l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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02.10.2014 Views

dit, le néo-libéralisme, c’est l’inaction 19 (et une inaction parfois morbide). Il est donc assez incompréhensible d’entendre dire par certains dirigeants (comme l’a fait Michel Camdessus, alors directeur général du FMI 20 ) qu’il n’y a pas d’alternative et que c’est pour cela qu’on applique le libéralisme. Il y a toujours une alternative à l’inaction. Le paradigme démocratique prône l’action, la décision décentralisée, l’évaluation permanente des moyens et des fins. Le paradigme démocratique instaure la prééminence de la réponse aux besoins sociaux sur les profits. Cela implique, concrètement, la garantie des droits de l’homme assurée par l’ensemble des détenteurs de pouvoir. Une firme qui, vis-à-vis de ses clients, de ses employés ou de la société tout entière, ne respecte pas les droits de l’homme, doit être sanctionnée. Il ne s’agit pas, pour nous, d’offrir une société alternative « clefs en main », c’est pourquoi nous laisserons de côté les aspects particuliers de telle ou telle mesure 21 . Cependant, nous voulons attirer l’attention sur le fait que les alternatives existent, sont cohérentes et sont tout aussi porteuses que le néo-libéralisme dont finalement personne ne sait ce qu’il signifie vraiment. La proposition d’instaurer une taxe Tobin, quelles que soient ses limites par ailleurs, est bien une proposition alternative claire et précise 22 ; reste à trouver les volontés politiques de la mettre en œuvre 23 . Pour notre part, l’alternative démocratique – en construction aujourd’hui à travers les initiatives de l’économie locale et les mouvements sociaux appelés, à tort, « anti-mondialiste » – doit passer par des stratégies de promotion des droits de l’homme. Quoi de plus concret que de reconnaître les droits de 19 La lecture de Gunnar Myrdal nous a conforté dans cette opinion. En effet, il précise que la théorie qui s’est basée sur la philosophie libérale et qui s’est appuyée sur les hypothèses de l’atomisme des agents et d’une structure statique de la société, impliquait par là-même que les êtres humains « devaient être traditionalistes, fortement inhibés par les tabous existants, ne posant pas de question, ne faisant pas d’expérience, ne réfléchissant pas, en un mot des individus formalistes. Autrement la théorie ne fonctionnerait pas. » (Myrdal, 1960, p. 43). 20 Dans un reportage qui lui était consacré sur « arte », en 1998. Voir aussi (Stiglitz, 2002a, p. 237s). 21 Nous en proposons certaines par ailleurs, en défendant notamment la mise en place d’un revenu de citoyenneté, cf. (Kolacinski, 1999a, b). Mais le paradigme démocratique s’inscrit fondamentalement dans l’action, plutôt que dans l’inaction du « laisser-faire ». Il en découle que les pouvoirs publics démocratiques ont un rôle important à jouer. Egalement, ce paradigme peut se construire à partir de mesures « simples » qui permettent la multiplicité des valeurs et des mesures de « l’efficacité » présentes dans la société. Par exemple, l’application d’une clause de mieux-disant social entre dans ce cadre. Cette clause permet d’inclure dans les appels d’offre des travaux publics des mesures de lutte contre l’exclusion qui entre ainsi dans la commande adressée à l’entreprise, cf. (Loquet, 1999). 22 Soutenue par plusieurs économistes de renom, dont Joseph E. Stiglitz ; sur cette taxe, cf. (Chesnais, 1998). 23 Ne voulant pas tenir ici un discours révolutionnaire ou utopiste, ni tomber dans un pessimisme sans retour, nous nous contenterons de préciser que, selon nous, il faut que trois éléments soient réunis pour que le monde évolue réellement : des luttes sociales fortes et cohérentes ; des mesures « par le haut » allant dans le même sens (par exemple, les normes de l’OIT) ; des « personnes d’exception » faisant le lien entre les deux et impulsant le changement (le Japon, comme nous l’avons montré, a bénéficié de ce genre de personnalités, les pays européens aussi, notamment pendant les périodes révolutionnaires). 302

