Analyse de la dynamique d'intégration des connaissances ... - Inra
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PROET BemisiaRisk Contrat PSDR ClimBioRisk <br />
ANR05PADD004 P003024 <br />
<strong>Analyse</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> d'intégration <strong>de</strong>s<br />
<strong>connaissances</strong> scientifiques et techniques<br />
dans <strong>la</strong> fabrique d’une gestion du risque<br />
Giovanni Prete, M. Barbier (UR 1326, INRA SenS)<br />
Equipe 6 WP1 Tâche 3 <br />
Version non validée par les participants du projet<br />
Les propos n’engagent que les auteurs<br />
This work was carried out with the financial support of the « ANR-<br />
Agence Nationale <strong>de</strong> <strong>la</strong> Recherche - The French National Research<br />
Agency » un<strong>de</strong>r the « Programme Agriculture et Développement<br />
Durable », project « ANR-05-PADD-015, PRODD ».<br />
Ce travail a bénéificié du soutien financier du contrat <strong>de</strong><br />
recherche ClimBioRisk P003024 dans le cadre du Programme PSDR3<br />
2007 – Languedoc Roussillon<br />
Juin 2010<br />
1
Sommaire <br />
I LES SCIENTIFIQUES DANS LA VIGILANCE ET L’ALERTE SANITAIRE <br />
A ‐ INTRODUCTION <br />
B ‐ LANCER L’ALERTE, ETRE VIGILANT: DEUX MODELES DU RAPPORT DU CHERCHEUR DANS LA <br />
« DECOUVERTE » DES RISQUES PHYTOSANITAIRES <br />
C ‐ ENTRE L’ALERTE ET VIGILANCE <br />
<br />
II FAIRE SCIENCE SUR DES PESTES AGRICOLES : UNE QUESTION DE DYNAMIQUE DE <br />
PROGRAMMATION SCIENTIFIQUE <br />
A ‐ INTRODUCTION <br />
B ‐ BEMISIAVIROSES : UN PROGRAMME SCIENTIFIQUE « EMBLEMATIQUE » QUI CONSTRUIT LE RISQUE <br />
C ‐ ANALYSE DE LA CONFIGURATIONS DE MOBILISATION <br />
<br />
III LA RECHERCHE CONFINEE, PROCESSUS DE NORMALISATION DES ACTIVITES <br />
EXPERIMENTALES SUR LES ORGANISMES DE QUARANTAINE <br />
A ‐ INTRODUCTION <br />
B ‐ LE CONFINEMENT: UN PROCESSUS DE NORMALISATION DES ACTIVITES SCIENTIFIQUES <br />
EXPERIMENTALES NEGOCIE <br />
C ‐ LA NORMALISATION COMME PROCESSUS DE CONCEPTION LOCALISEE : LE CONFINEMENT DE DEUX <br />
INSTALLATIONS EXPERIMENTALES <br />
D ‐ CONCLUSION <br />
<br />
IV QUAND UN FOYER ECLATE: LA RECHERCHE AUDELA DE L'EXPERTISE <br />
A ‐ INTRODUCTION <br />
B ‐ DEUX FOYERS SANITAIRES TERRITORIALISES <br />
C ‐ LA RECHERCHE DANS LA GESTION DES FOYERS <br />
<br />
V L’EPIDEMIOSURVEILLANCE, ENTRE RECHERCHE ET GESTION, UNE ACTIVITE<br />
FRONTIERE <br />
A ‐ INTRODUCTION <br />
B ‐ LES CONTEXTES DE SURVEILLANCE D’ORGANISMES DE QUARANTAINE <br />
C ‐ L’ACTIVITE SCIENTIFIQUE, ENTRE RECHERCHE EPIDEMIOLOGIQUE ET <br />
« 'EPIDEMIOSURVEILLANCE » <br />
D ‐ CONCLUSION: POUR UNE VISION POLITIQUE DE LA SURVEILLANCE <br />
<br />
BIBLIOGRAPHIE <br />
3
I - Les scientifiques dans <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce et l’alerte sanitaire<br />
A - Introduction<br />
La littérature sur les risques met en avant une figure principale par rapport <strong>la</strong> question<br />
<strong>de</strong>s alertes sanitaires, celle du <strong>la</strong>nceur d’alerte. Figure individuelle, entrepreneur du risque, il<br />
est celui qui, contre d’autres acteurs, tente d’attirer l’attention sur un problème qui n’a pas été<br />
pris en compte suffisamment par les pouvoirs publics ou son organisation d’appartenance et<br />
qui pour ce<strong>la</strong> investit les médias ou les mouvements sociaux afin <strong>de</strong> dé-confiner un enjeu et<br />
<strong>de</strong> l’inscrire sur l’agenda : André Cicolle<strong>la</strong> qui alerte sur les risques liés aux éthers <strong>de</strong> glycol<br />
(Jouzel 2007) ; Gilles-Eric Seralini ou Putzai qui dénoncent les risques liés aux OGM et le<br />
fonctionnement <strong>de</strong> l’appareil d’expertise sur cette question (Roy 2001; Bonneuil and Joly<br />
2007) ; Pierre Meneton qui alerte sur <strong>la</strong> teneur en sel dans les aliments produits par l’industrie<br />
agroalimentaire (Dep<strong>la</strong>u<strong>de</strong> and Torny 2009)…sont les représentants bien connus <strong>de</strong> cette<br />
figure. Celle-ci a connu une importance grandissante <strong>de</strong>puis les années 1980. Après <strong>la</strong> figure<br />
du « savant engagé » et celle du « chercheur responsable », elle incarne un rapport du<br />
scientifique au politique à <strong>la</strong> fois plus spécifique, plus ponctuel dans un contexte <strong>de</strong> reflux<br />
général <strong>de</strong> l’engagement (Bonneuil 2006) et avec <strong>de</strong>s relocalisations <strong>de</strong> cet engagement dans<br />
<strong>de</strong>s configurations plus institutionnelles comme dans l’expertise scientifique (Granjou et<br />
Barbier, 2005; Granjou et Barbier, 2010). Sans sous-estimer son importance, nous allons voir<br />
que <strong>la</strong> position <strong>de</strong> <strong>la</strong>nceur d’alerte n’est pas l’unique rapport dans lequel un chercheur peut se<br />
trouver vis-à-vis d’une activité constituée comme risque et qu’il est même un rapport assez<br />
exceptionnel, produit <strong>de</strong> configurations particulières (Bernstein and Jasper 1996;<br />
Chateaureynaud and Torny 1999). Nous faisons ainsi l’hypothèse que dans <strong>de</strong> nombreux <strong>de</strong><br />
cas <strong>de</strong> figure il existe, dans le mon<strong>de</strong> agricole et dans son encadrement, <strong>de</strong>s dispositifs<br />
d’action collective au sein <strong>de</strong>squels les scientifiques (chercheurs, enseignants-chercheurs,<br />
ingénieurs) adopte <strong>de</strong>s positions <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce et d’engagement au sein même <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong><br />
leurs activités. Les situations <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> bio-agresseurs invasifs, d’autant plus quand ils<br />
sont <strong>de</strong> quarantaine et à déc<strong>la</strong>ration obligatoire, sont <strong>de</strong>s situations c<strong>la</strong>ssiques et néanmoins<br />
limites en protection <strong>de</strong>s cultures qui appellent <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce et l’alerte. Elles présentent donc<br />
une acuité particulière pour <strong>la</strong> recherche en sciences sociales sur les risques.<br />
Les différentes situations étudiées dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> thèse en cours d’achèvement <strong>de</strong> G.Prete<br />
montrent que ce rapport à l’alerte sanitaire ne se construit pas uniquement dans une<br />
configuration <strong>de</strong> <strong>la</strong>nceur d’alerte mais –et <strong>de</strong> manière certainement plus courante et moins<br />
« bruyante »- dans une configuration <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is d’alerte peu ou pas publicisée, à l’intérieur <strong>de</strong><br />
dispositifs existants, sur un mo<strong>de</strong> assez peu conflictuel. A <strong>la</strong> figure du <strong>la</strong>nceur d’alerte, que<br />
l’on peut évoquer dans l’une <strong>de</strong>s situations étudiées, nous proposons donc celle <strong>de</strong> l’opérateur<br />
<strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce, en lien avec une forme particulière d’engagement professionnel à caractériser.<br />
De l’alerte à <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce il y a un changement dans les configurations et les situations<br />
actancielles que décrivent les acteurs et ce<strong>la</strong> n’est pas sans lien avec les situations <strong>de</strong> travail et<br />
donc les formes sociales du travail <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche.<br />
En prenant le cas d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bemisia Tabaci et du TYLCV, s’ajoute à ce cadre général un<br />
genre nouveau <strong>de</strong> problème d’action collective qui provient du fait que <strong>de</strong>s pratiques<br />
standards et régulées en protection <strong>de</strong>s végétaux doivent s’exercer dans un contexte écosystémique<br />
et socio-écologique particulier et durablement installé. Nous voulons indiquer ici<br />
que <strong>la</strong> production <strong>de</strong> légumes sous serre se réalisent dans une mutation <strong>de</strong> <strong>la</strong> pression <strong>de</strong>s<br />
bioa-gresseurs par <strong>la</strong> conjonction potentielle du changement climatique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> globalisation<br />
<strong>de</strong>s échanges d’une part, et que l’organisation d’ensemble du système <strong>de</strong> connaissance<br />
5
agricole vit <strong>de</strong>s transformations assez profon<strong>de</strong> d’autre part (réforme du conseil agricole,<br />
affirmation d’une offre <strong>de</strong> recherche finalisée et d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s instituts agricoles, refonte du<br />
dispositif d’alerte agricole, mutation <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> PV, scientifisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
agronomique).<br />
Le propos <strong>de</strong> ce rapport est ainsi <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> façon compréhensive à partir d’étu<strong>de</strong>s<br />
empiriques et d’observations participantes <strong>de</strong>..<br />
B - Description <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce dans le cas Bemisia TYLCV<br />
1) TYLCV : <strong>la</strong> recherche comme opérateur <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce dans <strong>de</strong>s <br />
arènes confinées <br />
Dans le cas <strong>de</strong> l’émergence du TYLCV en Pyrénées Orientales, si <strong>de</strong>s chercheurs<br />
participent, en amont <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> foyers <strong>de</strong>s pathogènes, à un travail collectif <strong>de</strong><br />
vigi<strong>la</strong>nce, c’est dans <strong>de</strong>s agencements col<strong>la</strong>boratifs impliquant <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s autorités<br />
sanitaires et <strong>de</strong>s organisations professionnelles, et dans une perspective peu ou pas critique<br />
que l’alerte opère. La saisie empirique <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> travail est beaucoup plus délicate que<br />
celle d’un <strong>la</strong>ncement d’alerte dans <strong>la</strong> mesure où il s’inscrit dans <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> ce que l’on<br />
peut appeler l’activité quotidienne <strong>de</strong>s acteurs : une réunion <strong>de</strong> travail mensuelle, un colloque,<br />
un coup <strong>de</strong> téléphone…autant <strong>de</strong> situations où les acteurs peuvent échanger <strong>de</strong>s informations<br />
sur un pathogène, partager leurs préoccupations, construire progressivement une vigi<strong>la</strong>nce et<br />
un risque et qui <strong>la</strong>issent souvent peu <strong>de</strong> traces. Il faut alors s’en remettre aux entretiens mais<br />
également tenter, par le croisement <strong>de</strong> données très hétérogènes, <strong>de</strong> saisir ces agencements 1 .<br />
a) TYLCV : La construction d’une vigi<strong>la</strong>nce en arène par <br />
l’administration scientifique <br />
Dans un dossier comme Diabrotica une alerte scientifique avait été adressée aux<br />
pouvoirs publics à partir <strong>de</strong> 1997, sur un mo<strong>de</strong> re<strong>la</strong>tivement formel, pour les inciter à<br />
renforcer le dispositif <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce et à préparer <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte. En ce qui concerne le<br />
virus TYLCV, ce sont <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV qui vont être à l’initiative d’un tel travail visant à<br />
construire l’apparition du TYLCV comme un risque <strong>de</strong>vant faire l’objet d’une surveil<strong>la</strong>nce et<br />
d’une activité renforcée. Cependant, ce travail ne se fait pas sans lien avec <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
recherche.<br />
De fait, plusieurs chercheurs français, à l’INRA et ailleurs, sont engagés <strong>de</strong>puis les années<br />
1970 sur <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong>s géminivirus <strong>de</strong> <strong>la</strong> tomate dans une perspective africaine et<br />
tropicale 2 . Un chercheur <strong>de</strong> l’INRA qui travaille sur le TYLCV dans le cadre <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borations<br />
1 On voit là comment le travail doit se démarquer <strong>de</strong> l’approche pragmatiste <strong>de</strong>s <strong>la</strong>nceurs d’alerte.<br />
2 Le chercheur <strong>de</strong> l’INRA travaille avec un chercheur <strong>de</strong> l’ORSTOM qui a intégré une équipe qui, dès les années<br />
1970, avait travaillé sur le TYLCV. Cf. «Impact du yellow leaf curl (TYLCD) sur <strong>la</strong> production <strong>de</strong> tomate en<br />
Cote-d’ivoire. Par Fauquet C. et Thouvenel JC, 22ème Conférence Internationale sur l’impact <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies à<br />
virus sur le développement <strong>de</strong>s pays africains et du moyen orient, Nairobi 2-6 décembre 1980 (archives IRD). Il<br />
travaille également avec une équipe <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong>s Sciences du Végétale à <strong>la</strong> détection et à <strong>la</strong> mise au point <strong>de</strong><br />
métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> luttes.<br />
6
à l’international 3 sur <strong>de</strong>s problématiques d’amélioration <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes et qui est rattaché à <strong>la</strong><br />
station d’Avignon est particulièrement investi. Au début <strong>de</strong>s années 1990, il profite<br />
notamment <strong>de</strong> différentes occasions pour sensibiliser les producteurs à <strong>la</strong> possibilité que le<br />
virus soit un jour introduit en France 4 . A son contact, le responsable du <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong><br />
virologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV (GRISP, situé à Avignon, qui <strong>de</strong>viendra LNPV) et une jeune ingénieure PV<br />
se persua<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> préparer une éventuelle arrivée du TYLCV, bien que du point<br />
<strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s responsables du bureau central <strong>de</strong> l’administration celui-ci ne constitue alors pas<br />
une priorité au niveau métropolitain. Le GRISP, <strong>de</strong> sa propre initiative donc, prépare une<br />
première p<strong>la</strong>quette d’information officielle sur le TYLCV en 1995 et l’ingénieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV met<br />
au point une méthodologie officielle pour <strong>la</strong> détection du virus. L’année suivante, dans<br />
l’objectif <strong>de</strong> bien vali<strong>de</strong>r celle-ci, elle organise une enquête <strong>de</strong> prospection sur le virus et son<br />
insecte vecteur dans les régions du Sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et en Ile <strong>de</strong> France -sans en trouver et<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux inspecteurs aux postes sanitaires frontaliers <strong>de</strong> renforcer <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce. Elle<br />
réussit également à être missionnée pour aller s’informer <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation en Espagne et au<br />
Portugal 5 .<br />
Son action se fait en lien étroit avec <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> recherche. Les chercheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> station<br />
d’amélioration <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes Avignon <strong>de</strong> l’INRA l’ai<strong>de</strong>nt à développer le protocole <strong>de</strong><br />
détection 6 et à rédiger les documents d’information. L’ingénieure commence également à<br />
développer <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions avec <strong>de</strong>s chercheurs du CIRAD présents à l’île <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion, après<br />
qu’un premier foyer <strong>de</strong> TYLCV a été découvert en 1997 7 . Enfin, elle échange également<br />
régulièrement avec les chercheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> station <strong>de</strong> virologie Avignon <strong>de</strong> l’INRA -avec qui elle<br />
partage les locaux-, col<strong>la</strong>borant officiellement dans <strong>de</strong>s projets communs à partir <strong>de</strong> 2001.<br />
Cette action se fait également en lien étroit avec <strong>de</strong>s agricoles <strong>de</strong> <strong>la</strong> région PACA, qu’elle<br />
informe régulièrement du risque TYLCV dans <strong>de</strong>s réunions et lors <strong>de</strong> ses prospections. En<br />
1999, elle découvre le premier foyer dans une parcelle <strong>de</strong> tomate d’industries.<br />
Logique d’engagement scientifique limitée et logique d’investissement <br />
administrative <br />
L’alerte du chercheur à l’administration sur <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> l’introduction du risque ne<br />
s’inscrit pas dans une logique d’investissement. Cette différence <strong>de</strong> logique trouve une<br />
illustration dans le caractère problématique d’utiliser <strong>la</strong> notion d’alerte pour qualifier son<br />
action : il ne le fait pas lui-même au cours <strong>de</strong>s entretiens pour décrire sa re<strong>la</strong>tion à<br />
l’administration ou aux organisations professionnelles et met en scène bien plus son activité<br />
3 Contrat TS-1A-0175F (CD) <strong>de</strong> juillet 1985 à décembre 1987 avec soutien <strong>de</strong> <strong>la</strong> CEE-DGXII. Contrat TS-2A-<br />
0055F (CD) : « création <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tions sources pour <strong>la</strong> sélection <strong>de</strong> variétés <strong>de</strong> tomates résistances à <strong>la</strong> virole <strong>de</strong><br />
l’enroulement foliaire dans les pays méditerranéens, subtropicaux et tropicaux » (1988-1994) Cf. rapport<br />
4 Par exemple, en septembre 1991 il organise, à Avignon, un séminaire sur <strong>la</strong> résistance <strong>de</strong> <strong>la</strong> tomate au TYLCV<br />
dans le cadre <strong>de</strong> ses projets européens. A cette occasion, une visite du centre technique du CTIFL est organisée<br />
où il évoque les dangers du TYLCV.<br />
5 Cf Rapport : Viroses <strong>de</strong> <strong>la</strong> tomate en Espagne et au Portugal (1998), 11p.<br />
6 Une ai<strong>de</strong> méthodologique, en matériel et en échantillons.<br />
7 L’ingénieur PV analyse <strong>de</strong>s échantillons envoyés par le SPV <strong>de</strong> l’île et ce sont <strong>de</strong>s chercheurs du CIRAD qui<br />
confirment les résultats. A partir <strong>de</strong> 1999, elle col<strong>la</strong>bore avec une thésar<strong>de</strong> pour comparer différentes métho<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> détection (ELISA, immuno-empreinte et hybridation) et mettre en p<strong>la</strong>ce une expérimentation sur l’acquisition<br />
du virus par les fruits.<br />
7
<strong>de</strong> recherche en générale –au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il est en re<strong>la</strong>tion avec tel ou tel acteur- que le<br />
dossier TYLCV et sa constitution en tant que risque 8 C’est bien plus du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s<br />
responsables administratifs que son action peut être perçue comme une alerte, détachable du<br />
cours <strong>de</strong> ses activités.<br />
Il avait beaucoup <strong>de</strong> contacts dans les pays africains, israélien…il nous alerté <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité du<br />
problème sur tomate et nous en recoupant ça avec les listes <strong>de</strong> quarantaine où on avis en plus<br />
que les p<strong>la</strong>ntes hôtes étaient <strong>la</strong>rges…donc en recoupant les infos contrôles et les infos <strong>de</strong><br />
terrain qu’il nous ramenait, on a été alerté…et donc les seules personnes avec qui j’étais en<br />
contact <strong>de</strong>ssus (sur le TYLCV) c’était lui et c’était vraiment important.<br />
Ingénieur PV<br />
Aussi, nous parlerons plutôt d’une configuration <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce pour qualifier les multiples<br />
actions qui, au cours <strong>de</strong> son activité, visent à sensibiliser d’autres acteurs à <strong>la</strong> possibilité d’un<br />
risque TYLCV.<br />
Ces actions s’inscrivent dans un long engagement sur <strong>la</strong> thématique du TYLCV, <strong>de</strong>puis<br />
le début <strong>de</strong>s années 1980. Il suit le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die dans le bassin méditerranéen<br />
et le voyant progresser, en Espagne notamment 9 , il informe les responsables du <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> PV et les Organisations professionnelles 10 <strong>de</strong> <strong>la</strong> possibilité d’un risque. Cette vigi<strong>la</strong>nce<br />
s’inscrit dans le cadre d’un rapport transitaire à <strong>la</strong> recherche –au sens <strong>de</strong> Terry Shinn- qui vise<br />
à coupler <strong>de</strong>s productions académiques à <strong>de</strong>s productions plus opérationnelles. Il considère<br />
que ce<strong>la</strong> fait partie <strong>de</strong> son rôle d’informer les organisations administratives avec lesquelles il<br />
est en lien. En fin <strong>de</strong> carrière, arrivant <strong>la</strong>rgement à financer ses recherches dans le cadre <strong>de</strong><br />
projets européens et <strong>de</strong> partenariats avec <strong>de</strong>s firmes privées (firmes semencières), son action<br />
ne vise pas à se constituer comme point <strong>de</strong> passage obligé pour <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong> nouveaux<br />
programmes <strong>de</strong> recherche. Aussi, ce n’est qu’en appui et au même titre que d’autres<br />
scientifiques qu’il participe une fois l’administration alertée, aux actions <strong>de</strong> préparation aux<br />
mesures <strong>de</strong> gestion –comme <strong>la</strong> méthodologie officielle <strong>de</strong> détection du virus 11 - et aux<br />
éventuelles réflexions <strong>de</strong> programmation scientifique qui les accompagnent. Ces réflexions<br />
portent notamment sur <strong>la</strong> possibilité ou non <strong>de</strong> réaliser une thèse sur <strong>la</strong> thématique du TYLCV.<br />
Si l’on doit parler <strong>de</strong> logique d’investissement scientifique dans le cas du TYLCV, c’est<br />
paradoxalement une logique qui pourrait caractériser un acteur administratif, à savoir<br />
l’ingénieur du LNPV qui alerte l’administration centrale <strong>de</strong> l’existence d’un « risque »<br />
TYLCV, alors que cette <strong>de</strong>rnière –comme elle l’exprime- ne considère pas que c’est une<br />
priorité au milieu <strong>de</strong>s années 1990 :<br />
8 Il s’agit alors <strong>de</strong> prendre en compte au cours <strong>de</strong> l’entretien non pas l’absence <strong>de</strong> référence à un travail d’alerte<br />
proprement dit comme l’absence d’échanges sur le TYLCV et <strong>de</strong> participation à <strong>la</strong> construction du pathogène<br />
comme enjeu mais plutôt comme l’expression d’un traitement <strong>de</strong> cet enjeu dans <strong>la</strong> continuité d’autres activités.<br />
Le risque est en effet <strong>de</strong> sur-dramatiser en quelque sorte le processus d’alerte dans le processus d’enquête.<br />
9 La première épidémie <strong>de</strong> TYLCV est déc<strong>la</strong>rée en Espagne en 1992. Cf. E. Noris, E. Hidalgo, G. P. Accotto, and<br />
E. Moriones, “High simi<strong>la</strong>rity among the tomato yellow leaf curl virus iso<strong>la</strong>tes from the West Mediterranean<br />
Basin: the nucleoti<strong>de</strong> sequence of an infectious clone from Spain », Arch Virol (1994) 135:165-170;<br />
10 Cf. Ce travail d’information évoqué dans un rapport à <strong>la</strong> CEE : « Une collection <strong>de</strong> diapositives prises dans<br />
différentes conditions (…) nous permet <strong>de</strong> faire connaître <strong>la</strong> virose dans les milieux intéressés. Nous saisissons<br />
toutes les occasions pour le faire, que ce soient <strong>de</strong>s conférences, <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> travail ou <strong>de</strong>s documents» p18<br />
11 Dalmon, A. ; Allex, D. ; Laterrot, H. ; Marchoux, G. Etu<strong>de</strong> préliminaire à <strong>la</strong> définition d'un protocole officiel<br />
<strong>de</strong> détection en série <strong>de</strong>s géminivirus <strong>de</strong> <strong>la</strong> tomate transmis par aleuro<strong>de</strong>s. Congrès ; 1996/11/19-22 ; Nice<br />
(FRA). Société Française <strong>de</strong> Phytopathologie, Nice (FRA). Résumés <strong>de</strong>s exposés et <strong>de</strong>s affiches. 1996. 1 p<br />
8
Quand j’ai commencé à parler TYLCV et Begomovirus ça ne faisait pas d’écho au BSV, ça<br />
faisait « Schplof ». Ce n’était pas une urgence. Il y avait pas le feu encore et on avait du mal à<br />
faire comprendre aux gens que c’était vraiment grave et que via l’importation ça pouvait très<br />
rapi<strong>de</strong>ment poser <strong>de</strong>s problèmes donc…vraiment, il y a pas tant que ça <strong>de</strong>s thématiques où le<br />
LNPV a été moteur…ce n’est pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>gornerie.<br />
Ingénieur PV<br />
Recrutée en 1994 après un DEA réalisé dans le <strong>la</strong>boratoire du chercheur en amélioration <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>ntes 12 , elle voudrait au moment <strong>de</strong> son recrutement pouvoir continuer un travail<br />
scientifique et être détachée dans le <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong> l’INRA d’Avignon. Elle conçoit son métier<br />
comme en forte interaction avec <strong>la</strong> recherche et on peut penser qu’en constituant le TYLCV<br />
comme enjeu phytosanitaire, elle cherche également à construire un espace possible <strong>de</strong> travail<br />
scientifique pour elle qui serait considéré comme pertinent pour l’administration. Ainsi, elle<br />
engage <strong>de</strong>s discussions avec les chercheurs <strong>de</strong> l’INRA d’ Avignon sur <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> mettre<br />
en p<strong>la</strong>ce une thèse sur <strong>la</strong> question. Bien que soutenue par le responsable du Laboratoire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
PV d’Avignon <strong>de</strong> l’époque, sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> est refusée par <strong>la</strong> responsable centrale <strong>de</strong>s<br />
Laboratoires <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV, qui considère que <strong>la</strong> main d’œuvre est trop rare pour que l’ingénieur se<br />
consacre à <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherche plutôt qu’à <strong>de</strong>s activités liées plus directement à <strong>de</strong>s<br />
enjeux <strong>de</strong> gestion (analyses en routine, mise au point <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s, etc.). Ce n’est que dix ans<br />
plus tard que l’ingénieur arrivera à obtenir l’autorisation d’être détachée pour réaliser une<br />
thèse en virologie dans le <strong>la</strong>boratoire d’Avignon et <strong>de</strong> satisfaire ainsi son tropisme pour <strong>la</strong><br />
Recherche (voir chap.2). La mise en parallèle <strong>de</strong> l’action du chercheur <strong>de</strong> l’INRA et <strong>de</strong><br />
l’ingénieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV invite, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s logiques individuelles à prendre en compte <strong>la</strong> nature<br />
<strong>de</strong>s arrangements inter-organisationnels qui structure <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce sur ce pathogène. Il ne faut<br />
cependant par tirer <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>scription l’idée que le travail sociologique ici entrepris vise à<br />
dénoncer telle ou telle position personnelle ou institutionnelle. Ce que nous mettons ici en<br />
évi<strong>de</strong>nce c’est <strong>la</strong> façon dont <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce n’est pas qu’une simple conséquence d’un état<br />
cognitif particulier mais qu’elle procè<strong>de</strong> d’une inscription sociale – et, dans ce cas,<br />
professionnelle- <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne et <strong>de</strong> ses compétences. Aussi, décrire <strong>de</strong>s <strong>dynamique</strong>s sociales<br />
et professionnelles d’acteurs ayant <strong>de</strong>s responsabilités et les traçant eux-mêmes dans <strong>de</strong>s<br />
activités écrites, ne relève pas d’un dévoilement dans le cadre d’une sociologie critique mais<br />
d’une visée à proprement compréhensive au sens <strong>de</strong> M.Weber.<br />
L’administration au cœur d’une arène du risque <br />
L’émergence du TYLCV se réalise dans un ordre po<strong>la</strong>risé, caractérisé par <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions<br />
fortes entre différents types d’acteurs.<br />
On a évoqué les liens forts entre l’ingénieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV et le chercheur INRA qui l’alerte sur<br />
l’enjeu que pourrait représenter le TYLCV. D’une manière générale, il existe à Avignon <strong>de</strong>s<br />
habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration entre <strong>la</strong> PV et l’INRA, notamment au sein d’un GRISP 13 consacré<br />
aux ma<strong>la</strong>dies <strong>de</strong>s cultures maraîchères méditerranéennes (virus, champignons) et <strong>de</strong>s arbres<br />
fruitiers. Si celui-ci, créé en 1983, n’accueille plus formellement <strong>de</strong> chercheurs <strong>de</strong> l’INRA au<br />
12 Dalmon, A. Tentatives d'hybridations interspecifiques entre l'aubergine (So<strong>la</strong>num melongena L.) et neuf<br />
espèces sauvages apparentées, 1994<br />
13 Il <strong>de</strong>vient le LNPV virologie <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes herbacées en 1995.<br />
9
début <strong>de</strong>s années 1990, il reste localisé sur <strong>la</strong> station <strong>de</strong> l’institut et s’appuie encore sur son<br />
expertise.<br />
Il y avait <strong>de</strong>s chercheurs INRA dans le GRISP ?<br />
Non moi quand je suis arrivé au GRISP ça faisait longtemps qu’il y avait plus personne <strong>de</strong><br />
l’INRA. Seulement <strong>la</strong> PV. (…)<br />
Vous parliez quand même ?<br />
Complètement. (…) Quand je suis arrivé c’était assez distendu mais il y avait quand même par<br />
les activités <strong>de</strong> diagnostic <strong>de</strong>s liens, et puis ces liens <strong>de</strong> diagnostic ont continué et ont été<br />
renforcé fin <strong>de</strong>s années 1990, années 2000 par <strong>de</strong>s appels d’offre communs, où on a col<strong>la</strong>boré<br />
avec <strong>de</strong>s chercheurs…donc il y avait aussi une proximité qui favorisait <strong>de</strong>s échanges en<br />
termes <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s. Ce sont <strong>de</strong>s échanges quotidiens qui sont hyper importants et qui moi<br />
vraiment m’ont fait gagner du temps quand moi j’ai commencé à mettre en route <strong>de</strong>s activités<br />
<strong>de</strong> BM parce que j’avais <strong>de</strong>s personnes ressources juste à coté…<br />
Au niveau <strong>de</strong>s amorces, <strong>de</strong>s séquences…<br />
Pas forcément. C’est vraiment <strong>de</strong>s questions pratiques. Qui font gagner un temps fou.<br />
Ingénieur PV<br />
En retour, les chercheurs <strong>de</strong> l’INRA <strong>de</strong> <strong>la</strong> station <strong>de</strong> pathologie d’Avignon peuvent, grâce à<br />
leurs échanges avec <strong>la</strong> PV, être tenus au courant <strong>de</strong>s nouvelles introductions <strong>de</strong> pathogènes,<br />
qui sont au centre <strong>de</strong> leurs préoccupations <strong>de</strong> recherche 14 . En effet, leurs activités sont<br />
tournées <strong>de</strong>puis longtemps vers les problèmes agronomiques régionaux et <strong>la</strong> caractérisation<br />
<strong>de</strong>s nouveaux pathogènes 15 . Ils sont donc très intéressés par <strong>la</strong> problématique du TYLCV, qui<br />
pourrait s’intégrer dans leurs programmes <strong>de</strong> recherche comme modèle parmi d’autres et<br />
seraient prêt à encadrer une thèse <strong>de</strong> l’ingénieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV. C’est dans <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> ces<br />
re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> travail qu’ils l’ai<strong>de</strong>nt à mettre au point les outils d’analyse et <strong>de</strong> gestion du virus.<br />
Inversement, l’ingénieure a besoin <strong>de</strong> leur ai<strong>de</strong> pour mettre au point ces outils.<br />
Il existe également <strong>de</strong> forts liens entre <strong>la</strong> PV et certaines organisations professionnelles.<br />
Ces liens prennent <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> participation à <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> travail sur les enjeux<br />
phytosanitaires 16 ou s’ancrent dans <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions plus personnelles : le mari <strong>de</strong> l’agent <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
PV travaille par exemple dans une firme semencière, ce qui permet notamment d’avoir <strong>de</strong><br />
l’information privilégiée sur l’état sanitaire <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> production espagnoles où elle se<br />
rend en mission en 1998 17 . C’est dans le cadre <strong>de</strong> ces re<strong>la</strong>tions qu’elle découvrira le premier<br />
14 Créée en 1958, l’unité <strong>de</strong> pathologie végétale entretient <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années <strong>de</strong> fortes re<strong>la</strong>tions avec<br />
l’unité d’amélioration <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes situées sur <strong>la</strong> même station. Le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> virologie est son domaine <strong>de</strong><br />
prédilection dès les années 1990, avec une orientation sur les p<strong>la</strong>ntes méditerranéennes, so<strong>la</strong>nées et les<br />
cucurbitacées. (Cf. Document d’évaluation <strong>de</strong> l’unité, octobre 2001).<br />
15 On trouve plusieurs communications scientifiques ou techniques antérieures à l’alerte sur le TYLCV, parfois<br />
coécrites avec <strong>de</strong>s agents administratifs, qui attestent <strong>de</strong> cette activité <strong>de</strong> veille sur l’introduction et <strong>la</strong><br />
réintroduction <strong>de</strong> nouveaux virus. Par exemple, sur les so<strong>la</strong>nées, Canova, A. ; Davet, P. ; Gullino, M.I. ;<br />
Marchoux, G. ; Marras, F., Ma<strong>la</strong>dies nouvelles ou d'introduction récente en France, en Italie et dans le bassin<br />
méditerranéen. Présentation au colloque italo-français <strong>de</strong> phytopathologie, 1993 ou Berling, A. ; Marchoux, G. ;<br />
Gebre Se<strong>la</strong>ssie, K. ; Dufour, O. ; L<strong>la</strong>mas Bousquet, N., Tomato spotted wilt virus : reapparition d'un grave<br />
probleme, Fruits et Légumes N°94, 1992 ; sur les cucurbitacées : Lecoq, H. ; Piquemal, J.P. ; Michel, M.J. ;<br />
B<strong>la</strong>ncard, D., Virus <strong>de</strong> <strong>la</strong> mosaique <strong>de</strong> <strong>la</strong> courge : une nouvelle menace pour les cultures <strong>de</strong> melon en France,<br />
PHM Revue Horticole n°289, 1988.<br />
16 A partir <strong>de</strong> 1996 se met en p<strong>la</strong>ce un groupement régional phytosanitaire, qui existe toujours, qui formalise ces<br />
re<strong>la</strong>tions, auquel participe : <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s Chambres d’agriculture <strong>de</strong>s Bouches du Rhône et du Vaucluse,<br />
<strong>de</strong> l’APREL, du CTIFL, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sonito, d’Organisations <strong>de</strong> Producteurs et <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV.<br />
17<br />
L’ingénieure PV transmet informellement le rapport officiel <strong>de</strong> cette mission aux organisations<br />
professionnelles régionales.<br />
10
cas <strong>de</strong> TYLCV : c’est en effet après qu’une association interprofessionnelle (SONITO 18 ) lui ait<br />
appris que <strong>de</strong>s producteurs avaient importé –contre leur recommandations- <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts<br />
espagnols qu’elle organise une prospection qui met en évi<strong>de</strong>nce le premier foyer <strong>de</strong> TYLCV.<br />
Au-<strong>de</strong>là d’habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> travail anciennes, ces organisations professionnelles échangent avec <strong>la</strong><br />
PV d’autant plus facilement qu’à l’époque aucun arrêté <strong>de</strong> lutte n’est spécifiquement écrit sur<br />
le TYLCV et que l’éradication serait organisée <strong>de</strong> manière ad hoc et concertée, avec <strong>de</strong>s<br />
mesures assez limitées 19 . Dans ce cadre, elles ont intérêt à col<strong>la</strong>borer à <strong>la</strong> prospection au<br />
regard d’un pathogène dont elle considère l’introduction probable et dont les producteurs<br />
pourraient être tenus responsables s’il s’avérait qu’ils avaient utilisé <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts espagnols 20 .<br />
A ce sta<strong>de</strong>, nous pouvons caractériser l’ordre local dans lequel <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce sur le<br />
TYLCV se met en p<strong>la</strong>ce au milieu <strong>de</strong>s années 1990 comme une arène du risque : <strong>de</strong>s groupes<br />
d’acteurs en re<strong>la</strong>tions étroites et en fortes interdépendances col<strong>la</strong>borent à <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce. La<br />
participation <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche à celle-ci se fait sur un mo<strong>de</strong> informel et non<br />
polémique, dans <strong>la</strong> continuité d’activités engagées.<br />
B. Etre vigi<strong>la</strong>nt: un modèle du rapport du chercheur dans <strong>la</strong><br />
« découverte » <strong>de</strong>s risques phytosanitaires<br />
2) 1) Modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce comme engagement en routine <br />
confinée <br />
Suite au travail empirique rapporté dans <strong>la</strong> section précé<strong>de</strong>nte– et suivant <strong>la</strong> tradition<br />
d’une sociologie <strong>de</strong> l’action organisée qui procè<strong>de</strong> comme <strong>la</strong> groun<strong>de</strong>d theory à partir d’une<br />
analyse <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions entre acteurs et <strong>de</strong>s contenus autant symbolique que politique <strong>de</strong><br />
ces re<strong>la</strong>tions- on peut proposer <strong>de</strong> styliser un modèle <strong>de</strong> l’activité scientifique dans <strong>la</strong><br />
vigi<strong>la</strong>nce face aux risques phytosanitaires. Dans cette perspective, on propose <strong>de</strong> styliser le<br />
rapport du chercheur aux organismes <strong>de</strong> quarantaine dans <strong>la</strong> première phase du processus <strong>de</strong><br />
ce que nous convenons d’appeler <strong>la</strong> « mise en science » <strong>de</strong>s risques. Cette modélisation vise à<br />
offrir <strong>de</strong>s représentations stylisées <strong>de</strong> ces séquences et ainsi, <strong>de</strong> manière intermédiaire, à offrir<br />
un cadre <strong>de</strong> référence à l’analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité concrète, cadre alors lui-même discutable par<br />
d’autres en plus d’être heuristique pour nous même.<br />
Ce modèle est différent <strong>de</strong> celui plus connu <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce comme investissement en<br />
alerte déconfinée, modèle proche <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> configurations décrites par <strong>la</strong> littérature sur les<br />
18 Société Nationale Interprofessionnelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tomate. Association interprofessionnelle qui regroupe <strong>de</strong>s<br />
représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong> FNSEA et <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> transformateurs (FNCC Fédération Nationale <strong>de</strong>s<br />
Coopératives <strong>de</strong> Conservation ; FIAC Fédération Française <strong>de</strong>s Industries d'Aliments Conservés).<br />
19 Suite à cette alerte, <strong>de</strong>s prospections sont faites, <strong>de</strong>s analyses révèlent <strong>la</strong> présence du virus Tomato Yellow<br />
Leaf Curl Virus sur 42 p<strong>la</strong>ntes <strong>de</strong> l’exploitation et <strong>de</strong>s mesures d’éradication sont prises (arrachage et<br />
incinération <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes, traitement contre le vecteur).<br />
20 On pourrait faire référence à <strong>la</strong> communication <strong>de</strong> H.Lecoeur en 2000 à l’AFPP qui souligne l’importance <strong>de</strong><br />
l’ancrage local et col<strong>la</strong>boratif <strong>de</strong>s LNPV à partir <strong>de</strong> l’exemple du TYLCV.<br />
11
<strong>la</strong>nceurs d’alerte mettant en scène un individu qui croit « apercevoir, dans le champ<br />
professionnel qui est le sien, l’existence d’un danger ponctuel précis, grave et <strong>de</strong> nature<br />
collective » (Noiville and Hermitte 2006) et qui tente <strong>de</strong> porter à <strong>la</strong> connaissance ce danger à<br />
ceux qui lui paraissent <strong>de</strong>voir prendre en charge ce danger tout en se heurtant à ce qu’il<br />
perçoit comme une résistance <strong>de</strong> ceux à qui son alerte est adressée.<br />
Soit <strong>la</strong> configuration stylisée suivante, stylisée dans le sens où elle n’est pas <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription<br />
d’un chercheur particulier mais plutôt un type idéal sociologique qui <strong>la</strong> re-construction<br />
stylisée d’une séquence d’actions. Dans ce « modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce comme engagement en<br />
routine confinée » un chercheur prend connaissance <strong>de</strong> l’existence d’un pathogène agricole.<br />
Inscrit <strong>de</strong>puis longtemps dans <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> travail sur <strong>de</strong>s enjeux sanitaires à <strong>la</strong><br />
fois avec les organisations professionnelles et les administrations qu’il considère comme<br />
concernées par le pathogène, il les informe <strong>de</strong> <strong>la</strong> possibilité d’un risque et discute, dans le<br />
cadre <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> travail existants ou <strong>de</strong> discussion informelle sur <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> travail<br />
partagés, <strong>de</strong> réfléchir à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s expérimentations qui permettraient<br />
d’anticiper l’introduction du pathogène. La réflexion s’engage donc dans une arène confinée,<br />
entre <strong>de</strong>s acteurs qui se connaissent bien. Le chercheur fait <strong>de</strong>s propositions <strong>de</strong> recherches qui<br />
prennent en compte les priorités <strong>de</strong>s autres acteurs et joue un rôle d’intermédiaire entre ceuxci<br />
et les spécialistes scientifiques qu’il a i<strong>de</strong>ntifié comme étant les plus compétents sur les<br />
enjeux scientifiques qu’il considère pertinents. Jouissant d’une bonne légitimité, son alerte et<br />
les propositions scientifiques qu’il fait sont d’autant plus suivies par les organisations<br />
professionnelles et administratives à qui il s’adresse que les enjeux sanitaires sont considérés<br />
comme prioritaires par elles. Une fois que ces acteurs ont décidé d’une stratégie d’action<br />
commune concernant l’anticipation d’une éventuelle introduction du pathogène, ils rédigent<br />
ensemble <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> communication sur celui-ci qu’ils font circuler dans <strong>de</strong>s circuits<br />
d’informations restreints (presse professionnelle et technique) et qui mettent en scène une<br />
action concertée et <strong>la</strong> maîtrise <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s.<br />
3) Dimensions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce <br />
Sur un mo<strong>de</strong> implicite, plusieurs dimensions sont mobilisées dans <strong>la</strong> présentation <strong>de</strong> ce<br />
modèle pour rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s séquences d’actions qu’il décrit. Ces<br />
dimensions sont autant d’entrées analytiques au travers lesquelles on peut analyser les cas<br />
concrets étudiés. Nous en avons i<strong>de</strong>ntifié <strong>de</strong>ux principales -<strong>la</strong> logique professionnelle du<br />
chercheur impliqué dans <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce, <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s ordres locaux dans lesquels il agit - que<br />
nous allons maintenant exposer <strong>de</strong> manière plus détaillée.<br />
a) La vigi<strong>la</strong>nce, entre logique d’engagement et logique d’investissement <br />
La première dimension qui est à prendre en compte est celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> logique d’action <strong>de</strong>s<br />
scientifiques par rapport à l’enjeu <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s pathogènes.<br />
Dans le modèle tiré <strong>de</strong> Bemisia, <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce s’inscrit non dans une logique<br />
d’investissement mais dans une logique d’engagement. Le chercheur n’a pas besoin, d’un<br />
point <strong>de</strong> vue professionnel, <strong>de</strong> chercher à se construire <strong>de</strong> nouvelles ressources matérielles. Il<br />
re<strong>la</strong>ie l’alerte sur le risque que représente un pathogène parce qu’il est convaincu que celui-ci<br />
peut fragiliser économiquement un territoire ou une filière agricole et qu’il considère que ce<strong>la</strong><br />
fait partie <strong>de</strong> son métier <strong>de</strong> chercheur <strong>de</strong> jouer un rôle <strong>de</strong> veille sur <strong>de</strong>s enjeux agricoles pour<br />
<strong>de</strong>s organisations professionnelles ou administratives avec lesquelles il est en lien sur <strong>de</strong>s<br />
12
enjeux qui ne sont pas uniquement sanitaires 21 . Dans ce cadre, l’acteur qui <strong>la</strong>nce l’alerte sur<br />
un problème sanitaire, n’est pas nécessairement celui qui <strong>la</strong> porte ensuite, c’est à dire qui se<br />
mobilise pour que celle-ci soit suivie par <strong>de</strong>s mesures adéquates, en termes <strong>de</strong> programmation<br />
<strong>de</strong> recherche ou en termes <strong>de</strong> gestion du risque.<br />
La distinction entre une logique d’investissement et une logique d’engagement est<br />
évi<strong>de</strong>mment un outil analytique et non une manière <strong>de</strong> décrire <strong>la</strong> réalité. Elle souligne que par<br />
rapport aux pathogènes et à l’enjeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce et <strong>de</strong> l’alerte, un scientifique peut se<br />
positionner <strong>de</strong> manière différente. Implicitement, au moins <strong>de</strong>ux dimensions sous-ten<strong>de</strong>nt ce<br />
positionnement.<br />
Premièrement, il peut être dans un rapport plus ou moins disciplinaire –au sens là <strong>de</strong><br />
Shinn- vis-à-vis <strong>de</strong> cet enjeu. A un extrême, on peut imaginer que le pathogène ne<br />
représente aux yeux du scientifique qu’un modèle scientifique nouveau, considéré pour<br />
les questionnements scientifiques qu’il soulève et les publications dont il pourrait être le<br />
support. A l’autre, le pathogène est considéré non pas comme modèle scientifique mais<br />
comme problème agronomique, politique, économique pour d’autres acteurs, sur lequel<br />
il faut produire <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> opérationnelles dans une perspective <strong>de</strong> gestion.<br />
Deuxièmement, chaque logique d’action suppose une mobilisation plus ou moins<br />
directement utilitariste. A un extrême, <strong>la</strong> logique d’investissement implique <strong>la</strong> recherche<br />
d’un intérêt personnel immédiat, en termes d’accès à <strong>de</strong>s ressources matérielles ou <strong>de</strong><br />
progression <strong>de</strong> carrière. A l’autre <strong>la</strong> logique d’engagement implique <strong>la</strong> volonté d’ai<strong>de</strong>r<br />
d’autres acteurs à préserver leurs intérêts ou d’agir au nom <strong>de</strong> principes plus généraux<br />
comme l’intérêt public ou l’environnement. Ces logiques d’action, présentées ici <strong>de</strong><br />
manière détachées <strong>de</strong> tout contexte d’action, se déploient et se construisent dans <strong>la</strong><br />
contingence <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s situations. La modélisation présentée plus haut renvoie<br />
également à une stylisation <strong>de</strong> ces contingences.<br />
b) Les individus dans ordres locaux du risque <br />
Avec les notions d’alerte et <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce, le risque peut être d’avoir une lecture trop<br />
héroïsée <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité sociale. D’autant plus que celle-ci est appréhendée aux moyens<br />
d’entretiens au cours <strong>de</strong>squels <strong>de</strong>s individus sont sensés tenir un discours cohérent sur <strong>de</strong>s<br />
faits et actions passées, réalisés dans une situation d’incertitu<strong>de</strong>, sur <strong>de</strong>s enjeux collectifs 22 .<br />
Cette remarque n’invite pas tant à évacuer <strong>la</strong> pertinence d’une attention aux individus –leurs<br />
caractéristiques, leurs intérêts- qu’à <strong>la</strong> prise en compte <strong>de</strong>s contextes dans lesquels ils<br />
agissent, que ce soit sur <strong>la</strong> problématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce ou sur celle <strong>de</strong>s mobilisations qui<br />
suivent <strong>la</strong> construction d’un pathogène comme risque.<br />
Plusieurs travaux ont cherché à se détacher d’une approche institutionnaliste <strong>de</strong>s enjeux<br />
<strong>de</strong> risque qui met l’accent sur le rôle <strong>de</strong>s prescriptions, règles, normes produites par les<br />
organisations formelles dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s problèmes publics pour adopter une approche que<br />
21 Le but n’étant pas <strong>de</strong> produire une théorie explicative <strong>de</strong> l’engagement mais <strong>de</strong> produire une <strong>de</strong>scription<br />
analytique <strong>de</strong>s situations. Cependant, on comprend l’engagement, dans une perspective à <strong>la</strong> H. Becker, comme<br />
conséquence <strong>de</strong> paris adjacents (si<strong>de</strong> bets) et d’investissements passés.<br />
22 Évi<strong>de</strong>mment, c’est une problématique assez c<strong>la</strong>ssique, celle <strong>de</strong> l’illusion biographique à <strong>la</strong> Bourdieu…mais<br />
n’y a-t-il pas une spécificité là, au moins une exacerbation ?<br />
13
l’on peut qualifiée <strong>de</strong> systémique 23 , qui part <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> risque pour tenter <strong>de</strong> reconstituer le<br />
périmètre <strong>de</strong>s systèmes d’acteurs concrets et les jeux qui y sont à l’œuvre. Ces travaux ont mis<br />
l’accent sur l’importance <strong>de</strong> ce que l’on peut appeler les scènes locales du risque (Decrop and<br />
Vidal-Naquet 1998), soulignant qu’une même activité pouvait être construit différemment<br />
comme enjeu d’action selon les territoires et les secteurs dans lesquels elle se déployait Ce<br />
qui est remis en cause avant tout grâce à ces travaux, c’est une lecture trop globalisante <strong>de</strong><br />
l’action publique. D’une manière plus générale, cette perspective invite à dépasser les lectures<br />
trop globalisantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation sur les risques qui prend en compte <strong>la</strong> spécificité <strong>de</strong>s<br />
situations étudiées. Autour <strong>de</strong> l’enjeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce et <strong>de</strong> l’alerte vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>ntes en agriculture, il semble possible <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> cette spécificité en<br />
l’appréhendant au regard <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> structuration <strong>de</strong> scènes locales du risque, qui<br />
renvoient chacune à un agencement particulier <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions entre organisations et acteurs, et<br />
qui – toujours dans une perspective <strong>de</strong> stylisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité - caractérisent chacun un <strong>de</strong>s<br />
modèles <strong>de</strong> séquences d’action décrit plus haut.<br />
La construction <strong>de</strong> ces ordres locaux du risque phytosanitaire est une démarche assez<br />
proche <strong>de</strong> celle adoptée par Aggeri et Hatchuel (Aggeri and Hatchuel 2003) en ce qu’elle vise<br />
à produire un cadre <strong>de</strong> <strong>de</strong>scription et d’interprétation <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> portée limitée. Ces<br />
auteurs proposent ainsi <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s Ordres Socio-économiques (OSE) pour<br />
rendre compte <strong>de</strong>s processus d’innovation en agriculture tout en évitant l’écueil du constat <strong>de</strong><br />
l’infinie idiosyncrasie <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité auquel mène l’approche par les réseaux ou, à l’inverse, <strong>la</strong><br />
réduction <strong>de</strong> cette même réalité à <strong>de</strong>s grands régimes d’innovation à <strong>la</strong>quelle invite l’approche<br />
mo<strong>de</strong> 1/Mo<strong>de</strong> 2 (Gibbons et al., 1984).<br />
Cependant elle s’en démarque pour au moins <strong>de</strong>ux raisons. D’une part parce que les<br />
OSE conceptualisent <strong>de</strong>s espaces d’action collective <strong>de</strong> portée très générale. Car si <strong>la</strong><br />
réflexion <strong>de</strong>s auteurs porte sur les processus d’innovation, ils semblent <strong>de</strong> fait caractériser <strong>de</strong>s<br />
espaces d’action qui pourraient exister autour <strong>de</strong> n’importe quel type d’enjeu productif 24 .<br />
D’autre part parce que les OSE conceptualisent <strong>de</strong>s espaces d’action collective qui implique <strong>la</strong><br />
Recherche sous l’angle d’apports en <strong>connaissances</strong> et en cadrages mais sans beaucoup donner<br />
d’indication sur <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong>s chercheurs concernés. Or il s’agit pour nous <strong>de</strong><br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce les modalités <strong>de</strong> coup<strong>la</strong>ge entre OSE et types d’activités scientifiques 25 .<br />
Avec <strong>la</strong> notion d’ordres locaux du risque, nous cherchons donc à conceptualiser <strong>de</strong>s<br />
arrangements entre certains acteurs qui semblent pertinents autour <strong>de</strong> certains enjeux<br />
particuliers, dont <strong>de</strong>s acteurs scientifiques. Plus précisément, les <strong>de</strong>ux modèles proposés<br />
mettent en œuvre <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions stylisées entre les trois types d’acteurs que sont<br />
l’Administration sanitaire, les Organisations professionnelles agricoles, enfin les<br />
organisations scientifiques. L’idée est que l’i<strong>de</strong>ntification d’un nouveau risque potentiel<br />
d’introduction d’un pathogène agricole a <strong>de</strong>s effets sur <strong>de</strong>s systèmes d’interdépendance plus<br />
23 On reprend ici l’opposition proposée par Thoenig (Thoenig 1994) sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité publique. Telle<br />
qu’elle est référée ici, l’approche institutionnaliste ne recouvre pas l’institutionnalisme ou le néoinstitutionnalisme<br />
tel que construit en sciences politiques, qui a fait l’objet <strong>de</strong> critiques ailleurs (Friedberg 1998).<br />
24 Ce qui rend impossible par exemple l’appréhension <strong>de</strong> l’appartenance d’une même organisation ou d’un même<br />
acteur à différents espaces d’action collective, différenciés en fonction <strong>de</strong>s enjeux.<br />
25 Sur ce point, les rares travaux où les auteurs développent le concept d’OSE (1998 et 2003 essentiellement), le<br />
propos est ambigu. Ce qui permet par exemple à un auteur comme Larbodière, insistant sur <strong>la</strong> gestion<br />
différenciée d’un risque comme l’ESB dans différents OSE, <strong>de</strong> positionner les acteurs scientifiques comme <strong>de</strong>s<br />
piliers <strong>de</strong>s OSE (Larbodiere 2004).<br />
14
ou moins constitués entre ces trois types d’acteurs 26 et qu’il faut prendre en compte ces<br />
interdépendances pour comprendre le déploiement <strong>de</strong>s séquences d’action autour <strong>de</strong> l’enjeu<br />
<strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce et d’alerte.<br />
Le modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce comme engagement en routine confinée que nous proposons<br />
ici, se déploie dans ce que nous pouvons appeler un ordre local du risque éc<strong>la</strong>té, caractérisé<br />
par <strong>de</strong>s interdépendances faibles et par <strong>la</strong> quasi-absence <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions entre les trois types<br />
d’acteurs autour d’enjeux sanitaires. Comme les OSE, <strong>la</strong> notion d’ordre local du risque vise à<br />
décrire une réalité qui peut être plus ou moins territorialisée. Affirmer que <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce et<br />
l’alerte se construisent dans <strong>de</strong>s ordres locaux est avant tout un moyen d’attirer l’attention sur<br />
l’importance <strong>de</strong>s jeux d’acteurs et éviter notamment l’écueil d’une lecture trop individualiste<br />
voir héroïque <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité. Insistons cependant sur le fait que chacune <strong>de</strong>s situations analysées<br />
est un moment <strong>de</strong> redéfinition possible <strong>de</strong>s équilibres caractérisant ces jeux, en un mot, un<br />
moment <strong>de</strong> redéfinition du périmètre <strong>de</strong>s ordres locaux et d’apprentissage <strong>de</strong>s acteurs qui y<br />
participent.<br />
26 Dans <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> Dobry (Dobry 1986) on qualifierait ces systèmes <strong>de</strong> réseaux <strong>de</strong> consolidations<br />
intersectoriels, c’est à dire caractérisés par <strong>de</strong>s transactions collusives plus ou moins stables entre secteurs<br />
(pp110-112).<br />
15
II - Faire science sur <strong>de</strong>s pestes agricoles : une question <strong>de</strong><br />
<strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> programmation scientifique<br />
A - Introduction<br />
Dans leur travail sur le Sida et plus particulièrement sur le rôle <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong><br />
recherche dans <strong>la</strong> prise en charge <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, N. Dodier et J. Barbot ont très justement mis<br />
l’accent sur les bases épistémiques <strong>de</strong>s mobilisations scientifiques, montrant le lien entre<br />
ancrage épistémique, développement <strong>de</strong>s modèles d’organisation <strong>de</strong>s recherches et <strong>de</strong><br />
modalités <strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tion spécifiques <strong>de</strong>s savoirs, et prises <strong>de</strong> positions dans l’espace public<br />
(Dodier and Barbot 2000). On retrouve une attention simi<strong>la</strong>ire dans le travail <strong>de</strong> C.Granjou et<br />
<strong>de</strong> M.Barbier dans leur étu<strong>de</strong> longitudinale <strong>de</strong> l’expertise scientifique sur les ma<strong>la</strong>dies à<br />
prions avec une insistance particulière pour justement affirmer un regard sur l’expertise qui<br />
non seulement tente <strong>de</strong> ne pas reprendre l’opposition entre « experts » et « profanes » mais<br />
qui également ne juge pas les activités d’expert à l’aune du primat délibératif (Granjou et<br />
Barbier, 2010).<br />
Cette idée <strong>de</strong> base épistémologique <strong>de</strong>s mobilisations scientifiques sur <strong>de</strong>s enjeux<br />
publics, proche <strong>de</strong> celle défendue par les travaux (Bonneuil 2004; Bonneuil 2006), qui<br />
abor<strong>de</strong>nt les re<strong>la</strong>tions Science/Société et Science/politique avec une prise en compte <strong>de</strong>s<br />
communautés épistémiques(Knorr-Cetina 1999), est intéressante en ce qu’elle met l’accent<br />
sur l’importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> dimension cognitive <strong>de</strong>s mobilisations 27 . Dans cette partie nous<br />
aimerions nous interroger sur l’articu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> cette dimension cognitive aux dimensions<br />
organisationnelles et juridiques qui structurent les mobilisations <strong>de</strong>s chercheurs dans le cas<br />
BemisiaVirose, partant du postu<strong>la</strong>t que l’ancrage épistémique n’est qu’une contrainte<br />
structurant et limitant les formes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation scientifique et qu’il est lui-même le<br />
produit <strong>de</strong> jeux d’acteurs 28 . En effet, <strong>la</strong> mobilisation scientifique autour du pathogènes <strong>de</strong><br />
quarantaine étudié se construit dans un contexte <strong>de</strong> mobilisation plus généralisé, impliquant<br />
les administrations sanitaires et les organisations professionnelles concernées<br />
B - BemisiaViroses : un programme scientifique « emblématique » qui<br />
construit le risque<br />
Le 18 janvier 2007 est organisé à Montpellier un forum « recherche-partenariat »<br />
marquant le <strong>la</strong>ncement d’un programme <strong>de</strong> recherche financé par l’ANR, intitulé<br />
BemisiaRisk. Ce programme, animé par un chercheur <strong>de</strong> l’INRA rattaché au Centre <strong>de</strong><br />
Biologie et <strong>de</strong> Gestion <strong>de</strong>s Popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Montpellier, se présente comme une réponse<br />
scientifique au « contexte <strong>de</strong> crise phytosanitaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière tomate sous abri, créé par<br />
l'introduction / acclimatation en France » <strong>de</strong> Bemisia Tabaci, « vecteur du phytovirus Tomato<br />
Yellow Leaf Curl Virus (TYLCV) » 29 . Il a l’ambition, à partir <strong>de</strong> ce pathosystème (B. tabaci –<br />
27 Qui s’ancre dans le cas du travail <strong>de</strong> Dodier et Barbot dans une analyse en termes biographique et<br />
générationnelle <strong>de</strong>s scientifiques.<br />
28 Comme le fait remarquer PB Joly (Joly 2006), le travail <strong>de</strong> Dodier, contrairement à celui <strong>de</strong> Dalga<strong>la</strong>rondo,<br />
n’est pas centré sur les jeux d’acteurs mais sur les formes d’engagement (prise <strong>de</strong> position etc) dans les arènes<br />
publiques.<br />
29 Voir présentation sur le site du Programme :<br />
16
TYLCV) présenté comme « emblématique » d’apporter une réponse systématique et globale,<br />
intégrant « <strong>de</strong>s composantes biotechniques, socio-économiques, réglementaires et<br />
organisationnelles », à <strong>la</strong> « gestion <strong>de</strong>s risques » et <strong>de</strong> contribuer ainsi à « constituer une<br />
communauté scientifique interactive et critiques » sur les « risques phytosanitaires majeurs<br />
liés aux bioinvasions ».<br />
Dans <strong>la</strong> section qui suit nous allons défendre l’hypothèse selon <strong>la</strong>quelle cette propriété est liée<br />
à <strong>de</strong>ux éléments. Non seulement, plusieurs équipes <strong>de</strong> recherches travaillent sur Bemisia ou<br />
ses virus au moment où ceux-ci en viennent à être considérés comme <strong>de</strong>s problèmes<br />
sanitaires. Mais surtout, il n’y a pas d’acteur qui s’impose comme LE propriétaire <strong>de</strong> l’enjeu<br />
Bemisia/viroses, qui le constituerait ainsi en risque et définirait un cadre à partir duquel les<br />
activités scientifiques seraient dès lors à é<strong>la</strong>borer. C’est en fait un problème flui<strong>de</strong>, dont<br />
l’administration et les organisations professionnelles ont pris connaissance mais qu’elles<br />
n’inscrivent pas durablement et <strong>de</strong> manière continue comme priorité à leur agenda. D’ailleurs<br />
l’histoire longue montre qu’une bioinvasion en chasse une autre, Tuta absoluta (c<strong>la</strong>ssé à<br />
l’annexe A1 <strong>de</strong> l’OEPP) ayant pris en 2010 <strong>la</strong> part belle sur les begomovirus.<br />
Dans ce contexte, on décrira avec ce rapport comment le programme BemisiaRisk représente<br />
une mobilisation scientifique é<strong>la</strong>rgie dans ses réseaux et ses thématiques, qui cherche d’une<br />
part à inclure les multiples acteurs scientifiques qui travaillent sur certaines dimensions du<br />
pathosystème (1) et d’autre part à inscrire durablement le pathogène à l’agenda <strong>de</strong>s acteurs<br />
non scientifiques, notamment en produisant les <strong>connaissances</strong> qui permettent <strong>de</strong> le faire<br />
exister comme « risque »(2).<br />
1) Mobilisation scientifique sur un risque : un processus <br />
d’enrôlement pour renforcer une position scientifique et <br />
institutionnelle fragilisée <br />
La généalogie du programme BemisiaRisk mentionné ci-<strong>de</strong>ssus va nous ai<strong>de</strong>r ici à<br />
appréhen<strong>de</strong>r une réalité foisonnante, caractérisée par l’existence d’une hétérogénéité<br />
d’espaces <strong>de</strong> recherche. Nous allons ainsi montrer que le programme BemisiaRisk, plutôt<br />
qu’une réaction ad hoc à l’existence <strong>de</strong> ce qui serait perçu comme un nouvel enjeu<br />
scientifique ou phytosanitaire est l’une <strong>de</strong>s étapes d’une longue mobilisation d’un scientifique<br />
qui a visé à rassembler dans un même collectif <strong>de</strong> recherche un ensemble très étendu et<br />
hétérogène d’acteurs pour faire exister un programme scientifique territorialisé axé sur <strong>la</strong> lutte<br />
biologique systémique. Il constitue ce que l’on pourrait appeler une étape dans un processus<br />
d’enrôlement d’un acteur re<strong>la</strong>tivement fragilisé, un chercheur INRA du Centre <strong>de</strong> Biologie et<br />
<strong>de</strong> Gestion <strong>de</strong>s Popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Montpellier, qui défend un positionnement épistémique et<br />
institutionnel en remobilisant et en é<strong>la</strong>rgissant autour <strong>de</strong> l’enjeu Bemisia/viroses les réseaux<br />
scientifiques dans lesquels il est inscrit.<br />
a) Bemisia : reconversion sur une problématique <strong>de</strong> recherche <br />
L’animateur du programme BemisiaRisk est un chercheur spécialiste <strong>de</strong>s techniques<br />
<strong>de</strong> lutte biologique. Il réoriente ses activités à partir <strong>de</strong> 2002 sur <strong>la</strong> thématique Bemisia.<br />
Auparavant, il a travaillé sur d’autres pathogènes (noctuelles, lépidoptères, triatome),<br />
http://www.montpellier.inra.fr/CBGP/BemisiaRisk/in<strong>de</strong>x.htm<br />
17
s’intéressant à l’utilisation <strong>de</strong>s champignons entomopathogènes comme moyen <strong>de</strong> lutte,<br />
d’abord à <strong>la</strong> station <strong>de</strong> lutte microbiologique <strong>de</strong> La Minière puis au sein du CBGP <strong>de</strong><br />
Montpellier dont il est l’un <strong>de</strong>s promoteurs 30 . Au début <strong>de</strong>s années 1990, il a choisi <strong>de</strong> centrer<br />
ses recherches sur <strong>la</strong> lutte dans les cultures légumières méditerranéennes, se positionnant ainsi<br />
sur une problématique qui intéressait les organisations <strong>de</strong> développement régionales. La<br />
col<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> celles-ci permettait l’accès à <strong>de</strong>s ressources, non seulement en légitimant, par<br />
leur partenariat, <strong>de</strong>s programmes scientifiques auprès <strong>de</strong>s collectivités territoriales, mais<br />
également en donnant accès aux espaces (champs, serres) nécessaires aux expérimentations 31 .<br />
Concrètement, cette orientation pris <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> plusieurs programmes<br />
(DADP/PSDR 32 , AT) 33 affichant un fort ancrage territorial et partenarial.<br />
Avant 2002, les travaux <strong>de</strong> lutte biologique animés par le chercheur INRA du CBGP<br />
ont pour visée <strong>de</strong> comprendre les liens entre le développement <strong>de</strong>s auxiliaires <strong>de</strong> lutte<br />
biologique et les changements climatiques dans le cadre <strong>de</strong>s cultures sous serres. L’objectif<br />
pratique principal visé est <strong>la</strong> lutte contre le Thrips Frankiniel<strong>la</strong> Occi<strong>de</strong>ntalis et l’aleuro<strong>de</strong><br />
Trialeuro<strong>de</strong>s Vaporarium 34 , qui sont jusqu’alors les principaux ravageurs <strong>de</strong>s cultures<br />
maraîchères (tomate, concombre) sous serres. En 2002, cependant, ces projets <strong>de</strong> recherche<br />
sont réorientés pour prendre en compte <strong>la</strong> problématique Bemisia Tabaci. L’insecte n’est pas<br />
inconnu du chercheur du CBGP. Dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième moitié <strong>de</strong>s années 1990, il a co-encadré<br />
une thèse sur le ravageur en col<strong>la</strong>boration avec une antenne <strong>de</strong> l’USDA 35 . Cependant, au-<strong>de</strong>là<br />
30 Il n’est pas nécessaire – ni possible au regard du matériel empirique collecté - <strong>de</strong> retracer en détail le processus<br />
<strong>de</strong> mise en p<strong>la</strong>ce du CBGP. Nous voulons souligner simplement que se donne à voir dans ce processus un certain<br />
positionnement épistémique et institutionnel <strong>de</strong> l’animateur <strong>de</strong> BemisiaRisk. Au début <strong>de</strong>s années 1990, prenant<br />
acte du développement <strong>de</strong>s approches molécu<strong>la</strong>ires à l’INRA, il s’investit dans les réflexions sur <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />
