous les autres hommes semblent connattre<br />

dès leur naissance: je ne suis personne d'autre que<br />

moi-même. "(2)<br />

La nature intériorisée de cette quête laisse apercevoir la deuxième<br />

(1) L. Goldmann, p'our une Sociologie du Roman. Cité par S. Anozie, op.Cit.,<br />

p<br />

(2) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 31


- 261 -<br />

caractéristique de cet individu: la solitude, qualité nécessaire pour atteindre<br />

à l'individualisme, but ultime du héros. Pour y arriver, il faut pouvoir<br />

tolérer un certain dégré de solitude dans le sens d'une adhésion indépendante<br />

aux valeurs que ceux qui vous entourent ne partagent pas. Cependant, la solitude<br />

qu'éprouve le héros n'est pas forcément un acte de vo1onté.-A la vérité,<br />

c'est un accideYlt qui a conduit le narrateur dans la cave où il se trouve,<br />

même s'il choisit après-coup d'y résider. En fait, la solitude du héros est<br />

née d'un sentiment de peur au sens large du terme. Peur de son état d"'insécurité<br />

ontologique individuelle."<br />

En effet, pour le héros problématique,<br />

"toute expérience antérieure de contact avec la réalité<br />

s'étant révélée désastreuse, toute nouvelle expérience constituerait<br />

une menace grave contre ce qui est son identité<br />

réelle ou supposée. La conséquence en est un schisme plus<br />

ou moins total, un écroulement de tout dialogue de quelque<br />

valeur entre l'individu et son environnement social et de<br />

l'autre entre le héros et 1ui-même."(1)<br />

Ce fait explique un des traits saillants de la personnalité du héros de<br />

Invisible Man, à savoir son incapacité à établir des contacts solides et suivis<br />

avec les autres. Il n'appartient en fait à aucun groupe.Sa seule véritable<br />

expérience -son adhésion à la Confrérie- se révèle tragique, parce que<br />

frère Jack et ses pairs ne le prennent pas pour un égal alors que les Noirs<br />

qu'il est supposé servir, pour des mobiles divera,n'ont pas confiance en lui.<br />

La forme la plus dramatique de cette incapacité réside sans aucun doute dans<br />

le fait qu'il n'a aucun ami, aucune compagne; il n'a même plus de liens avec<br />

ses parents. Ce manque d'affection témoigne fort bien de son isolation.<br />

La troisième caractéristique de ce type de héros est toujours selon<br />

S. Anozie, l'absence d'action directe et de ,choix volontaire:<br />

" C'est en effet un paradoxe central chez le héros introdéterminé<br />

que la prise de conscience personnelle de toutes<br />

les limitations austères imposées par le monde extérieur<br />

aille à ce point à l'encontre des capacités infinies qu'il<br />

possède en tant qu'individu, qu'elle ait un effet paralysant<br />

sur toute l'initiative d'action et sur tout engagement<br />

dans le choix que l'individu el1t pu autrement opérer."(2)<br />

(1) S. Anozie, op.cit., p<br />

(2) Ibid., p<br />

1<br />

f<br />

f<br />

f<br />

,


- 268 -<br />

On ne peut s'empêcher de manifester son étonnement lorsou'on constate qu'en<br />

dépit des nombreuses possibilités c:--:.' il entrevoit au cours de son évolution,<br />

le narrateur ne puisse se déterminer à faire des choix. Il n'arrive pas à<br />

être le type d'intellectuel véreux du genre Bledsoe, ni le type de l'obséquieux,<br />

Br0 ckway, le "white man's nigger", il ne parvient pas non plus à<br />

s'imposer comme le héros de la race dont rêve ~lary Rambo. Tous ces efforts<br />

étant autant de constats d'échecs, il ne reste objectivement au héros de<br />

R. Ellison qu'à se rabattre sur "ses propres visions morales, et franchir le<br />

chemin de son progrès spirituel par une série d'oppositions et d'aliénations<br />

jusqu'à l'ultime révélation de sa personnalité."(1) Le seul choix possible<br />

qui s'offre encore à lui "est la conservation de sa propre autonomie individuelle<br />

et de son identité contre tout empiètement de la réalité extérieure."(2)<br />

Ce regard dirigé vers soi-même et vers l'exploration de son propre<br />

monde intérieur donnent naissance à la quatrième caractérique du héros problématique:<br />

"la course, le déroulement de sa fortune prend souvent l'allure<br />

d'un révolte ou d'une protestation forcément implosive"puisqu'elle se déchatne<br />

à l'intérieur de son "moi" et est dirigée contre toutes les formes de<br />

menaces à l'autonomie de l'individu. Le personnage de R. Ellison a donc affaire<br />

avant tout, à une révolution intérieure. Sa vision frustrée de la vie,<br />

née de l'incompréhension de son milieu en état de perpétuelle fluctuation<br />

avec lui, transforme son aventure en une protestation, une révolte spirituelle<br />

et morale contre la vie. Révolte qui aboutit sO"'J.vent au nihilisme, au<br />

désespoir ou parfois, c'est le cas de Invisible Y~n,<br />

au salut inattendu.<br />

Le héros de Ralph Ellison apparatt donc en dernier ressort comme,<br />

" un personnage doué d'une sensibilité larg€ et globale,<br />

qui ne peut plus mouvoir dans l'environnement social dans<br />

lequel il vit, parce qu'écrasé sous le poids de la réalité<br />

objective, parce que secoué et impuissant contre les différents<br />

chocs successifs de la vie. Aussi s'abrite t-il derrière<br />

un subjectivisme déchirant qui est son moi concret,<br />

la seule réalité "objective" qui compte pour lui. Pris au<br />

piège d'une dissonance av.ec la vie, il tente vainement de<br />

transcender la réalité par l'introspection et une réflexion<br />

approfondie sur son expérience passée."(3)<br />

S. Anozie, op.cit., p<br />

Ibid., P<br />

Ibid., p


- 269 -<br />

En définitiv~<br />

la quête de l'individu-héros de R. Ellison se présente<br />

comme une plongée dans la nuit, c'est-à-dire une marche aveugle et tortueuse<br />

vers la connaissance et l'accomplissement de soi. Son choix d'élire domicile<br />

dans une cave propre et bien éclairée symbolise son refus -provisoire ?_<br />

de tout contact avec le monde humain, celui des dures réalités concrètes,<br />

et son rejet de toute identité imposée. Pourtant, même solitaire et séparé<br />

du monde, il ne continue pas moins d'en percevoir les effets, la réalité<br />

extérieure qu'il a intériorisée affirmant en tous instants "une présence régimentair~'enlui.<br />

Il ne peut s'en passer, malgré ses efforts dans ce sens.<br />

Aussi se contente t-il de voir clair dans le désordre de ée monde extérieur,<br />

d'ordonner le chaos de son monde intérieur, afin de tirer de toutes ses expériences<br />

un modèle cohérent, un principe moral viable.<br />

Cette quête d'ordre et de clarté intellectuelle l'amènent à voir, à<br />

la base de la réalité américaine, un principe de contradiction. Cès façons<br />

d'être contradictoires, à la limite s'entremêlent et dans la confusion, on<br />

ne distingue plus la raison de la démence. D'où le mélange de styles du narrateur-auteur.<br />

R. Ellison fait observer à cet égard:<br />

" The styles of life presented are different. In the South<br />

where he was trying to fit into a traditional pattern and<br />

where his sense of certainty had not yet been challenged,<br />

l felt a more naturalistic treatment was adequate. The<br />

college's Trustee's speech to the student is really an echo<br />

of a certain kind of Southern rhetoric and l enjoyed trying<br />

to recreate it. As the hero passes from the South to the<br />

North, from the relatively stable to the swiftly changing,<br />

his sense of certainty is lost and the style becomes expressionistic.<br />

Later on during his fall from grace in the Brotherhood<br />

it becomes somewhat surrealistic. The styles try<br />

to express both his state of consciouness and the state of<br />

society."(1)<br />

L'évolution du style du narrateur qui<br />

part du naturalisme pour aboutir<br />

au surréalisme en passant par l'impressionnisme reflète non seulement l'état<br />

d'§me du narrateur et celui de la société, mais aussi l'évolution de R. Ellison<br />

lui-même. En effet, ses premiers écrits sont presque tous marqués par le<br />

naturalisme et le réalisme social. Ils visent à offrir des solutions aux pro-<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, pp 178-179


- 270 -<br />

blêmes socio-politiques qui se posent aux Noirs.<br />

Dans la nouvelle intitulée "Slick Gonna Learn", on sent l'influence<br />

d'auteurs tels que Stephen Crane, Farrell, Th. Dreiser ou même E. Hemingway.<br />

Ralph Ellison à cette époque, portait son intérêt sur ce outil<br />

appelle<br />

" the ordeals of the private individual struggling to define himself as against<br />

the claims of society."(1) Comme Stephen Crane, il était alors habité par<br />

la conviction que<br />

"environment is a tremendous thing in the world, and frequently<br />

shapes lives regardless. If one proves that theory,<br />

one makes room in heaven for aIl sorts of souls, notably<br />

an occasional street girl, who are not confidently expected<br />

to be there by many excellent people•••"(2)<br />

Une pareille volonté de critique sociale est manifeste dans les premières<br />

nouvelles de R. Ellison. La situation que présente "Slick Gonna Learn" est,<br />

en bien des endroits, représentative des écrits prolétariens de l'ère du New­<br />

Deal, avec des thèmes politiques et une intrigue qui tient du mélodrame et<br />

quelquefois de la grosse farce. Ainsi c'est au moment précis où sa femme enceinte<br />

est malade et doit consulter un médecin que Slick est débauché de son<br />

emploi avec, pour tou~~nt~, quelques dollars. Pour sortir de sa situation<br />

désespérée, il décide de s'en remettre au sort et perd alors le peu d'argent<br />

qu'il avait sur lui au jeu. Bostic, un maquereau du quartier de qui il<br />

sollicite un prêt de cinq dollars refuse et suggère à Slick de faire de sa<br />

femme une source de revenuss "If it's goodnough to marry, it's goodnough to<br />

sell" dit-il en l'occurrence. Rendu furieux par une telle suggestion, Slick<br />

l'attaque, de même que l'agent de police qui essayait d'intervenir pour rétablir<br />

l'ordre. Pour avoir frappé un blanc, Slick se voit conduit devant le<br />

juge, dont les propos conformément à l'esthétique naturaliste révèlent le<br />

poids de l'environnement sur les rapports entre les hommes.<br />

" You niggers are always fighting, aren't you, boy 1" faitil<br />

remarquer à Slick avant de poursuivre son interrogation:<br />

-''Boy, are you working 1"<br />

-"Nawsuch"<br />

-"Did you ~ work 1"<br />

Après l'explication apportée par Slick sur sa situation professionnelle, le<br />

(1) R. Ellison: "Stephen and the Mainstream of American Fiction~' Shadow and<br />

Act p 62<br />

~Cité par Ellison,


- 271 -<br />

juge continue en ces termes:<br />

_IlAre you married, O:é' just living v:ith one of those high<br />

yellas over there on the West Side ?Il<br />

Apprenant en fin de compte l'état dans lequel se trouve la femme de Slick,<br />

le juge relache ce dernier, après lui avoir appliqué toutes sortes de clichés<br />

racistes.<br />

Comme dans les écrites de R. Wright, le protagoniste d'Ellison n'acquiert<br />

le sens de sa valeur et de sa dignité d'homme que par la violence. Qu'il ait,<br />

dans la confusion frappé un agent de police blanc traduit une action voulue<br />

mais refoulée dans l'inconscient. Qu'il ait été relâché après cet acte défendu<br />

qui, en d'autres circonstances, lui aurait coaté la vie, le remplit d'un<br />

sens de sa visibilité qu'il ignorait jusque là:<br />

" Slick was startled. For a moment he had forgotten (the<br />

policeman) at his side. He came to a sudden stop. He had<br />

knocked the hell out of a white man and gotten away with<br />

it! The ~ had let him go. Something seemed to surge in<br />

his mind."<br />

En réalité, il ne s'en tirera pas à si bon compte parce que les agents de<br />

police vont se charger de le faire payer son impudence. Ils vont le molester<br />

sérieusement. Mais c'est un chauffeur blanc qui finalement viendra le secourire<br />

Le même motif naturaliste app4rart dans "The Birthrnark ll<br />

qui critique<br />

la pratique de la justice expéditive de~loi de ~ch. La description du lynchage<br />

est violente et sans fioriture:<br />

" The flesh was hacked and pounded as though it had been<br />

beaten with harnrners ••• The ribs had been caved in. The<br />

flesh was bruised and torn••• Below his navel••• was only<br />

a bloody mound of torn flesh and hair."<br />

Une telle description, avec des phrases saccadées et des répétitions comme<br />

chez Hemingway, vise à provoquer un choc chez les lecteurs et à les sortir<br />

de leur torpeur. L'objectif de la nouvelle, de toute façon, est de montrer<br />

le gauchissement qu'imprime sur la personnalité des victimes, le terrorisme<br />

exercé par une société vicieuse et raciste.<br />

!<br />

1 i ,<br />

1<br />

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tî1r<br />

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r<br />

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- 272 -<br />

Il:2~is très tôt, ~llison a perçu les limites du. nc::turalisme, p2,rce Q 1 .l 1 il<br />

fait de l'homme une simple victime des circonstances. L'aventure de l'homme<br />

apparatt alors com~e<br />

sa soumission aux forces qui l'écrasent:<br />

" In naturalism, écrit Ihab Hassan, Society and Nature<br />

conspire against man. Initiation is merely submission to<br />

forces man can seldo:n control. Anè the virtue bestowed on<br />

outrage is implicit in authorial protest: the call for a<br />

better social order, the definition of man's humanity within<br />

the bounds of necessity and defeat."(1)<br />

L'insatisfaction que R. Ellison éprouve devant les intrigues naturalistes où<br />

les personnages luttent vainement contre un environnement hostile témoigne<br />

de l'élargissement de sa sensibilité individuelle et de son évolution intellectuelle.<br />

C'est pourquoi, il a changé son style qui participait du réalisme<br />

social à l'impressionnisme pour aboutir au surréalisme. L'impressionnisme,<br />

dont nous avons un exemple éloquent dans le chapitre onze de Invisible Man<br />

vise à un mélange étrange de sentiments contradictoires de la part du lecteur,<br />

dont on ne sollicite plus tant la compréhension que l'accord. Ce qu'on lui<br />

laisse est un tourbillon d'impressions dans lequel il se perd.<br />

En revanche, le surréalisme permet à l'auteur d'inventer un langage<br />

approprié pour exprimer la folie et le caractère multiforme du monde, tel<br />

qu'il est vu par des personnages conscients. Dans cette perspective, R. Ellison<br />

emploie des formes de symboles ignorées des tenants du réalisme pur et<br />

dur. Dans les oeuvres de maturité telles que ''Flying Home",<br />

"King of the BinE:'<br />

Game", Invisible Man et les fragments publiés de l 'histoire de Hickman, notre<br />

auteur emploie les techniques fictionnelles de l'esthétique moderne qui privilégie<br />

la conception de la réalité au détriment de sa perception. Aussi R.<br />

Ellison recourt-il aux perspectives multiples, au courant de conscience, au<br />

surréalisme pour révéler un monde en ébullition et sans direction.<br />

Les procédés stylistiques que l'auteur utilise pour exprimer son propos<br />

sont multiples et variés. Il ne rejette a priori aucune forme d'expression<br />

stylistique. Il fait des emprunts aussi bien à la mythologie grecque qu'à<br />

la Bible ou au folklore américain ou négro-américain. Le roman étant un moyen<br />

