l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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1. Présentation générale. Richard Bergeron (1992) met en avant plusieurs blocages de la demande de consommation, susceptibles d’enrayer la logique marchande des FTN et de la mondialisation capitaliste. Parmi ces blocages, l’absence potentielle de besoin et donc de demande, est un élément central. Ce blocage peut découler de la définition par les populations de leurs propres besoins, ce qui va à l’encontre de la logique capitaliste de la surconsommation et du gaspillage. Un autre blocage peut survenir pour des raisons éthiques : interdiction du trafic d’armes, de la pornographie, taxation du tabac, de l’alcool, etc. 47 Face à de tels blocages, liés aux normes sociales en vigueur, le libéralisme a utilisé les droits de l’homme comme des armes idéologiques, la « démocratie » s’opposant aux valeurs communautaires des pays du Sud. Des auteurs moins radicaux que les précédents défendent ainsi la nécessité de remettre profondément en cause les normes sociales existantes, afin de promouvoir l’« économie de marché » qui doit, selon eux, amener la prospérité et la démocratie. Par exemple, la Banque mondiale signale que « les normes de comportement qui ne sont pas encore adaptées aux besoins d’une économie moderne alourdissent les coûts de transaction. » On notera le recours à un argument théorique dont la pertinence n’est plus à démontrer ; mais on est bien loin ici d’une préoccupation en terme de droits de l’homme ou de développement. La Banque poursuit avec l’exemple du vol qui « est un problème grave dans les ports de nombreux pays en développement. Cela tient en partie au fait que les dockers ont une plus grande loyauté envers leurs familles, leur clan ou leur tribu qu’envers leur employeur. En s’abstenant de chaparder et en étant honnêtes, ils privent leurs familles d’une source de revenus supplémentaires – comportement qu’elles jugeraient malhonnête. » (Banque mondiale, 1991, p. 155, encadré 7.3). Ce type d’analyse n’est toutefois pas l’apanage de la Banque et des auteurs néolibéraux. Dans un ouvrage collectif sur l’Afrique, dirigé par Philippe Hugon, Guy Pourcet et Suzanne Quiers-Valette (1995), un article d’Olivier Favereau (1995b) va dans le même sens (ainsi qu’un article de Stefan Collignon que nous discutons ci-dessous). En effet, bien qu’il commence par préciser qu’il considère « les règles de décision comme étant ni plus ni 47 On sait, par ailleurs et par exemple, que l’automobile n’est pas prête de disparaître de nos sociétés, alors même qu’il s’agit d’un moyen de transport peu sûr et polluant. Nous ne nions certes pas l’utilité de véhicules individuels, mais il faut reconnaître que certaines réformes nécessaires, notamment sur les plans de l’aménagement du territoire et de la protection de l’environnement, tardent à voir le jour à cause d’un biais en faveur de la protection de l’industrie automobile. 378

moins rationnelles dans une économie africaine que dans une économie européenne, à condition d’admettre que les décisions sont rationnelles à l’intérieur de formulations socialement construites des problèmes de décision » (p. 186), il donne l’esquisse d’une analyse de la corruption en termes de Cités 48 , qui entre en correspondance avec la vision de la Banque mondiale 49 . En termes de Cités, la corruption active et généralisée représente, selon O. Favereau, « une sorte d’envahissement de la Cité Civique par la Cité Marchande, avec l’appui initial de la Cité Domestique : c’est au nom d’une solidarité de groupe que l’on acquiert passe-droits, privilèges et protections, au moins dans un premier temps », ce qui peut conduire à des comportements sous-optimaux, une entreprise non rentable pouvant, par exemple, acheter les protections nécessaires pour survivre. Si nous pouvons nous interroger sur la valeur réelle du détour théorique par les Cités – à propos duquel nous sommes, de fait, assez sceptique – l’esquisse que dresse O. Favereau n’en a pas moins un intérêt certain. Cet auteur montre que la corruption est un détournement de la politique (c’est-à-dire, d’une partie de la sphère sociale) par les intérêts économiques (la sphère économique), en précisant toutefois que les mécanismes sont plus complexes et variés que ne le laisse penser une analyse plus orthodoxe comme celle des choix publics. Il y a toutefois plusieurs défauts qu’il convient de souligner. Tout d’abord, une telle analyse doit pouvoir s’appliquer en Afrique (objet de cet article), voire aux autres pays du Sud 50 . Or, la Cité Marchande susceptible de corrompre la Cité Civique (c’est-àdire les organes de l’Etat, gouvernement et administrations) n’existe pas en tant que telle ; 48 Sur le cadre théorique en termes de Cités, cf. Les économies de la grandeur de Boltanski et Thévenot. Nous laissons de côté, pour notre part, la théorie des Conventions dans cette thèse, pour la raison que cette théorie ne nous a guère convaincu. L’analyse d’Olivier Favereau ici présentée, a fortifié notre opinion sur la portée de cette démarche théorique, qui nous semble peu adéquate pour prendre en compte les droits de l’homme au sein de l’analyse économique. 49 A contrario, on peut penser que, si la corruption est un phénomène répandu en Afrique, il s’agit aussi d’un phénomène importé, d’une part parce qu’elle est liée aux institutions instaurées par le colonialisme et, d’autre part, parce que certains des corrupteurs les plus importants viennent des pays du Nord (dirigeants de FTN, hommes politiques, etc.) et que l’argent de la corruption retourne très vite dans ces mêmes pays. Par ailleurs, la Banque mondiale a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses leitmotivs, ce qui peut être vu comme un progrès en termes de droits de l’homme, encore qu’elle envisage cette lutte dans le cadre de la promotion de la « gouvernance » qui se différencie de ces derniers ; sur cette question, voir infra, section III ; sur la corruption comme envers des droits de l’homme, cf. le recueil dirigé par Borghi et Meyer-Bisch (1995), dont (Frieden, 1995) sur la Banque mondiale, qui précise qu’un élément de la logique de la Banque est que moins d’Etat est égal à moins de possibilité de corruption. Outre les limites de ce dernier point de vue, il est triste, par ailleurs, de constater que la Banque mondiale a elle-même usé de corruption. Par exemple, l’ancien président de la compagnie nationale d’électricité de l’Equateur nous a confirmé que la Banque a fait usage de corruption auprès des parlementaires équatoriens afin de s’assurer qu’ils votent la loi de privatisation. Dans une optique similaire, Joseph Stiglitz (2002a) cite plusieurs cas où les Etats-Unis et le FMI, notamment, ont montré le mauvais exemple, en particulier vis-à-vis de la Russie. 50 Un regard sommaire sur cette analyse et sur l’histoire de la Russie peut laisser supposer que la première correspond également à la seconde. Cela est peut-être vrai aujourd’hui, mais sans doute pas sous l’URSS, même si certains phénomènes de corruption y étaient généralisés. 379

