l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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mercantilistes préconisent l’accroissement de la masse monétaire et la baisse du taux d’intérêt, afin d’encourager l’investissement. En tant que précurseurs de l’économie, les mercantilistes semblent pouvoir être aussi, en première approximation, des précurseurs des droits de l’homme. En effet, ils défendent l’enrichissement des citoyens, ainsi que des thèses en faveur de l’investissement et d’un « certain » droit du travail. Cependant, ces thèses les conduisent à privilégier certaines politiques économiques, certes fort logiques dans le contexte du pouvoir monarchique, mais contestables du point de vue humain. Or, ces politiques économiques seront souvent reprises telles quelles par les penseurs libéraux des XVIIIe et XIXe siècles. Et comment pourrait-il en être autrement puisque les uns comme les autres font passer l’enrichissement marchand avant toute autre considération, le travailleur semblant n’être qu'une machine. Ainsi, Montchrétien peut écrire que « le trop d’aise occasionne le soulèvement » (cité par Moulier-Boutang, 1998, p. 152) et Sir W. Petty propose de maintenir élevés les prix du blé, car si les travailleurs peuvent se nourrir facilement, ils rechigneront au travail. De la même façon, certains mercantilistes s’opposent à l’éducation qui pourrait tarir une source de main-d’œuvre, et sont donc favorables au travail des enfants (Denis, 1966, p. 110). Avoir une forte population ne sert ainsi pas seulement à alimenter l’armée, mais permet aussi de maintenir de bas salaires, ceux-ci étant la garantie de mise au travail du peuple. Il est en effet indéniable qu’à l’époque, la mentalité capitaliste n’est encore que faiblement développée. Par conséquent, de hauts salaires n’encourageaient pas à travailler davantage. Une telle attitude perdure jusqu’au début du XXe siècle, à tel point que des personnages comme le révérend Townsend, conseillent de baisser les salaires, car la faim est « le mobile le plus naturel du travail et de l’industrie, [et] elle provoque aussi les efforts les plus puissants » 8 . La pensée mercantiliste qui, comme on le voit, se poursuit dans la pensée libérale, va donc finalement à l’encontre de ce que l’on nommera les droits de l’homme. Le lien entre ces derniers et l’économie est alors clair, mais se construit presque exclusivement comme une opposition : soit la richesse est favorisée, mais au détriment de la grande masse des personnes ; soit l’éducation est développée, les salaires s’accroissent (et le temps de travail se réduit d’autant), la liberté s’accroît face à l’Etat, mais alors l’économie risque 8 Cf. Lafargue (1883, p. 23) qui, voulant « mater la passion extravagante des ouvriers pour le travail », contient de nombreuses descriptions et citations intéressantes de la pensée libérale capitaliste de son époque. Il est aussi possible de se reporter aux écrits de Karl Marx, ainsi qu’à Antonelli (1959, p. 140-141) et Moulier-Boutang (1998). 22

d’en pâtir, tout comme les finances de l’Etat. Les physiocrates vont tenter de dépasser cette opposition en centrant leur analyse sur le droit naturel. D. Les physiocrates. Les physiocrates, dont le plus illustre est François Quesnay (1694-1774), médecin du roi de France, sont souvent considérés comme des inspirateurs directs de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 9 . Eux qui étaient connus en leur temps sous le nom de « secte des économistes », prônaient la réalisation d’un Etat garant de l’ordre naturel 10 , c’est-à-dire du respect des droits naturels, « propriété, sûreté et liberté » (Mercier de la Rivière). Mais voyons de plus prêt la doctrine de Quesnay et de ses adeptes. Tout d’abord, la propriété y est envisagée comme un droit, mais dont l’inviolabilité est limitée par la priorité donnée à la propriété du sol, seule productive : la propriété est un droit sur le revenu des terres, cf. (Steiner, 1987). A la suite de Charles Gide, nous pouvons constater que la propriété personnelle, pour les physiocrates, est équivalente à un droit de pourvoir à la consommation personnelle ; ce qui implique, pour le propriétaire, des devoirs. En effet, dès lors que la classe des propriétaires est improductive 11 , son titre de propriété ne se justifie que par les devoirs qui lui sont attachés : entretenir les avances foncières ; utiliser les loisirs de leur vie en se rendant utiles à la société, en assurant des services gratuits et indispensables ; payer le seul impôt existant ; protéger les agriculteurs et les cultivateurs (Gide et Rist, 1920). Ces devoirs procèdent d’une logique globale qui inclut le droit naturel et la liberté. Quesnay apparaît ainsi comme un philosophe libéral au même titre que certains auteurs contemporains (Rawls ou Nozick, par exemple), même si, bien entendu, il reste des zones d’ombre et des « erreurs » dans sa démarche. Il est cependant fort 9 Cf. par exemple (Ferry et Renaut, 1985, p. 34). Cela provient du fait que les physiocrates mettaient en avant les droits naturels ; ainsi Turgot dit : « il ne s’agit pas de savoir ce qui est ou ce qui a été, mais ce qui doit être. Les droits des hommes ne sont pas fondés sur leur histoire, mais sur leur nature », cité par (Gide et Rist, 1920, p. 11) ; voir aussi (Quesnay, 1765). 10 Notons dès à présent que celui-ci n’est pas un garant d’égalité mais bien plutôt d’inégalité puisqu’il s’appuie sur une société hiérarchisée ; cf., entre autres, (Larrère, 1992). Société qui, d’ailleurs, peut s’opposer à la démocratie politique, puisqu’une fois les lois naturelles identifiées, il convient de s’y conformer à la lettre ; nous laisserons toutefois cet aspect de côté. 11 Rappelons que dans son modèle en zigzag de la société, Quesnay distingue trois classes : la classe productive qui travaille la terre et produit seule un surplus ; la classe des propriétaires qui font les avances et touchent un revenu ; la classe stérile qui produit tous les autres biens (artisans, etc.) sans produire de surplus. Pour un exposé synthétique de la doctrine de Quesnay, évoquant les aspects dont nous traitons, cf. (Taouil, 1995). Précisons toutefois que pour Quesnay, il n’y a en fait aucun travail productif : c’est la terre qui donne le surplus, comme un don fait à l’homme. 23