d’un centre <strong>de</strong> recherche en lutte biologique qu’il envisage comme un lieu <strong>de</strong> développement d’approches<br />
alternatives aux approches molécu<strong>la</strong>ires. Lorsque celui-ci voit le jour il est, en 1993 un <strong>de</strong>s premiers chercheurs à<br />
intégrer le CBGP qui, à son regret, s’est construit en donnant une p<strong>la</strong>ce très importante aux approches<br />
réductionnistes <strong>de</strong> biologie évolutive.<br />
31 Cette orientation « cultures méditerranéennes sous serres » a été décidée, selon le chercheur, suite à une<br />
enquête auprès <strong>de</strong>s Chambres d'agricultures <strong>de</strong> <strong>la</strong> région, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sica centrex, du CTIFL <strong>de</strong> Ba<strong>la</strong>ndran et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
station INRA d’Alenya.<br />
32 L’INRA crée en 1993 une Délégation à l’Agriculture, au Développement et à <strong>la</strong> Prospective (DADP) pour<br />
renforcer son ancrage territorial et local. En 1994, le « Programme DADP » est <strong>la</strong>ncé, le Languedoc-Roussillon<br />
est une <strong>de</strong>s régions pilotes. Après une pause en 2000, une secon<strong>de</strong> génération du programme est <strong>la</strong>ncée sur <strong>la</strong><br />
pério<strong>de</strong> 2001-05 dans 5 régions, sous l’appel<strong>la</strong>tion « Pour et Sur le Développement Régional » (PSDR).<br />
33 Dans le cadre <strong>de</strong>s appels d’offre DADP . Il participe au programme DADP1 : amélioration <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétitivité<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> filière sa<strong>la</strong><strong>de</strong> en Roussillon. <strong>Inra</strong> Alénya (J.Peyrière, F.Bressoud, J.Lagier, P.Ayats) <strong>Inra</strong> Montpellier (JM<br />
Codron, JM Touzard, J Fargues, N. Smits, M.Rougier), <strong>Inra</strong> Avignon (M.Navarrete), SICA Centrex Il coordonne<br />
le programme 2001/2004 DADP intitulé "développement <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s alternatives <strong>de</strong> lutte phytosanitaire en<br />
production légumière sous abri, mycoinsectici<strong>de</strong>s et gestion du système <strong>de</strong> culture. Parallèlement, il participe à<br />
<strong>de</strong>s contrats d’actions incitatives et d’actions transversales <strong>de</strong> l’INRA (2001/2004 : AT Protection Intégrée <strong>de</strong>s<br />
Cultures ; 2002-2006 : AT Productions légumières intégrées).<br />
34 La première publication du chercheur dans <strong>la</strong> base PRODINRA sur les aleuro<strong>de</strong>s et thrips date <strong>de</strong> 1999 : Cf.<br />
Essais préliminaires <strong>de</strong> lutte avec <strong>de</strong>s mycoinsectici<strong>de</strong>s contre aleuro<strong>de</strong>s et thrips en cultures légumières,<br />
Conférence CTIFL 1999<br />
35 Le problème constituant un enjeu phytosanitaire important aux Etats-Unis, l’USDA avait alors décidé <strong>de</strong><br />
financer un travail <strong>de</strong> recherche permettant d’étudier <strong>de</strong>s possibilités <strong>de</strong> lutte biologiques contre lui. Aussi, une<br />
doctorante avait testé <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> luttes biologiques sur <strong>la</strong> station <strong>de</strong> l’USDA à Montpellier, à partir d’un<br />
élevage d’une souche d’individus venant d’Antibes Cf. Vidal et ali. Intraspecific variability of Paecilomyces<br />
fumosoroseus: infectivity for Bemisia tabaci and vegetative growth as a function of temperature, 1995,<br />
communication à <strong>la</strong> SIP, Society for Invertebrate Pathology (USA)<br />
18
<strong>de</strong> ce travail ponctuel, l’insecte ne constituait alors pour lui pas un véritable enjeu <strong>de</strong><br />
recherche 36 . Plusieurs raisons vont encourager le chercheur à s’investir sur cette thématique.<br />
Ce long extrait d’entretien collectif avec les chercheurs <strong>de</strong> son équipe permet <strong>de</strong> les introduire<br />
dans leur imbrication :<br />
Chercheur 1 : …Bemisia ça fait certainement très longtemps qu’elle est en France et ça<br />
commence à poser un problème. Pourquoi ? Parce que le TYLCV est arrivé. Et pour revenir<br />
sur l’histoire <strong>de</strong>s réductionnistes qui n’ont pas pris Bemisia, ça aussi c’est inhérent un peu<br />
au fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche, il aurait fallu que <strong>de</strong>s gens soient à <strong>la</strong> recherche d’un<br />
modèle biologique et qu’ils soient prêts à sauter sur Bemisia, et globalement tout le mon<strong>de</strong> a<br />
dans son modèle biologique, et ils cherchent aussi <strong>de</strong>s modèles biologiques neufs…parce<br />
que sur Bemisia il y a <strong>de</strong>s modèles qui traînent <strong>de</strong>puis vingt ans…si tu tapes Bemisia Tabaci<br />
sur une banque <strong>de</strong> données tu vas avoir huit mille références qui sortent…ça a été beaucoup<br />
travaillé par les américains autour du coton etc…moi je vois ça surtout autour du<br />
productivisme, mais si tu veux faire <strong>de</strong>s scoops scientifiques vaut mieux travailler sur une<br />
bestiole qui vient d’arriver, où tu ne connais rien …où tu peux aller caractériser….<br />
Chercheur 2 : tu vas te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mais qu’est-ce qu’ils sont aller foutre dans cette galère…eh<br />
bien tout simplement parce qu’on était déjà dans <strong>la</strong> lutte contre <strong>la</strong> pullu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s aleuro<strong>de</strong>s<br />
d’origine tropicales dans le contexte méridional (…) on n’est pas rentré par Bemisia, on est<br />
rentré par les problèmes d’aleuro<strong>de</strong>s en zones méditerranéennes, et c’est une reconversion<br />
d’un projet <strong>de</strong> recherche.<br />
Chercheur 1 : et c’est typiquement un projet <strong>de</strong> recherche qui est sollicité par une <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
sociétale parce qu’on travail<strong>la</strong>it -moi un petit peu- sur Trialeuro<strong>de</strong>s et puis d’un seul coup est<br />
arrivé le problème Bemisia, et les producteurs ont dit, maintenant tout ce qui est Trialeuro<strong>de</strong>s<br />
ça apparaît trivial, on a un gros souci c’est Bemisia, et nous logiquement on a fait une<br />
trans<strong>la</strong>tion sur Bemisia. On aurait pu si on avait été dans une autre logique rester sur<br />
Trialeuro<strong>de</strong>s…<br />
Chercheur 2 : si on veut être c<strong>la</strong>ir, j’ai dit j’arrête <strong>de</strong> travailler sur les champignons et je<br />
mets toutes mon équipe au service <strong>de</strong> l’unité sous réserve d’être co-auteur partout !<br />
(…)<br />
Chercheur 1: mais avec toutes les avancées qui ont été faites sur trialeuro<strong>de</strong>s, dans une autre<br />
logique on aurait pu continuer et dire stop, ça ne nous intéresse pas.<br />
Chercheur 2: en fait il s’avère aussi que C<strong>la</strong>ire et moi on avait déjà travaillé avant sur<br />
Bemisia et sur tous les champignons <strong>de</strong> Bemisia<br />
Chercheur 1: et puis il faut être honnête jusqu’au bout, on est aussi dépendant <strong>de</strong> l’argent<br />
qui est le nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche et quand tu as un problème émergent, tu supposes aussi qu’il<br />
y aura quand même un peu plus <strong>de</strong> crédit et qu’il aura une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> crédit…<br />
Entretien collectif<br />
Le premier enjeu est <strong>de</strong> répondre à ce qui est perçu comme <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> scientifique <strong>de</strong>s<br />
partenaires régionaux et notamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> station expérimentale INRA d’Alenya qui joue<br />
souvent un rôle d’intermédiaire avec eux 37 . Dans les Pyrénées-Orientales, les organisations<br />
36 La référence aux travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> thésar<strong>de</strong> est parfois mentionnée dans les documents <strong>de</strong>s projets. Cf. Par<br />
exemple <strong>la</strong> fiche d’opération du programme DADP2 (2000) : « si le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> vection <strong>de</strong> virus<br />
phytopathogènes ne se pose pas encore dans le cas <strong>de</strong> T. Vaporariorum, il pourrait se poser très rapi<strong>de</strong>ment avec<br />
l'arrivée <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tions vectrices <strong>de</strong> Bemisia argentifolii-tabaci »<br />
37 Si les archives <strong>de</strong>s différents projets mettent en avant un fort ancrage partenarial du chercheur, ceux-ci se font<br />
principalement via <strong>la</strong> station expérimentale <strong>de</strong> l’INRA, l’UE SAD <strong>de</strong> Perpignan, qui a été un <strong>de</strong>s principaux<br />
acteurs du développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte biologique dans les serres <strong>de</strong>s Pyrénées Orientales et qui jouit d’un réseau<br />
<strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions assez structuré avec le développement agricole (cf. Chap. 3 et 4 <strong>de</strong> Prete (2004) pour une étu<strong>de</strong> plus<br />
poussée <strong>de</strong> cette organisation, cf également travail <strong>de</strong> Purseigle).<br />
19
professionnelles commencent à partir <strong>de</strong> 2001 à se mobiliser face au développement du<br />
vecteur Bemisia -notamment autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l’in<strong>de</strong>mnisation <strong>de</strong>s pertes directes<br />
occasionnées par l’aleuro<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s virus dont il pourrait être porteur- et à s’interroger sur les<br />
moyens <strong>de</strong> lutte envisageables. Suite à <strong>la</strong> découverte, fin octobre 2001, du premier cas officiel<br />
d’un virus (CVYSD) transmis par l’aleuro<strong>de</strong> et à une prospection <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s<br />
végétaux mettant en évi<strong>de</strong>nce <strong>la</strong> possibilité d’un risque 38 , cette mobilisation s’accentue et<br />
donne lieu 39 à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un projet d’expérimentations, animé par <strong>la</strong> Chambre<br />
d’agriculture et <strong>de</strong>s stations d’expérimentations régionales, et s’inscrivant dans le cadre d’un<br />
Programme franco-espagnol Interreg III 40 . La station d’Alenya, en lien avec ce projet,<br />
démarre <strong>la</strong> même année <strong>la</strong> première expérimentation directement consacrée à Bemisia<br />
Tabaci 41 et encourage le chercheur du CBGP, avec qui elle col<strong>la</strong>bore sur l’utilisation <strong>de</strong>s<br />
myco-insectici<strong>de</strong>s, à réorienter ses recherches. Le chercheur du CBGP est attentif à cette<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Il attache en effet une importance à développer <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherche<br />
pertinentes au regard du développement agricole 42 . Cet attachement s’ancre à <strong>la</strong> fois dans une<br />
conception du métier <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche et dans une dépendance –nous l’avons souligné- par<br />
rapport aux ressources (lieux d’expérimentation, financements) que peuvent lui fournir <strong>de</strong>s<br />
liens avec le développement.<br />
Le second enjeu est <strong>de</strong> se positionner sur une thématique porteuse en terme <strong>de</strong><br />
financements. L’équipe du CBGP espère notamment que le caractère « problématique » <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
thématique Bemisia/viroses permettra <strong>de</strong> faciliter l’obtention <strong>de</strong> financements, notamment au<br />
niveau régional.<br />
Le besoin d’être sur une thématique porteuse se fait d’autant plus sentir qu’en 2001/2002 le<br />
chercheur INRA du CBGP est dans une position re<strong>la</strong>tivement fragile au sein du CBGP et <strong>de</strong><br />
l’INRA. En conflit avec le directeur <strong>de</strong> son UMR qui favorise les approches <strong>de</strong> biologie<br />
évolutive plus fondamentales, il doit faire face à <strong>la</strong> perspective du départ à <strong>la</strong> retraite (en<br />
2003) d’un membre <strong>de</strong> son équipe et à l’annonce <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> thématique d’un<br />
autre jeune collègue. Par ailleurs, il se sent fragilisé dans son affichage « Lutte biologique »<br />
par <strong>la</strong> restructuration du dispositif INRA : dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> création d’un Pôle <strong>de</strong> protection<br />
<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes, le Centre INRA <strong>de</strong> Sophia Antiopolis veut renforcer sa position comme centre<br />
ressources pour <strong>la</strong> lutte biologique et certains <strong>de</strong> ses chercheurs envisagent <strong>de</strong> travailler sur<br />
38 Une réunion regroupant le 12 novembre <strong>de</strong>s techniciens <strong>de</strong> Chambres d'Agriculture (Bouches-du-Rhône et<br />
Pyrénées-Orientales), <strong>de</strong>s techniciens <strong>de</strong> fournisseurs, <strong>de</strong>s techniciens <strong>de</strong> stations ( Sica-Centrex, APREL, Ctifl,<br />
INRA), <strong>de</strong>s scientifiques (LNPV Avignon, Montpellier, Cirad) et <strong>de</strong>s techniciens d’Organisations <strong>de</strong><br />
Producteurs <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales. Au cours <strong>de</strong> cette réunion, un représentant <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV fait état d’analyses au<br />
cours <strong>de</strong>squelles il a trouvé Le LNPV annonce alors que 70% <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> Bemisia Tabaci récoltés dans<br />
les Pyrénées-Orientales en 2001 contenaient du TYLCV.<br />
39 Plusieurs réunions d’informations <strong>de</strong>stinées aux techniciens sont également organisées.<br />
40 Intitulé «Contrôle et Prévention <strong>de</strong>s virus transmis par Bemisia Tabaci en cultures horticoles». Signé en mai<br />
2002. Un programme Interreg est un programme qui réunit plusieurs régions d’au moins <strong>de</strong>ux pays européens<br />
différents autour d’un projet et qui bénéficie <strong>de</strong> subventions du FEDER à 50 %, ici le budget total jusqu’en 2004<br />
est <strong>de</strong> 1 205770€.<br />
41<br />
« Adaptation <strong>de</strong> filets anti-insectes sur les serres et abris, inci<strong>de</strong>nces sur le micro-climat, le comportement <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>ntes et efficacité vis à vis <strong>de</strong> Bemisia Tabaci », présenté dans le Rapport d’Evaluation <strong>de</strong> l’Unité d’Alenya<br />
2004.<br />
42 Il a par exemple développé <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations avec <strong>de</strong>s entreprises productrices <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> lutte biologique<br />
(biopest, koppert).<br />
20
Bemisia 43 . Pour le chercheur du CBGP, il s’agit donc <strong>de</strong> s’appuyer sur un investissement sur<br />
<strong>la</strong> problématique Bemisia pour renforcer son positionnement institutionnel. Il est aidé en ce<strong>la</strong><br />
par <strong>de</strong>s chercheurs IRD du CBGP qui, intéressés à travailler sur Bemisia, rejoignent l’équipe<br />
du chercheur INRA 44 , un ralliement qui, explique-t-il l’a « sauvé »:<br />
Chercheur INRA : je pense que c’est moi qui suis concerné avec l’INRA. A priori je pense que<br />
si j’avais été seul et si j’avais eu dix ou quinze ans <strong>de</strong> moins, j’aurais <strong>de</strong>mandé ma mutation<br />
dans une autre UMR. Ça ce n’est pas <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> le raconter.<br />
Chercheur IRD : nous en ce qui concerne l’IRD on n’a pas cette culture.<br />
Chercheur INRA : et l’IRD m’a sauvé.<br />
Chercheur JF et FP<br />
Pour le chercheur du CBGP l’objectif est donc, à partir <strong>de</strong> 2002, <strong>de</strong> stabiliser durablement <strong>la</strong><br />
thématique Bemisia Tabaci, ce qui est évoqué parfois comme une « conversion ». Pour ce<strong>la</strong>, il<br />
engage avec son équipe qui se construit progressivement un ensemble d’actions qui vont lui<br />
permettre d’é<strong>la</strong>rgir ses réseaux scientifiques en direction notamment d’acteurs déjà mobilisés<br />
sur <strong>la</strong> thématique et <strong>de</strong> tenter, dans ces réseaux, <strong>de</strong> se constituer en point <strong>de</strong> passage obligé.<br />
Cette reconversion, malgré le caractère un peu dramatique <strong>de</strong> l’affichage qui peut en être<br />
parfois fait (ex. rapport du projet final DADP 2), n’est pas sans continuité avec les travaux<br />
menés précé<strong>de</strong>mment, que ce soit au niveau <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> questionnement scientifiques ou <strong>de</strong>s<br />
types <strong>de</strong> partenariat qui sont développés.<br />
Premièrement, l’équipe re<strong>la</strong>nce les liens avec <strong>de</strong>s partenaires régionaux du<br />
développement agricole. Comme nous l’avons évoqué, les liens entre ces stations et l’équipe<br />
du CBGP n’ont jamais été très forts. Ils ont reposé essentiellement sur <strong>la</strong> participation d’un<br />
post-doc qui a fait exister un réseau d’expérimentations entre 1997 et 1999. Pour les re<strong>la</strong>ncer,<br />
le chercheur IRD qui intègre l’équipe en 2001, spécialiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> modélisation <strong>de</strong>s systèmes<br />
multi-trophiques, s’investit dans <strong>de</strong>s réunions avec <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s stations<br />
expérimentales du Languedoc-Roussillon et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provence, en mettant en avant le rôle<br />
d’appui qu’il peut jouer pour résoudre <strong>de</strong>s problèmes d’échantillonnage sur les p<strong>la</strong>nts 45 . Ce<br />
travail ne se fait pas sans difficultés, dans <strong>la</strong> mesure où les ingénieurs <strong>de</strong>s organismes<br />
techniques régionaux critiquent <strong>la</strong> lenteur du travail scientifique proposé par l’équipe<br />
Bemisia, un problème que le chercheur INRA du CBGP interprète comme un déca<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s<br />
« pas <strong>de</strong> temps » entre <strong>la</strong> recherche scientifique qu’il mène et <strong>la</strong> recherche appliquée <strong>de</strong>s<br />
stations 46 .<br />
Deuxièmement, l’équipe entame un premier travail expérimental sur l’insecte Bemisia, dans<br />
le cadre du programme DADP2 alors en cours. Concrètement, le nouveau chercheur <strong>de</strong><br />
l’équipe (IRD) met en p<strong>la</strong>ce, en lien avec <strong>la</strong> station d’Alenya, <strong>de</strong>s protocoles permettant <strong>de</strong><br />
43 Les acteurs ont mentionné à plusieurs reprises l’idée qu’il y avait une concurrence re<strong>la</strong>tivement ancienne entre<br />
le CBGP et le Centre <strong>de</strong> Sophia sur <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l’appropriation <strong>de</strong> l’orientation Protection <strong>de</strong>s cultures par <strong>la</strong><br />
lutte biologique.<br />
44 En 2002 un chercheur <strong>de</strong> l’IRD le rejoint, suivi par <strong>de</strong>ux autres chercheurs <strong>de</strong> l’IRD en 2004, à savoir une<br />
mutation et le recrutement <strong>de</strong> <strong>la</strong> thésar<strong>de</strong> qui avait travaillé sur Bemisia argentifillii avec l’USDA-ARS<br />
45 Il s’agit <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s méthodologies <strong>de</strong> comptage <strong>de</strong>s insectes présents sur les feuilles <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes<br />
cultivées pour pouvoir produire <strong>de</strong>s analyses statistiquement cohérentes <strong>de</strong>s expérimentations sur <strong>la</strong> lutte<br />
biologique (le comptage ne s’effectue pas sur l’ensemble <strong>de</strong>s feuilles et <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes d’un espace <strong>de</strong> culture).<br />
46 Pour une reprise <strong>de</strong> cette analyse, voir le travail d’évaluation du programme DADP par F. Purseigle.<br />
21
enseigner ses outils <strong>de</strong> modélisation <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions pathogènes/auxiliaires <strong>de</strong> lutte 47 . Présentées<br />
dans le rapport final du projet DADP2, ces expérimentations montrent un investissement fort<br />
<strong>de</strong> l’équipe dans <strong>la</strong> nouvelle thématique <strong>de</strong> recherche Bemisia mais qui s’inscrit cependant<br />
dans une continuité méthodologique et <strong>de</strong> questionnement avec les recherches menées<br />
parallèlement ou précé<strong>de</strong>mment sur Trialeuro<strong>de</strong>s.<br />
Enfin, l’équipe se met en re<strong>la</strong>tion avec les chercheurs qui sont, en France et à l’étranger,<br />
positionnés sur <strong>la</strong> thématique Bemisia/viroses dans le cadre du montage d’importants<br />
programmes <strong>de</strong> recherche. En 2003, elle envisage <strong>de</strong> déposer un premier projet dans le cadre<br />
du 6 ème Programme-cadre européen. La déc<strong>la</strong>ration d’intention qui est préparée, intitulée<br />
« Safer vegetables: a system approach in IPM for improving sustainable protected production<br />
systems, emphasis on Mediterranean climatic areas » (Saveprod) 48 , n’est finalement pas<br />
finalisée suffisamment tôt pour pouvoir être déposée. Cependant, elle préfigure l’objectif du<br />
programme BemisiaRisk qui lui fera suite, à savoir constituer un espace <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration<br />
intégratif, pluridisciplinaire, regroupant l’essentiel <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche travail<strong>la</strong>nt sur<br />
<strong>la</strong> thématique Bemisia et <strong>de</strong>s viroses associées dans une perspective <strong>de</strong> protection intégrée <strong>de</strong>s<br />
cultures. La même année, le chercheur du CBGP dépose un petit projet intitulé<br />
"ClimAleuRisk" 49 dans le cadre d’un appel d’offre incitatif financé soutenu par <strong>la</strong> récente<br />
MICCES 50 auquel participe <strong>de</strong>s partenaires avec lesquels il a déjà travaillé avant <strong>la</strong><br />
« reconversion » (INRA Avignon EA, Station d’Alenya et équipes espagnoles <strong>de</strong> l’IRTA et <strong>de</strong><br />
l’Université <strong>de</strong> Leida).<br />
b) La construction du programme Bemisia/viroses <br />
En 2004, le chercheur du CBGP é<strong>la</strong>bore un projet <strong>de</strong> recherche important, appelé<br />
BemisiaRisk, qu’il propose à l’appel d’offre ANR-ADD (proposé en 2005, puis accepté en<br />
2006). Il regroupe un nombre important <strong>de</strong> participants (cf. Tableau 1), dont plusieurs ont eu<br />
ou ont <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherche qui concernent Bemisia et ses virus. Nous allons voir<br />
comment ce projet s’inscrit dans <strong>la</strong> continuité du processus d’enrôlement é<strong>la</strong>rgi décrit plus<br />
haut et focalisé <strong>de</strong>puis 2002 sur Bemisia. Les participants qu’il regroupe et les activités <strong>de</strong><br />
recherche qu’il projette se comprennent à <strong>la</strong> fois comme l’expression <strong>de</strong> <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
bonne recherche portée par l’animateur du projet et comme le résultat <strong>de</strong> décisions<br />
opportunistes et stratégiques visant à garantir le financement du projet et <strong>la</strong> stabilisation <strong>de</strong><br />
l’équipe Bemisia du CBGP.<br />
47 Il s’agit essentiellement : d’une recherche bibliométrique sur les données biologiques concernant Bemisia<br />
Tabaci et son prédateur Macrolophus caliginosus ; <strong>de</strong>s essais en phytotrons pour étudier l’influence <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
température sur <strong>la</strong> biologie <strong>de</strong> Bemisia tabaci à partir <strong>de</strong> souches recueillies à Alenya (2003/2004) ; une étu<strong>de</strong> sur<br />
les préférences alimentaires et <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> prédation <strong>de</strong> Macrolophus vis-à-vis <strong>de</strong> Bemisia tabaci et<br />
Trialeuro<strong>de</strong>s Vaporarium dans le cadre <strong>de</strong>s serres avec les nouvellement installés filets insect-proof <strong>de</strong> <strong>la</strong> station<br />
d’Alenya (2003).<br />
48 Déc<strong>la</strong>ration d’intention pour un STREP, <strong>de</strong>vant être déposée avant le 15-04-2003. La Déc<strong>la</strong>ration d’Intention<br />
part du constat du manque <strong>de</strong> programmes interdisciplinaires et souligne que <strong>la</strong> recherche en gestion intégrée <strong>de</strong>s<br />
cultures est une priorité « because of the increasing risk of spreading on new pests (e.g. Bemisia argentifolii) ».<br />
Elle liste un nombre très important <strong>de</strong> partenaires potentiels français et européens<br />
49 "Changements climatiques et risques phytosanitaires: cas du risque Bemisia et conséquences en protection<br />
intégrée <strong>de</strong>s cultures légumières"<br />
50 La mission "Changement Climatique et Effet <strong>de</strong> Serre" (MICCES) <strong>de</strong> l'INRA a été mise en p<strong>la</strong>ce au printemps<br />
2002, pour encourager le montage et les étapes initiales <strong>de</strong> <strong>la</strong> création <strong>de</strong> projets : actions transversales internes,<br />
contributions à <strong>de</strong>s programmes nationaux, européens ou internationaux.<br />
22
La mise en programme comme é<strong>la</strong>rgissement et stabilisation <strong>de</strong> réseaux <strong>de</strong> <br />
col<strong>la</strong>boration <br />
Que ce soit dans <strong>la</strong> réponse à l’appel d’offre <strong>de</strong> 2005 ou <strong>de</strong> 2006, le porteur CBGP du<br />
projet insiste sur <strong>la</strong> nécessité d’abor<strong>de</strong>r un éventail <strong>la</strong>rge <strong>de</strong>s questions scientifiques rattachées<br />
à <strong>la</strong> problématique Bemisia/viroses. Cette hétérogénéité <strong>de</strong>s questions scientifiques soulevées<br />
dans le projet BemisiaRisk est inscrite dans le choix d’une perspective qualifiée assez<br />
indifféremment <strong>de</strong> pluridisciplinaire, systémique ou interdisciplinaire. Cette perspective peut<br />
potentiellement inclure un éventail très <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> questionnements et un nombre très important<br />
d’équipes <strong>de</strong> recherches. Le cadrage « systémique » est en effet un cadrage flou dont le<br />
contenu s’est construit <strong>de</strong> manière contingente et opportuniste au cours du montage et du<br />
déroulement du projet.<br />
Tableau 1 : Composition du projet<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s présentations qui justifient l’extension <strong>de</strong>s champs disciplinaires dans le<br />
projet par leur « nécessité », leur capacité à « faire sauter » <strong>de</strong>s « verrous scientifiques », les<br />
limites du projet BemisiaRisk se construisent par rapport à <strong>la</strong> visée <strong>de</strong> :<br />
1/ inclure un maximum <strong>de</strong> chercheurs qui travaillent, avant l’existence du projet, sur <strong>la</strong><br />
thématique Bemisia ou Viroses associées ;<br />
23
2/ continuer <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations déjà engagées.<br />
Dans le tableau ci-<strong>de</strong>ssus, on remarque que l’essentiel <strong>de</strong>s équipes répon<strong>de</strong>nt à ces <strong>de</strong>ux<br />
critères en même temps (en vert). Celles qu’y n’y répon<strong>de</strong>nt pas ont fait leur entrée dans le<br />
projet pour <strong>de</strong>s raisons plus contingentes (compétences, signal vis-à-vis <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong><br />
financement).<br />
• Comment <strong>la</strong> problématique du rôle <strong>de</strong>s endosymbiotes <strong>de</strong>vient un outil<br />
clef <strong>de</strong> <strong>la</strong> génétique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Bemisia?<br />
Le projet BemisiaRisk initie une col<strong>la</strong>boration entre l’équipe du CBGP et une UMR<br />
<strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> Lyon, spécialiste <strong>de</strong> génétique évolutive. Cette équipe prend en charge une<br />
recherche visant à étudier <strong>la</strong> prévalence <strong>de</strong> symbiotes secondaires sur les popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong><br />
Bemisia et leurs effets (<strong>dynamique</strong> et structuration <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions, vectorisation). Le fait que<br />
cette approche soit mise en avant dans le cadre du projet est lié à un ensemble <strong>de</strong> conditions<br />
contingentes. L’équipe <strong>de</strong> Lyon a en effet été prévenue par une équipe INRA <strong>de</strong> l’existence<br />
du projet BemisiaRisk. Cherchant <strong>de</strong>s financements et à justifier <strong>de</strong> débouchés plus appliqués<br />
pour <strong>de</strong>s recherches qu’elle avait jusque là menée uniquement sur <strong>la</strong> drosophile, elle contacte<br />
le coordinateur du CBGP <strong>de</strong> son intérêt pour le projet. Celui-ci n’ayant pas réussi à trouver au<br />
CBGP <strong>de</strong> scientifiques pouvant appuyer méthodologiquement l’analyse phylogénétique <strong>de</strong>s<br />
échantillons <strong>de</strong> Bemisia qu’il voudrait faire, accepte qu’il rentre dans le projet.<br />
Ensuite ce qui s’est passé c’est que nous avions besoin <strong>de</strong> généticiens <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> haut<br />
niveau et <strong>de</strong> phylogénéticiens <strong>de</strong> manière à avoir une base conceptuelle soli<strong>de</strong> pour analyser<br />
<strong>la</strong> génétique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> bemisia au sein <strong>de</strong> l’ensemble du bassin méditerranéen. On<br />
avait un chercheur dans notre groupe, qui est une chercheur <strong>de</strong> l’IRD, qui au départ a fait une<br />
thèse sur le parasitisme, qui s’est mise à l’approche molécu<strong>la</strong>ire mais qui n’a pas le<br />
background <strong>de</strong> biologie évolutive nécessaire (…) elle est compétente, mais encore une fois <strong>la</strong><br />
biologie évolutive ce n’est pas son cœur <strong>de</strong> métier. Donc on vou<strong>la</strong>it l’adosser à une équipe<br />
forte en phylogénie (…) tout ça nous l’avons au CBGP, mais moi j’avais fait <strong>la</strong> tournée <strong>de</strong>s<br />
popotes en <strong>de</strong>mandant à mes collègues est-ce que vous êtes disponibles (…) et le gros<br />
problème c’est que ces gens là étaient sur-occupés. Donc en fait c’est par opportunisme que<br />
j’ai dit (au chercheur <strong>de</strong> Lyon) bah ça tombe bien, tu veux t’intéresser à Bemisia, tu nous<br />
sollicites pour avoir notre ai<strong>de</strong> par rapport à <strong>de</strong>s sorties plus vers …comment dire…vers <strong>la</strong><br />
<strong>dynamique</strong> <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions, vers l’épidémio etc. nous on est d’accord pour jouer avec toi,<br />
mais en contrepartie on te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> rentrer dans notre projet pour faire ce qui avait à faire<br />
en génétique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions …<br />
Chercheur INRA<br />
Le chercheur est affiché et financé dans le projet avec sa nouvelle thématique, en échange <strong>de</strong><br />
quoi il lui est <strong>de</strong>mandé un appui méthodologique sur <strong>de</strong>s approches plus c<strong>la</strong>ssiques <strong>de</strong><br />
génétique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions. On voit dans cet exemple comment l’objectif initial <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />
analyses <strong>de</strong> <strong>la</strong> génétique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Bemisia prend <strong>la</strong> forme d’un axe <strong>de</strong> recherche<br />
complexe où plusieurs métho<strong>de</strong>s d’analyses (caractérisation <strong>de</strong>s biotypes (PCR spécifique,<br />
gène mitochondrial) <strong>de</strong>s infra-biotypes (marqueurs microsatellites) et caractérisation <strong>de</strong>s<br />
endosymbiotes sont utilisées et mises en avant comme également nécessaires.<br />
24
• Comment <strong>la</strong> cyndinique <strong>de</strong>vient l’approche fédérative en sciences sociales.<br />
L’intégration <strong>de</strong>s sciences sociales a un double enjeu. D’une part il s’agit <strong>de</strong> favoriser<br />
l’acceptation du projet en répondant à l’exigence perçue <strong>de</strong> l’appel à proposition. 51 D’autre<br />
part le coordonnateur est convaincu <strong>de</strong> l’intérêt <strong>de</strong>s sciences sociales à <strong>la</strong> fois pour donner un<br />
retour réflexif sur les activités <strong>de</strong> recherche et avoir une meilleure connaissance <strong>de</strong>s enjeux<br />
« sociaux ». Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette conviction, l’intégration <strong>de</strong>s sciences sociales n’est pas liée à<br />
l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> questions <strong>de</strong> recherches précises et se concrétise <strong>de</strong> manière assez<br />
contingente sur un mo<strong>de</strong> plutôt opportuniste 52 , bien que <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce soit<br />
abordée dans sa dimension sociale par certains chercheurs. En 2004, le coordinateur CBGP<br />
prend connaissance du travail d’un étudiant en sociologie sur <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise TYLCV <strong>de</strong><br />
2003 dans les Pyrénées-orientales, qui a mis en col<strong>la</strong>boration l’unité SAD d’Alenya et un<br />
chercheur <strong>de</strong> l’UMR SADapt <strong>de</strong> Paris-Grignon travail<strong>la</strong>nt sur les risques collectifs. Le<br />
chercheur SADapt s’implique fortement dans <strong>la</strong> construction du projet et apparaît dans <strong>la</strong><br />
version 2005 comme responsable d’opérations <strong>de</strong> recherches et d’intégration, acceptées par le<br />
coordinateur du CBGP qui vali<strong>de</strong> dans le fond l’ensemble <strong>de</strong> ses propositions. Lorsque après<br />
un premier refus, le projet est redéposé en 2006, <strong>la</strong> configuration a changé. En effet, le<br />
chercheur SADapt, coordinateur d’un autre projet <strong>de</strong> recherche (PRODD) accepté <strong>la</strong> même<br />
année, n’est plus disponible pour s’engager fortement sur BemisiaRisk, alors même que<br />
l’appel à proposition 2006 insiste à nouveau et fortement sur <strong>la</strong> priorité qu’il sera donné aux<br />
projets incluant les sciences sociales. Un spécialiste <strong>de</strong> cyndinique, qui encadre lui-même une<br />
doctorante travail<strong>la</strong>nt sur <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion administrative <strong>de</strong>s risques phytosanitaires<br />
est alors contacté pour participer au projet. Celui-ci accepte et <strong>de</strong>vient un partenaire principal<br />
dans une approche <strong>de</strong> sciences sociales inscrite dans au registre disciplinaire <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong><br />
gestion et orientée principalement par <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> retours d’expérience.<br />
Au final l’acceptation du projet, qui regroupe dix équipes <strong>de</strong> recherche autour <strong>de</strong> 6 axes<br />
d’activités (Working Packages), marque un re<strong>la</strong>tif succès <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconversion <strong>de</strong> l’équipe du<br />
CBGP 53 .<br />
Dans le cas Bemisia, l’enjeu <strong>de</strong> l’équipe du CBGP, parce qu’elle cherche à stabiliser<br />
cette reconversion, est d’intéresser durablement les multiples équipes engagées qui ont leurs<br />
recherches propres en lien avec <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration propres 54 et <strong>de</strong> renforcer<br />
durablement leur centralité dans ces réseaux. Pour ce<strong>la</strong>, à côté <strong>de</strong> BemisiaRisk, le<br />
51 L’appel à projet 2005 précise : « La col<strong>la</strong>boration interdisciplinaire est considérée à <strong>la</strong> fois comme un enjeu<br />
majeur et une condition <strong>de</strong> réussite du programme, en particulier entre disciplines biotechniques et sciences<br />
économiques et sociales. »<br />
52 Ici nous voulons insister sur le fait que les attentes scientifiques du coordinateur au regard <strong>de</strong>s sciences<br />
sociales ne sont jamais évoquées c<strong>la</strong>irement et sont secondaires au regard <strong>de</strong> l’objectif <strong>de</strong> voir le projet accepté.<br />
Elles se révèlent au fur et à mesure du projet, leur assignant une p<strong>la</strong>ce critique ambiguë, sur <strong>la</strong>quelle nous allons<br />
revenir.<br />
53 D’un point <strong>de</strong> vue plus institutionnel, le cadre <strong>de</strong>s différentes actions préparatoires, Bemisia est reconnu<br />
comme un modèle du CBGP lors <strong>de</strong> l’évaluation <strong>de</strong> l’unité en 2005, et à nouveau en 2010.<br />
54 L’observation que nous avons faite lors d’une réunion consacrée aux activités scientifiques d’épidémiologie<br />
fut l’occasion <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> cet objectif et <strong>de</strong> sa difficulté : le coordonnateur du CBGP<br />
y rappelle sans cesse à ses partenaires qu’il est nécessaire <strong>de</strong> coordonner <strong>la</strong> collecte <strong>de</strong>s échantillons, <strong>de</strong> le tenir<br />
informé <strong>de</strong>s différentes col<strong>la</strong>borations engagées avec d’autres équipes <strong>de</strong> recherche ou avec <strong>de</strong>s partenaires du<br />
développement et <strong>de</strong> lui donner les moyens <strong>de</strong> coordonner ces col<strong>la</strong>borations. A l’inverse, certains chercheurs<br />
soulignent en aparté qu’il a tendance à « bousculer <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions établies » et rappellent au cours <strong>de</strong> cette réunion,<br />
dans un souci d’affirmer leur autonomie, qu’un engagement dans le projet BemisiaRisk n’empêche pas <strong>de</strong><br />
développer par ailleurs, sur cette thématique ou d’autres, <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations autres.<br />
25
coordinateur du CBGP –dans <strong>la</strong> continuité du mouvement engagé au début <strong>de</strong>s années 2000-<br />
initie plusieurs autres projets <strong>de</strong> recherche dont il est animateur. En 2007, il répond à l’appel<br />
d’offre PSDR 3 <strong>la</strong>ncé au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> région Languedoc-Roussillon pour présenter un projet<br />
intitulé Climbiorisk. Accepté 55 , ce projet regroupe l’essentiel <strong>de</strong>s équipes présentes dans le<br />
projet BemisiaRisk. Il permet également <strong>de</strong> financer <strong>de</strong>s organismes professionnels qui<br />
n’avaient pas pu être financés dans le cadre du projet ADD et permet d’engager le travail<br />
d’une équipe dédiée à <strong>la</strong> création d’une p<strong>la</strong>teforme SMA d’intégration <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong><br />
produites. Son montage est parallèle à <strong>la</strong> reprise par le coordinateur Bemisia d’un projet<br />
DAR 56 -finalement refusé- visant à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un « réseau d’épidémiosurveil<strong>la</strong>nce » et<br />
à l’engagement d’une réflexion sur le montage d’un projet intitulé Systembiorisk dans le<br />
cadre d’un appel d’offre <strong>la</strong>ncé par le GIS PICLeg 57 visant à financer plus avant l’équipe<br />
engagée sur <strong>la</strong> SMA. L’extrait <strong>de</strong> conversation téléphonique retranscrit ci-<strong>de</strong>ssous montre<br />
comment ses projets mettent en œuvre un important travail <strong>de</strong> mobilisation <strong>de</strong> réseaux<br />
re<strong>la</strong>tionnels existants et visent à stabiliser et développer les engagements pris avec les<br />
différents partenaires en complétant les financements issus <strong>de</strong> l’appel d’offre ANR.<br />
Maintenant, c'est <strong>de</strong>s petits projets. Il va ressortir <strong>de</strong>s miettes. Une <strong>de</strong>s questions pour moi,<br />
c'est <strong>de</strong> serrer les partenaires. Parce que, pour ADD, pour les partenaires il n'y avait rien. 10<br />
% du montant <strong>de</strong> PSDR 3 pourraient aller à <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> services. Du coup, je me suis<br />
mis en chasse d'autres choses. La DAR. (…) C'est quand même intéressant car ça va ouvrir<br />
<strong>de</strong>s possibilités sur <strong>la</strong> valorisation. Avec <strong>de</strong>s acteurs comme <strong>la</strong> chambre d'agriculture. Là on<br />
va pouvoir financer les partenaires. Pour le sujet, ils ont repris le titre du réseau, je leur ai<br />
proposé « vulnérabilité et gouvernance territoriale : épidémiosurveil<strong>la</strong>nce etc. ». Sachant que<br />
c'est un <strong>de</strong>s thèmes qui est dans l'appel d'offres « innovation et partenariat » et que ça<br />
concerne parfaitement notre situation territoriale, c'est-à-dire <strong>la</strong> question du réchauffement<br />
climatique et <strong>de</strong>s nombreux échanges commerciaux, enfin tu sais ça par coeur.<br />
Une autre chose intéressante, on a accroché avec (une technicien <strong>de</strong> terrain) qui est en lien<br />
direct avec les Organisations <strong>de</strong> Producteurs (…) Toutes les semaines elle va observer les<br />
ma<strong>la</strong>dies chez les producteurs, et à <strong>la</strong> possibilité d'être présente chez eux. Via son<br />
intermédiaire, on pourrait être présente chez les producteurs, expérimenter les<br />
échantillonnages. (…) Si le DAR et PSDR 3 fonctionnent, ça <strong>de</strong>vrait abon<strong>de</strong>r pour elle. Là ça<br />
serait un bon coup parce qu’on est face aux Organisations <strong>de</strong> Producteurs et on n’a jamais<br />
réussi ça. Voilà où nous en sommes. Du coup j’ai été un peu en retrait sur BemisiaRIsk, j’ai<br />
du mouiller <strong>la</strong> chemise sur ces projets.<br />
Chercheur F<br />
55 Cf. Document évaluation du projet : Le projet est accepté sous condition <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s montants <strong>de</strong>mandés<br />
(<strong>de</strong> 210k€ à 110 K€), <strong>de</strong> délimitation stricte autour <strong>de</strong>s problématiques opérationnelles (« organisation <strong>de</strong><br />
l’épidémiosurveil<strong>la</strong>nce, <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> décision, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du risque ») et du renforcement <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions avec<br />
<strong>la</strong> PV et les Instituts techniques.<br />
56 En 2004, <strong>la</strong> CRA PACA présente un projet visant à financer <strong>de</strong>s organismes professionnels (La FREDON<br />
PACA, <strong>de</strong>s stations d’expérimentations régionales (APREL, La Pugère, SERFEL et SICA CENTREX), les<br />
LNPV entomologie et virologie, les Chambres d’Agricultures départementales (13,84,30,66) et les groupements<br />
<strong>de</strong> producteurs) via <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un dispositif <strong>de</strong> coordination <strong>de</strong>s échanges d’informations entre les<br />
partenaires (cf. Projet). Ce projet qui vise -dans <strong>la</strong> logique développée alors par le Ministère <strong>de</strong> l’agriculture <strong>de</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce biologique du territoire- l’ensemble <strong>de</strong>s pathogènes <strong>de</strong>s filières maraîchères et fruitières <strong>de</strong>s régions<br />
LR et PACA est refusé. En 2007 et 2008, il est repris par <strong>la</strong> CRA LR, avec l’ai<strong>de</strong> du groupe BR qui y voit un<br />
moyen <strong>de</strong> financer les organisations professionnelles affichées dans l’ANR (cf. entretien Pellegrin).<br />
57 L’un <strong>de</strong>s participants au projet BR, le responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> Station UE SAD, a été co-responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en<br />
p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> ce programme initié par l’INRA en 2007 et joue un rôle d’informateur sur les opportunités <strong>de</strong><br />
financement qu’il permettait.<br />
26
Le coordinateur <strong>de</strong> BemisiaRisk y apparaît comme un entrepreneur <strong>de</strong> recherche, engagé dans<br />
<strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> financements et dans <strong>la</strong> constitution d’une <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borations, et<br />
pour qui chaque nouvel appel d’offre constitue une opportunité d’étendre le programme <strong>de</strong><br />
recherche qu’il s’est fixé. Cet extrait souligne également son double rapport au partenariat.<br />
Les organisations professionnelles sont en effet présentées à <strong>la</strong> fois comme <strong>de</strong>s organisations<br />
dont <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration est utile à <strong>la</strong> justification <strong>de</strong> l’activité scientifique auprès <strong>de</strong>s financeurs<br />
et à <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>s expérimentations envisagées, et à <strong>la</strong> fois comme les organisations auprès<br />
<strong>de</strong>squelles les résultats <strong>de</strong>s recherches doivent pouvoir être valorisés, dont les attentes doivent<br />
être prises en compte. Cette double perspective implique une problématisation <strong>de</strong> Bemisia et<br />
<strong>de</strong>s virus dont il est porteur à <strong>la</strong> fois comme <strong>de</strong>s modèles biologiques pour produire <strong>de</strong>s<br />
<strong>connaissances</strong> scientifiques génériques 58 et comme enjeux sanitaires concrets pour les mon<strong>de</strong>s<br />
administratifs et professionnels.<br />
Ces mon<strong>de</strong>s se sont faiblement « appropriés » Bemisia comme enjeu sanitaire. En effet,<br />
comme nous allons le voir maintenant, le dossier Bemisia est caractérisé par l’absence d’un<br />
propriétaire c<strong>la</strong>ir du pathogène. Contrairement à d’autres cas étudiés, l’action scientifique ne<br />
s’aligne donc pas sur une problématisation du pathogène portée par un acteur extérieur au<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche. Dans ce cadre, l’enjeu n’est plus <strong>de</strong> garantir l’autonomie <strong>de</strong> l’activité<br />
scientifique par rapport à <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> gestion qui lui seraient externes mais au contraire <strong>de</strong><br />
l’ouvrir à d’autres activités et mon<strong>de</strong>s sociaux pour les intéresser.<br />
2) BemisiaViroses : Faire exister le risque pour pouvoir faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <br />
Recherche <br />
ClimbioRisk, BemisiaRisk, SystemBioRisk… les noms <strong>de</strong>s différents projets <strong>de</strong><br />
recherche associés et initiés par le chercheur du CBGP affichent explicitement le risque<br />
comme thématique <strong>de</strong> travail. Dans les projets, les communications publiques, les réunions <strong>de</strong><br />
travail les pathogènes étudiés sont toujours convoqués comme risques, compris ici dans une<br />
acceptation assez <strong>la</strong>rge : les conséquences économiques négatives sur les systèmes <strong>de</strong><br />
production agricoles, l’impact sur les pratiques agricoles néfastes à <strong>la</strong> santé et à<br />
l’environnement (utilisation <strong>de</strong> pestici<strong>de</strong>s, arrêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte biologique etc.), les effets<br />
potentiels plus directs sur santé <strong>de</strong>s consommateurs ou <strong>la</strong> biodiversité …multiples sont les<br />
effets potentiels et incertains <strong>de</strong>s pathogènes qui sont présentés à <strong>la</strong> fois comme <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong><br />
connaissance et <strong>de</strong> gestion. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’effet rhétorique, cet affichage du risque comme enjeu<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation scientifique se donne à voir dans les choix <strong>de</strong> recherche et<br />
d’expérimentation. Il s’appuie sur une conception <strong>de</strong> l’activité scientifique comme activité<br />
<strong>de</strong>vant produire <strong>de</strong>s résultats opérationnels. Surtout, nous insisterons ici sur le fait se déploie<br />
dans un contexte <strong>de</strong> faible appropriation du pathosystème comme enjeu phytosanitaire,<br />
contexte qui rend tout à <strong>la</strong> fois possible et problématique le portage <strong>de</strong> cet enjeu par les<br />
acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche.<br />
a) Un problème en quête <strong>de</strong> propriétaire <br />
D’une manière générale, l’engagement administratif sur <strong>la</strong> thématique Bemisia/viroses repose<br />
sur <strong>la</strong> mobilisation d’agents directement confrontés au problème, dans les services<br />
58 Nous allons souligner ci-<strong>de</strong>ssous sur l’ambiguïté <strong>de</strong> <strong>la</strong> généricité revendiquée dans les entretiens, dans les<br />
présentations publiques <strong>de</strong>s activités scientifiques réunies autour <strong>de</strong> l’enjeu BemisiaViroses, qui peut renvoyer à<br />
<strong>la</strong> généricité <strong>de</strong>s savoirs proprement produits, à <strong>la</strong> généricité du mo<strong>de</strong> d’organisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration<br />
scientifique, mais n’est jamais abordée au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> son énonciation en tant qu’objectif durant le début du projet.<br />
27
déconcentrés et est très directement liée à l’existence <strong>de</strong> foyers importants <strong>de</strong> virus. On a ainsi<br />
vu dans <strong>la</strong> première partie comment l’alerte sur le TYLCV avait été portée au sein du SPV par<br />
un agent particulièrement impliqué sur le dossier qui a du se mobiliser fortement pour que <strong>la</strong><br />
nécessité d’alerter sur le sujet soit prise en compte et que <strong>de</strong>s moyens soient débloqués à<br />
l’é<strong>la</strong>boration d’outils <strong>de</strong> détection du virus. On peut également noter que les activités <strong>de</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce du territoire réalisée par les services <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux sont sans<br />
commune mesure 59 avec les moyens mis en œuvre, en anticipation et en gestion, sur <strong>la</strong><br />
problématique Diabrotica. Les p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce font suite aux découvertes du pathogène,<br />
ils sont limités dans leurs moyens, reposant essentiellement sur <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />
d’observations visuelles (que <strong>de</strong>s tests viennent confirmer) et l’activité locale d’un faible<br />
nombre <strong>de</strong> personnes 60 .<br />
Parallèlement, <strong>la</strong> problématique Bemisia/Viroses n’est pas non plus considérée, hors <strong>de</strong>s<br />
pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fortes infestations, comme une thématique prioritaire pour les organisations<br />
professionnelles et les agriculteurs. Ils ont l’impression qu’il est possible <strong>de</strong> s’accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> présence <strong>de</strong>s virus dont l’insecte est porteur et sont confrontés à d’autres priorités (retrait<br />
<strong>de</strong>s matières actives, question du vieillissement <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions expérimentales, etc.).<br />
Plusieurs éléments exemplifient cette faible appropriation <strong>de</strong> l’enjeu. Une enquête menée en<br />
2005 par une ingénieure participante au programme BemisiaRisk auprès <strong>de</strong> techniciens et<br />
d’agriculteurs du sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France souligne ainsi que « Globalement, le risque phytosanitaire<br />
associé à B. tabaci, n’est pas une priorité pour les techniciens et professionnels <strong>de</strong><br />
l’agriculture. Ils ont appris à vivre avec B. tabaci et le TYLCV et ces <strong>de</strong>rnières années <strong>la</strong><br />
vigi<strong>la</strong>nce est retombée du fait d’une pression faible. (…) les ma<strong>la</strong>dies causées par Botrytis sp,<br />
C<strong>la</strong>vibacter sp et à Pepinovirus sont ainsi beaucoup plus préoccupantes (dégâts, risques <strong>de</strong><br />
contamination) que le TYLCV aux yeux <strong>de</strong>s professionnels » (I. Deus, forum BemisiaRisk<br />
2007) 61 . Par ailleurs, les dispositifs professionnels <strong>de</strong> veille et d’alerte animés par les<br />
chambres et les organisations professionnelles (cellule <strong>de</strong> veille) sur lesquels nous reviendrons<br />
plus loin ne fonctionnent plus hors <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> fortes infestations, c’est à dire<br />
essentiellement hors <strong>de</strong> l’année 2003 et, dans une moindre mesure, 2006.<br />
Mais attention, ce<strong>la</strong> ne signifie pas que Bemisia et ses virus ne fassent pas l’objet d’une<br />
attention professionnelle, mais que, comparativement à <strong>de</strong>s organismes comme Diabrotica ou<br />
Ralstonia, il ne semble pas considéré comme une thématique qui justifie un investissement<br />
soutenu et prioritaire 62 .<br />
59 Des éléments plus détaillés sur <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce seront développés dans les chapitres 3 et 4. Sans avoir les<br />
moyens <strong>de</strong> faire une sociologie <strong>de</strong> l’administration sanitaire, les éléments collectés sur cette pério<strong>de</strong> permettent<br />
<strong>de</strong> penser que les priorités <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV portent sur d’autres pathogènes, au premier rang <strong>de</strong>squels Diabrotica et <strong>la</strong><br />
Sharka (cf. conclusion <strong>de</strong> <strong>la</strong> thèse). Il est notable par exemple qu’il est très difficile d’avoir une représentation<br />
chronologique et spatiale cohérente <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce menées par <strong>la</strong> PV au niveau national sur<br />
Bemisia et son vecteur, alors que cette information est très facilement accessible concernant Diabrotica.<br />
60 Cf présentation d’un responsable PV au forum Bemisiarisk 2008 intitulé « Surveil<strong>la</strong>nce du TYLCV en tomates<br />
sous serres dans les Pyrénées Orientales » (consultable en mai 2009 à http://www1.<br />
montpellier.inra.fr/CBGP/Risques_phytosanitaires/E7-.%20Larguier%20&%20G.%20Goarant.pdf). Elle reprend<br />
les résultats <strong>de</strong> l’activité d’un agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV qui a joué un rôle important dans <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce au niveau<br />
départemental. Cette surveil<strong>la</strong>nce s’arrête, <strong>de</strong> manière significative, à son départ à <strong>la</strong> retraite au 1 août 2007, à <strong>la</strong><br />
pério<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus critique d’un point <strong>de</strong> vue sanitaire.<br />
61 Ce constat avait déjà été fait en 2004 dans le cadre <strong>de</strong> ma recherche en DEA, un an après ce qui avait été<br />
considéré une situation <strong>de</strong> crise dans les Pyrénées orientales.<br />
62 Une autre manière d’appréhen<strong>de</strong>r ce<strong>la</strong> est d’étudier <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce accordée à Bemisia et ses virus dans les<br />
programmes <strong>de</strong>s stations expérimentales professionnelles. La consultation du recensement <strong>de</strong>s expérimentations<br />
d’une station comme l’APREL sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> donnée Oryx du CTIFL met par exemple en évi<strong>de</strong>nce <strong>la</strong> montée en<br />
28
Plusieurs hypothèses peuvent être faites quant aux raisons <strong>de</strong> cette faible appropriation. En ce<br />
qui concerne l’administration, Bemisia et ses virus ont pu être perçus comme <strong>de</strong>s enjeux<br />
économiques d’importance re<strong>la</strong>tivement faible et <strong>de</strong>s problèmes phytosanitaires qui, parce que<br />
trop complexes et ne présentant pas <strong>de</strong> solutions simples en termes <strong>de</strong> gestion, n’ont pas<br />
réussi à susciter un fort investissement 63 . En ce qui concerne les organisations<br />
professionnelles, <strong>la</strong> nature moins centralisée <strong>de</strong> leurs re<strong>la</strong>tions au niveau national a pu à <strong>la</strong> fois<br />
affaiblir leur capacité à inscrire le problème comme enjeu à l’agenda <strong>de</strong>s pouvoirs publics et<br />
en même temps rendre <strong>la</strong> construction collective d’une vision partagée du problème difficile.<br />
Rappelons également que <strong>la</strong> production maraîchère est commercialisée sur <strong>de</strong>s marchés où les<br />
prix, et non <strong>la</strong> qualité sanitaire, sont l’enjeu principal. Aux vues du coût économique <strong>de</strong><br />
l’application <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte obligatoire en cas <strong>de</strong> découverte <strong>de</strong> foyers <strong>de</strong> TYLCV, les<br />
organisations professionnelles ont pu estimer qu’il était préférable <strong>de</strong> ne pas donner trop<br />
d’importance au problème. Pour les <strong>de</strong>ux types d’acteurs, les données épidémiologiques<br />
disponibles sur Bemisia et ses virus ont pu faire douter <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> l’enjeu. L’aleuro<strong>de</strong><br />
Bemisia est un insecte petit, qui peut se confondre avec d’autres insectes et les différents virus<br />
dont il est porteur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt, pour être i<strong>de</strong>ntifiés, <strong>la</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> tests dont les résultats<br />
peuvent être controversés. Après l’épiso<strong>de</strong> canicu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> 2003, il est beaucoup moins observé<br />
dans les serres <strong>de</strong> culture et en milieu naturel 64 .<br />
Pour les acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche qui se mobilisent sur Bemisia et Viroses, cette fragilité<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> constitution du pathosystème comme enjeu sanitaire a une conséquence double : en<br />
même temps qu’elle leur <strong>la</strong>isse ce qu’on pourrait appeler un espace <strong>de</strong> problématisation<br />
beaucoup plus ouvert <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire, elle les incite à entreprendre un travail<br />
important <strong>de</strong> production d’arguments, <strong>de</strong> traces, <strong>de</strong> discours, pour « faire exister » le problème<br />
et intéresser les autres acteurs à son traitement.<br />
b) De <strong>la</strong> crise au risque <strong>de</strong> réémergence : produire <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> <br />
pour faire exister un problème <br />
Dans les cas Ralstonia et Diabrotica, par ailleurs étudiés, les orientations <strong>de</strong> recherche<br />
se construisent dans <strong>la</strong> prise en compte <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions avec <strong>de</strong>s acteurs propriétaires d’un enjeu<br />
sanitaire, que ce soit pour répondre à <strong>de</strong>s interrogations précises, <strong>de</strong>s besoins en termes<br />
d’outils qu’ils pourraient avoir et, au moins, <strong>de</strong> manière à s’inscrire dans leur problématisation<br />
<strong>de</strong> cet enjeu et <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s qu’il soulève.<br />
Dans le cas Bemisia, cette problématisation extérieure <strong>de</strong> l’enjeu est beaucoup plus floue. Les<br />
chercheurs n’ont pas face à eux un représentant incontournable du pathogène avec lequel il<br />
faudrait négocier <strong>la</strong> problématisation <strong>de</strong> l’enjeu. La mobilisation scientifique repose sur<br />
l’assemb<strong>la</strong>ge d’un nombre important d’équipes <strong>de</strong> recherche qui problématisent le<br />
pathosystème Bemisia/virus comme enjeu sanitaire <strong>de</strong> manière très diverse et explorent <strong>de</strong><br />
puissance <strong>de</strong>s expérimentations sur Bemisia à partir <strong>de</strong> 2002, mais également son intégration à <strong>de</strong>s<br />
problématiques plus générales <strong>de</strong> protection intégrée <strong>de</strong>s cultures et <strong>de</strong> lutte contre les aleuro<strong>de</strong>s, notamment<br />
après que les popu<strong>la</strong>tions trouvées aient été faibles en 2004/2005.<br />
63 Plusieurs éléments ren<strong>de</strong>nt le problème plus complexe par rapport à Diabrotica : Bemisia, <strong>de</strong> petite taille,<br />
arrivant sans cesse dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s marchandises, vecteur <strong>de</strong> multiples virus, est un insecte<br />
beaucoup plus difficile à éradiquer que Diabrotica.<br />
64 Cf. résultats <strong>de</strong> l’enquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV. On pourra justement souligner que c’est également parce qu’on ne veut pas<br />
le constituer comme enjeu que les moyens qui seraient nécessaires à l’observation <strong>de</strong> son maintien et <strong>de</strong> son<br />
développement ne sont pas mis en p<strong>la</strong>ce : il y a un renforcement <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> <strong>la</strong> faible appropriation.<br />
29
nombreuses incertitu<strong>de</strong>s : les travaux sur les recombinaison <strong>de</strong>s begomovirus en <strong>la</strong>boratoires<br />
menés par les virologues du CIRAD à Montpellier soulèvent <strong>la</strong> possibilité future d’émergence<br />
<strong>de</strong> virus inconnus, peut être plus virulents que le TYLCV ; les travaux <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> Biologie<br />
<strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> l’équipe CNRS <strong>de</strong> Lyon soulèvent <strong>la</strong> possibilité d’une évolution différenciée<br />
<strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> vection <strong>de</strong>s insectes en fonction <strong>de</strong>s endosymbiotes dont ils sont porteurs ; les<br />
travaux <strong>de</strong> l’équipe INRA <strong>de</strong> virologie d’Avignon soulèvent <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> transmission<br />
d’autres genres <strong>de</strong> virus (ipomovirus, crinivirus) par Bemisia ; les travaux <strong>de</strong> modélisation<br />
menés par l’équipe du CBGP soulèvent <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s transformations du pathosystème en<br />
cas <strong>de</strong> réchauffement climatique (transformation phénotypiques et génétiques <strong>de</strong> l’insecte,<br />
é<strong>la</strong>rgissement <strong>de</strong> son aire d’extension) et explorent <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> sa survie en pério<strong>de</strong><br />
hivernale. Le projet montre alors une capacité forte d’exploration distribuée.<br />
Cependant, en même temps qu’elle ouvre l’espace <strong>de</strong> problématisation, l’absence<br />
d’appropriation <strong>de</strong> l’enjeu sanitaire par un acteur externe au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche pose aux<br />
chercheurs qui animent <strong>la</strong> mobilisation un certains nombres <strong>de</strong> difficultés. D’une part, certains<br />
chercheurs –et notamment l’animateur principal <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation- s’interrogent sur <strong>la</strong><br />
pertinence <strong>de</strong>s problématiques <strong>de</strong> recherches engagées par rapport à <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong> gestion<br />
qui sont peu définis dans un processus dialogique. D’autre part, ils ont besoin d’une manière<br />
générale <strong>de</strong> pouvoir intéresser suffisamment les acteurs administratifs et professionnels à <strong>la</strong><br />
fois pour pouvoir justifier un partenariat avec eux vis-à-vis <strong>de</strong>s financeurs <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong><br />
recherche, et à <strong>la</strong> fois pour pouvoir, dans certains cas, avoir accès aux ressources<br />
(informations, accès aux parcelles, autorisations administratives) qui leur permettent <strong>de</strong> mener<br />
à bien leurs recherches.<br />
Nous pouvons souligner <strong>de</strong>ux types d’activités qui vont être privilégiées pour pouvoir<br />
favoriser cet intéressement.<br />
Premièrement, les chercheurs vont donner une p<strong>la</strong>ce centrale dans leur mobilisation à <strong>la</strong><br />
production <strong>de</strong> données visant à rendre plus robuste l’hypothèse <strong>de</strong> l’existence d’un enjeu<br />
sanitaire. C’est dans cette perspective que l’on comprend l’importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce donnée à<br />
l’épidémiologie dans les étu<strong>de</strong>s prévues. Parmi l’ensemble et <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s thématiques <strong>de</strong><br />
recherches qui constituent le projet BemisiaRisk, une p<strong>la</strong>ce privilégiée est en effet donnée aux<br />
travaux qui visent à produire <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> épidémiologiques dans <strong>la</strong> mesure où elles<br />
permettent d’évaluer l’existence d’un risque phytosanitaire présent (installé), <strong>de</strong> le faire<br />
exister dans un horizon temporel futur (hypothèse <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> travail visant à :<br />
analyser les effets du réchauffement climatique, évaluer les probabilités <strong>de</strong> recombinaisons <strong>de</strong><br />
virus) et à faire <strong>de</strong>s préconisations en termes <strong>de</strong> gestion.: Où sont présents Bemisia et ses<br />
virus ? Quelles sont leurs voies d’introduction et <strong>de</strong> développement ?<br />
Le projet BemisiaRisk cherche à répondre à l’ensemble <strong>de</strong> ces questions très concrètes par <strong>la</strong><br />
mise en p<strong>la</strong>ce d’étu<strong>de</strong>s épidémiologiques sur lesquelles on a souligné l’investissement limité<br />
<strong>de</strong>s pouvoirs publics et <strong>de</strong>s organisations professionnelles. L’équipe du CBGP est<br />
particulièrement investie sur cette question là, prenant en charge l’animation du Working<br />
Package concerné, participant activement à <strong>la</strong> collecte et à l’analyse <strong>de</strong>s échantillons -<strong>de</strong>vant<br />
même pour ce<strong>la</strong> développer <strong>de</strong>s compétences spécifiques 65 - qui permettent <strong>de</strong> produire les<br />
65 Un <strong>de</strong>s chercheurs IRD <strong>de</strong> l’équipe du CBGP a ainsi pris en charge l’analyse virologique <strong>de</strong>s insectes<br />
collectés, <strong>de</strong>venant –selon ses propres mots- virologue alors qu’il n’en n’est pas un pour « pouvoir boucler <strong>la</strong><br />
boucle », c’est à dire analyser <strong>la</strong> présence ou non du virus dans les échantillons collectés lors <strong>de</strong>s enquêtes<br />
épidémiologiques.<br />
30
preuves <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence du pathogène, <strong>de</strong> son instal<strong>la</strong>tion et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> ses effets<br />
négatifs futurs. Un extrait d’une intervention <strong>de</strong> l’animateur du programme lors d’une réunion<br />
publique tenue en 2007, illustre ce souci <strong>de</strong> faire exister le pathosystème comme problème<br />
sanitaire :<br />
Actuellement il y a <strong>de</strong>s gens qui baissent un peu les bras face à Bemisia (…) en disant « bon<br />
bah ces <strong>de</strong>rnières années on a plus <strong>de</strong> problèmes avec bemisia, on va ôter les filets ». Le<br />
problème c’est que quand on voit <strong>la</strong> dépendance <strong>de</strong> Bemisia à <strong>la</strong> température (qui vient d’être<br />
analysée dans une présentation au forum), on comprend en fait que si on a <strong>de</strong>s années<br />
canicu<strong>la</strong>ires, on va avoir un risque extrêmement important et je reprends aussi les<br />
observations que nous a fait (un agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV) à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence du TYLCV dans<br />
l’environnement <strong>de</strong>s serres, et bien on peut s’attendre à <strong>de</strong>s catastrophes liées à <strong>de</strong>s<br />
réémergences, liées à <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s climatiques, sachant que dans les pério<strong>de</strong>s canicu<strong>la</strong>ires,<br />
dans le cadre du réchauffement comme dirait (un climatologue du projet), seront <strong>de</strong> plus en<br />
plus fréquents dans les années qui viennent.<br />
JF, Forum 2007<br />
L’animateur du projet BemisiaRisk agrège ainsi un ensemble <strong>de</strong> résultats scientifiques <strong>de</strong><br />
manière à appuyer l’idée que <strong>la</strong> menace du développement d’épidémies <strong>de</strong> viroses vectées par<br />
Bemisia est crédible.<br />
Deuxièmement, <strong>de</strong>s rencontres avec les acteurs externes à <strong>la</strong> recherche sont organisées. Le<br />
coordinateur <strong>de</strong> l’INRA organise <strong>de</strong>ux réunions à Montpellier qu’il intitule <strong>de</strong>s « forums<br />
partenariat ». Au cours <strong>de</strong> ces forums, les différentes équipes <strong>de</strong> recherche participantes au<br />
projet sont chargées <strong>de</strong> présenter leurs programmes <strong>de</strong> travail et les résultats <strong>de</strong> leur recherche<br />
à <strong>la</strong> fois aux autres participants aux projets, mais également à l’ensemble <strong>de</strong>s « partenaires<br />
informels », c’est à dire aux organisations professionnelles et aux services administratifs qui<br />
sont invités 66 . Présentés comme <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> « coconstruction » <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> recherche,<br />