1. Présentation générale.<br />

Richard Bergeron (1992) met en avant plusieurs blocages <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

consommation, susceptibles d’enrayer la logique marchan<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> FTN et <strong>de</strong> la<br />

mondialisation capitaliste. Parmi ces blocages, l’absence potentielle <strong>de</strong> besoin et donc <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>, est un élément central. Ce blocage peut découler <strong>de</strong> la définition par les<br />

populations <strong>de</strong> leurs propres besoins, ce qui va à l’encontre <strong>de</strong> la logique capitaliste <strong>de</strong> la<br />

surconsommation et du gaspillage. Un autre blocage peut survenir pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons<br />

éthiques : interdiction du trafic d’armes, <strong>de</strong> la pornographie, taxation du tabac, <strong>de</strong> l’alcool,<br />

etc. 47 Face à <strong>de</strong> tels blocages, liés aux normes sociales en vigueur, le libéralisme a utilisé<br />

les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme comme <strong><strong>de</strong>s</strong> armes idéologiques, la « démocratie » s’opposant aux<br />

valeurs communautaires <strong><strong>de</strong>s</strong> pays du Sud. Des auteurs moins radicaux que les précé<strong>de</strong>nts<br />

défen<strong>de</strong>nt ainsi la nécessité <strong>de</strong> remettre profondément en cause les normes sociales<br />

existantes, afin <strong>de</strong> promouvoir l’« économie <strong>de</strong> marché » qui doit, selon eux, amener la<br />

prospérité et la démocratie.<br />

Par exemple, la Banque mondiale signale que « les normes <strong>de</strong> comportement qui ne<br />

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transaction. » On notera le recours à un argument théorique dont la pertinence n’est plus à<br />

démontrer ; mais on est bien loin ici d’une préoccupation en terme <strong>de</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme ou<br />

<strong>de</strong> développement. La Banque poursuit avec l’exemple du vol qui « est un problème grave<br />

dans les ports <strong>de</strong> nombreux pays en développement. Cela tient en partie au fait que les<br />

dockers ont une plus gran<strong>de</strong> loyauté envers leurs familles, leur clan ou leur tribu qu’envers<br />

leur employeur. En s’abstenant <strong>de</strong> chapar<strong>de</strong>r et en étant honnêtes, ils privent leurs familles<br />

d’une source <strong>de</strong> revenus supplémentaires – comportement qu’elles jugeraient<br />

malhonnête. » (Banque mondiale, 1991, p. 155, encadré 7.3).<br />

Ce type d’analyse n’est toutefois pas l’apanage <strong>de</strong> la Banque et <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs néolibéraux.<br />

Dans un ouvrage collectif sur l’Afrique, dirigé par Philippe Hugon, Guy Pourcet<br />

et Suzanne Quiers-Valette (1995), un article d’Olivier Favereau (1995b) va dans le même<br />

sens (ainsi qu’un article <strong>de</strong> Stefan Collignon que nous discutons ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). En effet, bien<br />

qu’il commence par préciser qu’il considère « les règles <strong>de</strong> décision comme étant ni plus ni<br />

47 On sait, par ailleurs et par exemple, que l’automobile n’est pas prête <strong>de</strong> disparaître <strong>de</strong> nos sociétés, alors<br />

même qu’il s’agit d’un moyen <strong>de</strong> transport peu sûr et polluant. Nous ne nions certes pas l’utilité <strong>de</strong> véhicules<br />

individuels, mais il faut reconnaître que certaines réformes nécessaires, notamment sur les plans <strong>de</strong><br />

l’aménagement du territoire et <strong>de</strong> la protection <strong>de</strong> l’environnement, tar<strong>de</strong>nt à voir le jour à cause d’un biais en<br />

faveur <strong>de</strong> la protection <strong>de</strong> l’industrie automobile.<br />

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