(1) lhab Hassan, Radical Innocence, p 47


1<br />

- 273 -<br />

complexe pour décrire de façon symbolique l'expérience, l'écrivain devant<br />

être capable de voir toutes les facettes des personnages et tous les aspects<br />

des problèmes, il lui faut s'ouvrir à toutes les formes stylistiques susceptibles<br />

de conférer à son oeuvre toute sa valeur. Celui qui a le plus influencé,<br />

dans cette perspective, notre auteur est sans doute T. S. Eliot et surtout<br />

SOl1<br />

ouvrage The \1asiQ Land, dont R. Ellison dit:<br />

" l was intrigued by its power to move me while eluding<br />

!DY understanding."<br />

La détermination à pénétrer le sens du livre a conduit notre auteur à étudier<br />

la mythologie, le folklore, etc. Le trait le plus marquant de l'influence de<br />

T.S. Eliot sur son oeuvre réside dans le symbolisme exagéré qui la parcourt:<br />

images de mort et de renaissance, de cécité et de vision, de lumière et d'obscurité.<br />

Un des passages poétiques de Invisible Man qui se rapproche le plus<br />

du style d'Eliot, avec ses images poignantes est celui où le narrateur décrit<br />

le bel établissement qu'il fréquentait au Sud; après avoir évoqué les ''bâtiments<br />

anciens recouverts de plantes grimpantes, les allées (qui) serpentaient<br />

avec grâce, bordées de haies et d'églantines éblouissantes sous le soleil<br />

d'été; le chèvrefeuille et la glycine maUve (qui) mêlaient leurs parfums<br />

à l'air bourdonnant d'abeilles "(1), le narrateur ne peut s'empêcher de s'interroger<br />

:<br />

" qu'y avait-il là-dedans de vrai, de solide, de plus consistant<br />

qu'un rêve agréable propre à tuer le temps? Comment<br />

admettre la réalité de tout cela, si je suis maintenant<br />

invisible? Sinon comment se fait-il que je ne puis<br />

évoquer, dans cette tle de verdure, d'autre fontaine que<br />

celle qui était brisée, rougie, tarie? Et pourquoi nulle<br />

pluie ne vient tomber et crépiter sur mes souvenirs, détremper<br />

la dure croftte sèche d'un passé encore récent?<br />

Pourquoi ne puis-je évoquer, au lieu de l'odeur des graines<br />

éclatant au printemps, que le contenu jaune du bassin répandu<br />

sur l'herbe morte de la pelouse? Pourquoi? Comment?<br />

Comment et pourquoi ?<br />

Et pourtant, l'herbe poussait, les feuilles vertes apparaissaient<br />

aux arbres et comblaient les allées d'ombre<br />

et d'ombrage, aussi inévitablement qu'à chaque printemps<br />

les millionnaires descendaient du Nord pour la fête des<br />

fondateurs. Il fallait les voir arriver! Tout sourire, ils<br />

t<br />

i<br />

fIf<br />

t<br />

f<br />

t<br />

!<br />

(<br />

1<br />

(1) R. Ellison, Homme Invisible••• , p 49


- 274 -<br />

"inspectaient, encourageaient, échangeaient des murmures,<br />

abreuvaient de discours les oreilles grandes ouvertes de<br />

nos visages noirs et café au lait -et chacun d'eux laissait<br />

en s'en allant un chèque respectable. Un tour de subtile<br />

magie, à n'en pas douter, l'alchimie de la lune - l'école<br />

devenait un désert piqué de fleurettes, les rochers s'enfonçaient<br />

sous terre, les vents secs se contenaient, les grillons<br />

perdus lançaient leurs cri-cri aux papillons jaunes.<br />

Ah! Ces mil1iormaires! 11(1)<br />

Comme Eliot se lançant à la recherche des traces de vie sur<br />

une terre<br />

calcinée, le protagoniste de Invisible Man jette sur son expérience passée un<br />

regard horrifié. L~imagequisolliciteson esprit quand il évoque son collège,<br />

c'est la calamité et la mort. Pourtant, sur cette même terre de désolation,<br />

le narrateur, dans l'attente d'ûn châtiment qu'il imagine sévère, se laisse<br />

emporter par la poésie qui émane de la chanson de Miss Susie Graham: cette<br />

narration poétique est toute différente de celle qui précède en ce sens que<br />

le narrateur s'y reconnatt:<br />

" Ha! Pour la matronne aux cheveux gris assise à la dernière<br />

rangée. Ha! Miss Susie, Miss Susie Graham, là-bas<br />

derrière en train de reluquer cette camarade et ce copain<br />

-écoute-moi, je bousille et claironne les mots, j'imite le<br />

timbre de la trompette et du trombone, je module des variations<br />

thématiques comme un baryton. He, vieille connaissance<br />

en sons de voix, en voix privées de messages, en rhé-<br />

. torique creuse exempte de nouvelles, écoute les sons vocaliques<br />

et les dentales crépitantes, les basses gutturales<br />

discordantes de l'angoisse vide, épousant la courbe du<br />

rythme d'un prédicateur que j'ai entendu, jadis dans une<br />

église baptiste, débarrassé maintenant de ses métaphores:<br />

plus de soleils atteints d'hémorragie, plus de lunes versant<br />

des larmes, plus de vers de terre refusant la chair<br />

sacrée et dansant dans la terre le matin de Pâques. Ra!<br />

Chante l'accomplissement, ha! mugis la réussite, psalmodie<br />

ha! l'acceptation, ha! un fleuve de sons verbaux pleins<br />

à ras bord de passions noyées, encombré de débris flottants<br />

d'ambitions irréalisables, et de révoltes mort-nées, roulant<br />

ses flots impétueux à leurs oreilles, ha! impeccablement<br />

alignées devant moi, les cous raidis par l'attention<br />

des oreilles, ha! atteignant le plafond de ses embruns et<br />

tambourinant sur l'arrière-chevron teinté de noir, ce noeud<br />

de bois de charpente sec et tourmenté adouci dans le four<br />

(1) R. Ellison, op.cit. p 51


1<br />

i<br />

1<br />

- 275 -<br />

"d'un millier de voix, jouant, ha! comme sur un xylophone•••<br />

Hé! Miss Susie! le son des mots qui n'étaient pas des mots,<br />

les fausses notes qui chantaient des exploits encore irréalisés,<br />

chevauchant les ailes de ma voix vers toi, vieille<br />

matronne, qui as connu les vocalises du fondateur,qui as<br />

connu les accents ét les échos de sa promesse; ••• Vieille<br />

matro~~e, justifie à présent ce son avec ton cher vieux<br />

signe de tête affirmatif, ton sourire aux yeux clos, ton<br />

salut de reconnaissance, toi qui ne te laisseras jamais duper<br />

par le seul contenu des mots, par mes mots, pas ces<br />

fuyards empennés d'épingles qui vous caressent les paupières<br />

jusqu'à ce qu'elles papillotent d'extase, alors qu'on ne<br />

perçoit que le simple écho de la promesse••• Ha! Susie<br />

Gresham, Mère Gresham, gardienne sur les bancs puritains,<br />

des jeunes filles passionnées qui, à cause de leurs vapeurs<br />

intimes, étaient incapables de voir tes eaux du Jourdain;<br />

toi relique de l'esclayage, que le campus aimait sans pourtant<br />

te comprendre, vieille datant de l'esclavage et cependant<br />

porteuse de quelque chose de chaleureux, de vital,<br />

d'infiniment endurant, quelque chose dont nous dans cette<br />

Ue de honte, n'étions pas honteux -c'est vers toi... que<br />

je dirigeais mon flot impétueux de sons, c'est à toi que<br />

je pensais avec honte et regret en attendant le début de<br />

la cérémonie."(1)<br />

R. Ellison a fait observer que le héros narrateur de son roman était avant<br />

tout un orateur. Une chose facile à constater est en effet l'usage abondant<br />

qu'il fait de l'art oratoire. Dans ses écrits, chaque personnage est d'abord<br />

un parleur qui adopte le langage qui est celui de son milieu. L'art du conteur<br />

de Jim Trueblood se délectant du récit de son inceste esteKemplaire à cet<br />

égard: détails saugrenus, dramatisation par reconstitution de dialogues du<br />

genre qui suit:<br />

_n Minute,Kate,j'dis, arr@te!<br />

- Debout! Debout! qu'elle dit<br />

- Non! Kate! je dis<br />

- Que ton âme aille en enfer! Lève-toi de dessus mon enfant!<br />

- Mais, Kate, ma bonne, écoute•••<br />

- Parle pas! Décanille!<br />

- Baisse ce truc-là, Kate!<br />

- Non pas, debout!<br />

- C'est de la chevrotine, ma vieille, de la chevrotine<br />

- Oui, et alors !<br />

- Baisse-le, je dis!<br />

Je vas te faire sauter la cervelle et t'iras tout droit<br />

en enfer!<br />

(1) R. Ellison, op. cit., pp 118-119<br />

f


- 276 -<br />

"- Tu vas toucher Matty Lou!<br />

- Pas Matty Lou, toi!<br />

- Ca disperse, Kate. MattY Lou!<br />

" Elle change d'angle et me vise.<br />

- J' t'ai averti, Jim•••<br />

- Kate, c'était un rêve, écoute-moi•••<br />

- C'est toi qui dois écouter. Sors-toi de là!<br />

"Elle secoue le fusil et j'ferme les yeux. Mais au lieu que<br />

je saute dans le tonnerre et les écla,irs, j'entenrlr: r,;atty<br />

Lou qui me hurle dans l'oreille: "Maman, oh, oh, ••• maman!"<br />

Alors j'me retourne presque sur moi-même et Kate hésite."(1)<br />

Parfois, c'est la candeur du personnage qui nous fait rire, tant est grande<br />

la disparité entre sa compréhension des choses et le point de vue des autres.<br />

Ainsi cet échange entre lui et Nortonl<br />

"- Vos yeux ont vu le chaos et vous n'êtes pas anéantit" lui<br />

demande le Blanc à brtlle-pourpoint. Et lui de répondre le<br />

candidement possible:<br />

- Non, M'sieur! J'm sens très bien.<br />

- Vraiment? Vous ne ressentiez pas de tumulte intérieur,<br />

pas le besoin d'arracher le membre qui a péché?<br />

- M' sieur ?<br />

- Répondez-moi!<br />

- Je m'sens bien, m'sieur, répéta: Trueblood, mal à l'aise.<br />

Mes membres vont très bien aussi. Et quand j'me sens mal à<br />

mon ventre, j'prends un peu de soda et ça passe."(2)<br />

Un autre exemple de discours, est représenté par l'éloquence de la chaire du<br />

Révérend Homer Barbee. Son homélie est une sorte d'épopée à la gloire du<br />

fondateur. Il fait usage de toutes les techniques des sermons négro-américains,<br />

répétition, antiphonation, chants••• On retrouvera ce modèle chez<br />

Hickman et le Sénateur Sunraider.<br />

Mais plus que tout, la caractéristique majeure de l'oeuvre de R. Ellison,<br />

celle qui assure le mieux, la mise en perspective de son projet esthétique,<br />

réside dans l'emploi qu'il fait de l'humour, de l'ironie et du comique.<br />

L'humour, à en croire Brom Weber, permet de transcender la réalité de<br />

tous les jours, malgré le caractère tragique qu'elle peut revêtir. L'humour<br />

au lieu d'insister sur la cruauté des expériences, s'en gausse; son mode<br />

c'est la catharsis du rire:<br />

" Humor enabled one to transcend the trivial reality in<br />

which man is imprisoned by logic, reason, subjective emotion,<br />

(1) R. Ellison, op.cit., p 12<br />

(2) Ibid., p 64.


- 277 -<br />

"freeing him to achieve union with the objective of metaphysical<br />

Absolute. Detached by humor from the determinism<br />

of the material world and from the culturally determined<br />

self, man's dark unconscious could express its metaphysical<br />

yearnings and intuitions in the form of untrammeled dream<br />

fantasy and nonsense. Hence black humor.<br />

"Black humor proved extraordinary congenial to our<br />

now-centered culture. At its best, black humor helped sorne<br />

readers to cope Nith the omnipresence of potential nuclear<br />

destruction, with the massive bureaucratization of social<br />

institutions and social relations with the nerve-racking<br />

manner in which aIl things ceaselessly and rapidly changed,<br />

with the terror and death of hot and cold wars that seemed<br />

to have fastened themselves like parasites on human existence.<br />

The saving therapy was highly beneficial as always."<br />

(1)<br />

La fonction que l'humour remplit dans les récits de R. Ellison est<br />

d'opérer une subversion des valeurs, d'enlever leur sérieux aux symboles que<br />

les hommes valorisent par-dessus tout. Ainsi un drapeau américain est peint<br />

sur le ventre<br />

écrit ce message:<br />

d'une danseuse nue tandis que sur le ventre d'une autre, il<br />

" Sybil, tu as été violée<br />

Par Santa Claus<br />

Surprise "<br />

Dans une étude consacrée à R. Ellison, Floyd R. Horowitz écrit à propos<br />

du narrateur que:<br />

" Historically and politically, too, he is beset by a cavalcade<br />

of American symbols and images which are in the wrong<br />

places, a so~etimes subtle, sometimes raucous debunking<br />

of the names and institutions which Americans are supposed<br />

to hold so dear: the American flag upon her belly undulates<br />

to the shi~ of a nude, the identity of Jefferson is an<br />

illusion in the mind of a shellshocked veteran, the statue<br />

of liberty is obscured in fog while liberty is the name<br />

applied to a corporate enterprise, Emerson is a businessman,<br />

the Fourth of July is Jack the Communist's birthday as weIl<br />

as the occasion of a race riot."(2)<br />

L'introduction de l'humour sert d'artifice au narrateur pour eter à ses<br />

aventures leur aspect tragique et à leur conférer un caractère comique. Or<br />

(1) Brom Weber "The Mode of Black Humor" in Rubin L.D. ed. The Comic Imagination<br />

in American Literature, pp 361-311<br />

(2) Floyd R. Horowitz: "R. Ellison's Modern Version of Bear and Brer Rabbit",<br />

in J. Reilly ed., op.cit., p 34


- 278 -<br />

nous savons que un des raIes de la cOQédie est de dramatiser le conflit entre<br />

l'iuéal et la réalité existante. En ce sens, il se rapproche le plus de l'ironie<br />

qui, selon lhab Hassan,<br />

" selects from the tragic situation the element of absurdity<br />

the demonic vision, the sense of isolation; it takes from<br />

comedy the unlawful or quixotic motive, the savagery which<br />

is the other faGe oi play, ami the grotesque scapegoat rituaIs<br />

of comie expiation; and from romance it adopts the<br />

quest motif, turning it into a study of self-deception, and<br />

the dream of whish-fulfiment, transforming it into a nightmare.<br />

Irony, the mythos of winter, is the form to which other<br />

literary forms tend when disintegration overtakes them. It<br />

is, nevertheless, preeminently suited to the needs of the<br />

present situation. Irony, in fact, is the basic prineiple<br />

of the form which dominates our fiction. It is the literary<br />

correlative of the existential éthic; it implies distance,<br />

ambiguity the interplay of views. It is the form of containment,<br />

self-created pattern of contradictions, the union of<br />

the terrible and the ludicrous. Irony is aIl the certainty<br />

we can allow ourselves where uncertainties prevail. Yet irony<br />

also commits itself to what it criticizes. It is at bottom,<br />

not the form of negation but rather the stark shape of<br />

hope when death and absurdity are finally recognized. A good<br />

rnany structural and stylistic elements -the function of time,<br />

the handling of point of view, the nature of imagery in the<br />

contemporary novel- derive from these general assumptions of<br />

irony."(1)<br />

Cette définition de l'ironie s'applique bien à l'oeuvre de R. Ellison et<br />

singulièrement à Invisible Man dont le narrateur-auteur a une claire conscience<br />

des réalités du monde alors que le personnage -lui-même- qu'il décrit n'a<br />

pas beaucoup de perspectives. En fait le narrateur comprend trop bien le<br />

monde, il a une conscience très douloureuse d'y vivre et il en perçoit simultanément<br />

les aspects bons et mauvais, tragiques et comiques. Cette trop grande<br />

conscience de l'ambivalence et de l'ambiguité qui sont à la base des réalités<br />

humaines, est à la limite paralysante. C'est pourquoi la situation finale<br />

du narrateur semble n'être qu'une reprise de la scène où il rencontrait<br />

pour la première fois les membres de la Confrérie. Un des camarades, non<br />

encore guéri de ses préjugés, lui demande de chanter un spiritual ou "une de<br />

ces authentiques bonnes vieilles chansons des travailleurs noirs, comme<br />

( 1) lhab Hassan, "The Character of Post War Fiction in America." English<br />

Journal,(Jan. 1962): 1-8. Rpt. in J. Waldmeir, op.cit., p 33.