mercantilistes préconisent l’accroissement <strong>de</strong> la masse monétaire et la baisse du taux<br />

d’intérêt, afin d’encourager l’investissement.<br />

En tant que précurseurs <strong>de</strong> l’économie, les mercantilistes semblent pouvoir être<br />

aussi, en première approximation, <strong><strong>de</strong>s</strong> précurseurs <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme. En effet, ils<br />

défen<strong>de</strong>nt l’enrichissement <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens, ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> thèses en faveur <strong>de</strong> l’investissement<br />

et d’un « certain » droit du travail. Cependant, ces thèses les conduisent à privilégier<br />

certaines politiques économiques, certes fort logiques dans le contexte du pouvoir<br />

monarchique, mais contestables du point <strong>de</strong> vue humain. Or, ces politiques économiques<br />

seront souvent reprises telles quelles par les penseurs libéraux <strong><strong>de</strong>s</strong> XVIIIe et XIXe siècles.<br />

Et comment pourrait-il en être autrement puisque les uns comme les autres font passer<br />

l’enrichissement marchand avant toute autre considération, le travailleur semblant n’être<br />

qu'une machine. Ainsi, Montchrétien peut écrire que « le trop d’aise occasionne le<br />

soulèvement » (cité par Moulier-Boutang, 1998, p. 152) et Sir W. Petty propose <strong>de</strong><br />

maintenir élevés les prix du blé, car si les travailleurs peuvent se nourrir facilement, ils<br />

rechigneront au travail. De la même façon, certains mercantilistes s’opposent à l’éducation<br />

qui pourrait tarir une source <strong>de</strong> main-d’œuvre, et sont donc favorables au travail <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

enfants (Denis, 1966, p. 110).<br />

Avoir une forte population ne sert ainsi pas seulement à alimenter l’armée, mais<br />

permet aussi <strong>de</strong> maintenir <strong>de</strong> bas salaires, ceux-ci étant la garantie <strong>de</strong> mise au travail du<br />

peuple. Il est en effet indéniable qu’à l’époque, la mentalité capitaliste n’est encore que<br />

faiblement développée. Par conséquent, <strong>de</strong> hauts salaires n’encourageaient pas à travailler<br />

davantage. Une telle attitu<strong>de</strong> perdure jusqu’au début du XXe siècle, à tel point que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnages comme le révérend Townsend, conseillent <strong>de</strong> baisser les salaires, car la faim<br />

est « le mobile le plus naturel du travail et <strong>de</strong> l’industrie, [et] elle provoque aussi les efforts<br />

les plus puissants » 8 .<br />

La pensée mercantiliste qui, comme on le voit, se poursuit dans la pensée libérale,<br />

va donc finalement à l’encontre <strong>de</strong> ce que l’on nommera les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme. Le lien<br />

entre ces <strong>de</strong>rniers et l’économie est alors clair, mais se construit presque exclusivement<br />

comme une opposition : soit la richesse est favorisée, mais au détriment <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> masse<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> personnes ; soit l’éducation est développée, les salaires s’accroissent (et le temps <strong>de</strong><br />

travail se réduit d’autant), la liberté s’accroît face à l’Etat, mais alors l’économie risque<br />

8 Cf. Lafargue (1883, p. 23) qui, voulant « mater la passion extravagante <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvriers pour le travail »,<br />

contient <strong>de</strong> nombreuses <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions et citations intéressantes <strong>de</strong> la pensée libérale capitaliste <strong>de</strong> son époque.<br />

Il est aussi possible <strong>de</strong> se reporter aux écrits <strong>de</strong> Karl Marx, ainsi qu’à Antonelli (1959, p. 140-141) et<br />

Moulier-Boutang (1998).<br />

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