l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I
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navire » (Idem, p. 264). Cela serait d’autant plus justifié que, pour Smith, « la France et l’Angleterre peuvent avoir chacune quelques motifs de craindre l’accroissement respectif de leur puissance navale et militaire ; mais il est au-dessous de la dignité de deux nations si puissantes, de s’envier réciproquement leur prospérité intérieure, l’amélioration de leur agriculture, de leurs manufactures et de leur commerce (…) : tous ces biens sont le perfectionnement du monde dans lequel nous vivons. Ils rendent l’homme plus heureux, et ennoblissent sa nature. (…) Ils sont l’objet d’une émulation nationale, et ne devraient pas être celui des préjugés et de l’envie mutuelle entre les différents peuples. » (Smith, 1790, p. 267) (souligné par nous). C’est pourquoi, si les militaires ont un rôle protecteur a priori indispensable, la guerre est une chose à éviter, d’autant plus qu’elle n’a jamais de motifs valables. 2. La guerre s’oppose à la justice et donc à l’humanité. La plupart des guerres sont associées aux colonies : soit pour s’en emparer, soit pour les défendre. Il y a là une double inefficacité : d’une part, les revenus que l’on peut attendre des colonies sont souvent inexistants et, d’autre part, on ruine l’Etat pour protéger un commerce de monopole qui lui-même nuit à l’ensemble de la société (Smith, 1776, p. 643, 707-708, 722, etc.) D’où, par exemple, la constatation que « rien ne peut être plus méprisable qu’une guerre contre les Indiens d’Amérique du Nord » (Idem, p. 791). Ainsi, pour des raisons sans valeur, les règles supérieures de la justice sont violées et le droit à la vie ainsi que le droit de propriété se voient remis en cause 4 . « Une de ces règles est que jamais l’innocent ne doit souffrir ou être puni pour le coupable, quoiqu’il ait pu avoir quelque rapport involontaire avec lui. Cependant, dans les guerres les plus injustes, ce sont les souverains ou leurs ministres qui, ordinairement, sont seuls coupables ; les sujets sont toujours parfaitement innocents ; nous voyons néanmoins les armées ennemies prendre, selon leur convenance, les biens des citoyens les plus paisibles, ravager leurs terres, incendier leurs maisons, et même leur donner la mort ou les conduire en esclavage s’ils font la moindre résistance ; et tout cela est parfaitement conforme à ce qu’on appelle les lois des nations. » (Smith, 1790, p. 174-175). 4 Les circonstances de la guerre placent le soldat dans des situations qui « diminuent toujours ou éteignent absolument ce respect sacré pour la propriété et la vie, qui est l’unique base de la justice et de l’humanité » (Smith, 1790, p. 172). 62
Cette constatation et le souhait d’un commerce libre divergent des politiques mercantilistes de l'époque, et poussent Adam Smith à voir dans le commerce un moyen de la paix internationale. 3. La paix comme but ; le commerce comme moyen. La thèse qui résume le mieux cette pensée est celle caractérisée par Albert Hirschman (1984, p. 12s) sous le nom de « doux commerce ». Il cite Montesquieu pour qui le commerce rend les mœurs douces : c’est un agent civilisateur. Nous n’en dirons guère plus sur cette thèse ici ; nous voulons seulement préciser quelques points principaux qui peuvent servir aujourd’hui pour définir ce que peut être un commerce international « juste », c’est-à-dire qui profite à tous par l’instauration de la paix. Ainsi, se trouve chez Adam Smith la défense du progrès partagé de l’humanité, c’est-à-dire la préfiguration des droits de l’homme qui émergent aujourd’hui sous le nom de « troisième génération » : droit des peuples, droit au développement, droit à la paix. Ce droit à la paix est « le droit aux droits de l’homme » (Meyer-Bisch, 1992, p. 242) et, comme tous les droits de l’homme, il peut être vu comme une fin en soi plutôt que comme un moyen (Idem, 1992, p. 245). Cette idée est particulièrement valable dans une optique économique et en matière de droit au développement et de droit à la paix. Pour Adam Smith, s’il convient de défendre le commerce et le progrès des manufactures, c’est parce qu’ils permettent d’atteindre le développement, la paix et la satisfaction des besoins. Adam Smith précise que « le bonheur consiste à être en paix et à jouir. Sans la paix il n’y a pas de jouissance » (1790, p. 167). Il nous précise comment, selon lui, les nations peuvent accroître leur jouissance mutuelle : en commerçant pour se développer l’une l’autre, et garantir ainsi la paix, parallèle aux progrès de l’humanité. Car pour pouvoir commercer, il faut que tous les pays se développent mutuellement 5 : « De même qu’un homme riche a plus de chances qu’un homme pauvre d’être un meilleur client pour les 5 La critique de Friedrich List prend ici tout son sens. Elle consiste à dire que