ces réunions sont avant tout <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> rencontre, d’échanges autour <strong>de</strong> résultats<br />
scientifiques, d’affichage <strong>de</strong> leur utilité et éventuellement <strong>de</strong> négociation d’accès à <strong>de</strong>s<br />
ressources détenues par l’administration et les organisations professionnelles.<br />
Le projet BemisiaRisk et les dispositifs d’analyse épidémiologique qui le constituent<br />
ont été é<strong>la</strong>borés et pensés à partir d’un certain nombre d’attentes concernant l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
situation épidémiologique. L’un <strong>de</strong>s intérêts d’une participation interne au projet et d’avoir pu<br />
assister à <strong>de</strong> moments où ces attentes étaient mises en débat, discutées, rarement frontalement<br />
mais sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> questionnements, d’interrogations. L’attente principale <strong>de</strong>s animateurs<br />
du projet portait sur <strong>la</strong> reproduction d’une situation d’épidémie généralisée <strong>de</strong> TYLCV<br />
comparable –ou plus étendue géographiquement- à celle vécue en 2003 dans les Pyrénées<br />
Orientales. Schématiquement, on peut affirmer que le projet a été proposé et é<strong>la</strong>boré dans <strong>la</strong><br />
perspective d’une telle épidémie, une situation pensée comme une « crise » qu’il faudrait<br />
anticiper, être prêt à saisir expérimentalement et à accompagner. Cependant, cette épidémie ne<br />
se déc<strong>la</strong>re pas. Si <strong>de</strong>s foyers <strong>de</strong> TYLCV se développent chez <strong>de</strong>s producteurs, si <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes-<br />
66 Outre les participants aux projets, une invitation à ce forum ouvert publiquement est envoyée aux Chambres<br />
régionales d’agriculture du Languedoc-Roussillon, <strong>de</strong> l’Aquitaine, <strong>de</strong> Provence Alpes Côtes d’Azur ; aux<br />
Chambre départementales d’agriculture <strong>de</strong>s départements 66, 84, 13, 47, 45, 06, 30, à <strong>de</strong>s FREDON, au Conseil<br />
Régional du Languedoc-Roussillon, à <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> l’Ensam et d’Agropolis, aux services <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV (SRPV et<br />
LNPV) <strong>de</strong>s régions PACA et LR, à <strong>de</strong>s Centres techniques (APREL, CTIFL, SicaCentrex) et à <strong>de</strong>s firmes<br />
productrices d’auxiliaires. LNPV entomologie, Koppert, Biopest.<br />
31
hôtes sont découvertes porteuses du virus, si <strong>de</strong>s Bemisia sont capturés sur <strong>de</strong>s mâts <strong>de</strong><br />
piégeage, <strong>la</strong> « crise » attendue elle n’a jamais vraiment lieu.<br />
L’un <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong>vient alors celui <strong>de</strong> l’interprétation <strong>de</strong> cette absence : dans quelle mesure<br />
est-elle liée aux aveuglements <strong>de</strong>s dispositifs d’observation (manque d’accès aux serres,<br />
imperfection <strong>de</strong>s outils d’observation) ? Doit-on en conclure qu’il n’y a plus <strong>de</strong> danger ?<br />
Les sociologues connaissent, au même titre que les autres participants, <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s sur<br />
cette absence (« s’il n’y a pas <strong>de</strong> crise qu’est-ce qu’on va regar<strong>de</strong>r ? ») et ils s’interrogent<br />
également sur <strong>la</strong> pertinence du dispositif d’enquête ( « est-ce qu’il y a une crise et en fait on<br />
nous le dit pas ? », « est-ce que c’est le dispositif d’observation <strong>de</strong>s chercheurs qui est<br />
mauvais ? »). En même temps ils se font observateurs <strong>de</strong>s réajustements que cette attente<br />
entraîne, réajustements expérimentaux mais également réajustement <strong>de</strong>s cadres<br />
d’interprétation <strong>de</strong> l’enjeu sanitaire et notamment du développement dans les définitions <strong>de</strong><br />
l’enjeu sanitaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> « ma<strong>la</strong>dies émergentes et réemergentes ».<br />
c) Faire science malgré l’éradication <br />
Dans le cas Bemisia, le rapport aux dispositifs <strong>de</strong> lutte est ambigu. Les pouvoirs publics<br />
ont mis en p<strong>la</strong>ce un cadre réglementaire <strong>de</strong> lutte obligatoire vis-à-vis duquel les chercheurs<br />
sont critiques. D’une part, ils sont persuadés que ce cadre, qui vise un objectif d’éradication<br />
<strong>de</strong>s virus <strong>de</strong> Bemisia n’est pas pertinent au regard <strong>de</strong>s données épidémiologiques et<br />
biologiques concernant le pathosystème. D’autre part, ils regrettent que ce cadre <strong>de</strong> lutte<br />
complique <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> leurs enquêtes épidémiologiques. Sans revenir ici sur le détail <strong>de</strong><br />
ces raisons nous soulignerons cependant que les chercheurs déploient une critique du cadre<br />
public <strong>de</strong> lutte et conçoivent leurs activités <strong>de</strong> recherche comme <strong>de</strong>s appuis à cette critique,<br />
celle-ci étant fortement légitimée par l’importante <strong>de</strong> l’entreprise sur le p<strong>la</strong>n d’une recherche<br />
pluridisciplinaire portée par un souci <strong>de</strong> produire une épidémiologie du phénomène.<br />
Les forums sont une arène privilégiée où peut s’exprimer cette critique. L’extrait <strong>de</strong><br />
retranscription du <strong>de</strong>uxième forum met en scène le type <strong>de</strong> débats qui peuvent y avoir lieu :<br />
Retranscription d’un échange, Forum BemisiaRisk<br />
Dans l’extrait suivant un chercheur discute avec un représentant régional <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
pertinence du cadre réglementaire. Le représentant <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV évoque <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> faire<br />
évoluer <strong>la</strong> réglementation nationale et un autre chercheur, appuyé par un représentant d’une<br />
organisation technique, discute <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> prendre en compte les spécificités régionales<br />
dans une éventuelle réécriture <strong>de</strong> <strong>la</strong> norme, en fonctions <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> et incertitu<strong>de</strong>s<br />
quant à <strong>la</strong> situation épidémiologique :<br />
Chercheur 1 : L’arrêté qui a été publié en 2002, le problème c’est qu’il a interdit toutes les expérimentations sur les<br />
luttes concrètes. La seule lutte autorisée c’était <strong>la</strong> lutte réglementaire. On a aucune autre base <strong>de</strong> données sur les luttes qui<br />
auraient pu être les luttes contre les vecteurs…l’utilisation <strong>de</strong> filets insect-proofs a été faite <strong>de</strong> manière purement empirique.<br />
Mais c’est surtout cet effet pervers <strong>de</strong> <strong>la</strong> réglementation qui me gêne : elle a empêché <strong>de</strong> pouvoir faire <strong>de</strong>s expérimentations<br />
et une recherche.<br />
Représentant SRPV: Oui, sachant qu’on avait une forte épidémie potentielle dans l’air, on ne pouvait pas <strong>la</strong>isser <strong>la</strong><br />
profession sans protection réglementaire.<br />
Chercheur 1 : Je suis d’accord, mais on ne peut même pas expérimenter <strong>la</strong> sensibilité variétale en production. On est<br />
obligé <strong>de</strong> se référer à <strong>de</strong>s expérimentations dans <strong>de</strong>s conditions agronomiques décalées.<br />
32
Représentant SRPV: Je ne suis pas convaincu, si l’Etat avait décidé <strong>de</strong> ne rien faire, on <strong>la</strong>isse le TYLCV se répandre<br />
dans <strong>la</strong> production et une fois que <strong>la</strong> catastrophe bien établie on réfléchit à ce qu’on va faire d’un point <strong>de</strong> vue<br />
réglementaire, je suis pas persuadé que ça aurait été le plus pertinent.<br />
Chercheur 2 : A ce sujet, une question avait été discutée l’an <strong>de</strong>rnier, je me souviens, c’étaient les organisations<br />
PACA qui avaient réagi. Quand on a <strong>de</strong>s cas ponctuels d’introduction comme en PACA, on ne peut pas avoir le même<br />
raisonnement que dans les zones in<strong>de</strong>mnes où l’on peut parler <strong>de</strong> « vivre avec ». ( …) Je crois que <strong>la</strong> difficulté est que le<br />
texte est national, en tout cas il a vraiment porté ses fruits en PACA. Par rapport au cas <strong>de</strong> l’an <strong>de</strong>rnier trouvé en PACA, je<br />
n’ai pas suivi,mais je ne pense pas même avec ce cas là qu’il y ait un souhait <strong>de</strong> retour en arrière dans <strong>la</strong> région PACA.<br />
Technicien Organisation Professionnelle : Je confirmeChercheur 1: Il y a eu 3 cas en PACA. En 99, dans une zone<br />
complètement isolée <strong>de</strong>s autres cultures. Je ne suis pas sûre qu’il y ait eu une éradication, quelques p<strong>la</strong>nts<br />
arrachés…L’éradication s’est faite naturellement, pas <strong>de</strong> réservoir. La nature a bien fait les choses. En 2002, effectivement il<br />
semble que ce soit un cas <strong>de</strong> TYLCV avéré éradiqué. En 2007, il reste un cas problématique, tant qu’on n’a pas <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong><br />
scientifique, il ne vaut mieux pas en parler.<br />
Représentant SRPV : Sur <strong>la</strong> remarque <strong>de</strong> (Chercheur 2), il y a quelque chose à creuser… on a effectivement <strong>de</strong>s<br />
départements réputés in<strong>de</strong>mnes ou très faible sensibilité et le cas <strong>de</strong>s PO avec un virus soli<strong>de</strong>ment imp<strong>la</strong>nté. Je fais référence<br />
à l’exposé <strong>de</strong> (Chercheur 3), « il est installé et il faut vivre avec » dit-il. On a peut être <strong>de</strong>s situations distinctes, il faut peutêtre<br />
réfléchir à avoir un dispositif adapté.<br />
Ingénieure sciences humaines: C’est possible ?<br />
Représentant SRPV: La réglementation est révisable en tout temps et tous lieux. Si il y a <strong>de</strong>s arguments qui disent<br />
que le texte réglementaire doit être réactualisé, très bien.<br />
Chercheur 1: Ce n’est pas si facile.<br />
Représentant SRPV: Je ne dis pas que c’est facile <strong>de</strong> conclure. Mais c’est facile <strong>de</strong> commencer.<br />
Coordinateur INRA : On va rester sur cette note optimiste et clore ce forum cet après-midi. La journée <strong>de</strong>vrait être<br />
passionnante <strong>de</strong>main.<br />
Le forum est un lieu d’interpel<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s pouvoirs publics par les chercheurs, interpel<strong>la</strong>tion<br />
qui permet aux premiers <strong>de</strong> justifier leur politique et aux seconds <strong>de</strong> <strong>la</strong> critiquer, à partir<br />
d’exposés scientifiques, en soulevant les nombreuses incertitu<strong>de</strong>s avec lesquelles elle est en<br />
incohérence ou qu’elle ne prend pas en compte.<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette arène semi-publique d’interpel<strong>la</strong>tion, ce sont parfois <strong>de</strong>s arrangements<br />
locaux entre acteurs administratifs et scientifiques qui, en s’accommodant du cadre<br />
réglementaire, permettent <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> certains dispositifs d’enquête épidémiologique<br />
(nous développerons ce point dans <strong>la</strong> partie 2). D’une part ils doivent prendre en compte que<br />
tous leurs interlocuteurs professionnels ne sont pas favorable à une remise en cause du cadre<br />
réglementaire 67 . D’autre part, les chercheurs estiment qu’il leur manque les données<br />
nécessaires pour assurer <strong>la</strong> crédibilité scientifique d’une critique publique comme le souligne<br />
<strong>la</strong> situation suivante :<br />
Et <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> réglementation trop rigi<strong>de</strong>, est-ce qu’elle a été publicisée votre<br />
critique…dans <strong>de</strong>s revues type Phytoma est-ce que vous avez pu faire une critique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
rigidité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réglementation ?<br />
Chercheur IRD : Pas du tout<br />
Chercheur INRA : Attend…on est prêt si tu veux à monter au créneau… (…) Seulement en ce<br />
qui concerne l’histoire <strong>de</strong> l’épidémiologie du TYLCV et <strong>de</strong> Bemisia on a pas encore travaillé<br />
<strong>de</strong>ssus….on fait un bi<strong>la</strong>n critique…c’est ce que tu disais le bi<strong>la</strong>n là <strong>de</strong> ce qui se passe au<br />
niveau du Roussillon et on va comparer aussi avec <strong>la</strong> catalogne mais tant qu’on a pas fait<br />
l’étu<strong>de</strong> on ne peut pas casser <strong>la</strong> baraque, on est chercheur donc on a besoin au moins<br />
l’obligation d’hypothèses, mais d’hypothèses étayées…on ne peut pas faire comme justement<br />
67 Si les organisations professionnelles <strong>de</strong> <strong>la</strong> région LR sont toutes en faveur d’une modification <strong>de</strong> l’arrêté <strong>de</strong><br />
lutte obligatoire, le positionnement <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Région PACA est plus hétérogène durant cette<br />
pério<strong>de</strong>.<br />
33
nos collègues expérimentateurs qui vont sortir <strong>de</strong>s hypothèses à <strong>la</strong> noix ou le tunisien qui vous<br />
dit c’est <strong>la</strong> lune qui fait que…on peut dire n’importe quoi…le problème pour nous c’est<br />
d’avoir un certain nombre d’hypothèses étayées.<br />
Entretien collectif<br />
De fait, comme le souligne cet extrait d’entretien, <strong>la</strong> posture critique par rapport aux cadres <strong>de</strong><br />
gestion <strong>de</strong> l’enjeu sanitaire adoptée par les chercheurs n’est pas pensée comme une remise en<br />
cause d’un positionnement dans <strong>la</strong> Science.<br />
C - <strong>Analyse</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> configuration <strong>de</strong> mobilisation<br />
Nous avons analysé <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> l’action scientifique dans le cas Bemisia et nous<br />
nous sommes intéressés à <strong>la</strong> manière dont un organisme biologique est constitué en objet <strong>de</strong><br />
recherche par <strong>de</strong>s chercheurs français en même temps qu’il est construit en tant qu’enjeu<br />
sanitaire dans différents Mon<strong>de</strong>s sociaux. Le tableau suivant met en évi<strong>de</strong>nce les<br />
caractéristiques principales <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation Bemisia <strong>de</strong> façon à mettre en évi<strong>de</strong>nce les<br />
dimensions et les spécificités <strong>de</strong>s <strong>dynamique</strong>s sociales <strong>de</strong> recherche qui se mettent en p<strong>la</strong>ce et<br />
configure <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s émergences tout en étant dépendant du chemin suivi par <strong>la</strong><br />
biovinvasion, sorte <strong>de</strong> frome sociale et biologique qui se déploie dans le temps et dans<br />
différent mon<strong>de</strong>s socio-techniques.<br />
Tableau<br />
Ancrage<br />
épistémique<br />
Objet d’étu<strong>de</strong><br />
principal<br />
revendiqué<br />
Porteur initiateur<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation<br />
scientifique<br />
Logique <strong>de</strong><br />
carrière<br />
Modalités <strong>de</strong><br />
financements<br />
principales<br />
Agencement<br />
organisationnel<br />
Type <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions<br />
intra-équipes<br />
Logique<br />
d’extension <strong>de</strong>s<br />
réseaux <strong>de</strong><br />
recherche<br />
Cadrage du<br />
rapport aux enjeux<br />
<strong>de</strong> gestion<br />
Pluridisciplinaire, revendiqué<br />
BemisiaViroses<br />
Le Risque phytosanitaire, les risques émergents, les bioinvasions… multiplicité<br />
constitutive <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> recherches annoncés<br />
Chercheur INRA entrepreneur<br />
Logique <strong>de</strong> perpétuation <strong>de</strong> <strong>la</strong> carrière<br />
Financements par Appels d’offres nationaux et régionaux<br />
Agencement <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> projets, territorialisé<br />
Nombreuses, re<strong>la</strong>tions plus ou moins tendues, forte interconnaissance<br />
Tension autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> centralisation <strong>de</strong> l’information et <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations, cf. liens avec<br />
partenaires.<br />
Extensive, ancrée sur une couverture du problème généralisée.<br />
Exclusion par rapport aux enjeux <strong>de</strong> financement, et <strong>de</strong> concurrence institutionnelle.<br />
Dimension finalisée <strong>de</strong> <strong>la</strong> science revendiquée, Hybridation Science/gestion<br />
revendiquée<br />
Logique<br />
institutionnelle<br />
dominante<br />
Montrer que <strong>la</strong> science peut couvrir tous les aspects d’un risque<br />
Continuer à développer <strong>de</strong>s partenariats avec les filières professionnelles<br />
34
Cette configuration correspond à une situation dans <strong>la</strong>quelle le pathogène n’est pas fortement<br />
constitué comme problème propre et prioritaire par un acteur externe à <strong>la</strong> recherche et où <strong>la</strong><br />
mobilisation scientifique est en conséquence à <strong>la</strong> fois une action <strong>de</strong> recherche et un travail<br />
visant à construire le pathogène comme enjeu sanitaire. Cette situation est d’autant plus<br />
probable, comme ce<strong>la</strong> a déjà été noté (Aronson 1982), que les acteurs scientifiques mobilisés<br />
envisagent le problème comme un moyen <strong>de</strong> transformer les infrastructures <strong>de</strong> recherche et<br />
d’obtenir les ressources matérielles dont ils ont besoin.<br />
Ainsi nous avons montré comment un groupe <strong>de</strong> chercheurs, spécialiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte biologique<br />
et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion systémique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions, se mobilise autour d’un pathogène et <strong>de</strong> ses<br />
viroses suite à plusieurs évènements épidémiologiques et ce qu’ils perçoivent comme une<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s acteurs professionnels et <strong>de</strong> partenaires scientifiques. Cette mobilisation<br />
scientifique débouche sur <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un dispositif <strong>de</strong> recherche qui vise à se donner<br />
les moyens <strong>de</strong> produire les preuves <strong>de</strong> l’existence du risque et à explorer un ensemble <strong>la</strong>rge<br />
d’incertitu<strong>de</strong>s qui l’entourent, notamment en ce qui concernent à <strong>la</strong> fois ses origines, son<br />
évolution et les modalités pertinentes <strong>de</strong> sa gestion.<br />
35
III - La recherche confinée, processus <strong>de</strong> normalisation<br />
<strong>de</strong>s activités expérimentales sur les organismes <strong>de</strong><br />
quarantaine<br />
A - Introduction<br />
1) Confiner, une interrogation issue <strong>de</strong> l’enquête sociologique <br />
Au cours du déroulement <strong>de</strong> notre travail d’enquête nous avons, à plusieurs reprises,<br />
rencontrés <strong>de</strong>s interlocuteurs et <strong>de</strong>s documents qui évoquaient les contraintes administratives<br />
re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> manipu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Organismes <strong>de</strong> quarantaine pour rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière<br />
<strong>de</strong> construire un positionnement <strong>de</strong> recherche : les « contraintes », « obligations » quant au<br />
« confinement matériel » <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherche semb<strong>la</strong>ient constituer directement ou<br />
indirectement un élément à prendre en compte par les scientifiques, structurant leurs<br />
mobilisations. Dans le dossier Diabrotica, l’indisponibilité d’avoir accès à une serre <strong>de</strong><br />
confinement est un <strong>de</strong>s arguments pris en compte par l’INRA pour ne pas mettre en avant<br />
certains travaux <strong>de</strong> recherche sur <strong>la</strong> résistance <strong>de</strong> l’insecte aux pestici<strong>de</strong>s. Dans le dossier<br />
Ralstonia, <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration entre l’INRA et <strong>la</strong> FNPPPT au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> station <strong>de</strong> pathologie <strong>de</strong><br />
Rennes est conditionnée à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990 par <strong>la</strong> participation financière <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
FNPPPT à l’aménagement d’un <strong>la</strong>boratoire confiné. Dans le cas Bemisia, nous avons vu<br />
comment <strong>la</strong> construction d’une équipe centrée sur <strong>la</strong> problématique Bemisia au CBGP<br />
s’accompagne <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un espace confiné d’expérimentatoin <strong>de</strong> l’insecte<br />
ravageur. C’est une configuration <strong>de</strong> travail qu’il est importante <strong>de</strong> décrire car elles<br />
correspond à <strong>la</strong> réalité du travail expérimental dans le projet BemisiaRisk<br />
Les chercheurs <strong>de</strong> l’INRA rattachaient dans les entretiens cet enjeu à <strong>la</strong> fois à une obligation<br />
réglementaire et à <strong>la</strong> fois à une « obligation morale » <strong>de</strong> limiter les risques pour<br />
l’environnement liés à leurs activités. En même temps, l’enjeu du confinement était évoqué<br />
par eux le plus souvent <strong>de</strong> manière imprécise et, au fil <strong>de</strong> notre enquête, un certain nombre <strong>de</strong><br />
questions empiriques s’accumu<strong>la</strong>ient : si les acteurs disent que les expérimentations sont plus<br />
« encadrées », plus « formalisées » qu’ « avant », à quelles épreuves, quelles contraintes<br />
exactement renvoient-ils quand ils font ce constat ? Comment celles-ci sont elles réellement<br />
intervenues dans <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong>s dossiers étudiés et que disent-elles <strong>de</strong>s transformations du<br />
contexte <strong>de</strong> prise en charge par <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s enjeux phytosanitaires <strong>de</strong> quarantaine ?<br />
Afin <strong>de</strong> répondre à ces questions, il est apparu nécessaire d’abor<strong>de</strong>r, <strong>de</strong> front, <strong>la</strong> question du<br />
confinement et un mémoire <strong>de</strong> Master en sociologie <strong>de</strong>s organisations (financé dans le cadre<br />
du projet) a été consacré à cette question (Janosh, 2007). Nous mobilisons ici les résultats <strong>de</strong><br />
ce travail empirique en limitant <strong>la</strong> restitution <strong>de</strong> l’analyse socio-historique <strong>de</strong> <strong>la</strong> normalisation<br />
<strong>de</strong> l’expérimentation sous serre confinée à l’INRA.<br />
2) Une question <strong>de</strong> terrain au cœur <strong>de</strong> réflexions sur <br />
l’encadrement <strong>de</strong>s activités scientifiques <br />
Les travaux qui abor<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> question du traitement <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> sécurité dans les<br />
entités <strong>de</strong> recherche sont rares. Les étu<strong>de</strong>s mettant en scène <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s risques liés aux<br />
OGM sont à ce titre assez frappant : il existe très peu <strong>de</strong> travaux (Barrier and Barbier 2004)<br />
qui s’intéressent <strong>de</strong> manière un peu précise à <strong>la</strong> manière dont les questions <strong>de</strong> risque viennent<br />
36
travailler les activités scientifiques dans leur dimension matérielle et qui prennent comme<br />
objet d’une recherche sur les pratiques scientifiques et techniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche agricole aux<br />
frontières <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> R&D agricole (Barbier et al., 2005).<br />
Quelques rares travaux ont pris comme porte d’entrée l’attention à <strong>la</strong> sécurité dans les<br />
<strong>la</strong>boratoires pour comprendre le fonctionnement <strong>de</strong>s organisations scientifiques (Sims 2005)<br />
ou <strong>la</strong> production <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> (Bruns 2009). Parallèlement, quelques recherches sont en<br />
cours qui, en s’appuyant sur <strong>la</strong> mise en avant du risque bioterroriste (At<strong>la</strong>s 2005), tentent <strong>de</strong><br />
repenser <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnité en prenant compte du nouvel impératif –flou et polysémique- <strong>de</strong><br />
biosécurité, que ce soit en construisant une anthropologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s entités au cours<br />
du déroulement <strong>de</strong>s activités scientifiques (Collier, Lakoff et al. 2004) ou en s’interrogeant sur<br />
l’impact <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise en compte du risque d’utilisation-duelle (dual use) <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
(Rappert 2007). Enfin, il existe un certain nombre <strong>de</strong> travaux qui, très marqués par <strong>la</strong><br />
sociologie <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s réseaux socio-techniques, ont étudié <strong>la</strong> manière dont les<br />
activités scientifiques sont prises dans <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> normalisation (Lelong and Mal<strong>la</strong>rd<br />
2000) au nom d’un impératif <strong>de</strong> qualité qui dépasse très <strong>la</strong>rgement les seuls enjeux <strong>de</strong><br />
sécurité (Kessous 1997; Castel and Merle 2002; Muret 2003; Monroy Leon 2004). C’est en<br />
nous inspirant <strong>de</strong> ces travaux que nous avons conçu notre enquête sur le confinement.<br />
Plus généralement, le confinement <strong>de</strong>s activités expérimentales sur les Organismes <strong>de</strong><br />
quarantaine nous a semblé d’autant plus <strong>de</strong>voir faire l’objet d’une investigation sociologique<br />
qu’il renvoyait à <strong>de</strong>s réflexions plus <strong>la</strong>rges re<strong>la</strong>tives à, pour reprendre les termes <strong>de</strong> MA<br />
Hermitte, « <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche et <strong>de</strong> ses limites » (Hermitte 2001), c’est à dire à <strong>la</strong><br />
question <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise en compte <strong>de</strong>s conséquences éventuelles <strong>de</strong> l’activité scientifique pour<br />
penser son encadrement, par le droit ou d’autres « contre-pouvoirs ». L’encadrement <strong>de</strong>s<br />
recherches sur les Organismes <strong>de</strong> quarantaine représente en effet un <strong>de</strong> ces multiples enjeux –<br />
développement <strong>de</strong>s référentiels <strong>de</strong> déontologie, é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s chartes et comités d’éthique,<br />
réforme <strong>de</strong>s systèmes d’expertise etc.- au travers lesquels s’é<strong>la</strong>bore le<br />
« brico<strong>la</strong>ge institutionnel » qui préfigurent, pour certains, « l’intégration <strong>de</strong> <strong>la</strong> science dans un<br />
Etat <strong>de</strong> droit » (Hermitte 2001).<br />
3) Enquêter sur le confinement <br />
Partant d’une interrogation initiale sur les contraintes re<strong>la</strong>tives aux enjeux <strong>de</strong><br />
confinement qui s’imposent aux acteurs scientifiques travail<strong>la</strong>nt sur <strong>de</strong>s Organismes <strong>de</strong><br />
quarantaine, nous avons considéré que l’imposition <strong>de</strong> ces contraintes pouvaient s’apparenter<br />
à un processus <strong>de</strong> normalisation dont il faudrait dans <strong>la</strong> mesure du possible retracer à <strong>la</strong> fois<br />
les différentes étapes, les différentes composantes et les différents effets.<br />
Les processus <strong>de</strong> normalisation ont été analysés comme <strong>la</strong> « convergence <strong>de</strong> réseaux<br />
sociotechhniques » (Mal<strong>la</strong>rd 2000) dans lesquels, <strong>de</strong>s comités <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong>s normes<br />
jusqu’à <strong>la</strong> mise en œuvre <strong>de</strong>s normes, <strong>de</strong>s acteurs cherchent à préserver leur autonomie, leur<br />
i<strong>de</strong>ntité et leurs intérêts (Castel and Merle 2002), mais également dans lesquels les objets<br />
matériels –traces écrites, modèles, drafts réglementaires- jouent un rôle important pour cadrer<br />
les négociations et les alignements. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> normalisation implique donc d’adopter une<br />
démarche empirique qui donne une p<strong>la</strong>ce importante aux « non-humains » et qui, par ailleurs,<br />
rend compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature processuelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> normalisation, c’est à dire <strong>de</strong> <strong>la</strong> fragilité et <strong>de</strong><br />
l’incertitu<strong>de</strong> qui <strong>la</strong> caractérise.<br />
En plus d’une attention à <strong>la</strong> manière dont les acteurs invoquent dans les cas étudiés l’enjeu <strong>de</strong><br />
confinement comme élément structurant leurs activités, nous avons donc pris le parti <strong>de</strong><br />
construire notre enquête autour <strong>de</strong> l’analyse historique <strong>de</strong> dispositifs sociotechniques <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
37
sortes. D’une part nous avons i<strong>de</strong>ntifié un certain nombre <strong>de</strong> référentiels normatifs écrits –<br />
textes réglementaires, manuel administratif d’audit, Note <strong>de</strong> service INRA- dont nous avons<br />
retracé l’é<strong>la</strong>boration. D’autre part, nous avons analysé <strong>la</strong> manière dont ces normes, leur<br />
circu<strong>la</strong>tion, s’articule aux processus <strong>de</strong> conception <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux instal<strong>la</strong>tions expérimentales qui<br />
affichent objectif <strong>de</strong> confinement par rapport aux OQ. Cette double approche s’est avérée<br />
d’autant plus pertinente que l’enjeu <strong>de</strong> confinement <strong>de</strong>s activités expérimentales est récent,<br />
difficilement saisissable dans un seul lieu et un seul temps et qu’il a fait, pour reprendre les<br />
mots <strong>de</strong> M.-A. Hermitte, l’objet d’un « brico<strong>la</strong>ge institutionnel » mettant en re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s<br />
acteurs multiples...le flou avec lequel il était évoqué par les acteurs rencontrés renvoyant donc<br />
moins à l’ignorance <strong>de</strong> ceux-ci, qu’à sa nature bricolée.<br />
L’organisation <strong>de</strong> cette section rend plus particulièrement compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont le<br />
processus <strong>de</strong> normalisation s’articule avec les activités expérimentales <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux équipes<br />
scientifiques impliquées dans <strong>de</strong>s recherches sur Bemisia tabaci. Cette organisation en <strong>de</strong>ux<br />
parties vise essentiellement à ai<strong>de</strong>r <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong> notre propos, cependant les <strong>de</strong>ux moments <strong>de</strong><br />
l’analyse sont complémentaires et c’est leur confrontation qui permet <strong>de</strong> comprendre <strong>la</strong> nature<br />
du processus <strong>de</strong> normalisation étudié. Aussi, nous reviendrons sur cette confrontation en<br />
conclusion et mettrons en évi<strong>de</strong>nce dans quelle mesure elle nourrit notre réflexion sur <strong>la</strong><br />
construction <strong>de</strong>s frontières <strong>de</strong> l’activité scientifique et, plus <strong>la</strong>rgement, sur <strong>la</strong> prise en charge<br />
par <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> problèmes considérés comme <strong>de</strong>s risques.<br />
38
B - Le confinement: un processus négocié <strong>de</strong> normalisation <strong>de</strong>s activités<br />
scientifiques expérimentales<br />
1) Introduction <br />
Au cours <strong>de</strong> notre enquête, nous avons rencontré nombre <strong>de</strong> chercheurs mettant en<br />
avant <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> formalisation <strong>de</strong>s contraintes re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> sécurisation <strong>de</strong>s activités<br />
expérimentales et leurs effets sur les recherches (plus gran<strong>de</strong> difficulté <strong>de</strong> travailler sur<br />
certaines thématiques, conditionnement <strong>de</strong> l’accès aux financements …). Paradoxalement,<br />
lorsque nous les interrogions plus concrètement sur ces évolutions nous obtenions<br />
généralement <strong>de</strong>s réponses assez vague <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres : soit un renvoi sur une « évolution <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> réglementation » ; soit, plus <strong>la</strong>rgement encore, un renvoi vers <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />
responsabilisation du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Recherche, plus gran<strong>de</strong> responsabilisation qui trouverait<br />
une illustration à <strong>la</strong> fois dans les controverses autour <strong>de</strong>s expérimentations OGM (<strong>de</strong>struction<br />
<strong>de</strong>s essais) et dans mise en accusation <strong>de</strong> l’INRA autour <strong>de</strong> l’ « affaire Sharka » (voir infra),<br />
c’est à dire <strong>la</strong> « mise en accusation et va être condamné pour avoir introduit le virus <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Sharka dans le Sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France ».<br />
Ceci nous a amené à nous intéresser plus précisément à <strong>la</strong> nature du cadre réglementaire<br />
encadrant les activités expérimentales et à <strong>la</strong> manière dont ce cadre avait transformé les<br />
recherches au sein <strong>de</strong> l’INRA. Rapi<strong>de</strong>ment, nous avons découvert sur le site intranet <strong>de</strong><br />
l’INRA l’existence d’un ensemble d’écrits ou projets d’écrits normatifs (Note <strong>de</strong> service<br />
INRA, gui<strong>de</strong> du confinement) qui, rédigés sous <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mission Centrale<br />
Prévention <strong>de</strong> l’INRA, visaient à accompagner les agents dans <strong>la</strong> mise en œuvre d’un certain<br />
nombre <strong>de</strong> textes réglementaires écrits à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990. Par ailleurs, nous avons pris<br />
connaissance <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> plusieurs formations visant, sous <strong>la</strong> responsabilité du service<br />
<strong>de</strong> Formation Permanente <strong>de</strong> l’INRA, à accompagner chercheurs et techniciens dans leurs<br />
démarches visant à respecter le cadre réglementaire existant re<strong>la</strong>tif aux activités scientifiques<br />
sur les Organismes <strong>de</strong> quarantaine. Ces constats, s’ils constituaient <strong>de</strong>s indices d’un souci<br />
organisationnel re<strong>la</strong>tif aux enjeux <strong>de</strong> confinement, ne disaient cependant rien ni sur les<br />
processus par lesquels <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> droit avaient débouché sur <strong>de</strong>s recommandations ou <strong>de</strong>s<br />
formations <strong>de</strong> services administratifs d’accompagnement à <strong>la</strong> Recherche, ni a fortiori sur<br />
l’importance réelle <strong>de</strong> ces indices. Les travaux sur les processus <strong>de</strong> normalisation ont<br />
<strong>la</strong>rgement insisté sur les limites d’une pensée balistique et linéaire construite autour <strong>de</strong> l’idée<br />
<strong>de</strong> « mise en œuvre » <strong>de</strong> <strong>la</strong> règle et <strong>de</strong> <strong>la</strong> norme. Ils nous invitaient donc à ne pas lire à priori<br />
nos indices comme <strong>la</strong> conséquence d’une politique organisationnelle <strong>de</strong> l’INRA <strong>de</strong> « mise en<br />
œuvre » <strong>de</strong> textes réglementaires, mais bien plus à rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont ces<br />
textes avaient circulé, pour constituer au bout d’un certain temps <strong>de</strong>s éléments traduits <strong>de</strong> ce<br />
qui pourrait alors apparaître, finalement, comme une politique organisationnelle du<br />
confinement <strong>de</strong>s activités expérimentales.<br />
Au final, notre démarche débouche sur plusieurs constats. Dans un premier temps, nous<br />
mettrons en avant que le processus <strong>de</strong> normalisation re<strong>la</strong>tif au confinement <strong>de</strong>s activités<br />
expérimentales impliquant <strong>de</strong>s OQ est un processus multi-niveaux, qui loin d’être piloté par<br />
les directions <strong>de</strong> l’INRA, est l’agencement d’un ensemble <strong>de</strong> mobilisations d’abord locales<br />
(dans les unités <strong>de</strong> recherche, dans les services d’appui à <strong>la</strong> Recherche). Nous mettrons<br />
également en avant que ce processus est <strong>la</strong>rgement influencé par d’autres enjeux que les<br />
Organismes <strong>de</strong> quarantaine : les OGM, <strong>la</strong> compétitivité scientifique ou encore <strong>la</strong><br />
reconnaissance <strong>de</strong>s techniciens dans l’appareil <strong>de</strong> recherche sont <strong>de</strong>s enjeux autres auxquels<br />
est rattachée celui du confinement <strong>de</strong>s OQ. Dans un second temps, nous insisterons sur le fait<br />
39
que le processus <strong>de</strong> normalisation étudié s’apparente non pas à un mouvement linéaire <strong>de</strong><br />
mise en oeuvre du droit mais plutôt à un mouvement <strong>de</strong> co-construcion, impliquant <strong>de</strong><br />
multiples allers-retours entre écrits réglementaires, écrits normatifs non-réglementaires et<br />
pratique ainsi que <strong>de</strong> nombreux échanges entre le Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Recherche et le Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’administration.<br />
Les écrits à partir <strong>de</strong>squels nous avons construit notre enquête sur le confinement font<br />
référence à <strong>de</strong>s textes réglementaires datés <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990. Cette pério<strong>de</strong> apparaît<br />
en effet comme une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> durcissement et <strong>de</strong> formalisation <strong>de</strong>s exigences réglementaires<br />
adressées aux scientifiques travail<strong>la</strong>nt sur <strong>de</strong>s Organismes <strong>de</strong> quarantaine. Cependant, ces<br />
exigences ne sont qu’un <strong>de</strong>s éléments structurant le processus <strong>de</strong> normalisation étudié, à <strong>la</strong><br />
fois parce qu’elles ont un contenu ouvert et à <strong>la</strong> fois parce que d’autres éléments participent à<br />
<strong>la</strong> constitution d’un « souci <strong>de</strong> confinement ».<br />
2) Modification du cadre réglementaire re<strong>la</strong>tif à <strong>la</strong> sécurité <strong>de</strong>s <br />
expérimentations sur OQ <br />
a) Une nouvelle directive européenne <br />
Le droit communautaire et le droit français encadrent les expérimentations sur les organismes<br />
phytopathogènes <strong>de</strong>puis plusieurs décennies. Le co<strong>de</strong> rural prévoit <strong>de</strong>puis les années 1950 <strong>la</strong><br />
possibilité que <strong>de</strong>s dérogations soient accordées à <strong>de</strong>s scientifiques désirant travailler en<br />
<strong>la</strong>boratoire sur <strong>de</strong>s organismes « parasites » 68 et <strong>la</strong> directive européenne n°77/93 « établissant<br />
les modalités du contrôle sanitaire au cours <strong>de</strong>s importations et <strong>de</strong>s exportations <strong>de</strong> végétaux,<br />
<strong>de</strong> produits végétaux et autres objets », intégrée dans le droit français par l’arrêté du 15 juin<br />
1987, prévoit également une dérogation pour <strong>de</strong>s fins scientifiques 69 . Cependant, les<br />
conditions <strong>de</strong> ces dérogations ne sont dans ces textes pas précisément définies. Ce<strong>la</strong> ne<br />
signifie pas que les activités scientifiques sur les Organismes <strong>de</strong> quarantaine ne soient pas<br />
sécurisées mais qu’elles ont été jusqu’au milieu <strong>de</strong>s années 1990 l’objet <strong>de</strong> procédures<br />
re<strong>la</strong>tivement légères et que, <strong>la</strong> plupart du temps, l’essentiel <strong>de</strong> l’encadrement du travail<br />
expérimental dans les <strong>la</strong>boratoires et les serres a reposé sur l’auto-régu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s chercheurs,<br />
ingénieurs et techniciens impliqués. Dans une pério<strong>de</strong> antérieure, que nous pourrions qualifier<br />
<strong>de</strong> plus « relâchée », il a existé <strong>de</strong> nombreuses pratiques visant à garantir <strong>la</strong> sécurité<br />
expérimentale antérieurement au durcissement d’un cadre réglementaire 70 .<br />
En 1995, <strong>la</strong> publication <strong>de</strong> <strong>la</strong> directive n°95/44 transforme, juridiquement, les<br />
conditions d’autorisation <strong>de</strong> travail sur <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> quarantaine. D’un système dans<br />
lequel les chercheurs peuvent obtenir <strong>de</strong>s dérogations ad-hoc sur <strong>de</strong>s pathogènes, on passe à<br />
68 Cf. article 348 du co<strong>de</strong> rural, crée par le décret n°55-433 du 16 avril 1955 : « Sous réserve <strong>de</strong>s exceptions<br />
autorisées par <strong>la</strong> Ministre <strong>de</strong> l’agriculture pour l’exécution <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoire, il est interdit d’introduire<br />
sciemment et <strong>de</strong> transporter <strong>de</strong>s parasites réputés dangereux définis par l’article 342 quel que soit le sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur<br />
évolution. »<br />
69 Cf. art. 14 c) <strong>de</strong> <strong>la</strong> directive n°77/93: « Les États membres peuvent, dans <strong>la</strong> mesure où une propagation<br />
d'organismes nuisibles n'est pas à craindre, prévoir, pour <strong>de</strong>s cas individuels (…) <strong>de</strong>s dérogations (…) pour <strong>de</strong>s<br />
buts d'essais ou scientifiques ainsi que pour <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> sélection variétale. »<br />
70 En conséquence, nous serons attentif dans ce chapitre que le processus <strong>de</strong> normalisation étudié peut aussi bien<br />
renvoyer à <strong>la</strong> formalisation ou <strong>la</strong> requalification <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> recherches déjà existant qu’à <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong><br />
nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche.<br />
40
un système où l’obtention <strong>de</strong> dérogations à <strong>de</strong>s fins scientifiques est conditionnée par<br />
l’obtention d’un agrément officiel <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions expérimentales concernées.<br />
Cette directive est transposée en droit français par les décrets n°97/857 du 19 septembre 1997<br />
et l’arrêté du 10 juin 1998 qui pose un certain nombre <strong>de</strong> conditions à remplir pour une entité<br />
<strong>de</strong> recherche désirant travailler sur <strong>de</strong>s organismes réglementés. Premièrement, l’entité doit<br />
obtenir un agrément auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> DRAF, va<strong>la</strong>ble cinq ans et qui justifie l’adéquation du<br />
dispositif expérimental aux dangers évalués. Deuxièmement, une fois agréé, l’entité doit<br />
obtenir, pour chaque organisme manipulé, une officielle d’autorisation (LOA) 71 .<br />
b) Un encadrement juridique en constitution <br />
La publication <strong>de</strong> ces textes <strong>de</strong> droits, si elle redéfinit l’architecture réglementaire,<br />
n’épuise néanmoins pas <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s modalités concrètes <strong>de</strong> l’encadrement <strong>de</strong>s activités<br />
expérimentales. La directive, par nature, définit uniquement <strong>de</strong>s conditions générales <strong>de</strong><br />
dérogation pour les activités scientifiques, elle inclue un modèle <strong>de</strong> LOA et évoque à titre<br />
d’exemple un certain nombre <strong>de</strong> « mesures <strong>de</strong> quarantaine » qui peuvent, si besoin, être<br />
exigées dans chacun <strong>de</strong>s cas par les organisations nationales <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux <strong>de</strong><br />
chacun <strong>de</strong>s pays membres 72 . Par ailleurs si les décrets d’application <strong>de</strong> <strong>la</strong> directive sont<br />
publiés re<strong>la</strong>tivement rapi<strong>de</strong>ment, en 1997 et 1998, il y a eu une pério<strong>de</strong> pendant <strong>la</strong>quelle le<br />
fonctionnement administratif était décalé par rapport à cette directive 73 . Enfin, ces décrets<br />
eux-même restent, <strong>de</strong> manière assez compréhensible au regard <strong>de</strong> leur domaine d’application<br />
<strong>la</strong>rge, généraux sur les modalités administratives <strong>de</strong> délivrance <strong>de</strong> l’agrément et sur les<br />
exigences adressées à leurs <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs. Ces exigences en effet dépen<strong>de</strong>nt logiquement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
nature <strong>de</strong>s Organismes introduits et <strong>de</strong> l’activité expérimentale qui est envisagée. Or, outre<br />
que celles-ci peuvent être très variables, les services <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s végétaux n’ont pas<br />
<strong>de</strong> référentiels explicites en 1998 qui lieraient ces caractéristiques à <strong>de</strong>s exigences précises <strong>de</strong><br />
confinement.<br />
L’un <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> préconisation normatifs que nous avons i<strong>de</strong>ntifié et utilisé comme<br />
traceur empirique est une note <strong>de</strong> service interne à l’INRA publiée en 2003 74 . Cette note, hors<br />
<strong>de</strong> son contexte, pourrait apparaître comme l’indice <strong>de</strong> l’existence d’une « politique <strong>de</strong><br />
confinement <strong>de</strong> l’INRA », c’est à dire l’indice d’une réponse centrale et volontaire à une<br />
évolution réglementaire externe. Cependant, en analysant et reconstituant l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong><br />
cette note, nous avons d’i<strong>de</strong>ntifié plusieurs arènes dans lesquelles <strong>la</strong> question du confinement<br />
avait été constituée comme enjeu par <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> l’INRA <strong>de</strong>puis les années 1990. Le<br />
71 Voir textes en annexe.<br />
72 Cf. annexe I <strong>de</strong> <strong>la</strong> directive n°95/44 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission, du 25 juillet 1995, par exemple « Accès <strong>de</strong>s locaux et<br />
<strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions, et <strong>de</strong> l’environnement proche réservé, le cas échéant, au personnel désigné », « Tenue d’un<br />
registre <strong>de</strong>s activités réalisées et d’un manuel <strong>de</strong> procédures d’opérations incluant les procédures en cas <strong>de</strong> fuite<br />
d’organismes nuisibles hors du confinement » etc.<br />
73 Cette pério<strong>de</strong> est évoquée dans <strong>la</strong> note <strong>de</strong> service <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV qui paraît en 1998, suite aux décrets : « Depuis <strong>la</strong><br />
publication <strong>de</strong> <strong>la</strong> directive en 1995, un certain nombre <strong>de</strong> Lettre officielles d’autorisation (LOA) ont été délivrées<br />
par l’administration centrale, pour <strong>de</strong>s matériaux <strong>de</strong> quarantaine différents, à <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong> recherche dont les<br />
locaux ne sont pas encore agréés, alors que les textes <strong>de</strong> loi l’exigent. Il s’agissait d’un arrangement<br />
réglementaire provisoire car les <strong>la</strong>boratoires pouvaient, grâce à l’utilisation <strong>de</strong>s LOA, continuer leurs échanges<br />
<strong>de</strong> matériel avec les pays européens, en attendant que l’administration soit au point pour procé<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> délivrance<br />
d’agréments. »<br />
74 Note <strong>de</strong> service N° 2003-40 re<strong>la</strong>tive aux « Conditions <strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tion et d’utilisation d’organismes nuisibles, <strong>de</strong><br />
végétaux, produits végétaux et autres objets. »<br />
41
compte-rendu chronologique <strong>de</strong> ces éléments met en évi<strong>de</strong>nce leur faible articu<strong>la</strong>tion : s’il est<br />
possible d’i<strong>de</strong>ntifier un souci croissant du confinement sur <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> étudiée, on serait en<br />
revanche en peine d’i<strong>de</strong>ntifier un niveau ou un service <strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong> recherche qui<br />
traduirait ce souci en politique cohérente et c’est au contraire <strong>la</strong> nature bricolée du processus<br />
qui ressort. Trois types d’enjeux semblent ressortir <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> ce « brico<strong>la</strong>ge ».<br />
Le premier enjeu est celui <strong>de</strong> l’allocation <strong>de</strong>s moyens financiers. La construction ou <strong>la</strong><br />
mise à niveau d’instal<strong>la</strong>tions confinées implique en effet <strong>de</strong>s coûts financiers très importants.<br />
Les équipes <strong>de</strong> recherche et unités qui développent <strong>de</strong>s projets sont à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s<br />
moyens leur permettant d’y faire face. En revanche, <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> l’INRA vers lesquelles<br />
elles se tournent pour obtenir ces moyens cherche à limiter les coûts.<br />
Le second enjeu est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité. Dans le contexte <strong>de</strong>s procès Sharka et<br />
<strong>de</strong>s controverses autour <strong>de</strong>s OGM, il apparaît prioritaire pour l’INRA <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s<br />
actions qui puissent avant tout justifier le respect <strong>de</strong>s éxigences réglementaires et justifier, si<br />
nécessaire, <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> moyens suffisants pour y faire face.<br />
Enfin le <strong>de</strong>rnier enjeu est un enjeu professionnel. Par là, nous nous référons à <strong>la</strong><br />
difficulté que représente pour une organisation scientifique <strong>la</strong> tâche d’enrôler <strong>de</strong>s acteurs qui,<br />
comme les chercheurs, jouissent d’une forte autonomie dans l’organisation <strong>de</strong> leurs modalités<br />
<strong>de</strong> travail, dans <strong>de</strong>s nouveaux types <strong>de</strong> pratiques, ici re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> sécurité. Ces trois enjeux ne<br />
sont pas forcément congruents. Par exemple, <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> transformer les pratiques <strong>de</strong><br />
l’INRA peut être contradictoire avec une volonté <strong>de</strong> limiter un <strong>de</strong>s moyens principaux<br />
d’incitation auprès <strong>de</strong> ces professionnels, à savoir les ressources financières. Ils interviennent<br />
cependant tous trois au cours <strong>de</strong>s différentes étapes du processus <strong>de</strong> normalisation du<br />
confinement re<strong>la</strong>tif aux OGM.<br />
3) Au<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’exigence réglementaire : Un souci <strong>de</strong> confinement <br />
à <strong>la</strong> croisée <strong>de</strong> multiples enjeux <br />
Très vite, il nous est apparu dans le cours <strong>de</strong> notre enquête qu’un <strong>de</strong>s écueils <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> normalisation re<strong>la</strong>tive au confinement <strong>de</strong>s recherches sur les OQ était <strong>de</strong> considérer<br />
l’enjeu du confinement comme <strong>la</strong> conséquence d’une seule logique réglementaire. Certains<br />
chercheurs et techniciens rencontrés ont en effet rattaché <strong>la</strong> question du confinement à<br />
d’autres enjeux qui ont traversé leurs activités au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> 1990/2007 : <strong>la</strong> plus<br />
gran<strong>de</strong> attention publique <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> leurs activités dans le cadre <strong>de</strong>s OGM ou <strong>la</strong><br />
plus gran<strong>de</strong> judiciarisation <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions avec les organismes professionnels agricoles et<br />
l’administration au travers l’ « affaire Sharka » sont <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ces enjeux qui sont apparus<br />
comme importants à prendre en compte pour notre analyse.<br />
a) Du confinement <strong>de</strong>s OGM au confinement <strong>de</strong>s Organismes <strong>de</strong> <br />
quarantaine <br />
Si <strong>de</strong> nombreux travaux ont été menés par les sciences humaines sur <strong>la</strong> constitution<br />
<strong>de</strong>s OGM comme enjeu scientifique et politique, peu <strong>de</strong> travaux s’attachent directement aux<br />
effets <strong>de</strong> celle-ci sur les dispositifs expérimentaux <strong>de</strong> recherche. Pourtant, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces<br />
effets sur les dispositifs d’expertise (Joly and Marris 2003; Jasanoff 2004; Lezaun 2006) et les<br />
programmes <strong>de</strong> recherche (Bonneuil 2004), les controverses et luttes (manifestation,<br />
<strong>de</strong>struction d’essais, pétitions) autour <strong>de</strong>s OGM ont suscité <strong>de</strong>s réactions importantes,<br />
réglementaires notamment, induisant une réorganisation <strong>de</strong>s modalités d’expérimentation.<br />
42
La sécurisation <strong>de</strong>s activités expérimentales liées aux OGM fait l’objet <strong>de</strong> débats internes à <strong>la</strong><br />
communauté scientifique <strong>de</strong>puis les années 1970 qui débouchent sur <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong><br />
régu<strong>la</strong>tion partagés 75 et qui se traduisent dans <strong>de</strong>s normes 76 et, au cours <strong>de</strong>s années 1990, dans<br />
<strong>de</strong>s exigences réglementaires. Ainsi, en 1990, <strong>la</strong> directive n°90/219 propose une démarche<br />
d’évaluation du danger issu <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong>s Micro-organismes génétiquement modifiés<br />
(MGM) ainsi que <strong>de</strong>s « mesures <strong>de</strong> confinement ». Elle est appliquée en droit français par <strong>la</strong><br />
loi n°92-654 du 13 juillet 1992, les décrets n°93-773 et n°93-774 du 27 mars 1993, ainsi que<br />
l’arrêté du 9 juin 1993. Cet ensemble <strong>de</strong> textes encadre notamment l’activité <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Commission du génie génétique (CGG) qui, sous <strong>la</strong> tutelle du ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Recherche, est<br />
chargée d’évaluer les dangers et les risques que présentent les organismes génétiquement<br />
modifiés et qui, à cette fin, produit un gui<strong>de</strong> concernant les mesures <strong>de</strong> confinement<br />
souhaitables qui distinguent plusieurs c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> dangers pour les OGM (C1-C4) qui<br />
correspon<strong>de</strong>nt à quatre niveaux <strong>de</strong> confinement (L1-L4 pour les <strong>la</strong>boratoires, A1-A4 pour les<br />
animaleries, S1-S4 pour les serres).<br />
Ce sont les chercheurs eux-mêmes qui remplissent les dossiers d’autorisation auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
CGG -qui n’a d’ailleurs pas <strong>de</strong> moyen <strong>de</strong> contrôle- et qui doivent s’assurer <strong>de</strong> l’adéquation<br />
<strong>de</strong>s moyens matériels mis en œuvre avec les exigences <strong>de</strong> sécurité. De fait, <strong>la</strong> sécurisation <strong>de</strong>s<br />
expérimentations OGM ne <strong>de</strong>vient que très progressivement, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990, une<br />
préoccupation <strong>de</strong> <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> l’INRA. A partir <strong>de</strong> 1994, à l’initiative du directeur <strong>de</strong> l’unité<br />
<strong>de</strong> biologie cellu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> Versailles, membre <strong>de</strong> <strong>la</strong> CGG et expérimentateur OGM, <strong>de</strong>s groupes<br />
<strong>de</strong> travail INRA sont constitués et se donnent pour objectif <strong>de</strong> réfléchir à l’amélioration <strong>de</strong>s<br />
c<strong>la</strong>ssements <strong>de</strong> sécurité proposés par <strong>la</strong> CGG 77 . En 1997, au moment où les controverses<br />
OGM s’intensifient, <strong>la</strong> Direction générale <strong>de</strong> l’INRA met en p<strong>la</strong>ce un groupe <strong>de</strong> travail interne<br />
chargé, sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Direction scientifique p<strong>la</strong>ntes et produits végétal (DSPPV), <strong>de</strong> faire<br />
<strong>de</strong>s propositions concernant <strong>la</strong> mise à niveau OGM <strong>de</strong>s serres <strong>de</strong> l’INRA. Suite à ce<strong>la</strong>, <strong>de</strong>s<br />
opérations <strong>de</strong> « mise à niveau » sont menées 78 en fonction <strong>de</strong>s disponibilités budgétaires.<br />
L’enjeu du confinement <strong>de</strong>s Organismes <strong>de</strong> quarantaine reste, dans le cadre <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong> ces<br />
initiatives, re<strong>la</strong>tivement marginal. Cependant, nous allons le voir par <strong>la</strong> suite, lorsque le<br />
confinement <strong>de</strong>s OQ <strong>de</strong>vient à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990 un enjeu pour <strong>la</strong> Recherche, cet<br />
enjeu sera couplé avec l’enjeu antérieur du confinement <strong>de</strong>s OGM.<br />
75 On peut évoquer ici l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> conférence d’Asilomar en Californie en 1976, souvent citée comme<br />
exemple <strong>de</strong> capacité d’autorégu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s activités scientifiques. La conférence, réunie à l’initiative <strong>de</strong> P. Berg<br />
qui réfléchit à un moratoire sur les expérimentations OGM suite aux premières opérations <strong>de</strong> transgenèse,<br />
débouche sur l’adoption d’un certain nombre <strong>de</strong> principes <strong>de</strong> confinement. Voir (Roy 2001).<br />
76 Cf. les premières normalisations entre autres par <strong>la</strong> Fédération européenne <strong>de</strong> biotechnologie (EFB), qui<br />
parvient en 1985 à <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> danger pour les pathogènes pour l’homme, pour les animaux et pour les<br />
végétaux, ou <strong>la</strong> même année, l’Association française <strong>de</strong> normalisation (AFNOR), qui propose ses premiers<br />
« gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong> bonne pratique <strong>de</strong> biosécurité ».<br />
77 Nous avons peu d’information sur l’activité <strong>de</strong> ces groupes <strong>de</strong> travail, qui ont <strong>la</strong>issé peu <strong>de</strong> traces. Notons que<br />
les experts sont essentiellement choisis par le Directeur <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong> biologie cellu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> Versailles et qu’ils<br />
proposent une première version provisoire et non exhaustive <strong>de</strong> leurs réflexions en 1998 qui, sans être aboutie ni<br />
officiellement acceptée sera toutefois reprise en tant que telle dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième édition du gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> CGG. Cf.<br />
« Principes <strong>de</strong> c<strong>la</strong>ssement et gui<strong>de</strong>s officiels <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission <strong>de</strong> génie génétique », p. 31-34.<br />
78 Quelques opérations immédiates sont retenues dans le cadre du budget 1997 et les aménagements pour les<br />
instal<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> « type S2 » sont prévus pour 1998 et pour les années à venir, dans le cadre <strong>de</strong>s programmes<br />
instruction travaux pour l’an 1999 et 2000. Cf. courrier du 01/10/1998. En 2001, une opération est menée sur <strong>la</strong><br />
base <strong>de</strong> reliquats budgétaires.<br />
43
) La Sharka, quand l’épreuve d’une « affaire » transforme <strong>la</strong> question <br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <br />
De nombreux acteurs <strong>de</strong> l’INRA interrogés sur <strong>la</strong> thématique du confinement <strong>de</strong>s<br />
expérimentations d’Organismes <strong>de</strong> quarantaine ont invoqué, à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> chercheuse citée<br />
ci-<strong>de</strong>ssus, l’existence d’une affaire, « <strong>la</strong> Sharka », comme élément important -sinon premier<strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> montée en puissance du souci <strong>de</strong> confinement <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherches. S’il ne nous a<br />
pas été possible d’analyser comment <strong>la</strong> découverte et le développement d’un virus c<strong>la</strong>ssé<br />
organisme <strong>de</strong> quarantaine et <strong>de</strong> lutte obligatoire s’était constitué en affaire nous avons pu<br />
collecter, via notamment <strong>la</strong> consultation <strong>de</strong> base <strong>de</strong> données judiciaires, <strong>de</strong>s données qui<br />
permettent d’établir un compte-rendu factuel succint <strong>de</strong> cette affaire.<br />
L’affaire « Sharka »<br />
Le 6 février 2006, <strong>la</strong> cour d’appel du tribunal administratif <strong>de</strong> Marseille condamne l’INRA à payer<br />
398.964,41 euros à <strong>la</strong> société drômoise "Le Château <strong>de</strong> Campuget" en réparation <strong>de</strong>s préjudices résultant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
contamination dans <strong>de</strong>s vergers par <strong>la</strong> forme dite "Markus" du Plum Pox Virus, plus communément appelé Sharka<br />
(ref : Marseille, 02MA02532). Cette décision, aboutissement provisoire d’une requête déposée en justice en juin<br />
1998 (ref : Montpellier, 98.3758), n’est qu’un élément d’une affaire beaucoup plus <strong>la</strong>rge, opposant les<br />
arboriculteurs du sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, l’Etat et ses services en charge <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s Végétaux, et l’INRA.<br />
Depuis une dizaine d’années, ce sont <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> requêtes qui ont été déposées –presque toujours sans succèsdans<br />
les juridictions administratives <strong>de</strong> Grenoble, Montpellier, Nîmes ou Marseille par <strong>de</strong>s exploitants qui<br />
accusent l’Etat et l’INRA d’être responsable du développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sharka et réc<strong>la</strong>ment à être in<strong>de</strong>mnisés.<br />
Pour les agriculteurs et leurs avocats, l’affaire est entendue. Jusqu’au début <strong>de</strong>s années 1980, l’INRA aurait<br />
introduits <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts d’arbres fruitiers à <strong>de</strong>s fins expérimentales dans son centre <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux.<br />
Certains <strong>de</strong> ses p<strong>la</strong>nts, contaminés par une souche particulièrement virulente du virus (souche M), auraient servi à<br />
produire du matériel végétal qui, à <strong>de</strong>s fins expérimentales et sans les précautions nécessaires, auraient ensuite été<br />
envoyé dans différents lieux d’expérimentation (stations et vergers) du Sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France où, p<strong>la</strong>ntés en plein<br />
champ, ils auraient été à l’origine d’épidémies dévastatrices à partir <strong>de</strong> 1984.<br />
L’INRA quant à lui nie avoir introduit <strong>la</strong> souche M du virus en France <strong>de</strong> manière illégale et sans précautions<br />
particulières en France. D’une part il souligne que si le virus a bien été introduit <strong>de</strong> Grèce sur le centre <strong>de</strong><br />
Bor<strong>de</strong>aux à <strong>de</strong>s fins expérimentales en <strong>la</strong>boratoire au cours <strong>de</strong> l’année 1970, cette introduction avait eu lieu avant<br />
que le pathogène soit inscrit sur <strong>la</strong> liste <strong>de</strong>s Ennemis <strong>de</strong>s cultures dressée par arrêté ministériel (30 juillet 1970) et<br />
ne nécessitait donc aucune autorisation particulière. D’autre part, il a mis en avant le fait que ses activités<br />
expérimentales avaient été menées dans <strong>de</strong>s dispositifs techniques sûrs et précautionneux. Enfin, l’INRA a<br />
argumenté que rien ne prouvait avec certitu<strong>de</strong> que les contaminations dans ses stations expérimentales puis chez<br />
les producteurs alentours avaient pour origine <strong>de</strong>s transferts <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nts contaminés <strong>de</strong>puis le <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong><br />
Bor<strong>de</strong>aux 79 .<br />
79 L’INRA a avancé quatre arguments principaux au cours <strong>de</strong>s procés : 1/ qu’il n’avait jamais effectué <strong>de</strong><br />
recherche sur <strong>la</strong> Sharka en verger ailleurs qu’à Avignon, sous serre insect-proof. (cf. CAMars6/2/2006) 2/ que<br />
<strong>de</strong>s tiers aux parties en procès avaient pu introduire le virus : d'autres arboriculteurs ou <strong>de</strong>s pépiniéristes qui<br />
auraient vendus <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts contaminés aux producteurs ou à ses stations expérimentales 3/qu’il y avait pu avoir<br />
une mutation « naturelle » <strong>de</strong> <strong>la</strong> souche D –présente en France <strong>de</strong>puis les années 1960- en souche M (notons que<br />
cet argument est exclut par les tribunaux / 0502532 Montpellier, CAMars) « au regard <strong>de</strong>s données scientifiques<br />
». 4/ que si ses stations avaient semblé être à l’origine <strong>de</strong> l’introduction <strong>de</strong> <strong>la</strong> souche M, c’est parce qu’étant<br />
seules capables d’avoir accès au outils <strong>de</strong> détection pertinents, elles ont les premières i<strong>de</strong>ntifié <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
souche sur leurs vergers mais que ce<strong>la</strong> ne préjuge en rien du fait qu’elles aient été contaminées en premier et<br />
seraient donc à l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination.<br />
44
Par rapport à cette question du confinement, les tribunaux ont eu <strong>de</strong>s jugements 80 dont l’hétérogénéité montre <strong>la</strong><br />
difficulté que l’on a aujourd'hui à réévaluer a posteriori <strong>la</strong> pertinence sécuritaire d’un cadre expérimental qui a<br />
« bien fonctionné » avant que l’affaire n’émerge 81 , dans un contexte où les normes <strong>de</strong> confinement étaient<br />
beaucoup moins formalisées qu’aujourd’hui et où, <strong>de</strong> toutes façons, l’existence <strong>de</strong> traces matérielles prouvant<br />
l’existence <strong>de</strong> mesures <strong>de</strong> confinement ne renseigneraient pas nécessairement sur <strong>la</strong> mise en œuvre réelle <strong>de</strong> ces<br />
mesures 82 .<br />
L’ « affaire Sharka » constitue une épreuve qui vient transformer l’horizon <strong>de</strong> responsabilité<br />
scientifique. En effet, le procès –très onéreux- constitue un horizon possible <strong>de</strong> toute activité<br />
<strong>de</strong> recherche portant sur <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> quarantaine et <strong>de</strong> lutte obligatoire dans lequel il<br />
est essentiel d’être capable d’apporter <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> sa non culpabilité. Ces éléments peuvent<br />
prendre à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> modèles épidémiologiques (qui permettent par exemple <strong>de</strong> faire<br />
expost <strong>de</strong>s hypothèses sur le développement d’une ma<strong>la</strong>die), d’outils d’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s<br />
pathogènes 83 , d’écrits <strong>de</strong> traçabilité <strong>de</strong>s activités (cahiers <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoires, bons <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>s<br />
etc.) ou encore <strong>de</strong>s écrits indiquant l’utilisation d’instal<strong>la</strong>tion « sûres ».<br />
La fin <strong>de</strong>s années 1990 apparaît donc comme une pério<strong>de</strong> où <strong>la</strong> « traçabilité » <strong>de</strong>s<br />
activités <strong>de</strong> recherche et <strong>la</strong> sécurité <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions expérimentales apparaissent, à côté <strong>de</strong>s<br />
enjeux OGM, comme <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> se prémunir <strong>de</strong> l’occurrence d’une « secon<strong>de</strong> affaire<br />
Sharka ».<br />
C - L’émergence locale d’un « souci <strong>de</strong> confinement » : entre<br />
