l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

isolé, favorisent le développement des droits bourgeois et nient les droits de l’homme en
tant que tels 10 .
Un premier exemple de ce mécanisme est celui de la loi Le Chapelier qui, au nom
de « la liberté des entrepreneurs de travaux » (citée par Marx) interdit les coalitions
ouvrières, autrement dit, remet en cause le droit d’association que Karl Marx défend
(Marx, 1867a, p. 189) 11 . En partant ainsi d’un idéal universel, un droit de l’homme
spécifique va se développer, celui du monde économique qui réduit la liberté à celle du
marché. Dès lors, le droit de propriété devient « le droit de réaliser librement du profit »
(Marx et Engels, 1846, p. 202), et la liberté du travail est la liberté pour les travailleurs de
se concurrencer les uns les autres (Marx et Engels, 1846, p. 197-198). D’où ce constat
célèbre :
« Elle [la classe bourgeoise] a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de
l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux
glacées du calcul égoïste. Elle a supprimé la dignité de l’individu devenu simple
valeur d’échange ; aux innombrables libertés dûment garanties et si chèrement
conquises, elle a substitué l’unique et impitoyable liberté de commerce. » (Marx et
Engels, 1848, p. 29), (souligné par nous).
Passage intéressant à double titre puisqu’il indique à la fois que les libertés, pour ne pas
être abstraites, doivent être réellement garanties – ce qui peut sous-entendre un Etat
démocratique responsable – et qu’elles ont pour objet le respect de la dignité de l’être
humain. Cette même dignité que les défenseurs contemporains des droits de l’homme
posent souvent comme leur objet premier et prioritaire (cf., en particulier, Meyer-Bisch,
1992). Cette dignité repose sur l’homme comme être complexe, « à la fois corps et
conscience » (Mourgeon, 1998, p. 5), « à la fois situé de façon unique, et porteur d’un
universel » (Meyer-Bisch, 1992, p. 16). Cette dignité, qui implique donc à la fois le respect
de l’esprit et du corps de l’individu, est déstructurée par le capitalisme. Les exemples ne
manquent pas, ni à l’époque de Marx, ni à la nôtre. Ils peuvent être très concrets, à l’image
des conditions dégradantes de travail, par exemple, ou plus abstraits, comme la réification
de l’espèce qui remet en cause l’humanité de l’homme.
10 Un passage important des Grundrisse peut être souligné, où Marx décrit l’échange simple où règnent
« l’égalité » et la « liberté » entre les échangistes. Il conclut en relevant que hors de l’échange simple (cas qui
ne peut être qu’hypothétique) et dans la réalité concrète, « on sait que dans les profondeurs se déroulent de
tout autres mouvements, où disparaît cette apparente égalité et liberté des individus » (Marx, 1857b, p. 17).
11 Sur la Loi Le Chapelier, on peut se reporter avec profit à (Potier, 1989).
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