- 279 -<br />

"J'suis allé en Atlanta. J'y avais jamais été avant." Comprenant les insinuations<br />

de ce camarade, frère Jack lui répondit vertement: "le frère ne<br />

chante pas!" Mais le narrateur connatt et aime chanter les spirituels. ~fais<br />

l'admettre dans les circonstances où il était invité à s'exécuter serait se<br />

rabaisser et s'humilier. Ne pas l'admettre est comme une sorte de reniement<br />

de soi et de son histoire. Sa seule réponse dans cette situation de paraQoxe,<br />

est d'éclater de ~ire,<br />

entrainant la salle dans son hystérie:<br />

" Je me pliai en deux, je hurlai, j'avais la sensation que<br />

la salle tout entière sautait de tous les côtés à chaque<br />

déchatnement de rire••• Je m'aperçus alors que le silence<br />

tendu des autres se transformait en une cascade de rire qui<br />

résonna dans toute la salle, devint vite un véritable rugissement,<br />

un rire de toutes dimensions,intensité, intonations.<br />

Tout le monde était gagné. La salle bouillonnait bel et<br />

bien."(1)<br />

Confronté à une situation d'invisibilité de même nature le narrateur de<br />

R. Ellison se réfugie dans une pareille ambiguité, se contentant pour survivre,<br />

de lancer contre le monde une révolte esthétique et morale.<br />

(1) R. Ellison, op.cit., pp 301-302.


EN GUISE <strong>DE</strong> CONCLUSION


Au terme oe ],otre long cheminement, nous voudrions essayer de dégager,<br />

en guise de conclusio:l., quelques points saillants de notre nropos "fin de raDpeler<br />

les lignes forces de notre marche dans l'étude du thème Ge l'invisibilité<br />

chez R. El1ison.<br />

1 - L'invisibilité résultat d'un procès historiq~.<br />

Pour notre auteur en effet, l'invisibilité est un phénomène historique<br />

qui plonge profondément ses racines dans le passé des Etats-Unis et qui rev~t<br />

des formes multiples. Ses manifestation~ sont de deux ordres: l'un négatif et<br />

l'autre positif. La version négative de l'invisibilité se réfère à des identifications<br />

passives des Noirs à des archétypes ou à des stéréotypes imposés.<br />

Placé dans une position subalterne dans un monde hostile, où la moinG~e<br />

péccadille<br />

déchaînait sur lui une suppression physique brutale, le Noir,pour échapper<br />

à la vue corrosive et calcinante du Blanc, réprime, et étouffe en lui même<br />

tout sentiment de révolte. Richard Wright, offre un témoignage éloquent de cette<br />

forme d'invisibilité lorsqu'il confesse dans Black Boy:<br />

Si Richard ~right<br />

" La façon dont j'avais vécu dans le Sud ne m'avait pas permis<br />

de me connattre moi-même. Etouffée, comprimée par les<br />

conditions d'existence dans le Sud, ma vie n'avait pas été<br />

ce qu'elle aurait dO. être. Je m'étais conformé à ce Due mon<br />

entourage, ma. famille -conformément aux lois dictées par les<br />

Blancs qui les dominaient- avaient exigé de moi, j'avais été<br />

le personnage que les Blancs m'avaient assignÉ. Je n'avais<br />

jamais pu être réellement moi-mëme."(1)<br />

n'a compris ses propres comportements et ceux des<br />

Oncles Tom apeurés roulant de gros yeux devant leurs mattres blancs, qu'avec<br />

le recul offert par le temps et l'espace, pour heaucoup d'autres Noirs, le problème<br />

ne se pose pas de la même façon. Pour ceux-çi, l'invisibilité n'est pas<br />

tant une prescription intériorisée qu'une stratégie de survie consciente qu'ils<br />

acceptent passagèrement. Les leaders de la race, Booker T. Washington en t~te,<br />

(1) Cité par Léonard SAINVIL<strong>LE</strong>, Romanciers et Conteurs négro-américain,<br />

Anthologie I, Présence Africaine, Paris 1963, p 405.


- 282 -<br />

l~ th~o~iseront ~t e~ fA~ont le po~nt d'2ncr2~e ~e leur ~octrjne poci21e.<br />

L'invisibilité deviendra ainsi, peu à peu un atout positif, à tel point que<br />

le grand-père du narrateur de R. Ellison dans Homme Invisible, recommandera<br />

à son petit-fils de vivre dans la gueule desloups blancs tout en les noyant<br />

sous les oui, en les sapant avec des sourires, en les faisant crever à force<br />

d'être d'accord avec eux. En assumant l'invisi-bilité et en en faisant une ruse<br />

de guerre, le Noir court pourtant un danger certain, celui d'être pris à son<br />

propre piège et de devenir la première victime de ses propres subterfuges de<br />

conscience. Il ne peut en être autrement parce que la stratégie est pour l'individu<br />

et non pour le groupe. Que celui qui adopte la stratégie du vieil homme,<br />

son jiujitsu de l'esprit, oublie le secret de l'affirmation qui se transforme<br />

en négation expressive et il devient invisible à lui-même, alors que les<br />

autres lui demeurent également opaques. Même l'invisibilité renoue positive<br />

ne résout pas le problème du Bégro-américain. En outre, dit R. Ellis0n, le<br />

grand-père du narrateur "represents the ambiguity of the past for the hero, for<br />

whom his sphinx like deathbed advice poses a riddle."(1)<br />

Le regard jeté sur le passé, même s'il fournit des points de repères<br />

à l'individu et au groupe qui cherchent des points d'ancrage dans l'espace<br />

et le temps, n'offre pas de perspectives immuables ni de solutions définitives.<br />

En effet le passé aussi est un processus. Il change de visage selon les époques,<br />

les individus, et les classes. En clair, l'appréciation du passé est<br />

affaire de conscience et même de choix; bref c'est aURsi un Droblème G'identité.<br />

2 - Invisibilité et identité.<br />

L' invisibilité telle que nous l'avons cernée dans son développement<br />

historique est dans une large mesure une forme d'aliénation. Nous l'avons définie<br />

comme des identifications pas2ives à des constructions d'autrui. Le problème<br />

véritable qui se pose à celui qui étudie l'oeuvre de R. Ellison est de<br />

savoir si l'identité recherchée par le narrateur peut-être simplement une résultante<br />

des différentes identifications (ou de leurs rejets) dont il a fait<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 56.


- 283 -<br />

l'expérience. Une réponse affirmative à cette interrog2tion ne peut de toute<br />

évidence qu'être incomplète. Car s'il est vrai que sa con::cience à lé fin est.<br />

la somme de ses expériences antérieures, celles-ci, par le fait même qu'il les<br />

répudie dans leur majorité, sont appelées à être et doivent être dépassée3.En<br />

effet, les raisons qui ont présidé à leur adoption reposent sur une fausse é­<br />

valllation de la réalité sociale; bien plus, les choix sont dictés par les circoonstances<br />

et les situations. La transcendance s'impose d'autant plus que les<br />

identifications étant réjetées, c'est dans la non-identité que R. Ellison devrait,<br />

pour pousser sa logique à son terme ultime, situer son héros. Or il se<br />

refuse à faire de lui une fluidité amorphe ou une pure abstraction. En rejetant<br />

les valeurs inauthentiques incarnées par Rinehart, en insistant à être autre<br />

chose qu'un "simple rôle"; le héros de R. Ellison part en guerre contre les<br />

"normes" qui prévalent dans la société, quand bien même les armes qu'il emploie;<br />

sont plus celles du refus et de la négationque celles de l'affirmation.<br />

Il<br />

, •i 1<br />

1 i:<br />

Le concept d' invisibilité adopté par R. Ellison pour décrire la difficulté<br />

du Hégro-américain à être perçu et traité en tant qu'individu dité de<br />

tous les attributs humains, ne diffère pas fondamentalement de l'anonymité de<br />

J. Baldwin ou de l'inaudibilité de W.E.B. Dubois. Cependant la détermination<br />

de tous ces écrivains à insister sur l'aspect négatif de l'identité que le<br />

monde extérieur cherche à imposer à l'individu, doit être comprise non pas<br />

comme une plainte ou une prot~tion stériles; au contraire, elle constitue<br />

de leur part, une exigence suprême, active et puissante, d'être entendus et<br />

reconnus, appréciés et JUGés cO:TIme des individus capables d'opérer librenent<br />

des choix et non comme des êtres marqués par le stigmate infamant de la couleur<br />

de la peau. Les écrivains et les créateurs négro-américains, en identifiant<br />

leurs problèmes, prennent aussi la défense d'une identité qui lutte pour ne<br />

pas être étouffée. La prémisse négative d'où s'origine la métaphore de l'invisibilité<br />

se résoud ainsi dans un dépassement fécond, positif. Il en est ainsi<br />

parce que la lutte que ces écrivains mènent est une lutte de reconquête pour<br />

eux-mêmes et leur peupl~du droit à l'initiative, de ce que Vann Woodward appelle<br />

identité abdiquée(surrendered identity). Cette dernière expression, comme<br />

le fait observer Erik H. Erikson, n'implique nullement l'absence totale<br />

d'identité, ce que laissent à penser les innombrables études sur les négro-


- 284 -<br />

abando~é<br />

comMe si on l'avait perdu. En outre, l'identité ne peut ni être conférée<br />

ni être donnée. Elle est à recouvrer, elle est à reconquérir. C'est dire<br />

que même dans les conditions les plus d?sastreuses, elle existe en latence et<br />

peut devenir éclatante à tout moment et servir de pont reliant le passé au<br />

futur. Pour R. Ellison en effet, l'identité du I:égro-américain ePi une réalité<br />

qui va de soi; elle est évidente par elle-même et existe depuis le commencement<br />

des temps. Elle n'est pas statique, mais évolutive, et comporte en outre des<br />

aspects positifs qu'il faut constamment réafîirmer et des<br />

c8tés négatifs qu'il<br />

faut répudier. C'est précisément à cette jonction qu'intervient l'écrivain dont<br />

la tâche consiste à faire ce que R. Ellison &ppelle des affirmations et des<br />

rejets d'identité compliqués(complicated assertions and denials of identity).<br />

Il doit, en tant que créateur, explorer l'humanité du Négro-américain dans sa<br />

globalité et insister sur les qualités qui en ce dernier transcendent toute<br />

question de ségrégation, d'économie ou de servitude antérieure. S'engager dans<br />

cette voie, s'impose d'autant plus impérativement que, assure R. Ellison, l'identité<br />

américaine elle-même est encore fluide:<br />

" Like most Americans, we are not yet fully conscio.us of<br />

our identity either as Negroes or Americans. This affirmation<br />

of which l speak this instence upon achieving our social<br />

goal, has been our great strength and also our great<br />

weakness because the terms with which we have tried to define<br />

ourselves have been inadequate. We know we're not the<br />

creatures which o'JT enemies in the white South \>l'ould have<br />

us be and we know too that neither color nor our civil predicament<br />

explain us adequately."(1)<br />

De fait, pour notre auteur, le Négro-américain est la résultante de plusieurs<br />

influences, au nombre des~uelles<br />

sa situation raciale, sa volonté, sa culture:<br />

" He is a product of the interaction between his racial<br />

predicament, his individual will and the broader American<br />

cultural freedom in which he finds his ambiguous existence.<br />

Thus he, too, in a limited way, is his own creation."(2)<br />

Se créer une identité sur mesure est aussi une des stratégies envisagées<br />

par R. Ellison pour échapper à l'état d'invisibilité. Le moyen qu'il a<br />

(1) R. Ellison, Shadow and Act, p 18.<br />

(2) Ibid., pp 112-113.


- 285 -<br />

ad0p~~ p8U~ ~'2ffirmer et se C~Ee~ cette identit6 est la nrodl1ctio~ litt€r6ire<br />

et singulièrement la production d'oeuvres de fiction.<br />

" In this sense fiction became the agency of my efforts to<br />

answers the questions: .\ofuo am l, What am l, how did l come<br />

to be ? What shall l make of the life around me, what celebrate,<br />

what reject, how confront the snarl of good and evil<br />

which is inevitable ? \'lhat does American society mean when<br />

regarded out of my own eyes, when informed by my ~sense<br />

-- - li<br />

of the past and viewed by my ~ complex sense of the present? 1<br />

How, in other words, should l think of myself and my pluralistic<br />

sense of the world, how express my vision of the human<br />

predicament, without reducing it to a point which would render<br />

it sterile before that necessary -though enhancingreduction<br />

which must occur before the fictive vision can corne<br />

alive ?"( 1)<br />

On s'en aperçoit aisément, le métier de l'écrivain est plus qu'une simple<br />

activité ou un simple moyen de gagner sa vie. La création d'oeuvres de fiction<br />

permet aussi à l'individu de s'ancrer dans le temps et l'espace, de prendre<br />

ses repères dans l'univers social et moral qui l'environne. La production<br />

littéraire, et par extension, la création artistique, revêtent ainsi une valeur<br />

instrQ~entalistequi se transforme en métaphysique. Dans la pratique, une<br />

telle conception amène R. Ellison à faire du problème de l'identité et de la<br />

personnalité saine une mystique, et à valoriser de façon excessive la forme -<br />

à<br />

l'instar de T.S. Eliot- au détriment du contenu. Ainsi son roman Invisible<br />

Man qui débute comme un bildungsroman, se termine sur un svrréel,<br />

avec un héros ambivalent, sou:irant des points de vue contradictoires, et acceptant<br />

plusieurs formes de conscience. C'est ce qui conduit ~:orris<br />

à écrire avec raison:<br />

Dickstein<br />

" the most original things about Invisible Iv1an are i ts<br />

electicism and discontinuity, akin to the black humor of<br />

the 1960's, where technical and verbal inventiveness fills<br />

the place of realistic setting and psychology,"(2)<br />

et que sa solution au problème d'identité est de vivre sans aucune ou avec<br />

plusieurs, ce qui revient au même.<br />

Ainsi la solution esthétique que R. Ellison semble vouloir proposer<br />

pour résoudre le problème d'identité chez le Négro-américain débouche sur une<br />

(1) R. E11ison, op.cit., Introduction, p Xxii.<br />

(2) Morris Dickstein, "The Black Aesthetics in White America", Partisan Review<br />

Vol. 38, 4, Winter 1971-1972, p 382.


- 286 -<br />

im~~p~e, p~rce que -et lui-~6me 1'2 F~~vent rén{t€ d~ns ses rn~ltipleF d~clarations<br />

contradictoires-,<br />

" blackness i8 more thém "a cultural b2c;:crounà" or a<br />

"social predi:cament",(and that) "the rule; of fiction can<br />

hardly be enumerated, let alane riginly apnlied, tha.t forms<br />

does not dwell majestically alone, like Shelley~ Kont Blanc,<br />

apart from iê1~edi"te e:yperience."(1)<br />

La solution de R. Ellison aU problème de l'identité invisible, débouche<br />

donc sur le plan social. Dans l'un et l'autre cas l'individu isolé trouve peutêtre<br />

son compte, mais assurément au détriment cie<br />

la collectivité.<br />

(1) Morris Dickstein, op.cit., p 395.