investissement scientifique et injonction hiérarchique<br />
Lorsque nous avons commencé notre enquête sur le confinement en lien avec l’étu<strong>de</strong> du<br />
cas Bemisia TYLCV, les <strong>de</strong>ux dispositifs d’expérimentation qui servent d’appui à notre<br />
80 L’INRA est suivi par exemple par le tribunal <strong>de</strong> Montpellier, qui considère notamment qu’il ne peut être<br />
contesté que l’Institut a pris toutes les précautions qui étaient alors envisageables pour s'assurer que les p<strong>la</strong>nts en<br />
question étaient sains (i<strong>de</strong>m <strong>de</strong>svignes), mais beaucoup moins que <strong>la</strong> CAMars qui souligne que si elle a pris <strong>de</strong>s<br />
précautions, elle n’est aujourd’hui pas capable <strong>de</strong> les justifier et qui considère également que les arbres infectés<br />
importés par l’INRA l’avaient été sans mise en quarantaine préa<strong>la</strong>ble (00MA01810).<br />
81 On retrouve ici l’idée défendue notamment par Wynne (Wynne 1988) <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> l’acci<strong>de</strong>nt comme<br />
moment <strong>de</strong> mise à jour <strong>de</strong>s implicites re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> sécurité <strong>de</strong>s technologies.<br />
82 Rétrospectivement, les rumeurs donnent à voir au moins potentiellement ces jeux autour <strong>de</strong> l’application<br />
« concrète <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité ». Un site internet qui se présente comme représentant <strong>de</strong> « victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> sharka » en<br />
fait circuler certaines : « Selon cette rumeur, dans les années 80’, une partie du personnel <strong>de</strong> <strong>la</strong> station INRA<br />
(…) aurait régulièrement volé du matériel végétal dans les vergers d’expérimentation arboricole à l’intérieur du<br />
domaine pour le revendre à quelques arboriculteurs du coin (…) contre (par exemple) <strong>de</strong>s bouteilles <strong>de</strong> vin, <strong>de</strong><br />
pastis, <strong>de</strong>s saucissons, etc. (…) Ces évènements hypothétiques se seraient déroulés durant <strong>de</strong> nombreuses années<br />
dans l’indifférence, l’ignorance ou le <strong>la</strong>xisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> l’INRA <strong>de</strong> Gotheron. Les arboriculteurs<br />
concernés auraient utilisé ce matériel par greffage et œil dormant pour démarrer leur pépinière personnelle à<br />
usage commercial. (…) Dans cette version, <strong>de</strong>s arboriculteurs se seraient « seulement » rendus coupable d’acte<br />
<strong>de</strong> recel. Mais si cette version se vérifie, ce<strong>la</strong> signifie que <strong>la</strong> souche M n’était pas confinée dans les « serres<br />
étanches » <strong>de</strong> Gotheron comme le prétend l’INRA ». Voir : http://victimes<strong>de</strong><strong>la</strong>sharka.net<br />
83 De <strong>la</strong> même façon que l’utilisation <strong>de</strong> tests ADN transforme <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve dans les<br />
affaires humaines, l’évolution <strong>de</strong>s outils d’analyse transforme <strong>la</strong> manière dont les conséquences <strong>de</strong> recherches en<br />
biologie <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes peuvent être attribuées. Un exemple frappant <strong>de</strong> cette tranformation est l’émergence, dans<br />
une visée <strong>de</strong> lutte contre le bioterrorisme agricole, <strong>de</strong> <strong>la</strong> forensic phytopathology (voir par exemple Fletcher, J. &<br />
al., P<strong>la</strong>nt Pathogen Forensics: Capabilities, Needs, and Recommendations, Microbiology and Molecu<strong>la</strong>r<br />
Biology Reviews, June 2006, p. 450-471, Vol. 70, No. 2)<br />
45
analyse avaient été mis en service <strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> temps. L’analyse <strong>de</strong> leur genèse a mis<br />
cependant en évi<strong>de</strong>nce qu’ils étaient l’aboutissement <strong>de</strong> processus temporellement distincts.<br />
Alors que <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre d’Avignon trouve son origine au milieu <strong>de</strong>s années 1990,<br />
<strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme Bemisia à Montpellier a une origine bien plus récente, du milieu <strong>de</strong>s années<br />
2000. Projetés à <strong>de</strong>s moments différents, ils illustrent chacun une modalité différente <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
manière dont localement le « confinement » <strong>de</strong>vient un enjeu collectif et s’articulent <strong>de</strong> façon<br />
distinctes aux évolutions réglementaires et aux initiatives insitutionnelles décrites plus haut.<br />
1) Avignon, une serre confinée pour maintenir <strong>la</strong> compétitivité <br />
scientifique <br />
a) Une serre pour préserver un projet scientifique <br />
Le premier équipement sur lequel nous allons appuyer notre analyse est une serre <strong>de</strong><br />
« haut-confinement » inaugurée par l’équipe <strong>de</strong> Pathologie végétale d’Avignon en 2006 et<br />
<strong>de</strong>stinée à accueillir <strong>de</strong>s expérimentations OGM et OQ. Cette serre, quoiqu’en fonctionnement<br />
<strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> temps, est l’aboutissement d’un premier projet qui remonte à plusieurs années.<br />
Au travers l’évolution <strong>de</strong> ce projet, nous allons voir que le souci <strong>de</strong> confinement à Avignon<br />
n’est pas lié à l’affaire Sharka, aux actions volontaristes <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV et <strong>de</strong> l’INRA du début <strong>de</strong>s<br />
années 2000 ou encore à une prise <strong>de</strong> conscience récente <strong>de</strong>s chercheurs suite à <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong><br />
formation. En effet, l’équipement s’impose comme une nécessité au milieu <strong>de</strong>s années 1990<br />
dans une perspective <strong>de</strong> compétitivité scientifique, notamment par rapport à <strong>de</strong>s recherches<br />
engagées sur les OGM. Dans ce cadre, les autres objectif qui ont pu lui être rattaché –maîtrise<br />
du risque sanitaire, protection d’une responsabilité juridique, amélioration <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong>s<br />
recherches – apparaissent secondaire et avant tout comme <strong>de</strong>s arguments supplémentaires<br />
invoqués à mesure qu’ils prenaient <strong>de</strong> l’importance pour obtenir les soutiens nécessaires à <strong>la</strong><br />
construction <strong>de</strong> l’équipement.<br />
C’est en 1996 en effet que naît le projet <strong>de</strong> construire une serre confinée sur <strong>la</strong> station <strong>de</strong><br />
Pathologie végétale d’Avignon. L’équipe <strong>de</strong> virologie dépose cette année là une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
financement auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> Direction générale <strong>de</strong> l’INRA pour mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s<br />
compartiments <strong>de</strong> serre <strong>de</strong>vant accueillir à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s activités expérimentales sur <strong>de</strong>s OGM et<br />
sur <strong>de</strong>s organismes nuisibles, principalement <strong>de</strong>s virus d’origine exotique, dont certains se<br />
trouvent sur <strong>la</strong> liste <strong>de</strong> quarantaine. L’enjeu, pour les scientifiques concernés, est<br />
principalement le respect <strong>de</strong>s réglementations sur les OGM et <strong>la</strong> crainte, en cas <strong>de</strong> non respect<br />
<strong>de</strong> ces réglementations, <strong>de</strong> ne <strong>de</strong> pouvoir continuer une partie <strong>de</strong>s activités scientifiques<br />
engagées:<br />
Nous sommes aujourd’hui soumis à une pression <strong>de</strong> plus en plus<br />
forte <strong>de</strong> <strong>la</strong> part du Ministère <strong>de</strong> l’agriculture, car nos<br />
équipements ne sont pas conformes aux règlements en vigueur<br />
dans <strong>la</strong> Communauté européenne (même si nos conditions<br />
expérimentales sont en fait tout à fait satisfaisantes en<br />
terme <strong>de</strong> biosécurité).. Ce<strong>la</strong> risque à très court terme <strong>de</strong><br />
compromettre <strong>de</strong>s pans entiers <strong>de</strong> nos recherches,<br />
particulièrement toute notre coopération avec le bassin<br />
46
méditerranéen et le tiers mon<strong>de</strong>, ainsi que nos col<strong>la</strong>borations<br />
sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s fonctions du génome viral. 84<br />
La citation ci-<strong>de</strong>ssus, extraite <strong>de</strong> l’argumentaire développé par <strong>la</strong> station d’Avignon pour<br />
obtenir <strong>de</strong>s financements auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> Direction <strong>de</strong> l’INRA, est intéressante à double titre.<br />
D’une part elle met en évi<strong>de</strong>nce un rapport assez distancié <strong>de</strong>s chercheurs aux enjeux <strong>de</strong><br />
risque à l’époque. D’autre part elle montre comment l’enjeu du respect du cadre réglementaire<br />
re<strong>la</strong>tif aux OGM est, dans un mouvement bottom-up, porté par <strong>de</strong>s Unités qui y sont<br />
confrontées dans leurs activités et adressé à l’organisation scientifique dans une perspective<br />
<strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> financements.<br />
Les chercheurs insistent bien sur le fait que leurs conditions <strong>de</strong> travail sont bonnes d’un point<br />
<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>la</strong> « biosécurité ». Pour eux l’enjeu est avant tout <strong>de</strong> se garantir <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong><br />
continuer à pouvoir obtenir <strong>de</strong>s financements <strong>de</strong> recherche dans le cadre <strong>de</strong>s appels d’offres<br />
internationaux et européens qu’ils jugent avoir <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> plus en plus strictes en<br />
termes <strong>de</strong> confinenement, essentiellement –à l’époque- au regard <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherche<br />
sur les OGM 85 . Cet enjeu est d’autant plus important qu’à cette époque –comme aujourd’huile<br />
projet scientifique <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> virologie d’Avignon est essentiellement tourné vers<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies nouvelles, leur i<strong>de</strong>ntification, l’analyse <strong>de</strong> leurs mécanismes et <strong>la</strong><br />
recherche sur <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> lutte impliquant l’utilisation <strong>de</strong> techniques <strong>de</strong> transgenèse. Par<br />
ailleurs, le projet scientifique <strong>de</strong> l’équipe fait une p<strong>la</strong>ce importante aux col<strong>la</strong>borations avec<br />
<strong>de</strong>s Sélectionneurs Privés et <strong>de</strong>s chercheurs du Département d’Amélioration <strong>de</strong>s P<strong>la</strong>ntes <strong>de</strong><br />
l’INRA qui a également une antenne à Avignon et dont l’activité repose essentiellement sur<br />
<strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> transgenèse.<br />
C’est dans cette même perspective <strong>de</strong> garantie <strong>de</strong> <strong>la</strong> continuité du projet scientifique <strong>de</strong> l’unité<br />
que <strong>la</strong> question du confinement <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> quarantaine prend dans un second temps<br />
une p<strong>la</strong>ce plus importante. En 2000 par exemple, dans le cadre d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong><br />
financière adressée à l’INRA, l’argumentaire met en avant <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> « recherches<br />
impliquant <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> quarantaine » à côté <strong>de</strong> celle d’ « utilisation d’OGM <strong>de</strong> groupe<br />
II » 86 . Cet é<strong>la</strong>rgissement renvoie à plusieurs éléments. D’une part <strong>la</strong> station d’Avignon<br />
envisage alors d’accueillir (en septembre 2000) un chercheur en bactériologie dont le<br />
programme <strong>de</strong> recherche implique une bactérie <strong>de</strong> quarantaine particulièrement grave,<br />
Ralstonia so<strong>la</strong>nacearum. D’autre part, on l’a vu, les exigences réglementaires sur les<br />
Organismes <strong>de</strong> quarantaine se précisent après 1998 et l’INRA a engagé quelques initiatives<br />
sur cette question (Commission S3, enquête interne), ce qui encourage les chercheurs à mettre<br />
en avant l’enjeu OQ pour maximiser leurs chances d’avoir <strong>de</strong>s financements. Enfin les<br />
chercheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> station <strong>de</strong> Pathologie végétale sont d’autant plus sensibilisés aux évolutions<br />
réglementaires qu’ils ont localement d’importants échanges avec <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong><br />
l’administration, puisque le LNPV <strong>de</strong> virologie et un LRPV sont présents sur le site <strong>de</strong><br />
l’INRA et que <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations plus ou moins formelles existent (cf. chapitre 1).<br />
84 Cf. fiche <strong>de</strong>scriptive <strong>de</strong> programme en appui <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> financement, 11/09/1996.<br />
85 L’équipe d’Avignon est d’autant plus concernée par le cadre réglementaire OGM, que l’un <strong>de</strong> ses animateurs<br />
est membre <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission mise en p<strong>la</strong>ce au niveau <strong>de</strong> l’INRA (voir supra) pour réfléchir aux c<strong>la</strong>ssements <strong>de</strong>s<br />
OGM en c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> risque.<br />
86 Cf. Cf. Fiche « Instruction travaux » du 25/08/2000<br />
47
) La biosécurité, un enjeu « maîtrisé » <br />
Le fait que le projet <strong>de</strong> construction d’une serre <strong>de</strong> confinement renvoie avant tout à l’enjeu<br />
<strong>de</strong> maintien <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> réalisation d’un projet scientifique ne signifie pas que les<br />
questions <strong>de</strong> « biosécurité » ne soient pas considérées comme importantes, mais qu’elles<br />
pourraient relever d’un encadrement moins formel et <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>s chercheurs.<br />
C’est une constante du discours <strong>de</strong>s chercheurs d’Avignon que nous avons interrogé sur <strong>la</strong><br />
problématique du confinement : ils mettent en avant que <strong>la</strong> plupart du temps les contraintes<br />
leur apparaissent excessives et qu’ils ont toujours travaillé <strong>de</strong> manière « responsable » n’ayant<br />
pas attendu que <strong>de</strong>s normes leur soient imposés pour gérer leurs pratiques. La position<br />
défendue est donc bien plutôt celle d’une autorégu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s scientifiques <strong>de</strong> leurs activités,<br />
auto-régu<strong>la</strong>tion qui est présentée d’ailleurs comme favorisée tout particulièrement en<br />
virologie par <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>s chercheurs <strong>de</strong> protéger leurs expérimentations <strong>de</strong> contaminations<br />
extérieures. Comme le montre l’extrait d’un échange ci-<strong>de</strong>ssous où il est discuté <strong>la</strong> possibilité<br />
d’observer <strong>de</strong>s manipu<strong>la</strong>tions en serre S3, <strong>la</strong> biosécurité est pensée–nous reviendrons sur ce<br />
point- comme un moyen <strong>de</strong> garantir <strong>la</strong> « propreté » <strong>de</strong>s expérimentations autant que leur<br />
inocuité pour l’environnement ou <strong>la</strong> santé.<br />
2) Montpellier : une p<strong>la</strong>teforme expérimentale confinée « parce <br />
qu’on nous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> » <br />
Alors que <strong>la</strong> serre d’Avignon est l’aboutissement d’un projet ancien, initié par <strong>de</strong>s<br />
chercheurs attentifs à préserver leur compétitivité scientifique et attentifs aux enjeux <strong>de</strong><br />
biosécurité, l’espace <strong>de</strong> confinement que nous avons suivi à Montpellier est un projet récent,<br />
dont <strong>la</strong> genèse renvoie non pas à <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> chercheurs mais à une injonction<br />
organisationnelle locale qui prend p<strong>la</strong>ce dans un contexte transformé, bien plus marqué par<br />
<strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> responsabilité juridique.<br />
a) Une p<strong>la</strong>teforme en réponse à <strong>de</strong>s injonctions hiérarchiques locales <br />
Le projet <strong>de</strong> construction d’une p<strong>la</strong>teforme expérimentale est essentiellement le résultat<br />
direct d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> adressée en 2003 par <strong>la</strong> direction du CBGP et notamment d’un <strong>de</strong> ses<br />
directeurs qui est aussi, chef <strong>de</strong> département adjoint SPE.<br />
Lorsqu’au début <strong>de</strong>s années 2000, le responsable <strong>de</strong> ce qui va <strong>de</strong>venir l’équipe Bemisia déci<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s recherches sur Bemisia (voir chapitre 1 et 2), il s’interroge sur les<br />
contraintes <strong>de</strong> confinement qu’il est nécessaire <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce. Il avait –nous l’avons vusuivi<br />
les travaux d’une thésar<strong>de</strong> vers 1995/96 sur <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong> Bemisia en col<strong>la</strong>boration<br />
avec l’EBCL <strong>de</strong> l’USDA –où il était hébergé à l’époque 87 . Cependant, Bemisia étant alors<br />
considéré comme une espèce tropicale et n’étant pas présente sur le territoire français, ces<br />
recherches n’avaient pas soulevé <strong>de</strong> préoccupations sur les enjeux <strong>de</strong> confinement. Les choses<br />
sont différentes quelques années plus tard. C’est en fait une injonction directe du directeur du<br />
CBGP qui l’incite à initier un projet qui aboutira à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme :<br />
87 Rappelons que le bâtiment du CBGP est construit en 2000.<br />
48
Ce qui a fait [que le groupe Bemisia se met en confinement] c’est surtout <strong>la</strong> pression du<br />
[Directeur <strong>de</strong> l’unité] qui nous a dit voilà…c’est dans cette mouvance là, démarche qualité,<br />
bonne pratiques <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoire et disant « je veux que toutes les expérimentations qui…que le<br />
CBGP soit irréprochable ».<br />
Chercheur B<br />
Le directeur du CBGP souhaite que l’ensemble <strong>de</strong>s activités scientifiques au sein du centre se<br />
fasse dans <strong>de</strong>s structures sécurisées. La crainte est celle que le centre se retrouve <strong>la</strong> cible<br />
d’accusations judiciaires i<strong>de</strong>ntiques à celles engagées autour du virus <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sharka si jamais le<br />
TYLCV était découvert autour <strong>de</strong> Montpellier : il faudrait alors être capable <strong>de</strong> prouver que<br />
cette contamination <strong>de</strong>s exploitations n’est pas dûe par exemple à <strong>la</strong> contamination initiale<br />
d’un élevage d’insecte mis en p<strong>la</strong>ce par l’équipe Bemisia du CBGP.<br />
La construction d’un espace <strong>de</strong> confinement dédié à l’élevage et à l’expérimentation sur<br />
Bemisia est également favorisée, dans un second temps, par un élément très local et plus<br />
secondaire qui renvoie à <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> coexistence <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> recherche. Au sein du<br />
CBGP, avant <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme expérimentale Bemisia, l’équipe Bemisia<br />
cohabite en effet physiquement avec une équipe <strong>de</strong> nématologistes qui travaille sur <strong>de</strong>s<br />
Organismes <strong>de</strong> quarantaine en condition confinée et utilise pour ses expérimentations <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> tomate. Ces nématologistes craignent que <strong>la</strong> cohabitation entraîne <strong>la</strong> contamination<br />
<strong>de</strong> leurs propres expérimentations et font pression pour que les manipu<strong>la</strong>tions expérimentales<br />
sur Bemisia soient réalisées dans une autre partie du bâtiment et surtout pour que les<br />
phytotrons dans lesquels les Bemisia sont élevés soient dép<strong>la</strong>cés loin <strong>de</strong> leur <strong>la</strong>boratoire. Les<br />
pressions <strong>de</strong>s nématologistes, dans <strong>la</strong> mesure où elles rejoignent les soucis <strong>de</strong> biosécurité <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
direction du CBGP, portent leur fruit et il est finalement décidé d’aménager espace dédié et<br />
confiné aux expérimentations <strong>de</strong> Bemisia et ce alors même le cadre réglementaire ne l’exige<br />
pas pour cet organisme. La citation ci-<strong>de</strong>ssus du responsable <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> nématologie porte<br />
un regard re<strong>la</strong>tivement critique sur <strong>la</strong> manière dont les chercheurs <strong>de</strong> l’équipe Bemisia<br />
appréhen<strong>de</strong>nt les enjeux <strong>de</strong> biosécurité. Sans porter un jugement général sur leur rapport à <strong>la</strong><br />
sécurité, nous avons pu constater en effet qu’ils considéraient, vis-à-vis <strong>de</strong> Bemisia, les enjeux<br />
<strong>de</strong> biosécurité comme <strong>de</strong>s enjeux très secondaires.<br />
b) La biosécurité, un enjeu secondaire <br />
L’enquête dédiée au confinement au CBGP a été menée en 2007, au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
mise en activité <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme expérimentale. Ce qui était frappant dans le déroulement <strong>de</strong><br />
cette enquête c’était l’impression que dans une certaine mesure, les réunions auxquelles nous<br />
avons pu assister entre les membres <strong>de</strong> l’équipe Bemisia consacrées à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme (portant<br />
sur <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong> procédures, d’un gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> confinement etc.) semb<strong>la</strong>ient très directement<br />
liées à l’expression <strong>de</strong> notre préoccupation sociologique pour le confinement. Une chercheuse<br />
<strong>de</strong> l’équipe Bemisia confirma cette impression <strong>de</strong> façon assez c<strong>la</strong>ire au détour d’un entretien :<br />
En fait quand j’avais repris (repris en charge le projet <strong>de</strong> confinement »), j’ai dit « il faut y<br />
aller ». Parce que c’est vrai que si toi-même tu n’étais pas venu….non mais je te le<br />
dis…personne n’a envie d’y aller. Ce sont <strong>de</strong>s contraintes et en contrepartie on ne voit rien<br />
quoi. C’est toujours difficile <strong>de</strong> se mettre <strong>de</strong>s contraintes pour rien. Tu vois, il y aurait un<br />
agrément, il y aurait un certain…pas reconnaissance mais…si…un peu <strong>de</strong>…que ce soit<br />
officiel…que ca nous apporte quelque chose…<br />
49
En un mot, nous avons eu l’impression d’être, par notre étu<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s initiateurs <strong>de</strong> réflexions qui<br />
n’auraient pas eu lieu sans nous, ou en tout cas, <strong>de</strong> manière beaucoup moins explicite…le<br />
souci <strong>de</strong> biosécurité apparaissant alors autant, si ce n’est plus, comme un souci <strong>de</strong> sociologue<br />
qu’un souci <strong>de</strong>s chercheurs concernés 88 . Cette remarque initiale appuie le constat général que<br />
nous pouvons faire qui est celui d’un rapport assez détaché <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> biosécurité. La<br />
possibilité que Bemisia tabaci s’ « échappe dans <strong>la</strong> nature » n’est considérée par aucun <strong>de</strong>s<br />
chercheurs comme un danger, dans <strong>la</strong> mesure où l’organisme est déjà présent dans l’ensemble<br />
du bassin méditerranéen, région <strong>de</strong> Montpellier incluse.<br />
Les dangers principaux évoqués et pris en compte par les chercheurs du CBGP<br />
concernent en fait beaucoup moins le risque d’échappement <strong>de</strong> l’insecte <strong>de</strong>s <strong>la</strong>boratoires que<br />
le risque que <strong>de</strong>s éléments externes soient introduits dans l’espace d’élevage et remettent en<br />
cause <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong>s expérimentations –et <strong>de</strong>s analyses rattachées- engagées. Deux dangers<br />
sont i<strong>de</strong>ntifiés. Le premier est celui <strong>de</strong> l’introduction d’un insecte sain mais appartenant à une<br />
autre popu<strong>la</strong>tion que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion élevée, ce qui risquerait <strong>de</strong> fausser les résultats d’analyse<br />
popu<strong>la</strong>tionnels <strong>de</strong>s comportements <strong>de</strong> l’insecte. Le second est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination <strong>de</strong><br />
l’élevage par le TYLCV, via par exemple <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nte ramenées <strong>de</strong>s campagnes<br />
d’investigation dans <strong>la</strong> zone du roussillon. Dans une telle éventualité, il faudrait déc<strong>la</strong>rer au<br />
SRPV <strong>la</strong> contamination <strong>de</strong> l’élevage, ce qui conduirait à sa <strong>de</strong>struction et entraînerait un lourd<br />
travail <strong>de</strong> reconstitution. Pour ce prémunir <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>, les chercheurs ont par exemple fait en<br />
sorte que les lieux d’analyse <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntes soient très éloignés <strong>de</strong>s lieux<br />
d’élevage <strong>de</strong>s insectes. L’échange tenu avec un chercheur au cours d’une visite du <strong>la</strong>boratoire<br />
montre pourtant que même cette éventualité n’est pas considérée comme probable :<br />
[Nous entrons dans le <strong>la</strong>boratoire d’extraction <strong>de</strong>s virus, au rez-<strong>de</strong>-chaussée. Le chercheur<br />
explique l’extraction]<br />
On a mis <strong>la</strong> zone d’extraction virus aussi loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone où il y a <strong>de</strong>s Bemisia vivant. On ne<br />
pourrait pas faire plus loin. Pour qu’un Bemisia aille du premier étage, s’échappe <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone<br />
<strong>de</strong> confinement et vienne dans un <strong>de</strong> mes tubes, aspire, remonte dans un <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts là-haut, les<br />
probabilités sont quand meme très très faibles (rires). Donc là si tu veux on est dans une<br />
logique…on ne craint pas <strong>de</strong> diffuser du TYLC par Bemisia parce qu’on a dissocié<br />
complètement les <strong>de</strong>ux sites. Le site Bemisia qui est là-bas, qui est confiné en plus, et le site du<br />
TYLC, et qui est en plus…je ne sais pas si tu as vu, en rentrant il y a une hotte, et je travaille<br />
sous cette ôte. [Montre <strong>la</strong> hotte dans le <strong>la</strong>bo]La hotte c’est un filtre à particules qui est <strong>de</strong><br />
haute sécurité. Il n’y a rien qui passe. Et ca marche en aspiration. (…).<br />
Ca c’est parce que le virus peut etre transporté ?<br />
Non. C’est par pur affichage <strong>de</strong> précaution maximum. A mon avis ça ne sert à rien. Mais<br />
l’INRA m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce le maximum <strong>de</strong>…l’INRA veut pouvoir afficher que le<br />
maximum <strong>de</strong> précautions a été pris. (…)<br />
(Dit que <strong>la</strong> hotte a couté 7000 euros. Payé par l’INRA, peut-être. Il ne sait plus quel est <strong>la</strong><br />
part <strong>de</strong> l’INRA et quel est <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’IRD).<br />
L’analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> genèse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux équipements étudiés permet <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce que<br />
l’émergence local d’un « souci <strong>de</strong> confinement » n’est qu’indirectement lié aux évolutions <strong>de</strong>s<br />
prescriptions normatives sur <strong>la</strong> sécurité expérimentale. A Avignon comme à Montpellier, le<br />
« besoin d’un équipement <strong>de</strong> confinement » répond à <strong>de</strong>s enjeux locaux multiples et distincts<br />
88 Par exemple, les dates <strong>de</strong>s réunions étaient fixées en fonction <strong>de</strong> <strong>la</strong> venue <strong>de</strong> l’étudiant en DEA réalisant une<br />
partie <strong>de</strong> l’enquête. Ce<strong>la</strong> indique à <strong>la</strong> fois une volonté <strong>de</strong> l’équipe du CBGP <strong>de</strong> se rendre disponible et <strong>de</strong><br />
bénéficier d’éventuels retours réflexifs liés à l’enquête dans le cadre d’un projet commun (BemisiaRisk), mais<br />
ce<strong>la</strong> indique il nous semble également <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tive faible <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong>s réflexions sur le confinement et interroge<br />
son autonomie par rapport à l’investigation dont elle était l’objet.<br />
50
et s’inscrit dans une approche <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> biosécurité liée aux pratiques expérimentales<br />
et à <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s recherches menées.<br />
Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> leur articu<strong>la</strong>tion aux processus <strong>de</strong> normalisation décrit plus haut,<br />
chacun <strong>de</strong>s cas est cependant très différent. Le projet <strong>de</strong> serre à Avignon émerge avant<br />
l’essentiel <strong>de</strong>s actions constitutives <strong>de</strong> ce processus et alimentent certaines d’entre elles : en<br />
<strong>de</strong>mandant <strong>de</strong>s financements, en participant à <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> réflexion, les chercheurs<br />
d’Avignon participent à <strong>la</strong> construction plus globale d’un souci du confinement. A l’inverse,<br />
les chercheurs <strong>de</strong> Montpellier réagissent à <strong>de</strong>s prescriptions normatives déjà constituées en<br />
répondant aux injonctions réglementaires et organisationnelles <strong>de</strong> confiner leurs activités.<br />
D - Concevoir le confinement localement, une exploration technicoréglementaire<br />
Nous avons montré ci-<strong>de</strong>ssus comment les <strong>dynamique</strong>s <strong>de</strong> conception <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
dispositifs expérimentaux <strong>de</strong> confinement répondaient à <strong>de</strong>s logiques distinctes. Leur<br />
généalogie distincte trouve une expression dans les caractéristiques techniques <strong>de</strong>s<br />
équipements : une serre coûteuse, fortement confinée, vouée à être agréée et à accueillir <strong>de</strong>s<br />
expérimentations sur un grand nombre <strong>de</strong> parasites d’un côté, un équpement moins coûteux,<br />
plus faiblement confiné, voué pour l’instant à accueillir <strong>de</strong>s expérimentations sur un seul type<br />
<strong>de</strong> parasite et non nécessairement engagé dans une démarche d’agrément <strong>de</strong> l’autre.<br />
La conception <strong>de</strong> ces équipements ne se joue pourtant pas uniquement dans les logiques qui<br />
prési<strong>de</strong>nt à leur genèse ou les projets scientifiques <strong>de</strong> leurs utilisateurs/concepteurs. Pour ces<br />
<strong>de</strong>rniers, <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir ce que recouvre le « confinement » comme agencement <strong>de</strong><br />
matériels et <strong>de</strong> pratiques reste une question entière, d’autant plus que comme nous l’avons vu,<br />
elle prend p<strong>la</strong>ce dans un environnement normatif ouvert et re<strong>la</strong>tivement flou. Cette question<br />
essentielle à notre analyse, recouvrant celle plus <strong>la</strong>rge du rapport <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
aux prescriptions normatives <strong>de</strong> confinement. Aussi, nous allons maintenant décrire,<br />
concrètement, les différentes étapes <strong>de</strong>s conceptions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux équipements expérimentaux.<br />
Ceci nous permet <strong>de</strong> montrer comment les acteurs explorent en même temps les enjeux<br />
techniques du confinement et les enjeux réglementaires, comment le droit prend forme dans<br />
les instal<strong>la</strong>tions expérimentales.<br />
1) Avignon : D’une petite serre S2 à une serre <strong>de</strong> « Hautconfinement », trois étapes <strong>de</strong> mise en projet, une étape <strong>de</strong> <br />
construction, quatre conceptions du confinement <br />
Le processus <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre d’Avignon est un processus re<strong>la</strong>tivement long<br />
dont l’aboutissement, une serre <strong>de</strong> « Haut-confinement », est assez éloigné du projet initial<br />
qui l’a initié. Trois étapes différentes peuvent être mises en évi<strong>de</strong>nce dans ce processus.<br />
Chacune est traversée par <strong>de</strong>s contraintes financières, techniques et normatives propres<br />
structurant l’équipement <strong>de</strong> confinement.<br />
a) 19961999 : Un petit projet <strong>de</strong> serre OGM : le confinement par <br />
mimétisme <br />
51
Le projet initial <strong>de</strong> serre d’Avignon est celui « d'une petite unité isolée d'une surface<br />
totale <strong>de</strong> 42m² comprenant 4 compartimentss (1 en confinement S3 et 3 en confinementt<br />
S2)» 89 . Lorsque le projet <strong>de</strong> serre à Avignon est é<strong>la</strong>boré, le cadre réglementaire est assez peu<br />
précis. Seules les activités <strong>de</strong> recherche sur les OGM sont soumises à une obligation<br />
d’agrément, <strong>la</strong> directive européenne sur l’obligation <strong>de</strong> recherche confinée sur <strong>de</strong>s organismes<br />
<strong>de</strong> quarantaine n’ayant pas encore été transposée en droit français. De plus, même les<br />
modalités <strong>de</strong> confinement <strong>de</strong>s OGM ne sont décrites dans aucun cahier <strong>de</strong>s charges précis, le<br />
système d’autorisation animé par <strong>la</strong> CGG reposant essentiellement sur une évaluation ad - hoc<br />
<strong>de</strong>s dispositifs expérimentaux et <strong>de</strong> leur respect <strong>de</strong> principes très généraux liant, comme on l’a<br />
évoqué, c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> risques <strong>de</strong>s organismes et types d’équipements. Aussi, pour é<strong>la</strong>borer un<br />
projet <strong>de</strong> serre <strong>de</strong> confinement, les chercheurs d’Avignon s’appuient sur plusieurs choses.<br />
Premièrement sur <strong>de</strong>s échanges qu’ils peuvent avoir avec <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> CGG et sur les<br />
principes affichés par celles-ci : les niveaux <strong>de</strong> confinement qui cadrent leur réflexion –S2,<br />
S3, S4- sont essentiellement <strong>de</strong>s niveaux décrits dans le référentiel CGG. Surtout, ils<br />
échangent avec un membre <strong>de</strong> <strong>la</strong> CGG qui lui-même a réalisé une serre confinée à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s<br />
années 1980 au centre INRA <strong>de</strong> Versailles avant même que les réglementations OGM soient<br />
mises en p<strong>la</strong>ce.<br />
Si vous voulez c’est ça aussi qui a beaucoup complexifié les choses, c’est que il y a eu ce<br />
prototype <strong>de</strong> [Versailles] selon <strong>de</strong>s consignes qui n’existaient pas à l’époque il y avait pas <strong>de</strong><br />
consigne, quand il avait…notre interlocuteur c’était <strong>la</strong> CGG, [le prototype <strong>de</strong> Versailles], ce<br />
n’était pas du tout pour <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> quarantaine. C’était pour <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes<br />
transgéniques que [le Directeur <strong>de</strong> l’unité] avait fait [<strong>la</strong> serre <strong>de</strong> confinement]. Donc il y<br />
avait quelques consignes <strong>de</strong> <strong>la</strong> CGG mais il n’y avait pas un cahier <strong>de</strong>s charges. Et même<br />
pour <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux, le cahier <strong>de</strong>s charges il a été crée plus tard.<br />
Chercheuse S<br />
Les chercheurs d’Avignon s’inspirent donc <strong>la</strong>rgement <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre <strong>de</strong> Versailles pour penser<br />
leur propre projet d’équipement, dans <strong>la</strong> mesure notamment où il n’existe à l’époque pas<br />
d’offre industrielle <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s constructeurs <strong>de</strong> serre sur ce type <strong>de</strong> produit 90 . Enfin ils<br />
prennent en compte les limites <strong>de</strong> leurs capacités financières pour définir leur projet. Une <strong>de</strong>s<br />
principales difficultés <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> virologie végétale est en effet d’obtenir <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s pour<br />
financer <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> leur serre. En 1997/98, elle réussit à rassembler les 1 millions <strong>de</strong><br />
francs nécessaires à son projet initial 91 .<br />
Cette somme <strong>de</strong>vient pourtant insuffisante à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990 qui, on l’a vu, ouvre une<br />
<strong>de</strong>uxième pério<strong>de</strong> où les éxigences <strong>de</strong> confinement <strong>de</strong>s OQ sont progressivement constituées<br />
en enjeu à plusieurs niveaux <strong>de</strong> l’INRA et <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV.<br />
89 Cf. Argumentaire pour obtenir <strong>de</strong>s financements, cité. Il est également prévu <strong>de</strong>s évolutions possibles du<br />
projet : « Le cas échéant le compartiment S3 pourra être faccilement modifié pour <strong>de</strong>venir conform aux normes<br />
les plus struictes <strong>de</strong> confinement (S4) si les expérimentations l'exigeeitn (simple changement <strong>de</strong> filtre) »<br />
90 Un <strong>de</strong>vis est <strong>de</strong>mandé à <strong>la</strong> société Henssler, mais il s’agit <strong>de</strong> réaliser un prototype.<br />
91 450KF accordés par <strong>la</strong> CNUE , 150KF d’autofinancement et 400KF accordés par <strong>la</strong> Direction <strong>de</strong> l’INRA qui a<br />
monté un petit programme en 1997 <strong>de</strong> « mise à niveau <strong>de</strong>s serres <strong>de</strong> l’INRA en terme <strong>de</strong> protection adaptée pour<br />
les p<strong>la</strong>ntes et organismes végétaux génétiquement modifiés ».<br />
52
) 19992002, tentative avortée d’adaptation du projet à <strong>de</strong>s <br />
préconisations organisationelles : contraintes techniques et contraintes <br />
financières <br />
En 1999 est publié le rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> « commission S3 » qui fait un certains nombre <strong>de</strong><br />
préconisations sur le confinement <strong>de</strong>s serres <strong>de</strong> l’INRA. Or, le projet <strong>de</strong> serre d’Avignon ne<br />
suit pas toutes ces préconisations 92 et même si ce rapport n’a pas <strong>de</strong> valeur juridique, les<br />
chercheurs d’Avignon le considèrent comme une norme qui remet en cause leur projet. En<br />
effet, il leur apparaît alors difficile <strong>de</strong> ne pas suivre ce qui peut apparaître comme <strong>de</strong>s<br />
consignes du département et il leur semble plus stratégique, dans l’éventualité <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
<strong>de</strong>s soutiens financiers, <strong>de</strong> respecter les attendus <strong>de</strong> <strong>la</strong> « commission S3 ». Ils déci<strong>de</strong>nt donc<br />
d’aménager leur projet initial sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> celles-ci et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à une firme <strong>de</strong> construction<br />
<strong>de</strong> serre (Henssler) d’établir un nouveau <strong>de</strong>vis avec un cahier <strong>de</strong>s charges qui prend en compte<br />
les caractéristiques d’une serre S3 préconisées par <strong>la</strong> commission : accès par un sas en<br />
surpression (100 Pa) donnant accès à <strong>de</strong>s compartiments en dépression (200 Pa), filtres d’air,<br />
vitrages hyper-résistants … les nouvelles exigences font doubler le <strong>de</strong>vis initial et les<br />
chercheurs doivent « repartir » à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> nouveaux financements.<br />
De 1999 à 2002, ces financements sont recherchés par <strong>la</strong> responsable scientifique du projet.<br />
Elle s’adresse notamment aux responsables du département 93 et <strong>de</strong> l’INRA, mettant en avant<br />
<strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> respecter les consignes <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission S3. Devant <strong>la</strong> difficulté d’obtenir ces<br />
financements, l’équipe d’Avignon envisage <strong>de</strong> revoir à <strong>la</strong> baisse son projet. Un mail adressé<br />
aux par <strong>la</strong> responsable scientifique aux chefs <strong>de</strong> département <strong>de</strong> l’époque illustre ceci :<br />
Je vous rappelle que nous avons potentiellement 1 MF <strong>de</strong>puis 1998 bien qu'une fiche<br />
d'opération n'ait pas encore été ouverte. Ce MF correspondait à une petite serre S2+<br />
simi<strong>la</strong>ire aux instal<strong>la</strong>tions à Versailles. Le projet a été arrêté en attente <strong>de</strong>s propositions <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
commission S3. Cette <strong>de</strong>rnière a mis <strong>la</strong> barre très haut sur le confinement faisant f<strong>la</strong>mber les<br />
coûts (x 2 en ce qui nous concerne). Sans remettre en cause <strong>la</strong> qualité du travail <strong>de</strong> cette<br />
commission et l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses calculs, je me questionne néanmoins sur <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong><br />
maintenir ce niveau d'exigence puisque: -1) l'INRA visiblement trouve l'addition trop élevée<br />
(…) -2) en attendant une structure certainement fiable mais dont je commence à douter <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
réalisation effective, on continue à travailler dans <strong>de</strong>s conditions bien précaires. Même si<br />
nous prenons le maximum <strong>de</strong> précaution et même si j'ai confiance dans <strong>la</strong> qualité du travail<br />
fait, il y a vraiment un fossé entre ce que propose <strong>la</strong> commission S3 et ce que nous avons pour<br />
travailler à l'heure actuelle (…) En conclusion, à force d'attendre un objet hyper perfectionné<br />
(dont on ne sait même pas si l'on pourra le faire fonctionner durant <strong>la</strong> canicule provençale<br />
et/ou en assumer le coût), on prend <strong>de</strong>s risques! Ma question est donc simple: pouvons-nous<br />
envisager <strong>de</strong> revenir au modèle <strong>de</strong> 1997 (S2+) ? 94<br />
Ce courrier montre comment les exigences <strong>de</strong> confinement sont négociées en interne <strong>de</strong><br />
l’INRA à l’aune <strong>de</strong>s contraintes financières qui limitent leur réalisation. Dans le cas précis,<br />
ayant réussi à collecter les fonds nécessaires 95 , l’équipe d’Avignon <strong>la</strong>nce finalement un appel<br />
92 Deux recommandations sont particulièrement en déca<strong>la</strong>ge avec le projet d’Avignon, <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> locaux<br />
annexes et, surtout, un fonctionnement en dépression atmosphérique (-200 Pa.).<br />
93 Cf. courriel du 01/09/2000.<br />
94 Courrier adressé au chef <strong>de</strong> département SPE et adjoint, septembre 2000.<br />
95 L’équipe obtient en 2000 <strong>la</strong> somme <strong>de</strong> 1 MF dans le cadre du programme d’ « instruction travaux » dépendant<br />
du département et augmente ses capacités d’autofinancement.<br />
53
d’offre en mars 2002 sur <strong>la</strong> base d’un projet <strong>de</strong> S3. Cependant celui-ci s’avère infructueux :<br />
aucune entreprise ne peut répondre au prix <strong>de</strong> construction envisagé, sous-estimé par le<br />
constructeur <strong>de</strong> serre qui a réalisé le <strong>de</strong>vis en 1999 96 . S’ouvre alors une troisième pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
recherche <strong>de</strong> financement et <strong>de</strong> reé<strong>la</strong>boration du projet <strong>de</strong> serre.<br />
c) 20022004 : Un projet <strong>de</strong> serre « NS3 » partagé entre l’INRA et <strong>la</strong> PV <br />
Devant l’échec <strong>de</strong> l’appel d’offre, l’équipe d’Avignon réévalue les coûts <strong>de</strong><br />
construction d’une serre S3. Elle peut alors s’appuyer sur le coût réel –et non projeté- <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
serre S3 <strong>de</strong> l’INRA <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, dont <strong>la</strong> construction s’achève. La somme à trouver est<br />
importante, le coût évalué pour refaire une structure simi<strong>la</strong>ire sur Avignon s’élevant à 6,3 MF,<br />
c’est 4,15 MF qui sont considérés comme nécessaires fin 2002. Deux moyens <strong>de</strong> financement<br />
supplémentaires sont donc é<strong>la</strong>borés. Premièrement, l’équipe d’Avignon obtient l’abandon<br />
d’un autre projet <strong>de</strong> constrution <strong>de</strong> serre envisagé sur <strong>la</strong> station (projet <strong>de</strong> serre S2) et le report<br />
<strong>de</strong>s crédits sur le projet <strong>de</strong> serre S3 (report accordé en 2001). Deuxièmement, l’équipe engage<br />
une négociation avec le LNPV <strong>de</strong> virologie local, l’enjeu étant d’obtenir un soutien financier<br />
<strong>de</strong> l’administration en échange <strong>de</strong> l’accès à un espace <strong>de</strong> travail dans <strong>la</strong> future serre confinée.<br />
Cette négociation est facilitée par le fait que le LNPV est dans une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> réorganisation<br />
<strong>de</strong> ses activités à Avignon 97 et par le fait que, comme nous l’avons vu, <strong>la</strong> PV entre à partir <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990 dans une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> formalisation <strong>de</strong> ses exigences re<strong>la</strong>tives à<br />
l’expérimentation sur les OQ et qu’elle doit, dans ce contexte, penser à faire évoluer son<br />
propre dispositif expérimental. Un courrier <strong>de</strong> <strong>la</strong> directrice du LNPV à <strong>la</strong> DGAL daté<br />
d’octobre 2002 met en évi<strong>de</strong>nce l’intérêt qu’il peut y avoir pour <strong>la</strong> PV à col<strong>la</strong>borer avec<br />
l’INRA :<br />
L’INRA a un projet <strong>de</strong> serre NS3 qu’il est en train <strong>de</strong> finaliser. L’intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV pour une<br />
mise à disposition d’un compartiment <strong>de</strong> cette serre est (…) : - diminuer les coûts <strong>de</strong><br />
construction du bâtiment PV (environ 3,2 MF sur les 24 MF prévus initialement ); -<br />
minimiser les coûts d’utilisation (35 KF/an à l’INRA contre 80 KF estimés dans les futurs<br />
locaux PV) ; - utiliser les services INRA pour l’entretien <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes le week-end ainsi que le<br />
gardiennage.<br />
Les négociations entre <strong>la</strong> PV et l’INRA aboutissent favorablement en 2004 et une convention<br />
est signée. Il est prévu, dans le projet <strong>de</strong> serre <strong>de</strong> l’INRA qu’un compartiment <strong>de</strong> 17 m2<br />
environ en confinement <strong>de</strong> niveau S3 soit alloué à <strong>de</strong>s agents du LNPV pour <strong>la</strong> conservation<br />
<strong>de</strong> souches d'organismes phytopathogènes <strong>de</strong> quarantaine sur <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes hôtes infectées. Cet<br />
accord permet à l’INRA d’envisager finalement <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre projetée <strong>de</strong>puis<br />
plusieurs années. Une phase <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre s’ouvre dans <strong>la</strong>quelle l’exploration<br />
technico-réglementaire <strong>de</strong>s normes <strong>de</strong> confinement se poursuit <strong>de</strong> manière particulièrement<br />
intense.<br />
96 Alors que <strong>la</strong> station d’Avignon a réussi à réunir 2,15 MF, le plus petit <strong>de</strong>vis s’élève à 3,15 MF.<br />
97 En février 2001, <strong>la</strong> directrice du LNPV reçoit <strong>la</strong> mission <strong>de</strong> réorganiser les <strong>la</strong>boratoires <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV à Avignon, et<br />
notamment d’envisager le regroupement du LNPV virologie imp<strong>la</strong>nté localement et du LRPV.<br />
54
d) 20052006 : Du projet à l’équipement, poursuite <strong>de</strong> l’exploration <br />
technicoréglementaire au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre <strong>de</strong> <br />
« hautconfinement » <br />
Dans toutes les phases précé<strong>de</strong>mment décrites, les chercheurs d’Avignon ont joué un<br />
rôle important dans l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s différents projets <strong>de</strong> serre. Dans cette nouvelle phase,<br />
ces chercheurs vont <strong>la</strong>rgement s’appuyer sur l’expertise du responsable <strong>de</strong>s travaux du centre<br />
d’Avignon 98 , véritable maître d’œuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre. Entré à l’INRA en 1969 et ayant rejoint <strong>la</strong><br />
station d’Avignon en 1997, il a participé au cours <strong>de</strong> sa carrière à <strong>de</strong> nombreux projets <strong>de</strong><br />
construction <strong>de</strong> serres et d’animalerie, a une expertise technique importante et jouit sur <strong>la</strong><br />
station, à <strong>la</strong> fois auprès <strong>de</strong>s techniciens et <strong>de</strong>s chercheurs, d’une légitimité très importante.<br />
Aussi, il a une influence très importante sur les choix techniques qui sont faits pour construire<br />
<strong>la</strong> serre <strong>de</strong> « haut-confinements », choix techniques qui sont re<strong>la</strong>tivement ouverts au regard <strong>de</strong><br />
l’ouverture du projet et <strong>de</strong>s cadres normatifs (OGM et OQ) alors disponibles.<br />
Plusieurs éléments influencent ces choix. Premièrement, le responsable <strong>de</strong>s travaux s’appuie<br />
sur <strong>de</strong>s préconisations normatives institionnelles. D’une part, en col<strong>la</strong>boration avec les<br />
chercheurs d’Avignon, il s’engage dans une lecture <strong>de</strong>s différents référentiels écrits re<strong>la</strong>tifs au<br />
confinement : <strong>la</strong> réglementation sur les OGM et les Organismes <strong>de</strong> quarantaine, le rapport <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> Commission S3 ou encore le manuel d’audit <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV font partie <strong>de</strong>s documents qu’ils<br />
prennent en compte pour nourrir leur réflexion. Face aux possibilités d’évolution <strong>de</strong> ces<br />
cadres et à leur flou inhérent, une <strong>de</strong>s solutions consiste à en avoir une interprétation<br />
maximaliste –ici évoqué comme « cadre plus <strong>la</strong>rge »- <strong>de</strong>s préconisations re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong><br />
sécurité :<br />
Il suffit <strong>de</strong> prendre leur recommandations et on suit le…une fois qu’on a suivi leur<br />
recommandations, que voulez vous qu’ils disent. On est dans leur réglementation. Et si on fait<br />
un cadre plus <strong>la</strong>rge, on est forcement <strong>de</strong>dans. Même, ils peuvent même un peu é<strong>la</strong>rgir leur<br />
cadre, ça ne va pas me gêner.<br />
Responsable <strong>de</strong>s travaux du centre d’Avignon<br />
L’interprétation maximaliste <strong>de</strong> ces préconisations est également favorisée par le fait,<br />
qu’au cours <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>, les chercheurs d’Avignon sont persuadés, suite à <strong>de</strong>s échanges<br />
informels avec <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV, qu’un certains nombres <strong>de</strong> leurs recherches engagées sur<br />
<strong>de</strong>s virus <strong>de</strong> LO transmis par Bemisia nécéssiteront un agrément officiel pour pouvoir être<br />
poursuivis dans le futur. Ils apprendront néanmoins plus tard, fin 2006, qu’un tel agrément<br />
n’est finalement pas nécessaire dans <strong>la</strong> mesure où, dans <strong>la</strong> perspective réglementaire <strong>de</strong><br />
l’administration, seuls les recherches sur les virus <strong>de</strong> Quarantaine sont soumis à contrôle.<br />
En 2003 on a monté un dossier <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’agrément auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV, pour manipuler ces<br />
virus, non pas dans <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> type S3 parce qu’on n’en n’avait pas encore, mais dans<br />
<strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> type S2. Compartiment dans lesquels on avait les OGM. Euh, ce dossier a<br />
trainé pour <strong>de</strong>s tas <strong>de</strong> raisons, en particulier à <strong>la</strong> lenteur et au manque <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV<br />
dans ce domaine là, (…) ça a trainé, jusqu’à ce que l’année <strong>de</strong>rnière, le dossier ressorte (…)<br />
finalement, il y a pas longtemps, on a eu une réunion avec les gens <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV qui finalement<br />
nous ont dit que (…) dans <strong>la</strong> mesure où ces virus sont <strong>de</strong> lutte obligatoire, ce statut est un<br />
statut purement national et qu’il n’y avait à leur niveau aucune règlementation au niveau<br />
98 Dans les centre <strong>de</strong> l’INRA, le Responsable <strong>de</strong>s travaux (et son équipe) sont responsables, sous l’autorité du<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> centre, du suivi <strong>de</strong>s opérations immobilières (entretien, rénovation ou opération nouvelle).<br />
55
européen, ils ne pouvaient pas les considérer comme <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> quarantaine et que<br />
donc on avait pas besoin d’agrément pour les manipuler. Donc voilà. L’affaire s’est arrêtée<br />
là.<br />
Responsable scientifique serre Avignon<br />
Cette anecdote, outre qu’elle illustre <strong>la</strong> perspective réglementaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV sur le confinement<br />
et met en évi<strong>de</strong>nce l’importance <strong>de</strong>s échanges informels entre celle-ci et l’INRA au niveau<br />
local, illustre également comment l’incertitu<strong>de</strong> sur l’environnement normatif re<strong>la</strong>tif au<br />
confinement peut favoriser une interprétation plus rigoureuse <strong>de</strong> celui-ci au niveau <strong>de</strong>s<br />
<strong>la</strong>boratoires.<br />
Deuxièmement, le responsable <strong>de</strong>s travaux construit sa réflexion en s’inspirant/se démarquant<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> serre S3 <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux. Cette serre, première serre <strong>de</strong> l’INRA ayant obtenu un agrément à<br />
<strong>la</strong> fois <strong>de</strong> <strong>la</strong> CGG et <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV constitue en effet, <strong>de</strong> par son achèvement antérieur, un<br />
prototype par rapport auquel peuvent être pensées les instal<strong>la</strong>tions d’Avignon, c’est à dire les<br />
arrangements à mettre en p<strong>la</strong>ce mais également et surtout les erreurs à ne pas répéter :<br />
aération, fuites d’air, gestion <strong>de</strong>s effluents etc 99 . Le responsable <strong>de</strong>s travaux d’Avignon est<br />
ainsi en contact régulier avec le responsable technique <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 100 .<br />
Troisièmement, le responsable <strong>de</strong>s travaux s’appuie sur les avis <strong>de</strong>s chercheurs et <strong>de</strong>s<br />
techniciens amenés à utiliser le futur équipement. Il crée notamment un « groupe <strong>de</strong> travail »<br />
visant à favoriser <strong>la</strong> réflexion collective, dans lequel sont discutés <strong>de</strong>s problèmes très<br />
fonctionnels 101 .<br />
On voit donc que <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre, bien plus qu’une simple étape<br />
<strong>de</strong> mise en œuvre d’un projet d’équipement porteur d’une vision stabilisée du confinement<br />
constitue une étape supplémentaire d’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> ce projet, impliquant <strong>de</strong>s acteurs<br />
nouveaux, dans <strong>la</strong>quelle les choix re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> sécurité sont précisés et définis en même temps<br />
qu’un ensemble d’autres choix <strong>de</strong> conception plus généralistes, re<strong>la</strong>tifs au fonctionnement<br />
d’une serre ou d’un système <strong>de</strong> refroidissement. A Montpellier, dans un contexte et une<br />
temporalité différente, un même processus d’exploration technico-réglementaire peut-être mis<br />
en évi<strong>de</strong>nce. Nous allons maintenant rapi<strong>de</strong>ment décrire celui-ci.<br />
2) P<strong>la</strong>teforme Bemisia : D’une injonction <strong>de</strong> confiner à un espace <br />
confiné <br />
a) Confiner Bemisia tabaci dans un certain flou <br />
Après que <strong>la</strong> direction du CBGP a <strong>de</strong>mandé à l’équipe Bemisia <strong>de</strong> confiner ses<br />
expérimentations sur l’insecte vecteur, les chercheurs concernés se renseignent auprès <strong>de</strong><br />
certains agents <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV proches, sur les exigences qui concernent leurs activités scientifiques<br />
99 En juin 2002, le responsable <strong>de</strong>s travaux d’Avignon a notamment été visité <strong>la</strong> serre avec <strong>la</strong> responsable<br />
scientifique du projet <strong>de</strong> serre d’Avignon.<br />
100 Par exemple, ils ont échangé sur les <strong>la</strong>melles verticales en aluminium qui sont installées sur le toit <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre<br />
d’Avignon et qui permettent un meilleur rég<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> l’ensoleillement <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre.<br />
101 Par exemple, c’est au sein <strong>de</strong> ce groupe qu’est initiée <strong>la</strong> réflexion sur <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un système <strong>de</strong><br />
gestion <strong>de</strong> climat permettant <strong>de</strong> ventiler les compartiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre séparément.<br />
56
et notamment leur élevage <strong>de</strong> Bemisia. Ils s’adressent par exemple au responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Mission <strong>de</strong> coopération phytosanitaire (MCP) qui est située à Montpellier, qui leur explique<br />
que travail<strong>la</strong>nt sur une « souche européenne », ils n’ont pas d’obligations réglementaires <strong>de</strong><br />
confiner leur élevage. Cependant, au même moment, ils se procurent le manuel d’audit –<br />
rédigé rappelons le sous <strong>la</strong> responsabilité du responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> MCP évoqué ci-<strong>de</strong>ssus- dans<br />
lequel il est inscrit que les popu<strong>la</strong>tions européennes <strong>de</strong> Bemisia tabaci, comme celles élevées<br />
au CBGP, doivent être expérimentées dans <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> confinement <strong>de</strong> niveau NS2,<br />
répondant à un certain nombre d’exigences (par exemple l’imperméabilité du sol, un sas<br />
d’entrée, <strong>de</strong>s fenêtres étanches…). Les chercheurs se retrouvent donc dans une situation où à<br />
<strong>la</strong> fois il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> confiner certaines activités et où, en même temps, leurs proches<br />
interlocuteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV leur donnent <strong>de</strong>s informations qui apparaissent contradictoires 102 .<br />
Dans ce contexte, ils doivent eux-mêmes définir leurs contraintes, les mettre en œuvre et les<br />
afficher. Le processus d’exploration qui s’en suit est marqué par ce paradoxe, un processus<br />
dans lequel les chercheurs vont chercher à minimiser leurs contraintes tout en les alignant sur<br />
les préconisations du manuel d’audit.<br />
b) Un rapport négocié aux c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> risque, « entre NS1 et NS2 » <br />
Face à <strong>la</strong> pression <strong>de</strong> <strong>la</strong> Direction du CBGP, le groupe Bemisia déci<strong>de</strong> en effet qu’il<br />
est plus pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> s’aligner sur les exigences indiquées dans le manuel d’audit tout<br />
en remettre à plus tard <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir s’il faut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un agrément officiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV<br />
ou non. Aussi, une jeune chercheuse est nommée en 2005 par le responsable <strong>de</strong> l’équipe pour<br />
prendre en charge, avec l’ai<strong>de</strong> d’un technicien, <strong>la</strong> réflexion sur cet alignement et plus<br />
<strong>la</strong>rgement le projet d’instal<strong>la</strong>tion. Si elle connaît bien Bemisia tabaci, c’est <strong>la</strong> première fois<br />
qu’elle doit prendre en charge un projet <strong>de</strong> confinement 103 .<br />
S’appuyant sur le manuel d’audit, <strong>la</strong> chercheuse et le technicien reprennent une par une ses<br />
recommandations et listent dans un document les travaux qui sont à envisager. Très vite, ils se<br />
ren<strong>de</strong>nt compte que certaines <strong>de</strong>s exigences du manuel d’audit impliquent <strong>de</strong>s travaux très<br />
onéreux. Ils déci<strong>de</strong>nt – et notamment en faisant référence à un paragraphe du manuel d’audit<br />
qui propose <strong>de</strong>s « possibilités <strong>de</strong> surc<strong>la</strong>ssement ou <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>ssement » pour les différents<br />
microorganismes 104 – d’explorer <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> répondre aux exigences <strong>de</strong> confinement du<br />
manuel <strong>de</strong> Niveau NS1 plutôt que NS2, qui sont moins coûteuses à mettre en p<strong>la</strong>ce. Pour ce<strong>la</strong>,<br />
ils s’adressent informellement au responsable du LNPV entomologie, qui est situé à<br />
Montpellier et avec lequel ils ont déjà eu <strong>de</strong>s échanges dans le cadre du projet BemisiaRisk,<br />
afin <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r son avis. Ils lui soumettent un document dans lequel ils listent les<br />
exigences <strong>de</strong> confinement re<strong>la</strong>tives aux <strong>de</strong>ux c<strong>la</strong>ssements NS1 et NS2 et développent un court<br />
argumentaire justifiant leur volonté <strong>de</strong> répondre aux premières plutôt qu’aux <strong>de</strong>uxièmes. Le<br />
102 Cette contradiction peut s’expliquer au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> d’écriture et <strong>de</strong> mise en circu<strong>la</strong>tion du manuel<br />
d’audit que nous avons décrite plus haut : rédigé en petit comité, jamais validé, il n’est pas du tout considéré<br />
comme un document sur lequel appuyer <strong>de</strong>s préconisations en 2005, mais continue à circuler dans les<br />
<strong>la</strong>boratoires <strong>de</strong> recherche comme point d’appui aux réflexions. La situation décrite ici illustre parfaitement ce<br />
processus.<br />
103 La nomination <strong>de</strong> cette jeune chercheuse à Montpellier, qui contraste avec <strong>la</strong> prise en charge du projet <strong>de</strong><br />
confinement par les chercheurs responsables <strong>de</strong> l’unité à Avignon, illustre <strong>la</strong> différence d’importance accordée<br />
dans les <strong>de</strong>ux endroits à l’enjeu <strong>de</strong> confinement.<br />
104 Cf. p. 41, 42 du « Manuel d’audit » <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux.<br />
57
esponsable du LNPV vali<strong>de</strong> cette démarche dans <strong>la</strong> mesure où elle s’apparente à une<br />
« évaluation du risque » pertinente et où, <strong>de</strong> toutes façons, il n’y a pas d’obligations<br />
réglementaires re<strong>la</strong>tives aux popu<strong>la</strong>tions européennes <strong>de</strong> Bemisia tabaci. Au final, les<br />
chercheurs <strong>de</strong> l’équipe Bemisia ont donc précisé un objectif <strong>de</strong> confinement pour leur projet :<br />
celui-ci visera à créer un espace <strong>de</strong> confinement « NS1-NS2 » 105 pour travailler sur Bemisia.<br />
On voit donc comment l’engagement dans une démarche <strong>de</strong> confinement implique une<br />
exploration <strong>de</strong>s exigences réglementaires qui ne s’imposent pas c<strong>la</strong>irement aux chercheurs<br />
mais qui sont négociées, interprétées, dans <strong>de</strong>s échanges locaux avec l’administration, mais<br />
aussi re<strong>la</strong>tivement à <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions internes à l’organisation, à <strong>de</strong>s capacités financières ou<br />
techniques. Cette <strong>dynamique</strong> au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle les c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> risque existantes sont<br />
traduites par les acteurs, interprétées, pour constituer <strong>de</strong> nouvelles c<strong>la</strong>sses –ici « NS1-NS2- et<br />
ainsi <strong>de</strong> nouveaux horizons d’exigence n’est pas sans générer une certaine tension chez les<br />
acteurs concernés :<br />
Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV, il n’y a pas <strong>de</strong> mésures c<strong>la</strong>ires pour le confinement ?<br />
Ils ont <strong>de</strong>s normes. L2, S2 « ça doit être comme ca ». Mais quand vous leur posez <strong>la</strong> question<br />
en disant « Dites-nous, qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse ? ». Ils disent pas. Ils veulent pas le<br />
dire. Ils disent « Faites et on vous dira après ». On a vraiment le sentiment qu’ils ne veulent<br />
pas se mouiller. Voilà. Alors que je leur dis c’est leur métier ca. C’est à eux <strong>de</strong> nous dire ce<br />
qu’on doit faire. Au niveau <strong>de</strong>s mailles <strong>de</strong> filtration par exemple. Comment on peut filtrer. Si<br />
on avait le SAS par exemple en dépression, quelle entreprise est <strong>la</strong> meilleure. Je pense que ca<br />
fait partie <strong>de</strong> leur boulot. Puisque c’est eux qui réc<strong>la</strong>ment les normes.<br />
Responsable technique p<strong>la</strong>teforme CBGP<br />
En fait ca serait beaucoup plus simple pour un chercheur <strong>de</strong> dire « bon voilà, qu’est-ce que<br />
vous exigez ? ». De <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> PV et dire « voilà, moi je veux travailler - c’est <strong>la</strong> première<br />
question qu’on a posée (…) <strong>la</strong> PV a dit vous allez pas vous inquiéter (…) d’ailleurs je suis<br />
quand même étonnée <strong>de</strong> leur réponse parce que (Bemisia européen) c’est quand meme c<strong>la</strong>ssé<br />
en NS2.<br />
Par <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux…sur <strong>la</strong> liste <strong>de</strong> quarantaine…<br />
Oui. Au départ on partait sur une NS2, après on s’est aperçu que ça correspond quand<br />
même plus au niveau NS1, c’est un peu entre les <strong>de</strong>ux quoi.<br />
Et pourquoi ça correspondait plus a un NS1 qu’à un NS2 ?<br />
Parce qu’on a estime que le risque ne nécessitait pas un confinement aussi strict. Nous on<br />
l’a estimé parce qu’on connaît les popu<strong>la</strong>tions. Alors á <strong>la</strong> PV on les connaît aussi. La PV sait<br />
très bien ce que c’est Bemisia tabaci. (…) Tu vois c’est adapté qu’il y a à <strong>la</strong> fois un cadre.<br />
Mais c’est quand même assez fluctuant. (…) donc en fait <strong>la</strong> difficulté c’est <strong>la</strong> PV ne dit pas «<br />
ah, on travaille sur Bemisisa tabaci Europeen, voilà ce que vous <strong>de</strong>vez faire, tactactactac. »<br />
(…) Et enfin le probléme c’est que quand tu vas aller les voir, il vont pas dire « si vous faites<br />
ca, vous êtes c<strong>la</strong>ssés en confinés ». Donc c’est <strong>la</strong> difficulté, c’est que tu t’engages, tu<br />
commences <strong>de</strong>s travaux sans savoir où tu vas.<br />
Responsable confinement Montpellier CBGP<br />
Cet extrait montre à <strong>la</strong> fois comment <strong>la</strong> démarche d’évaluation du risque à <strong>la</strong>quelle conduit<br />
l’absence <strong>de</strong> préconisations c<strong>la</strong>ires est comprise comme plus ou moins cohérente selon les<br />
personnes qui y sont confrontées et en même temps comment elle est perçue comme une<br />
difficulté, source <strong>de</strong> complication et d’incertitu<strong>de</strong>s. Cette démarche, loin d’être terminée au<br />
105 Cf. les comptes rendus <strong>de</strong> réunions <strong>de</strong> travail pour l’espace <strong>de</strong> confinement.<br />
58
moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> définition du projet d’instal<strong>la</strong>tion se poursuit au cours <strong>de</strong>s étapes ultérieures <strong>de</strong><br />
conception <strong>de</strong> l’équipement.<br />
c) 20062007 : Du projet à l’équipement, le brico<strong>la</strong>ge d’un espace <br />
expérimental <br />