tous les travailleurs ? Quoi de plus concret que de développer une protection sociale universelle ? Quoi de plus concret que de développer l’éducation contre les comportements discriminatoires ? Etc. 24 Cela étant précisé, nous allons rapidement indiquer l’impact strictement économique, dans le cadre d’une approche régulationniste, du paradigme démocratique. Le paradigme démocratique entend renverser la logique du paradigme actuel, en réduisant la logique capitaliste à la sphère économique marchande et même, dans une certaine mesure, en remettant cette logique en cause. Il s’agit donc de réformer la société jusqu’à faire en sorte que le capitalisme ne soit plus qu’un mode civilisationnel subalterne, dominé par la logique démocratique. Mais il ne s’agit pas, précisons-le, d’éliminer le marché – qui reste indispensable – mais bien de réduire les aspects destructeurs des comportements à la base du capitalisme. En reconnaissant que la régulation marchande conduit à des valeurs en opposition avec celles de la République et de la démocratie, il est possible de formuler, comme le propose Christian Barrère, un « modèle démocratique » de l’organisation marchande, modèle qui se base sur, (Barrère, 2001b, p. 40) : « la reconnaissance de droits pour tous les participants à la production et à l’échange parce qu’ils participent tous, soit par le biais des échanges de biens et d’information, soit par celui de la production, au surplus collectif engendré par l’organisation marchande ». Nous retrouvons là, par ailleurs, les idées des auteurs anarchistes du XIXe siècle, ainsi que l’argument de Yoland Bresson, à la base de sa proposition d’un revenu d’existence. Du point de vue régulationniste, cela signifie aussi que chaque sphère doit voir son mode de régulation propre déconnecté de l’organe régulateur du capitalisme : le taux de profit. Ce dernier ne doit plus être la justification de la destruction de la nature et du lien social. Au contraire, la sphère économique recevra des autres sphères, d’une part les moyens de son fonctionnement et, d’autre part, les normes de ce fonctionnement déterminées selon des processus de décisions collectives. Elle sera guidée, non plus par la croissance du taux de profit qui entraîne l’accumulation monopolistique du capital, mais par la satisfaction des besoins qui apparaissent dans les autres sphères et qui seront l’objet de « commandes » adressées à la sphère économique. Les droits de l’homme joueront alors le double rôle de limites internes du fonctionnement de chaque sphère et de principes normatifs, guides des relations entre les sphères. 24 Nous verrons, dans le chapitre suivant, les oppositions à de telles mesures, mais aussi les pistes possibles de leur mise en œuvre. 303

tous les travailleurs ? Quoi <strong>de</strong> plus concret que <strong>de</strong> développer une protection sociale<br />

universelle ? Quoi <strong>de</strong> plus concret que <strong>de</strong> développer l’éducation contre les comportements<br />

discriminatoires ? Etc. 24<br />

Cela étant précisé, nous allons rapi<strong>de</strong>ment indiquer l’impact strictement<br />

économique, dans le cadre d’une approche régulationniste, du paradigme démocratique. Le<br />

paradigme démocratique entend renverser la logique du paradigme actuel, en réduisant la<br />

logique capitaliste à la sphère économique marchan<strong>de</strong> et même, dans une certaine mesure,<br />

en remettant cette logique en cause. Il s’agit donc <strong>de</strong> réformer la société jusqu’à faire en<br />

sorte que le capitalisme ne soit plus qu’un mo<strong>de</strong> civilisationnel subalterne, dominé par la<br />

logique démocratique. Mais il ne s’agit pas, précisons-le, d’éliminer le marché – qui reste<br />

indispensable – mais bien <strong>de</strong> réduire les aspects <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeurs <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements à la base<br />

du capitalisme. En reconnaissant que la régulation marchan<strong>de</strong> conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs en<br />

opposition avec celles <strong>de</strong> la République et <strong>de</strong> la démocratie, il est possible <strong>de</strong> formuler,<br />

comme le propose Christian Barrère, un « modèle démocratique » <strong>de</strong> l’organisation<br />

marchan<strong>de</strong>, modèle qui se base sur, (Barrère, 2001b, p. 40) :<br />

« la reconnaissance <strong>de</strong> <strong>droits</strong> pour tous les participants à la production et à<br />

l’échange parce qu’ils participent tous, soit par le biais <strong><strong>de</strong>s</strong> échanges <strong>de</strong> biens et<br />

d’information, soit par celui <strong>de</strong> la production, au surplus collectif engendré par<br />

l’organisation marchan<strong>de</strong> ».<br />

Nous retrouvons là, par ailleurs, les idées <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs anarchistes du XIXe siècle, ainsi que<br />

l’argument <strong>de</strong> Yoland Bresson, à la base <strong>de</strong> sa proposition d’un revenu d’existence.<br />

Du point <strong>de</strong> vue régulationniste, cela signifie aussi que chaque sphère doit voir son<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> régulation propre déconnecté <strong>de</strong> l’organe régulateur du capitalisme : le taux <strong>de</strong><br />

profit. Ce <strong>de</strong>rnier ne doit plus être la justification <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong>de</strong> la nature et du lien<br />

social. Au contraire, la sphère économique recevra <strong><strong>de</strong>s</strong> autres sphères, d’une part les<br />

moyens <strong>de</strong> son fonctionnement et, d’autre part, les normes <strong>de</strong> ce fonctionnement<br />

déterminées selon <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> décisions collectives. Elle sera guidée, non plus par la<br />

croissance du taux <strong>de</strong> profit qui entraîne l’accumulation monopolistique du capital, mais<br />

par la satisfaction <strong><strong>de</strong>s</strong> besoins qui apparaissent dans les autres sphères et qui seront l’objet<br />

<strong>de</strong> « comman<strong><strong>de</strong>s</strong> » adressées à la sphère économique. Les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme joueront alors<br />

le double rôle <strong>de</strong> limites internes du fonctionnement <strong>de</strong> chaque sphère et <strong>de</strong> principes<br />

normatifs, gui<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre les sphères.<br />

24 Nous verrons, dans le chapitre suivant, les oppositions à <strong>de</strong> telles mesures, mais aussi les pistes possibles<br />

<strong>de</strong> leur mise en œuvre.<br />

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