- 287 -<br />

BIBLIOGRAPHIE SUR RALPH WALDO ELLISON ET SON OEUVRE.<br />

l - SOURCES <strong>DE</strong> REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUE<br />

====================================<br />

A -<br />

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1 - BENOIT Bernard et FABRE Michel.:<br />

A Bibl.iography of Ral.ph El.l.ison's Published Writings,<br />

Studies in Black Literature. 2, III, pp 25-28.(1971)<br />

2 - BLACK WORLD, 20 (Déc. 1970) Numéro Spécial. sur R. El.l.ison.<br />

3 - BUCH, Frieder et Renate Schmidt von Bardel.eben:<br />

Amerikanische Erzahl.l.iteratur 1950-1970, Munich,<br />

Finch, 1975, 260 pp.<br />

4 - COVO,Jacquel.ine:<br />

Ral.ph Wal.do El.l.ison; Bibl.iographic Essaye and Finding<br />

List of American Criticism, 1952-1964. Col.l.ege Language<br />

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171-196.<br />

5 - COVO,Jacquel.ine:<br />

Ral.ph El.l.ison in France: Bibl.iographic Essays and<br />

Cheokl.ist of French Criticism 1954-1971, C.L.A.J.XVI,<br />

4, 1973.<br />

6 - COVO, J.:<br />

The EQ1nking Eye: Ralph El.1ieon and His American. French<br />

German and Ital.ian Critics 1952-1971:Bibl.iographic Essays<br />

and a Check1.ist, Metuchen, New-Jersey: Scarecrow,<br />

1974, 214 pp.<br />

7 - DIETZ, Karl, Wil.hem:<br />

Ral.ph El.l.ison Roman Invisibl.e Man: Ein Beitrag Zu Seiner<br />

ReZeptiongeschichte und Interpretation mit besonderer<br />

Berucksiohtigung der Figuren Raum und Zeitgestal.tung,<br />

Mainzer Studien Zur Amerikanistik: Eine Europais Hochschul.reihe,<br />

12, Frankfort Lang, 328 pp.<br />

8 - Emanuel., James A. and Theodore L; Gross eds;<br />

Dark Symphony, New-York, The Free Press, 1968, pp 586­<br />

587.<br />

9 - LILLIARD, R. Stewart:<br />

A Ral.ph Wal.do El.l.ison Bibl.iography 1914-1967,<br />

The American Book Col.l.eotor, (A.B.C.), XIX, (Nov. 1968)<br />

pp 18-22.<br />

10 - MOORER, Frank E. et Lugene BAILY:<br />

A Sel.ected Checkl.ist of Material.s by and about Ral.ph<br />

El.l.ison, Black Worl.d(B.W.) 20, (Dec. 1970) pp 126-127.<br />

11 - POLSGRAVE, Carol.:<br />

Addenda to "A Ral.ph Waldo El.l.ison Bibl.iography 1914­<br />

1968", A.B.C., 20, Nov-Dec. 1969, pp 11-12.


- 288 -<br />

12 - WEIXLMANN, Joe and Joe O'Banion:<br />

A Check1ist of R. Ellison Criticism 1972-1978,<br />

Black American Literary Forum, 12, 1978, pp 51-55<br />

B - SOURCES SECONDAIRES<br />

1 - BIGSBY, C.W.E. ed.s<br />

The Blaok American Writer, Vol. 1, FiotionJEaltimore:<br />

Pelioan Publishing Co, 1971.<br />

2 - COL<strong>LE</strong>GE LANGUAGE ASSOCIATION JOURNAL,13, 3, 1970. Numéro Spécial<br />

consaoré à R. Ellison.<br />

3 - CHRISTAD<strong>LE</strong>R, Martin ed,s<br />

Amerikanisohe Literatur der Gegenwart, Stuttgart, Alfred<br />

honer, 660 pp.<br />

4 - HERSEY, John ed.,:<br />

Ralph Ellison: A Colleotion of Critioal Essays,<br />

Englewood Cliffs, New-Jerseys Prentice Hall, 1974, 180 p<br />

5 - FABRE, Michel.<br />

Les Noirs Américains, Paris, Armand Colin, 1968.<br />

6 - FORD, Nick Aarons<br />

The Contemporary Negro Novel<br />

7 - FORD, N. A. s.<br />

Blaok Insightss Significant Literature by Black Americans<br />

1760 to the Present, Waltham, Massachusetts, Gion and Co,<br />

1971.<br />

8 - FREESE, Peter ed••<br />

Die Amerikanisohe Short Story der Gegenwart: Interpretationen,<br />

Berlin, Sohmidt, 355 p.<br />

9 - GIBSON, Donald B.s<br />

'~fro-American Fiotion: Contemporary Research and Criticism,<br />

1965-1978~ American Qua~erlY, 30, pp 395-409.<br />

10 - GIBSON, D,B••<br />

Pive Black Writers, New-York, New-York University Press,<br />

1970, pp 305-306.<br />

11 - GROSS, Seymour L; and John E. HARDYeds ••<br />

Images of the Negro in Amerioan Literature, Chioago,<br />

University of Chioago Press, 1970, p 305.


- 289 -<br />

12 - LANG, Hans Joachim ed.:<br />

Der Amerikanische Roman: Von der Aufangen bis Zur<br />

Gegenwart, Dusseldorf, August Bagel, 1972, 421pp<br />

13 - <strong>LE</strong>ARY, Lewis ed.;<br />

Articles on American Literature 1950-1967, Durham,<br />

North Carolina: Duke University Press, 1970, pp 146-147<br />

14 - O'MEALLY Robert G.:<br />

The Craft of Ralph Ellison, Harvard University Press,<br />

1980<br />

15 - REILLY, John M.:<br />

Twentieth Century Interpretations of Invisible Man;<br />

A Collection of Critical Essays, Englewood Cliffs,<br />

New-Jersey, Prentice Hall, 1970, pp 119-120.<br />

16 - SCHMIDT, Ernst Joachim ed~:<br />

Xritische Bewabrung Zur Deutschen Philologie, Festcbrift<br />

fUr Werner Scbrôder Zun 60 Geburstag, Berlin, Erich<br />

Schmidt, 1974.<br />

17 - TISCH<strong>LE</strong>R, Nancy M., Ralph ELLISON(1914- ),<br />

in Louis D. RUBIN ed.:<br />

A Bibliographic Guide to the Study of Southern Literature<br />

Baton Rouge, Louisiana: Louisiana State University Press<br />

1969, pp 191-192.<br />

18 - TURNER, Darwin T., ed.:<br />

Afro-American Writers, New-York: App1eton Century<br />

Crofts, 1970, pp 52-53; 112.<br />

19 - WALDMEIR, Joseph ad.;<br />

Recent American Fiction: Some Critioal Views, Boston:<br />

Houghton Miffin Co, 1963.


- 290 -<br />

II -<br />

OEUVRES <strong>DE</strong> RALPH ELLISON<br />

========================<br />

A -<br />

FICTION<br />

1 - " Slick Gonna Learn", Direction, 2, N°5 (Sept. 1939),pp 10-11,<br />

pp 14-16.<br />

2 - " The Birthmark", New Masses, 36 (2 July 1940), pp 16-17.<br />

Rpt. dans Negro World Digest l (November 1940), pp 61-65<br />

3 - Il A~ter.noon", American Writing, eds; Hans Otto Storm et al.,<br />

Prairie City, Illinoiss Decker 1940, pp 28-37.<br />

Rpt. dans Negro Story (March-April 1945).<br />

4 - Il Mister Toussan", The New Masses, XLI (Nov., 4, 1941), pp 19­<br />

40. Rpt dans Turner D.T. ed., Black American Literature.<br />

5 - Il That l Bad the Wings", Common Grounds, III (Summer 1943),<br />

pp 30-37.<br />

6 - Il In a Strange Country", Tomorrow. III (July 1944), pp 41-44<br />

7 - " King of the Bingo Game", Tomorrow IV (Nov. 1944), pp 29-33<br />

8 - " Flying Home", in Cross Section, ed., Edwin Seaver, New-York,<br />

L.B. Fischer, 1944, pp 469-485. Rpt. dans The Best<br />

Short Stories Br Negro Writers, ed. Langston Hughes,<br />

Bostons Little, 1967, pp 151-170. Rpt. aussi dans<br />

Dark Symphopy, eds. Emanuel and Gross, New-York, The<br />

Free Press, 1968.<br />

9 - ft Invisible Man", Horizon. 23 (October 1947). Later Published<br />

as the " Battle Royal" Chapter of Invisible Manc<br />

10 - " Invisible Man"s Prologue to a Novel, Partisan Review, 19<br />

(Jan.-Febr. 1952),pp 31-40.<br />

11 - Invisible Man, NeW-York, Random House, 1952.<br />

La première traduction en français due à Michel<br />

CHRESTIEN et portant le titre Au-delà du Regard, Paris,<br />

Denoël, 1954, est considérée comme ~aible.<br />

La seconde traduction faite par Robert et Magali Merle,<br />

Homme Invisible. Pour Qui Chantes-tu? Paris, Grasset,<br />

1969, est celle que nous avons adoptée.<br />

12 - " Did you Ever Dream Luoky ?", New World Writing, N 0 5, New-York,<br />

The New American Library of World Literature, Inc.,<br />

1954, pp 134-145.


- 291 -<br />

13 - " February" , Saturday Review, 1 January 1965, p 25.<br />

14 - " A Coupla Scalped Indians", New World Writing N°9, New-York,<br />

The New American Library of World Literature, Inc.,<br />

1956, pp 225-236. Rpt. King, W.,edl Black Short Story<br />

Anthology.<br />

15 - Il And Hickfuan Arrives", The Noble Savage, l, 1960. Rpt. dans<br />

Black Writers of America, eds., Richard Barksdale et<br />

Kenneth Kinnamon, New-York, Mac Millan, 1972.<br />

16 - " The Roof, The Steeple and The People", Quaterly Review of<br />

Literature, 10, N°3~ 1960.<br />

17 - " Out of the Hospital and under the Bar", in Soon. one Moming,<br />

ed., Herbert Bîll, New-York, Xnopf, 1963, pp 13-28.<br />

18 - ft It Alvays Breaks. Out", Partisan Review, 30, (Spring 1963),<br />

pp 13-28.<br />

19 - " Juneteenth", Quaterly Review of Literature, 13, N° 3-4 (1965),<br />

pp 262-276.<br />

20 - " A Song of Innooenoe", Iowa Review 1, (Spring 1970), pp 30-40.<br />

21 - ft Cadillao Flambé", Amerioan Review, N° 16, 1973, pp 249-269.<br />

22 - " Backwackingl A Plea to the Senator", Massachusetts Review, 18,<br />

1977, pp 411-416.<br />

B -<br />

ESSAIS ET REVUES SUR LA LITTERATURE.<br />

Les artioles marqués d'une croix(+) sont reproduits dans Shadow and<br />

Act.<br />

1 - " Creative and Cultural Lag", New Challenge, 2(Fall 1937),<br />

pp 90-91.<br />

2 - "'Practioal Mystic", New Masses, 28(16 August 1938), pp 25-26.<br />

3 - " Ruling-olass Southerner", New Masses, 30{ 5 December 1939),<br />

p·27.<br />

4 - " Javanese Folklore", New Masses, 34( 26 December 1939),pp 25-26<br />

5 - " The Good Life", New Masses, 34,{20 February 1940), p 27.


- 292 -<br />

6 - Il TAC Negro Show", New Masses,34,(27 February 1940), pp 29-30.<br />

7 - " Hunters and Pioneers", New Masses,34,(19 March 1940), p 26<br />

8 - " Romance in the S.lave Era", New Masses,35(29 May 1940), pp27-28<br />

9 - "Anti-War Nove.l", New Masses, 35,(18 June 1940), pp 29-30.<br />

10 - " Stormy Weather",New Masses, 37, (24 September 1940), pp 20-21 •<br />

11 - " Southern FoJ..ldore", New Masses,37,(5 November 1940), p 4.<br />

12 - ft Big White Fog", New Masses, 37,(12 November 1940), pp 22-23.<br />

13 - " Argosy across the USA", New Masses, 37,(26 November 1940~p 24.<br />

14 - " Negro Prise. Fighter", New Masses, 37(17 December 1940);pp:>26-27<br />

15 - " Richard Wright and Recent Negro Fiction", Direction, 4<br />

(Summer 1941), pp 12-13.<br />

16 - " Recent Negro Fiction", New Masses, 40(5 August 1941),pp 22-26.<br />

17 - " The Great Migration", New Masses, 51(2 December 1941), pp 23-24<br />

18 - ft Transition", Negro Quater1y,1(Spring 1942), pp 87-92.<br />

19 - " Native Land", New Masses, 42(2 June 1942), p 29.<br />

20 - " The Darker Brother", Tomorrow, 4(September 1943), pp 67-68.<br />

21 - ft Boston Adventure", Tomorrow, 4(Deoember 1944), p 120.<br />

22 - " The Magic of Limping John", ~omorrow, 4(December 1944), p121.<br />

23 - " New Wor.ld A-Coming", Tomorrow, 4(December 1944), pp 67-68.<br />

24 - ft Escape the Thunder", Tomorrow, 5(March 1945), pp 91-92.<br />

+25 - " Riohard Wright's Blues", Antioch Review, 5(Summer 1945),<br />

pp 198-211.<br />

+26 - " Beating That Boy", New Repub.lio, 113(22 October 1945),<br />

pp 535-536.<br />

27 - " Stepchi.ld Fantasy", Saturday Review, 29(8 June 1946),pp 25-26.<br />

+28 - " The Bhadow and The Act", Reporter, 1(6 December 1949),~<br />

pp 17-19.


- 295 -<br />

29 - " Collaborator with His Own Enemy", New-York Times Book Review,<br />

1 February 1950, p 4.<br />

+30 - " Twentieth-Century Fiotion and the Blaok Mask of Humanity",<br />

Confluenoe, (Deoember 1953), pp 3-21.<br />

31 - " Society, Morality, and the Novel", The Living Noyelz A Sym­<br />

Rosium, ed. Granville Hicks. New-York: MaoMillan, 1957,<br />

pp 58-91.<br />

+32 - " Change the Yoke and Slip the Yoke", Partisan Review, 25(Spring<br />

1958), pp 212-222.<br />

33 - " Resouroeful Human", Saturday Review, 41(12 July 1958),pp 33-34.<br />

+34 - " Stephen Crane and. the Mains1:ream of' Amerioan Fiotion·,<br />

Introduotion to Crane's The Red Badge of' Courage and<br />

Four Great Stories. New-Yorkz De1l, 1960, pp 7-24.<br />

+35 - • The World and the J~g", New Leader, 46(9 Deoember 1963),<br />

pp 22-26.<br />

+36 - " A Rejoinder", New Leader. 47(3 February 1964), pp 15-63.<br />

37 - " If' the Twain Shall Meet", Washington Post Book Week, 8 November<br />

1964, pp 1, 20-25.<br />

+38 - " Hidden Name and Complex Fate", The Writer's Experienoe, ed.<br />

Ellison and Karl Shapiro. Washingt6n, D.C.s Library<br />

of' Congress, 1964, pp 1-15.<br />

39 - • The ~ues", New-York Revie. of Books, 1(6 February 1964),<br />

pp 5-7.<br />

40 - " On Becoming a Writer", Commentary, 38( October 1964), pp 57-60.<br />

41 - Shadow And Aot, New-Yorkz Random Ho~e, 1964.<br />

42 - " The Novel as a Funotion of' American Democracy", Wilson<br />

Library Bulletin, June 1967, pp 1022-1027.<br />

43 - Book-jacket comment. Culture and Poverty by Charles A. Valentine.<br />

Chioagoz University of' Chicago Press, 1968.<br />

44 - Book-jaoket comment. H~e and Cry by James A. MoPherson. Bostonz<br />

Atlantic Montbly Press, 1969.<br />

45 - " Ameriean Humor", "Comic Elements in Selected Prose of James<br />

Baldwin, Ralph E12ison and Langston Hughes, unpublished<br />

thesis by E1WYn E. Breaux. Fisk University, 1971,pp 146­<br />

157.