L’objectif <strong>de</strong> confinement défini, les responsables <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme<br />
Bemisia ont, comme à Avignon, recours à plusieurs sources d’inspirations.<br />
Ils s’adressent à <strong>de</strong>s <strong>la</strong>boratoires proches géographiquement qui disposent d’équipements <strong>de</strong><br />
haut confinement, à savoir le <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong> l’USDA (évoqué plus haut), un <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong><br />
Montpellier du CIRAD 106 ou encore le <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong> virologie d’Avignon. Les responsables<br />
scientifiques <strong>de</strong> ces <strong>la</strong>boratoires leur expliquent <strong>la</strong> façon dont ils ont procédé pour construire<br />
leurs instal<strong>la</strong>tions et leur fournissent différents supports documentaires. Par ailleurs, le<br />
responsable technique <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme s’inspire <strong>de</strong>s expériences présentées lors <strong>de</strong>s<br />
formations confinement <strong>de</strong> l’INRA, qui sont mises en p<strong>la</strong>ce à cette époque, et auxquelles il<br />
assiste. Le technicien désigné responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme joue un rôle important <strong>de</strong><br />
proposition et <strong>de</strong> suivi au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> l’instal<strong>la</strong>tion. Technicien <strong>de</strong> l’INRA, très<br />
bricoleur, il fait face à certaines difficultés. D’une part, il doit –contrairement à Avignon,<br />
prendre en compte l’existant du bâti dans lequel l’espace « NS1-NS2 » est créé, ce qui limite<br />
les possibilités d’aménagement.<br />
La création c’est toujours plus facile que d’adapter. Nous il a fallu étancher les fenêtres (…)<br />
il a fallu démonter toutes les poignées, c’était pas adapté pour être étanchéifié. Ainsi que<br />
toutes les portes qui ne sont pas prévues pour être étanchéifiées. (…) Là on pourra jamais<br />
faire un L3 par exemple. A moins <strong>de</strong> tout casser, tout revoir à l’intérieur. [...] C’est du<br />
brico<strong>la</strong>ge. On fait avec ce qu’on a.<br />
Responsable technique <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme<br />
D’autre part, il doit coordonner ses actions avec le responsable <strong>de</strong>s travaux du centre <strong>de</strong><br />
Montpellier, ce qui ne se fait pas sans difficultés. En effet, contrairement à Avignon, où c’est<br />
le responsable <strong>de</strong>s travaux qui est en charge directement <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre S3, il y<br />
a dans le cas <strong>de</strong> Montpellier une double supervision technique : d’un côté le technicien <strong>de</strong><br />
l’équipe Bemisia qui propose <strong>de</strong>s aménagements techniques et contacte en conséquence <strong>de</strong>s<br />
entreprises (plomberie, maçonnerie etc.) chargées <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vis et <strong>de</strong> réaliser les travaux ;<br />
d’un autre côté le responsable <strong>de</strong>s travaux qui a le pouvoir <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r les choix techniques 107 .<br />
Cette coordination n’est pas toujours aisée dans <strong>la</strong> mesure où le responsable <strong>de</strong>s travaux peut<br />
avoir d’autres priorités sur le Centre et où il cherche parfois à privilégier les entreprises avec<br />
lesquelles il a l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> travailler. Aussi, à plusieurs reprises, les chargés du confinement<br />
<strong>de</strong> Bemisia ont du faire appel à <strong>la</strong> Direction du CBGP pour qu’elle les ai<strong>de</strong> à obtenir les<br />
validations nécessaires du responsable <strong>de</strong>s travaux du centre.<br />
106 L’USDA et le CIRAD disposent <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoires qui sont agrées par les SRPV afin <strong>de</strong> pouvoir maintenir<br />
certains organismes <strong>de</strong> quarantaine (Il s’agit ainsi <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoires <strong>de</strong> niveau « NS3 », selon les catégories du<br />
manuel d’audit <strong>de</strong>s Services <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux). Le <strong>la</strong>boratoire du CIRAD est agrée en niveau « L3 »<br />
car il héberge <strong>de</strong>s activités sur <strong>de</strong>s OGM qui sont c<strong>la</strong>ssés en « C3 ».<br />
107 Par ailleurs, le bâtiment est encore sous garantie décennale, ce qui nécessite l’intervention <strong>de</strong>s entreprises<br />
constructrices pour certains changements.<br />
59
Ces quelques éléments permettent <strong>de</strong> souligner qu’à Montpellier comme à Avignon, <strong>la</strong><br />
construction <strong>de</strong> l’équipement est une phase importante où se poursuit l’exploration technicoréglementaire<br />
qui caractérise <strong>la</strong> conception d’instal<strong>la</strong>tions expérimentales confinées. Nous<br />
aimerions surtout insister, à partir <strong>de</strong> l’exemple <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme Bemisia, sur une autre<br />
dimension <strong>de</strong> cette exploration, à savoir <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong> procédures et <strong>de</strong> recommandations<br />
re<strong>la</strong>tives à l’utilisation <strong>de</strong> l’équipement.<br />
d) 2007, Confiner par les recommandations et les procédures : <br />
d’un « gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’utilisateur local » à l’utilisation <strong>de</strong> l’instal<strong>la</strong>tion <br />
expérimentale <br />
L’agrément <strong>de</strong>s équipements confinés impose <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> documents écrits<br />
visant à décrire à <strong>la</strong> fois les risques i<strong>de</strong>ntifiés et à <strong>la</strong> fois les mesures et comportements à<br />
adopter par les utilisateurs <strong>de</strong> l’équipement pour éviter <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> ces risques : exigence<br />
<strong>de</strong> traçabilité <strong>de</strong>s activités, port <strong>de</strong> matériel <strong>de</strong> protection, gestion <strong>de</strong>s filtres sont autant <strong>de</strong><br />
dimensions dont il faut renseigner par écrit le traitement 108 . A Montpellier, contrairement à<br />
Avignon, nous avons pu appréhen<strong>de</strong>r en partie le processus <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> tels « scripts », en<br />
participant à une réunion d’équipes qui avait pour objet <strong>la</strong> mise en débat d’un « gui<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’utilisateur » <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme 109 . Ces observations nous ont permis d’observer que <strong>la</strong><br />
définition <strong>de</strong>s exigences réglementaires, l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s dangers et <strong>de</strong>s normes <strong>de</strong><br />
confinement continuait dans ce processus <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong>s procédures.<br />
La construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme achevée, <strong>la</strong> responsable scientifique du confinement déci<strong>de</strong><br />
d’é<strong>la</strong>borer un règlement interne <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> l’équipement sous <strong>la</strong> forme d’un « gui<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’utilisateur ». Elle a en effet observée que <strong>de</strong> tels supports existaient dans les équipements<br />
qu’elle a visités et pense qu’il serait utile d’en mettre un en p<strong>la</strong>ce dans son équipe. Elle<br />
commence par en é<strong>la</strong>borer seule une première version <strong>de</strong> ce gui<strong>de</strong>, s’inspirant principalement<br />
<strong>de</strong>s gui<strong>de</strong>s d’utilisateurs d’autres structures <strong>de</strong> confinement. Le résultat est un peu déconnecté<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> l’équipement dans <strong>la</strong> mesure où elle le produit seule, sans associer les<br />
principaux utilisateurs <strong>de</strong> l’espace (chercheurs et techniciens). Dans un second temps, ce<br />
gui<strong>de</strong> est mis en débat dans une réunion collective <strong>de</strong> l’équipe Bemisia, à <strong>la</strong>quelle participent<br />
chercheurs, techniciens et stagiaires.<br />
Cette réunion donne à voir le rapport détaché aux enjeux <strong>de</strong> sécurité <strong>de</strong> l’équipe Bemisia : il<br />
est rappelé que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme a été mise en p<strong>la</strong>ce sous <strong>la</strong> pression <strong>de</strong> l’INRA, que le principal<br />
risque est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination <strong>de</strong> l’élevage par l’extérieur et non l’inverse et que les<br />
différents constats re<strong>la</strong>tifs à l’inachèvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme – absence <strong>de</strong> système <strong>de</strong><br />
badgeage par exemple, retardé pour cause <strong>de</strong> financement- ne sont pas considérés comme <strong>de</strong>s<br />
obstacles à l’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme. Surtout, elle est un moment où est remis en débat à<br />
<strong>la</strong> fois <strong>la</strong> nature du risque, <strong>la</strong> pertinence du cadre réglementaire et <strong>la</strong> pertinence du dispositif<br />
<strong>de</strong> confinement (instal<strong>la</strong>tions et procédures) mis en p<strong>la</strong>ce. La retranscription un peu<br />
substantielle d’un échange autour <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> blouses et <strong>de</strong> charlottes par les utilisateurs<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>teforme permet d’illustrer ce<strong>la</strong> assez c<strong>la</strong>irement c<strong>la</strong>irement :<br />
108 Cf. « Manuel d’audit ».<br />
109 Réunion du 14 mai 2007 au CBGP.<br />
60
Réunion<br />
Commentaire<br />
Chercheuse responsable du confinement : (…) j’ai écrit une<br />
procédure pour éviter <strong>de</strong>s problèmes. Une blouse <strong>de</strong> protection. Ca va être<br />
un peu le gros changement. Et quand on sort aussi il y a une procédure<br />
particulière, il va falloir plus <strong>de</strong> précautions pour éviter que les aleuro<strong>de</strong>s<br />
sortent à l’extérieur. Et <strong>de</strong> même tout ce qu’on sort comme matériel.<br />
Une<br />
<strong>de</strong>s<br />
recommandations (<strong>la</strong><br />
blouse) du gui<strong>de</strong> est<br />
présentée comme<br />
« nécessaire »<br />
Stagiaire : Est-ce que ca serait pas bien d’avoir <strong>la</strong> petite souffleuse,<br />
tu sais, (…) si jamais on en a dans les cheveux ou…<br />
Un chercheur 1 : Normalement les cheveux doivent être couverts.<br />
Alors les charlottes. Quand tout le mon<strong>de</strong> a une charlotte sur <strong>la</strong> tête, je<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> une photo.<br />
Chercheuse responsable du confinement : En fait j’avais pensé au<br />
début et puis j’ai abandonné parce que je pense que ce n’est pas possible. La<br />
blouse, je pense que c’est un peu une question d’habitu<strong>de</strong>. Mais charlotte et<br />
chausses normalement il faudrait…Je pense que dans un premier temps, on<br />
peut se limiter à <strong>la</strong> blouse et puis on verra après (Rires). Mais c’est vrai que<br />
dans les cheveux ça peut arriver facilement.<br />
Des mesures<br />
supplémentaires sont<br />
proposées<br />
(charlottes,<br />
soufflettes), mais<br />
repoussée, jugée<br />
comme<br />
trop<br />
contraignante « au<br />
début »,<br />
mais<br />
pourtant<br />
caractérisées comme<br />
« normalement »<br />
nécessaire.<br />
Une chercheuse : Peut-être même plus que sur <strong>la</strong> blouse finalement.<br />
Un chercheur 2 : Mais non attends. On parle <strong>de</strong> quoi là ?<br />
Un chercheur 1: De <strong>la</strong> sortie.<br />
Un chercheur 2: De <strong>la</strong> sortie ?<br />
Chercheuse responsable du confinement : On parle <strong>de</strong>…s’il y a une<br />
sortie, s’il y a <strong>de</strong>s Bemisia dans l’environnement, dans l’élèvage tu as <strong>de</strong>s<br />
Bemisia dans tes cheveux et tu sors.<br />
Un chercheur 2: D’accord. Dans ton élévage, t’as que <strong>de</strong>s Bemisia<br />
européens. Et t’es sensé pas avoir <strong>de</strong> TYLC. Donc quel est le souci ?<br />
Chercheuse responsable du confinement : Et ben là tu remets en<br />
cause le confinement !<br />
Un chercheur 2: Non, c’est dans l’autre sens.<br />
Un chercheur 1: Ca marche dans les <strong>de</strong>ux sens. Les Bemisia ne<br />
doivent pas sortir et les Bemisia ne doivent pas rentrer. Ca marche dans les<br />
<strong>de</strong>ux sens. Alors, <strong>la</strong> rentrée <strong>de</strong>s Bemisia on est quand meme dans une zone<br />
Un chercheur<br />
discute <strong>la</strong> mesure<br />
« normalement<br />
nécessaire » en<br />
arguant <strong>de</strong> l’absence<br />
du risque qu’elle est<br />
sensée diminuer.<br />
Débat<br />
collectif : le sens<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong><br />
sécurité proposée est<br />
mis en discussion, le<br />
débat porte sur le<br />
fait <strong>de</strong> savoir si il<br />
y a un risque<br />
équivalent d’<br />
introduire et <strong>de</strong><br />
faire sortir <strong>de</strong>s<br />
Bemisia<br />
<strong>de</strong><br />
l’instal<strong>la</strong>tion. Les<br />
argumentations<br />
s’appuient<br />
sur<br />
l’expérience<br />
personnelle et le<br />
ressenti.<br />
61
où <strong>la</strong> probabilité pour croiser un Bemisia est assez faible. Il n’y a pas <strong>de</strong><br />
cultures maraichères. Elle est pas nulle…<br />
<br />
Un chercheur 2: On sait bien qu’ils rentrent pas tout seul, s’ils<br />
peuvent rentrer c’est par <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes <strong>de</strong>s trucs comme ca. Mais ce que je<br />
vou<strong>la</strong>is dire c’est que puisqu’on suppose…je sais pas…<strong>la</strong> procédure est <strong>la</strong><br />
même dans les <strong>de</strong>ux sens mais il y a plus <strong>de</strong> probabilité qu’il entre <strong>de</strong>s<br />
Bemisia qu’il en sorte …<br />
Stagiaire : Pas sûr. Moi je sais que ça m’est déjà arrivé…je fais<br />
attention et tout…ça m’est déjà arrivé d’arriver au bureau et d’en avoir un<br />
sur mon pull.<br />
Un chercheur 2: Il faut que je m’exprime. La dangérosité que <strong>la</strong><br />
Bemisia sorte…on est supposé ne travailler que sur du Bemisia européen<br />
donc qui doit être sur le sol européen, sur tout l’éspace Schengen, donc…si<br />
si…c’est ça (rires), c’est une connerie mais c’est ca. A mon avis il y a plus<br />
<strong>de</strong> similitu<strong>de</strong>s entre une Bemisia marocaine et une Bemisia espagnole<br />
qu’entre une espagnole et une grecque. Mais bon, comme on a <strong>de</strong>ssiné un<br />
espace européen, les Bemisia européen ont le droit <strong>de</strong> se promener partout<br />
en Europe. Donc on travaille que sur <strong>de</strong>s Bemisia européen et on est<br />
supposé ne pas avoir <strong>de</strong> TYLC <strong>de</strong>dans, ce que je vou<strong>la</strong>is dire ce que si on<br />
avait <strong>de</strong>s sorties <strong>de</strong> Bemisia, ca <strong>de</strong>vrait être sans aucune conséquence.<br />
( …)<br />
Chercheuse responsable du confinement : En fait tout ca, je savais<br />
bien qu’on al<strong>la</strong>it discuter si c’était bien fondé <strong>de</strong> se mettre en quarantaine<br />
ou pas. Mais <strong>de</strong> toute facon, on n’a pas trop trop trop le choix.<br />
<br />
Un chercheur 2: La réponse c’est, si c’est pas bien fondé mais on est<br />
obligé <strong>de</strong> le faire, donc…<br />
Chercheuse responsable du confinement : Voilà. Donc on essayant<br />
<strong>de</strong> réfléchir aux risques quand même les plus probables. Alors que si on<br />
<strong>la</strong>isse, si on n’a pas <strong>de</strong> procédure pour sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone, ca n’a plus <strong>de</strong> sens<br />
je pense.<br />
<br />
Un chercheur 2: Non mais il faut <strong>de</strong>s procédure. Mais je ne sais pas<br />
où tu t’arrêtes.<br />
Chercheuse responsable du confinement : Au début j’avais fait un<br />
truc un peu strict mais bon en revoyant maintenant je l’ai revu <strong>la</strong> semaine<br />
<strong>de</strong>rnière j’ai un peu allégé.<br />
<br />
Un chercheur 2: C’est pour ca que je te dis, c’est par rapport aux<br />
inci<strong>de</strong>nces. On est d’accord. On n’est pas obligé mais on a opté pour ce<br />
choix <strong>de</strong> se mettre en conditions <strong>de</strong> confinement. Mais si ca <strong>de</strong>vient<br />
ingérable, s’il faut rentrer avec <strong>de</strong>s choses, questions <strong>de</strong> dépression et<br />
Un chercheur<br />
évoque dans le débat<br />
le<br />
contexte<br />
réglementaire qui<br />
encadre<br />
les<br />
expérimenations sur<br />
Bemisia en mettant en<br />
avant qu’il est <strong>de</strong><br />
toutes<br />
façons<br />
absur<strong>de</strong>.<br />
La responsable<br />
du<br />
confinement<br />
rappelle que si <strong>la</strong><br />
réglementation peut<br />
apparaître absur<strong>de</strong>,<br />
l’équipe « doit »<br />
confiner<br />
ses<br />
expérimentations et<br />
donc « doit » prendre<br />
<strong>de</strong>s mesures et donc<br />
se mettre d’accord<br />
sur celles qui<br />
apparaissent les plus<br />
« probables »<br />
Un chercheur<br />
exprime<br />
son<br />
inquiétu<strong>de</strong> que les<br />
mesures <strong>de</strong>viennent<br />
trop drastiques, il<br />
en appelle au « bon<br />
sens », et prône<br />
d’axer les mesures<br />
sur le risque<br />
d’entrée <strong>de</strong>s Bemisia.<br />
62
surpression…<br />
<br />
Chercheuse responsable du confinement : Oui mais ce n’est pas ce<br />
que j’ai…<br />
Le<br />
risque<br />
d’échappée dans<br />
l’environnement est<br />
minimisé<br />
Un chercheur 2: Oui mais à chaque fois si tu pousses jusqu’au bout,<br />
tu peux aller jusque là !<br />
Chercheuse responsable du confinement : En fait c’est un<br />
compromis entre les contraintes qu’on se donne et ce qui parait proteger<br />
réellement. On ne travaille pas avec (inaudible) non plus. Ce n’est pas grave<br />
s’il y a <strong>de</strong>s sorties. Je pense que <strong>la</strong> terre continuera à tourner s’il y a <strong>de</strong>s<br />
sorties <strong>de</strong> Bemisia. Je suis tout à fait d’accord. Mais bon.<br />
<br />
Un chercheur 2: C’est pour ca je dis que c’est un compromis entre<br />
les risques réels et le bon sens. Et le travail qui est fait là-<strong>de</strong>dans. C’est<br />
évi<strong>de</strong>nt que - c’est pour ca que je t’ai dit- on mets l’accent ici moi j’ai<br />
l’impression qu’il est plus dangereux <strong>de</strong> faire rentrer <strong>de</strong>s bêtes que <strong>de</strong>s bêtes<br />
en sortent. Surtout si on a <strong>de</strong>s contrôles réguliers. Bien évi<strong>de</strong>mment il faut<br />
avoir <strong>de</strong>s contrôles réguliers. Il faut être sûr que nos bêtes soient in<strong>de</strong>mnes<br />
<strong>de</strong> TYLC ou que nos élévages soient in<strong>de</strong>mnes <strong>de</strong> TYLC.<br />
<br />
Une chercheuse: Qui va faire ces controles ? (Chercheur 1) ?<br />
<br />
Discussion amène<br />
à i<strong>de</strong>ntifier une<br />
autre mesure à<br />
prendre : faire <strong>de</strong>s<br />
contrôles réguliers<br />
<strong>de</strong> l’état sanitaire<br />
<strong>de</strong> l’élevage <strong>de</strong><br />
Bemisia.<br />
Les débats font intervenir <strong>de</strong>s évaluations du risque très peu formalisées, <strong>de</strong>s jugements sur <strong>la</strong><br />
réglementation et <strong>de</strong>s invocations d’un horizon « normal » assez indifférencié <strong>de</strong> ce en quoi<br />
« bien confiner » <strong>de</strong>vrait consister. Ils constituent une étape non négligeable du processus<br />
d’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions expérimentales, débouchant sur un certain nombre d’accords<br />
portant sur <strong>de</strong>s règles d’utilisation <strong>de</strong> ces instal<strong>la</strong>tions qui elles-mêmes évolueront ensuite au<br />
cours <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> celles-ci. Plusieurs semaines après <strong>la</strong> tenue <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion décrite ci<strong>de</strong>ssus,<br />
nous avons ainsi appris qu’un certain nombre <strong>de</strong> procédures avaient été abandonnées.<br />
Par exemple, <strong>la</strong> procédure consistant à auto-c<strong>la</strong>ver tous les éléments matériels qui sortent <strong>de</strong><br />
l’espace confiné, qui avait été retenue dans le « gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’utilisateur » n’est pas mise en<br />
application, jugée trop contraignante. A l’inverse, <strong>la</strong> proposition évoquée dans l’extrait d’une<br />
stagiaire <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce une soufflette est mise en œuvre et respectée 110 .<br />
Que ce soit à Avignon ou à Montpellier, on a pu mettre en évi<strong>de</strong>nce que <strong>la</strong> conception<br />
d’un dispositif expérimental confiné est un processus qui a une dimension à <strong>la</strong> fois matérielle<br />
et normative et ne saurait se lire soit comme <strong>la</strong> simple mise en œuvre –dans <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong><br />
procédures, dans l’instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> nouveaux équipements- d’une norme déjà là, soit comme le<br />
résultat d’un raisonnement en termes d’évaluation du risque formalisée et c<strong>la</strong>ire dans ses<br />
présupposés et ses attendus. Il y a une co-construction <strong>de</strong>s normes et <strong>de</strong> l’équipement : les<br />
110 Nous pourrions évoquer d’autres exemples : <strong>la</strong> mise au frigo systématique <strong>de</strong>s matériaux végétaux avant<br />
sortie <strong>de</strong> l’espace ou <strong>la</strong> congé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s blouses sont abandonnées pour <strong>de</strong>s raisons pratiques.<br />
63
équipements sont é<strong>la</strong>borés dans une interprétation <strong>de</strong>s prescriptions normatives disponibles.<br />
Ces prescriptions sont nombreuses : manuel d’audit, documents produits par d’autres équipes<br />
<strong>de</strong> recherche, formations organisationnelles, préconisations <strong>de</strong> Commissions officielles, textes<br />
<strong>de</strong> droit etc. Les mécanismes <strong>de</strong> leur hiérarchisation et <strong>de</strong> leur mobilisation est complexe. Les<br />
acteurs « bricolent » un univers normatif qui répond à <strong>la</strong> fois à une logique <strong>de</strong> proximité et <strong>de</strong><br />
disponibilité – on s’en réfère aux prescriptions disponibles localement-, une logique <strong>de</strong><br />
légitimité –on mobilise les informations qui semblent les plus fiables, celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV- et une<br />
logique <strong>de</strong> composition avec l’existant –on prend cherche à construire un univers normatif qui<br />
cadre le mieux avec les ressources disponibles localement et qui ne perturbe pas trop les<br />
mo<strong>de</strong>s d’organisation <strong>de</strong>s activités existantes.<br />
E - Des « utilisateurs configurés » ? Quelques éléments sur les effets<br />
locaux du processus <strong>de</strong> normalisation<br />
Dans son étu<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> l’espace génomique en France, A. Peerbaye<br />
(Peerbaye 2004) introduit un certain nombre d’éléments re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> manière dont <strong>la</strong><br />
conception <strong>de</strong> p<strong>la</strong>teformes génomiques a pu transformer l’espace <strong>de</strong>s usages <strong>de</strong>s chercheurs<br />
en science du vivant. Il s’appuie sur <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> « configuration <strong>de</strong> l’utilisateur » (configuring<br />
the user) développée par Woolgar (1991) pour souligner que les activités <strong>de</strong> conception<br />
impliquent <strong>de</strong>s conceptions <strong>de</strong>s utilisateurs, leur assignant <strong>de</strong>s rôles, à <strong>la</strong> fois contraintes et<br />
ressources nouvelles pour leurs actions. De manière plus <strong>la</strong>rge, <strong>de</strong> nombreux travaux <strong>de</strong><br />
sociologie <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s techniques ont exploré l’impact du développement <strong>de</strong>s<br />
équipements et <strong>de</strong>s instruments scientifiques sur <strong>la</strong> production <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong><br />
scientifiques, l’émergence <strong>de</strong>s disciplines scientifiques ou <strong>de</strong> nouveaux concepts (Shapin and<br />
Schaffer 1985; Galison 1997) 111 . L’idée centrale <strong>de</strong> ces recherches étant que « faire <strong>de</strong><br />
l’équipement », c’est aussi et toujours « faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> science » dans <strong>la</strong> mesure où c’est<br />
transformer les conditions concrètes <strong>de</strong> déploiement <strong>de</strong>s activités scientifiques.<br />
Les équipements que étudions dans ce chapitre ne sont pas, comme les p<strong>la</strong>teformes<br />
génomiques étudiées par Peerbaye, conçus prioritairement dans une perspective <strong>de</strong> production<br />
<strong>de</strong> <strong>connaissances</strong> mais dans une perspective <strong>de</strong> sécurité. Il ne s’agit pas par exemple <strong>de</strong><br />
concevoir <strong>de</strong> nouveaux dispositifs <strong>de</strong> contrôle du développement <strong>de</strong> Bemisia tels que <strong>de</strong><br />
nouveaux « phytotrons » mais <strong>de</strong> concevoir <strong>de</strong>s enceintes confinées dans lesquels les<br />
ensembles d’instruments scientifiques peuvent être aménagés, par exemple une enceinte <strong>de</strong><br />
confinement dans <strong>la</strong>quelle on emménage les phytotrons. Cette différence notée, il n’en reste<br />
pas moins que confiner un espace <strong>de</strong> travail ou construire une zone confinée n’est pas sans<br />
conséquence sur les collectifs <strong>de</strong> travail et peut avoir <strong>de</strong>s effets sur leur organisation concrète.<br />
Ces effets peuvent être plus ou moins anticipés, c’est à dire plus ou moins explicitement<br />
intégrés aux différentes étapes <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> conception et constituer ainsi <strong>de</strong>s visées<br />
explicites <strong>de</strong> « configuration <strong>de</strong>s utilisateurs ». Plusieurs exemples évoqués dans le chapitre<br />
renvoient à cette anticipation : <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> formations par l’INRA sur le confinement<br />
<strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions expérimentales, <strong>la</strong> discussion à Montpellier autour d’un « gui<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’utilisateur », <strong>la</strong> rédaction d’un argumentaire visant à obtenir <strong>de</strong>s financements pour <strong>la</strong> serre<br />
S3 à Avignon, sont autant <strong>de</strong> moments où <strong>de</strong>s effets positifs et négatifs sont travaillés par les<br />
111 Les auteurs sont nombreux, pour une revue <strong>de</strong> ces travaux, on peut se reporter aux textes <strong>de</strong> Vinck et<br />
Peerbaye déjà cités.<br />
64
concepteurs et utilisateurs –souvent les mêmes- <strong>de</strong>s équipements <strong>de</strong> confinement. D’autres<br />
effets sont plus inattendus. A partir <strong>de</strong>s données empiriques dont nous disposons 112 , il semble<br />
intéressant d’évoquer rapi<strong>de</strong>ment certains d’entre eux, rencontrés dans le cours <strong>de</strong> nos<br />
enquêtes à Avignon et Montpellier.<br />
1) Une redéfinition <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations scientifiques ? <br />
L’économie <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> travail est par définition transformée par <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />
d’un équipement <strong>de</strong> confinement : créateur d’espaces réservés, d’invisibilité, d’isolement, elle<br />
peut avoir <strong>de</strong>s effets à <strong>la</strong> fois sur les re<strong>la</strong>tions internes aux collectifs <strong>de</strong> travail utilisateurs et à<br />
<strong>la</strong> fois sur les re<strong>la</strong>tions avec l’extérieur. Ce constat nous est apparu c<strong>la</strong>irement pour <strong>la</strong><br />
première fois alors que nous échangions avec l’ingénieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> FNPPPT qui travaille à<br />
Rennes et qui nous expliquait comment <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un espace confiné pour travailler<br />
sur Ralstonia l’avait elle-même « mise en quarantaine », diminuant ses échanges <strong>de</strong> travail<br />
avec les autres chercheurs du centre qui n’étaient pas, eux, utilisateurs <strong>de</strong> l’équipement. Elle<br />
pointait donc le risque que, <strong>de</strong> conditions d’accès restreintes, les dispositifs confinés n’étaient<br />
pas <strong>de</strong>s lieux qui favorisaient les échanges entre équipes.<br />
Dans les cas d’Avignon et <strong>de</strong> Montpellier les chercheurs et ingénieurs interrogés n’ont pas<br />
évoqué ce problème. A Avignon, le dispositif qui <strong>de</strong>vait être partagé par <strong>la</strong> PV ne l’est pas -<br />
celle-ci ayant après 2007 décidée finalement <strong>de</strong> déménager l’ensemble <strong>de</strong> ses activités <strong>de</strong><br />
virologie dans d’autres centres-, mais il ne semble pas qu’il ait diminué les re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>s<br />
virologues avec les autres équipes du centre. A Montpellier, le dispositif qui contient<br />
l’élevage est utilisé uniquement par l’équipe Bemisia, ce qui ne transforme pas <strong>la</strong> situation<br />
antérieure, dans <strong>la</strong>quelle les phytotrons et élevages étaient déjà dans un espace utilisé<br />
uniquement par l’équipe Bemisia. Une hypothèse que l’on peut faire est que ceux-ci étant très<br />
récents, non seulement les acteurs n’ont pu prendre <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> leur mise en p<strong>la</strong>ce<br />
sur les re<strong>la</strong>ions <strong>de</strong> travail internes, mais en plus, certaines <strong>de</strong>s procédures contraignantes ne<br />
sont pas encore complètement appliquées.<br />
Par contre, il apparaît que les instal<strong>la</strong>tions expérimentales sont perçues par les chercheurs <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux centres comme <strong>de</strong>s éléments qui leur permettent d’envisager une évolution <strong>de</strong> leurs<br />
re<strong>la</strong>tions scientifiques externes. A Avignon, <strong>la</strong> serre S3 a c<strong>la</strong>irement –nous l’avons vu- été<br />
conçue dans une perspective <strong>de</strong> compétitivité scientifique. Aujourd’hui, les chercheurs<br />
envisagent que sa construction leur permettra <strong>de</strong> garantir <strong>la</strong> pérennité et l’accroissement <strong>de</strong><br />
leur capacité à répondre à <strong>de</strong>s appels d’offres –ils pourront travailler sur <strong>de</strong>s entités<br />
biologiques sur lesquelles certaines autres équipes ne pourront pas travailler- et à développer<br />
<strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations internationales sur les virus émergents. Malgré ce<strong>la</strong>, travailler en<br />
confinement induit tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong> mener à bien un certain nombre <strong>de</strong> démarches<br />
administratives (LOA, renouvellement <strong>de</strong> l’agrément) qui peuvent les détourner <strong>de</strong> certaines<br />
thématiques <strong>de</strong> recherche. Un <strong>de</strong>s principaux membres <strong>de</strong> l’équipe d’Avignon, évoquant un<br />
travail sur un virus émergent à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1980, souligne que malgré <strong>la</strong> construction <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> Serre S3, ce travail ne serait plus possible aujourd’hui :<br />
HL : Fin <strong>de</strong>s années 80. Début <strong>de</strong>s années 90. La notion <strong>de</strong> confinement n’était meme pas<br />
encore…(…) ce que je veux dire c’est que…on a pu travailler à l’époque parce qu’il y avait<br />
pas <strong>de</strong> normes précises…nous il nous fal<strong>la</strong>it pas une S3 à l’époque ! On avait <strong>de</strong>s précautions,<br />
112 L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction d’espaces confinés sur <strong>la</strong> production <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> scientifiques<br />
pourrait constituer l’objet d’une thèse à part entière, et impliquerait à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s données ethnographiques et/ou<br />
<strong>de</strong>s analyses bibliométriques qui vont bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> notre prétention dans cette partie du chapitre.<br />
65
hein, on travail<strong>la</strong>it sous <strong>de</strong>s cages, on avait du insect proof mais les normes, <strong>la</strong> réglementaion<br />
n’était pas en…Mais aujourd’hui, j’aimerais travailler sur ces virus, il y a encore plein <strong>de</strong><br />
choses que je voudrais faire, mais les contraintes je dirais <strong>de</strong> dossiers à remplir pour pouvoir<br />
travailler <strong>de</strong>ssus et même si on a les equipements, ca nous rebute un peu. Ca veut dire <strong>de</strong>ux<br />
mois <strong>de</strong> montage <strong>de</strong> dossiers, et donc bin finalement je ne travaille plus <strong>de</strong>ssus.<br />
JN : Il y a un exemple d’un virus spécifique sur lequel par exemple vous vous empêchez <strong>de</strong><br />
travailler aujourd’hui ?<br />
HL : Ce virus qui s’appelle le watermelon cord tic virus, je me fais un peu une autocensure,<br />
en disant que je préfère ne pas travailler <strong>de</strong>ssus plutôt que d’avoir…bon j’ai…je m’organise<br />
mal, je vieillis, sans doute, mais c’est vrai que monter ces dossiers ça va me prendre un mois<br />
<strong>de</strong> travail.<br />
Ce chercheur est d’autant moins encouragé à ouvrir <strong>de</strong>s recherches sur <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong><br />
quarantaines qu’il est proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite et qu’il estime n’avoir plus rien à prouver<br />
scientifiquement. Son évocation permet <strong>de</strong> mettre en avant l’importance du processus <strong>de</strong><br />
normalisation sur <strong>la</strong> structuration <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations scientifiques tout en re<strong>la</strong>tivisant quelque<br />
peu l’idée que <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> dispositifs expérimentaux confinés neutralise cet impact.<br />
A Montpellier, si <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> NS1/NS2 a pu être évoquée dans les entretiens par les<br />
chercheurs comme un argument pour développer <strong>de</strong> nouvelles col<strong>la</strong>borations, c’est une<br />
préoccupation qui apparaît beaucoup plus secondaire. Non seulement l’équipement n’a pas été<br />
initié avec cette préoccupation, mais il est également beaucoup moins é<strong>la</strong>boré et l’avantage<br />
comparatif qu’il pourrait poteniellement constituer dans l’espace <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche est beaucoup<br />
moins évi<strong>de</strong>nt.<br />
2) Un retour réflexif sur les dispositifs expérimentaux <br />
Nous avons souligné plus haut comment, bien qu’ils répon<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>s éxigences <strong>de</strong><br />
sécurité, les équipement <strong>de</strong> confinement pouvaient être pensés par les chercheurs comme <strong>de</strong>s<br />
dispositifs d’amélioration <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> leurs expérimentations dans <strong>la</strong> mesure où ils<br />
permettent <strong>de</strong> protéger celles-ci d’interférence avec un environnement externe (insectes, virus,<br />
etc) potentiellement responsable d’artifacts négatifs. Cette observation <strong>de</strong> <strong>la</strong> dualité du<br />
confinement rejoint les observations <strong>de</strong> Bruns qui, dans son étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoire, distingue<br />
lui-même <strong>de</strong>ux rapports à <strong>la</strong> sécurité, un « rapport professionnel » et un « rapport<br />
organisationnel », le premier recouvrant un souci <strong>de</strong> protecion <strong>de</strong> l’expérimentation et le<br />
second un souci <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s personnes et <strong>de</strong> l’environnement. Plus généralement, elle<br />
invite à souligner que le confinement –ne serait-ce que parce qu’il peut-être une source <strong>de</strong><br />
réduction <strong>de</strong>s artefacts- n’est pas sans conséquence sur <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> production<br />
scientifique 113 .<br />
Un autre mécanisme <strong>de</strong> cette influence que nous pouvons évoquer rapi<strong>de</strong>ment est celui du<br />
débor<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s réflexions menées sur les questions <strong>de</strong> sécurité aux questions plus générales<br />
d’organisation <strong>de</strong>s expérimentations. Que ce soit pendant <strong>la</strong> conception <strong>de</strong>s équipements, <strong>la</strong><br />
rédaction <strong>de</strong>s dossiers d’agrément ou <strong>de</strong>s procédures d’utilisation, les chercheurs sont engagés<br />
dans <strong>de</strong>s réflexions collectives qui, si elles prennent pour point <strong>de</strong> départ <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s<br />
113 Dans le cas précis <strong>de</strong> <strong>la</strong> réduction <strong>de</strong>s artefacts et <strong>de</strong> <strong>la</strong> préservation <strong>de</strong>s expérimentations d’entités externes<br />
non désirées, le travail <strong>de</strong> Burns est très intéressant en ce qu’il invite à prendre en compte, <strong>de</strong> manière assez<br />
contrintuitive, les effets négatifs que ce<strong>la</strong> peut avoir en soulignant comment ces mêmes entités non désirées<br />
peuvent être <strong>de</strong>s ressources pour l’imagination scientifique.<br />
66
« risques » <strong>de</strong> leurs activités, peuvent les amener à réinterroger un certain nombre <strong>de</strong><br />
présupposés re<strong>la</strong>tifs à leurs expérimentations. Un exemple très concret permet d’illustrer cette<br />
affirmation : se mettant d’accord sur le fait que pour <strong>de</strong>s raisons d’évaluation <strong>de</strong> l’efficacité<br />
<strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> confinement, il serait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s analyses régulières <strong>de</strong> caractérisation <strong>de</strong>s<br />
popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Bemisia élevées dans l’espace confiné (et donc <strong>de</strong> voir ainsi si <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />
est bien préservée <strong>de</strong> toute interférence avec <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions externes), l’équipe <strong>de</strong> recherche<br />
se rend compte qu’elle n’a qu’une idée très imprécise <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature exacte <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />
qu’elle utilise dans ses expérimentations. Cet exemple montre comment le processus<br />
d’évaluation locale du risque impliqué par <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> l’espace <strong>de</strong> confinement constitue<br />
également un moment d’évaluation plus général <strong>de</strong>s pratiques expérimentales 114 . La question<br />
reste ouverte <strong>de</strong>s avantages et <strong>de</strong>s inconvénients, en termes <strong>de</strong> production scientifique, <strong>de</strong> ce<br />
processus réflexif.<br />
Le travail <strong>de</strong> Burns invite à prendre en compte, <strong>de</strong> manière assez contre-intuitive, les effets<br />
négatifs que <strong>la</strong> réduction <strong>de</strong>s artefacts liés à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> mesures <strong>de</strong> biosécurité en<br />
soulignant comment les « entités non désirées » peuvent être <strong>de</strong>s ressources pour<br />
l’imagination scientifique. Dans le prolongement <strong>de</strong> cette perspective, il est possible <strong>de</strong> penser<br />
que l’accroissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexivité favorisée par l’évaluation <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> confinement,<br />
portant soit sur les pratiques en cours, soit sur les projets <strong>de</strong> recherche, puisse constituer <strong>de</strong>s<br />
éléments limitant l’espace <strong>de</strong>s possibles expérimentaux. Des chercheurs, à l’image du<br />
chercheur d’Avignon cité plus haut, ont souligné ce risque :<br />
Mais c’est vrai que ce qui nous avait dit…bin en particulier dans <strong>la</strong> formation…c’est que si on<br />
travaille sur un agent <strong>de</strong> quarantaine, il faut bien sur bien décrire tous les protocoles<br />
experimentaux, ca, c’est pas très complique, mais aussi décrire toutes les expérimentations<br />
qu’on veut faire, le nombre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntes…et ca, moi je sais pas faire. Moi, je peux décrire une<br />
expérience mais c’est le resultat <strong>de</strong> cette experience qui va ensuite me permettre <strong>de</strong> faire une<br />
autre experience. Je peux pas prevoir mes 5 generations d’experiences sans avoir le resultat<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> premiere, <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> troisiéme. Vous voyez ce que je veux dire ? Et donc pour<br />
moi ca <strong>de</strong>vient vraiment un obstacle qui fait que je me dis bin finalement, je veux pas faire<br />
d’experimentation sur ce virus.<br />
En même temps, on peut imaginer que <strong>la</strong> contrainte constitue une source <strong>de</strong> créativité<br />
nouvelle. Ces questionnements, ouverts, qui émergent ici d’une enquête sur le confinement<br />
<strong>de</strong>s activités sur OQ, renvoient à un questionnement sur <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s activités<br />
scientifiques plus <strong>la</strong>rge sur <strong>la</strong> bonne régu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s activités scientifiques 115 .<br />
F - Conclusion<br />
Nous avons retracé le processus <strong>de</strong> normalisation initié par <strong>la</strong> publication d’un<br />
ensemble <strong>de</strong> textes réglementaires re<strong>la</strong>tifs aux enjeux <strong>de</strong> confinement expérimental <strong>de</strong>s<br />
Organismes <strong>de</strong> quarantaine. En conclusion, il nous semble important <strong>de</strong> revenir sur les<br />
114 Dans l’exemple présenté, les analyses seront finalement menées qui montreront que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion a bien les<br />
caractéristiques présupposées par l’équipe Bemisia.<br />
115 Par exemple, les débats sur l’influence <strong>de</strong> régu<strong>la</strong>tions nouvelles sur les pratiques scientifiques émergent très<br />
rapi<strong>de</strong>ment lorsqu’on commence à étudier les questions <strong>de</strong> mise sous qualité <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> recherche.<br />
67
analyses du chapitre en les organisant autour <strong>de</strong> quatre caractéristiques essentielles du<br />
processus <strong>de</strong> normalisation étudié.<br />
La première caractéristique <strong>de</strong> ce processus est sa nature non linéaire et multi-niveaux.<br />
Le déroulement <strong>de</strong> notre enquête, qui nous a mené <strong>de</strong>s échelons administratifs ou centraux <strong>de</strong><br />
l’organisation <strong>de</strong> recherche aux serres <strong>de</strong> recherche en passant par les <strong>la</strong>boratoires <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
protection <strong>de</strong>s végétaux, reflète l’éc<strong>la</strong>tement du processus par lequel <strong>de</strong>s textes normatifs sont<br />
traduits en pratiques et mo<strong>de</strong>s d’organisation. Le schéma présenté à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> conclusion <strong>de</strong><br />
ce chapitre illustre cette circu<strong>la</strong>tion. En représentant chronologiquement les différents<br />
évènements et espaces où <strong>la</strong> normalisation du confinement <strong>de</strong>s activités expérimentales est<br />
travaillée par les acteurs et en évoquant par <strong>de</strong>s flèches certains <strong>de</strong>s liens qui unissent ces<br />
évènements et que nous avons évoqué au cours du chapitre 116 nous voyons <strong>la</strong> difficulté qu’il y<br />
aurait à représenter sur un mo<strong>de</strong> linéaire ou hiérarchique les différentes étapes du processus.<br />
Cet éc<strong>la</strong>tement et <strong>la</strong> représentation un peu confuse qui en découle ne nous a cependant pas<br />
empêché <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s logiques d’actions différenciées selon les acteurs et les<br />
contextes locaux. Ces logiques se retrouvent dans les actions –on pourrait dire les<br />
investissements <strong>de</strong> forme- que les acteurs initient vis-à-vis <strong>de</strong> l’enjeu <strong>de</strong> confinement.<br />
L’administration est traversée par exemple par une opposition entre certains acteurs qui<br />
privilégient une logique réglementaire inscrite dans un manuel d’audit et <strong>de</strong>s acteurs qui<br />
privilégient une logique <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité partagée incarnée dans leurs prises <strong>de</strong> position au<br />
cours d’audits et <strong>de</strong> fomations. L’INRA est ainsi le lieu d’une normalisation à <strong>la</strong> fois par <strong>de</strong>s<br />
services juridiques qui mettent en avant les enjeux <strong>de</strong> responsabilité et <strong>de</strong>s chercheurs qui<br />
mettent en avant les enjeux d’autonomie ou <strong>de</strong> compétitivité scientifique. La multiplicité <strong>de</strong><br />
ces logiques d’action, leur ancrage local, font que le processus <strong>de</strong> normalisation apparaît en<br />
gran<strong>de</strong> partie comme un processus fait <strong>de</strong> « brico<strong>la</strong>ges » multiples. Parler <strong>de</strong> brico<strong>la</strong>ge c’est<br />
mettre en avant <strong>de</strong>s processus au cours <strong>de</strong>squels les acteurs, pour concevoir une innovation<br />
organisationnelle et matérielle, non seulement introduisent <strong>de</strong>s ressources nouvelles mais<br />
s’accomo<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s caractéristiques du contexte d’action qui est le leur. Nous avons vu en effet<br />
comment ils « font avec » les ressources financières, les informations normatives et les accès<br />
à l’expertise locale dont ils disposent.<br />
Cet éc<strong>la</strong>tement ne signifie pas qu’au final, il n’y a pas une certaine convergence <strong>de</strong>s<br />
<strong>dynamique</strong>s à l’œuvre aux différents niveaux. Quoique fragile, c’est bien un processus <strong>de</strong><br />
convergence <strong>de</strong> « réseaux sociotechniques » qui se <strong>de</strong>ssine dans <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> 1995/2007,<br />
convergence au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle un certain nombre <strong>de</strong> règles, normes, savoirs, conceptions<br />
qui définissent le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> « normalisation » et l’espace <strong>de</strong> l’interprétation <strong>de</strong>s<br />
changements réglementaires circulent, sont partagées et, dans une certaine mesure, stabilisées.<br />
Il y a eu un changement <strong>de</strong>s conditions expérimentales <strong>de</strong> recherche sur les Organismes <strong>de</strong><br />
quarantaine entre 1995 et 2007, changement ambigu, continu, mais qui a <strong>de</strong>s effets sur les<br />
pratiques scientifiques. Les éléments sur lesquels repose cette convergence sont <strong>de</strong> nature très<br />
hétérogène : <strong>de</strong>s objets-intermédiaires tel un « manuel d’audit » circulent dans plusieurs<br />
espaces, <strong>de</strong>s serres <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s modèles pour <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> nouvelles serres, <strong>de</strong>s<br />
techniciens se regroupent et formalisent l’échange <strong>de</strong> leurs pratiques au cours <strong>de</strong> formations et<br />
sur <strong>de</strong>s forum internet... ces différents éléments, s’ils ne créent pas une vision cohérente <strong>de</strong> ce<br />
que « normaliser le confinement <strong>de</strong>s activités expérimentales » signifie et doit signifier<br />
116 Pour l’instant ce schéma est assez peu explicite sur ces liens. Deux <strong>de</strong>s options que j’ai envisagées ccomme<br />
stratégie d’écriture serait : soit <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s renvois au cours du chapitre par <strong>de</strong>s lettres ou nombres à chacune <strong>de</strong>s<br />
flèches mises en évi<strong>de</strong>nce (ce<strong>la</strong> permettrait une lecture plus facile du rapport entre schéma et narration) ; soit <strong>de</strong><br />
faire une <strong>de</strong>scription en légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong>s flèches présentées. A discuter, voir si ce<strong>la</strong> est jugé pertinent.<br />
68
stabilisent au moins un certain nombre <strong>de</strong> prescriptions et construisent <strong>la</strong> légitimité <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
formalisation du « souci <strong>de</strong> confinement ».<br />
Une secon<strong>de</strong> caractéristique <strong>de</strong> ce processus <strong>de</strong> normalisation est qu’il peut être<br />
caractérisé comme un « travail d’équipement » et d’exploration technico-réglementaire. Les<br />
écrits sont <strong>de</strong>s éléments <strong>la</strong>rgement étudiés pour comprendre les processus <strong>de</strong> normalisation<br />
(Mal<strong>la</strong>rd 2000). Nous avons montré qu’il était également important <strong>de</strong> prendre en compte<br />
plus <strong>la</strong>rgement l’ensemble <strong>de</strong>s dispositifs matériels qui participent à l’alignement <strong>de</strong>s réseaux<br />
socio-techniques. A ce titre, les serres ou espaces <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoire confinés ne constituent pas<br />
uniquement <strong>de</strong>s espaces dont <strong>la</strong> conception est « normalisée ». Premièrement le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
normalisation en jeu -c’est à dire <strong>de</strong>s attendus à partir <strong>de</strong>squels le confinement va être évaluéloin<br />
d’être « appliquée à ces espaces » se précise, dans toute <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s actions impliquées<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en projet <strong>de</strong> ces équipements jusqu’à leur utilisation. Deuxièmement, ces<br />
dispositifs expérimentaux constituent eux-même <strong>de</strong>s scripts qui sont remobilisés dans d’autre<br />
lieux et d’autres moments où se poursuit le processus <strong>de</strong> normalisation. Instal<strong>la</strong>tions<br />
expérimentales rares, ils constituent en effet eux-mêmes <strong>de</strong>s prototypes technico-normatifs<br />
matériels qui peuvent à un moment où l’autre servir <strong>de</strong> modèles pour d’autres conceptions :<br />
les serres INRA <strong>de</strong> Versailles et d’Avignon, ou <strong>la</strong> serre USDA <strong>de</strong> Montpellier constituent <strong>de</strong>s<br />
prises à <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> nouveaux modèles <strong>de</strong> serres confinées. Ce mécanisme par lequel un<br />
objet normalisé en vient à être le référentiel d’autres normalisations constitue certainement<br />
une différence entre le processus <strong>de</strong> normalisation étudié et les processus <strong>de</strong> normalisation qui<br />
ont pour horizon <strong>la</strong> commercialisation <strong>de</strong> produits standardisés en nombre et qui impliquent<br />
<strong>de</strong>s acteurs en concurrence 117 .<br />
Une troisième caractéristique du processus <strong>de</strong> normalisation étudié est que ses effets<br />
sont loin d’être contenus uniquement dans les normes ou les pratiques nouvelles qu’il<br />
promeut. En effet, nous avons pu mettre en évi<strong>de</strong>nce le fait que les enjeux <strong>de</strong> sécurité ne sont<br />
pas <strong>de</strong>s impensés <strong>de</strong>s scientifiques et qu’ils n’ont pas attendu l’imposition <strong>de</strong> cadres<br />
réglementaires structurés pour développer un rapport réflexif à eux. Si le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Recherche a très <strong>la</strong>rgement été décrit comme un mon<strong>de</strong> organisé par <strong>de</strong> nombreuses normes –<br />
les travaux <strong>de</strong> Merton apparaissant comme structurant les débats-, ces normes ne portent pas<br />
uniquement sur <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion et <strong>la</strong> production <strong>de</strong>s <strong>connaissances</strong> mais aussi sur les dangers<br />
directs ou différés <strong>de</strong> <strong>de</strong> celles-ci. Nous avons ainsi rencontré <strong>de</strong>s chercheurs qui<br />
s’autosaisissent pour réfléchir aux c<strong>la</strong>ssifications, qui créent <strong>de</strong>s espaces confinés avant même<br />
que le cadre réglementaire leur impose et <strong>de</strong>s chercheurs qui critiquent le processus <strong>de</strong><br />
normalisation en cours justement parce qu’il vient remettre en cause un idéal d’autorégu<strong>la</strong>tion<br />
<strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> confinement. Dans ce contexte l’effet du processus <strong>de</strong> normalisation est mieux<br />
qualifié comme « l’introduction d’épreuves <strong>de</strong> réflexivité par rapport aux pratiques. Ces<br />
épreuves <strong>de</strong> réflexivité ont tendance à renforcer <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> confinement déjà en p<strong>la</strong>ce,<br />
en donnant une p<strong>la</strong>ce plus importante aux enjeux <strong>de</strong> responsabilité et ne sont pas sans<br />
conséquences indirecte sur les <strong>connaissances</strong> scientifiques produites, en réinterrogeant<br />
notamment les protocoles scientifiques.<br />
Un point assez marquant <strong>de</strong> ces épreuves <strong>de</strong> réflexivité est qu’elles semblent mettre en jeu <strong>de</strong>s<br />
mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> pensée éloignés <strong>de</strong> ce que recouvre <strong>de</strong> façon générale l’idée d’une démarche<br />
scientifique : <strong>la</strong> conception <strong>de</strong>s serres et espaces confinés, <strong>de</strong>s procédures organisant leur<br />
utilisation, donne lieu à <strong>de</strong>s évaluations du risque très « bricolées » elles-mêmes. Les<br />
117 Les différentes équipes <strong>de</strong> recherche ne sont pas en conccurrencec pour un marché (<strong>la</strong> publication), mais<br />
marginalement pour <strong>de</strong>s ressources (celles <strong>de</strong> l’INRA par exemple) : les processus d’échanges et <strong>de</strong> mimétisme<br />
entre eux sont donc favorisés.<br />
69
chercheurs à <strong>la</strong> fois regrettent ne pas avoir <strong>de</strong> préconisations plus c<strong>la</strong>ires, très directes, et à <strong>la</strong><br />
fois construisent <strong>de</strong> manière itérative, leur idée d’un « bon » équipement. La question que<br />
pose ce constat d’ « évaluation du risque » bricolée est double : Serait-ce diffférent dans un<br />
univers où les cconséquences d’un acci<strong>de</strong>nt seraient plus graves ? On pense évi<strong>de</strong>mment aux<br />
dispositifs expérimentaux impliquant <strong>de</strong>s entités vivantes ou <strong>de</strong>s matières (nucléaire)<br />
dommageable directement et fortement aux popu<strong>la</strong>tions humaines. Serait-ce différent dans un<br />
univers épistémique différent ? Les travaux <strong>de</strong> Sims(Sims 2005) par exemple suggèrent que<br />
<strong>la</strong> sécurité joue un rôle plus faible dans <strong>la</strong> « constitution technique et morale du travail » dans<br />
un <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong> science biologique que dans un <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong> physique. Il serait ainsi<br />
intéressant <strong>de</strong> poursuivre ce travail orienté par ces <strong>de</strong>ux questionnements.<br />
Enfin une quatrième caractéristique <strong>de</strong> ce processus <strong>de</strong> normalisation sur <strong>la</strong>quelle nous<br />
aimerions revenir, renvoie au fait que c’est un processus re<strong>la</strong>tivement peu conflictuel : il n’y a<br />
pas d’opposition forte entre chercheurs, techniciens, responsables organisationnels ou agents<br />
<strong>de</strong>s services <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux. Plus <strong>la</strong>rgement, le processus <strong>de</strong> normalisation ne<br />
s’apparente pas à <strong>la</strong> tentative d’imposititon d’une norme formelle externe –on pourrait dire<br />
une régu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> contrôle- à une régu<strong>la</strong>tion autonome qui serait celle défendue par les<br />
chercheurs ou les techniciens concernés. D’une part parce que nous ne sommes pas dans une<br />
situation <strong>de</strong> tentative d’imposition d’un référentiel normatif stabilisé. Les sources <strong>de</strong><br />
régu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> contrôle, qu’on considère que ce soit « l’INRA » ou <strong>la</strong> « PV » sont traversées<br />
elles-mêmes par différentes conceptions <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne normalisation et <strong>la</strong> normalisation est un<br />
processus dans lequel un nombre important d’acteurs locaux intervient. On retrouve ici les<br />
résultats <strong>de</strong> Castel et Merle (Castel and Merle 2002)qui montrent que le flou <strong>de</strong> prescriptions<br />
normatives peut-être un facteur <strong>de</strong> leur adoption, surtout lorsqu’elles sont introduites dans <strong>de</strong>s<br />
univers professionnels très attentifs à leur capacité d’autorégu<strong>la</strong>tion et déjà engagés dans <strong>de</strong>s<br />
démarches très réflexives sur leurs pratiques. D’autre part le processus <strong>de</strong> normalisation,<br />
comme beaucoup <strong>de</strong>s dimensions <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation scientifique sur les enjeux<br />
phytopathogènes que nous analysons dans cette thèse, s’inscrit dans une situation<br />
d’interdépendance forte entre mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche et mon<strong>de</strong> administratif qui favorise le<br />
consensus à d’autres options <strong>de</strong> normalisation possibles –marchandage, défection (pour<br />
reprendre celles i<strong>de</strong>ntifiées par Mal<strong>la</strong>rd). Le processus <strong>de</strong> normalisation apparaît être un lieu<br />
d’apprentissage et un espace <strong>de</strong> rencontre entre ces <strong>de</strong>ux acteurs en interdépendance. Il serait<br />
plus délicat d’imaginer ce qui se passerait si les acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV impliqués n’étaient que <strong>de</strong>s<br />
contrôleurs réglementaires et pas <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoire et si les re<strong>la</strong>tions entre l’INRA et<br />
<strong>la</strong> PV n’étaient organisées qu’autour <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> responsabilité en cas d’acci<strong>de</strong>nt.<br />
70
IV - Quand un foyer éc<strong>la</strong>te: <strong>la</strong> recherche au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />
l'expertise<br />
A - Introduction<br />
Dans cette partie, nous allons interroger <strong>la</strong> manière dont <strong>la</strong> Recherche intervient dans<br />
l’espace temporel assez court <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte d’un foyer d’organisme <strong>de</strong> quarantaine et <strong>de</strong><br />
son immédiate gestion.<br />
Nous avons, dans un précé<strong>de</strong>nt chapitre, analysé <strong>la</strong> manière dont les acteurs<br />
scientifiques pouvaient intervenir comme acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> « découverte » du dit foyer, ou <strong>de</strong> son<br />
anticipation : comme <strong>la</strong>nceurs d’alerte, comme opérateurs <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce. Ici, nous analyserons<br />
comment ils peuvent intervenir comme acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du pathogène une fois celui-ci<br />
visible, constitué comme enjeu sanitaire. Dans cette perspective, ce chapitre vise à affirmer<br />
une thèse que l’on peut résumer en trois points : 1/ La recherche, c’est à dire les acteurs<br />
scientifiques collectifs ou individuels, jouent un rôle dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers d’organisme<br />
<strong>de</strong> quarantaine. Cette gestion ne relève donc pas uniquement <strong>de</strong>s acteurs professionnels ou<br />
administratifs. 2/ Pour qualifier ce rôle, il serait très réducteur <strong>de</strong> se limiter à <strong>la</strong> prise en<br />
compte <strong>de</strong>s activités considérées comme « scientifiques » par les acteurs eux-mêmes : c’est à<br />
dire à se limiter à <strong>la</strong> prise en compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> production et à <strong>la</strong> diffusion d’énoncés considérés<br />
comme scientifiques, soit dans le cadre d’arènes d’expertises formalisées, soit dans le cadre<br />
<strong>de</strong> réseaux d’interre<strong>la</strong>tion moins formalisés. En effet, il apparaît à l’analyse que les acteurs<br />
scientifiques interviennent à <strong>de</strong>s titres qui pourraient –en reprenant certaines distinctions<br />
indigènes- qualifier <strong>de</strong> « technique » et <strong>de</strong> « politique ». 3/ Cette intervention, en fonction <strong>de</strong><br />
l’ancrage territorial <strong>de</strong>s chercheurs et <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions d’interdépendances avec les<br />
organisations professionnelles est plus ou moins marginalisée et plus ou moins porteuse d’une<br />
ouverture <strong>de</strong> <strong>la</strong> problématisation du foyer.<br />
D’un point <strong>de</strong> vue méthodologique, ce chapitre repose sur <strong>la</strong> mise en perspective <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
gestion <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux foyers d’organismes <strong>de</strong> quarantaine : d’une part un foyer <strong>de</strong> TYLCV dans les<br />
Pyrénées orientales, d’autre part un foyer <strong>de</strong> Diabrotica en Alsace. Ce choix renvoie à<br />
plusieurs considérations. La première est celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tive comparabilité <strong>de</strong>s foyers au<br />
regard du développement général <strong>de</strong>s pathogènes concernés. En effet, ces <strong>de</strong>ux foyers sont<br />
tous <strong>de</strong>ux découverts à <strong>la</strong> même pério<strong>de</strong>, en 2003 essentiellement. Par ailleurs, ils ne<br />
constituent, l’un comme l’autre, pas les premiers foyers du pathogène en question sur le<br />
territoire national. La secon<strong>de</strong> est celle <strong>de</strong>s données disponibles pour produire mon analyse.<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers, dans un temps court, suppose un travail<br />
d’enquête assez approfondi, re<strong>la</strong>tivement fin, auprès d’une multitu<strong>de</strong> d’acteurs locaux, car –<br />
comme il sera montré dans le cours du chapitre- <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers est <strong>la</strong>rgement<br />
« territorialisée ». J’ai donc décidé <strong>de</strong> considérer <strong>de</strong>ux foyers sur lesquels j’avais <strong>de</strong>s<br />
informations en quantité et en qualité suffisamment cohérente pour produire une analyse.<br />
Enfin, dans <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> mon travail d’enquête j’ai étudié ces foyers à un même moment,<br />
au début <strong>de</strong> mon processus d’enquête, c’est à dire à un moment où je n’avais pas encore<br />
décidé <strong>de</strong> me consacrer plus directement aux mobilisations scientifiques autour <strong>de</strong>s<br />
pathogènes <strong>de</strong> quarantaine. La conséquence en est que je dispose rétrospectivement <strong>de</strong><br />
nombreux entretiens où je n’oriente pas mon questionnnement aux acteurs rencontrés<br />
(administratifs, conseillers techniques) sur leurs re<strong>la</strong>tions aux acteurs scientifiques mais que je<br />
peux appréhen<strong>de</strong>r <strong>la</strong> manière dont eux, <strong>de</strong> manière re<strong>la</strong>tivement libre, évoquent ces re<strong>la</strong>tions.<br />
72
B - Deux foyers sanitaires territorialisés<br />
Dans ce premier segment du chapitre, je vais présenter <strong>de</strong> manière re<strong>la</strong>tivement<br />
succinte <strong>la</strong> chronologie du foyer <strong>de</strong> bémisia. Cette présentation permettra <strong>de</strong> donner les<br />
éléments nécessaires, dans un second temps, à l’analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s activités scientifiques<br />
dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> ces foyers. La présentation <strong>de</strong> cette chronologie permettra <strong>de</strong> souligner qui<br />
est apparu comme <strong>de</strong>ux caractéristiques partagées <strong>de</strong>s <strong>dynamique</strong>s à l’œuvre à savoir,<br />
premièrement, qu’il y a un jeu <strong>de</strong>s acteurs autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont ils cadrent les foyers,<br />
plus exactement autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir si les foyers constituent <strong>de</strong>s « crises » ou non.<br />
Deuxièmement, il apparaît qu’une <strong>de</strong>s caractéristiques <strong>de</strong>s jeux d’acteurs dans leurs<br />
arrangements re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers est qu’ils territorialisent fortement <strong>la</strong> gestion du<br />
foyer.<br />
1) Le foyer comme enjeu <strong>de</strong> mobilisations professionnelles, <br />
administratives et associatives : Bemisia/viroses en Pyrénées <br />
orientales où comment éviter <strong>la</strong> « crise » <br />
Alors que <strong>la</strong> gestion du foyer alsacien <strong>de</strong> Diabrotica en 2003 semble mettre en<br />
affrontement différentes conceptions <strong>de</strong> <strong>la</strong> « crise » que constitue ce foyer, l’analyse <strong>de</strong>s<br />
mobilisations suite à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> viroses transmises par Bemisia dans les Pyrénéesorientales<br />
met en évi<strong>de</strong>nce au contraire une volonté –<strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s organisations<br />
professionnelles qui sont les principaux acteurs- d’éviter que le foyer puisse se constituer<br />
comme « crise ».<br />
Mobilisations professionnelles sur un « risque » anticipé <br />
Suite aux découvertes <strong>de</strong>s premiers foyers <strong>de</strong> TYLCV (voir chapitre 1),<br />
l’administration met en p<strong>la</strong>ce en 2000 le premier p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce sur le virus. Dans les<br />
Pyrénées Orientales, à <strong>la</strong> même pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s représentants professionnels, dans un contexte<br />
<strong>de</strong> forte concurrence et <strong>de</strong> réorganisation <strong>de</strong>s filières <strong>de</strong> production, interpellent les pouvoirs<br />
publics sur l’éventualité d’un risque lié à l’introduction <strong>de</strong> virus transmis par Bemisia.<br />
La production <strong>de</strong> tomates dans le Sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France<br />
La filière <strong>de</strong> production <strong>de</strong> <strong>la</strong> tomate est très concurrentielle. Le Sud-Est est en 2003,<br />
avec <strong>la</strong> Provence et le Languedoc-Roussillon, <strong>la</strong> première zone <strong>de</strong> production française (50 %<br />
du volume national). Malgré un climat qui permet <strong>de</strong>s récoltes plus précoces, <strong>de</strong> plus en plus<br />
concurrencé par les bassins <strong>de</strong> l’Ouest (essentiellement <strong>la</strong> Bretagne qui a vu son potentiel <strong>de</strong><br />
production multiplié par trois entre 1990 et 2000), du Sud-Ouest et du Centre-Ouest (Pays <strong>de</strong><br />
Loire, Centre et Poitou-Charentes, où le potentiel <strong>de</strong> production a presque doublé <strong>de</strong>puis<br />
1990). Cette concurrence se traduit notamment par <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> gains <strong>de</strong> productivité<br />
grâce à l’utilisation d’outils <strong>de</strong> production plus mo<strong>de</strong>rnes et concrètement par une nette<br />
diminution <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> plein-champs au profit du développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture<br />
intensive sous abri : en 2000, 15 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> production en frais française est produite en plein air<br />
contre 35 % en 1990. La production sous serre, très coûteuse et <strong>de</strong>mandant d’importantes<br />
compétences techniques permet d’améliorer <strong>la</strong> productivité <strong>de</strong>s cultures (entre 40 et 50<br />
kg/m²/an) et d’étendre, en fonction <strong>de</strong>s variétés et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> production choisis, les<br />
calendriers <strong>de</strong> récolte et <strong>de</strong> désaisonnaliser le produit. Ansi, en Provence et dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine du<br />
Roussillon, se sont développées les pratiques <strong>de</strong>s cultures d’hiver qui permettent, avec <strong>de</strong>s<br />
