l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I
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interprétation est dangereuse lorsqu’elle réduit ces droits civils à ceux de la sphère privée des individus et aux droits du capital. Une telle réduction est celle opérée par ces Hautes juridictions, qui n’acceptent comme droits fondamentaux que les droits de la première catégorie ainsi définis. Or, les droits civiques, les droits sociaux et les droits collectifs ont tous également des relations avec la sphère privée et les droits du capital ne sont pas des droits de l’homme 5 . Par ailleurs, l’indivisibilité des droits s’oppose catégoriquement à ce genre de réductionnisme qui conduit à des aberrations, comme nous allons le voir à présent. En ce qui concerne le droit à la sécurité sociale au sens large, notamment l’accès aux soins, à l’éducation, au logement, etc., il a été clairement rejeté par les trois Hautes juridictions, puisqu’elles n’acceptent pas de considérer les droits sociaux comme des droits fondamentaux donnant obligation aux Etats d’y répondre. La logique néo-libérale qui inspire ces Cours est, en effet, totalement opposée aux dépenses de l’Etat, aux redistributions de revenus, et à l’Etat lui-même. Ainsi, allant même jusque dans une logique purement libertarienne, les juristes israéliens ont suggéré que les impôts contredisent « le droit [« basic freedom »] à la propriété personnelle d’une personne ou d’une firme » et que, par conséquent, les juges avaient le pouvoir de déclarer tout impôt hors la loi, cf. (Hirschl, 2000, p. 1088). Dans le même temps, la Haute juridiction israélienne refusait de reconnaître le droit à l’éducation de base et au soin infantile comme un droit garanti par la Constitution. Cela pourrait s’expliquer par l’accent mis sur la procédure et sur des références implicites plutôt qu’explicites aux droits sociaux dans les textes constitutionnels israéliens. Cependant, il s’agit bien d’un point de vue doctrinaire, découlant du positionnement néo-libéral des juges, puisque selon une déclaration de l’un des juges de la Cour suprême israélienne, le « Chief Justice » Barak : « les droits sociaux comme le droit à l’éducation, aux soins, au bien-être social sont, bien sûr, des droits très importants, mais ils ne font pas, à ce qu’il semble, partie de la « dignité humaine » » (cité par Hirschl, 2000, p. 1087). Ran Hirschl (2000, p. 1089) conclut sur le cas israélien : « cette combinaison de décisions légales a l’effet de nier tout recours contre les politiques éducatives discriminatoires, tout en permettant aux firmes de poursuivre en justice le gouvernement contre tout impôt qu’il lèverait sur les profits ». 5 Par définition, puisque ces droits sont ceux de l’être humain. D’ailleurs, une décision de la Haute Cour israélienne est contestable sur ce terrain pour une autre raison, puisqu’elle a reconnu des droits de l’homme à des alligators, alors même qu’elle ne les reconnaissait pas aux Palestiniens, cf. (Hirschl, 2000, p. 1078). 294
En ce qui concerne les droits syndicaux, les trois pays, à nouveau, les rejettent en faveur des « droits » des firmes. Ainsi, au Canada, les décisions de la Haute Cour ont conduit à établir que la liberté d’association ne donnait aucune protection ou garantie au droit de grève. A contrario, cette même juridiction a étendu le bénéfice de la liberté d’expression aux firmes, rendant caduque, par exemple, une loi qui interdisait la publicité pour le tabac et imposait une indication de dangerosité sur les paquets de cigarettes. La liberté d’expression commerciale est donc supérieure à la protection de la santé publique. De même, la Cour suprême israélienne reconnaît les droits de l’employeur contre les droits des salariés. A partir de la liberté d’occupation (c’est-à-dire, conformément aux Déclarations internationales, la liberté de choisir son travail), la Cour israélienne a reconnu le droit absolu des employeurs à licencier leurs employés, sans reconnaître à ceux-ci un droit réciproque d’être employé (droit au travail). Ces décisions ont conduit à ignorer les responsabilités de l’Etat et des firmes dans la mise en place d’un environnement économique, géographique et social favorable au plein emploi, laissant tout le champ au libre fonctionnement du marché, cf. (Hirschl, 2000, p. 1094). Ces exemples 6 ne sont pas spécifiques aux pays anglo-saxons ; l’Union européenne connaît aussi ce type de dérives néo-libérales, bien qu’elles restent contrebalancées par une évolution jurisprudentielle en faveur des droits sociaux (nous y reviendrons). Nous prenons deux exemples des dérives néo-libérales, puis nous tirons quelques conclusions générales. 