l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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certains travaux dans des établissements communs, afin qu’ils soient moins à la charge de la société – mais qui doit instaurer ces établissements communs, si ce n’est l’Etat que l’on entend par ailleurs réduire ? A cela s’ajoute une autre exception, celle constituée par les militaires invalides : c’est la nation que l’on retrouve ici, au-dessus – ou, peut-être, au service – du marché. De ces exceptions, découlent toutes les autres qui, et bien que J.-B. Say rappelle le problème de l’aléa moral 26 , vont directement à l’encontre de son principe général, au nom des droits de l’humanité. Ainsi, une nation civilisée doit vouloir s’affranchir du « spectacle de la souffrance », d’autant que sa sûreté exige qu’elle réduise certains dangers, comme les maladies contagieuses. Toutefois, la considération de l’aléa moral le conduit aussi à encourager des mesures peu libérales comme les maisons de travail dans lesquelles les vagabonds sont volontiers – mais non pas volontairement, loin s’en faut ! – embrigadés. Au bout du compte, il y a dans les hésitations de Say, une défense implicite des droits de l’homme, à la fois de 1789 et de ceux qui suivront : les droits sociaux ne peuvent être ignorés dans une société où la pauvreté est inhérente au fonctionnement du système d’une nation qui se dit civilisée. John Stuart Mill est encore plus explicite à cet égard. 3. John Stuart Mill ou le classicisme socialiste libéral. « La liberté des contrats, lorsqu’il s’agit d’enfants, n’est qu’une forme de la liberté de contraindre. » 27 John Stuart Mill, un des rares « vrais » utilitaristes, suivant la filiation de Bentham à travers son père, James Mill, est aussi le plus grand économiste anglais de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il faut dire qu’il ne s’arrête pas à de simples considérations de « calcul des peines et des plaisirs ». Il dépasse, à bien des égards, cette logique basique, notamment en proclamant des droits pré-politiques opposables à l’Etat, ce que réfutait Bentham. Cependant, il ne déclame pas des droits abstraits, mais les justifie sous forme de normes liées à l’utilité. Celle-ci, en effet, est le critère ultime en ce qui concerne les questions éthiques, à condition qu’elle soit prise dans son sens le plus large : qu’elle se fonde sur l’intérêt permanent de l’homme capable de progrès (Mill, 1859, p. 76). Ces 26 Terme contemporain que Say n’utilise pas, bien entendu. Il signifie qu’une personne assurée contre un risque aura davantage tendance à prendre ce risque : un conducteur assuré conduira moins prudemment, etc. 27 Principes d’économie politique, 1848 ; cité par (Brémond et Salort, 1992). 34

positions, ainsi que l’influence marquée de sa femme 28 , l’entraînent à défendre la démocratie et la liberté, tout en développant une pensée économique originale. a. Démocratie et liberté chez John Stuart Mill. John Stuart Mill est un défenseur de la démocratie, qui semble également adhérer à l’indivisibilité des droits politiques, civils et sociaux. S’il y a là une certaine application de la règle utilitariste (chacun sait mieux que quiconque où est son intérêt et il est raisonnable que chaque intérêt puisse être représenté 29 ) la justification des droits politiques va dans un sens bien supérieur à ces considérations. D’ailleurs, le suffrage universel n’est qu’un idéal chez Mill, idéal assez éloigné de ses propositions concrètes, comme la nécessité de l’alphabétisation précédant le droit de vote, la nécessité de payer l’impôt même minimum, etc. (Bobbio, 1996, p. 83). En fait, il s’agit surtout, pour John Mill, de défendre la liberté contre la tyrannie de la majorité. La liberté est assez difficile à identifier avec précision, mais ce n’est qu’une raison de plus pour garantir une démocratie pleine de sens, c’est-à-dire où tous ont voix au chapitre. Ainsi, pour Mill (1859, p. 75), « la liberté, comme principe, ne peut s’appliquer à un état de choses antérieur à l’époque où l’humanité devient capable de s’améliorer par la libre discussion entre individus égaux ». La liberté est donc intimement liée à la démocratie. Cependant, la liberté qu’il semble défendre ne correspond pas toujours à cet idéal démocratique, dès lors que les lois du marché sont remises en cause : la liberté d’un individu ne doit pas nuire à autrui, nous dit-il ; au nom de ce principe, le marchand de blé qui affame le peuple pour faire monter les cours, ne doit pas être inquiété par la foule en colère (Mill, 1859, p. 146). Voilà qui nous semble bien contradictoire ! Comment se fait-il que l’on ne puisse pas considérer le marchand qui refuse la discussion entre individus égaux et qui nuit à autrui en engrangeant le blé pour élever son prix, comme bafouant la liberté de tous les autres ? Nous aurons l’occasion de revenir sur ce genre de considérations 30 , mais les précisions qu’apporte Mill vont déjà elles-mêmes contre son exemple. Le but qu’il fixe à la 28 Cf., entre autres, (Schumpeter, 1954, II, p. 210). 29 Cet aspect provoque parfois des ponts directs entre John Mill et Karl Marx, puisqu’il écrit : « la morale est d’abord issue des intérêts et des sentiments de classe » (Mill, 1859, p. 75). 30 Que rejoignent les travaux contemporains d’Amartya Sen par la distinction entre liberté négative et liberté positive. Dans cet exemple, il existe un conflit entre la liberté négative du marchand de ne pas être agressé ou volé et la liberté positive de tous les autres à rester en vie – à bénéficier du minimum de subsistances, conformément au droit de propriété naturel tel celui des physiocrates. 35

