l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Cette évolutivité, qui relève également du « flou du droit » 30 , est le fruit de tout régime démocratique et est donc liée à l’exercice même des droits de l’homme qu’elle permet de réaliser dans les faits. Cet ancrage dans la démocratie doit permettre de reconnaître que : « loin d’être aliénés par les lois qu’ils produisent, les hommes peuvent, à tout moment et donc en dehors du moment électoral, se ressaisir d’une norme pour en réaffirmer la valeur, en changer le sens ou en proposer une nouvelle puisque c’est l’activité communicationnelle qui fonde, dans ce modèle démocratique, la légitimité de la règle », cf. D. Rousseau (1997, p. 79). 3. Conclusion : à propos du rôle de l’économiste dans la formation des normes. Les normes sont donc un construit social qui repose sur les modalités de régulation de chacune des sphères, de leurs interactions et du système global qui les contient. Elles sont explicitées par les normes juridiques qui permettent de légitimer les pratiques adéquates, c’est-à-dire conformes aux droits de l’homme, et de rejeter les autres. Mais les normes juridiques peuvent conduire à l’impasse si elles négligent leur rôle d’« anticipation » et remettent elles-mêmes en cause les droits de l’homme au profit de la seule régulation de la sphère économique. Il est nécessaire, dès lors, de s’interroger sur le rôle de l’économiste et de la science économique dans la formation et l’application des normes. En ne considérant que le taux de profit comme organe régulateur de l’ensemble de la société, certaines applications et certains développements de la science économique ont contribué à rendre les frontières moins étanches entre les différentes sphères et leurs modes de régulation respectifs 31 . La norme économique, lorsqu’elle prend le pas sur l’ensemble des autres normes, conduit à une remise en cause des droits de l’homme qui, à terme, ne peut que conduire à l’impasse et donc, soit à la guerre, soit à une crise systémique aux conséquences équivalentes, conduisant à l’écroulement violent des illusions néo-libérales. Or, l’existence même d’une norme hégémonique, par les comportements déviants qu’elle suscite, impose aux acteurs de prendre conscience de la réalité sociale et, par là- 30 Les concepts flous en droit (ordre public, société démocratique, équité, etc.) permettent l’interprétation normative du juge qui peut dès lors statuer en vue de la réalisation du bien commun ; sur des questions connexes, cf. Ch. Girard (2000), Schwarz-Liebermann Von Wahlendorf (1983), Van Minh (1984). 31 Les courants de « Law and Economics », d’économie du droit, sont l’apogée de ce mouvement général ; voir notre chapitre I. 310

même, de s’interroger sur les alternatives possibles. Une norme implique nécessairement l’existence de son contraire et ouvre donc la voie au jugement de valeur. Dans le domaine économique, les questions que cela ouvre peuvent être : « les profits sont-ils le but ultime ? Les emplois sont-ils plus importants que la pollution qu’ils causent ? Les revenus peuventils être créés sans considération sur leur utilisation ? » (etc.) 32 , cf. W. Weisskopf (1977, p. 108). Pour cet auteur, toutes les questions économiques et sociales soulèvent des interrogations éthiques sur les fins ultimes et intermédiaires et à propos du caractère moral ou non des moyens utilisés pour atteindre ces fins. Les sciences sociales, dont l’économie, doivent établir des normes pour répondre à ces interrogations. La responsabilité même de l’économiste est mise en jeu, et elle « consiste à établir un jugement de valeur sur le bienfondé de son action et de ses résultats » (Mahieu, 2000, p. 258) ; cela appelle à prendre en compte l’aspect anthropologique de la personne humaine, sujet de l’économie, à comprendre qu’elle « n’est pas seulement une personne morale ou citoyenne, mais une personne intégrant le moral et le politique dans ses choix et ses calculs économiques » (Mahieu, 2000, p. 262). C’est pourquoi, il nous semble que Walter Weisskopf a raison lorsqu’il écrit que, « si nous ne pouvons étendre la production indéfiniment, ce que nous produisons est plus important que la quantité que nous produisons ; l’essentiel devient la qualité, la durabilité et la nécessité. Et si l’offre est limitée, la distribution devient plus importante que la production » (Weisskopf, 1977, p. 116). Ainsi, on peut penser que la production est structurellement limitée par les autres sphères, en particulier la sphère écologique, alors même que, dans les faits, d’une part la production peut s’avérer limitée parce que mal répartie et, d’autre part, le développement de l’immatériel et la montée de l’information comme moteur de la croissance inversent la logique de la production quantitative comme moteur de l’évolution économique et sociale 33 . Donc, si l’offre est limitée ou, à plus forte raison, si elle est abondante, l’économiste qui, en outre, n’est pas un technicien susceptible d’améliorer les processus productifs, doit orienter ses recherches vers la satisfaction des besoins sociaux. Il doit participer à la recherche des moyens de satisfaction des coûts de 32 Ou encore, l’impératif de « compétitivité » est-il supérieur aux emplois qu’il sacrifie ? 33 La logique même du système capitaliste a d’ailleurs conduit, en mettant la production quantitative en avant, à développer des processus de fabrication rendant les produits moins fiables, de façon à réduire leur durée de vie ; le cas du Nylon, textile originairement très résistant et donc inusable, est exemplaire à cet égard. Cependant, il faut aussi reconnaître que, la montée des hautes technologies faisant partie de la complexification « naturelle » de la société, elle affaiblit également « naturellement » celle-ci : supposons une panne globale d’électricité et le monde entier est paralysé, les pays du Nord étant même les plus en danger de mourir de faim dans une telle circonstance ! 311