- 294 -<br />

46 - Book-jacket comment. The Omni-Americans by Albert Murray.<br />

New-York: Outerbridge, 1970.<br />

47 - Advertisement commen~. The Unwritten War by Daniel Aaron.<br />

New-York Review o~ Books, Fall 1973.<br />

48 - Foreword. There Is a Tree More Ancient Than Eden by Leon Forreste<br />

New-York: Random House, 1973, pp i-ii.<br />

49 - " On Initiation Rites and Power: Ralph Ellison Speaks at West<br />

Point-,Contemporary Literature, 15(Spring 1974),<br />

pp 165-186.<br />

50 - " The Alain Locke Symposium", Harvard Advocate, Spring 1974,<br />

pp 9-28.<br />

51 - " Perspectives of Literature", American Law: The Third Century,<br />

the Law Bicentennial Volume, ed. Eernard Sohwartz.<br />

Hackensack, New-Jersey, Rothman, 1976, pp 391-406.<br />

52 - Book-jacket comment. Elbow Room by James A. MePherson. Boston:<br />

Atlantio Monthly Press, 1977.<br />

53 - " The Little Man at Chehaw Station", Ameriean Seholar, Winter<br />

1977-1978, pp 25-48.<br />

C -<br />

ESSAIS ET DISCOURS SUR LA POLITIQUE ET LA CULTURE.<br />

1 - " Anti-Semitism Among Negroes", Jewish People's Voiee, 3(April<br />

1939), pp 3, 8.<br />

2 - " Judge Lyneh in New-York", New Masses, 33(15 August 1939),<br />

pp 15-16. A sh~ened version, "They Found Terror Ln<br />

Harlem", in Negro World Digest, July 1940, pp 43-45.<br />

3 - " Camp Lost Colony", New Masses, 34(6 February 1940), pp 18-19.<br />

4 - " A Congress Jim Crow Didn't Attend", New Masses, 35(14 May<br />

1940) pp 5-~.<br />

5 - " Phillipine Report", Directiop, 4(Summer 1941), p 13.<br />

+6 - " The Vay It Is", New Masses, 44(20 Oetober 1942), pp 9-11.<br />

7 - " Editorial Comment", Negro 9uaterly, 1 (Winter 1943),pp 294-303.


- 295 -<br />

8 - n Eyewitness Story of Riot", New-York Post, 2 August 1943,p 4.<br />

9 - " Address at Tuskegee Institute", Press release issued by Division<br />

of Public Relations, Tuskegee Institute, July 1954.<br />

+10 - n Notre Lutte Nous Proclame à la Fois N~gres et Américains",<br />

Preuves, 87(May 1958), pp 33-38. Traduit en anglais<br />

sous le titre ·Some Questions, Some Answers".<br />

11 - " What These Children Are Like", Education of the Deprived and<br />

Segregated. De1ham, Massachusetts: Bank St. Co~ege,<br />

1965, pp 44-51.<br />

12 - n Tell It Like It le, Baby", Nation, 201(20 September 1965),<br />

pp 129-136.<br />

13 - ft Harlem's America", New Leader, 49(26 September 1966),pp 22-35.<br />

14 - " Wha.t America Would Be Like Without macks", ~, 6 April<br />

1970, pp 32-33.<br />

15 - Speech Honoring William A. Dawson. Philadelphia, Tuskegee<br />

Alumni Club, 1971.<br />

16 - ft Ralph E~isonn, Attacks of Taste,ed. EvelYn B. Byrne and Otto<br />

M. Penzler. New-York: Gotham, 1971, pp 20-22.<br />

17 - n Address at Havard's A1umni Meeting", Press release issued<br />

by Harvard University News Office, 12 June 1974.<br />

18 - " Middle-Income macks Need To Find Cultural Awareness", ~<br />

Angeles Times, February 2, 1975, p 37.<br />

19 - Speech at the Opening of the Ralph Ellison Public Library.<br />

Oklahoma City, 21 June 1975.<br />

D -<br />

INTERVIEWS.<br />

+1 - " The Art of Fiction: An Interview", Alfred Chester and Vilma<br />

Howard. Paris Review, 8(Spring 1955), pp 55-71.<br />

2 - ft An Interview vith Ralph E~ison", Ted Cohen and N.A. Samstag.<br />

Phoenix. 22(Fa11 1961), pp 4~10.<br />

+3 - ft Tha.t Same Pain, Tha.t Same Pleasure: An Interview", R.G.Stern.<br />

December,3(Winter 1961), pp 30-32, 37-46.


- 296 -<br />

4 - " An Interview with Ra1ph E11ison", A11en Ge11er. Tamarack<br />

Review, 25 October 1963, pp 3-24.<br />

5 - Under pressure, ed.A.Alvarez. Ba1timore: Fenguin, 1965, pp 120­<br />

121,136-137,148-149,160-163,172-173,178-179.<br />

6 - " Dia1ogue", Who Speaks for the Negro? Robert Fenn Warren.<br />

New-York: Random House, 1965, pp 325-354.<br />

7 - " RaJ.ph E1J.ison", Center for Cassette Studies, N°7508, ca. 1965.<br />

8 - " Rencontre avec Ra1ph E11ison", Revue des Langues Modernes,1966.<br />

9 - " A Very Stern Discip1ine", Steve Cannon, Lennox Raphae1, and<br />

James Thompson. Harper's, 234(March 1967), pp 76-95.<br />

10 - ft An Interview with RaJ.ph EJ.1ison", Mike McGrady, Newsday,<br />

28 October 1967, pp 7-15.<br />

11 - " A DiaJ.ogue with His Audience", Barat Review, 3(January 1968),<br />

pp 51-53.<br />

12 - " InvisibJ.e Man", James A. McPherson. AtJ.antic Month1y, 206<br />

(December 1970), pp 45-60.<br />

13 - " A Conversation with Ra.l.ph E1J.ison", Leon Forrest. Muhammad<br />

Speaks, 15 December 1972, pp 29-'1.<br />

14 - n RaJ.ph EJ.1ison: Twenty Years After", David L. Car.son. Studies<br />

in American Fiction, 1 (Spring 1973), pp 1~23.<br />

15 - " Through a Writer's Eyes", Ho1J.ie West. Washington Fost, 19,<br />

20,21 August 1973.<br />

16 - " Ra,1ph EJ.1ison", The Writer's Voice. Ge orge Garrett. New-York:<br />

Morrow,1973, pp 221-227.<br />

17 - " Ra1ph E1J.ison", Interviews with Ten B1ack Writers. John<br />

O'Brien. New-York: Liveright, 1973, pp 63-17.<br />

18 - Appendix. "Invisibi1ity:A Study of the Works of Toomer, Wright,<br />

and EJ.J.ison", unpub1ished thesis by Ar1ene Joan Crewdson,<br />

University of Chicago, 1974.<br />

19 - Interview with RaJ.ph E1J.ison. WGBH-TV, Boston, 12 Apri1 J974.<br />

20 - " Introduotion: A Oomp1etion of PersonaJ.it y", John Barsey.<br />

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Hersey. EngJ.ewood, New-Jersey: Prentice Ha11, 1974,<br />

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- ~97 -<br />

21 - News Report. KVTV-TV, Oklahoma City, 15 June 1975.<br />

22 - A Ta1k with Ra1ph E11ison. KVTV-TV, Oklahoma City, 19 June 1975.<br />

23 - Unp~b1ished Interview. Robert G. 0'Mea11y. New-York, 8 May 1916.<br />

24 - " St~dy and Experience, an Interview With Ra1ph E11ison,·<br />

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Review, 18(A~tumn 1977), pp 417-435.Reprinted in Chant<br />

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o~ 111~ois Press, 1979.<br />

25 - " The Essentia1 Ellison" Steve Cannon, Ishmae1 Reed, and Q~incy<br />

Troape. Y-Bird Reader, Aatumn 1977, pp 126-159.<br />

26 - ft Ralph Ellison's Territoria1 Vantage", Ron We1barn. The Grackle,<br />

4 (1977-1978), pp 5-15.<br />

E -<br />

ESSAIS SUR LA MUSIQUE ET L'ART.<br />

1 - ft Modern Negro Art", Tomorrow, 4(November 1944), pp 92-93.<br />

2 - u Introdaction to ~amencoft, Satarday Review, 37(11 December<br />

1954), pp 38-39.<br />

+3 - " Living with Masic", Hish Fide1ity, 4(December 1955), pp 60~~.<br />

4 - ft The Swing to Stereo", Sat~rday Review, 41(26 Apri1 1958),<br />

pp 37, 39, 40, 60.<br />

+5 - " The Char1ie Christian Story", Saturday Reyiew. 41(17 May 1958),<br />

pp 42-43, 46.<br />

+6 - " Remembering Jimmy", Satarday Review, 41 (Ju1y,12, 1958),pp 36-37<br />

+7 - " As the Spirit Moves Maha1ia", Satarda;y Review, 41(27 September<br />

1958), pp 41,43,69-70.<br />

+8 - n The Go1den Age Time Past", Esgaire Magazine, 51 (Janaary 1959),<br />

pp 107-110.<br />

+9 - " On ~ird, Bird Watching, and Jazz", Satarday Review, 45(28 JU­<br />

1y 1962),pp 47-49, 62.<br />

+10 - " Blaes Peop1e", The New-York Review, February 6, 1964.


- 298 -<br />

11 - " Romare Bearden: Paintings and Projections", Crisis. March<br />

1970, pp 81-86. Rpt. sous 1e titre "The Art of Romare<br />

Bearden" in Massachusetts Review, 10, Winter 1977,<br />

pp 673-680.<br />

F -<br />

EDITORIAUX.<br />

1 - The Negro 1n New-York, ed. with Roi Ott1ey et a1. New-York:<br />

Arno Press, 1966; origina11y written and edited during<br />

the 1930s by the New-York Federa1 Writer's Project.<br />

2 - Negro Quater1y. E11ison était rédacteur en chef en 1942-1943.<br />

3 - Nob1e Savage. E11ison était rédacteur associé en 1960.<br />

4 - The Writer's Experience, ed. with Kar1 Shapiro. Washington, D.C.:<br />

Library of Congress, 1964.<br />

G -<br />

CONFERENCES ET SYMPOSIUMS.<br />

1 - " What's Wrong With the American Nove1 1", American Scho1ar,<br />

24(Autumn 1955), pp 464-503.<br />

2 - Proceedings, Amerioan Acade o~ Arts<br />

na1 Institute of Arts and Letters, 2nd series,<br />

pp 452-454; 17(1967), pp 178-182, 192.<br />

3 - " Conference Transcript", Deada1us, 95(Winter 1966), pp 408-441.<br />

4 - " Literature and the Ruman Sciences on the Nature of Contemporary<br />

Man", The Writer as Independent Spirit. New-York,<br />

1968, pp 37-44.<br />

5 - Il The Uses of History in Fiction", Southern Literary Journa1,<br />

1 (Spring 1969), pp 57- 90.


- 2';19 -<br />

H -<br />

PORTRAITS ET COMMENTAIRES.<br />

1 - Il Inside a Dark She11", Harvey Curtis vlebster. Saturday Review,<br />

35(12 Apri1 1952), pp 22-23.<br />

2 - " Ta1k with Ra1ph E11ison", Harvey Breit. New-York Times Book<br />

Review, 4 May 1952, pp 26-27.<br />

3 - " Light on Invisib1e Man", Crisis, 60(March 1953), pp 154-156.<br />

4 - " Side1ights on Invisibi1ity", Roche11e Gibson. Saturday Review,<br />

36(14 Maroh 1953), pp 20, 49.<br />

5 - " A Best-Se11.er Starts Here", Jim Simpson. Dai1y Ok1ahoma,<br />

23 August 1953, p 3.<br />

6 - " Five Writers and ~heir African Ancestors", Haro1d Isa.a.cs.<br />

Phy1on, 21 (Winter 1960), pp 317-322.<br />

7 - ft The Invisibl.e Man", Newsweek, 12 August 1963, pp 81-82.<br />

8 - " An American Novel.ist Who Sometimes Teaches", John Corry,<br />

New-York Times Sunday Magazine, 20 November 1966, pp 55,<br />

179-185, 196.<br />

9 - " Ra1ph Ellisonl Nove1ist as Brown Skinned Aristoorat ft , Richard<br />

Xoste1anetz, Shenandoah, 4(Summer 1969), pp 56-77.<br />

10 - ft Going to the Territory", Jervis Anderson, New Yorker, November<br />

22, 1976, pp 55-108.<br />

11 - ft A1fred E11ison of Abbeville", Stewart Li11ard. Unpub1ished<br />

monograph, 1976.<br />

l - DIVERS.<br />

1 - " Ra1ph E11ison Exp1ains"'48 Magazine of the Year, 2(May 1948),<br />

p 145.<br />

2 - " At Homel Letter to the Editor", ~, February 9, 1959, p 2.<br />

3 - Il No Apol.ogies", Harper's, 205(Ju1y 1967), pp 4 ff.<br />

4 - Writer's Project Interviews, Essays. Unpub1ished; avail.ab1e at<br />

Library of Congress, Folk1ore Arohives.


- 300 -<br />

5 - Writer's Projeot Interviews, Essays. Unpublished; available at<br />

New-York Public Library, 135th Street Branch.<br />

6 - n A Page in Ralph Ellison's Li:fe", Brown Alumni Monthly, 80<br />

(November 1979), pp 40-41.


- 301 -<br />

III - REVUES ET COMr-'IENTAlRES<br />

========================<br />

A -<br />

SOR INVISIB<strong>LE</strong> MAN.<br />

1 - BARRETT, William:<br />

ft Bl.ack and Bl.ue: A Negro Celine", American Mercury,<br />

74,(June 1952), pp 100-104.<br />

2 - BERRY, Abner W:<br />

" Ralph Ellison's Novel 'Invisible Man' Shows Snobbery,<br />

Contempt for Negro Feople", The Worker, June 1, 1952,<br />

Section 2, p 7.<br />

3 - " Bl.ack and Bl.ue", ~, 59(April 14, 1952), p 112.<br />

4 - Booklist, 48,(July 15, 1952), p 378.<br />

5 - BROWN, Lloyd L. 1<br />

"The Deep Fit", Masses and Mainstream, 5(June 1952),<br />

pp 62-64.<br />

6 - BYAM, Milton, S.I<br />

- Invisible Kan-, Library JOurnal, 77(April 15, 1952),<br />

pp 716-717.<br />

7 - CARTWRIGHT, Marguerite D.I<br />

ft S.F.D.N.M." Amsterdam News, March 7, 1953, p 14.<br />

8 - CARTWRIGHT, Marguerite D;I<br />

" The Neurotic Negro·, Amsterdam News, March 14, 1953,<br />

p 16.<br />

Reprinted together with "S.F.D.N.M."(Society for the<br />

Frevention of the Defamation of Negro Males) in abbreviated<br />

form as a letter to the editors "The Desoendants<br />

of Bigger Thomas", FhYlon, 14, N°1(March 1953), pp 116­<br />

118.<br />

9 - CASSIDY, T.E.:<br />

" A Brother Betrayed", The Commonweal, 56(May 2, 1952)<br />

pp 99-100.<br />

10 - COW<strong>LE</strong>Y, Malcoms<br />

The Literarx Situations New-York, Viking Fress, 1954,<br />

p 4, 91 ff.<br />

11 - CURTIS, Constanoel<br />

"Letter to the Editor", Amsterdam News, March 14, 1953,<br />

p 16; Comments on Cartwright's Article in defense of<br />

Ellison.


