l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Encadré III.2 : de l’entreprise prédatrice à l’entreprise citoyenne ? L’exemple de Shell. Les firmes productrices de vêtements ne sont pas les seules concernées par les problèmes « éthiques ». Les entreprises exploiteuses de ressources énergétiques, elles aussi, sont au cœur de plusieurs processus contradictoires en matière de respect des droits de l’homme et sont ainsi confrontées à des mouvements sociaux. Alors que certaines sont privatisées ou risques de l’être (par exemple, Electricité de France, EDF), elles développent des processus de consultations et mettent en œuvre des moyens qui visent à garantir leurs missions de service public, ainsi qu’à garantir un développement soutenable, écologique et social. Bien que certaines actions « méritantes » ne puissent être remises en cause, il est toutefois possible de s’interroger sur la portée réelle, en matière de respect des droits de l’homme cumulatif à l’efficacité économique, de la logique globale de ces groupes, notamment à propos de leur extension monopolistique à l’international. Pourquoi une firme, une fois privatisée, serait-elle plus « citoyenne » que lorsqu’elle était publique ? L’aspect « marketing » est ici apparent et nous avons partiellement montré ailleurs qu’il connaissait des limites dont le régulateur devrait tenir compte. Par ailleurs, le cas problématique du pétrole illustre à l’extrême les « dérives » des firmes transnationales de l’énergie. En effet, les entreprises pétrolières qui exploitent des gisements dans les pays africains ont rarement eu une conduite « éthique » en la matière. Si, en France, les excès commis par Elf au Congo Brazzaville, avec le soutien des gouvernements français, sont assez bien reconnus aujourd’hui, il en va de même en ce qui concerne la société anglaise Shell, qui opère notamment au Nigeria. Dans ce dernier pays, Shell exploite le pétrole sur le territoire du peuple Ogoni. Or, cette exploitation a grandement nui aux droits des Ogonis. L’exploitation a causé des problèmes économiques et sociaux perturbateurs du mode de vie des Ogonis : migrations des travailleurs, accroissement de la monétarisation de l’économie, augmentation du prix de la nourriture, etc. En outre, elle a causé des problèmes écologiques par sa seule existence. Enfin, il n’y a eu aucune compensation en terme de développement, puisque les Ogonis n’ont profité ni des infrastructures mises en place, ni de la manne pétrolière, ni, de façon plus générale, de la modification de leur environnement (au sens large) qui n’a eu que des impacts négatifs sur leurs droits. En ce qui concerne ces derniers, il ne s’agit d’ailleurs pas que des droits économiques, sociaux, écologiques et culturels, il s’agit également des droits civils et politiques, puisque Shell s’est alliée avec le gouvernement autoritaire du Nigeria qui n’a pas hésité à envoyer l’armée contre des manifestants Ogoni et a condamné à mort leurs représentants. Shell a reconnu, par la suite, qu’elle avait également participé à un trafic d’arme dans ce cadre. Suite à ces exactions, le mouvement de défense des Ogonis (le MOSOP) n’a fait que se renforcer et a notamment, en octobre 1991, proclamé une Déclaration des Droits Ogonis. Shell, en partie pour défendre son image de marque et pour améliorer la gestion de son implantation, a commencé à prendre en compte les aspirations de ce mouvement qui se cumulent avec celles des autres intéressés (employés, actionnaires, consommateurs, ONG, etc.). Shell a développé un code de conduite (intitulé « Statement of General Business Principles », dont la première version date en fait de 1976 (!)) dans lequel elle s’engage notamment à « respecter les droits de l’homme de ses employés » et à « conduire les affaires en tant que membre responsable de la société dans le cadre de l'entreprise, observer les lois des pays dans lesquels elle opère, exprimer son appui pour les droits de l'homme fondamentaux conformément au rôle légitime du commerce et donner le respect approprié à la santé, à la sécurité et à l'environnement compatible avec son obligation de contribuer au développement durable ». Ce code précise en outre que « les compagnies Shell ne doivent pas payer les partis politiques, les organisations ou leurs représentants, ou agir au sein des partis politiques ». Par ailleurs, Shell a mis en place, par le biais de son site internet, plusieurs forum de discussion sur l’environnement, le développement, etc. et a mis en avant plusieurs programmes du groupe, notamment de financement en matière de recherche de carburants moins polluants. Reste donc à savoir jusqu’où peut aller l’engagement d’une telle firme, opérant à travers le monde entier sur une ressource qui, selon l’expression de Sadek Boussena (ancien président de l’OPEP), « excite les convoitises ». De fait, le conflit avec les Ogonis ne sera sans doute pas pleinement résolu avant de véritables réformes dans le domaine de l’exploitation pétrolière au niveau mondiale, c’est-à-dire concernant les pratiques de toutes les firmes et de tous les Etats impliqués. Sources : (Boele, Fabig et Wheeler, 2001), (Monshipouri, 2001, p. 58s), (Draï, 1984, p. 20), et http://www2.shell.com/ dernière visite : 28 mai 2002 ; sur Elf, cf. les reportages de F. Calvi et J.-M. Meurice, diffusés sur « arte », (2000), « ELF : les chasses au trésor » et « ELF : une Afrique sous influence » ; sur EDF, pour une première approche cf. www.edf.fr ; sur le pétrole dans la mondialisation, nous nous référons aussi à l’intervention de S. Boussena au colloque MONDER, juin 2001. 336

