l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Chapitre IV : Les droits de l’homme face au développement : éléments de définitions, de formalisations et d’extensions possibles. Parler des droits de l’homme et du développement pose au chercheur, fondamentalement, deux appréhensions et trois problèmes. Les deux premières concernent, d’une part, ce que l’on peut nommer l’indécision du sujet et, d’autre part, ce que Richard Thaler (2000) nomme la « malédiction du savoir ». Les trois seconds concernent les questions de la quantification (ou mesurabilité) des droits de l’homme et du développement, leurs définitions, ainsi que la possibilité (ou non) de mener des études prospectives. En ce que qui concerne l’indécision du sujet, il s’agit du fait que nous manquons à titre personnel de savoirs concrets et directs sur les pays du Sud 1 , ce qui nous empêche de mener une analyse en « pleine connaissance de cause » des mécanismes possibles du développement de ces pays. Cette position, qui est notamment celle de Serge Latouche, nous semble être l’une des limites fondamentales de l’étude du développement lorsqu’elle reste théorique ou, du moins, loin du « terrain réel ». C’est une des limites de notre présent travail qu’il nous faut mettre dès à présent en avant. En ce qui concerne la malédiction du savoir, il s’agit du fait qu’il est difficile de s’adresser de façon parfaitement explicite à l’ensemble des autres chercheurs, parce qu’ils n’ont pas nécessairement les mêmes repères théoriques et empiriques. Autrement dit, il nous faut tenir compte du fait que les autres chercheurs n’ont pas suivi les enseignements et ne se sont pas intéressés aux mêmes thèmes que nous. Cette prise de conscience implique un effort constant d’explicitation des savoirs utilisés. 1 Nous utilisons, dans cette thèse, l’expression pays du Sud au sens large de pays « sous-développés », ceuxci se situant pour l’essentiel en Asie, en Afrique et en Amérique Latine. Il est, en fait, assez difficile de trouver une expression juste et non connotée pour parler de ces pays. Il s’agit, cependant, de les différencier des pays « du Nord », occidentaux, dits « développés ». De fait, nous n’adhérons pas au monisme économique qui considère que la théorie économique (néo-classique) est universelle et peut donc s’appliquer à l’identique partout. Des différences fondamentales existent entre les pays, et si l’enjeu profond du développement et des mécanismes de l’économie peut être en grande partie universel, il n’en reste pas moins que les moyens utilisables ne sont pas identiques. Nous pourrions, dès lors, utiliser des termes comme pays « périphériques » ou « dépendants », mais nous préférons conserver une certaine neutralité à l’égard des théories employant ces termes. Par ailleurs, nous préférons l’expression « Tiers Monde », bien que certains mettent en avant que, puisqu’il n’y a plus de « deuxième monde » (le monde communiste), cette expression n’a plus de sens. En fait, nous n’utilisons pas cette expression parce qu’elle nous semble, elle aussi, trop connotée politiquement, mais si nous la préférons, c’est lorsque lui est donné son sens originel : le Tiers Monde, comme le Tiers Etat, c’est celui qui n’est rien mais qui aspire à être tout. 350

Cela peut être particulièrement vrai en matière de droits de l’homme, puisqu’il s’agit d’un sujet très peu abordé en économie. Un économiste peut sans difficulté penser, par exemple, qu’il n’existe aucun moyen de mesurer les droits de l’homme, notamment le degré de réalisation des droits civils (respect de la vie privée, etc.) ; de même pour le développement, à partir de l’instant où lui est donnée une définition extensive (développement humain ou soutenable 2 , etc.) qui dépasse largement la seule mesure d’un taux de croissance. Ces quelques remarques nous conduisent aux trois problèmes que nous souhaitons aborder dans le présent chapitre. Tout d’abord, comment définir les droits de l’homme et le développement ? Ensuite, comment peut-on les mesurer ? Enfin, peut-on, à partir de ces définitions et des mesures mises en œuvre, envisager l’aboutissement du développement ? Pour répondre à ces questions, ce chapitre se propose d’approfondir les arguments des chapitres précédents, sous la forme d’une revue (très sommaire 3 ) de la littérature théorique et empirique, et ce pour éviter à la fois le piège de la malédiction du savoir et celui de l’indécision du sujet. Ce chapitre se décompose en trois sections qui suivent globalement la structure implicite décrite au chapitre deux : d’abord, une présentation des théories économiques qui tentent de prendre en compte des éléments qu’elles jugent a priori extérieurs à leur objet ; ensuite, l’insertion de l’économique dans l’ensemble plus large du sujet d’étude ; enfin, la mise en avant d’un point de vue plus normatif basé sur les principes de l’humanisme scientifique. L’objet que veut éclairer ce découpage est le suivant : les droits de l’homme sont utiles au développement car ce dernier peut se définir comme la réalisation pleine et entière de ces droits. Dès lors, il nous faut formuler une première précision, car il est possible de 2 Nous utilisons le terme de développement soutenable de préférence à celui de développement durable. Il va de soi que les deux ont la même signification. Toutefois, si l’on veut être rigoureux, le terme correct est le premier (en anglais : « sustainable development ») qui permet de bien comprendre qu’il ne s’agit pas tellement de « faire durer » un développement, que de le « rendre soutenable », c’est-à-dire en mesure de se reproduire (éventuellement de façon élargie) dans le temps sans détruire les bases même de cette reproduction. Si se contenter de faire durer un mode de développement ne peut qu’exiger des corrections à la marge (instaurer un marché de droits à polluer, par exemple), assurer un développement soutenable peut conduire à remettre en cause le mode de développement en cours (compléter le marché de droits à polluer par des réglementations et des quotas, modifier les habitudes de consommation et de production, etc.). 3 Sommaire à plusieurs égards, et pour la simple raison qu’il existe une très vaste littérature qui porte sur les interactions entre démocratie et croissance, développement et droits de l’homme, droits de l’homme et commerce international, etc. Les droits de l’homme concernant, en outre, un vaste panel de sujets (éducation, travail, élection, santé, besoins essentiels, corruption, discrimination hommes/femmes ou autres, etc.), chacun de ceux-ci a une littérature associée abondante, y compris en s’en tenant à la seule science économique. Par ailleurs, nous avons relativement peu utilisé, pour le présent travail, les documents des Comités spécialisés des Nations-Unies, ainsi que les Rapports internationaux comme ceux de la Banque mondiale, essentiellement parce qu’il s’agit de documents très intéressants d’un point de vue descriptif, mais peu riches d’un point de vue analytique – encore que cela soit moins vrai dans le cas des travaux de l’ONU. 351