- 302 -<br />

12 - DAICHES, David:<br />

"Writers' Shop Talk", Saturday Review, 40(November, 16,<br />

1957), pp 19-30.<br />

13 - EISENGER, Chester E.:<br />

Fiction of the Forties, Chicago: The University of<br />

Chicago Press, 1963, pp 14,70-71, 370 ff.<br />

14 - GEISMAR, Maxwell:<br />

nThe Post-War Generation in Arts and Letters", Saturday<br />

Reviev, 36(Maroh 14, 1953), pp 11-12. Reprinted vith<br />

s~ight modifioation, in GEISMAR's American Modems:<br />

From Rebe~~ion to Conformity. New-York: Hil~ and Wang,<br />

1958, pp 15-1 9 •<br />

15 - HED<strong>DE</strong>N, Worth T.:<br />

·Objective~y Vivid, Introspective~y Sincere n , New-York<br />

Hera~d Tribune Book Reviev, Apri~ 13, 1952, p 5.<br />

16 - HOFFMAN, Frederick J.:<br />

The Modern Nove~ in America, Rev.ed. Chicago?Henry<br />

Regnery Co, 1963, pp XIV, 246, 248, 254.<br />

17 - HOWE, Irving:<br />

nA Negro in America", Nation, 174(May 10, 1952), p 454.<br />

18 - HUGHES, Car~ Mi~ton(Pseud.):<br />

The Negro Nove~ist: A Discussion of the Wri~ings of<br />

American Negro Nove~is~s 1940-1950.New-York: The Ci~ade~<br />

Press, 1953, pp 272-273.<br />

19 - HUGHES, Langel~on:<br />

"L. Hughes n , Co~umn in New-York Age, Feb. 28, 1953, p12.<br />

20 - "Invisib~e Man", Kirkus, 20(FEB.1, 1952), p 94.<br />

21 - KAZIN, Alfred:<br />

Con~emporaries, Bos~on: Lit~~e, Brown, 1962, pp 212-388.<br />

22 - KIL<strong>LE</strong>NS, John 0:<br />

nlnvisib~e Man", Freedom,(June 1952), p 7<br />

23 - LANGBAUM, Robert:<br />

Furioso, 7, N°4(1952), p 58. Car~eton Co~~ege, Northfie~d,<br />

Massaohuse~ts.<br />

24 - <strong>LE</strong>WIS, Richard. W.B.:<br />

"Eccentrics' Pi~grimagen, Hudson Review, 6, N°1(Spring<br />

1953) pp 144-150.


- 303 -<br />

25 -, LOCKE, Alain:<br />

IIFrom Native Son to Invisible Man: A Review of the<br />

Literature of The Negro for 1952." Ph.ylon, 14, N°1<br />

(March 1953), pp 34-44. A shorter Version, minus criticism<br />

of Ellison's verbosity is fo~d in Butcher, Margaret,<br />

Jr. The Negro in American Culture, New-York: Knopf,<br />

1956, pp 179-180.<br />

26 - LUDWIG, Jack B.:<br />

Recent American Novelists, University of Minnesota<br />

Pamphlets on American Writers, N°22, Minneapolis:<br />

University of Minnesota Press 1962, pp 18-24.<br />

27 - MARTIN, Gertrude:<br />

The Chicago Defender, April 19, 1952, p<br />

11 (Review).<br />

28 - MAYBERRY, George:<br />

·Underground Notes", New Republic, 126(April 21, 1952)<br />

p 19.<br />

29 - MORRIS, Wright:<br />

"The World Below", New-York Times Book Review, April<br />

13 , 1952, p 5.<br />

30 - MURRAY, Florence:<br />

ft Letter to the Editor", Amsterdam News, March 28,<br />

1953, (In defense of Marguerite D. Cartwright's article,<br />

see above).<br />

31 - OTT<strong>LE</strong>Y, Roi:<br />

"m.azing Novel Relates a Negro's Frustrations",<br />

Chioago Sunday Tribune, May 1,1, 1952, P 4.<br />

32 - PRATTIS, P.L.:<br />

"The Horizon", Colwnn in the Pittsburgh Courier,April<br />

4, '1953, p 7.<br />

33 - PRESCOTT, Orville:<br />

New-York Times. April 16, 1952, p 25.<br />

34 - REDDING, Saunders:<br />

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Afro Magazine Seotion, p 10.(Review •<br />

35 - ROLO, Charles J.:<br />

"Candide in Harlem", Atlantic, 190(JUly 1952), p 84.<br />

36 - SCHWARTZ, Delmore:<br />

"Fiotion Chroniole: The Wron~s of Innocence and Experience",<br />

Partisan Review, 19lMay-June, 1952), pp 354­<br />

359.


- 304 -<br />

37 - SMITH, Lucymae:<br />

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38 - "Tell It Like It la", Newsweek. 64(August 24, 1964), pp 84-85.<br />

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39 - "The Sustaining Stream", ~, 81 (February 1, 1963), P 84.<br />

40 - WEBSTER, Harvey C;:<br />

"Ineide a Dark Shell", Saturday Review, 35(12 April<br />

1952) ,pp 22-23.<br />

41 - WEST, Anthony:<br />

"Black ManIe Burden", New-Yorker 28(May 31, 1952),<br />

pp 93-96. Reprinted, with slight modifications in Westls<br />

Princip1es and Persuasions. New-York: Harcourt, Brace,<br />

1957, pp 212-218.<br />

42 - WINSLOW, Henry F.:<br />

"Unend~g Trial", Crisis, 59 (June-July, 1952), pp 397­<br />

398.<br />

43 - YAFFE, James:<br />

"Outstanding Novels", Yale Review, n.s.41, N°8(Summer<br />

1952), viii.<br />

B -<br />

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1 - CHEVIGNY, Bell. G.:<br />

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2 - CHlLSOM, Lawrence W.:<br />

"Signifying Everything", Yale Review,<br />

1965), pp 450-454.<br />

54, N°3(Spring<br />

3 - <strong>DE</strong> LlSSOVOY, Peter:<br />

"The Visible Ellison", Nation. 199(Nov. 9, 1964),<br />

pp 334-336.<br />

4 - ELIOTT, George P.:<br />

"Portrait<br />

Review, Oct. 25, 1964, pp 4-5+.<br />

of a Man on His Own", New-York Times Book<br />

5 - HICKS, Granville:<br />

"Prose and the Politics of Protest" ,<br />

47, (Oct. 24, 1964), pp 59-60.<br />

Saturday Review,


- j05 -<br />

6 - " l Dol", Newsweek, 64(October, 26, 1964), pp 119-121A.<br />

7 - JACKSON, Miles, M.:<br />

·Significant Belles Lettres By and About Negroes<br />

l?ublished in 1964," l?h.ylon, 26, N°3(Fall, 1965),<br />

pp 226-227.<br />

8 - JANEWAY, E1izabeth:<br />

"Anger is Just not Enough", Christian Soience Monitor,<br />

Dec. 24, 1964, p 5.<br />

9 - JANOWITZ, Morris:<br />

Amerioan Journa1 of Sooio10gy, 70(May 1965), pp 732­<br />

734.<br />

10 - <strong>LE</strong>WIS, Riohard W.B.:<br />

"E~ison's Essays", New-York Reyiew ot Books,<br />

1965), pp 19-20.<br />

(Jan.28,<br />

11 - l?ODHORETZ, Norman:<br />

"The Melting Fot Blues", New-York Herald Tribune Book<br />

Review, (October 25, 1964), PP 1+.<br />

12 - "Shadow and Act", Library JOurnal, 89(September 15, 1964),p 153.<br />

Young Adu1ts Section.<br />

13 - VAN BENTHUYSEN, Robert:<br />

"Shadow and Aot", Library Journal, 89(Oct. 15, 1964),<br />

3968.<br />

14 - VEL<strong>DE</strong>, l?au1:<br />

"Shadow and Aot", The Commonweal, 81(Feb. 19,1965);<br />

PP 674-676~<br />

15 - WARREN, Robert l?enn:<br />

"The Unity of Experience", Commentan, 39(May 1965),<br />

pp 91-96.<br />

16 - WHITTEMORE, Reed:<br />

"Beating That Boy Again", New Republic, 151(Nov. 14,<br />

1964) , pp 25-26.


- 306 -<br />

IV - ETU<strong>DE</strong>S ET ESSAIS CRITIQUES SUR<br />

==============================<br />

R. ELLISON ET SON OEUVRE.<br />

========================<br />

l<br />

1 - AARON, Daniel:<br />

t, The Hyphenate Writer and American Letters:~<br />

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2 - ABRAMS Robe~ B.:<br />

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~:'American Literature(A.L.)49(January 1978 , pp 592­<br />

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3 ~ A<strong>LE</strong>XAN<strong>DE</strong>R, Jean A.:<br />

"Black Li-terature for -the nCultura.1ly Deprived"<br />

Curriculum~'NegroAmerican Literature Forum(N.A.L.F.)<br />

4(Fa.1l 1970), pp 96-103.<br />

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Writer:'in The American Negro Writer and His Roots,<br />

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(AM •.S.A.C. ), 1960.<br />

5 - AN<strong>DE</strong>RSON, J.:<br />

"R. Ellison: Pro~iles~ New-Yorker, N°22 , 1976, pp 52,<br />

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War II~ College Language Association Journal(C.L.A.J.)<br />

7 - ANONYME:<br />

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f : Crisis, LX, 1953; pp 154­<br />

156.<br />

8 - ARATA, Esther:<br />

nThe Protagonist in Invisible Man and Camara Laye's<br />

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9 - AUGUSTE, Yves L.:<br />

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10 - BAKER, Houston,A.Jr.:<br />

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and Culture, Cha.rlottesville, The University Press<br />

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11 - BAKER, Hous~on A. Jr.:<br />

"A Forgo~~en Pro~o~ype: The Au~obiography of An Ex-Co­<br />

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49, 1973, pp 433-439.<br />

12 - BAKER, Hous~on A. Jr.:<br />

Singers a~ Daybreak: S~udies in ~ack American Li~era­<br />

~, Washing~on D.C., Howard Universi~y Press, 1974.<br />

1 3 - BA<strong>LE</strong>T, S.:<br />

UThe Prob~em of Charac~eriza~ionin R. E~~ison's<br />

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pp 277-281.<br />

14 - BARXSDA<strong>LE</strong>, Riohard J<br />

t~ Whi~e Tragedy, BJ..ack Comedy~ Ph.y~on, XXII, 1961.<br />

15 - BARKSDA<strong>LE</strong>, Richard 1<br />

ulliena.~ion and ~he An~i-Hero in Ret:'en~ American Fic­<br />

~ion'~C.L. A.J., 10, Sep~ember 1966, pp 1-1.0.<br />

16 - BARKSDA<strong>LE</strong>, Richard:<br />

(tBJ..ack Amerioa and ~he Mask of Comedy? in Louis D. Rubin<br />

Jr.ed., The Comic Imagina~ion in American Li~era~ure,<br />

Ru~gers Universi~y Press, New-Jersey, 1973.<br />

17 - BARKSDA<strong>LE</strong>, Riohard and X:ene~h KINNAMON eds. 1<br />

BJ..aok Wr~iers of America: A Comprehensive An~ho~ogy,<br />

New-York, MacMillan Co, 1972.<br />

18 - BARTON,<br />

Fic~ion<br />

19 - BATAIL<strong>LE</strong>, Rober~ 1 "<br />

HE~~ison's Invisib~e ManI The O~d Rhe~oric and ~he New;<br />

BJ..ack American Li~erarY Forum, 12, 1978, pp 43-45.<br />

20 - BAUMBACH, Jona.~hanl<br />

~~Nigh~mare of a Na~ive Son1 E~~ison's Invisib~e Man:<br />

Cri~i9ue, 6, N01(Spring 1963), pp 48-65. Rpt dans<br />

J. BAUMBACHI The Landscape of Nigh~ma.re, New-York,<br />

N-York Universi~y Press, 1965, pp 68-86.<br />

21 - BEJA, Morrisl<br />

((I~ Mus~ Be Impor~ant: Negroes in Con~emporary Fic~ion,<br />

An~ioch Review.<br />

22 - BELL, J .D.I<br />

ttEllison's Invisible Man~ Explica~or, 29, 1970, p 19.<br />

"<br />

f<br />

!<br />

il<br />

Il<br />

il<br />

__---L<br />

.1


- 308 -<br />

23 - BELLOW, SauJ. :<br />

t1Man Underground~ Commen~ary, Vol.13, N°6(June 1952),<br />

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24 - BENNETT, John Z.:<br />

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Unive~si~y S~udieB, V, pp 12-26.<br />

25 - BENNETT, S~ephen B.and William W. NICHOLS:<br />

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ill Joli" "UUy .eJ: ~. dt. tl' -tU - ,ns<br />

26 - BENSTON, Kimberley W.:<br />

(tEllison, Baraka and ~he Faces o~ Tradi~ion': Boundary<br />

6, 1978, pp 333-354.<br />

27 - BERTHOFF, W.:<br />

~Li~era~ure Wi~hou~ Quali~ies: American Wri~ing Since<br />

1945~ Yale Reviev(Y.R.), 68, Win~er 1979, pp 235-254.<br />

28 - BIGSBY, C.W.E. ed.:<br />

The American Wri~er, Vol.t(Fic~ion), Bal~imore, Pelican<br />

Publishing Co, 1971.<br />

29 - BITTNER, William:<br />

t~The Li~erary Underground, " Na~ion, Sep~-22, 1956, pp 247-<br />

249.<br />

30 - BLAKE, Susan Louise:<br />

"Modern ~ack Wri~ers and ~he Folk Tradi~ion", D.A.I.,<br />

38,(1971), pp 260 A.<br />

31 - BLAKE, Susan ,Louise:<br />

'(Ri~ual and Ra~ional.iza~ion: mack Folklore in ~he Worka<br />

o~ R. Ellison, P.M.L.A., 94, 'Jan.1979, pp 123-136.<br />

32 - BLOCH, Alice:<br />

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(Sep~. 1969), pp 1019-1021, 1024.<br />

" - BLOTNER, Joseph L.:<br />

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Shaw) •<br />

34 -


- 309 -<br />

35 - BONE, Robert A.:<br />

The Negro Nove1 in America, New-Haven, Ya1e University<br />

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Unlike Emerson and Thoreau who cri~icized socie~y in<br />

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a eooie~y which will nourrish ~he individual.<br />

379 - WARREN, Rober~ ~enn:<br />

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380 - WARREN, Rober~ Penn1<br />

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382 - WATSON, R.L. :<br />

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384 - WEBSTER, H.C. 1<br />

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385 - WEHNER, James Vincen~:<br />

"The Funo~ion of a Nega~ive My~h in Ellison's Invisi­<br />

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391 - WILLIAMS, John A. et HARRIS F. Cha.r~es:<br />

Amis'tâd 1 Writin s on Black His'tor and Cul'ture; New­<br />

York, Vin'tage Book Bandom House, 1970.<br />

392 - WILLIAMS, Phi~ip G.:<br />

A Compara'tive Approach to Afro-American and Neo-Afri~<br />

can Nove~s: E~~ison and Achebe; Studies in Blaok Li­<br />

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393 - WILLIAMS, Sher~ey Anne:<br />

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394 - WILLS, Gary: ._<br />

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395 - WILNER, E~eanor R.:<br />

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396 - WITHAM, W. Tasker:<br />

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397 - WOLFE, Bernard:<br />

uUnc~e Remus and the Malevolent Rabbit;' Commentary,<br />

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398 - ZEITLOW, Edward R.:<br />

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- 341 -<br />

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======================================<br />

AFRO-AMERICAINS<br />

===============<br />

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L'Image du Blanc dans la Littérature Noire Américaine<br />

Depuis 1940.(Fabre,Michel,Paris III),D.E.1978-02.<br />

2 - CHAR<strong>LE</strong>RY, Maryvonne:<br />

Les Ecrivains Afro-Américains face aux Problèmes de<br />

la Négritude. Tours (Le Moal,Paul)1973. 3è Cycle.<br />

3 - FREY, Bernard:<br />

Mythe et Réalité dans le Roman Noir-Américain avec<br />

une Référence Spéciale aux Romans de R. Wright, James<br />

Baldwin, et R. Ellison.<br />

4 - GOUNARD, Jean-François:<br />

Le Problème Noir et son Avenir, Tel qu'il est dans<br />

les Oeuvres de R. Wright, J.Baldwin et R.Ellison.<br />

Béranger Jean, 1967-12: Le Problème Noir dans l'Oeuvre<br />

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5 - LAURENT, Dominique:<br />

"Black is Beautiful" ou la Genèse de la Notion de<br />

Négritude dans la Littérature Afro-Amérioaine. ParisIV,<br />

Asselineau.74-01/78-11.<br />

6 - MAHE, Anita:<br />

La Symbolique dans l'Oeuvre Romanesque de R. Ellison,<br />

Paris III, Fabre, Miohel, 76-11.<br />

7 - ME HU , Maurice:<br />

La Négritude et les Ecrivains Noirs Américains,<br />

Paris Sorbonne, Asselineau, 1970, D.U.<br />

8 - PAMELA, Claudine(née Richard):<br />

La Position du Colonisé et son Exploitation Romanesque<br />

(Améri_ue Latine, Afri~ue, Roman Noir -Américain),<br />

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9 - PFAFF, Françoise:<br />

Visible Man ou la Conception du Noir en tant que Héros<br />

dans les Réoents Films Américains. Paris 7. M.Silhol,<br />

72-11. Soutenu le 17-12-1975.<br />

10 - TIETCHEN, Pierre:<br />

Monographie Bur Invisible Man de Ralph Ellison.Nantes,<br />

Mavrocordato, Dec. 1969.