73
semis d’été, d’alimenter le marché dès le mois <strong>de</strong> novembre. Ces cultures d’hiver doivent<br />
néanmoins faire face à <strong>la</strong> concurrence croissante <strong>de</strong> pays du Sud, essentiellement marocaine et<br />
espagnole (80% <strong>de</strong>s 370000 t importées pour <strong>la</strong> vente en frais). Face à cette concurrence, les<br />
producteurs français ont majoritairement privilégié une démarche <strong>de</strong> qualité, en adoptant<br />
<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990 <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> production raisonnée.<br />
Ces évolutions du contexte technico-économique sont visibles dans <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ine du<br />
Roussillon, zone qui réalise l’essentiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> tomates sous serre du Languedoc-<br />
Roussillon. En 2000, les 140 exploitants qui produisent les 50 000 t annuelles <strong>de</strong> tomates en<br />
frais le font essentiellement sous serre et à 90 % en Lutte Intégrée. Regroupés en 6<br />
Organisations <strong>de</strong> Producteurs (7 à partir <strong>de</strong> 2001) rattachées au Bassin Rhône Méditerranée<br />
(BRM), certains producteurs ont, dès 2001, adhéré à <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> commercialisations<br />
(AMS) réunissant <strong>de</strong>s producteurs du Sud-est et du Sud-Ouest autour d’une même marque.<br />
De par leur climat privilégié, les producteurs <strong>de</strong> tomates sous serre <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales<br />
ont pu développer <strong>de</strong>s cycles <strong>de</strong> culture longs avec une production en hiver qui est en<br />
concurrence directe avec les importations espagnoles et marocaines transitant chaque jour par<br />
le Marché International Saint-Charles <strong>de</strong> Perpignan.<br />
Constatant que le Maroc puis l’Espagne sont touchés gravement par <strong>de</strong>s problèmes<br />
phytosanitaires à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> décennie 1990, les agriculteurs se préoccupent <strong>de</strong> <strong>la</strong> possibilité<br />
d’être eux-mêmes en proie à <strong>de</strong>s problèmes sanitaires et leurs représentants syndicaux font<br />
part <strong>de</strong> leurs préoccupations aux pouvoirs publics, ce qui débouche sur <strong>la</strong> réalisation, par le<br />
Service Régional <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s Végétaux, d’un travail d’enquête sur les tomates<br />
provenant d’Espagne et du Maroc et <strong>de</strong> <strong>la</strong> préparation d’un p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce régional 118 .<br />
Plusieurs réunions 119 mobilisent un certain nombre d’acteurs locaux autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> thématique<br />
Bemisia/viroses :<br />
- Les syndicats : Les premiers porteurs <strong>de</strong> l’alerte sont les représentants du Syndicat <strong>de</strong>s<br />
Maraîchers, un syndicat local qui jouit d’une forte aura auprès <strong>de</strong>s producteurs<br />
maraîchers du département mais qui n’est pas représenté à <strong>la</strong> Chambre d’Agriculture<br />
<strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales, un département avant tout viticole. Ce syndicat entretient <strong>de</strong>s<br />
re<strong>la</strong>tions difficiles 120 avec <strong>la</strong> Fédération Départementale <strong>de</strong>s Syndicats d’Exploitants<br />
Agricoles (FDSEA), dont les représentants participent également aux réunions.<br />
- La Chambre d’agriculture. Située à Perpignan elle intervient par l’intermédiaire <strong>de</strong> son<br />
service maraîchage et par l’intermédiaire <strong>de</strong> stations expérimentales professionnelles –<br />
Agriphyto et <strong>la</strong> Sica-centrex, avec lesquelles, elle est très liée 121 .<br />
118 Les résultats <strong>de</strong> l’enquête mettent en évi<strong>de</strong>nce <strong>la</strong> présence du TYLCV sur les tomates importées et <strong>de</strong><br />
Bemisia. Les résultats <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce en 2001 mettent en évi<strong>de</strong>nce <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> Bemisia, mais ne permettent<br />
pas <strong>de</strong> révéler <strong>la</strong> présence du TYLCV. Pour le détail <strong>de</strong>s faits concernant l’enjeu <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, voir chapitre 6.<br />
119 Deux réunions sont organisées en 2000 et 2001 à <strong>la</strong> CA 66, réunissant <strong>la</strong> Direction Départementale <strong>de</strong><br />
l’Agriculture et <strong>de</strong>s Forêts (DDAF), le Service régional <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s végétaux (SRPV), <strong>la</strong> Chambre<br />
d’agriculture (CA) et les représentants d’organisations syndicales. A ces réunions, plusieurs virus sont i<strong>de</strong>ntifiés<br />
comme dangereux pour le département : le ToCV et le TYLCV, transmis par aleuro<strong>de</strong>s, ainsi que le Pepino, un<br />
virus détecté en 2000 en Bretagne qui se transmet par voie mécanique.<br />
120 La FDSEA a remporté les élections professionnelles <strong>de</strong> janvier 2001 avec seulement 49,23% <strong>de</strong>s voix contre<br />
une liste menée par un membre du Syndicat <strong>de</strong>s Maraîchers.<br />
121 Créée en 1990 et financée par <strong>de</strong>s fonds publics (Conseil Général et Chambre d’Agriculture, Région) et privés<br />
(contrats d’expérimentations avec <strong>de</strong>s firmes privées), Agriphyto fait du suivi parcel<strong>la</strong>ire chez les producteurs<br />
<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990, d’abord en tomate puis pour d’autres productions. En 2001, ne pouvant pas être<br />
reconnue comme station d’expérimentation régionale en raison <strong>de</strong> son financement mixte, <strong>la</strong> structure est obligée<br />
74
- Le GDA-serriste, un groupe <strong>de</strong> développement aidé par <strong>la</strong> Chambre d’agriculture, qui<br />
rassemble <strong>de</strong>s Groupes <strong>de</strong> Développement qui réunissent <strong>de</strong>s serristes pour embaucher<br />
<strong>de</strong>s techniciens capables d’assurer le suivi pointu <strong>de</strong>s cultures hors-sol.<br />
- La Direction Départementale <strong>de</strong> l’Agriculture et <strong>de</strong>s Forêts (DDAF).<br />
- Le Service Régional <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s Végétaux, qui, en Languedoc-Roussillon, a<br />
une antenne au Marché International <strong>de</strong> Saint Charles <strong>de</strong> Perpignan.<br />
En 2001, <strong>la</strong> Chambre d’agriculture et les représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong> FDSEA organisent <strong>de</strong><br />
manière plus formelle <strong>la</strong> réunion <strong>de</strong> ces acteurs et mettent en p<strong>la</strong>ce une « Cellule <strong>de</strong> Veille »<br />
(CV), qui se donne pour mission à <strong>la</strong> fois d’informer les agriculteurs et leurs techniciens <strong>de</strong>s<br />
évolutions <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire, d’engager <strong>de</strong>s réflexions autour d’éventuels programmes<br />
d’expérimenation, et à <strong>la</strong> fois d’être un lieu où se négocient les re<strong>la</strong>tions avec les pouvoirs<br />
publics quant à <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s éventuelles mesures <strong>de</strong> prévention, un lieu <strong>de</strong> négociation sur<br />
les in<strong>de</strong>mnisations liées aux dégâts directs occasionnés par Bemisia et aux surcoûts <strong>de</strong> lutte<br />
occasionnés par sa présence, et –en cas <strong>de</strong> foyer <strong>de</strong> virus- un lieu <strong>de</strong> négociation <strong>de</strong>s mesures<br />
<strong>de</strong> lutte et <strong>de</strong>s procédures d’in<strong>de</strong>mnisation à mettre en p<strong>la</strong>ce. Cette cellule voit son activité<br />
renforcée quand est découvert en octobre 2001, les premiers cas <strong>de</strong> Cucurbit Yellow Stunting<br />
Disor<strong>de</strong>r Virus (CYSDV), un virus sur cucurbitacées transmis par Bemisia Tabaci 122 . Le<br />
représentant du Syndicat <strong>de</strong>s Maraichers, qui est également secrétaire général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fédération<br />
Nationale <strong>de</strong>s Producteurs <strong>de</strong> Légumes (FNPL), s’engage notamment dans les négociations<br />
avec le Ministère <strong>de</strong> l’agriculture sur <strong>la</strong> réglementation <strong>de</strong>s virus. L’enjeu principal <strong>de</strong> ces<br />
négociations est pour les professionnels l’obtention <strong>de</strong> garanties d’in<strong>de</strong>mnisations en<br />
contrepartie d’éventuelles mesures <strong>de</strong> luttes. Cependant, le Ministère estime n’avoir quant à<br />
lui pas <strong>de</strong> garanties suffisantes sur <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration professionnelle quant à <strong>la</strong> remontée <strong>de</strong><br />
l’information sanitaire pour prévoir <strong>de</strong> telles garanties: un arrêté paraît au JO le 20/7/2002, il<br />
rend obligatoire sur le territoire national <strong>la</strong> lutte contre TYLCV, CYSDV, ToCV, TICV et<br />
CVYV, il rend également obligatoire <strong>la</strong> lutte contre Bemisia Tabaci et Trialeuro<strong>de</strong>s<br />
Vaporarium en pépinières et cultures sur les périmètres <strong>de</strong> lutte, enfin il précise les modalités<br />
d’arrachage <strong>de</strong>s serres infectées par les différents virus 123 . Les représentants professionnels<br />
n’ont pas réussi à obtenir <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> mécanisme <strong>de</strong> garantie d’in<strong>de</strong>mnisation <strong>de</strong>s<br />
producteurs en contrepartie <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> luttes prévues 124 . En 2003, après que le premier<br />
foyer <strong>de</strong> TYLCV est découvert, <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnisations reste l’enjeu central <strong>de</strong>s<br />
re<strong>la</strong>tions entre les pouvoirs publics et les organisations professionnelles : les premiers<br />
<strong>de</strong> se rapprocher <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sica-Centrex, une société coopérative d’intérêt collectif agricole créée <strong>de</strong> façon ad hoc<br />
pour permettre les expérimentations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre d’Agriculture et <strong>de</strong> l’INRA sur l’arboriculture qui <strong>de</strong>viendra<br />
alors une station régionale d’expérimentation.<br />
122 Ainsi en novembre 2001, <strong>de</strong>ux réunions techniques sont organisées sur <strong>la</strong> question <strong>de</strong> Bemisia et <strong>de</strong> ses virus.<br />
Le TYLCV y est le principal objet d’inquiétu<strong>de</strong>. Par ailleurs, un projet <strong>de</strong> recherche est é<strong>la</strong>boré dans le cadre du<br />
programme Interreg III (voir infra).<br />
123 En production, l’arrachage dépend du taux <strong>de</strong> contamination : pour le TYLCV, le CYSDV et le CVYV, si <strong>la</strong><br />
contamination est supérieure à 1 p<strong>la</strong>nt pour 1000, <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> parcelle ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone contaminée doit être<br />
arrachée ; pour le ToCV et le TICV, l’arrachage est limité, moyennant suivi, aux p<strong>la</strong>ntes présentant <strong>de</strong>s<br />
symptômes.<br />
124 La FNPL, peu après qu’un premier arrêté ait été publié, réc<strong>la</strong>me à nouveau <strong>de</strong>s garanties, envoyant par<br />
exemple un courrier au Ministre <strong>de</strong> l’agriculture pour lui rappeller que « <strong>de</strong>s dispositifs simi<strong>la</strong>ires existent dans<br />
d’autres branches <strong>de</strong> l’agriculture, comme les dispositifs ESB, fièvre aphteuse pour l’élevage ou Sharka et<br />
Xanthomonas pour les fruitiers » (20/2/2002).<br />
75
conditionnant une discussion sur <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnisations en cas d’arrachage à une transparence<br />
<strong>de</strong>s professionnels quant à l’information sur l’état sanitaire <strong>de</strong>s serres, ce qu’ils n’estiment ne<br />
pas avoir ; les seconds conditionnant un engagement dans <strong>la</strong> remontée <strong>de</strong> cette information à<br />
<strong>de</strong>s garanties d’in<strong>de</strong>mnisation.<br />
L’épidémie <strong>de</strong> 2003, confiner le foyer, éviter <strong>la</strong> « crise » <br />
L’année 2003 est particulièrement chau<strong>de</strong> dans les Pyrénées orientales et l’inspecteur<br />
local <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV recense, dans une station expérimentale <strong>de</strong> l’INRA que nous étudierons plus<br />
loin en détail, les premiers cas officiels <strong>de</strong> virus <strong>de</strong> TYLCV au mois <strong>de</strong> juin. De fait, <strong>de</strong><br />
nombreuses exploitations agricoles <strong>de</strong> <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ine du Roussillon sont touchées par le virus. Les<br />
organisations professionnelles, réunies au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> cellule <strong>de</strong> veille, déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> se constituer<br />
en « groupe professionnel <strong>de</strong> crise », et <strong>de</strong> réfléchir à un p<strong>la</strong>n d’action pour faire face à ce qui<br />
apparaît comme une épidémie <strong>de</strong> TYLCV. D’une part, le groupe réfléchit aux mesures <strong>de</strong><br />
luttes (arrachage <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, gestion <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> cultures et <strong>de</strong>s abords <strong>de</strong>s serres) à<br />
mettre en p<strong>la</strong>ce dans les exploitations touchées. D’autre part, il s’agit <strong>de</strong> réitérer auprès <strong>de</strong>s<br />
pouvoirs publics <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d’ai<strong>de</strong> pour les nombreuses exploitations touchées 125 et<br />
d’obtenir <strong>de</strong>s subventions pour <strong>la</strong> pose d’équipements <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s serres (filets insectproofs<br />
126 ). Il s’agit enfin <strong>de</strong> faire en sorte <strong>de</strong> contrôler l’information sur <strong>la</strong> situation sanitaire<br />
réelle du département et son évolution et <strong>la</strong> communication externe sur cette situation. De fait,<br />
alors que l’administration est invitée –en <strong>la</strong> personne du responsable <strong>de</strong> l’antenne locale du<br />
SRPV- aux réunions <strong>de</strong> <strong>la</strong> cellule <strong>de</strong> veille jusqu’au printemps 2003 127 , elle n’est plus invitée<br />
ensuite jusqu’à l’automne : les représentants <strong>de</strong>s organisations professionnelles veulent –en<br />
l’absence <strong>de</strong> garanties in<strong>de</strong>mnisation- gar<strong>de</strong>r le contrôle <strong>de</strong> l’information sanitaires. Au-<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong>s conséquences directes <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte obligatoire pour les exploitants, que <strong>la</strong> publicisation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
présence du TYLCV dans le département ait un impact négatif sur <strong>la</strong> commercialisation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
production, soit parce qu’elle pourrait susciter <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s infondées quant à <strong>la</strong> qualité<br />
sanitaire <strong>de</strong>s tomates infectées 128 , soit parce qu’elle pourrait susciter <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s quant à<br />
leur teneur en résidus <strong>de</strong> pestici<strong>de</strong>s.<br />
En 2004, les organisations professionnelles suscitent plusieurs réunions afin <strong>de</strong> préparer <strong>la</strong><br />
nouvelle campagne <strong>de</strong> production. Une réunion notamment, en date du 7 mai 2004, vise à<br />
obtenir une fois <strong>de</strong> plus <strong>de</strong>s garanties d’in<strong>de</strong>mnisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> part du ministère <strong>de</strong> l’agriculture,<br />
125 Les résultats définitifs du p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce mené par le SRPV permet à celui-ci <strong>de</strong> qualifier <strong>la</strong> situation<br />
d’épidémique : en 2003, sur tomate, <strong>de</strong>s 87 exploitations visitées (soit environ <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong>s surfaces cultivées du<br />
département) 27 ont été touchées par le TYLCV, plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié par le ToCV (diagnostique visuel), 2 par le<br />
Pepino. Par ailleurs trois cas <strong>de</strong> CYSDV sont i<strong>de</strong>ntifiés.<br />
126 Utilisés en Espagne et au Maroc, ces filets sont unanimement considérés comme <strong>de</strong>s outils indispensables à<br />
une démarche prophy<strong>la</strong>ctique, ils sont en 2003 encore peu répandus sur les exploitations françaises. Le thème<br />
<strong>de</strong>s filets insect-proofs est abordé au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellule <strong>de</strong> Veille pour <strong>la</strong> première fois à l’automne 2001 dans le<br />
cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexion sur <strong>la</strong> remise en cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lutte Intégrée avec l’arrivée <strong>de</strong> Bemisia Tabaci. Les<br />
producteurs obtiennent en 2003 l’appui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Région pour financer leur développement en Languedoc-<br />
Roussillon.<br />
127 Réunions du 14/4 et du 29/4.<br />
128 Une tomate touchée n’est pas nocive pour l’homme. Cependant, <strong>de</strong> nombreux producteurs et représentants<br />
professionnels nous ont fait part au cours <strong>de</strong>s entretiens -mobilisant notamment l’ESB comme précé<strong>de</strong>nt- <strong>de</strong> leur<br />
inquiétu<strong>de</strong> quant à une mauvaise appréhension du probléme par les consommateurs, qui pourrait notamment être<br />
liée à une information erronée par les médias.<br />
76
qui se conclue par un accord ambigu sur une « cogestion transparente » d’un eventuel<br />
nouveau foyer 129 . L’été suivant cependant, que ce soit parce que les conditions<br />
métérologiques ont été moins propices ou que les producteurs et leurs techniciens aient réussi<br />
à cacher <strong>la</strong> présence du virus, l’épidémie ne se renouvelle pas.<br />
2) Les foyers, <strong>de</strong>s enjeux agricoles et territorialisés <br />
La section précé<strong>de</strong>nte visait à présenter <strong>de</strong> manière chronologique <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong><br />
contextes re<strong>la</strong>tifs à <strong>de</strong>ux foyers d’organismes <strong>de</strong> quarantaine apparus <strong>la</strong> même année sur le<br />
territoire national. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> spécificitité <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces foyers, nous allons maintenant<br />
souligner ce qui apparaît comme <strong>de</strong>ux caractéristiques communes <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
gestion <strong>de</strong> ces foyers, caractéristiques qui seront ensuite remobilisées dans notre analyse <strong>de</strong><br />
l’intervention <strong>de</strong>s acteurs scientifiques.<br />
Bemisia/Viroses : <strong>de</strong> <strong>la</strong> territorialisation du problème à <strong>la</strong> « stigmatisation <br />
territoriale » <br />
A l’analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du foyer <strong>de</strong> Bemisia/Viroses <strong>de</strong> 2003, le constat est<br />
i<strong>de</strong>ntique. Dès avant 2003, conscients du risque qui pèsent sur <strong>la</strong> production <strong>de</strong> tomates sous<br />
serres, les professionnels, par <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> leurs représentants, alertent les pouvoirs publics.<br />
Cette alerte aurait pu inciter à <strong>la</strong> création d’un dispositif <strong>de</strong> veille à l’échelle du bassin <strong>de</strong><br />
production, ou, du moins, aurait pu être re<strong>la</strong>yée par <strong>de</strong>s professionnels provençaux qui, aux<br />
vues du cas <strong>de</strong> TYLCV <strong>de</strong> 1999 dans le Gard et <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s Bouches-du-Rhône en 2001,<br />
étaient aussi exposés au risque d’importation <strong>de</strong> matériel végétal contaminé que les<br />
producteurs cata<strong>la</strong>ns. Or, cet é<strong>la</strong>rgissement n’a pas lieu. Nous avons vu comment <strong>la</strong> crainte<br />
que l’arrivée <strong>de</strong>s virus puisse être un handicap commercial a encouragé les professionnels et<br />
leurs représentants à maintenir le secret sur l’évolution sanitaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone <strong>de</strong> production.<br />
Cette crainte est une <strong>de</strong>s raisons pour lesquelles les organismes techniques, commerciaux et<br />
syndicaux extra-départementaux ne sont pas mobilisés par <strong>la</strong> Cellule <strong>de</strong> Veille dont nous<br />
avons souligné l’importance. Le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Section Nationale Tomate, branche produit du<br />
syndicat national <strong>de</strong>s producteurs <strong>de</strong> légumes, producteur en Bretagne, n’est par exemple<br />
informé qu’au moment <strong>de</strong> l’épidémie <strong>de</strong> 2003 <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire.<br />
« Le Bemisia, ça fait <strong>de</strong>ux ans. Perpignan, il n’y a que en 2003 qu’on l’a su. Mais l’année<br />
d’avant ils avaient mis <strong>la</strong> cloche à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> quarantaine j’en suis sûr. Ils vivaient avec ça et<br />
ce n’est qu’en 2003, avec <strong>la</strong> chaleur, que ça a explosé. Ils ont été surpris et ils n’ont pas pu le<br />
cacher »<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> SNT<br />
Dans <strong>la</strong> même perspective, les représentants professionnels privilégient les re<strong>la</strong>tions avec les<br />
services déconcentrés <strong>de</strong> l’administration 130 .<br />
129 Il n’est pas nécessaire pour le propos <strong>de</strong> ce chapitre <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> manière trop précise sur les détails <strong>de</strong> ces<br />
négociations et <strong>de</strong> leurs <strong>dynamique</strong>s. D’une manière générale, pour plus <strong>de</strong> précisions sur <strong>la</strong> gestion du foyer <strong>de</strong><br />
2003 du point <strong>de</strong> vue professionnel et administratif, nous renvoyons à (Prete 2004).<br />
130 Le 29/11/2001 par exemple, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion technique organisée à <strong>la</strong> Sica-Centrex, <strong>de</strong>s représentants<br />
professionnels <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt en aparté au chef du SRPV <strong>de</strong> ne pas faire <strong>la</strong> publicité <strong>de</strong>s résultats inquiétants <strong>de</strong>s<br />
77
Après que le foyer a été découvert et que les Pyrénées-Orientales sont considérés par<br />
l’administration à <strong>la</strong> fois comme l’unique zone géographique touchée par le TYLCV et un<br />
département dans lequel il est particulièrement difficile <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borer avec les organisations<br />
agricoles, les acteurs du département <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales impliqués dans <strong>la</strong> gestion du<br />
problème Bemisia/viroses – essentiellement au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellule <strong>de</strong> Veille – se<br />
sentent stigmatisés par les pouvoirs publics et les représentants professionnels <strong>de</strong> l’autre zone<br />
<strong>de</strong> production menacée, <strong>la</strong> région PACA 131 .<br />
Les bases institutionnelles et stratégiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> territorialisation <br />
Notre constat <strong>de</strong> territorialisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers s’inscrivant avant tout dans<br />
une réflexion sur le rôle <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers, nous ne<br />
développerons pas en détail les multiples facteurs qui pourraient permettre <strong>de</strong> comprendre les<br />
raisons <strong>de</strong> cette territorialisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers mais pouvons nous limiter ici à<br />
évoquer quelques éléments d’analyse.<br />
D’une part, <strong>la</strong> territorialisation peut être comprise comme <strong>la</strong> résultante <strong>de</strong> l’inscription<br />
institutionnelle <strong>de</strong>s jeux d’acteurs. Par inscription institutionnelle, nous entendons <strong>de</strong> manière<br />
assez générale à <strong>la</strong> fois que les différents acteurs sont formellement organisés d’une manière<br />
territorialisés et que cette organisation a <strong>de</strong>s effets sur <strong>la</strong> structure <strong>de</strong>s réseaux d’interraction et<br />
en même temps, conséquence en partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature historique <strong>de</strong> cette organisation<br />
territoriale, leur conception <strong>de</strong>s niveaux pertinents <strong>de</strong> mobilisations sont territorialisés. Dans<br />
le cas Bemisia/viroses par exemple, le fait que les re<strong>la</strong>is directement mobilisés par les<br />
professionnels soient essentiellement <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>is départementaux reflète le rôle important <strong>de</strong><br />
l’échelon départemental dans <strong>la</strong> structuration du mon<strong>de</strong> agricole autour, principalement, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Chambre d’Agriculture et <strong>de</strong> <strong>la</strong> DDAF, qui partagent les mêmes locaux à Perpignan. Cette<br />
structuration, qui ne concerne pas uniquement <strong>la</strong> filière tomate, s’inscrit comme l’explique cet<br />
extrait d’entretien avec une représentante du service économique régional du Languedoc-<br />
Roussillon, dans l’histoire du fonctionnement <strong>de</strong>s organisations agricoles :<br />
« Les professionnels qui siègent dans nos comités régionaux sectoriels fruits et légumes, <strong>la</strong><br />
plupart du temps, n’ont pas un discours qui soit un discours régional. Soit ils ont un discours<br />
cata<strong>la</strong>n, soit un discours gardois…on peut retrouver cet aspect sur <strong>la</strong> tomate, ils sont dans <strong>de</strong>s<br />
logiques très locales, <strong>la</strong> saisine est d’abord locale.<br />
C’est lié à quoi ?<br />
C’est historique, <strong>la</strong> Chambre d’Agriculture <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales, sur les fruits et légumes,<br />
a <strong>de</strong>ux services- arboriculture et maraîchage- très forts, on ne retrouvera pas ça dans les<br />
autres Chambres d’Agriculture et <strong>la</strong> Fédération Languedocienne, avant l’organisation en<br />
bassin, servait <strong>de</strong> Comité économique, c’est une organisation historique qui fait qu’on va<br />
enquêtes sanitaires. Une semaine plus tard, <strong>la</strong> DGAL reçoit un courrier du DRAF Languedoc-Roussillon lui<br />
<strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> « faire attention » à <strong>la</strong> communication sur le sujet <strong>de</strong>s virus maraîchers.<br />
131 Deux réunions tenues à l’été 2003, organisées par l’Oniflhor, illustrent ce sentiment <strong>de</strong> « stigmatisation<br />
territoriale ». La première réunion oppose fortement les représentants professionnels <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales et<br />
l’administration centrale du ministère. Lors <strong>de</strong> cette rencontre, les représentants <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales ne se<br />
sentent pas « soutenus par les professionnels <strong>de</strong>s autres régions ». La secon<strong>de</strong> réunion, regroupant<br />
essentiellement <strong>de</strong>s représentants d’organismes techniques. Elle débouche en effet sur l’idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />
d’une enquête sur <strong>la</strong> situation sanitaire dans le Sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, enquête dont les modalités sont perçues par les ,<br />
les délégués <strong>de</strong>s organisations du Roussillon comme ne garantissant pas le traitement égal <strong>de</strong>s différentes zones<br />
<strong>de</strong> production françaises, dans <strong>la</strong> mesure où elle doit être menée par le le Centre Interprofessionnel <strong>de</strong>s fruits et<br />
légumes (Ctifl), qui est alors considéré comme « au service <strong>de</strong>s producteurs provençaux ».<br />
78
chercher les compétences là où elles sont(...) Je suis toujours surprise, ils ne se connaissent<br />
pas entre eux [les acteurs <strong>de</strong>s différentes zones <strong>de</strong> production <strong>de</strong> <strong>la</strong> région Languedoc-<br />
Roussillon], ils se réunissent entre eux au niveau du Comite <strong>de</strong> bassin ou au niveau <strong>de</strong><br />
l’Association Régionale Languedoc Fruits et Légumes (créé en 2004), j’ai été surprise <strong>de</strong> me<br />
rendre compte qu’ils ne se connaissent pas. »<br />
Service Régional d’Economie Agricole DRAF Languedoc-Roussillon<br />
Comme l’évoque cet extrait d’entretien, <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un Comité <strong>de</strong> Bassin économique<br />
recouvrant géographiquement les zones <strong>de</strong> production provençales et roussil<strong>la</strong>naises n’a pas,<br />
au moment du foyer <strong>de</strong> 2003, modifié les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> travail départementales 132 .<br />
D’autre part, <strong>la</strong> territorialisation est <strong>la</strong> conséquence, dans ce cadre institutionnel, <strong>de</strong>s<br />
jeux stratégiques <strong>de</strong>s acteurs : ceux-ci, peuvent en effet considérer avoir intérêt à territorialiser<br />
leurs mobilisations. En Alsace, par exemple, <strong>la</strong> territorialisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation associative<br />
se comprend si on prend en compte que pour AN et d’autres associations du collectif, il s’agit<br />
moins <strong>de</strong> critiquer les épandages <strong>de</strong> pestici<strong>de</strong>s qui concernent tous les foyers nationaux y<br />
compris l’Ile-<strong>de</strong>-France, que <strong>de</strong> remettre en cause un modèle <strong>de</strong> production agricole -<strong>la</strong><br />
monoculture <strong>de</strong> maïs irriguée- qui concerne en 2003 uniquement le foyer alsacien. Dans <strong>la</strong><br />
même perspective, les revendications <strong>de</strong>s organisations syndicales au sujet <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnisations<br />
et l’évolution <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte prend appui sur un diagnostique d’intérêt différents voire<br />
divergents avec les producteurs d’Ile <strong>de</strong> France. Par exemple, produisant, contrairement aux<br />
agriculteurs d’Ile-<strong>de</strong>-France, le maïs essentiellement en monoculture dans une perspective <strong>de</strong><br />
commercialisation à <strong>de</strong>stination d’une filière garantie sans OGM 133 rend pour eux <strong>la</strong> question<br />
<strong>de</strong>s obligations <strong>de</strong> rotation centrale et ne les incite pas à s’engager dans un assouplissement<br />
éventuel <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte comme peuvent l’envisager à un moment les représentants<br />
syndicaux nationaux.<br />
Dans les Pyrénées-Orientales, les jeux autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un protocole sanitaire<br />
illustrent également ces différences d’intérêt.<br />
Un protocole sanitaire pour <strong>la</strong> campagne 2004…sans les Pyrénées Orientales<br />
En 2003, aucun cas <strong>de</strong> TYLCV n’est officiellement trouvé dans <strong>la</strong> région Provence–<br />
Alpes-Côte-d’Azur (PACA). Mais <strong>la</strong> situation sanitaire <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales incite les<br />
professionnels et l’administration <strong>de</strong> <strong>la</strong> région à se mobiliser. Le directeur <strong>de</strong> l’APREL, une<br />
station régionale d’expérimentation, cosigne avec le responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> Section Tomate <strong>de</strong><br />
Bassin (STBRM) un courrier envoyé à <strong>la</strong> DRAF pour l’alerter du risque sanitaire et le<br />
sensibiliser à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> prévoir <strong>de</strong>s mesures d’in<strong>de</strong>mnisation. Cette mobilisation débouch<br />
sur l’é<strong>la</strong>boration régionale d’un protocole sanitaire contenant un ensemble <strong>de</strong> mesures dont le<br />
strict respect pourrait donner droit à in<strong>de</strong>mnisation en cas d’arrachage forcé en janvier 2004.<br />
132 En 1996, <strong>de</strong>s Comités <strong>de</strong> Bassin ont remp<strong>la</strong>cé les anciens Comités économiques régionaux comme interface<br />
avec les autorités régionales et le ministère <strong>de</strong> l’agriculture dans <strong>la</strong> gestion économique <strong>de</strong>s filières. Avec cette<br />
réforme, les producteurs sont encouragés à adhérer à <strong>de</strong>s Organisations <strong>de</strong> Producteurs (OP), qui remp<strong>la</strong>cent les<br />
anciens Groupements <strong>de</strong> Producteurs (GP) et qui <strong>de</strong>vraient selon l’esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong> l’OCM, réunir <strong>de</strong>s<br />
producteurs <strong>de</strong> régions administratives différentes. En fait, dans <strong>la</strong> production <strong>de</strong> maraîchage, ces OP continuent<br />
à ne réunir que <strong>de</strong>s producteurs appartenant <strong>de</strong>s mêmes zones <strong>de</strong> production.<br />
133 En Alsace, un p<strong>la</strong>n OGM régional a été mis en p<strong>la</strong>ce en 1998/99 par différents acteurs (agriculteurs,<br />
coopératives, amidonniers, semouliers et « instances politiques »), sous <strong>la</strong> pression <strong>de</strong>s semouliers et <strong>de</strong>s<br />
amidonniers. Ce p<strong>la</strong>n, qui n’a pas force <strong>de</strong> droit, vise à garantir que l’Alsace est exempte <strong>de</strong> cultures OGM. Il<br />
implique un engagement <strong>de</strong>s principaux acteurs à ne pas utiliser <strong>de</strong> variétés OGM et l’investissement <strong>de</strong>s OS<br />
dans <strong>de</strong>s outils –parfois coûteux- <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s semences reçues et du maïs collecté.<br />
79
Apprenant <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong> ce protocole, les représentants professionnels <strong>de</strong>s Pyrénées<br />
Orienales regrettent d’avoir été écartés <strong>de</strong>s négociations et tentent a posteriori et sans succès,<br />
<strong>de</strong> l’étendre à <strong>la</strong> zone <strong>de</strong> production du Roussillon.<br />
« Notre rôle a été <strong>de</strong> voir dans les autres départements, Bretagne, PACA… on est convaincu qu'ils ont<br />
été touchés par le problème. (…) On le sait par contacts personnels, par <strong>de</strong>s techniciens et <strong>de</strong>s nontechniciens.<br />
On a essayé <strong>de</strong> faire front commun ensemble et ils nous ont c<strong>la</strong>qués entre les mains en<br />
disant nous on a rien et ils ont été voir le ministre <strong>de</strong> leur côté »<br />
Directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre d'Agriculture <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales<br />
De fait, les organisations provençales ont eu intérêt, face à un ministère <strong>de</strong> l’agriculture<br />
réticent à s’engager dans <strong>de</strong>s mesures d’in<strong>de</strong>mnisation et à débloquer <strong>de</strong>s fonds 134 , à ne pas<br />
impliquer d’autres régions à leurs revendications : il est plus difficile d’obtenir une promesse<br />
d’enveloppe pour plusieurs régions (PACA, Rhône-Alpes, sans parler du Languedoc-<br />
Roussillon).<br />
Nous venons d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong>ux caractéristiques <strong>de</strong>s <strong>dynamique</strong>s étudiées autour <strong>de</strong>s<br />
foyers. Premièrement, leur gestion est dominée par un cadrage « agricole » <strong>de</strong>s enjeux<br />
soulevés par l’introduction du pathogène. En ce sens elle mobilise essentiellement <strong>de</strong>s<br />
organisations professionnelles agricoles et l’administration sanitaire agricoles, qui sont<br />
engagés dans <strong>de</strong>s négociations sur <strong>de</strong>s modalités du maintien d’un modèle économique<br />
agricole en p<strong>la</strong>ce. Deuxièmement, leur gestion est <strong>la</strong>rgement territorialisée. Les acteurs<br />
construisent leur mobilisation et leurs objectifs dans une perspective locale, régionale et<br />
départementale. Nous allons maintenant analyser <strong>la</strong> manière dont les acteurs scientifiques<br />
interviennent dans ces <strong>dynamique</strong>s. L’activité scientifique étant très <strong>la</strong>rgement perçue comme<br />
une activité visant à ouvrir les cadres <strong>de</strong> problématisation et comme une activité<br />
déterritorialisée, nous chercherons à analyser <strong>la</strong> manière dont l’action <strong>de</strong>s scientifiques étudiés<br />
s’articule aux <strong>de</strong>ux caractéristiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers mises en évi<strong>de</strong>nce.<br />
C - La recherche dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers<br />
Dans <strong>la</strong> section précé<strong>de</strong>nte, nous avons abordé <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers<br />
avant tout du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s acteurs administratifs et professionnels. Cette présentation<br />
pourrait <strong>la</strong>isser penser que <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers n’est pas un enjeu <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche,<br />
qu’il relève –pour reprendre les distinctions souvent opérées dans le cours <strong>de</strong> nos entretiensdu<br />
domaine « technique » et « politique » et non du domaine « scientifique ». Pourtant, nous<br />
inscrivant dans l’idée que ces qualificatifs <strong>de</strong> « scientifique », « technique » ou « politique »<br />
sont moins pertinents comme <strong>de</strong>s opérateurs sociologiques <strong>de</strong> catégorisation <strong>de</strong>s activités<br />
humaines que comme <strong>de</strong>s qualifications employées <strong>de</strong> manière plus ou moins stratégiques par<br />
les acteurs étudiés et qui délimitent leur –ou celles d’autres acteurs- champ d’intervention, <strong>de</strong><br />
compétence ou <strong>de</strong> légitimité, nous avons, en analysant le détail <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s foyers, pu<br />
observer l’intervention d’acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche. Cette intervention prend différente forme,<br />
mais ne se limite pas à <strong>la</strong> production <strong>de</strong> <strong>connaissances</strong> archivées ou à <strong>la</strong> participation à <strong>de</strong>s<br />
comités d’experts.<br />
Dans le foyer <strong>de</strong> Bemisia/viroses, nous allons montrer comment <strong>la</strong> présence d’une station<br />
expérimentale <strong>de</strong> l’INRA joue en fait un rôle central dans <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> gestion du foyer,<br />
134 L’obtention <strong>de</strong> <strong>la</strong> signature du protocole n’a pas été facile : il a fallu au DRAF PACA trois dép<strong>la</strong>cements pour<br />
obtenir <strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> l’enveloppe in<strong>de</strong>mnitaire qui l’accompagne.<br />
80
ôle qui n’apparaît que si l’on revient en détail sur cette <strong>dynamique</strong>. Nous proposerons alors<br />
<strong>de</strong> théoriser cette organisation comme une « organisation-frontière » et essaierons <strong>de</strong> voir<br />
dans quelle mesure son travail <strong>de</strong> frontière dans <strong>la</strong> gestion du foyer s’articule aux enjeux <strong>de</strong><br />
framing agricole du foyer et aux enjeux <strong>de</strong> territorialisation <strong>de</strong> ces foyers. Ce premier cas sera<br />
mis en perspective pour questionner les modalités d’intervention <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche dans <strong>la</strong><br />
gestion du foyer Diabrotica. L’absence d’une « organisation-frontière » change <strong>la</strong>rgement <strong>la</strong><br />
structure <strong>de</strong> l’intervention scientifique, qui est à <strong>la</strong> fois plus faible, plus individuelle mais<br />
également plus détachée du cadrage agricole <strong>de</strong>s acteurs locaux dominants.<br />
1) Une « organisationfrontière » au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du foyer <br />
<strong>de</strong> TYLCV <br />
a) La station expérimentale d’Alenya, entre Recherche et <br />
Développement <br />
Une station INRA acteur historique du développement agricole local <br />
Organisme scientifique traversé par une tension constitutive entre activité <strong>de</strong> recherche<br />
et activité <strong>de</strong> développement, l’INRA s’appuie dans <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> ses activités sur un<br />
ensemble d’Unités expérimentales (UExp) qui remplissent trois missions principales : appui<br />
logistique aux activités <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoires, intervention dans l’organisation <strong>de</strong> productions et <strong>de</strong><br />
procédures d’homologations, enfin lieu entre les chercheurs et les milieux professionnels 135 .<br />
Dans les Pyrénées-Orientales, une Uexp a été créée par le département Sciences pour l’Action<br />
et le Développement (SAD) <strong>de</strong> l’INRA en 1968. Depuis cette date, elle a établi <strong>de</strong>s<br />
col<strong>la</strong>borations étroites avec <strong>la</strong> Chambre d’agriculture du département et été une structure<br />
centrale <strong>de</strong> promotion et d’appui au développement <strong>de</strong>s cultures sous abri dans <strong>la</strong> zone 136 .<br />
Dans les années 1970, elle a en effet consacré l’essentiel <strong>de</strong> ses moyens à <strong>la</strong> réalisation<br />
d’expérimentations très orientées vers une application dans le domaine du maraichage sous<br />
abri (conduite <strong>de</strong>s cultures hors sol, chauffage et enrichissement en gaz carbonique <strong>de</strong>s<br />
serres, instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> toits ouvrants dans les serres). A <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1980, les difficultés<br />
économiques <strong>de</strong> ces productions -liées notamment à l’accroissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> concurrence<br />
méditerranéenne (entrée <strong>de</strong> l’Espagne et du Portugal dans <strong>la</strong> CEE), <strong>la</strong> diversification<br />
croissante <strong>de</strong>s types d’exploitations maraîchères, <strong>la</strong> création <strong>de</strong> nombreuses stations<br />
régionales d’expérimentation ainsi que l’émergence <strong>de</strong> nouvelles préoccupations (qualité <strong>de</strong>s<br />
produits et environnement) ont incité <strong>la</strong> station à recentrer ses activités sur quelques cultures<br />
(tomate principalement) et dans l’objectif <strong>de</strong> construire, avec les acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière, <strong>de</strong>s<br />
systèmes <strong>de</strong> culture innovants et <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> raisonnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> conduite technique adaptés à<br />
135 Ces missions sont celles i<strong>de</strong>ntifiées dans le Rapport Chassin <strong>de</strong> réflexion sur les évolutions <strong>de</strong>s UE, texte<br />
donc à visée politique (2001). De fait, chacune <strong>de</strong>s 162 UE que compte l’INRA en 2004 développe <strong>de</strong>s activités<br />
qui sont propres et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions avec leur environnement spécifiques. Pour une comparaison du fonctionnement<br />
<strong>de</strong> plusieurs stations et une mise en perspective du fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> station d’Alenya vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
autres stations expérimentales du département SAD <strong>de</strong> l’INRA, nous renvoyons sur le rapport d’enquête<br />
collective que nous avons encadré dans le cadre du Master <strong>de</strong> sociologie du CSO (Brunelli, Camerati Moras et<br />
al. 2005). Cette section du chapitre s’appuie en partie sur les résultats <strong>de</strong> ce rapport (Prete and Barbier 2006).<br />
136 Au cours <strong>de</strong>s dix premières années <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> <strong>la</strong> station plus <strong>de</strong> 400 ha <strong>de</strong> serres et tunnels ont été<br />
construits dans <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ine du Roussillon pour les 2 principaux légumes (<strong>la</strong>itue et tomate).<br />
81
« une production légumière sous serre et abri en région méditerranéenne, rentable, <strong>de</strong> qualité<br />
et plus respectueuse <strong>de</strong> l’environnement» 137 .<br />
Une station entre Recherche et Développement <br />
En 2003, ces activités sont toujours réalisées en lien fort avec les acteurs du<br />
développement local. Ainsi, pour <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>s programmes d’expérimentation, <strong>la</strong> station<br />
est en re<strong>la</strong>tions avec les ingénieurs et techniciens <strong>de</strong>s organismes locaux (Chambre<br />
d’agriculture, SICA Centrex, Organisations <strong>de</strong> producteurs, DDAF, CIVAM Bio) ainsi que<br />
ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière maraîchage nationale (CTIFL, Stations régionales d’expérimentation, firmes<br />
d’agrofournitures). Elle a hérité d’un monopole au niveau départemental sur certaines<br />
activités (comme par exemples les essais variétaux sous serres). Dans son activité, elle peut<br />
donc avoir une position <strong>de</strong> partenaire que <strong>de</strong> concurrent par rapport aux autres acteurs du<br />
développement. Le partage <strong>de</strong>s tâches existant neutralise en effet <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s effets<br />
éventuels <strong>de</strong> concurrence : l’autre station d’expérimentation, <strong>la</strong> SICA Centrex, assure <strong>de</strong>s<br />
prestations complémentaires (<strong>de</strong>s essais variétaux en plein champ) et a conclu un accord avec<br />
Alenya pour expérimenter un volet <strong>de</strong> son programme (les sa<strong>la</strong><strong>de</strong>s) sur le domaine <strong>de</strong> cette<br />
<strong>de</strong>rnière. Quant au CTIFL (Centre Technique <strong>de</strong> l’Industrie <strong>de</strong>s Fruits et Légumes), financé en<br />
partie par <strong>la</strong> profession, il est beaucoup plus éloigné géographiquement (PACA) et n’est pas<br />
aussi souvent sollicité par les acteurs locaux. Tout ce<strong>la</strong> confère à <strong>la</strong> station une p<strong>la</strong>ce<br />
privilégiée auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> profession tant avec <strong>la</strong> chambre d’agriculture du département qu’avec<br />
les groupements <strong>de</strong> producteurs (OP, organisations <strong>de</strong> producteurs).<br />
« On fait <strong>de</strong>s calendriers, <strong>de</strong>s préconisations variétales, <strong>de</strong>s conseils sur <strong>la</strong> diversification <strong>de</strong>s<br />
cultures, <strong>de</strong>s commentaires sur les variétés pour les agriculteurs qui ne les connaîtraient pas<br />
bien. On signe toujours ces publications en association : il y a nos trois sigles sur chaque<br />
(INRA – CA –SICA Centrex). (…) »<br />
Responsable maraîchage <strong>de</strong> <strong>la</strong> chambre d’agriculture<br />
« Les liens sont re<strong>la</strong>tivement serrés. C’est un milieu très fermé. L’INRA pour nous c’est<br />
Alenya. On a très peu <strong>de</strong> contacts avec Avignon ou ailleurs. (…) Alenya, c’est, pour le<br />
département, pour le maraîchage, une force considérable. (…) on a <strong>la</strong> SICA Centrex aussi.<br />
Deux pôles <strong>de</strong> recherche, c’est vraiment une gran<strong>de</strong> force. »<br />
Technicien d’Organisation <strong>de</strong> Producteur<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’explication historique, <strong>de</strong>ux autres éléments sont à prendre en compte pour<br />
expliquer le fort ancrage local <strong>de</strong> <strong>la</strong> station dans son environnement et son orientation vers <strong>de</strong>s<br />
activités qui s’inscrivent dans <strong>de</strong>s perspectives <strong>de</strong> développement agricole. Le premier est <strong>la</strong><br />
structure <strong>de</strong> financement <strong>de</strong> <strong>la</strong> station. La moitié <strong>de</strong> son budget <strong>de</strong> fonctionnement provient en<br />
effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> sa production à une centrale d’achat locale. Cette contrainte est en même<br />
temps vécue comme une opportunité en ce qu’elle permet à l’UExp <strong>de</strong> s’astreindre aux<br />
conditions <strong>de</strong> production réelles d’une exploitation agricole, et par là même <strong>de</strong> bénéficier d’un<br />
crédit supplémentaire auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> profession. Le second est le parcours <strong>de</strong>s ingénieurss qui<br />
137 Installée sur un domaine <strong>de</strong> 19ha, <strong>la</strong> station est composée en 2004 d’une vingtaine <strong>de</strong> personnes organisées en<br />
<strong>de</strong>ux équipes : l’équipe <strong>de</strong> recherche (8 personnes, dont le directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> station) dirige les programmes et<br />
é<strong>la</strong>bore les protocoles ; l’équipe d’expérimentation (13 personnes) met en p<strong>la</strong>ce les expérimentations. Les<br />
expérimentations sont réalisées en situation <strong>de</strong> production avec <strong>de</strong>s calendriers et <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> culture<br />
analogues à ce que font les maraîchers serristes en région méditerranéenne.<br />
82
composent <strong>la</strong> station et qui entretiennent le réseau <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions extérieures 138 . L’équipe <strong>de</strong><br />
recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> station est en effet composée <strong>de</strong> personnes qui ont travaillé auparavant dans<br />
leurs carrière pour <strong>de</strong>s organismes <strong>de</strong> développement agricoles <strong>de</strong> <strong>la</strong> région.<br />
« Avant <strong>de</strong> travailler à l’INRA, j’étais conseillère agricole à <strong>la</strong> chambre d’agriculture, et je<br />
sais que les gens se posaient <strong>de</strong>s questions quand même <strong>de</strong> l’enchaînement <strong>de</strong>s cultures, du<br />
manque <strong>de</strong> prise en compte <strong>de</strong> cet enchaînement. […] J’ai eu un peu l’attitu<strong>de</strong> d’aller<br />
chercher <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations <strong>de</strong> chercheurs en étant porteur <strong>de</strong>s questions dont j’ai peut-être<br />
hérité <strong>de</strong> métier précé<strong>de</strong>nt.»<br />
Ingénieur <strong>de</strong> recherche<br />
De fait, on peut considérer que certaines <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> <strong>la</strong> station sont proches <strong>de</strong> elles d’un<br />
Institut technique (on y produit <strong>de</strong>s références techniques et variétales, notamment pour <strong>la</strong><br />
tomate).<br />
En même temps, l’Unité d’Alénya expérimente et participe à <strong>de</strong>s programmes scientifiques<br />
dans lesquels sont impliqués <strong>de</strong>s chercheurs <strong>de</strong> l’INRA. Ces programmes sont menés dans<br />
une logique re<strong>la</strong>tivement opportuniste et sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borations individuelles entre<br />
chercheurs externes INRA et membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> station 139 . Outre que ces col<strong>la</strong>borations donnent<br />
accès à <strong>de</strong>s financements, elles permettent également d’augmenter le niveau et le nombre <strong>de</strong>s<br />
publications, activités qui sont à l’INRA <strong>de</strong> plus en plus prises en compte dans les<br />
d’évaluation <strong>de</strong>s ingénieurs. Ces col<strong>la</strong>borations se heurtent à <strong>de</strong>ux difficultés : d’une part le<br />
fait que le département <strong>de</strong> rattachement <strong>de</strong> l’UExp - le SAD, qui <strong>de</strong>vrait être l’interlocuteur<br />
scientifique privilégié, n’est pas très <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> recherche 140 ; d’autre part<br />
le fait que les ingénieurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> station privilégient les approches qui permettent <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s<br />
résultats dans un temps re<strong>la</strong>tivement court et jugent les approches <strong>de</strong>s chercheurs externes<br />
souvent « déconnectées du terrain » (ingénieur).<br />
b) Une « organisationfrontière » dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> l’épidémie <strong>de</strong> <br />
TYLCV <strong>de</strong> 2004 <br />
Cette station expérimentale joue un rôle important dans <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du<br />
foyer <strong>de</strong> 2003. Comme nous allons le montrer en effet, si non seulement elle constitue un<br />
appui sur <strong>de</strong>s dimensions que les acteurs pourraient qualifier <strong>de</strong> « scientifiques » et<br />
« techniques » <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du foyer, elle joue également un rôle beaucoup moins évi<strong>de</strong>nt<br />
mais tout aussi important au niveau <strong>de</strong>s enjeux plus « politiques » <strong>de</strong> cette gestion, autour <strong>de</strong>s<br />
questions d’in<strong>de</strong>mnisation et <strong>de</strong> lutte collective contre les pathogènes. C’est l’analyse <strong>de</strong> ce<br />
rôle qui nous permet <strong>de</strong> conceptualiser son positionnement dans les mobilisations locales<br />
autour du foyer comme celui d’une « organisation-frontière ».<br />
La notion d’« organisationfrontière » <br />
138 Les techniciens assurent uniquement le suivi <strong>de</strong>s expérimentations, qui sont intégralement réalisées sur le<br />
domaine, sans participer à <strong>la</strong> diffusion <strong>de</strong> leurs résultats auprès <strong>de</strong>s partenaires.<br />
139 Les ingénieurs jouissent d’une forte autonomie dans l’orientation <strong>de</strong> leurs programmes au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
station.<br />
140 Au regard <strong>de</strong>s orientations <strong>de</strong> recherche du SAD, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> type mise en œuvre directe <strong>de</strong> protocoles<br />
expérimentaux sont moins faciles que dans d’autres départements (GAP).<br />
83
Dans <strong>la</strong> sociologie <strong>de</strong>s sciences, plusieurs travaux qui s’inscrivent dans <strong>la</strong> perspective<br />
du « Boundary-work » (Gieryn 1983), renvoient au concept <strong>de</strong> frontière comme espace <strong>de</strong><br />
conflictualité : il s’agit <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s distinctions entre le « Nous » et le « Eux » et d’asseoir<br />
une autorité –celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Science par exemple-, une légitimité sur un domaine d’activité.<br />
Certains travaux ont au contraire insisté sur <strong>la</strong> frontière comme lieu d’échange entre Mon<strong>de</strong>s<br />
sociaux, <strong>de</strong>s interfaces plus que <strong>de</strong>s clôtures. Plusieurs <strong>de</strong> ces travaux, dans <strong>la</strong> lignée <strong>de</strong><br />
l’anthropologie <strong>de</strong>s sciences(Latour 1989), s’intéressent à <strong>la</strong> dimension matérielle <strong>de</strong> ces<br />
échanges (Star and Griesemer 1989; Fujimura 1992; Bowker and Star 1999). Parmi ceux-ci,<br />
plusieurs recherches ont cherché à explorer également leur dimension organisationnelle,<br />
principalement dans <strong>la</strong> manière dont se faisait l’articu<strong>la</strong>tion entre les Mon<strong>de</strong>s sociaux «<br />
scientifique » et « politique » : Moore, à partir <strong>de</strong> l’exemple <strong>de</strong> trois organisations créés dans<br />
les années 1960/70 par <strong>de</strong>s scientifiques engagés (« scientific activists »), a proposé le concept<br />
<strong>de</strong> Public Interest organizations (Moore 1996) pour décrire <strong>de</strong>s organisations qui routinisent <strong>la</strong><br />
coopération entre les Mon<strong>de</strong>s sociaux tout en protégeant l’intégrité <strong>de</strong>s activités scientifiques.<br />
Dans <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> ce travail, Guston (Guston 1999; Guston 2001) s’est intéressé aux<br />
modalités <strong>de</strong> <strong>la</strong> stabilisation <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions entre les mon<strong>de</strong>s sociaux à partir <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> du<br />
fonctionnement <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions entre acteurs politiques et <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche dans <strong>la</strong> perspective<br />
théorique <strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> l’agence. Ce<strong>la</strong> l’a amené à proposer <strong>la</strong> conceptualisation <strong>de</strong>s<br />
Boundary organizations, définies par trois critères : elles fournissent les opportunités pour<br />
l’utilisation et <strong>la</strong> création d’objets-frontières et <strong>de</strong> standardized packages ; elles impliquent <strong>la</strong><br />
participation d’acteurs <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux cotés <strong>de</strong> <strong>la</strong> frontière et <strong>de</strong> professionnels <strong>de</strong> l’organisation ;<br />
elles existent à <strong>la</strong> frontière <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux Social worlds différents mais ont <strong>de</strong>s doivent rendre<br />
compte <strong>de</strong> leurs activités –<strong>de</strong> manière différentes- à chacun d’eux(Guston 2001). Dans le<br />
domaine agricole et dans une réflexion moins orientée sur l’interrogation <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />
Science/politique dans le cadre <strong>de</strong> procédures d’expertise, David Cash (Cash 2001) a analysé<br />
<strong>de</strong>s services <strong>de</strong> développement agricole (extension services) et plus particulièrement les<br />
CSREES (Cooperative State Research, Education and Extension Service) américains et<br />
souligné qu’ils remplissaient un rôle <strong>de</strong> Boundary-organizations, dans <strong>la</strong> mesure où ils<br />
agissaient comme lieu <strong>de</strong> rencontre et <strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tion entre les mon<strong>de</strong>s scientifiques, les<br />
mon<strong>de</strong>s professionnels et les mon<strong>de</strong>s administratifs. Nous inspirant <strong>de</strong> ce travail, dans un<br />
appareil <strong>de</strong> développement agricole différent, nous allons voir comment <strong>la</strong> station<br />
expérimentale <strong>de</strong> l’INRA joue également le rôle <strong>de</strong> Boundary organizations. Dans le contexte<br />
local <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone du Roussillon elle apparaît effectivement comme un lieu <strong>de</strong> rencontre entre<br />
différents mon<strong>de</strong>s, qui ne se contente pas <strong>de</strong> mener <strong>de</strong>s actions techniques ou scientifiques<br />
dans le cadre direct <strong>de</strong> ses missions mais qui joue un rôle d’interface entre les producteurs,<br />
l’administration et le mon<strong>de</strong> scientifique externe au contexte local.<br />
La mobilisation <strong>de</strong> l’UExp d’Alenya : au<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’appui « technique » et <br />
« scientifique » <br />
Conformément à ses missions <strong>de</strong> stations expérimentales et à son positionnement dans<br />
l’appareil <strong>de</strong> développement agricole local, l’Uexp d’Alenya, suite aux premières<br />
mobilisations professionnelles <strong>de</strong>s années 2000 et au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion du foyer <strong>de</strong> 2003<br />
s’impliquer dans <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> conseil technique directe aux producteurs et, parallèlement,<br />
s’impliquer dans <strong>la</strong> mobilisation <strong>de</strong> chercheurs scientifiques externes au dispositif <strong>de</strong><br />
développement local sur <strong>de</strong>s questions soulevées par le foyer.<br />
Du fait <strong>de</strong> son fort ancrage local, <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong> station sont invités au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
cellule <strong>de</strong> veille au moment <strong>de</strong> sa création. A ce titre, ces représentants participent aux<br />
84
éflexions engagées au sein <strong>de</strong> cette cellule sur le calcul <strong>de</strong>s surcouts lié à l’apparition <strong>de</strong><br />
Bemisia et <strong>de</strong> ses virus, sur les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> lutte envisageable et sur les programmes<br />
d’expérimentation à mettre en p<strong>la</strong>ce afin <strong>de</strong> répondre aux problèmes agronomiques nouveaux.<br />
La station d’Alenya, située au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone <strong>de</strong> production, est même un lieu physique <strong>de</strong><br />
certaines réunions <strong>de</strong>s techniciens locaux (CA, Sica-Centrex, GDA, OP) 141 . Lorsque <strong>la</strong><br />
Chambre d’Agriculture et <strong>la</strong> SICA-centrex organisent un voyage <strong>de</strong> techniciens dans <strong>de</strong>s<br />
zones <strong>de</strong> production espagnoles touchées par le TYLCV (Almeria), un ingénieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> station<br />
INRA fait partie du voyage et participent aux discussions sur les mesures à prendre.<br />
L’UExp promeut les filets insect-proofs et est particulièrement investie sur cette question.<br />
Engagée <strong>de</strong>puis quelques années en faveur du développement <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Lutttes<br />
Intégrées au niveau local, elle pousse en effet cette mesure qui se pose alors possiblement<br />
comme une alternative à <strong>la</strong> lutte chimique qui est <strong>la</strong>rgement re<strong>la</strong>ncée par les agriculteurs. En<br />
2002, dans <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> <strong>la</strong> problématique Bemisia/TYLCV, <strong>la</strong> station réoriente ses essais<br />
et les premières expérimentations sont consacrées aux effets <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong>s filets sur les<br />
mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> production. En 2004, elle met également en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s essais consacrés à<br />
l’éventuelle résistance <strong>de</strong> variétés <strong>de</strong> tomates.<br />
La station d’Alenya cherche à articuler son propre engagement sur cette thématique et<br />
l’évolution <strong>de</strong> ses programmes d’expérimentation avec <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> recherches plus<br />
fondamentales qui pourraient être intéressées. On peut rappeler pour illustrer ce<strong>la</strong> que c’est le<br />
directeur <strong>de</strong> l’UExp qui est à l’origine <strong>de</strong> mes travaux <strong>de</strong> recherche, favorisant, dans le cadre<br />
d’une Action INRA sur <strong>la</strong> Protection Intégrée <strong>de</strong>s Cultures (PIC), <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un stage<br />
<strong>de</strong> DEA à l’été 2004 sur <strong>la</strong> gestion du TYLCV. Avec <strong>la</strong> Chambre d’Agriculture et <strong>la</strong> Sica-<br />
Centrex, elle é<strong>la</strong>bore une réponse à l’appel d’offre du programme franco-espagnol<br />
INTERREG III, intitulée « Contrôle et Prévention <strong>de</strong>s virus transmis par Bemisia Tabaci en<br />
cultures horticoles». Dans le cadre <strong>de</strong> ce projet, elle est un appui pour les chercheurs du<br />
CBGP qui ont commencé à s’engager sur l’enjeu Bemisia (cf. Chap. 2) et qui cherchent, sans<br />
succès, à faire financer <strong>de</strong>s expérimentations sur l’utilisation <strong>de</strong>s myco-insectici<strong>de</strong>s 142 . Avec<br />
plus <strong>de</strong> succès, elle sert d’intermédiaire pour faire rentrer <strong>de</strong> l’équipe du CIRAD <strong>de</strong><br />
Montpellier qui est chargée <strong>de</strong> <strong>la</strong> caractérisation <strong>de</strong>s biotypes <strong>de</strong> l’insecte.<br />
Pour prendre <strong>la</strong> mesure du rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> station INRA dans <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> gestion du<br />
foyer, il est nécessaire <strong>de</strong> prendre en compte d’autres activités qui ne renvoient pas<br />
directement à un appui scientifique et technique. L’analyse <strong>de</strong> ces activités autres,<br />
hétérogènes, met en évi<strong>de</strong>nce l’importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> station dans les négociations autour <strong>de</strong>s<br />
enjeux d’in<strong>de</strong>mnisations et d’adaptation <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte obligatoires.<br />
Premièrement, l’UExp est à l’initiative <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation professionnelle qui a lieu en 2003<br />
au moment <strong>de</strong> l’épidémie. Nous avons en effet vu comment les organisations professionnelles<br />
s’investissent <strong>de</strong>puis 2000 dans <strong>de</strong>s négociations avec les pouvoirs publics sur les mesures <strong>de</strong><br />
lutte et <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnisations. En 2003 alors que le TYLCV commence à toucher <strong>de</strong>s<br />
exploitations, cette mobilisation professionnelle est quelque peu affaiblie : les producteurs<br />
touchés, par peur <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte communiquent peu sur leur ma<strong>la</strong>die et les syndicats<br />
professionnels sont en position d’attente, position qui est renforcée par une opposition entre <strong>la</strong><br />
FDSEA et le Syndicat <strong>de</strong>s Maraîchers. La station d’Alenya, pour <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
141 Cf. Réunion du 7/11/2001, réunion du 29/11/2001.<br />
142 La Chambre d’agriculture déci<strong>de</strong> <strong>de</strong>s axes retenus et déci<strong>de</strong> d’arbitrer en défaveur <strong>de</strong> cet axe.<br />
85
protection phytosanitaire est récente 143 n’est au départ pas très liée à cette mobilisation.<br />
Cependant, en 2003, elle est au centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> remobilisation professionnelle. D’une part, c’est<br />
elle qui publicise <strong>la</strong> première <strong>la</strong> présence du TYLCV dans <strong>la</strong> zone <strong>de</strong> Production.<br />
Organisation productive, <strong>la</strong> station d’Alenya est touchée par les premiers symptômes du virus<br />
au printemps 2003. Des visites chez <strong>de</strong>s producteurs voisins permettent au directeur <strong>de</strong> se<br />
rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence plus généralisée du virus.<br />
« Durant le printemps 2003, il y avait un certain nombre <strong>de</strong> foyers présents chez les serristes<br />
mais qui n’étaient pas déc<strong>la</strong>rés officiellement (…) donc <strong>la</strong> situation disons elle couvait<br />
pendant tout le printemps 2003 jusqu’à mi-mai où nous sur <strong>la</strong> station on a vu une p<strong>la</strong>nte<br />
ma<strong>la</strong><strong>de</strong> puis 10, puis 100 avec une épidémie assez foudroyante. »<br />
Directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Station INRA d’Alenya<br />
Suite à ce<strong>la</strong>, il entre en contact avec le SRPV Languedoc-Roussillon par l’intermédiaire d’un<br />
réseau hiérarchique INRA qu’il avait déjà utilisé l’année précé<strong>de</strong>nte lorsqu’il avait été<br />
confronté à une épidémie <strong>de</strong> ToCV et l’informe <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire. L’épidémie <strong>de</strong><br />
TYLCV <strong>de</strong>vient ainsi officielle. D’autre part et directement suite à cette publicisation, il<br />
organise une réunion sur <strong>la</strong> station le 18 juin à <strong>la</strong>quelle sont présents <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong><br />
toutes les Organisations <strong>de</strong> Producteurs (OP), qui prennent alors <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité et <strong>de</strong><br />
l’ampleur du problème sanitaire. Cette réunion re<strong>la</strong>nce <strong>la</strong> mobilisation <strong>de</strong>s représentants<br />
professionnels et lorsque ceux-ci se réunissent quelques jours plus tard pour mettre en p<strong>la</strong>ce<br />
un p<strong>la</strong>n d’action visant à obtenir <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnisations, le directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> station est présent.<br />
Deuxièmement, et suite à cette publicisation, l’UExp INRA en col<strong>la</strong>boration avec le<br />
responsable maraîchage <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre d'Agriculture et le technicien <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sica-Centrex<br />
