l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

Section III : Eléments d’une analyse marxienne des droits de l’homme.
Si Adam Smith s’oppose à la société mercantile, c’est le capitalisme qui a succédé à
celle-ci que rejette Karl Marx. Cette société qui réifie tout – c’est-à-dire qui transforme en
objet commercialisable, en marchandise –, y compris l’être humain lui-même. Nous
partons de l’idée que l’analyse de Marx est encore en grande partie valable aujourd’hui.
Nous n’en ferons pas la démonstration détaillée ici car tel n’est pas notre propos 1 .
Il est assez courant de reconnaître que le mouvement socialiste, autant avant
qu’après K. Marx, a eu le mérite d’indiquer l’importance des droits sociaux et leur
complémentarité à l’égard des droits civils et politiques 2 . Cependant, cet apport est souvent
occulté par la remise en cause des droits civils et politiques du « communisme réel »
supposé inspiré par l’œuvre de Karl Marx. Car en effet, ce dernier rejette les droits de
l’homme et du citoyen proclamés de 1789 à 1793. Néanmoins, il convient de s’interroger
sur la pertinence de ce rejet, y compris du point de vue de Marx lui-même. Nous pouvons
ainsi penser que, après avoir remis en cause les droits de l’homme et du citoyen dans ses
écrits de jeunesse et de philosophe, Karl Marx a défendu ces mêmes droits avec leur
extension en droits sociaux 3 . Il a pris leur défense tout au long de son œuvre économique,
pour conclure sur l’indivisibilité et l’importance intrinsèque de tous les droits de l’homme
dans son œuvre politique majeure : La guerre civile en France 1871.
Ce sont ces points que nous voulons d’abord souligner, après quoi deux débats
peuvent être menés qui éclairent un peu plus le lien entre droits de l’homme et
problématique économique. Le premier débat concerne la question de la confusion entre
droit et droits de l’homme chez Marx, confusion liée à l’analyse de la puissance et du droit
1 Citons, à titre d’exemple, les deux traits caractéristiques du mode de production capitaliste (Marx, 1867b, p.
792) : « Sa production est une production marchande. (…) Cela implique d’abord que l’ouvrier lui-même
apparaît uniquement comme vendeur de marchandises » (…) « Ce qui, deuxièmement, distingue spécialement
le mode capitaliste de production c’est, en tant que sa fin immédiate et son moteur déterminant, la production
de plus-value. » ; il nous semble que le second point aurait bien du mal à être contesté aujourd’hui, puisqu’il
est même revendiqué. Quant au premier point, on peut remarquer que les auteurs libéraux ( Michel Godet en
France) et les managers américains défendent le développement du « tout travail » impliquant de voir
l’ouvrier comme un entrepreneur qui gère sa vie comme une marchandise qu’il vend. A contrario, plusieurs
auteurs s’opposent à la réification actuelle de l’être humain dans le développement du travail précaire et du
secteur des services ; cf. notamment (Bartoli, 1998), (Boissonnat, 1995), (Méda, 1999). Un exemple de cette
réification est donné par ce patron de supermarché qui veut voir la capacité à être aimable, à sourire, etc.
reconnue par un diplôme, cité par André Gorz (1994) ; voir aussi Lucien Sève (1990, p. 62).
2 Cf. par exemple (Mourgeon, 1998, p. 9), (Ferry et Renaut, 1985, p. 27-31), ainsi que les quelques exemples
que nous discutons dans notre première section, supra.
3 Il nous faut préciser que nous n’adhérons pas spécialement à l’hypothèse de la dichotomie entre le « jeune »
et le « vieux » Marx. De fait, en ce qui concerne les droits de l’homme, il les a défendus en actes dès sa
jeunesse, cf. (Joubert, 1988).
81