l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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de pierre appartient à tous et l’existence de la misère ne résulte que de l’accaparement de la richesse par quelques-uns. De manière détournée, nous retrouvons là la question du droit de propriété comme droit naturel, incluant le droit de propriété intellectuelle, qui doit être également réparti entre tous les hommes et leur donner accès à ce qui est nécessaire à leur vie : il faut, avant tout, reconnaître à tous le droit à la vie, nous dit Kropotkine. Il y a donc là une source d’affirmation des droits de l’homme, comme héritage commun du travail intellectuel de nos ancêtres, tout comme de leurs actes révolutionnaires. En outre, les droits de l’homme peuvent être une mesure de ce que contient cet héritage : ils signifient que tous doivent bénéficier des libertés permises par les progrès de l’humanité. Le second point concerne le principe « à chacun selon ses besoins » que Kropotkine défend ardemment. Ce principe découle tout naturellement de la réforme de la propriété : si les moyens de production sont détenus en commun, les fruits de la production seront également consommés en commun. Ce qui peut ainsi sembler de l’ordre de l’utopie, Kropotkine nous montre qu’il peut en être autrement. Il lui semble que la consommation commune sera nécessaire par l’impossibilité de déterminer la part de chacun dans la production. Par ailleurs, de nombreux services sont déjà « communistes » à son époque : les parcs gratuits, les tarifs des transports (carte d’abonnement ferroviaire), le prix unique des postes, etc. Il s’agit, dans tous ces cas, de ne pas mesurer la consommation. Il est donc possible de reconnaître des domaines où la nécessité de répondre aux besoins doit permettre de passer outre des calculs d’efficience tout relatifs, là où la consommation peut être infinie sans mettre en danger l’équilibre de l’écosystème. Les droits de l’homme entrent dans cette catégorie particulière de denrées auxquelles il doit être possible de recourir continuellement. C. L’école de la chaire. Revenons à présent à des données plus précises. Face à l’émergence de l’économie néo-classique, se dresse, en Allemagne, l’école historique qui donne naissance aux 48

« socialistes » de la chaire, dont Gustave Schmoller et Adolphe Wagner sont les représentants les plus influents 50 . Les « socialistes » de la chaire sont les économistes qui se sont réunis en congrès à Eisenach en 1872. Ils étaient, pour certains, des économistes de l’école historique allemande, et prônaient un interventionnisme d’Etat anti-libéral. Ils ont ainsi été une source d’inspiration pour Bismarck, dans sa décision d’instaurer des assurances sociales en Allemagne. Il s’agit, pour eux, de montrer qu’il existe une solidarité morale qui unit les individus d’une même nation, résultat de la communauté de langue, de mœurs et d’institutions politiques. L’Etat est le représentant de cette solidarité, et il doit intervenir en faveur de tous ses citoyens pour leur assurer l’accès aux bienfaits de la civilisation. Dans ce cadre, l’Etat ne doit pas se substituer à l’individu, mais se préoccuper des conditions générales de son développement (Gide et Rist, 1920, p. 526). Le texte de Schmoller (1881) sur l’idée de justice en économie, éclaire la vision générale de ces auteurs, tout comme la vision qu’ils ont des droits. Schmoller y remarque tout d’abord l’importance du facteur économique pour les droits : la lutte pour les droits, qu’il s’agisse des droits politiques, des droits du mariage ou de la lutte « pour l’honneur » 51 , est une lutte pour l’accès aux revenus et au bien-être. Il y a donc là une reconnaissance de l’importance économique des droits de l’homme dans leur entièreté. Deuxième point qui domine cette analyse, l’importance du mérite face à l’égalité. L’inégalité matérielle est inacceptable lorsqu’elle concerne des personnes qui ont des mérites égaux, d’où découle que ce n’est pas la force ou la chance qui doivent déterminer les gains des individus, mais leurs mérites qui doivent déterminer leurs droits. Si ce point de vue moral peut paraître limité, il comporte toutefois quelques considérations appréciables. − Il y a tout d’abord une distinction à faire entre les « crude rights » et les « refined rights » 52 , les droits bruts ou idéaux et les droits épurés ou pratiques. Les premiers sont 50 Sur l’importance contemporaine de Gustave Schmoller, cf. (Peukert, 2001) ; la conclusion de cet article souligne un point des plus intéressants, sur lequel toutefois nous n’insisterons pas ; nous pouvons donc la reprendre ici succinctement. Peukert remarque que les questions qui se posent aujourd’hui, notamment en matière d’environnement (émission de CO2, par exemple), ne relèvent pas seulement de décisions individuelles, mais ont des implications éthiques ; dans ce cadre, la méthode de Schmoller, incluant l’histoire, les institutions et l’éthique dans une approche interdisciplinaire de l’économie, n’est pas quelque chose du passé, mais bien une préoccupation valable pour maintenant et pour notre futur proche. La méthode interdisciplinaire se retrouvant aujourd’hui chez plusieurs auteurs dont nous nous inspirons directement, ce lien entre Schmoller et la méthode adéquate d’une économie des droits de l’homme devait être signalé. 51 De manière plus générale, on dirait plutôt aujourd’hui « pour la dignité ». 52 Traduits de l’allemand par E. Halle et C. Schutz, Annals of the American Academy of Political and Social Science, 4, 1893-1894. Nous n’avons pas trouvé la version allemande. 49