positions, ainsi que l’influence marquée <strong>de</strong> sa femme 28 , l’entraînent à défendre la<br />

démocratie et la liberté, tout en développant une pensée économique originale.<br />

a. Démocratie et liberté chez John Stuart Mill.<br />

John Stuart Mill est un défenseur <strong>de</strong> la démocratie, qui semble également adhérer à<br />

l’indivisibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> politiques, civils et sociaux. S’il y a là une certaine application <strong>de</strong><br />

la règle utilitariste (chacun sait mieux que quiconque où est son intérêt et il est raisonnable<br />

que chaque intérêt puisse être représenté 29 ) la justification <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> politiques va dans un<br />

sens bien supérieur à ces considérations. D’ailleurs, le suffrage universel n’est qu’un idéal<br />

chez Mill, idéal assez éloigné <strong>de</strong> ses propositions concrètes, comme la nécessité <strong>de</strong><br />

l’alphabétisation précédant le droit <strong>de</strong> vote, la nécessité <strong>de</strong> payer l’impôt même minimum,<br />

etc. (Bobbio, 1996, p. 83).<br />

En fait, il s’agit surtout, pour John Mill, <strong>de</strong> défendre la liberté contre la tyrannie <strong>de</strong><br />

la majorité. La liberté est assez difficile à i<strong>de</strong>ntifier avec précision, mais ce n’est qu’une<br />

raison <strong>de</strong> plus pour garantir une démocratie pleine <strong>de</strong> sens, c’est-à-dire où tous ont voix au<br />

chapitre. Ainsi, pour Mill (1859, p. 75), « la liberté, comme principe, ne peut s’appliquer à<br />

un état <strong>de</strong> choses antérieur à l’époque où l’humanité <strong>de</strong>vient capable <strong>de</strong> s’améliorer par la<br />

libre discussion entre individus égaux ». La liberté est donc intimement liée à la<br />

démocratie. Cependant, la liberté qu’il semble défendre ne correspond pas toujours à cet<br />

idéal démocratique, dès lors que les lois du marché sont remises en cause : la liberté d’un<br />

individu ne doit pas nuire à autrui, nous dit-il ; au nom <strong>de</strong> ce principe, le marchand <strong>de</strong> blé<br />

qui affame le peuple pour faire monter les cours, ne doit pas être inquiété par la foule en<br />

colère (Mill, 1859, p. 146). Voilà qui nous semble bien contradictoire ! Comment se fait-il<br />

que l’on ne puisse pas considérer le marchand qui refuse la discussion entre individus<br />

égaux et qui nuit à autrui en engrangeant le blé pour élever son prix, comme bafouant la<br />

liberté <strong>de</strong> tous les autres ?<br />

Nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir sur ce genre <strong>de</strong> considérations 30 , mais les<br />

précisions qu’apporte Mill vont déjà elles-mêmes contre son exemple. Le but qu’il fixe à la<br />

28 Cf., entre autres, (Schumpeter, 1954, II, p. 210).<br />

29 Cet aspect provoque parfois <strong><strong>de</strong>s</strong> ponts directs entre John Mill et Karl Marx, puisqu’il écrit : « la morale est<br />

d’abord issue <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts et <strong><strong>de</strong>s</strong> sentiments <strong>de</strong> classe » (Mill, 1859, p. 75).<br />

30 Que rejoignent les travaux contemporains d’Amartya Sen par la distinction entre liberté négative et liberté<br />

positive. Dans cet exemple, il existe un conflit entre la liberté négative du marchand <strong>de</strong> ne pas être agressé ou<br />

volé et la liberté positive <strong>de</strong> tous les autres à rester en vie – à bénéficier du minimum <strong>de</strong> subsistances,<br />

conformément au droit <strong>de</strong> propriété naturel tel celui <strong><strong>de</strong>s</strong> physiocrates.<br />

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