Chapitre IV : Les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme face au développement :<br />

éléments <strong>de</strong> définitions, <strong>de</strong> formalisations et d’extensions possibles.<br />

Parler <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme et du développement pose au chercheur,<br />

fondamentalement, <strong>de</strong>ux appréhensions et trois problèmes. Les <strong>de</strong>ux premières concernent,<br />

d’une part, ce que l’on peut nommer l’indécision du sujet et, d’autre part, ce que Richard<br />

Thaler (2000) nomme la « malédiction du savoir ». Les trois seconds concernent les<br />

questions <strong>de</strong> la quantification (ou mesurabilité) <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme et du<br />

développement, leurs définitions, ainsi que la possibilité (ou non) <strong>de</strong> mener <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

prospectives.<br />

En ce que qui concerne l’indécision du sujet, il s’agit du fait que nous manquons à<br />

titre personnel <strong>de</strong> savoirs concrets et directs sur les pays du Sud 1 , ce qui nous empêche <strong>de</strong><br />

mener une analyse en « pleine connaissance <strong>de</strong> cause » <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes possibles du<br />

développement <strong>de</strong> ces pays. Cette position, qui est notamment celle <strong>de</strong> Serge Latouche,<br />

nous semble être l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> limites fondamentales <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> du développement lorsqu’elle<br />

reste théorique ou, du moins, loin du « terrain réel ». C’est une <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong>de</strong> notre présent<br />

travail qu’il nous faut mettre dès à présent en avant.<br />

En ce qui concerne la malédiction du savoir, il s’agit du fait qu’il est difficile <strong>de</strong><br />

s’adresser <strong>de</strong> façon parfaitement explicite à l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> autres chercheurs, parce qu’ils<br />

n’ont pas nécessairement les mêmes repères théoriques et empiriques. Autrement dit, il<br />

nous faut tenir compte du fait que les autres chercheurs n’ont pas suivi les enseignements<br />

et ne se sont pas intéressés aux mêmes thèmes que nous. Cette prise <strong>de</strong> conscience<br />

implique un effort constant d’explicitation <strong><strong>de</strong>s</strong> savoirs utilisés.<br />

1<br />

Nous utilisons, dans cette thèse, l’expression pays du Sud au sens large <strong>de</strong> pays « sous-développés », ceuxci<br />

se situant pour l’essentiel en Asie, en Afrique et en Amérique Latine. Il est, en fait, assez difficile <strong>de</strong><br />

trouver une expression juste et non connotée pour parler <strong>de</strong> ces pays. Il s’agit, cependant, <strong>de</strong> les différencier<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> pays « du Nord », occi<strong>de</strong>ntaux, dits « développés ». De fait, nous n’adhérons pas au monisme<br />

économique qui considère que la théorie économique (néo-classique) est universelle et peut donc s’appliquer<br />

à l’i<strong>de</strong>ntique partout. Des différences fondamentales existent entre les pays, et si l’enjeu profond du<br />

développement et <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> l’économie peut être en gran<strong>de</strong> partie universel, il n’en reste pas moins<br />

que les moyens utilisables ne sont pas i<strong>de</strong>ntiques. Nous pourrions, dès lors, utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> termes comme pays<br />

« périphériques » ou « dépendants », mais nous préférons conserver une certaine neutralité à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

théories employant ces termes. Par ailleurs, nous préférons l’expression « Tiers Mon<strong>de</strong> », bien que certains<br />

mettent en avant que, puisqu’il n’y a plus <strong>de</strong> « <strong>de</strong>uxième mon<strong>de</strong> » (le mon<strong>de</strong> communiste), cette expression<br />

n’a plus <strong>de</strong> sens. En fait, nous n’utilisons pas cette expression parce qu’elle nous semble, elle aussi, trop<br />

connotée politiquement, mais si nous la préférons, c’est lorsque lui est donné son sens originel : le Tiers<br />

Mon<strong>de</strong>, comme le Tiers Etat, c’est celui qui n’est rien mais qui aspire à être tout.<br />

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