<strong>de</strong> pierre appartient à tous et l’existence <strong>de</strong> la misère ne résulte que <strong>de</strong> l’accaparement <strong>de</strong> la<br />

richesse par quelques-uns. De manière détournée, nous retrouvons là la question du droit<br />

<strong>de</strong> propriété comme droit naturel, incluant le droit <strong>de</strong> propriété intellectuelle, qui doit être<br />

également réparti entre tous les hommes et leur donner accès à ce qui est nécessaire à leur<br />

vie : il faut, avant tout, reconnaître à tous le droit à la vie, nous dit Kropotkine. Il y a donc<br />

là une source d’affirmation <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, comme héritage commun du travail<br />

intellectuel <strong>de</strong> nos ancêtres, tout comme <strong>de</strong> leurs actes révolutionnaires. En outre, les <strong>droits</strong><br />

<strong>de</strong> l’homme peuvent être une mesure <strong>de</strong> ce que contient cet héritage : ils signifient que tous<br />

doivent bénéficier <strong><strong>de</strong>s</strong> libertés permises par les progrès <strong>de</strong> l’humanité.<br />

Le second point concerne le principe « à chacun selon ses besoins » que Kropotkine<br />

défend ar<strong>de</strong>mment. Ce principe découle tout naturellement <strong>de</strong> la réforme <strong>de</strong> la propriété : si<br />

les moyens <strong>de</strong> production sont détenus en commun, les fruits <strong>de</strong> la production seront<br />

également consommés en commun. Ce qui peut ainsi sembler <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’utopie,<br />

Kropotkine nous montre qu’il peut en être autrement. Il lui semble que la consommation<br />

commune sera nécessaire par l’impossibilité <strong>de</strong> déterminer la part <strong>de</strong> chacun dans la<br />

production. Par ailleurs, <strong>de</strong> nombreux services sont déjà « communistes » à son époque :<br />

les parcs gratuits, les tarifs <strong><strong>de</strong>s</strong> transports (carte d’abonnement ferroviaire), le prix unique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> postes, etc. Il s’agit, dans tous ces cas, <strong>de</strong> ne pas mesurer la consommation. Il est donc<br />

possible <strong>de</strong> reconnaître <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines où la nécessité <strong>de</strong> répondre aux besoins doit<br />

permettre <strong>de</strong> passer outre <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs d’efficience tout relatifs, là où la consommation peut<br />

être infinie sans mettre en danger l’équilibre <strong>de</strong> l’écosystème. Les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme<br />

entrent dans cette catégorie particulière <strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées auxquelles il doit être possible <strong>de</strong><br />

recourir continuellement.<br />

C. L’école <strong>de</strong> la chaire.<br />

Revenons à présent à <strong><strong>de</strong>s</strong> données plus précises. Face à l’émergence <strong>de</strong> l’économie<br />

néo-classique, se dresse, en Allemagne, l’école historique qui donne naissance aux<br />

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