pour que les théories libreéchangistes soient valables, il convient que les pays qui commercent entre eux aient le même niveau de développement. De fait, Smith ne dit pas réellement le contraire ; il croit simplement que c’est notamment par le commerce que ce développement deviendra possible. La position de List est la suivante : « la doctrine d’Adam Smith en matière de commerce international (…) ignore la nationalité, elle exclut presque absolument la politique et le gouvernement, elle suppose l’existence de la paix perpétuelle et de l’association universelle, elle méconnaît les avantages d’une industrie manufacturière nationale (…) » (List, 1841, p. 480). Notre interprétation de l’œuvre de Smith tend à montrer le contraire, Smith tenant compte des aspects nationaux (le commerce intérieur est le plus important pour lui, voir ci-après) et des avantages des manufactures. 63
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Cette constatation et le souhait d’un commerce libre divergent <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques mercantilistes<br />
<strong>de</strong> l'époque, et poussent Adam Smith à voir dans le commerce un moyen <strong>de</strong> la paix<br />
internationale.<br />
3. La paix comme but ; le commerce comme moyen.<br />
La thèse qui résume le mieux cette pensée est celle caractérisée par Albert<br />
Hirschman (1984, p. 12s) sous le nom <strong>de</strong> « doux commerce ». Il cite Montesquieu pour qui<br />
le commerce rend les mœurs douces : c’est un agent civilisateur. Nous n’en dirons guère<br />
plus sur cette thèse ici ; nous voulons seulement préciser quelques points principaux qui<br />
peuvent servir aujourd’hui pour définir ce que peut être un commerce international<br />
« juste », c’est-à-dire qui profite à tous par l’instauration <strong>de</strong> la paix. Ainsi, se trouve chez<br />
Adam Smith la défense du progrès partagé <strong>de</strong> l’humanité, c’est-à-dire la préfiguration <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme qui émergent aujourd’hui sous le nom <strong>de</strong> « troisième génération » : droit<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> peuples, droit au développement, droit à la paix.<br />
Ce droit à la paix est « le droit aux <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme » (Meyer-Bisch, 1992, p.<br />
242) et, comme tous les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, il peut être vu comme une fin en soi plutôt que<br />
comme un moyen (I<strong>de</strong>m, 1992, p. 245). Cette idée est particulièrement valable dans une<br />
optique économique et en matière <strong>de</strong> droit au développement et <strong>de</strong> droit à la paix. Pour<br />
Adam Smith, s’il convient <strong>de</strong> défendre le commerce et le progrès <strong><strong>de</strong>s</strong> manufactures, c’est<br />
parce qu’ils permettent d’atteindre le développement, la paix et la satisfaction <strong><strong>de</strong>s</strong> besoins.<br />
Adam Smith précise que « le bonheur consiste à être en paix et à jouir. Sans la paix<br />
il n’y a pas <strong>de</strong> jouissance » (1790, p. 167). Il nous précise comment, selon lui, les nations<br />
peuvent accroître leur jouissance mutuelle : en commerçant pour se développer l’une<br />
l’autre, et garantir ainsi la paix, parallèle aux progrès <strong>de</strong> l’humanité. Car pour pouvoir<br />
commercer, il faut que tous les pays se développent mutuellement 5 : « De même qu’un<br />
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5 La critique <strong>de</strong> Friedrich List prend ici tout son sens. Elle consiste à dire que pour que les théories libreéchangistes<br />
soient valables, il convient que les pays qui commercent entre eux aient le même niveau <strong>de</strong><br />
développement. De fait, Smith ne dit pas réellement le contraire ; il croit simplement que c’est notamment<br />
par le commerce que ce développement <strong>de</strong>viendra possible. La position <strong>de</strong> List est la suivante : « la doctrine<br />
d’Adam Smith en matière <strong>de</strong> commerce international (…) ignore la nationalité, elle exclut presque<br />
absolument la politique et le gouvernement, elle suppose l’existence <strong>de</strong> la paix perpétuelle et <strong>de</strong> l’association<br />
universelle, elle méconnaît les avantages d’une industrie manufacturière nationale (…) » (List, 1841, p. 480).<br />
Notre interprétation <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Smith tend à montrer le contraire, Smith tenant compte <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects<br />
nationaux (le commerce intérieur est le plus important pour lui, voir ci-après) et <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
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