L’ensemble de ces questions fait que l’on peut douter, d’une part de la bonne volonté des entreprises et, d’autre part, de la pertinence des chartes et des codes internes (« auto-imposés » et « auto-contrôlés ») comme créateurs de normes susceptibles de promouvoir les droits de l’homme. Cependant, en agissant comme des normes sociales, ces instruments peuvent favoriser l’évolution des comportements à moyen terme et relativiser ainsi la priorité donnée au seul taux de profit. En outre, dans l’optique régulationniste que nous avons adoptée, le développement des codes de conduite appelle des mécanismes de dévalorisation du capital, en faveur du respect des droits de l’homme, à condition d’être impulsé en collaboration avec les organismes publics capables de contrôler l’effectivité de ces codes. Ceux-ci, en effet, ne peuvent s’appliquer n’importe comment et appellent, pour être optimaux, des engagements concertés de la part des firmes, des organisations internationales et des Etats. Nous allons voir quelques-uns des problèmes qui imposent un tel traitement, mais nous pouvons déjà relever que cela entre pleinement dans la logique de notre analyse. Pour le comprendre, nous pouvons illustrer notre propos par un cas célèbre. En 1977, l’organisation non-gouvernementale INFACT a appelé à boycotter les marchandises de la firme Nestlé, afin de dénoncer la politique commerciale de celle-ci en Afrique. Cette firme faisait tout son possible pour vendre aux mères Africaines du lait en poudre pour leurs enfants. Or, si l’on peut douter, d’une part, qu’un tel lait soit meilleur pour l’enfant que le lait maternel, il y avait surtout, d’autre part, le problème de la qualité de l’eau accessible. L’eau, nécessaire pour diluer le lait en poudre, étant malpropre (problème récurrent de nombreuses régions africaines, y compris à l’heure actuelle, cela va sans dire), sa consommation par les jeunes enfants allait jusqu’à provoquer leur décès. Le mouvement de dénonciation et de boycott mené par INFACT s’est étendu à une dizaine de pays et a attiré l’attention et le soutien de l’UNICEF (Fonds des Nations-Unies pour la protection de l’enfance) et de l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ce vaste mouvement a conduit Nestlé à signer un accord avec INFACT et ses partenaires, en 1986. Avant cela, en 1981, cette campagne avait conduit l’OMS et l’UNICEF à adopter un « Code International de commercialisation des substituts du lait maternel ». Il y a ici un découpage en accord avec notre analyse, telle qu’elle est schématisée dans notre illustration III.1. En effet, il y a d’abord l’extension des principes capitalistes, par la promotion d’une marchandise (souvent inférieure aux produits locaux) dans le seul but d’obtenir un taux de profit élevé. Extension géographique, mais aussi extension de la sphère marchande sur la sphère sociale avec la promotion de la substitution du lait industriel au lait naturel ou maternel, et ce sans tenir compte des conditions en vigueur 337

