l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

Disons-le d’emblée, l’économie néo-classique à elle seule ne peut que difficilement
prendre en compte les droits de l’homme,... lorsqu’elle ne va pas jusqu’à s’y opposer 35 .
L’auteur contemporain de l’école autrichienne, Friedrich Hayek, l’illustre parfaitement,
puisque s’il rejette la concurrence pure et parfaite comme une abstraction, il défend la
concurrence et l’équilibre « naturel » comme seul fonctionnement libre de la société. Le
paradoxe est que, au nom de cette liberté, l’homme est nécessairement le jouet des forces
(ou des lois) naturelles du marché, à tel point qu’il ne pourra jamais être le maître de son
destin (Hayek, 1979). Nous pouvons observer, toutefois, que les premiers néo-classiques
cantonnaient leurs principes au domaine purement économique de l’échange. Ils
n’étudiaient que les mobiles égoïstes de l’homme et laissaient la porte ouverte à d’autres
comportements dans d’autres domaines.
Cependant, l’ambiguïté n’est pas absente de certaines démarches qui défendent des
idées, nous semble-t-il, assez peu scientifiques. Par exemple, Edgeworth n’hésite pas à
recourir à l’utilité marginale pour justifier une répartition inégale des ressources et des
droits, au désavantage des femmes. Celles-ci étant moins capables de transformer les biens
en utilité ou, autrement dit, ayant une productivité marginale plus faible, elles se voient
pénalisées par le système utilitariste en vigueur. Il y a un présupposé bien peu scientifique,
et même si l’on suppose qu’il s’avérait vérifiable empiriquement à l’époque, il nous est
impossible de ne pas voir l’erreur récurrente associée au refus de « sortir du marché ».
N’est-il pas possible, au contraire, de s’interroger sur la pertinence de l’observation qui
veut que les femmes aient une productivité moindre ? Cela vient-il du fonctionnement
naturel du marché ? Cela tient-il à la nature même de la femme ? Cela vient-il du rôle de la
femme dans la société et donc de facteurs socioculturels ? Cela vient-il du fait que
l’économiste ne considère qu’une certaine forme de productivité 36 ?
De même, la remarque de Stanley Jevons sur les « nègres » n’est pas une simple
anecdote qui, replacée dans son contexte, n’aurait aucune valeur particulière. Dans son
chapitre sur la théorie du travail, St. Jevons écrit (1909, p. 263) :
35 D’abord parce qu’elle a voulu, pour se constituer comme science, se séparer de la morale, du droit et de la
politique. La science économique est alors devenue une science « a-civique » (Moulier-Boutang, 1998, p.
30). Ensuite parce que, lorsqu’elle s’est retrouvée confrontée à des phénomènes d’organisation, elle les a
d’abord pensés en termes d’obstacles ou d’accélérateur du marché (Idem). Que ce soit dans ses débuts
comme dans ses développements récents, nous pouvons donc conclure, en première approximation, qu’en
refusant le droit en tant que tel comme constitutif de normes pouvant sous-tendre le marché et lui être
indispensables, l’économie néo-classique a exclu de son champ tout ce qui a un lien étroit avec les droits de
l’homme.
36 Ne peut-on pas imaginer que les femmes aient une plus grande productivité que les hommes vis-à-vis de
telle ou telle ressource ? Ou, au contraire, que leurs productivités respectives soient égales dès lors qu’ils et
elles sont placés dans les mêmes conditions ? Etc.
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