- 342 -<br />

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE SUR <strong>LE</strong> PROB<strong>LE</strong>ME NOIR AUX ETATS-UNIS.<br />

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3 - MIL<strong>LE</strong>R, Elizabeth W.:<br />

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1966.<br />

4 - SALK, Erwin A.:<br />

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5 - THOMPSON, Edgar T. and Alma M.:<br />

Race and Region: A Descriptive Bibliography, Chapel<br />

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B -<br />

OUVRAGES SUR <strong>LE</strong> PROE<strong>LE</strong>ME NOIR EN GENERAL<br />

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2 - BALDWIN, James:<br />

Notes of A Native Son, ~aoon Press, 1955.<br />

3 - BALDWIN, James:<br />

Nobody Knowe My Name:<br />

New-York, Dial Press,<br />

More Notes of a<br />

1961.<br />

Native Son,<br />

4 - BALDWIN, James:<br />

The Pire Next Time:New-York, Dial Press, 1963.<br />

5 - BALDWIN, James:<br />

No Name in the Street:New-York, Dial Press, 1972.<br />

6 - BALDWIN, James:<br />

Devil Finds Work:An Essay, New-York, Dial Press, 1976.<br />

7 - BLOOM, Leonard:<br />

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10 - CASH, W. J • :<br />

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Yves Ma1artic)Ghetto Noir, Paris,Payot, 1966.<br />

12 - COOPER, David ed.:<br />

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13 - DAEDALUS, (Fa11 1965-Winter 1966):<br />

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Meridian Books, 1964.<br />

15 - DUBOIS, Wi11iam E.B.:<br />

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16 - DUBOIS, Wi11iam E. B. : .<br />

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17 - DUBOIS, Wi11iam E.B.:<br />

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18 - ELKINS, Stan1ey H.:<br />

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20 - ERIKSON, Erik H.:<br />

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F1ammarion, 1980.


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21 - ERIKSON, Erik H.l<br />

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22 - ERIKSON, Erik H. et L.Rose ede.:<br />

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1952.<br />

24 - FONER, Phil1ip,ed.:<br />

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1950.<br />

25 - FRANKLIN, John Hope:<br />

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26 - FRAZIER, Frank1inl<br />

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27 - FRAZIER, Franklin:<br />

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28 - PRE<strong>DE</strong>RICKSON, George:<br />

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30 - HOFSTADTER, Richard, ed.:<br />

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34 - MARSHALL, Ray:<br />

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John Wi1ey


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1<br />

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61 - WRIGHT, Riohard:<br />

Black Power: A Record of Reac~ions in a Land of Pathos,<br />

New-York, Harper and Bros.,1954.<br />

62 - WRIGHT, Riohard:<br />

White Man,<br />

1958~<br />

Listen!,Garden City,New-York,Doubieday,


- 347 -<br />

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3 - DUBOIS, W.E.B.s<br />

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5 - HARLAN, Louis R.:<br />

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6 - HAWKINS, Hugh:<br />

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D -<br />

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1 - CRONON, E.D.:<br />

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1965.<br />

2 - GARVEY, Marcus:<br />

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3 - DRAPER, Theodore:<br />

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4 - ESSIEN-UDOM E.U.:<br />

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5 - FRAZIER, Franklin:<br />

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348.<br />

E -<br />

SUR <strong>LE</strong> COMMUNISME ET <strong>LE</strong>S NOIRS AUX ETATS-UNIS<br />

1 - Amerioan Negro (the) in the Communist Party: Committee on<br />

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2 - DRAPER, Theodore:<br />

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Viking Press, 1960.<br />

3 - HALL, G.:<br />

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Publishers, 1951.<br />

4 - HUGHES, Langston:<br />

l Wonder as l Wander, New-York:Hill and Wang, 1964.<br />

5 - l'!ACKAY, Claude:<br />

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6 - WEISSKOPF, Walter A.:<br />

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7 - WILSON, Reoord:<br />

Raoe and Radicalism: The NAACP and the Communist Party<br />

in Conflict, Ithaoa, New-York:Cornell University Press<br />

1964.


- 349 -<br />

Faces<br />

INTRODUCTION<br />

EB!tl±~~_iiB!f~: I~YI§f~±bI!~_S2t~~_Y!Sg.tlf§IQB±@~<br />

DU NOIR. (Une lecture socio-historique<br />

w=__.w=_<br />

de Homme Invisible. Pour qui Chantes-tu?) 37<br />

l - Booker T. Washington et l'idéologie du nationalisme<br />

"assimilateur" et du développement séparé<br />

au Sud. 47<br />

A - La mystique de l'instruction 48<br />

B - L'histoire à rebours ou la<br />

faillite de l'idéologie de<br />

B. T •Washington. 62<br />

C - Apologie d'une société fondée<br />

D -<br />

sur la puissance de l'argent. 64<br />

Le mythe de l'éducation en tant<br />

que facteur de mobilité sociale. 69<br />

E - Le Noir, bouc émissaire. 73<br />

F - L'impossible reconnaissance. 79<br />

G - Un maître mot: le pouvoir. 84<br />

II - Le mirage du Nord. 89<br />

A - Sur le marché de l'emploi. 93<br />

B - Pureté et politique exclusionniste.<br />

94<br />

C - Rigueurs du monde industriel. 96<br />

D - Les Noirs et le syndicalisme. 100<br />

E - Une exploitation majeure:<br />

l'ignorance de sa propre exploitation.<br />

104<br />

F - Conditionnement à la machine et<br />

aux rigueurs de la vie industrielle.<br />

105<br />

G - Vers la découverte et l'acceptation<br />

de soi. 108<br />

H - Rupture avec un certain passé. 109


- 350 -<br />

Pages<br />

-.... ïT<br />

.J...J...J.. - L- engagement politique: une impasse. 1 1 f1<br />

.. - Clifton O~ l'aMertu~c ~cc<br />

désespoir.<br />

B - Le nationalisme séparatiste.<br />

C - La nécessité historique: un<br />

leurre ?<br />

IV - Rinehart t le virtuose de l'identité.<br />

120<br />

123<br />

126<br />

129<br />

<strong>DE</strong>UXIEME .w= PARTIE: w== • INVISIBILITE w ET== I<strong>DE</strong>NTITE. ._.w=_<br />

142<br />

l - Une époque de doutes.<br />

143<br />

II - Identité et invisibilité.<br />

151<br />

III- Identité et réalité: une vision de chaos et<br />

d'ordre.<br />

170<br />

IV - Plaidoyer pour l'ordre.<br />

177<br />

V - Identité culturelle: Américaine ou Négro-Américaine<br />

?<br />

180<br />

VI -"L'harmonie subtile de l'invisible discordance<br />

et du visible égnigmatique." 213<br />

±B2!§±~~_E~B±!~: !liY!§±~!ti±±~_22tl~_B!Y2tiI~_~§!~I!S2!<br />

ET MORA<strong>LE</strong>. 235<br />

___www•••<br />

l - La philosophie du jazz. 242<br />

II - Virtuosité technique et moralité. 244<br />

III- Contre la ségrégation de l'esprit et le réductionnisme.<br />

246<br />

IV - L'héroïsme du blues.<br />

251<br />

V - Célébration de l'individu.<br />

260<br />

VI - Invisibilité: révolte morale et esthétique. 263<br />

t<br />

r<br />

1<br />

1<br />

t<br />

f<br />

r<br />

1<br />

1<br />

1,<br />

!


-'51 -<br />

Pages<br />

EN GUISE <strong>DE</strong> CONCLUSION 280<br />

1 -L.I invisibilité résultat dl un procès<br />

historique. 281<br />

2 - Invisibilité et identité. 282<br />

BIBLIOGRAPHIE 287<br />

TAB<strong>LE</strong> <strong>DE</strong>S MATIERES 349


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...: J ~<br />

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LIEU <strong>DE</strong><br />

LIRE<br />

Po 37" ligne 14<br />

Po 39" ligne 11<br />

leup intépêt" doit se fondep sup la<br />

péalité" même si elle est difficile<br />

000 une catégopie de politiciens blanc8 et<br />

dipigeants noips 000<br />

leup intépêt" doit se fondep sup la<br />

péalité" même si cette depnièpe est<br />

difficile "0<br />

une catégopie de politiciens blancs<br />

et de dipigeants noips<br />

Po 40" ligne 6<br />

000 les<br />

ppoblèmes de l'inseption 000<br />

les ppoblèmes pelatifs à<br />

l'inseption<br />

Po 43" lignes<br />

21-22<br />

Po 47" ligne 9<br />

P. 49" ligne 21<br />

Po 53"ligne 15<br />

Po 56" lignes<br />

5-6<br />

Po 58" lignes<br />

17-18<br />

On<br />

ne peut qu'êtpe du même avis que<br />

GoMo Fp~dêpikson 000<br />

La ppemièpe tâche que s'assigne BoToWashington<br />

est de leup foupnip une éducation 000<br />

opiniatpeté 0<br />

0 0<br />

Calvin Coolodge<br />

l'offensive contpe les Noips devenus<br />

boucs émissaipes battait son plein,<br />

Il sepvait à mepveille les desseins des<br />

blancs qui ne pouvaient voip en lui qu'un<br />

allié de valeupo Ce qu'il faisait était<br />

de pendpe les Noips pesponsables<br />

On ne peut que paptagep l'avis de<br />

GoMo Fpedepikson ...<br />

La ppemièpe tâche que s'assigne<br />

B. T 0 Washington est de leup en foupnip<br />

une<br />

opiniâtpeté<br />

Calvin Coolidge<br />

l'offensive contpe les Noips"<br />

devenus boucs émissaipes" battait son<br />

plein L -<br />

Il sepvait à mepveille les desseins des<br />

Blancs qui voyaient en lui un allié de<br />

valeupo En effet il pendait les Noips<br />

pesponsables<br />

Po 88" ligne 12<br />

Des<br />

légendes doivent êtpe encope cpéés<br />

• 0 • Des<br />

légendes doivent êtpe encope cpéées.<br />

Po 89" ligne 6<br />

où le jeune étudiant a manifesté le<br />

désip de se pendpe à la suite de son<br />

expulsion, cap il espèpe 0'0<br />

où le jeune étudiant a manifesté le<br />

désip de se pendpe à la suite de son<br />

expulsion ; en effet il espèpe 00'


'\<br />

P. 90, ligne 6<br />

... sans aucun souci de les voi~ appliquer<br />

concrètement<br />

... sans aucun souci de les voi~<br />

appliqués conc~ètement<br />

- 2 -<br />

P. 99, ligne 33<br />

dès qu'un ongle la g~attait<br />

dès qu'une ongle la grattait.<br />

P. 104, ligne 28 l''if you'~e white, you're ~ight, il you'~e<br />

black ... "<br />

il you'~e<br />

black<br />

P. 113, lignes<br />

14-16<br />

P. 112, ligne 21<br />

P. 116, ligne 28<br />

P. 133, l. 32<br />

P. 135, l. 1<br />

P.13?, l. 4<br />

P. 138, l. 21<br />

P. 148, Notes<br />

inf~a-paginales<br />

(1) et (2)<br />

... out~e qu'ils font de la blancheur le<br />

paragon de la beauté et asseyent la notion<br />

de bonheu~ su~ des bases mystificat~ices,<br />

visent tous comptes faits à perpétue~<br />

A partir de ce moment ..<br />

... de chaque g~oupe ethnique sans parattre<br />

en contradiction ...<br />

... il le leu~ lâche~ait comme un tonner~e.<br />

Tout son désir était de se ~app~oche~ physiquement<br />

avec le "f~è~e tabou ...<br />

les tâches qu'ils se sont assignés<br />

le nar~ateur che~che à se déguise~,<br />

... au lieu des pages 89 et 125<br />

... out~e qu'elle fait de la blancheur<br />

le pa~angon de la beauté et fait repose]<br />

la notion de bonheur su~ des bases myst.<br />

ficat~ices,vise tous comptes faits ...<br />

A pa~ti~ de ce moment-là ...<br />

. .. de chaque g~oupe emnique sans<br />

pa~attre être en cont~adiction<br />

. .. il le leu~ lâche~ait comme un<br />

tonne~~e .i.<br />

Tout son désir était un ~app~ochement<br />

physique avec le f~ère tabou ...<br />

les tâches qu'ils se sont assignées.<br />

le na~rateu~ che~che à se déguiser<br />

de nouveau ...<br />

lire P. 123 et 93<br />

P. 154, l. 16- l?IIl s'insè~e tant et si bien dans le plan de<br />

Norton, qu'il sentait qu'il participait à une<br />

grande oeuv~e ~ien qu'à écouter le verbiage<br />

creux du philanthrope blanc ...<br />

Il s'insère tant et si bien dans le plal<br />

de No~ton qu'à la simple écoute du<br />

ve~biage creux du philanth~ope blanc,<br />

il se sentait pa~ticiper à une g~ande<br />

oeuv~e :