L’ensemble <strong>de</strong> ces questions fait que l’on peut douter, d’une part <strong>de</strong> la bonne<br />

volonté <strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises et, d’autre part, <strong>de</strong> la pertinence <strong><strong>de</strong>s</strong> chartes et <strong><strong>de</strong>s</strong> co<strong><strong>de</strong>s</strong> internes<br />

(« auto-imposés » et « auto-contrôlés ») comme créateurs <strong>de</strong> normes susceptibles <strong>de</strong><br />

promouvoir les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme. Cependant, en agissant comme <strong><strong>de</strong>s</strong> normes sociales, ces<br />

instruments peuvent favoriser l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements à moyen terme et relativiser<br />

ainsi la priorité donnée au seul taux <strong>de</strong> profit. En outre, dans l’optique régulationniste que<br />

nous avons adoptée, le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> co<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> conduite appelle <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong><br />

dévalorisation du capital, en faveur du respect <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, à condition d’être<br />

impulsé en collaboration avec les organismes publics capables <strong>de</strong> contrôler l’effectivité <strong>de</strong><br />

ces co<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ceux-ci, en effet, ne peuvent s’appliquer n’importe comment et appellent, pour<br />

être optimaux, <strong><strong>de</strong>s</strong> engagements concertés <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> firmes, <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations<br />

internationales et <strong><strong>de</strong>s</strong> Etats. Nous allons voir quelques-uns <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes qui imposent un<br />

tel traitement, mais nous pouvons déjà relever que cela entre pleinement dans la logique <strong>de</strong><br />

notre analyse. Pour le comprendre, nous pouvons illustrer notre propos par un cas célèbre.<br />

En 1977, l’organisation non-gouvernementale INFACT a appelé à boycotter les<br />

marchandises <strong>de</strong> la firme Nestlé, afin <strong>de</strong> dénoncer la politique commerciale <strong>de</strong> celle-ci en<br />

Afrique. Cette firme faisait tout son possible pour vendre aux mères Africaines du lait en<br />

poudre pour leurs enfants. Or, si l’on peut douter, d’une part, qu’un tel lait soit meilleur<br />

pour l’enfant que le lait maternel, il y avait surtout, d’autre part, le problème <strong>de</strong> la qualité<br />

<strong>de</strong> l’eau accessible. L’eau, nécessaire pour diluer le lait en poudre, étant malpropre<br />

(problème récurrent <strong>de</strong> nombreuses régions africaines, y compris à l’heure actuelle, cela va<br />

sans dire), sa consommation par les jeunes enfants allait jusqu’à provoquer leur décès. Le<br />

mouvement <strong>de</strong> dénonciation et <strong>de</strong> boycott mené par INFACT s’est étendu à une dizaine <strong>de</strong><br />

pays et a attiré l’attention et le soutien <strong>de</strong> l’UNICEF (Fonds <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations-Unies pour la<br />

protection <strong>de</strong> l’enfance) et <strong>de</strong> l’OMS (Organisation mondiale <strong>de</strong> la santé). Ce vaste<br />

mouvement a conduit Nestlé à signer un accord avec INFACT et ses partenaires, en 1986.<br />

Avant cela, en 1981, cette campagne avait conduit l’OMS et l’UNICEF à adopter un<br />

« Co<strong>de</strong> International <strong>de</strong> commercialisation <strong><strong>de</strong>s</strong> substituts du lait maternel ».<br />

Il y a ici un découpage en accord avec notre analyse, telle qu’elle est schématisée<br />

dans notre illustration III.1. En effet, il y a d’abord l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> principes capitalistes,<br />

par la promotion d’une marchandise (souvent inférieure aux produits locaux) dans le seul<br />

but d’obtenir un taux <strong>de</strong> profit élevé. Extension géographique, mais aussi extension <strong>de</strong> la<br />

sphère marchan<strong>de</strong> sur la sphère sociale avec la promotion <strong>de</strong> la substitution du lait<br />

industriel au lait naturel ou maternel, et ce sans tenir compte <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions en vigueur<br />

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