réflechissent à <strong>de</strong>s mesures individuelles <strong>de</strong> lutte (arrachage <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, gestion <strong>de</strong>s<br />
fins <strong>de</strong> cultures et <strong>de</strong>s abords <strong>de</strong>s serres). La diffusion <strong>de</strong> ces mesures aux techniciens du<br />
département est autorisée par les représentants <strong>de</strong>s Organisations <strong>de</strong> Producteur sous réserve<br />
qu’elle se fasse <strong>de</strong> manière orale 144 . Ils cherchent également –sans succès- à promouvoir<br />
l’organisation d’un vi<strong>de</strong> sanitaire au niveau du département 145 . Il s’agit ainsi <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s<br />
éléments visant à dépasser les seules mesures <strong>de</strong> lutte prévues dans les arrêtés <strong>de</strong> lutte<br />
obligatoires qui prévoient <strong>de</strong>s mesures assez drastiques pour les exploitations touchées.<br />
Troisièmement <strong>la</strong> station est à l’initiative <strong>de</strong> rencontres entre les Organisations<br />
professionnelles et l’administration. Elle est ainsi initiatrice <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux réunions <strong>de</strong> concertation<br />
sur les in<strong>de</strong>mnisations et d’éventuelles adaptation <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> luttes songanisées à <strong>la</strong><br />
DGAL à l’été 2003 146 . Elle est également à l’initiative avec <strong>la</strong> Sica-Centrex, d’une proposition<br />
143 Les premiers travaux datent <strong>de</strong> 1998 et c’est en 2000 qu’un technicien <strong>de</strong> <strong>la</strong> station passé à l’équipe <strong>de</strong><br />
recherche se spécialise sur <strong>la</strong> thématique.<br />
144 Les responsables <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> producteurs craignent que <strong>la</strong> diffusion publique et écrite <strong>de</strong> ces mesures<br />
constitue une preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination généralisée <strong>de</strong>s cultures <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone. Ils font, selon le CR d’une réunion<br />
technique organisée autour <strong>de</strong> ces mesures, « un appel à <strong>la</strong> responsabilité professionnelle <strong>de</strong> tous les techniciens<br />
pour ne pas diffuser hors département ces informations ».<br />
145 Cette mesure qui consiste à faire en sorte que tous les producteurs d’une zone arrête <strong>de</strong> produire en même<br />
temps pendant une pério<strong>de</strong> donnée afin <strong>de</strong> réduire l’inoculum du pathogène avait en effet été signalée au<br />
directeur d’Alenya par un chercheur du CIRAD participant au programme Interreg comme ayant permis <strong>de</strong> gérer<br />
une épidémie <strong>de</strong> TYLCV en République dominicaine. Les OP refusent le principe du vi<strong>de</strong> sanitaire pour <strong>de</strong>s<br />
raisons commerciales, ce<strong>la</strong> impliquerait en effet d’arrêter <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s tomates en hiver, au moment <strong>de</strong> leur<br />
rentabilité maximale.<br />
146<br />
Ces réunions sont organisées par le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Oniflhor, producteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone, qui connaît<br />
personnellement le directeur <strong>de</strong> l’INRA. C’est après que ce <strong>de</strong>rnier ait exposé au premier <strong>la</strong> situation sanitaire<br />
86
<strong>de</strong> mécanisme <strong>de</strong> remontée <strong>de</strong> l’information sanitaire qui pourrait constituer une condition <strong>de</strong><br />
l’extension du protocole sanitaire provençal au département <strong>de</strong>s Pyrénées-Orientales, qui est<br />
discuté lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion du 7 mai 2004 147 (cf. supra).<br />
Toutes ces activités renvoient à un domaine que les acteurs eux-mêmes définissent<br />
comme le domaine « politique » ou « économique »–les re<strong>la</strong>tions avec l’administration, les<br />
négociations avec l’administration, les stratégies diffusion <strong>de</strong> l’information sanitaire et <strong>la</strong><br />
prise en compte <strong>de</strong>s conséquences financières et commerciales <strong>de</strong> cette diffusion. Ce constat<br />
met en évi<strong>de</strong>nce le double rôle <strong>de</strong> l’UExp <strong>de</strong> l’INRA, acteur à <strong>la</strong> fois engagé directement dans<br />
<strong>de</strong>s activités expérimentales et scientifiques et en même temps engagé dans <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong><br />
mise en re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s autres acteurs entre eux et <strong>de</strong> catalyse <strong>de</strong> leur col<strong>la</strong>boration. C’est ce<br />
double rôle qui <strong>la</strong> constitue en tant qu’ «organisation-frontière » dans <strong>la</strong> gestion du foyer <strong>de</strong><br />
TYLCV en 2003.<br />
L’UExp comme « organisationfrontière » <br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> leur hétérogénéité, les actions énumérées ci-<strong>de</strong>ssus s’inscrivent dans<br />
l’objectif <strong>de</strong> favoriser <strong>la</strong> rencontre entre différents mon<strong>de</strong>s sociaux et tenter <strong>de</strong> résoudre un<br />
certain nombre d’enjeux qui sont présentés comme <strong>de</strong>s blocages <strong>de</strong> l’action collective :<br />
in<strong>de</strong>mnisations, circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l’information, col<strong>la</strong>boration entre bassins <strong>de</strong> productions.<br />
De fait, l’UExp promeut une gestion du problème Bemisia/viroses qui repose sur <strong>de</strong>ux<br />
principes : <strong>la</strong> mobilisation contre Bemisia doit être collective ; elle suppose une certaine<br />
transparence sur <strong>la</strong> situation sanitaire et éventuellement <strong>la</strong> coopération avec les autorités<br />
sanitaires. Elle partage cette perspective avec les techniciens <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sica-<br />
Centrex mais a contrairement à eux une indépendance vis-à-vis <strong>de</strong>s Organisations<br />
professionnelles qui lui permet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pousser, que ce soit en faisant circuler <strong>de</strong> l’information<br />
ou en organisant les réunions.<br />
Un retour sur l’organisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion du 18 juin 2003 permet d’illustrer ce<strong>la</strong>.<br />
Premièrement, notons que <strong>la</strong> réunion est à l’initiative <strong>de</strong> <strong>la</strong> station : si elle peut provoquer<br />
cette réunion et le fait seul c’est parce qu’elle bénéficie alors auprès <strong>de</strong>s producteurs d’une<br />
image re<strong>la</strong>tivement neutre 148 au regard <strong>de</strong>s conflits entre les syndicats, entre les organisations<br />
<strong>de</strong> producteurs et <strong>de</strong>s oppositions <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers avec l’administration. Deuxièmement,<br />
soulignons que cette réunion répond à plusieurs objectifs. Tout d’abord, il s’agit <strong>de</strong><br />
remobiliser les représentants syndicaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre d’Agriculture –non pas <strong>de</strong> les courtcircuiter,<br />
et <strong>de</strong> faire en sorte que cette remobilisation prenne en compte l’ensemble <strong>de</strong>s<br />
organisations <strong>de</strong> producteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone. Surtout, il s’agit, en mettant tout le mon<strong>de</strong> autour <strong>de</strong><br />
préoccupante du département qu’ils ont décidé <strong>de</strong> tenter d’organiser une réunion <strong>de</strong> concertation<br />
DGAL/Organisations professionnelles locales et nationales à l’Office.<br />
147 Soulignons que cette réunion se tient sur <strong>la</strong> station d’Alenya. Concrètement cette proposition consiste en ce<br />
que les producteurs et leurs organisations s’engagent à transmettre l’information sur <strong>la</strong> contamination <strong>de</strong> leurs<br />
cultures au technicien <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sica Centrex, qui se chargerait <strong>de</strong> <strong>la</strong> collecter et, sur cette base, d’informer<br />
l’administration <strong>de</strong> manière non nominale <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire.<br />
148 Un entretien avec un producteur nous a explicitement souligné ce point : « il fal<strong>la</strong>it peut-être quelqu’un <strong>de</strong><br />
neutre et d’indépendant pour regrouper les gens » (entretien Producteur)<br />
87
<strong>la</strong> table et en faisant prendre conscience <strong>de</strong> <strong>la</strong> dimension épidémique <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation, <strong>de</strong> créer<br />
les conditions d’une coopération avec <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s Végétaux 149 .<br />
Cette mobilisation sur <strong>la</strong> gestion du foyer s’explique également au prisme <strong>de</strong>s intérêts<br />
stratégiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> station. On peut en effet i<strong>de</strong>ntifier certains <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> station à<br />
promouvoir une gestion collective et transparente du foyer. Un premier enjeu est celui du<br />
risque <strong>de</strong> se voir être rerndu responsable du développement du pathogène : le directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Station INRA cherche, alors qu’il est fortement atteint par le TYLCV, à faire en sorte que<br />
l’épidémie soit déc<strong>la</strong>rée officiellement par les autres producteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone pour que <strong>la</strong><br />
station ne soit pas accusée d’être à l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die. Un précé<strong>de</strong>nt récent, l’affaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Sharka (cf. conclusion), lui fait en effet craindre une mise en accusation <strong>de</strong> l’INRA d’avoir<br />
importé le virus : il s’agit d’éviter <strong>la</strong> transformation d’une alerte en imputation <strong>de</strong><br />
responsabilité (Borraz, Besançon et al. 2004). Par ailleurs, si elle est moins dépendante <strong>de</strong>s<br />
produits <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> <strong>la</strong> récolte que les producteurs pour sa survie financière –l’INRA peut<br />
alimenter le budget en cas <strong>de</strong> difficultés temporaire–, <strong>la</strong> station d’Alenya a néanmoins une<br />
gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> son budget <strong>de</strong> fonctionnement qui dépend <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente <strong>de</strong><br />
légumes. Il est donc important pour elle, touchée, d’initier une réflexion sur les mesures à<br />
prendre pour pouvoir continuer <strong>la</strong> production <strong>de</strong> tomate à moyen ou long terme dans le<br />
département et possible d’envisager <strong>la</strong> possibilité d’un vi<strong>de</strong> sanitaire.<br />
Dans son rôle d’ « organisation-frontière », <strong>la</strong> station possè<strong>de</strong> un certain nombre <strong>de</strong><br />
ressources évoquées au fil du texte, que nous pouvons résumer ici. Premièrement, elle<br />
bénéficie d’un ancrage historique local fort, qui lui donne une légitimité importante auprès<br />
<strong>de</strong>s organisations professionnelles <strong>de</strong> <strong>la</strong> région. Deuxièmement, elle est très insérée, via<br />
notamment ses ingénieurs, dans un nombre important <strong>de</strong> réseaux techniques à a fois locaux et<br />
extra-locaux. Troisièmement, elle est également liée, en tant qu’institution <strong>de</strong> recherche<br />
publique et par <strong>de</strong>s liens interpersonnels à l’administration sanitaire et à <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong><br />
réflexion scientifiques. Quatrièmement, elle bénéficie –comparativement aux stations<br />
expérimentales- d’une autonomie financière et politique qui lui permet d’être plus libre que<br />
ces <strong>de</strong>rnières dans ses actions. Cependant, elle est également exposée à un certain nombre <strong>de</strong><br />
contraintes qui limitent son action. En effet, si les contraintes <strong>de</strong>s « organisations frontières »<br />
sont en général très peu évoquées, leur prise en compte est essentielle pour analyser les effets<br />
et les enjeux <strong>de</strong> leurs activités.<br />
c) Une « organisationfrontière » limitée <br />
L’ « organisationfrontière », un agent <strong>de</strong> changement intrinséquement <br />
conservateur <br />
Les travaux <strong>de</strong> C. Henke sur l’action <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> développement agricoles<br />
américains (Henke 2000; Henke 2006), s’ils ne mobilisent pas directement <strong>la</strong> notion<br />
d’ « organisation-frontière », sont un appui pour souligner <strong>la</strong> nature limitée et tendue du<br />
travail <strong>de</strong> frontière qui peut être opérée par un acteur comme l’UExp d’Alenya.<br />
149 Soulignon que nous ne développons pas ici, sur <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong> PV autour <strong>de</strong> l’enjeu <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce du territoire, <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> « médiateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce » que <strong>la</strong> station peut être remplir, point<br />
que nous développons au chap. 5, mais qui s’inscrit pleinement dans cette orientation d’ « organisationfrontière<br />
».<br />
88
Etudiant l’activité d’organisations publiques <strong>de</strong> recherche agronomiques appliquées, Henke<br />
interroge leur capacité à être <strong>de</strong>s vecteurs locaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> « mo<strong>de</strong>rnisation écologique » (Mol<br />
1996) du mon<strong>de</strong> agricole et montre que leur positionnement est structurellement conservateur.<br />
En effet, leur pouvoir d’influence et <strong>de</strong> persuasion –dans le cas <strong>de</strong> Henke, en vue <strong>de</strong> mettre en<br />
p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s pratiques agricoles moins néfastes pour l’environnement- auprès <strong>de</strong>s producteurs et<br />
<strong>de</strong>s organisations professionnelles dépend du lien étroit qu’elles entretiennent avec eux. En<br />
même temps, les soutiens financiers qu’elles peuvent recevoir <strong>de</strong>s pouvoirs publics pour<br />
développer ces pratiques dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leur capacité à montrer qu’elles développent ces<br />
pratiques et qu’elles ne sont pas « au service » uniquement <strong>de</strong>s organisations professionnelles.<br />
Leur positionnement les amène donc nécessairement à privilégier <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> position<br />
moyenne et à tenter <strong>de</strong> faire évoluer les pratiques <strong>de</strong> manière très progressive, en s’appuyant<br />
sur <strong>la</strong> légitimité du droit et <strong>de</strong> l’apprentissage par l’exemple 150 .<br />
De <strong>la</strong> même manière, nous pouvons souligner que si l’UExp INRA peut agir dans le sens<br />
d’une gestion collective et transparente <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire locale, elle ne peut, au risque<br />
<strong>de</strong> perdre son image <strong>de</strong> neutralité et son insertion dans <strong>de</strong> multiples mon<strong>de</strong>s se montrer trop<br />
radicale dans ses positionnements et dans ses actions, qui se font essentiellement sous le mo<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> proposition. Dans cette perspective, on comprend également qu’elle est difficilement un<br />
vecteur <strong>de</strong> problématisation alternative du foyer tel qu’il est problématisé par les principaux<br />
acteurs. Le foyer par exemple est-il lié à un manque d’in<strong>de</strong>mnisations et un équipement<br />
inadapté <strong>de</strong>s serres chauffées (filets qui doivent être subventionnés) ou bien est-il <strong>la</strong><br />
conséquence d’un modèle d’organisation productif et commercial industriel et libéralisé qui<br />
favorise <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s pathogènes et <strong>la</strong> fragilité commerciale <strong>de</strong>s exploitations à leur<br />
occurrence ? Le problème est-il celui <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> l’application du droit en termes <strong>de</strong><br />
Luttes obligatoire ou celui <strong>de</strong> l’inadaptatoin d’un cadre réglementaire d’éradication qui n’a<br />
pas les moyens <strong>de</strong> son application ? Le problème est-il celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> baisse <strong>de</strong>s revenus et <strong>de</strong>s<br />
conséquences économiques néfastes pour les agriculteurs, ou bien celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> remise en cause<br />
<strong>de</strong>s avancées en termes <strong>de</strong> Lutte Intégrée liée à l’irruption <strong>de</strong>s viroses ? Ces questions, qui<br />
constituent <strong>de</strong>s enjeux affichés par exemple dans le programme BemisiaRisk auquel participe<br />
l’UExp et <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> certains membres <strong>de</strong> l’UExp ne peuvent, dans le cours <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
gestion du foyer, constituer les articu<strong>la</strong>tions d’un positionnement.<br />
Un ancrage local fragilisé par les transformations <strong>de</strong> l’appareil <strong>de</strong> développement <br />
agricole <br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce conservatisme inhérent, l’analyse du rôle <strong>de</strong> l’UExp nécessite <strong>la</strong> prise en<br />
compte <strong>de</strong>s contraintes propres à celle-ci au moment du foyer A ce titre, il est important <strong>de</strong><br />
souligner que l’UExp est, au moment du foyer, à un moment d’incertitu<strong>de</strong> quant à son<br />
positionnement dans l’appareil <strong>de</strong> développement agricole local.<br />
Cette incertitu<strong>de</strong> renvoie à <strong>de</strong>ux dimensions. La première est interne à l’INRA comme<br />
organisation. En effet, les Unités expérimentales sont l’objet au moment du foyer <strong>de</strong><br />
réflexions collectives sur leur avenir, qui s’orientent vers leurs transformations en<br />
« P<strong>la</strong>teformes <strong>de</strong> recherche et <strong>de</strong> développement », c’est à dire en organisations plus en appui<br />
à <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> recherche externes qu’au développement local, et plus ouvertes aux<br />
150 C’est à dire qu’il s’agit <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce par exemple <strong>de</strong>s expérimentations concrètes chez un ou <strong>de</strong>ux<br />
producteurs, qui montrent <strong>la</strong> viabilité économique et <strong>la</strong> faisabilité agronomique <strong>de</strong>s orientations<br />
environnementales qui les sous-ten<strong>de</strong>nt.<br />
89
problématiques environnementales moins travaillées par l’appareil <strong>de</strong> développement. La<br />
secon<strong>de</strong> est plus importante au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> du foyer. Au moment où celui-ci se<br />
développe, l’ancrage historiquement construit <strong>de</strong> <strong>la</strong> station dans les réseaux productifs locaux<br />
est fragilisé par une montée en puissance du conseil technique privé. De manière<br />
schématique 151 , si le conseil technique aux exploitants serristes a traditionnellement été très<br />
encadré par <strong>de</strong>s structures proches <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre d’agriculture (CA, GDA, Sica Centrex)<br />
avec lesquelles l’UExp a <strong>de</strong> fortes re<strong>la</strong>tions, ces structures ainsi que l’UExp per<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leur<br />
influence à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990. En effet, l’accroissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> concurrence entre les<br />
bassins <strong>de</strong> production et <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong> l’organisation économique ont favorisé le<br />
développement d’une animation technique au sein <strong>de</strong>s Organisations économiques, les<br />
Organisations <strong>de</strong> producteurs, qui est beaucoup plus cloisonnée et très orientée vers <strong>de</strong>s<br />
impératifs <strong>de</strong> rentabilité économique 152 . La citation suivante exprime le sentiment<br />
d’éloignement que cette double contraine peut faire naître chez les membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> station :<br />
« A une époque, c’était beaucoup plus facile [le contact avec les producteurs]. C’est lié à<br />
l’histoire d’Alénya, Alénya produisait <strong>de</strong>s résultats pour améliorer le ren<strong>de</strong>ment, ça attirait<br />
beaucoup <strong>de</strong> gens. Maintenant quand on produit <strong>de</strong>s résultats pour moins dégra<strong>de</strong>r<br />
l’environnement, ça n’attire personne. Même si c’est bon pour le ren<strong>de</strong>ment, <strong>de</strong>rrière y’a pas<br />
un lien. Comme <strong>la</strong> situation économique est difficile, ils [les producteurs] sont pas<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> difficultés supplémentaires. Donc on n’a pas cette attractivité qu’on avait<br />
avant, quand y’avait cette recherche d’encadrement technique »<br />
Ingénieur<br />
Le foyer constitue à <strong>la</strong> fois un espace <strong>de</strong> mobilisation au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle l’UExp peut –en<br />
lien avec les techniciens proches <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre- tenter <strong>de</strong> s’affirmer ou se réaffirmer comme<br />
un acteur incontournable du système <strong>de</strong> développement local et en même temps une<br />
illustration <strong>de</strong> sa marginalisation re<strong>la</strong>tive : sa mobilisation permet le déconfinement <strong>de</strong><br />
l’épidémie en 2003, l’organisation <strong>de</strong> réunions « politiques » et « techniques », l’adoption <strong>de</strong><br />
mesures <strong>de</strong> luttes individuelles…mais ses effets restent limités comme l’illustrent <strong>la</strong> non<br />
application du vi<strong>de</strong> sanitaire ou le rejet par les OP du dispositif imaginé pour rendre possible<br />
l’extension du protocole sanitaire.<br />
151 Cf. Pour un développement <strong>de</strong> cette question au niveau local, voir (Prete 2004; Prete and Barbier 2004). Pour<br />
une mise en perspective internationale et historique <strong>de</strong> <strong>la</strong> privatisation <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> conseil en agriculture, on<br />
se référera utilement à (Labarthe 2006).<br />
152 Le déclin du GDA, structure importante du maintien d’un lien <strong>de</strong>s techniciens entre eux, <strong>de</strong>s techniciens avec<br />
<strong>la</strong> Chambre d’Agriculture et <strong>la</strong> Cellule <strong>de</strong> Veille, et <strong>de</strong>s producteurs avec <strong>la</strong> Chambre d’Agriculture et <strong>la</strong> Cellule<br />
<strong>de</strong> Veilles, illustre ce processus : Il emploie en 2000/2001/2002 trois techniciens pour suivre environ 90<br />
producteurs du département. Progressivement il se vi<strong>de</strong> avec le développement <strong>de</strong> l’appui technique au sein <strong>de</strong>s<br />
Organisations <strong>de</strong> Producteur et le développement <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s à l’appui technique via l’organisation économique.<br />
En 2004, il ne regroupe plus qu’une trentaine <strong>de</strong> producteurs (75% sont <strong>de</strong>s producteurs <strong>de</strong> tomate) suivis par un<br />
technicien et appartenant à un nombre réduit d’OP.<br />
90
V - L’épidémiosurveil<strong>la</strong>nce, entre recherche et gestion,<br />
une activité-frontière<br />
J'espère que ce matin vous avez bien compris qu'il y a les<br />
problèmes administratifs, les problèmes <strong>de</strong> recherche fondamentale,<br />
les intérêts privés, nationaux, socio-économiques et <strong>la</strong> Science là<strong>de</strong>dans.<br />
Un chercheur<br />
A - Introduction<br />
1) Les chercheurs et les administratifs dans <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce : <br />
retour sur un atelier <strong>de</strong> l’Organisation Européenne <strong>de</strong> <strong>la</strong> <br />
Protection <strong>de</strong>s P<strong>la</strong>ntes <br />
En mai 2007, nous avons participé à un atelier <strong>de</strong> travail organisé par l’Organisation<br />
Européenne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes consacré au Pest Reporting 153 . Durant quelques jours,<br />
nous avons eu ainsi l’opportunité <strong>de</strong> prendre part à une réunion internationale tenue sous<br />
l’égi<strong>de</strong> d’une organisation centrale du domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes et d’avoir accès à<br />
un certains nombres <strong>de</strong> représentants administratifs, <strong>de</strong> pouvoir les observer au travail et <strong>de</strong><br />
mieux comprendre leur manière <strong>de</strong> penser un thème qui, au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> multiplication <strong>de</strong>s<br />
références qui y sont faites dans les documents officiels, apparaît central : <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce du<br />
territoire. Cette arène était d’autant plus intéressante que les discussions entre les participants<br />
y semb<strong>la</strong>ient assez ouvertes, facilitées par le fait qu’elles n’étaient ni enregistrées, ni<br />
retranscrites (seules les recommandations finales l’ont été) et que les présentations étaient<br />
ponctuées d’activités moins officielles (restaurants, pauses-café) : l’atelier apparaisssait<br />
comme un lieu <strong>de</strong> réanimation et <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions informelles entre <strong>de</strong>s ingénieurs<br />
administratifs européens 154 , dans lequel ils pouvaient faire état <strong>de</strong> leurs questionnements<br />
ouvertement et, <strong>de</strong> manière assez partagée, faire par exemple état <strong>de</strong> leurs manques <strong>de</strong><br />
moyens humains et matériels pour mener à bien leurs missions.<br />
Durant les échanges, nous ne fûmes pas étonné <strong>de</strong> voir que les données <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce furent<br />
présentées comme <strong>de</strong>s données sensibles. Il fut rappelé combien leur publicisation pouvait<br />
153 Durant trois jours, <strong>de</strong>s représentants d’administrations européennes d’administrations <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>ntes se réunissent à Lyon, à l’invitation du Ministère <strong>de</strong> l’agriculture français, pour discuter <strong>de</strong> normes <strong>de</strong><br />
l’OIPV re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce et au signalement <strong>de</strong>s pathogènes <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes (les normes 6 (gui<strong>de</strong>lines for<br />
surveil<strong>la</strong>nce), 8 (<strong>de</strong>termination of a pest status in a area), 9 (gui<strong>de</strong>lines for pest eradication programmes), 13<br />
(gui<strong>de</strong>lines for the notification of non-compliance and emergency action) et 17 (pest reporting)). Le but <strong>de</strong><br />
l’atelier, selon D. Nowell, secrétaire <strong>de</strong> l’organisation internationale qui introduit <strong>la</strong> première journée, est <strong>de</strong> faire<br />
<strong>de</strong>s « recommandations réalistes », sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong>s expériences concrètes <strong>de</strong>s acteurs présents, afin <strong>de</strong> permettre<br />
aux pays membres <strong>de</strong> mieux s’approprier les normes.<br />
154 Notre enquête ne nous permet pas d’aller plus avant dans <strong>la</strong> qualification <strong>de</strong> cette arène et l’évaluation <strong>de</strong> sa<br />
p<strong>la</strong>ce dans le dispositif institutionnel international <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s végétaux.<br />
91
avoir <strong>de</strong>s conséquences importantess sur les échanges commerciaux 155 , diminuant les<br />
possibilités d’exportation <strong>de</strong>s pays touchés par un pathogène et favorisant au contraire les<br />
pays capables <strong>de</strong> justifier d’une situation sanitaire in<strong>de</strong>mne. Ainsi, les discussions permirent<br />
d’évoquer le fait que, par rapport à <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce du territoire et malgrè leurs obligations<br />
internationales, les administrations pouvaient parfois avoir une attitu<strong>de</strong> attentiste par rapport<br />
au signalement <strong>de</strong> nouvelles pestes, préférant attendre par exemple que d’autres pays<br />
déc<strong>la</strong>rent une découverte pour éviter <strong>de</strong> porter seules le stigmate <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination, <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>voir mettre en œuvre <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte coûteuses ou encore <strong>de</strong> subir les conséquences<br />
commerciales <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte d’un foyer. Les discussions permirent également <strong>de</strong> souligner<br />
qu’il était souvent difficile –surtout lorsqu’il n’y avait pas <strong>de</strong> dispositif d’in<strong>de</strong>mnisation<br />
formel en p<strong>la</strong>ce- <strong>de</strong> convaincre les organisations professionnelles (producteurs et<br />
pépiniéristes) <strong>de</strong> signaler <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> nouveaux pathogènes, ces <strong>de</strong>rniers redoutant à <strong>la</strong><br />
fois <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir prendre <strong>de</strong>s mesures d’éradication coûteuses et d’être répertoriés comme<br />
éventuels sources <strong>de</strong> pathogène par leurs acheteurs potentiels.<br />
Au cours <strong>de</strong> cet atelier, une chose nous étonna pourtant, à savoir <strong>la</strong> manière dont était<br />
appréhendée les re<strong>la</strong>tions entre administrations et organismes <strong>de</strong> recherches, représentants <strong>de</strong><br />
l’Etat et scientifiques, autour <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce. Cet enjeu, alors déjà i<strong>de</strong>ntifié<br />
comme central dans <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> thèse, était un point qui nous intéressait plus<br />
spécifiquement. Nous avions d’ailleurs -comme condition à notre participation à l’atelierpréparé<br />
un poster intitulé « The role of research institutions in collecting data on invasive<br />
pests » (cf .Annexe), dans lequel nous avancions un certain nombre d’affirmations succintes,<br />
tirées d’une réflexion concernant le dossier Bemisia/viroses :<br />
« International norms (eg. IPPC, ISPM 6) insist on the role Research Organisations should<br />
p<strong>la</strong>y in Pest Reporting and Surveil<strong>la</strong>nce activities. This participation can be problematic for<br />
various reasons. For example, reporting a Regu<strong>la</strong>ted Pest : exposes to the risk of being held<br />
responsible for a pest introduction ; may put an end to experimental activities, if an<br />
eradication program implies that the infested experimental fields be <strong>de</strong>stroyed ; may have<br />
negative economic consequences on producers with whom scientists try to preserve longestablished<br />
partnerships. More generally, it is sometimes problematic to enrol actors in<br />
Official Surveil<strong>la</strong>nce Settings, especially within a context of drastic eradication measures.<br />
Thus, a paradoxical situation might emerge: Reluctance of Non-official actors (Research or<br />
Professional individuals or organisations) to participate in surveil<strong>la</strong>nce activities and<br />
epi<strong>de</strong>miological programs => Lacking of knowledge on the Pest <strong>de</strong>velopment and<br />
epi<strong>de</strong>miology => Inappropriate management measures => Increasing reluctance of Nonofficial<br />
actors to participate in surveil<strong>la</strong>nce activities and epi<strong>de</strong>miological programs. »<br />
Comme on peut le lire dans cet extrait du poster, ce que nous avancions était qu’il pouvait y<br />
avoir, <strong>de</strong> manière schématique, une difficulté <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration entre chercheurs et<br />
administratifs sur les questions <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce : qu’ils craignent d’être considérés comme<br />
responsables <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence du pathogène, que leurs étu<strong>de</strong>s reposent sur l’évaluation du<br />
développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die plutôt que sur son éradication, qu’ils soient incités à produire<br />
155 Sur cette question, malgré l’ouverture <strong>de</strong>s échanges oraux, les participants restent re<strong>la</strong>tivement pru<strong>de</strong>nts. Le<br />
<strong>de</strong>uxième jour par exemple, un échange s’engage pour savoir si parfois les services techniques sont incités à ne<br />
pas signaler <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> pathogènes « pour <strong>de</strong>s raisons politiques », rares sont ceux qui confirment<br />
directement (sans donner plus <strong>de</strong> détail). Dans leurs prises <strong>de</strong> paroles les intervenants évoquent alors, en forme<br />
<strong>de</strong> retrait, plutôt le fait que soit ils ne savent pas ce qui se passe au ministère, ou au niveau national ; soit que le<br />
problème est avant tout un problème <strong>de</strong> moyens (techniques) plus que <strong>de</strong> volonté.<br />
92
<strong>de</strong>s recherches détachées <strong>de</strong> tout enjeu pratique sur le terrain ou qu’ils soient liés à <strong>de</strong>s acteurs<br />
externes qui ne veulent pas participer à <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce et à l’éradication d’un pathogène,<br />
plusieurs facteurs pouvaient rendre difficile <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration entre les chercheurs et les<br />
administrations en charge <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce. Ce qui nous surpris fut que ce poster, qui avait<br />
été préparé dans une perspective autant polémique qu’analytique, suscita très peu<br />
d’oppositions : dix minutes <strong>de</strong> discussion, <strong>de</strong>s échanges courts plus personnels avec certains<br />
participants, nous firent penser que les affirmations qu’il contenait faisaient d’une manière<br />
générale sens pour les acteurs que nous interpellions.<br />
D’une manière plus générale, nous fûmes très frappé tout au long <strong>de</strong> l’atelier par ce que<br />
nous perçevions comme une défiance <strong>de</strong>s représentants administratifs vis-à-vis <strong>de</strong>s<br />
chercheurs. En effet, les situations invoquées qui mettaient en scène les re<strong>la</strong>tions aux<br />
scientifiques étaient loin d’être <strong>de</strong>s narrations <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration facile. Le ton avait d’ailleurs<br />
été posé dès l’introduction <strong>de</strong> l’atelier où il avait été souligné que « l’information est partout »<br />
et qu’on « ne peut pas arrêter les gens <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>s choses, spécialement <strong>la</strong> communauté<br />
scientifique ». De fait, loin <strong>de</strong>s appels officiels à une col<strong>la</strong>boration entre <strong>la</strong> Recherche et <strong>la</strong><br />
Puissance publique, « <strong>la</strong> communauté scientifique » était avant tout présentée comme un<br />
élément perturbateur <strong>de</strong>s programmes nationaux <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, le chercheur incarnant celui<br />
qui signale un pathogène dans <strong>de</strong>s revues scientifiques, pour « faire une belle publication »,<br />
sur <strong>la</strong> base d’informations qui ne sont toujours pas sûres et sans en informer les – et sans avoir<br />
l’aval <strong>de</strong>s- administrations.<br />
L’étonnement éprouvé au cours <strong>de</strong> l’atelier <strong>de</strong> l’OEPP nous oriente dans <strong>la</strong><br />
construction du fil conducteur <strong>de</strong> ce chapitre et rejoint son questionnement principal :<br />
comment penser l’articu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s scientifiques et administratifs autour <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce ? Alors que <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce, comme nous allons le voir, s’est imposée comme une<br />
activité clef <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité sanitaire et environnementale, peu <strong>de</strong> travaux étudient concrétement<br />
<strong>la</strong> manière dont elle est mise en œuvre et le type d’arrangements entre mon<strong>de</strong>s sociaux<br />
différenciés sur lesquels elle repose.<br />
2) La surveil<strong>la</strong>nce comme nouveau modèle <strong>de</strong> gouvernance <strong>de</strong>s <br />
risques <br />
La surveil<strong>la</strong>nce s’est imposée <strong>de</strong>puis quelques décennies comme une activité clé <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
sécurité sanitaire et environnementale. En effet, si <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce apparaît comme un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
gouvernement dont le développement est concomitant <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme politique <strong>de</strong> l’Etat<br />
bureaucratique (Foucault 1975; Dan<strong>de</strong>ker 1990), <strong>de</strong> nombreux auteurs s’accor<strong>de</strong>nt pour<br />
mettre en avant l’inflexion qui a eu lieu dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième partie du 20 ème siècle. Elle s’est<br />
développée fortement dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé humaine (Etheridge 1992) comme dans<br />
d’autres (Haggerty and Ericson 2006; French 2009), indice d’un rapport à l’incertitu<strong>de</strong> sur le<br />
mo<strong>de</strong> du risque, à <strong>la</strong> fois plus réflexif et plus angoissé (Gid<strong>de</strong>ns 1991; Beck 2001).<br />
Dans le domaine alimentaire, <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce est par exemple un élément central du dispositif<br />
prôné par <strong>la</strong> Commission Européenne (cf. Livre b<strong>la</strong>nc sur <strong>la</strong> sécurité alimentaire <strong>de</strong> 1999)<br />
suite aux différentes crises <strong>de</strong>s années 1990. Dans les domaines animal et végétal, <strong>la</strong> mise sur<br />
agenda <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies invasives ou émergentes 156 s’est également traduite par une<br />
156 Nous ne discuterons pas ici <strong>de</strong>s implicites ontologiques dans l’utilisation <strong>de</strong> ces termes plus que ce que nous<br />
avons pu développer en introduction. A partir d’une critique <strong>de</strong>s discours sur les ma<strong>la</strong>dies infectieuses, invasives<br />
et émergentes, in<strong>de</strong>xé sur le Sida, <strong>de</strong>s auteurs (King 2002; King 2004) ont justement défendu que l’utisation <strong>de</strong><br />
ces termes s’inscrit dans une vision guerrière <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s enjeux sanitaires, vision guerrière qui est<br />
93
multiplication <strong>de</strong> discours normatifs sur <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong>s problèmes sanitaires et<br />
environnementaux qui mettent l’accent sur <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> renforcer les activités <strong>de</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce. Dans un moment historique où <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité a fait p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> gestion<br />
<strong>de</strong>s risques (Dourlens, Gal<strong>la</strong>nd et al. 1991), <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce est donc <strong>de</strong>venue un <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s<br />
principaux d’action publique vis-à-vis <strong>de</strong>s risques sanitaires et environnementaux, visant à<br />
tracer, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'humain, toutes les espèces vivantes (Lascousmes 1993) et les choses<br />
(Torny 1998) au travers un ensemble d’activités diverses : collecte <strong>de</strong> données sur le terrain,<br />
système <strong>de</strong> « vigi<strong>la</strong>nce » et d’ « alerte », activités <strong>de</strong> contrôle officiel (Demortain 2006). Cette<br />
tendance est très c<strong>la</strong>ire dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé animale. Dans le domaine végétal,<br />
généralement moins connu, il existe aujourd’hui <strong>de</strong>s normes internationales (CIPV) et un<br />
ensemble <strong>de</strong> projets internationaux (par exemple les Projets « Daisie », « Invasive Species »,<br />
ou le programme « Biovigi<strong>la</strong>nce » du Ministère <strong>de</strong> l’Agriculture français (Delos, Hervieu et<br />
al. 2005) qui visent à encadrer les activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies émergentes, que<br />
celles-ci soient qualifiées d’espèces invasives, exotiques, ou nuisibles. La <strong>de</strong>rnière étape en<br />
date <strong>de</strong> ce mouvement est <strong>la</strong> récente mise en p<strong>la</strong>ce d’une commission sur <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce du<br />
territoire –postérieure à notre travail d’enquête- dont les objectifs et <strong>la</strong> composition montre<br />
assez nettement comment cet impératif <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce a vu le jour au sein <strong>de</strong> l’adminsitration<br />
suite aux controverses liées aux OGM et s’est accompagné <strong>de</strong> l’émeergence d’un domaine<br />
d’activité nouveau, <strong>la</strong> biovigi<strong>la</strong>nce, aux contours encore flous, mais qui regroupe – ce<strong>la</strong> peutêtre<br />
variable selon les auteurs - à <strong>la</strong> fois les enjeux <strong>de</strong>s OGM, <strong>de</strong>s pestici<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s pathogènes<br />
<strong>de</strong>s cultures et <strong>de</strong>s espèces invasives.<br />
Le ministère <strong>de</strong> l’agriculture, dans les différentes réflexions qu’il a mené sur<br />
l’organisation <strong>de</strong> ses services consacrés aux enjeux <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s végétaux a <strong>la</strong>rgement mis en<br />
avant une volonté <strong>de</strong> recentrage sur ses activités régaliennes (cf. intro historique). Dans cette<br />
perspective, les activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce du territoire et le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> biovigi<strong>la</strong>nce sont<br />
définies comme relevant <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> l’état, centraux et décentralisés. Cependant, <strong>la</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce du territoire est aussi présentée comme une activité collective : le droit rural<br />
prévoit <strong>de</strong>puis longtemps l’obligation <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>rer toute découverte d’échantillon suspect pour<br />
l’envoyer aux analyses. Un décrét récent en re<strong>la</strong>tif à l’épidémiologie dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
santé sanitaire animale et végétale vise à encadrer les activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce en mettant en<br />
p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce qui seraient alimentés par le travail d’autocontrôle et <strong>de</strong><br />
traçabilité (Torny 1998) d’organisations sanitaires professionnelles auxquels les agriculteurs<br />
seraient obligés d’adhérer pour pouvoir prétendre à <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnisations en cas <strong>de</strong> découverte.<br />
De fait, face à <strong>de</strong>s moyens très limités que ce soit en personnel pour faire appliquer les p<strong>la</strong>ns<br />
<strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, ou en moyens d’analyses pour les <strong>la</strong>boratoires, l’Etat ne peut mener à bien<br />
seul les activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce et doit compter sur <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> multiples acteurs aux<br />
premiers rangs <strong>de</strong>squels les producteurs et leurs organisations, et les acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
scientifique.<br />
3) D’une analyse <strong>de</strong>s Sciences réglementaires à une analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> <br />
surveil<strong>la</strong>nce au concret <br />
La montée en puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce comme mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gouvernement s’est<br />
accompagnée, <strong>de</strong>puis les années 1970, <strong>de</strong> l’émergence d’un champ <strong>de</strong>s Surveil<strong>la</strong>nce studies.<br />
Les auteurs dans ce champ se sont <strong>la</strong>rgement inscrits dans une perspective <strong>de</strong> théorie sociale<br />
concomitante – <strong>de</strong> manière particulièrement illustrative en santé publique- du développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce<br />
comme activité <strong>de</strong> gouvernement.<br />
94
critique, à <strong>la</strong> suite du travail <strong>de</strong> Foucault, où <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce est appréhendée comme<br />
assemb<strong>la</strong>ge visant à contrôler les popu<strong>la</strong>tions humaines (Ericson and Haggerty 2001) et dans<br />
une réflexion sur <strong>la</strong> responsabilité et <strong>la</strong> gouvernementalité (pour un argument simi<strong>la</strong>ire, voir<br />
(French 2009), pp45-48). Au final, non seulement peu <strong>de</strong> travaux ont analysé <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce<br />
qui n’aurait pas pour objet <strong>de</strong>s personnes mais <strong>de</strong>s « non-humains », mais peu l’ont également<br />
appréhendé dans une perspective concréte, c’est à dire au travers <strong>de</strong>s dispositifs concrets qui<br />
et <strong>de</strong>s pratiques à <strong>la</strong> rencontre <strong>de</strong> différents mon<strong>de</strong>s sociaux.<br />
La question plus spécifique <strong>de</strong> <strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> recherche et <strong>de</strong>s<br />
chercheurs à <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce sanitaire est une question qui a été abordée par les<br />
sciences humaines dans une interrogation sur les sciences camérales (Laborier and<br />
Lascousmes 2004), les sciences d’Etat et plus particulièrement au prisme d’une réflexion sur<br />
l’histoire et le développement <strong>de</strong> l’épidémiologie en tant que discipline scientifique. En effet,<br />
dans <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> sa construction épistémique et institutionnelle, ces travaux (Berlivet<br />
1995; Amsterdaska 2005; Buton 2006), ont montré comment cette discipline –ces travaux<br />
s’intéressent essentiellement à l’épidémiologie humaine- s’était construite dans une re<strong>la</strong>tion<br />
complexe avec les enjeux <strong>de</strong> santé et l’Etat, oscil<strong>la</strong>nt selon les contextes locaux et historiques<br />
entre une visée <strong>de</strong> « Faire science » et une visée d’appuyer l’état dans son action, et d’une<br />
manière générale, le contrôle <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions (Foucault 1975). C’est <strong>de</strong> ce constat que nous<br />
partirons non pas pour faire une histoire <strong>de</strong> l’épidémiologie végétale en tant que discipline ou<br />
sous-champ disciplinaire, ou <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>ce dans les institutions administratives et scientifiques –<br />
histoires qui seraient à écrire 157 -, et <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>ce dans les institutions administratives et<br />
scientifiques, mais pour prendre comme horizon <strong>de</strong> recherche cette tension entre volonté <strong>de</strong><br />
faire science et volonté <strong>de</strong> surveiller l’état sanitaire d’un territoire.<br />
Cependant, ce chapitre vise également à éviter un biais <strong>de</strong> ces travaux. En effet, il nous<br />
semble qu’orientés par une volonté <strong>de</strong> définir les spécificités <strong>de</strong> champs d’activité spécifiques<br />
–les « sciences camérales », l’ « épidémiologie »- ils ten<strong>de</strong>nt à sous-estimer <strong>la</strong> nature négociée<br />
<strong>de</strong>s frontières <strong>de</strong> ces champs. Ce biais se nourrit notamment <strong>de</strong>s situations étudiées : lorsque<br />
l’analyse ne vise pas directement le domaine <strong>de</strong>s sciences « camérales », « réglementaires »<br />
ou l’épidémiologie, elles s’intéressent à <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> forte institutionnalisation <strong>de</strong>s lieux<br />
d’expertise, organisés autour d’instruments, <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> traitements <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve ou <strong>de</strong><br />
figures d’experts stabilisés (Granjou and Tournay, 2009). En ce sens, elles ten<strong>de</strong>nt à oblitérer<br />
le fait que les tensions re<strong>la</strong>tives à l’articu<strong>la</strong>tion entre Faire Science et Faire Surveil<strong>la</strong>nce<br />
traversent toute activité scientifique qui s’inscrit dans une volonté <strong>de</strong> production <strong>de</strong> savoirs<br />
épidémiologiques au sens <strong>la</strong>rge et ce également dans <strong>de</strong>s domaines, comme celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Santé<br />
<strong>de</strong>s végétaux, où l’expertise est très faiblement institutionnalisée. Nous voudrions donc<br />
montrer qu’une analyse concréte, rarement entrepris en sociologie (Barbier 2006; Granjou<br />
2007; Bonnaud and Coppalle 2008), d’activités scientifiques qui se déploient dans un contexte<br />
<strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce sanitaire administrative permet <strong>de</strong> dépasser <strong>de</strong>s distinctions trop rigi<strong>de</strong>s et <strong>de</strong><br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce les négociations concrètes <strong>de</strong> l’articu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Mon<strong>de</strong>s sociaux concernés.<br />
Pour conclure, nous allons analyser <strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche à <strong>la</strong><br />
gestion <strong>de</strong>s foyers <strong>de</strong> bemisia à <strong>de</strong>s dispositifs <strong>de</strong> recherche qui se présentent comme ayant<br />
une visée d'avancée <strong>de</strong> connaissance sur <strong>de</strong>s questions d’ordre épidémiologique au sens <strong>la</strong>rge,<br />
c’est à dire qui s’appuient sur <strong>la</strong> collecte d’information quant à <strong>la</strong> présence ou l’absence du<br />
pathogène sur un territoire et sur sa progression, et dont les résultats participent à l’avancée<br />
157 Le lecteur trouvera un petit encadré (en annexe ?) qui <strong>la</strong>nce le cadre d’une possible recherche future sur<br />
l’épidémiologie végétale, en particulier sur son développement à l’INRA. Mais le sujet dépasse <strong>la</strong>rgement l’objet<br />
<strong>de</strong> cette thèse et <strong>de</strong> ce chapitre en particulier.<br />
95
<strong>de</strong> l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> cette information. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s questions concrètes que <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce pose<br />
- comment fait-on pour surveiller un territoire avec <strong>de</strong>s faibles moyens? Quel est le rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
recherche dans cette activité et comment articulent-elles ses enjeux avec celle <strong>de</strong> l'éradication<br />
du territoire ou le containment qui sont les objectifs <strong>de</strong>s autres acteurs ? - ceci nous permettra<br />
<strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce les différents éléments du contexte épidémiologique (politique<br />
administrative, biologie du pathogène, etc.) qui structurent les ressources et les contraintes <strong>de</strong>s<br />
scientifiques engagés dans l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> dispositifs à visée épidémiologique. Surtout, ce<strong>la</strong><br />
nous permettra d’insister sur le fait que l’activité <strong>de</strong>s scientifiques est une activité hybri<strong>de</strong>.<br />
Prise à <strong>la</strong> fois dans <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> connaissance et <strong>de</strong> gestion, elle peut être définie comme une<br />
activité d’ « épidémiosurveil<strong>la</strong>nce » qui, même si elle s’inscrit dans un objectif prioritaire <strong>de</strong><br />
production <strong>de</strong> <strong>connaissances</strong>, doit, pour pouvoir produire ces <strong>connaissances</strong>, être engagée<br />
dans <strong>de</strong>s dispositifs qui visent <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce du territoire.<br />
B - Les contextes <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce d’organismes <strong>de</strong> quarantaine<br />
Pour penser l’articu<strong>la</strong>tion entre surveil<strong>la</strong>nce et dispositif scientifique à visée<br />
épidémiologique, il est important <strong>de</strong> caractériser les contextes <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s organismes<br />
<strong>de</strong> quarantaine, c’est à dire <strong>la</strong> manière dont cette surveil<strong>la</strong>nce est construite d’un point <strong>de</strong> vue<br />
administratif et réglementaire.<br />
A ce titre, <strong>la</strong> manière dont <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce est administrativement constituée dans les trois cas<br />
étudiés est très différente. Alors que <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Diabrotica est construite comme une<br />
activité administrative autonome et prioritaire, elle est plus partagée et secondaire dans les cas<br />
Ralstonia et Bemisia/TYLCV. De manière symptomatique, on peut souligner que cette<br />
différence s’est traduite au cours <strong>de</strong> l’enquête par une difficulté re<strong>la</strong>tive d’obtenir <strong>de</strong>s<br />
informations sur les modalités d’organisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce administrative <strong>de</strong> Ralstonia ou<br />
Bemisia et ses virus. Alors que <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Diabrotica a donné en effet accès à un<br />
nombre important <strong>de</strong> publications (rapports, fiches <strong>de</strong> synthèses, communiqués <strong>de</strong> presse) très<br />
<strong>la</strong>rgement accessibles –notamment sur internet-, il est beaucoup plus difficile d’obtenir <strong>de</strong>s<br />
informations synthétiques, agrégées, sur les activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce mises en p<strong>la</strong>ce au regard<br />
<strong>de</strong>s autres enjeux sanitaires étudiés. Cette difficulté est visible dans notre compte-rendu et,<br />
plus qu’une limite, doit également être considérée comme un indice.<br />
1) Bemisia/TYLCV: Difficile surveil<strong>la</strong>nce d’un pathosystème <br />
complexe dans un cadre d’éradication <br />
La surveil<strong>la</strong>nce du pathosystème Bemisia/TYLCV implique <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
objets distincts, l’insecte d’une part, présent en France <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s années 1990, et le<br />
virus d’autre part, officiellement découvert au début <strong>de</strong>s années 1990. Vis-à-vis <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />
entités, le contexte <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce a été fortement influencé par l’évolution sanitaire et par<br />
l’évolution parallèle du cadre réglementaire <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> lutte. Le mouvement historique<br />
est double, avec d’un côté un renforcement <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce officielle par l’administration <strong>de</strong><br />
l’insecte et <strong>de</strong>s virus dont il est vecteur, et en même temps un découp<strong>la</strong>ge croissant <strong>de</strong> cette<br />
surveil<strong>la</strong>nce officielle d’une surveil<strong>la</strong>nce professionnelle confinée.<br />
96
a) Une surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> routine territorialisée <br />
Depuis plusieurs années, l’administration sanitaire observe une surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong><br />
Bemisia <strong>de</strong> manière régulière dans les lieux (ports, aéroports, pépinières) <strong>de</strong> transit <strong>de</strong><br />
marchandises (p<strong>la</strong>ntes ornementales principalement) en provenance <strong>de</strong> zones extraeuropéennes.<br />
Chaque année ce sont plusieurs centaines d’échantillons qui sont envoyés <strong>de</strong>puis<br />
les antennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV –Roissy principalement- vers le LNPV qui est chargé d’en faire<br />
l’i<strong>de</strong>ntification morphologique 158 . Ce dispositif administratif vise essentiellement à pouvoir<br />
justifier <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s marchandises considérées comme dangereuses en référence à <strong>la</strong><br />
réglementation européenne qui interdit l’introduction <strong>de</strong> tout insecte « non-européen ». De<br />
fait, il s’appuie donc sur une distinction entre « popu<strong>la</strong>tions européennes » et autres<br />
popu<strong>la</strong>tions tout à fait déconnectée <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexité biologique <strong>de</strong> l’insecte, complexe<br />
d’espèce 159 composé <strong>de</strong> différentes sous-popu<strong>la</strong>tions, biotypes, aux comportements différents<br />
mais dont l’analyse passe par <strong>la</strong> mise en œuvre d’outils d’analyses molécu<strong>la</strong>ires auxquels les<br />
agents du LNPV ne sont pas formés. L’apparition du TYLCV à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1990 va<br />
entraîner à <strong>la</strong> fois le développement d’une surveil<strong>la</strong>nce spécifique du virus dans les zones et<br />
les filières considérées comme « à risque » par l’administration, et <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong><br />
quelques enquêtes ponctuelles d’analyse plus poussée <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> son vecteur,<br />
Bemisia Tabaci.<br />
Le TYLCV est l’objet d’une surveil<strong>la</strong>nce ciblée. Comme nous l’avons évoqué au<br />
chapitre 1, c’est suite à <strong>la</strong> découverte d’un premier foyer <strong>de</strong> TYLCV en 1999 que se met en<br />
p<strong>la</strong>ce le premier p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce du virus, en 2000, à l’initiative <strong>de</strong> virologues du<br />
LNPV d’Avignon 160 . Celui-ci est suivi par d’autres p<strong>la</strong>ns qui impliquent essentiellement <strong>de</strong>s<br />
prospections dans les serres <strong>de</strong> production (semences et fruits) et, éventuellement, <strong>de</strong>s<br />
analyses <strong>de</strong> marchandises en transition 161 . Ces p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce sont territorialement<br />
ciblés et, même s’ils relèvent <strong>de</strong> notes <strong>de</strong> services nationales, reposent essentiellement –et à<br />
l’inverse <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Diabrotica par exemple- sur <strong>la</strong> mobilisation <strong>de</strong>s antennes<br />
régionales administratives 162 , <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> consacrer du temps au virus et <strong>de</strong>s<br />
disponibilités financières et matérielles pour réaliser les prospections. En Languedoc-<br />
158 Bemisia constitue une <strong>de</strong>s rares insectes que le LNPV analyse en « routine ». Ils ont plusieurs centaines<br />
d’échantillons par an, alors que d’une manière générale, les échantillons qu’ils reçoivent sont <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong><br />
specimen nouveaux, isolés, ce qui rend d’ailleurs, contrairement à ce qui peut se faire en bactériologie ou en<br />
virologie, <strong>la</strong> délégation <strong>de</strong>s analyses à <strong>de</strong>s <strong>la</strong>boratoires privés compliquée : les compétences en systématique<br />
s’apprennent lentement et impliquent une spécialisation dans <strong>de</strong>s « familles » particulières d’espèces, les<br />
<strong>la</strong>boratoires ont peu intérêt à s’engager dans l’analyse d’entités très hétérogènes, peu routinisables.<br />
159 Un complexe d’espèce et un groupe d’entités biologiques qui peuvent avoir <strong>de</strong>s caractéristiques différentes<br />
(iso<strong>la</strong>tion reproductive d’une entité à l’autre, capacité virulifère divergente, comportement alimentaire différent,<br />
résistance aux insectici<strong>de</strong>s plus ou moins développée etc.) mais qui ne sont pas distinguables d'un point <strong>de</strong> vue<br />
morphologique. Pour les distinguer, il faut alors recourir à d’autres métho<strong>de</strong>s d’analyse.<br />
160 Une première enquête restreinte est menée en 1997 par le LNPV en France métropolitaine et dans les DOM-<br />
TOM, mais essentiellement à fin <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> détection é<strong>la</strong>borée par l’administration.<br />
161 En 2001, le responsable <strong>de</strong> l’antenne locale <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV <strong>de</strong> Perpignan envoie <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> fruits et <strong>de</strong><br />
Bemisia trouvés sur <strong>de</strong>s marchandises transitant par le marché Saint-Charles. Ces analyses qui se révèlent<br />
positives, l’amènent à projeter <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte prochaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die en culture.<br />
162 Nous n’avons pas <strong>de</strong> données précises sur <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>s enquêtes Bemisia et TYLCV dans l’ensemble <strong>de</strong>s<br />
régions potentiellement concernées. Ces enquêtes peuvent être très variables dans leur réalisation : en Aquitaine<br />
par exemple, il semblerait que l’essentiel du travail consiste, chaque année, en <strong>la</strong> réalisation d’une prospection <strong>de</strong><br />
Bemisia sur p<strong>la</strong>ntes ornementales.<br />
97
oussillon, le responsable <strong>de</strong> l’antenne locale du SRPV à Perpignan organise, à partir <strong>de</strong> 2000,<br />
<strong>de</strong>s prospections dans les serres <strong>de</strong> production <strong>de</strong> tomates <strong>de</strong> <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ine du Roussillon :<br />
Année<br />
Surveil<strong>la</strong>nce officielle Languedoc-Roussillon<br />
2000 1er p<strong>la</strong>n national <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce Bemisia/TYLCV ; Aucune mise en évi<strong>de</strong>nce du<br />
TYLCV en France<br />
2001 Surveil<strong>la</strong>nce Bemisia : Présence dans 32 exploitations/50 dans 14 communes dont 44%<br />
<strong>de</strong> contaminations fortes à très fortes ; observation d’une Phytotoxicité salivaire / fruits<br />
(plusieurs cas) ; analyse <strong>de</strong> présence du TYLCV : 70% virulifères<br />
Surveil<strong>la</strong>nce TYLCV : Non détecté en cultures + <strong>Analyse</strong> <strong>de</strong>s fruits transitant par le<br />
Marché international St Charles : 33 % <strong>de</strong> fruits marocains avec TYLCV, 28 % <strong>de</strong> fruits<br />
espagnols avec TYLCV<br />
2002 Surveil<strong>la</strong>nce TYLCV : découverte <strong>de</strong>s 1er foyers TYLCV dans <strong>de</strong>ux exploitations <strong>de</strong>s<br />
15 visitées, en fin <strong>de</strong> cycle <strong>de</strong> culture (automne).<br />
2003 Surveil<strong>la</strong>nce Bemisia : Observation forte présence, quelques cas <strong>de</strong> phytotoxicité<br />
salivaire<br />
Surveil<strong>la</strong>nce TYLCV : Forte épidémie TYLCV, présent 44% <strong>de</strong>s 122 unités <strong>de</strong> serres<br />
prospectées (87 exploitations).<br />
2004 Surveil<strong>la</strong>nce Bemisia : Observation <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tions faibles à très faibles dans 85% <strong>de</strong>s<br />
sites, présence
Troisièmement c’est une surveil<strong>la</strong>nce au périmètre variable, qui concerne principalment<br />
Bemisia et le TYLCV mais qui vise également –nous n’avons pas reproduit les résultats 163 - à<br />
détecter <strong>la</strong> présence d’autres organismes pathogènes réglementés (ToCV, TicV, Pepino).<br />
Enfin, l’arrêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce au départ à <strong>la</strong> retraite <strong>de</strong> l’agent en charge en témoigne, c’est<br />
une surveil<strong>la</strong>nce fragile.<br />
Parallèlement à cette surveil<strong>la</strong>nce annuelle l’administration est, après 2001, également<br />
engagée via l’ingénieure du LNPV dans <strong>la</strong> réalisation d’une enquête plus poussée sur les<br />
popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Bemisia Tabaci en France. L’ingénieure du LNPV, en lien avec l’équipe du<br />
CIRAD <strong>de</strong> Montpellier et l’unité <strong>de</strong> virologie d’Avignon avec lesquelles elle a <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions<br />
<strong>de</strong> travail importantes (cf. Chap. 2), réalise une enquête pour déterminer <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s<br />
popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Bemisia Tabaci présentes en France à l’échelle du biotype et envisager une<br />
possible corré<strong>la</strong>tion entre <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> ces popu<strong>la</strong>tions et <strong>la</strong> situation virale. L’objectif étant, à<br />
l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> marqueurs microsatellites, <strong>de</strong> déterminer <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s échanges entre les popu<strong>la</strong>tions<br />
et d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> maintien <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tions entre cultures. L’enquête, qui<br />
s’appuie sur <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> trois régions 164 , permet <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce d’une situation<br />
originale <strong>de</strong> domination du biotype Q dans toutes les régions et l’absence <strong>de</strong> phénomènes <strong>de</strong><br />
structuration dans les popu<strong>la</strong>tions 165 .<br />
Ces différentes actions <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce menées par l’administration sont compliquées par<br />
l’adoption, à partir <strong>de</strong> 2002, d’un cadre réglementaire contraignant.<br />
b) Un cadre d’éradication paralysant <br />
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précé<strong>de</strong>nt, les autorités sanitaires ont rédigé<br />
en 2002 <strong>de</strong>s arrêtés <strong>de</strong> lutte obligatoire visant à l’éradication du TYLCV et d’autres virus<br />
émergents qui vont inciter les organisations professionnelles et les agriculteurs à dissimuler<br />
l’information re<strong>la</strong>tive à <strong>la</strong> situation sanitaire dans les exploitations maraîchères. En effet ces<br />
mesures, qui impliquent que toute parcelle <strong>de</strong> culture que l’on découvre contaminée par le<br />
TYLCV à un taux supérieur à un p<strong>la</strong>nt pour mille soit arrachée, ne s’accompagnent pas <strong>de</strong><br />
garanties d’in<strong>de</strong>mnisations. Dans ce cadre, les producteurs ne perçoivent aucun intérêt à<br />
transmettre l’information sur l’état sanitaire <strong>de</strong> leurs serres aux services administratifs.<br />
Révéler l’existence d’un p<strong>la</strong>nt ma<strong>la</strong><strong>de</strong> les expose à un risque financier important<br />
compromettant notamment leur capacité à amortir les investissements considérables que<br />
représentent les serres1. Après 2002, ils préfèrent donc gar<strong>de</strong>r secret l’état sanitaire <strong>de</strong> leurs<br />
cultures et interdisent aux techniciens qui y ont accès d’en faire état à <strong>de</strong>s tiers. S’ils<br />
découvrent du TYLCV dans leurs serres, ils enlèvent les p<strong>la</strong>nts contaminés un par un, espérant<br />
pouvoir contenir <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die et continuer à vendre <strong>la</strong> production en cours.<br />
163 On trouvera en annexe, les présentations Powerpoint ayant servi à <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong> ce tableau.<br />
164 Des échantillons <strong>de</strong> 520 individus sont prélevés dans 19 popu<strong>la</strong>tions d’origines géographiques différentes, en<br />
col<strong>la</strong>boration avec <strong>de</strong>s instituts techniques et <strong>de</strong>s <strong>la</strong>boratoires <strong>de</strong> recherche : CBGP, CTIFL, APREL FREDON<br />
PACA, SRPV PACA, SCRADH, GIE fleurs et p<strong>la</strong>ntes du Sud-Ouest, SICA Centrex, LNPV Montpellier.<br />
165 Ceci donne <strong>de</strong>s indications sur l’établissement <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions, sur l’efficacité notamment du vi<strong>de</strong> sanitaire<br />
effectué entre les p<strong>la</strong>ntations <strong>de</strong> culture. Une structuration, c’est à dire <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion « fixées » serait<br />
plutôt un bon signe : Schématiquement, en génétique <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>la</strong> « fixation » est le processus par lequel<br />
on passe d’une situation où il existe plusieurs variants d’un même gène dans une popu<strong>la</strong>tion à une situation où il<br />