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.. 3 ..<br />

P. 155~ l. 16<br />

Po 160~ L 10<br />

oooalors qu'en réalité c'est lui qui utilise 10 .. c'est lui qui utilise ce dernier<br />

le Blanc<br />

00' tout ce que produit leur race renforce uni 0 • 0 tout ce que produit !!.E.. race renforce<br />

un peu plus leur inféodation un peu plus Bon inféodation 0.0<br />

P. 160~ l. 31<br />

P. 162~ L 37<br />

P. 166~ L 18<br />

P. 171~ L 2<br />

L 6<br />

L 20<br />

o.. de façon différente de celle des autres<br />

La seule façon d'éviter un renouvellement de<br />

ce gaspillage .0.<br />

Rinehart dont l'identité s'établit sur<br />

le rejet de tout contrôle ...<br />

une volonté propre et un pensée autonome<br />

une société chaotique comme celle de l'Oklahoma<br />

permet le développement .0.<br />

Mais le chaos n'est p( s seulement<br />

... d'une façon différente de celle des<br />

autres<br />

La seule façon d'éviter le renouvellement<br />

de ce gaspillage 000<br />

... Rinehart dont l'identité s'établit sur<br />

le refus de tout contrôle<br />

une volonté propre et une pensée autonome<br />

une société chaotique comme celle de<br />

l'Oklahoma favorise le développement 0.0<br />

Cependant~ le chaos ne réside pas seu~'<br />

lement o ••<br />

Po 173~ L 34<br />

Ainsi les jeunes Zazous que<br />

croise . ..<br />

le narrateur<br />

le narra­<br />

Exemples? les jeunes zazous que<br />

teur croise '00<br />

Po 176~L 9 De toute façon~ rien ajoute le narrateur~ ... \ De toute façon~ rien~ ajoute le narrateur<br />

P. 177~ L 1<br />

Po 182~ l. 3<br />

P. 190~ L 25<br />

P. 191~ L 31<br />

Ralph ellison .00<br />

•• 0 ~ith our variety of radical and national<br />

traditions.o.<br />

.0. d'une expérience myhtique née dans un<br />

monde<br />

o •• se concilier les dieux et d'éloigner la<br />

mauvaise chance ...<br />

Ralph Ellison .00<br />

.0. ~ith our variety of racial and nationai<br />

traditions. '0<br />

.0. d'une expérience ~ythique née dans un<br />

monde . 0 0<br />

... se concilier les dieux et d'éloigner<br />

le mauvais sort .0.<br />

/


.. 4 -<br />

P. 191, l. 32<br />

" " " 35<br />

P. 192, l. 8<br />

P. 204, l. 20<br />

P. 205, l. 12-<br />

13<br />

P. 206, l. 34<br />

Il interprête dans le même temps ce même<br />

épisode comme un rite d'initiation, de<br />

passage de l'enfance à l'âge adulte<br />

... lorsqu'il affirme n'avoir pas inventé<br />

le passage ...<br />

... Youngblood<br />

Le vautour qUL représente le parasite<br />

qui, pour survivre ...<br />

... entonne une chanson mélodieuse<br />

funèbre ;<br />

to subvert ald Marster intentions ; ...<br />

Il interprète dans le même temps cet<br />

épisode comme un rite d'initiation et de<br />

passage de l'enfance à l'âge adulte-·-...<br />

... lorsqu'il affirme ne pas avoir inventé<br />

le passage ...<br />

... Youngsblood<br />

Le vautour, symbole du parasite qui pour<br />

survivre ...<br />

. .. entonne une mélodie funèbre;<br />

to subvert ald Marster's intentions; ...<br />

P. 207, l. 7<br />

dans le but d'éviter d'avoir à con- ,... dans le but d'éviter d'avoir à confronte1<br />

fronter l'humanité de celui-ai au détriment l'humanité de celui au détriment de qui ...<br />

de qui ...<br />

P. 208, l. 7<br />

P. 215, l. 4<br />

P. 221, l. 8<br />

... les thuriféraires de ce principe et<br />

de ce monde.<br />

.•. il ne l'investit pas dans l'action<br />

comme Todd Clifton ou Rinehart. -<br />

Mais tout en lui trahit le passé<br />

. .. les thur~aires de ce principe et de ce<br />

Imonde :<br />

il ne l'investit pas dans l'action comme<br />

Tod Ciifton ou Rinehart.<br />

Cependant tout en lui trahit le passé ...<br />

P. 233, l. 15<br />

dans le contexte élargi du myhte occid?n-'" \dans le contexte élargi du mythe occidental...<br />

tal<br />

P. 248, l. 3-4<br />

à tuer le roman plutôt que de modifier<br />

leurs présomptions à propos de la réalité<br />

que l'oeuvre cherche, dans ses propres<br />

termes à projeter.<br />

... à tuer le roman plut8t que de modifier<br />

leurs préc~n~epti~ns à propos de la réalité<br />

que l'o~uvre cherche, dans ses propres<br />

termes L à projeter.


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LIEU <strong>DE</strong><br />

LIRE<br />

lb<br />

P. 37, ligne 14<br />

P. 39, ligne 11<br />

leur intérêt, doit se fonder sur la<br />

réalité, même si elle est difficile<br />

... une catégorie de politiciens blancs et<br />

dirigeants noirs ...<br />

leur intérêt, doit se fonder sur la<br />

réalité, même si cette dernière est<br />

difficile ••.<br />

une catégorie de politiciens blancs<br />

et de dirigeants noirs '<br />

P. 40, ligne 6<br />

... les problèmes de l'insertion ...<br />

les problèmes relatifs à<br />

l'insertion<br />

P. 43, lignes<br />

21-22<br />

P. 47, ligne 9<br />

P. 49, ligne 21<br />

P. 53, ligne 15<br />

P. 56, lignes<br />

5-6<br />

P. 58, lignes<br />

17-18<br />

On ne peut qu'être du même avis que<br />

G.M. Fredërikson ...<br />

La première tâche que s'assigne B.T.WashingtDn<br />

est de leur fournir une éducation ...<br />

opiniatreté ...<br />

Calvin Coolodge<br />

l'offensive contre les Noirs devenus<br />

boucs émissaires battait son plein,<br />

Il servait à merveille les desseins des<br />

blancs qui ne pouvaient voir en lui qu'un<br />

allié de valeur. Ce qu'il faisait était<br />

de rendre les Noirs responsables<br />

On ne peut que partager l'avis de<br />

G.M. Frederikson ...<br />

La première tâche que s'assigne<br />

B. T. Washington es t de leur ~ fournir<br />

une<br />

opiniâtreté<br />

Calvin Coolidge<br />

l'Offensive contre les Noirs,<br />

devenus boucs émissaires, battait son<br />

plein L -<br />

Il servait à merveille les desseins des<br />

Blancs qui voyaient en lui un allié de<br />

valeur. En effet il rendait les Noirs<br />

responsables<br />

P. 88, ligne 12<br />

Des<br />

légendes doivent être encore créés<br />

Des<br />

légendes doivent être encore créées.<br />

P. 89, ligne 6<br />

où le jeune étudiant a manifesté le<br />

désir de se rendre à la suite de son<br />

expulsion, car il espère ...<br />

où le jeune étudiant a manifesté le<br />

désir de se rendre à la suite de son<br />

expulsion L en effet il espère ...


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- 2 -<br />

P. 90 3 ligne 6<br />

P. 99 3 ligne 33<br />

P. 104 3 ligne 28<br />

P. 113 3 l1.:gnes<br />

14-16<br />

P. 112 3 ligne 21<br />

P. 116 3 ligne 28<br />

P. 133 3 l. 32<br />

P. 135 3 l. 1<br />

P.137 3 l. 4<br />

... sans auoun souoi de les voir appliquer<br />

oonorètement<br />

dès qu'un ongle la grattait<br />

"if you're white 3 you're right 3 il you're<br />

blaok ... "<br />

... outre qu'ils font de la blanoheur le<br />

paragon de la beaut' et asseyent la notion<br />

de bonheur sur des bases mystifioatrioes 3<br />

visent tous oomptes faits à perp'tuer<br />

A partir de oe moment ..<br />

... de ohaque groupe ethnique sans parattre<br />

en oontradiotion ...<br />

... il le leur lâoherait oomme un tonnerre.<br />

Tout son d'sir était de se rapprooher physiquement<br />

aveo le "frère tabou .. ,<br />

les tâohes qu'ils se sont assignés<br />

... sans auoun souoi de les voir<br />

appliqués oonorètement<br />

dès qu'une ongle la grattait.<br />

il you're blaok<br />

... outre qu'elle fait de la blanoheur<br />

le parangon de la beauté et fait repose]<br />

la notion de bonheur sur des bases myst1<br />

fioatrioes 3 vise tous oomptes faits ...<br />

A partir de oe moment-là ...<br />

... de ohaque groupe eUnique sans<br />

parattre être en oontradiotion<br />

. .. il le leur lâoherait oomme un<br />

tonnerre L<br />

Tout son désir était un rapproohement<br />

physique aveo le frère tabou .. ,<br />

les tâohes qu'ils se sont assignées.<br />

P. 138 3 l. 21<br />

le narrateur oherohe à se déguiser 3 •••<br />

le narrateur oherohe à<br />

de nouveau ...<br />

se déguiser<br />

P. 148 3 Notes<br />

infra-paginales<br />

(1) et (2)<br />

... au lieu des pages 89 et 125<br />

lire P. 123 et 93<br />

P. 154 3<br />

l. 16- 171Il s'insère tant et si bien dans le plan de<br />

Norton 3 qu'il sentait qu'il partioipait à une<br />

grande oeuvre rien qu'à éoouter le verbiage<br />

oreux du philanthrope blanc ...<br />

Il s'insère tant et si bien dans le plal<br />

de Norton qu'à la simple éooute du<br />

verbiage oreux du philanthrope blano 3<br />

il se sentait partioiper à une grande<br />

oeuvre :


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• 3 -<br />

Po 155~ te 16<br />

oooalors qu'en réalité c'est lui qui utilise 1000<br />

.le Blanc<br />

c'est lui qui utilise ce dernier<br />

Po 160~ te 10 000 tout ce que produit leur race renforce<br />

un peu plus leur inféodation<br />

uni 000<br />

tout ce que produit sa race renforce<br />

un peu plus son inféodation 000<br />

Po 160~ l. 31<br />

Po 162~ te 3?<br />

Po 166~ Z. 18<br />

Po 1?1~ Z. 2<br />

Z. 6<br />

Z. 20<br />

000 de façon différente de celle des autres<br />

La seule façon d'éviter un renouvellement de<br />

ce gaspillage 000<br />

Rinehart dont l'identité s'établit sur<br />

le rejet de tout contrôle 000<br />

une volonté propre et un pensée autonome<br />

une société chaotique àomme celle de l'Oklahoma<br />

permet le développement 000<br />

Mais le chaos n'est pas seulement<br />

000 d'une façon différente de celle des<br />

autre-s--<br />

La seule façon d'éviter le renouvellement<br />

de ce gaspillage 000<br />

0'0 Rinehart dont l'identité s'établit ·sur<br />

le refus de tout contrôle<br />

une volonté propre et une pensée autonome<br />

une société chaotique comme celle de<br />

l'Oklahoma favorise le développement 000<br />

Cependant~ le chaos ne réside pas seu~<br />

lement 000<br />

Po 1?3~ Z. 34<br />

Ainsi les jeunes Zazous que<br />

le narrateur<br />

Exemples? les jeunes zazous que<br />

le narra­<br />

croise 000<br />

teur croise 000<br />

Po 176~Z. 9 De toute façon~ rien ajoute le narrateur~ 0001 De toute façon~ rien~ ajoute le narrateur<br />

Po 1??~ Z. 1<br />

Po 182~ Z. ;)<br />

Po 190~ lo 25<br />

Po 191~ Z. 31<br />

Ralph ellison 000<br />

000 with our variety of radical and national<br />

traditions.o.<br />

0.0 d'une expérience myhtique née dans un<br />

monde<br />

0'0 se concilier les dieux et d'éloigner la<br />

mauvaise chance .00<br />

Ralph Ellison 000<br />

000 with our variety of racial and national<br />

traditions 0 00<br />

000 d'une expérience ~ythique née dans un<br />

monde 0 0 0<br />

000 se concilier les dieux et d'éloigner<br />

le mauvais sort 000


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.. 4 -<br />

P. 191, "l. 32<br />

1/<br />

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P. 192, L- B<br />

Il interprête dans le même temps ce même<br />

~pisode comme un rite d'initiation, de<br />

passage de l'enfance à l'âge adulte<br />

... lorsqu'il affirme n'avoir pas invent~<br />

le passage ...<br />

... Youngblood<br />

Il interpr~te dans le même temps cet<br />

~pisode comme un rite d'initiation et de<br />

passage de l'enfance à l'âge adulte-·-...<br />

... lorsqu'il affirme ne pas avoir invent~<br />

le passage ...<br />

... Youngsblood<br />

P. 204, l. 20<br />

Le vautour que rep~ésente le parasite<br />

qui, pour survivre ...<br />

Le vautour,<br />

survivre ...<br />

symbole du parasite qui pour<br />

P. 205, l. 12-<br />

13<br />

P. 206, "l. 34<br />

... entonne une chanson m~lodieuse<br />

fun~bre ;<br />

to subvert Old Marster intentions ; ...<br />

... entonne une m~lodie fun~bre;<br />

to subvert old Marster's intentions; __ ,<br />

P. 207, l. ?<br />

dans le but d'éviter d'avoir à con- 1." dans le but d'~viter d'avoir à confrontez<br />

fronter l'humanité de celui-ci au d~triment l'humanit~ de celui au d~triment de qui ...<br />

de qui ...<br />

P. 208, l. ?<br />

... les thurifé~aires de ce principe et<br />

de ce monde.<br />

. .. les thur~aires de ce principe et de ce<br />

imonde :<br />

P. 215, l. 4<br />

... il ne l'investit pas dans l'action<br />

comme Todd Clifton ou Rinehart.<br />

il ne l'investit pas dans<br />

Tod Clifton ou Rinehart.<br />

l'action comme<br />

P. 221, l. 8<br />

P. 233, l. 15<br />

P. 248, "l. 3-4<br />

Mais tout en lui trahit le pass~<br />

dans le contexte ~lar~i du myhte occid?n-~<br />

tal<br />

à tuer le roman plutôt que de modifier<br />

leurs pr~somptions à propos de la r~alit~<br />

que l~euvre cherche, dans ses propres<br />

termes à projeter.<br />

Cependant tout en lui trahit le pass~ ...<br />

dans le contexte ~largi du mythe occidental...<br />

•.. à tuer le roman plut8t que de modifier<br />

leurs préc~n~~p~i~~s à propos de<br />

que l'o~uvre cherche, dans ses propres<br />

termes L<br />

à projeter.<br />

la r~alit~


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P. 249~ Z. 19<br />

.. 5 -<br />

... espeaially following the Reaonstitutio~... espeaially following the Reaonst~ucti6n"<br />

P. 251 ~ Z. 12<br />

Z. 17<br />

airaonstanaes 3uaeptibles d'émasauler<br />

l'homme '"<br />

ahaque évènement<br />

- airaonstanaes susaeptibles d'émasauLer<br />

l'homme . ..<br />

ahaque événement ...<br />

P. 259~ Z. 8<br />

la vie étant elle-même absurde, vaut<br />

la peine d'être.<br />

la vie étant elle-même absurde~<br />

la peine d'être véaue.<br />

vaut<br />

P. 27 2~ Z. 27-<br />

28<br />

P. 276~ Z. 29<br />

Aussi R. Ellison reaourt-il aux perspeatives<br />

multiples, au aourant de aonsaienae,<br />

au surréalisme pour révéler un monde ...<br />

... On retrouvera ae modèle ahez Hiakman<br />

et le Sénateur Sunraider.<br />

Aussi R. Ellison reaourt-il aux pe~speatives<br />

multiples~ au aourant de aonsaienae~ pour<br />

révéler un monde...<br />

On retrouve ae modèle ahez Hiakman et le<br />

Sénateur Sunraider.<br />

P. 2 78~ Z. 1<br />

... nous savons que un des rôles de la<br />

aomédie est ...<br />

nous savons qu'un des rôles de<br />

est<br />

la aomédie<br />

P. 283~ Z. 6-7<br />

... les ahoix sont diatés par les airaoonstanaes<br />

et les situations.<br />

les ahoix sont diatés par les airaonstanaes<br />

et les situations.

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