2. Deux exemples européens. Premier exemple, une décision de la Commission des droits de l’homme 7 , rendue en 1990, et décrite par Jacques Fierens (1992, p. 136-138) 8 . Le cas concerne une femme qui, divorcée, ayant à sa charge deux enfants mineurs et le bébé de sa propre fille, étant dans l’incapacité de travailler pour des raisons de santé, et logée dans une habitation sociale alimentée en énergie uniquement par l’électricité, a vu son compteur coupé en 6 Naturellement, Hirschl en donne bien davantage et conduit une analyse plus détaillée en matière de droit comparé, les mêmes tendances lourdes se retrouvant dans les trois pays ciblés. 7 La Commission des droits de l’homme examinait la recevabilité des requêtes relevants de la Convention des droits de l’homme. Face à l’ampleur et à la complexité de la tâche, la Commission fut absorbée par la Cour européenne des droits de l’homme (par la suite également : la Cour), afin de simplifier les procédures. Cette Cour ne doit pas être confondue avec la Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE). 8 Il s’agit de l’arrêt Van Volsem c. Belgique, qui est très réputé. La jurisprudence actuelle a tendance à aller à son encontre, bien que de façon limitée. Sur l’analyse économique de la coupure d’électricité et du caractère de violation des droits de l’homme de celle-ci, cf. (Wodon, 1998). 295
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juridictions, qui n’acceptent comme <strong>droits</strong> fondamentaux que les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> la première<br />
catégorie ainsi définis. Or, les <strong>droits</strong> civiques, les <strong>droits</strong> sociaux et les <strong>droits</strong> collectifs ont<br />
tous également <strong><strong>de</strong>s</strong> relations avec la sphère privée et les <strong>droits</strong> du capital ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme 5 . Par ailleurs, l’indivisibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> s’oppose catégoriquement à ce<br />
genre <strong>de</strong> réductionnisme qui conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations, comme nous allons le voir à<br />
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En ce qui concerne le droit à la sécurité sociale au sens large, notamment l’accès<br />
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juridictions, puisqu’elles n’acceptent pas <strong>de</strong> considérer les <strong>droits</strong> sociaux comme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong><br />
fondamentaux donnant obligation aux Etats d’y répondre. La logique néo-libérale qui<br />
inspire ces Cours est, en effet, totalement opposée aux dépenses <strong>de</strong> l’Etat, aux<br />
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logique purement libertarienne, les juristes israéliens ont suggéré que les impôts<br />
contredisent « le droit [« basic freedom »] à la propriété personnelle d’une personne ou<br />
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hors la loi, cf. (Hirschl, 2000, p. 1088). Dans le même temps, la Haute juridiction<br />
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découlant du positionnement néo-libéral <strong><strong>de</strong>s</strong> juges, puisque selon une déclaration <strong>de</strong> l’un<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> juges <strong>de</strong> la Cour suprême israélienne, le « Chief Justice » Barak :<br />
« les <strong>droits</strong> sociaux comme le droit à l’éducation, aux soins, au bien-être social<br />
sont, bien sûr, <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> très importants, mais ils ne font pas, à ce qu’il semble,<br />
partie <strong>de</strong> la « dignité humaine » » (cité par Hirschl, 2000, p. 1087).<br />
Ran Hirschl (2000, p. 1089) conclut sur le cas israélien :<br />
« cette combinaison <strong>de</strong> décisions légales a l’effet <strong>de</strong> nier tout recours contre les<br />
politiques éducatives discriminatoires, tout en permettant aux firmes <strong>de</strong> poursuivre<br />
en justice le gouvernement contre tout impôt qu’il lèverait sur les profits ».<br />
5 Par définition, puisque ces <strong>droits</strong> sont ceux <strong>de</strong> l’être humain. D’ailleurs, une décision <strong>de</strong> la Haute Cour<br />
israélienne est contestable sur ce terrain pour une autre raison, puisqu’elle a reconnu <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> alligators, alors même qu’elle ne les reconnaissait pas aux Palestiniens, cf. (Hirschl, 2000, p. 1078).<br />
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