existe un seul type <strong>de</strong> gène. Un processus <strong>de</strong> fixation donne <strong>de</strong>s indications sur l’importance <strong>de</strong>s introductions<br />
nouvelles.<br />
99
Dans ce contexte, un dispositif comme <strong>la</strong> « cellule <strong>de</strong> veille professionnelle », dont<br />
nous avons décrit le rôle dans les négociations avec les pouvoirs publics dans les Pyrénées-<br />
Orientales, <strong>de</strong>vient également un dispositif <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l’information<br />
sanitaire, vis-à-vis <strong>de</strong>s médias et vis-à-vis <strong>de</strong>s pouvoirs publics. Cette cellule est <strong>la</strong><br />
formalisation d’un réseau informel d’échange constitué <strong>de</strong>s techniciens et <strong>de</strong>s principaux<br />
représentants politiques agricoles, qui ont l’habitu<strong>de</strong> d’échanger dans <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> travail<br />
ou <strong>de</strong>s réunions sur <strong>de</strong>s thématiques autres que les virus <strong>de</strong> B. tabaci. Certains techniciens ont<br />
notamment, au cours <strong>de</strong> leur carrière, été amenés à travailler dans <strong>de</strong>s organisations<br />
communes. Ils ont développé au cours <strong>de</strong> ces échanges <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> confiance 166 qui leur<br />
permettent, malgré <strong>la</strong> réticence <strong>de</strong>s producteurs, d’échanger entre eux les informations sur le<br />
virus qu’ils collectent au cours <strong>de</strong> leurs activités d’appui technique dans les serres. Ces<br />
échanges sont régulés à <strong>la</strong> fois par <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions interpersonnelles entre chacun <strong>de</strong>s<br />
techniciens et par certaines règles tacites communément partagées qui impliquent,<br />
principalement, d’échanger oralement et <strong>de</strong> ne jamais mentionner le lieu exact et/ou le nom du<br />
propriétaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre concernée.<br />
«Au niveau <strong>de</strong> Bemisia il y a <strong>de</strong>s trucs qu’on ne peut pas dire, il y a <strong>de</strong>s choses qu’on ne peut<br />
pas divulguer. C’est à ce niveau là que les liens personnels interviennent. [. . .] Disons qu’il y<br />
a plusieurs niveaux <strong>de</strong> communication. Un niveau <strong>de</strong> communication vers le public où on ne<br />
veut pas que se sache que Bemisia est vecteur <strong>de</strong> virus très dangereux. Si c¸a se savait ce<br />
serait une catastrophe. (Même s’il n’y a pas <strong>de</strong> conséquences pour <strong>la</strong> santé humaine ?). Le<br />
public ne fait pas <strong>la</strong> différence. Après il y a un niveau <strong>de</strong> communication vers les techniciens<br />
<strong>de</strong> terrain. On va un peu plus loin. Après le discours technique peut nuire au discours<br />
commercial. Donc il y a une différence entre ces <strong>de</strong>ux voies <strong>de</strong> communication. (Par exemple<br />
au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> cellule <strong>de</strong> veille vous êtes <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> bois ?). Non pas au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> cellule<br />
<strong>de</strong> veille. »<br />
Technicien<br />
Cette citation d’un <strong>de</strong>s acteurs centraux du réseau technique informel 167 , illustre comment <strong>la</strong><br />
« cellule <strong>de</strong> veille » constitue, dans le cadre d’une réglementation drastique, un lieu <strong>de</strong><br />
confinement <strong>de</strong> l’échange <strong>de</strong> l’information sanitaire.<br />
La mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s arrêtés <strong>de</strong> lutte on le comprend, rend l’action <strong>de</strong>s pouvoirs<br />
publics plus difficile. Bien que les textes <strong>de</strong> lois soulignent que toute découverte du TYLCV<br />
doit être notifiée aux services officiels sous peine d’amen<strong>de</strong>s lour<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> prison, <strong>la</strong> PV doit<br />
elle-même faire <strong>de</strong>s prospections pour obtenir <strong>de</strong> l’information sur l’état réel <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation<br />
sanitaire. Or ces prospections ne sont pas aisées. Premièrement les serres sont <strong>de</strong>s espaces<br />
clos, difficilement accessibles, et dont l’accès ne peut –comme un champ en plein air ou une<br />
rivière- s’obtenir très souvent qu’à condition d’accord du propriétaire. Par ailleurs, <strong>la</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce vise <strong>de</strong>s entités biologiques re<strong>la</strong>tivement peu simples à observer : Bemisia peut<br />
être confondu avec d’autres insectes, sa popu<strong>la</strong>tion peut varier en fonction <strong>de</strong>s traitements <strong>de</strong>s<br />
cultures appliqués et <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> chaleur ; <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> virus peut-être rendue difficile<br />
166 Nous adoptons ici <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> G. Simmel <strong>de</strong> <strong>la</strong> confiance telle que définie dans son texte sur le secret et<br />
les sociétés secrètes (Simmel 1999). La confiance est « une hypothèse sur une conduite future, assez sûre pour<br />
qu’on fon<strong>de</strong> sur elle l’action pratique, <strong>la</strong> confiance est aussi un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir<br />
sur autrui. Celui qui sait tout n’a pas besoin <strong>de</strong> faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement<br />
même pas faire confiance ».<br />
167 La Sica-Centrex réalise <strong>de</strong>puis plusieurs années <strong>de</strong>s essais (sur les variétés, les techniques <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s<br />
cultures) très appliqués dans les serres et parcelles <strong>de</strong> certains maraîchers, dont elle diffuse les résultats à<br />
l’ensemble <strong>de</strong>s producteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone. Cette activité donne l’opportunité à son responsable technique d’être<br />
régulièrement en contact avec <strong>de</strong> nombreux producteurs et tous les techniciens du département. Il profite <strong>de</strong> ces<br />
échanges pour compiler l’information sur l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire, ce qui lui permet d’é<strong>la</strong>borer <strong>de</strong>s<br />
cartes qualitatives qui, bien qu’imprécises, semblent constituer d’assez justes représentations <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
présence du TYLCV. Sous le contrôle <strong>de</strong>s représentants syndicaux, il fait circuler ces informations et ces cartes,<br />
modu<strong>la</strong>nt son discours en fonction du public visé.<br />
100
par <strong>la</strong> faible ou tardive expression <strong>de</strong> symptômes. Ayant <strong>de</strong>s moyens matériels et humains<br />
limités pour réaliser ces prospections, l’administration estime donc ne pas avoir une vision<br />
adéquate <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence et <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression du virus.<br />
L’analyse parallèle <strong>de</strong>s trois contextes <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce phytosanitaire met en évi<strong>de</strong>nce<br />
<strong>de</strong>s contrastes assez forts. Chacune <strong>de</strong>s situations étudiées sont en effet caractérisées par un<br />
investissement différencié <strong>de</strong>s pouvoirs publics et <strong>de</strong>s organisations professionnelles qui se<br />
comprennent au regard <strong>de</strong>s caractéristiques biologiques du pathogène surveillé, <strong>de</strong><br />
l’organisation <strong>de</strong>s filières concernées et du cadre réglementaire. La situation Diabrotica est<br />
caractérisée par un fort investissement du niveau central <strong>de</strong>s pouvoirs publics, qui mettent en<br />
p<strong>la</strong>ce un dispositf <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce qu’ils considèrent maîtriser <strong>de</strong> manière re<strong>la</strong>tivement<br />
autonome et qu’ils construisent comme un appui à une politique d’éradication très<br />
volontariste. La situation Ralstonia est caractérisée par une surveil<strong>la</strong>nce cogérée entre<br />
l’administration sanitaire centrale, décentralisée et les organisations professionnelles,<br />
construite comme un appui commercial à une filière <strong>de</strong> production et qui s’appuie sur un<br />
appareil<strong>la</strong>ge technique conséquent. Enfin, <strong>la</strong> situation Bemisia/viroses est caractérisée par une<br />
surveil<strong>la</strong>nce administrative limitée dans ses moyens et ses ambitions, territorialisée et<br />
perturbée par un cadre réglementaire qui fragilise <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration avec les organisations<br />
professionnelles.<br />
Comme nous allons le voir, ces contextes <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce structurent les modalités<br />
d’articu<strong>la</strong>tion entre les activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce et les activités <strong>de</strong> recherche à visée<br />
épidémiologique, ouvrant pour ces <strong>de</strong>rnières <strong>de</strong>s espaces d’activité plus ou moins autonomes<br />
et plus ou moins connectés aux autres mon<strong>de</strong>s sociaux concernés.<br />
C - L’activité scientifique, entre recherche épidémiologique et<br />
« épidémiosurveil<strong>la</strong>nce »<br />
Dans cette section, nous allons retracer l’activité concrète <strong>de</strong>s chercheurs engagés dans<br />
<strong>la</strong> production <strong>de</strong> savoir épidémiologique dans les contextes <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce caractérisés<br />
précé<strong>de</strong>mment. Ces chercheurs, s’ils ne se définissent jamais directement comme <strong>de</strong>s experts<br />
en épidémiologie pour les pouvoirs publics et s’ils agissent dans un institut <strong>de</strong> recherche dont<br />
<strong>la</strong> finalité prioritaire n’est pas <strong>la</strong> production <strong>de</strong> sciences réglementaires mais <strong>la</strong> production <strong>de</strong><br />
savoirs biologiques et agronomiques, doivent cependant tous, au cours <strong>de</strong> leurs activités, se<br />
positionner par rapport à <strong>la</strong> tension entre Faire science et Faire surveil<strong>la</strong>nce. La résolution <strong>de</strong><br />
cette tension s’exprime dans chacun <strong>de</strong>s cas selon <strong>de</strong>s modalités différentes : <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s<br />
re<strong>la</strong>tions entre chercheurs et acteurs concernés (pouvoirs publics et organisations<br />
professionnelles), <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s dispositifs techniques <strong>de</strong> collecte et d’analyse <strong>de</strong>s données<br />
sanitaires ou encore <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s conventions sur <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l’information sanitaire et sa<br />
publicisation changent d’un cas à l’autre.<br />
1) Surveiller en éradiquant, l'épidémiosurveil<strong>la</strong>nce face à <br />
Bemisia/viroses <br />
La présence <strong>de</strong> Bemisia et du TYLCV en France métropolitaine soulève un certain<br />
nombre d’incertitu<strong>de</strong>s directement liées à <strong>de</strong>s questions d’épidémiologie. L’un <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong>s<br />
chercheurs impliqués dans le programme BemisiaRisk est <strong>de</strong> pouvoir travailler ces<br />
101
incertitu<strong>de</strong>s via <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> dispositifs adéquats d’expérimentation. En effet, comme<br />
nous l’avons vu au chapitre 2, mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s recherches à visée épidémiologiques est<br />
primordial à <strong>la</strong> fois parce que ce<strong>la</strong> constitue un moyen d’apporter <strong>de</strong>s savoirs utiles à <strong>la</strong><br />
gestion du pathosystème comme enjeu sanitaire, et à <strong>la</strong> fois parce qu’il est important <strong>de</strong> « faire<br />
exister » l’enjeu sanitaire. Cependant, le contexte <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, caractérisé notamment par<br />
un investissement territorialisé et limité <strong>de</strong> l’administration et par un blocage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
coopération entre les différents mon<strong>de</strong>s sociaux liés à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un cadre<br />
réglementaire d’éradication contraignant, ne favorise pas <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> travaux<br />
scientifiques à visée épidémiologique. Nous verrons alors comment ceux-ci, pour voir le jour,<br />
doivent faire l’objet d’une flexibilité, <strong>de</strong> négociations, <strong>de</strong> contournements du cadre<br />
réglementaire et l’implication d’acteurs à <strong>la</strong> frontière entre mon<strong>de</strong>s sociaux 168 .<br />
a) Monter un programme d’épidémiologie : enjeu central et difficile <br />
Des incertitu<strong>de</strong>s multiples <br />
Le développement <strong>de</strong> Bemisia et les différents foyers <strong>de</strong> TYLCV observés sur le<br />
territoire métropolitain soulèvent un certain nombre d’incertitu<strong>de</strong>s auxquelles les actions<br />
menées par les pouvoirs publics dans le cadre <strong>de</strong> leur surveil<strong>la</strong>nce officielle ne peuvent pas<br />
répondre. D’une part il est difficile <strong>de</strong> savoir quel est le niveau exact <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination du<br />
territoire par le pathosystème. D’autre part, dans l’hypothèse même où l’on prend<br />
l’instal<strong>la</strong>tion du virus et <strong>de</strong> son vecteur comme une donnée, il est difficile <strong>de</strong> comprendre les<br />
mécanismes qui prési<strong>de</strong>nt à cette instal<strong>la</strong>tion et d’évaluer leur évolution probable.<br />
Les chercheurs du CBGP n’ont ainsi aucun moyen <strong>de</strong> savoir si le TYLCV est installé.<br />
Cependant, plutôt enclin à penser que le virus est « durablement présent » -sans avoir les<br />
moyens <strong>de</strong> le prouver 169 -, ils évoquent dès 2004 <strong>de</strong> nombreuses hypothèses envisageables<br />
pour rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire 170 . Ainsi, nous pouvons évoquer<br />
trois hypothèses non exclusives qu’ils font pour expliquer <strong>la</strong> présence et le maintien du virus,<br />
qui pourrait être liée : 1/ à l’introduction annuelle d’inoculums via <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts importés par <strong>de</strong>s<br />
producteurs amateurs sse fournissant au Maroc et en Espagne ; 2/ <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntesre<strong>la</strong>is<br />
extérieures aux serres, qui servent <strong>de</strong> réservoir au virus pendant l’hiver et qui réinfectent<br />
les vecteurs chaque saison et qui sont difficiles à i<strong>de</strong>ntifier (<strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntes existent<br />
aux abords <strong>de</strong>s serres, qui n’expriment pas nécessairement les symptômes <strong>de</strong> façon explicites<br />
et qui ne sont pas nécessairement répertoriées comme sensibles au TYLCV) ; 3/ l’existence <strong>de</strong><br />
zones d’entrepôt <strong>de</strong> fruits virolés (type décharge <strong>de</strong> marché) sur lesquels les vecteurs viennent<br />
se nourrir. Nous pouvons également évoquer certaines <strong>de</strong>s raisons qu’ils envisagent pour<br />
expliquer <strong>la</strong> présence et le maintien <strong>de</strong> Bemisia : 1/ Le maintien <strong>de</strong> serres chauffées pourraient<br />
servir <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is pour <strong>la</strong> survie d’individus en hiver, pério<strong>de</strong> à <strong>la</strong>quelle le froid est normalement<br />
léthal ; 2/ ce rôle <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is pourrait être également joué par <strong>de</strong>s serres froi<strong>de</strong>s paillées, utilisées<br />
notamment dans <strong>la</strong> production <strong>de</strong> sa<strong>la</strong><strong>de</strong>s ; 3/ Certains types <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> Bemisia<br />
168 De nombreux éléments <strong>de</strong> cette section ont déjà été développé dans (Prete 2008).<br />
169 Ils construisent leurs hypothèses sur une inconnue : y a-t-il plus <strong>de</strong> cas <strong>de</strong> TYLCV que ceux dont ils sont<br />
officiellement informés ? Si oui, dans quelle proportion. D’une manière générale ils sont persuadés –et savent<br />
par <strong>de</strong>s informations rapportées- que certains agriculteurs ne déc<strong>la</strong>rent pas <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> symptômes douteux.<br />
170 Les hypothèses que nous évoquons là sont <strong>de</strong>s hypothèses envisagées alors au cours d’échanges que nous<br />
avons eu avec ces chercheurs ou auxquels nous avons assistés à différentes occasions.<br />
102
pourraient réussir à se maintenir vivants en extérieur, dans certaines zones, selon certaines<br />
<strong>dynamique</strong>s climatiques (évolution <strong>de</strong>s températures progressives).<br />
Pour les chercheurs, ces hypothèses renvoient non seulement à <strong>de</strong>s questionnements<br />
scientifiques mais sont également intimement liées à <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> gestion. Par exemple,<br />
l’interrogation sur <strong>la</strong> présence du TYLCV dans <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes réservoirs hors <strong>de</strong>s serres pose <strong>la</strong><br />
question <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation sanitaire : s’il est trouvé du TYLCV dans <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>ntes réservoirs à l’extérieur <strong>de</strong>s serres, <strong>de</strong> façon très diffuse, et que ces p<strong>la</strong>ntes peuvent être<br />
considérées comme les sources <strong>de</strong> contamination <strong>de</strong>s cultures plutôt que l’éventuelle<br />
introduction pour p<strong>la</strong>ntation <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nts contaminés, alors ce<strong>la</strong> pourrait amener non seulement à<br />
renforcer l’idée que le TYLCV est « installé », mais également amener à considérer les<br />
producteurs plus comme <strong>de</strong>s victimes que comme les responsables <strong>de</strong> <strong>la</strong> contamination <strong>de</strong>s<br />
serres.<br />
La réponse à ces questions nécessiterait <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> dispositif <strong>de</strong> suivi<br />
épidémiologique qui permettrait d’évaluer <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, son maintien pendant<br />
l’hiver, ou encore <strong>de</strong> collecter <strong>de</strong>s échantillons d’insecte et <strong>de</strong> virus pour tenter, aux moyens<br />
d’outils génétiques, d’en retracer l’origine. Pourtant, le cadre réglementaire mis en p<strong>la</strong>ce pour<br />
faire face au problème TYLCV rend très difficile <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un tel dispositif et plus<br />
généralement <strong>la</strong> coopération entre l’administration, <strong>la</strong> profession et <strong>la</strong> recherche.<br />
Des incertitu<strong>de</strong>s inexplorables <br />
Pour les acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche, mener <strong>de</strong>s activités scientifiques sur les organismes<br />
<strong>de</strong> quarantaine implique <strong>de</strong>s contraintes particulières : les expérimentations doivent être<br />
menées dans <strong>de</strong>s espaces confinés agréés (Cf. Chapitre 5) ; <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s échantillons est<br />
soumise à l’obtention d’autorisations délivrées par l’administration ; enfin les chercheurs sont<br />
dans l’obligation <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>rer aux autorités sanitaires toute détection du pathogène qu’ils<br />
pourraient faire dans les échantillons qu’ils manipulent et les cultures qu’ils visitent.<br />
Ce <strong>de</strong>rnier point est particulièrement contraignant dans le cadre <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce et <strong>de</strong> lutte<br />
obligatoire décrit plus haut. En effet, dans ce contexte, <strong>de</strong>ux problèmes liés se posent<br />
principalement aux chercheurs qui voudraient faire un suivi épidémiologique du<br />
pathosystème, à savoir l’accès aux serres <strong>de</strong>s producteurs d’une part, et <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong><br />
l’information sanitaire qu’ils recueillent au cours <strong>de</strong> leurs enquêtes d’autre part.<br />
« Si tu veux pour résumer en <strong>de</strong>ux mots, en France, on a <strong>de</strong>s symptômes <strong>de</strong> TYLCV et on<br />
arrache pratiquement <strong>la</strong> serre et on n’a pas <strong>de</strong> dédommagements financiers contrairement à<br />
beaucoup d’autres ca<strong>la</strong>mités agricoles. . . c¸a veut dire qu’on est en pleine opacité avec <strong>la</strong><br />
production, qu’on a <strong>de</strong>s difficultés à aller dans les zones <strong>de</strong> production, que si, par exemple<br />
[un collègue chercheur] trouve autour <strong>de</strong>s serres du TYLCV, il va être obligé <strong>de</strong> le déc<strong>la</strong>rer<br />
séance tenante dès qu’il a vu qu’il s’agit bien <strong>de</strong> TYLCV, et c¸a signifie qu’il y a <strong>de</strong>s mesures<br />
particulières <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce qui sont prises par <strong>la</strong> PV dans le canton, et c¸a veut dire que le<br />
prochain coup les agriculteurs ils vont t’attendre avec le 22 long rifle. »<br />
Cet extrait d’entretien montre en effet que pour eux <strong>la</strong> question qui se pose est <strong>de</strong> savoir<br />
comment obtenir l’accès à <strong>de</strong>s exploitations pour produire <strong>de</strong>s données qui pourraient obliger<br />
ces mêmes agriculteurs à <strong>de</strong>voir arracher leurs cultures <strong>de</strong> tomate sans perspective<br />
d’in<strong>de</strong>mnisation. Les arrêtés <strong>de</strong> Lutte obligatoire sont perçus par les chercheurs comme<br />
d’autant plus contraignants qu’ils empêchent les recherches non seulement sur le TYLCV<br />
mais également sur d’autres virus émergents (Ticv, Tocv, CVYV) pour lesquels les données<br />
sont beaucoup plus rares que pour le TYLCV et pour lesquelles les outils d’analyses sont<br />
103
parfois inexistants. L’intervention d’un virologue d’Avignon au cours d’une réunion<br />
« épidémiologie » du programme BemisiaRisk évoque ce problème.<br />
Ce qui est complétement surréaliste et moi c’est une situation dans ma carrière même si elle<br />
se termine bientôt, c’est que cette réglementation a été mise au point avant qu’on ait <strong>de</strong>s outils<br />
<strong>de</strong> diagnostic pour nombre <strong>de</strong> ces virus…pour le TYLCV on avait <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> diagnostic,<br />
pour d’autres on venait <strong>de</strong> les mettre au point dans les <strong>la</strong>bos mais <strong>la</strong> PV n’était pas sensé le<br />
savoir… mais pour d’autres comme le TiCv, dont on avait même pas <strong>de</strong> séquence, on n’avait<br />
pas d’outils molécu<strong>la</strong>ires, pas d’outils sérologiques, on n’avait pas <strong>la</strong> symptomatologie parce<br />
que plein <strong>de</strong> virus provoquent les mêmes symptômes…on avait obligation <strong>de</strong> lutter contre <strong>de</strong>s<br />
agents que l’on ne savait pas détecter. Et tout ça a créé dans l’esprit <strong>de</strong>s producteurs une<br />
confusion (..) Et <strong>la</strong> conséquence c’est que les producteurs se sont trouvés dans une situation<br />
délicate. S’ils déc<strong>la</strong>raient ils étaient obligé d’arracher. Donc les mettre dans un dilemme<br />
ingénérable. Donc une certaine entrée dans <strong>la</strong> confi<strong>de</strong>ntialité, je caricature pas trop…et<br />
surtout pour nous c’était l’absence d’accès au serre, l’absence <strong>de</strong> possibilité<br />
d’expérimentation<br />
Chercheur Avignon Virologie<br />
Le cadre réglementaire crée donc une situation paradoxale où les conditions <strong>de</strong> l’évaluation <strong>de</strong><br />
sa pertinence sont rendues impossibles par ses conséquences et où, en même temps, il ne crée<br />
pas les conditions d’une col<strong>la</strong>boration entre les différentes parties prenantes –administration et<br />
professionnels au premier p<strong>la</strong>n- sensées le faire appliquer. Il crée en quelque sorte une<br />
situation <strong>de</strong> « dilemme social » (Kollock 1998), dans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> rationalité <strong>de</strong> décisions<br />
d’acteurs individuels entraîne une diminution du bien-être collectif —ne pas coopérer au<br />
dispositif <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce en ne notifiant pas <strong>la</strong> contamination <strong>de</strong> sa production favorise le<br />
développement d’une ma<strong>la</strong>die dans une zone <strong>de</strong> production.<br />
Cependant, comme nous allons le voir, le fait que le droit ne soit pas suffisant pour assurer les<br />
conditions <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’une surveil<strong>la</strong>nce efficace et d’une activité <strong>de</strong> recherche<br />
épidémiologique opérationnelle n’empêche pas complètement <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong> dispositifs<br />
visant à recueillir <strong>de</strong>s données épidémiologiques et une certaine circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l’information<br />
sanitaire. La recherche en effet, en s’inscrivant dans <strong>de</strong>s dispositifs re<strong>la</strong>tivements informels<br />
d’exploration du contournement du droit, arrivent à faire exister un espace<br />
d’épidémiosurveil<strong>la</strong>nce du pathosystème Bemisia/TYLCV.<br />
b) L’épidémiologie négociée : accomo<strong>de</strong>ments réglementaires et <br />
brico<strong>la</strong>ge expérimental <br />
Une recherche épidémiologique flexible et négociée <br />
Pour étudier l’épidémiologie <strong>de</strong> bemisia et <strong>de</strong> ses virus, une <strong>de</strong>s solutions envisagées<br />
par les équipes <strong>de</strong> recherche consiste à développer <strong>de</strong>s expérimentations dans <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong><br />
production où le cadre réglementaire est moins contraignant, c’est à dire dans le cadre du<br />
projet BemisiaRisk, principalement en Espagne, au Maroc et en Tunisie. L’idée est en<br />
quelque sorte <strong>de</strong> s’extraire du cadre contraignant <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce pour développer <strong>de</strong>s<br />
savoirs proprement épidémiologiques sur <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Bemisia et <strong>de</strong>s<br />
épidémies <strong>de</strong> TYLCV. Ainsi <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> collecte d’échantillon, d’instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> pièges<br />
d’insectes, sont mis en p<strong>la</strong>ce dans ces pays en col<strong>la</strong>boration avec <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> recherche,<br />
via notamment <strong>de</strong>s liens développés préa<strong>la</strong>blement dans le cadre <strong>de</strong> partenariat impliquant<br />
l’IRD et le CIRAD. Cependant, comme le souligne l’extrait d’entretien collectif suivant avec<br />
les animateurs du CBGP, cette solution est jugée peu satisfaisante au regard <strong>de</strong> l’objectif <strong>de</strong><br />
comprendre <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> du pathosystème sur le territoire français :<br />
104
FP : en Espagne les dispositions sont un peu différentes, à savoir que ce n’est pas un<br />
organisme <strong>de</strong> quarantaine…ils ont pas pu le mettre <strong>de</strong> quarantaine puisqu’il est avéré qu’il es<br />
en Espagne, par contre ils ont mis en p<strong>la</strong>ce une réglementation <strong>de</strong> LO qui est une<br />
réglementation sélective, cad que pour eux ne sont à détruire que les p<strong>la</strong>nts ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, détectés<br />
soit par symptomes, soit après analyses…mais dans <strong>la</strong> mesure où ça ne concerne qu’un p<strong>la</strong>nt<br />
à chaque fois ce n’est pas répulsif pour l’agriculteur …<br />
GP : donc tu aurais moins <strong>de</strong> mal à installer tes pôles etc.<br />
FP : voilà, seulement ce n’est pas parce qu’on va faire <strong>de</strong> l’épidémiologie en Espagne qu’on<br />
va comprendre comment ça se passe en France. Nous ce qui nous intéresse en France c’est <strong>de</strong><br />
savoir comment l’inocculum se maintient et comment il se diffuse. On oublie qu’on a l’hiver et<br />
qu’en hiver il y a pas beaucoup <strong>de</strong> cultures en plein champ, alors il y a <strong>de</strong>s cultures en serres<br />
mais pour qu’une culture en serre soit contaminante il faut que ça sorte <strong>de</strong> <strong>la</strong> serre, or les<br />
serres en France comme tu sais elles sont barricadées, il faut que ça sorte, ça marche dans les<br />
<strong>de</strong>ux sens le « barricadage »….<br />
Plusieurs éléments – l’environnement climatique, <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> culture,<br />
l’environnement paysager- sont ici invoqués pour caractériser les spécificités <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation<br />
française et mettre en avant les limites <strong>de</strong> l’expérimentation « exportée ». Pour dépasser ces<br />
limites et mettre en œuvre <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> recherche à visée épidémiologique sur le territoire<br />
français, il s’agit alors d’imaginer <strong>de</strong>s dispositifs qui s’accomo<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s contraintes du cadre<br />
réglementaire et du positionnement <strong>de</strong>s producteurs par rapport à ces contraintess. L’analyse<br />
<strong>de</strong> l’action <strong>de</strong>s chercheurs montre alors que ceux-ci, dans une logique d’exploration, ont dû<br />
imaginer <strong>de</strong>s dispositifs bricolés et négocier certains accomo<strong>de</strong>ments avec le droit.<br />
La thématique <strong>de</strong> l’épidémiologie, au cours <strong>de</strong>s entretiens que nous avons pu avoir<br />
avec les chercheurs ou <strong>de</strong>s réunions auxquelles nous avons assisté, était caractéristiquement<br />
toujours abordée sous le mo<strong>de</strong> d’un questionnement sur les dispositifs d’expérimentation :<br />
que mettre en p<strong>la</strong>ce ? Comment faire évoluer les solutions imaginées ? Dans un cadre <strong>de</strong><br />
contrainte forte, les chercheurs explorent en effet sans cesse 171 -« sur le papier » ou<br />
concrètement- <strong>de</strong>s modalités nouvelles d’organisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> collecte et d’analyse<br />
d’échantillons. En plus <strong>de</strong> l’épidémiologie « exportée », sont ainsi développés un certain<br />
nombre <strong>de</strong> dispositifs <strong>de</strong> manière parallèle, qui sont <strong>de</strong>s dispositifs évolutifs.<br />
Le premier consiste à prospecter les p<strong>la</strong>ntes-sauvages hôtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone du Roussillon. Ci ce<br />
dispositif a l’avantage <strong>de</strong> ne pas nécessiter l’entrée dans les serres <strong>de</strong> production, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
cependant que les chercheurs qui y participent se mettent d’accord sur l’étendue <strong>de</strong> <strong>la</strong> Iion à<br />
entreprendre, sur les modalités d’analyse <strong>de</strong>s échantillons et sur les modalités <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong>s<br />
résultats :<br />
Ce qu’on propose <strong>de</strong> faire c’est d’aller faire un échantillonnage un peu sauvage sur <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>ntes (…)…il y a (l’ingénieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> station d’Alenya) qui avait déjà fait <strong>de</strong>s prélèvements<br />
pour envoyer à Avignon dans le passé donc on aimerait bien aller voir où il avait fait <strong>de</strong>s<br />
prélèvements positifs et ailleurs, ( …) il m’a dit <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois au téléphone qu’il avait vu<br />
<strong>de</strong>s symptomes pas très catholiques, ceci dit on ne sait pas qui va faire l’analyse, parce que<br />
apparemment Avignon ils veulent se désengager coté TYLCV, moi je peux faire les analyses<br />
maintenant parce que <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> semaine <strong>de</strong>rnière j’ai reçu les ELISA, mais je ne peux faire<br />
que ça, donc quelque part on peut faire <strong>de</strong>s analyses ici, maintenant il faut qu’on adopte une<br />
politique commune si on trouve du TYLCV qu’est-ce qu’on fait ? moi je n’ai pas <strong>la</strong> solution,<br />
171 On pourrait objecter que ce régime exploratoire est partagé par toute activité scientifique. Cependant il nous<br />
semble qu’ici elle est particulièrement accentuée par <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> dépasser un cadre réglementaire très<br />
limitant.<br />
105
j’ai tendance à dire moi, je ferme ma gueule et puis on verra après mais c’est une position un<br />
peu frileuse…<br />
Cet extrait d’intervention <strong>de</strong> réunion évoque ces différents points. Les discussions collectives<br />
aboutissent à <strong>de</strong>s accords sur certaines modalités du dispositif qui sont révisables au cours du<br />
temps. Les chercheurs s’accor<strong>de</strong>nt ainsi sur une prospection intensive assez limitée <strong>de</strong><br />
quelques p<strong>la</strong>ntes connues comme étant <strong>de</strong>s réservoirs du virus (Datura Stramonium et<br />
So<strong>la</strong>num nigrum) couplée à un échantillonnage moins systématique <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntes non<br />
répertoriées comme hôtes potentielles du virus. Ils s’accor<strong>de</strong>nt par ailleurs sur <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong><br />
coordonner les prospections, <strong>de</strong> manière à ne pas être trop visibles sur le terrain, à opérer<br />
discrètement. Enfin, le fait que le chercheur du CBGP qui anime le dispositif épidémiologique<br />
ait les <strong>connaissances</strong> et les outils pour réaliser les analyses virales lui-même permet <strong>de</strong> tomber<br />
d’accord sur le fait que les échantillons positifs ne seront pas immédiatement notifiés à<br />
l’administration.<br />
Un second dispositif consiste à p<strong>la</strong>nter <strong>de</strong>s cultures sensibles au TYLCV (tomate et autres) à<br />
proximité <strong>de</strong> serres <strong>de</strong> production. Cette instal<strong>la</strong>tion permet aux chercheurs <strong>de</strong> <strong>de</strong> collecter <strong>de</strong>s<br />
données qualitatives sur <strong>la</strong> présence du virus et <strong>de</strong> tester <strong>de</strong>s hypothèses sur sa circu<strong>la</strong>tion<br />
entre l’intérieur et l’extérieur <strong>de</strong>s serres, dans une perspective plus qualitative que<br />
quantitative 172 . Concrètement, quelques producteurs (cinq puis quatre) acceptent qu’un suivi<br />
épidémiologique soit fait sur ces p<strong>la</strong>ntes-hôtes à condition que les chercheurs leurs<br />
garantissent oralement que s’ils trouvent du TYLCV en extérieur, ils n’avertiront<br />
l’administration qu’après <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> production <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> tomate. Il s’agit donc<br />
<strong>de</strong> contourner <strong>la</strong> réglementation en découp<strong>la</strong>nt l’échantillonnage <strong>de</strong> l’analyse et cette <strong>de</strong>rnière<br />
<strong>de</strong> sa publicisation, c’est à dire en privilégiant <strong>la</strong> collecte <strong>de</strong> donnée visant à produire <strong>de</strong>s<br />
<strong>connaissances</strong> à moyens termes plutôt que <strong>la</strong> mise en évi<strong>de</strong>nce d’un foyer à court terme.<br />
En complément <strong>de</strong>s garanties <strong>de</strong> confi<strong>de</strong>ntialité, une contrepartie à <strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s<br />
producteurs au dispositif épidémiologique est l’engagement informel <strong>de</strong>s chercheurs à les<br />
accompagner dans <strong>la</strong> gestion phytosanitaire <strong>de</strong> leurs exploitations. Outre qu’ils peuvent les<br />
ai<strong>de</strong>r matériellement (fournitures <strong>de</strong> matériel, envoi d’un technicien pour s’assurer du<br />
désherbage), ils interviennent si besoin en cas <strong>de</strong> « problème » dans l’exploitation. Le<br />
dispositif épidémiologique s’apparente alors à une expérimentation qui « rend floue <strong>la</strong> ligne<br />
entre le <strong>la</strong>boratoire et le champ » (Henke 2000) et au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle les scientifiques<br />
doivent, pour pouvoir réaliser leur expérimentation, sortir <strong>de</strong> leur rôle <strong>de</strong> chercheur <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong>boratoire pour endosser celui <strong>de</strong> technicien. L’encadré suivant vient préciser ce point à<br />
partir du compte-rendu d’une situation rapportée par les chercheurs.<br />
Ces exemples montrent comment, vis-à-vis <strong>de</strong> Bemisia/viroses, l’enquête<br />
épidémiologique est caractérisée par une double exploration. Une exploration expérimentale<br />
et sanitaire d’une part, qui implique une évolution fréquente <strong>de</strong>s modalités d’enquêtes et un<br />
rapport opportuniste aux possibilités d’acquérir <strong>de</strong>s données sanitaires. Il ne s’agit pas <strong>de</strong><br />
répondre à une question en particulier re<strong>la</strong>tive à l’épidémiologie du pathosystème mais<br />
d’avoir un faisceau très <strong>la</strong>rge d’incertitu<strong>de</strong>s et d’essayer <strong>de</strong> réduire –ou d’é<strong>la</strong>rgir- ces<br />
incertitu<strong>de</strong>s en fonction <strong>de</strong>s opportunités d’accès aux serres, <strong>de</strong> collectes d’échantillons et<br />
d’informations. Une exploration du cadre réglementaire 173 d’autre part, les chercheurs <strong>de</strong>vant,<br />
172 L’équipe <strong>de</strong> recherche n’aurait, même si c’était possible, pas les moyens matériels et humains, malgré<br />
l’acceptation du programme BemisiaRisk, <strong>de</strong> financer les échantillonnages réguliers, systématiques et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong><br />
ampleur qui permettrait <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>connaissances</strong> quantitativement pertinentes.<br />
173 Dans cette exploration, nous nous sommes souvent retrouvé en tant que sociologue ou « socio-économiste »<br />
en position d’être interpellé : que dit <strong>la</strong> réglementation ? Comment négocier avec les pouvoirs publics ? Que se<br />
106
pour faire aboutir leurs objectifs <strong>de</strong> recherche, s’approprier un cadre réglementaire qu’ils<br />
connaissent mal (voir également chap. 5) pour pouvoir « jouer » avec et se mettre en re<strong>la</strong>tion<br />
avec <strong>de</strong>s acteurs avec lesquels ils n’ont pas nécessairement l’habitu<strong>de</strong> d’interagir comme les<br />
acteurs <strong>de</strong> l’administration.<br />
Deux acteurs centraux <strong>de</strong> l’épidémiosurveil<strong>la</strong>nce <br />
Dans <strong>la</strong> situation étudiée, <strong>de</strong>ux acteurs jouent un rôle primordial dans l’existence<br />
d’arrangements informels et le développement d’une coopération entre les différents mon<strong>de</strong>s<br />
sociaux concernés. Ces acteurs jouent notamment un rôle très important au regard <strong>de</strong> l’activité<br />
épidémiologique développée par les chercheurs du programme BemisiaRisk.<br />
Ces <strong>de</strong>ux acteurs ont <strong>de</strong>s rôles institutionnels bien différents vis-à-vis du suivi du<br />
virus. Le premier est le responsable local <strong>de</strong> l’antenne déconcentrée du service régional <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
protection <strong>de</strong>s végétaux (SRPV). L’alerte et l’investigation sur le pathogène font partie <strong>de</strong> ses<br />
tâches officielles. Celui-ci participe à <strong>de</strong> multiples réseaux d’information technique et<br />
réunions professionnelles. Il a développé avec certains techniciens <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions qui lui<br />
permettent d’obtenir, hors du cadre <strong>de</strong> ses propres prospections officielles, <strong>de</strong>s informations<br />
sur l’évolution du virus dans les serres <strong>de</strong> production. Par exemple, en 2002, c’est un échange<br />
avec un technicien <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone qui lui permet <strong>de</strong> « découvrir » le premier cas <strong>de</strong> virus inscrit en<br />
lutte obligatoire dans une serre <strong>de</strong> tomate. Au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce,<br />
il adopte <strong>de</strong>s pratiques « accommodantes » avec le cadre réglementaire. Il lui arrive, par<br />
exemple, <strong>de</strong> faire signer les notifications d’arrachage obligatoire par ses supérieurs au lieu <strong>de</strong><br />
les signer lui même, ce qui permet <strong>de</strong> reporter dans le temps <strong>la</strong> mise en application <strong>de</strong> cet<br />
arrachage et <strong>de</strong> reporter sur ses supérieurs hiérarchiques <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> décision<br />
d’arracher. Par ailleurs, comme le décrit l’extrait d’entretien ci-<strong>de</strong>ssous, il adopte lors <strong>de</strong>s<br />
visites <strong>de</strong>s serres <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’observation qui lui donnent <strong>la</strong> possibilité d’i<strong>de</strong>ntifier les<br />
contaminations importantes mais lui permettent <strong>de</strong> ne pas forcément mettre en évi<strong>de</strong>nce<br />
l’existence <strong>de</strong> « petits » foyers.<br />
« (Vous êtes accommodant avec le seuil d’une p<strong>la</strong>nte ma<strong>la</strong><strong>de</strong> sur mille ?). Je n’irai pas jusque<br />
là, mais disons que je n’irai pas fouiller. Il n’est pas question d’aller dans toutes les serres<br />
rang par rang, etc. On rentre dans les serres, en général dans l’allée centrale face à l’entrée<br />
principale, par <strong>la</strong>quelle rentre le vecteur... on va pas fouiller partout, ce qu’on voit <strong>de</strong> l’allée<br />
centrale donne une indication, maintenant il pourrait y avoir d’autres foyers avec carreau<br />
cassé 174 mais généralement ce qui est vu <strong>de</strong> l’allée centrale est un bon indicateur. »<br />
Responsable antenne locale PV<br />
Ainsi, il permet à <strong>de</strong>s producteurs dont les serres sont faiblement infectées d’arracher et <strong>de</strong><br />
remp<strong>la</strong>cer eux-mêmes leurs p<strong>la</strong>ntes au fur et à mesure qu’elles sont contaminées. L’existence<br />
<strong>de</strong> ces « accommo<strong>de</strong>ments » dans le travail d’inspection ne renvoie pas ici à un simple<br />
détournement <strong>de</strong> l’ordre juridique mais à une volonté —bien décrite par <strong>la</strong> littérature sur le<br />
travail d’inspection (Dodier 1986; Dodier 1991; Bonnaud 2005)— d’inscrire le contrôle dans<br />
une re<strong>la</strong>tion pédagogique. L’inspection est l’occasion pour l’agent administratif d’informer les<br />
passe-t-il en Espagne ? Autant <strong>de</strong> questions pour lesquelles les sciences humaines bénéficient d’une présomption<br />
d’expertise.<br />
174 L’idée exprimée est qu’un carreau cassé dans une serre étant un lieu potentiel d’introduction du vecteur du<br />
TYLCV, il est possible que <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s se trouvent dans <strong>de</strong>s allées secondaires, à proximité <strong>de</strong> vitres<br />
brisées.<br />
107
producteurs sur <strong>la</strong> réglementation et <strong>de</strong> les inciter à adopter <strong>de</strong>s pratiques en matière <strong>de</strong><br />
gestion <strong>de</strong>s cultures considérées comme nécessaires pour se prémunir du virus. De manière<br />
symétrique, l’inspecteur se fait le re<strong>la</strong>is auprès <strong>de</strong> sa hiérarchie <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong>s<br />
producteurs et <strong>de</strong> leur volonté d’obtenir <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s financières et un allégement du p<strong>la</strong>n<br />
d’éradication.<br />
Le second est <strong>la</strong> station expérimentale <strong>de</strong> l’INRA que nous avons évoqué au chapitre<br />
précé<strong>de</strong>nt et dont nous avons souligné le rôle d’organisation-frontière. La présence <strong>de</strong> ces<br />
<strong>de</strong>ux acteurs facilite l’exploration épidémiologique entreprise par les chercheurs du<br />
programme BemisiaRisk.<br />
Outre que certains <strong>de</strong> ses membres sont directement investis dans <strong>la</strong> prospection <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nteshôtes<br />
sauvages et apportent, <strong>de</strong> par leur connaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone prospectée, une expertise<br />
particulièrement utile dans cette tâche, <strong>la</strong> station INRA intervient comme intermédiaire auprès<br />
<strong>de</strong>s producteurs dans <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s dispositifs <strong>de</strong> piégeage à proximité <strong>de</strong>s serres. C’est<br />
par son intermédiaire que les chercheurs ont pu i<strong>de</strong>ntifier les producteurs et les convaincre <strong>de</strong><br />
s’engager dans un dispositif qui pourrait les exposer à voir leurs cultures arrachées. La station<br />
INRA a en effet soit contacté directement <strong>de</strong>s producteurs, soit <strong>de</strong>mandé au technicien <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
chambre d’agriculture, avec qui elle a <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions privilégiées, <strong>de</strong> lui en indiquer qui<br />
pourraient être d’accord pour participer à l’expérimentation 175 . Son intermédiation est, pour<br />
les professionnels, une garantie que <strong>la</strong> confi<strong>de</strong>ntialité sera respectée. Par ailleurs, du fait <strong>de</strong><br />
son ancrage local, <strong>la</strong> station a accès à <strong>de</strong>s réunions professionnelles auxquelles tous les<br />
chercheurs du programme BemisiaRisk n’ont pas accès. Sa présence permet donc,<br />
indirectement, d’être tenu au courant <strong>de</strong>s informations qui s’y échangent et <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s<br />
données recueillies dans les réseaux professionnels.<br />
L’agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV n’est pas prévenu immédiatement du détail <strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong>s activités<br />
épidémiologiques. Cependant, à mesure que les chercheurs comprennent qu’il est un acteur<br />
accomodant vis-à-vis du cadre réglementaire et qu’ils ont <strong>de</strong>s interactions avec lui –au cours<br />
<strong>de</strong>s forums notamment- leurs re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>viennent plus franches, propices à un échange<br />
d’information.<br />
Ces re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong> PV qui permettent une articu<strong>la</strong>tion entre une volonté administrative <strong>de</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce et une volonté scientifique d’épidémiologie -articu<strong>la</strong>tion que nous appelons<br />
l’ « épidémiosurveil<strong>la</strong>nce »- sont personnalisées, informelles mais également fragiles.<br />
De l’ « épidémiosurveil<strong>la</strong>nce » à <strong>la</strong> mise en débat du cadre réglementaire ? <br />
Le travail <strong>de</strong>s chercheurs du projet BemisiaRisk impliqués dans les travaux<br />
d’épidémiologie permet <strong>de</strong> regrouper et <strong>de</strong> produire un certain nombre d’informations sur <strong>la</strong><br />
situation sanitaire re<strong>la</strong>tive au pathosystème Bemisia/TYLCV. Celles-ci réduisent un certain<br />
nombre d’incertitu<strong>de</strong>s, en ouvre <strong>de</strong>s nouvelles et <strong>la</strong>issent, du fait <strong>de</strong>s possibilités limitées<br />
175 Trouver <strong>de</strong>s producteurs pour accueillir ces dispositifs n’est pas aisé. Outre qu’ils doivent répondre à un<br />
cahier <strong>de</strong>s charges techniques précis (continuité <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> tomate ; niveau technique <strong>de</strong>s pratiques<br />
agricoles professionnel ; absence <strong>de</strong> filets insect-proofs pour permettre les échanges biotiques entre l’intérieur et<br />
l’extérieur <strong>de</strong>s serres), ils doivent accepter <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borer. Certains refusent.<br />
108
d’action sur lesquelles elles sont construites, <strong>de</strong> nombreuses questions en suspens. Une gran<strong>de</strong><br />
partie <strong>de</strong> ces informations, à l’image <strong>de</strong> celles présentées dans <strong>la</strong> carte ci-<strong>de</strong>ssous, sont<br />
assimi<strong>la</strong>bles à <strong>de</strong>s informations <strong>de</strong>scriptives <strong>de</strong> présence ou d’absence du pathosystème sur le<br />
territoire : <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce est produite au cours <strong>de</strong> l’activité scientifique.<br />
Présentation au Forum BemisiaRisk 2008 176<br />
D - Conclusion: Pour une vision politique <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce<br />
Nous avons commencé ce chapitre en pointant le manque d’étu<strong>de</strong>s étudiant<br />
concrétement les modalités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s enjeux sanitaires et environnementaux et plus<br />
spécifiquement <strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s acteurs scientifiques dans cette surveil<strong>la</strong>nce. Ce que, par<br />
leur juxtaposition, chacune <strong>de</strong>s situations étudiées permet <strong>de</strong> souligner ici est <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong><br />
prendre en compte <strong>la</strong> nature très contingentes <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce dans leur<br />
déploiement. A côté <strong>de</strong>s analyses critiques qui interrogent <strong>la</strong> dimension disciplinaire <strong>de</strong>s<br />
dispositifs <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce qui se développent aujourd’hui, nous pouvons montrer comment<br />
ces dispositifs sont toujours l’objet <strong>de</strong> négociations, d’aménagements qui ne peuvent, pour<br />
reprendre les termes <strong>de</strong> French (2009) s’abstraire totalement <strong>de</strong>s ordres locaux <strong>de</strong><br />
176 L’image illustre le type <strong>de</strong> documents que l’épidémiosurveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Bemisia/TYLCV permet <strong>de</strong> produire et<br />
qui sont diffusés et discutés <strong>de</strong> manière semi-publics au cours <strong>de</strong>s forums : une cartographie <strong>de</strong>scriptive,<br />
territorialisée, assez peu précise dans ses observations et qui permet aux chercheurs qui <strong>la</strong> présente <strong>de</strong> soutenir<br />
l’affirmation que « le TYLCV » est installé.<br />
109
concernement 177 engagés dans <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cadre réglementaires et<br />
organisationnels simi<strong>la</strong>ires, ce sont bien <strong>de</strong>s ordres négociés dans lesquels <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce se<br />
construit. Nous rejoignons en ce sens les travaux <strong>de</strong> sociologues <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s<br />
géographes (Barker 2008; Hinchliffe and Bingham 2008) <strong>de</strong> <strong>la</strong> biosécurité qui, en prenant en<br />
compte les interactions entre les différents acteurs impliqués et l’interférence <strong>de</strong> leurs intérets,<br />
visions du mon<strong>de</strong>, ou plus <strong>la</strong>rgement, d’écologie d’action, dépassent les points <strong>de</strong> vue<br />
critiques dichotomiques <strong>de</strong>s dispositifs publics <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, dénoncés pour ne jamais<br />
s’inscrire dans un rapport flexible au variations spatiotemporelles <strong>de</strong>s contextes <strong>de</strong><br />
déploiement <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies surveillées.<br />
Que ce soit en regardant <strong>la</strong> manière dont les catégorisations publiques ont rigidifié <strong>de</strong>s<br />
distinctions entre le pathogène et le non pathogène (lien et lulka, cités par Barker), dont les<br />
politiques ont éviter <strong>de</strong> reconnaître <strong>la</strong> mobilité et l’indétermination <strong>de</strong>s objets et pratiques <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> biosécurité (Hinchliffe 2001), ou via une critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> naïveté <strong>de</strong>s scientifiques mettant en<br />
œuvre <strong>la</strong> biosécurité (Donaldson and Wood 2001), beaucoup <strong>de</strong> travaux surévaluent 178 en<br />
effet peut-être <strong>la</strong> rigidité <strong>de</strong>s dispositifs <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce et ne prennent pas en compte<br />
suffisamment <strong>la</strong> réflexivité <strong>de</strong>s acteurs et les jeux qu’ils mettent en p<strong>la</strong>ce par rapport à ces<br />
cadres. Ceci dit, <strong>la</strong> question normative du <strong>de</strong>gré nécessaire <strong>de</strong> fléxibilité <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce au regard <strong>de</strong> leur effectivité par rapport à <strong>la</strong> flexibilité <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />
(Law 2004; Law 2006), qui s’exemplifie dans <strong>la</strong> tension entre volonté <strong>de</strong> surveiller et volonté<br />
d’éradiquer (Barbier, 2006; Fintz 2005), reste une question ouverte.<br />
177 La réflexion <strong>de</strong> French vise à critiquer les conceptions immatérielles <strong>de</strong> l’inforamtion sous-jacente aux<br />
dispositifs <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, conceptions qui neutralisent l’irréductabilité <strong>de</strong>s situations surveillées. D’accord avec<br />
son analyse <strong>de</strong>s dispositifs comme abstraction, nous montrons cependant <strong>la</strong> résistancce en quelque sorte <strong>de</strong>s<br />
ordres locaux <strong>de</strong> concernement.<br />
178 On peut s’interroger avec Barker sur le rôle que joue dans ce positionnement le fait que les objets étudiés sont<br />
très <strong>la</strong>rgement <strong>de</strong>s situations très dramatiques dans leur retentissement et leurs conséquences.<br />
110
CONCLUSION : Des marginaux-sécants aux médiateurs<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce<br />
Chacune situation d’émergence renvoie au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> visée épidémiologique à une<br />
configuration particulière qui ne peut être compris comme uniquement à visée <strong>de</strong> Recherche<br />
ou à visée <strong>de</strong> production d’Intelligence épidémiologique, mais qui, en fonction <strong>de</strong>s contextes<br />
<strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce, se construit dans un rapport d’autonomie et <strong>de</strong> dépendance spécifique aux<br />
pouvoirs publics et aux acteurs professionnels.<br />
C<strong>la</strong>ssiquement, <strong>la</strong> sociologie <strong>de</strong>s organisations a en effet mis en évi<strong>de</strong>nce l’importance<br />
jouée par certains types d’acteurs dans <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration entre organisations.<br />
Un certain nombre d’auteurs (Thompson, 1967 ; Aldrich et Herker, 1977) développent les<br />
concepts <strong>de</strong> boundary rôle ou <strong>de</strong> boundary spanner. Ils utilisent ces concepts pour décrire <strong>de</strong>s<br />
personnes ou services qui, au sein d’une organisation, ont l’importante fonction <strong>de</strong> canaliser<br />
les échanges d’information et <strong>de</strong> servir <strong>de</strong> médiateurs entre l’organisation et son<br />
environnement 179 . Prolongeant <strong>la</strong> réflexion sur ces types d’acteurs, mais critiquant <strong>la</strong><br />
conception objectifiante <strong>de</strong> l’environnement sur <strong>la</strong>quelle elle repose, M. Crozier et E.<br />
Friedberg ont —en s’inspirant du travail <strong>de</strong> H. Jamous 180 — développé le concept <strong>de</strong><br />
«marginal-sécant » pour décrire les personnes qui « par leurs appartenances multiples » et «<br />
leur capital <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion » mettent en re<strong>la</strong>tion les uns avec les autres plusieurs systèmes d’action<br />
et jouent ainsi « le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre <strong>de</strong>s logiques<br />
d’actions différentes, voire contradictoires » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 86). Dans cette<br />
perspective, le « marginal-sécant » est considéré comme un acteur stratégique qui tire profit<br />
<strong>de</strong> sa position pour obtenir <strong>de</strong>s gains personnels et pour renforcer sa position au sein <strong>de</strong> son<br />
organisation d’appartenance, pour <strong>la</strong>quelle il joue à <strong>la</strong> fois le rôle <strong>de</strong> « porte-parole <strong>de</strong>s » et <strong>de</strong><br />
« représentants auprès <strong>de</strong>s » segments concrets <strong>de</strong> l’environnement (Friedberg, 1993). Cette<br />
approche, quoique indéniablement heuristique, a pour nous et dans notre contexte <strong>de</strong><br />
recherche une limite. Construite à partir d’une analyse d’interdépendances re<strong>la</strong>tivement<br />
stabilisées entre <strong>de</strong>s systèmes d’action, elle tend à orienter l’analyse sur les actions routinières<br />
sinon récurrentes qui constituent les stratégies <strong>de</strong>s intermédiaires, au risque <strong>de</strong> ne pas rendre<br />
compte <strong>de</strong> leur nature <strong>dynamique</strong> et fragile dans les situations moins stabilisées. Or, les<br />
situations que nous étudions sont <strong>de</strong>s situations dont <strong>la</strong> stabilisation est <strong>dynamique</strong>, plus ou<br />
moins croissante au fil du temps.<br />
L’agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV et <strong>la</strong> station expérimentale ne sont pas, pour reprendre <strong>la</strong> distinction<br />
faite par <strong>la</strong> sociologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> traduction, <strong>de</strong> simples intermédiaires mais <strong>de</strong>s médiateurs. De fait,<br />
179 Dans cette littérature, le raisonnement est fonctionnaliste : il y a nécessité dans une organisation que <strong>de</strong>s<br />
personnes soient chargées <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions avec l’environnement, que ce<strong>la</strong> soit explicitement spécifié ou non, que ces<br />
activités soient routinières ou non.<br />
180 H. Jamous étudie <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s médicales et <strong>de</strong>s structures hospitalières. Il insiste, dans ce processus,<br />
sur le rôle <strong>de</strong> marginaux et défavorisés du système médical, en montrant notamment comment leurs<br />
représentants poussent <strong>la</strong> réforme par leur accès à plusieurs lieux <strong>de</strong> pouvoir et <strong>de</strong> décision (Jamous, 1969).<br />
111
ils sont <strong>de</strong>s opérateurs <strong>de</strong> transformations, <strong>de</strong> traductions et <strong>de</strong> distorsions <strong>de</strong>s informations<br />
qu’ils peuvent recevoir, dont « les inputs ne permettent jamais <strong>de</strong> prévoir les outputs »<br />
(Latour, 2006). Ils agissent dans les réseaux instables et non formalisés <strong>de</strong> <strong>la</strong> « surveil<strong>la</strong>nce au<br />
concret». Le directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> station INRA ne communique pas immédiatement à<br />
l’administration toutes les informations qu’il collecte mais évalue à chaque échange ce qu’il<br />
peut ou ne peut pas dire, et à quel moment le dire. Par exemple, ce n’est qu’à l’automne 2003<br />
qu’il informe l’agent local <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV <strong>de</strong>s réunions professionnelles qui ont eu lieu à l’été 2003.<br />
L’attitu<strong>de</strong> « accommodante » <strong>de</strong> cet agent local <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV l’encourage ensuite évi<strong>de</strong>mment à<br />
être plus franchement un re<strong>la</strong>is entre le mon<strong>de</strong> professionnel et les autorités sanitaires. De <strong>la</strong><br />
même manière, le lien que construit l’agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV avec les acteurs professionnels est un<br />
lien fragile et <strong>dynamique</strong>. Non formalisé dans un accord écrit, il repose sur <strong>la</strong> bonne volonté<br />
d’individus à l’entretenir, et si l’agent <strong>de</strong> <strong>la</strong> PV est invité jusqu’au printemps 2003 à certaines<br />
réunions <strong>de</strong> <strong>la</strong> cellule <strong>de</strong> veille, il n’y est plus invité lorsque <strong>la</strong> situation sanitaire se détériore<br />
trop. Servant jusque-là à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong> source d’ai<strong>de</strong> technique et <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is auprès <strong>de</strong><br />
l’administration centrale pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s et un allégement du p<strong>la</strong>n d’éradication, il<br />
perd le contact avec les représentants professionnels quand ceux-ci estiment que <strong>la</strong> priorité est<br />
<strong>de</strong> faire le secret sur le développement du TYLCV et d’empêcher l’administration d’arracher<br />
les cultures au moment du cycle <strong>de</strong> production où elles sont le plus rentables. Il y a donc une<br />
forme <strong>de</strong> transgression qui construit dès le départ une prise sur <strong>la</strong> situation.<br />
Cependant, <strong>la</strong> fragilité <strong>de</strong> ce lien et sa non-formalisation est en même temps <strong>la</strong><br />
condition <strong>de</strong> son existence : c’est parce que les acteurs entrent dans <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions<br />
interpersonnelles et ne se « lient pas les mains » par rapport aux conditions <strong>de</strong> leurs échanges<br />
dans un contexte qui est marqué par une incertitu<strong>de</strong> sanitaire forte qu’ils peuvent, à certains<br />
moments, coopérer. S’il est possible d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong>s intérêts orientant le travail <strong>de</strong> médiation<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pivots <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce, leur action ne prend pas uniquement sens par rapport à un<br />
intérêt personnel. Les entretiens effectués et les observations réalisées soulignent également<br />
qu’ils agissent comme ils le font parce qu’ils ont développé, au cours du temps, une capacité<br />
d’empathie et ce que D. Chilshom a appelé <strong>de</strong>s « attitu<strong>de</strong>s cosmopolitaines, [. . .] favorables à<br />
l’idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> coordination entre organisations multiples » (Chisholm, 1989, p. 89). La citation<br />
suivante, qui montre l’agent <strong>de</strong> l’administration se projetant « à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce du producteur » et<br />
s’estimant <strong>de</strong>voir prendre en compte l’intérêt <strong>de</strong> tous les acteurs concernés, illustre ce<strong>la</strong> :<br />
« Moi je dis, c’est mon point <strong>de</strong> vue, je suis dans le bateau du service public, <strong>de</strong> <strong>la</strong> collectivité,<br />
<strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> profession mais aussi <strong>de</strong>s contribuables, il faut que ce soit juste. Je trouve que<br />
sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> mon expérience je pense que ce virus est installé durablement, ça sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> ce qui<br />
s’est passé chez les marocains et les espagnols. On a pu bénéficier <strong>de</strong> leur expérience mais <strong>de</strong>s virus<br />
comme ça, ça ne s’arrête pas comme ça. . . à partir <strong>de</strong> là, ce seuil <strong>de</strong> un pour mille <strong>de</strong>vient un peu<br />
dépassé car c’est condamner d’entrée un producteur, on notifie l’arrachage <strong>de</strong> sa culture mais au bout<br />
du compte il n’est pas in<strong>de</strong>mnisé. » (responsable PV).<br />
Cette capacité d’empathie se définit comme une capacité à se montrer humain,<br />
compréhensif et à prendre en compte les intérêts d’autres acteurs dans <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> son<br />
intérêt et <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> son rôle institutionnel (Dupuy et Thoenig, 1985 ; Thoenig, 1994).<br />
Elle est créatrice <strong>de</strong> tensions pour les médiateurs qui, vou<strong>la</strong>nt amener les différents acteurs à<br />
coopérer « sans <strong>de</strong>venir leur otage » , redéfinissent au cours <strong>de</strong> leurs interactions les frontières<br />
<strong>de</strong> ce rôle et l’i<strong>de</strong>ntité qu’y s’y rattache. Dans <strong>la</strong> situation étudiée, trois éléments essentiels<br />
participent à <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> capacité d’empathie <strong>de</strong>s « médiateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce »<br />
envers les producteurs et les techniciens : 1) <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion dans les espaces professionnels, 2)<br />
le partage d’une compétence technique et 3) le temps <strong>de</strong> l’action collective. En effet, l’un<br />
comme l’autre sont présents <strong>de</strong>puis plusieurs années dans <strong>la</strong> zone <strong>de</strong> production. Ils ont<br />
112
participé à <strong>de</strong> multiples réseaux sociotechniques plus ou moins formalisés dans lesquels ils<br />
ont échangé avec <strong>de</strong>s acteurs hétérogènes, producteurs et techniciens, dont ils ont appris à<br />
connaître et à comprendre les enjeux, les ressources et les contraintes. La découverte du virus<br />
vient perturber ces réseaux sociotechniques, les re<strong>la</strong>tions et les accords sur <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong><br />
certains biens qui s’y sont développé, sans les faire disparaître. Ayant développé <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions<br />
<strong>de</strong> confiance avec certains producteurs et techniciens, capables <strong>de</strong> faire preuve d’empathie par<br />
rapport à leur situation et valorisant certains enjeux comme le maintien <strong>de</strong> <strong>la</strong> production<br />
agricole et <strong>la</strong> coopération entre différents mon<strong>de</strong>s sociaux, les « médiateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce<br />
» acceptent, dans une certaine mesure et non sans tension, d’ajuster les règles formelles <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
surveil<strong>la</strong>nce sanitaire pour travailler à une solution <strong>de</strong> dépassement <strong>de</strong>s blocages qu’elles<br />
induisent.<br />
Il est évi<strong>de</strong>nt que ce travail d’accommo<strong>de</strong>ment n’est pas forcément l’expression ou<br />
l’application <strong>de</strong> <strong>la</strong> règle <strong>de</strong> droit, mais c’est un travail <strong>de</strong> « passe » qui vise à mettre en prise<br />
les acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce avec l’effectivité <strong>de</strong>s risques tels qu’ils existent en pratiques.<br />
Pour ces médiateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce, dans un contexte d’émergence, il est ainsi important<br />
<strong>de</strong> comprendre comment se constituent les dangers sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>dynamique</strong> <strong>de</strong>s<br />
bioagresseurs dans les milieux investis (sous serre et dans l’environnement), comment les<br />
producteurs et les conseillers appréhen<strong>de</strong>nt le risque économique d’une éradication<br />
conduisant à l’arrachage, comment constituer une approche du risque à l’échelle du territoire<br />
(ici le bassin <strong>de</strong> récolte), c’est à dire du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions entre les serres <strong>de</strong><br />
différentes exploitations.<br />
Se disposer dans cette perspective et ainsi plus utile à moyen terme que <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à<br />
un exercice <strong>de</strong> contrôle visant l’application <strong>de</strong> <strong>la</strong> réglementation au risque <strong>de</strong> perdre toute<br />
prise sur <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong>s pratiques. Il y a donc bien une forme <strong>de</strong> transgression mais celle-ci<br />
s’avère liée – sans revendications aucunes- à une volonté <strong>de</strong> savoir qui concerne l’émergence<br />
dans toutes ses dimensions, et donc aussi à ce que l’écologie <strong>de</strong>s bioagresseurs peut conduire<br />
les humains à faire où ne pas faire et à l’écologie <strong>de</strong>s pratiques humaines qui en découle. Il<br />
s’agit d’une configuration tout à fait importante qui charge <strong>la</strong> prise en charge <strong>de</strong>s bioinvasions<br />
d’organismes <strong>de</strong> quarantaine d’une dimension éthique sur le p<strong>la</strong>n professionnel, mais<br />
également sur le p<strong>la</strong>n moral et politique quand il s’agit <strong>de</strong> dévi<strong>de</strong>r si <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> savoir doit<br />
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