Cette évolutivité, qui relève également du « flou du droit » 30 , est le fruit <strong>de</strong> tout<br />

régime démocratique et est donc liée à l’exercice même <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme qu’elle<br />

permet <strong>de</strong> réaliser dans les faits. Cet ancrage dans la démocratie doit permettre <strong>de</strong><br />

reconnaître que :<br />

« loin d’être aliénés par les lois qu’ils produisent, les hommes peuvent, à tout<br />

moment et donc en <strong>de</strong>hors du moment électoral, se ressaisir d’une norme pour en<br />

réaffirmer la valeur, en changer le sens ou en proposer une nouvelle puisque c’est<br />

l’activité communicationnelle qui fon<strong>de</strong>, dans ce modèle démocratique, la<br />

légitimité <strong>de</strong> la règle », cf. D. Rousseau (1997, p. 79).<br />

3. Conclusion : à propos du rôle <strong>de</strong> l’économiste dans la<br />

formation <strong><strong>de</strong>s</strong> normes.<br />

Les normes sont donc un construit social qui repose sur les modalités <strong>de</strong> régulation<br />

<strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> sphères, <strong>de</strong> leurs interactions et du système global qui les contient. Elles<br />

sont explicitées par les normes juridiques qui permettent <strong>de</strong> légitimer les pratiques<br />

adéquates, c’est-à-dire conformes aux <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, et <strong>de</strong> rejeter les autres. Mais les<br />

normes juridiques peuvent conduire à l’impasse si elles négligent leur rôle<br />

d’« anticipation » et remettent elles-mêmes en cause les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme au profit <strong>de</strong> la<br />

seule régulation <strong>de</strong> la sphère économique. Il est nécessaire, dès lors, <strong>de</strong> s’interroger sur le<br />

rôle <strong>de</strong> l’économiste et <strong>de</strong> la science économique dans la formation et l’application <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

normes. En ne considérant que le taux <strong>de</strong> profit comme organe régulateur <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong><br />

la société, certaines applications et certains développements <strong>de</strong> la science économique ont<br />

contribué à rendre les frontières moins étanches entre les différentes sphères et leurs mo<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> régulation respectifs 31 . La norme économique, lorsqu’elle prend le pas sur l’ensemble<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> autres normes, conduit à une remise en cause <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme qui, à terme, ne<br />

peut que conduire à l’impasse et donc, soit à la guerre, soit à une crise systémique aux<br />

conséquences équivalentes, conduisant à l’écroulement violent <strong><strong>de</strong>s</strong> illusions néo-libérales.<br />

Or, l’existence même d’une norme hégémonique, par les comportements déviants<br />

qu’elle suscite, impose aux acteurs <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> la réalité sociale et, par là-<br />

30 Les concepts flous en droit (ordre public, société démocratique, équité, etc.) permettent l’interprétation<br />

normative du juge qui peut dès lors statuer en vue <strong>de</strong> la réalisation du bien commun ; sur <strong><strong>de</strong>s</strong> questions<br />

connexes, cf. Ch. Girard (2000), Schwarz-Liebermann Von Wahlendorf (1983), Van Minh (1984).<br />

31 Les courants <strong>de</strong> « Law and Economics », d’économie du droit, sont l’apogée <strong>de</strong> ce mouvement général ;<br />

voir notre chapitre I.<br />

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