l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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des conditions de travail (Carpentier, 2000, p. 20), et provoque une suraccumulation de capital constant qui a de moins en moins d’opportunités de rémunérations rentables. La crise survient alors, puisqu’il n’y a plus suffisamment de possibilités de profits nouveaux ; la phase B commence et va voir se développer en son sein des mécanismes de régulation qui provoquent la destruction des capitaux excédentaires, au profit du travail. L’éducation, les mesures de sécurité sociale, ou encore le logement, sont des voies de cette destruction (1). Mais d’autres facteurs, également attachés aux droits de l’homme, sont susceptibles de jouer le même rôle (2). D’ailleurs, l’évolution récente tend à accentuer l’importance des droits de l’homme pour une éventuelle sortie de crise, voire pour la création d’un mode de régulation qui ne soit plus, de manière centrale, capitaliste (3). 1. Les réformes sociales comme dévalorisation du capital ? Deux types de réformes sociales sont particulièrement envisagés comme processus de dévalorisation du capital en période de crise : d’une part, le développement des assurances sociales et de l’intervention sociale de l’Etat ; d’autre part, l’éducation et la formation 52 . a. Santé, chômage, retraites, logement. « Certes, ce n’est pas assez. » C’est par ces mots laconiques que Villermé résume, dans son célèbre rapport sur la vie ouvrière française 53 , le salaire des ouvriers du textile lillois. Et de préciser que ces ouvriers souffrent d’une « constitution scrofuleuse, surtout les enfants, qui sont décolorés et maigres ». Ce problème, celui de la santé de la population, déborde le simple cadre des soins médicaux. Il touche à l’alimentation et à l’hygiène, au logement, à la vieillesse, au chômage. Il concerne également, cela va de soi, la question de la qualité et de la productivité du travail, des ouvriers mal nourris et mal soignés étant moins productifs. Or, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la prise en charge des risques sociaux (accidents du travail, chômage, maladie, vieillesse, invalidité) est essentiellement privée, par le biais du 52 Nous resterons, ici, essentiellement sur le cas français, qui est suffisamment représentatif ; Antonelli (1959, p. 77-81) fait le point sur les différences entre les blocs de pays, et montre bien que, malgré les diversités nationales, il y a des tendances communes très nettes sur le développement de la législation sociale. 53 Villermé M., Tableau de l’état physique et moral des ouvriers, tome 1, Paris, 1840. 272

développement des mutuelles et des caisses de secours. Les premières relèvent des organisations syndicales et dépendent donc des libertés d’associations ; elles répondent à un besoin social qui devient particulièrement aigu avec le développement accéléré de la prolétarisation 54 . Les secondes dépendent des entreprises qui les organisent afin de fidéliser leur main-d’œuvre. D’après Christine André (1995), la mise en place d’assurances sociales comme nouveau compromis institutionnalisé, ne surviendrait qu’à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. De fait, les mesures législatives qui viennent se surimposer aux initiatives privées, à la fin du XIXe siècle en particulier, restent assez limitées dans leur portée. Dans le cas des retraites, par exemple, c’est seulement après que le ralentissement économique de la fin du siècle ait provoqué des faillites qui entraînent la disparition de l’épargne salariale, qu’une loi visant la garantie des fonds déposés est votée en 1895 ; quant à l’extension de la retraite, par son obligation, elle ne se réalise qu’au début du XXe siècle, « aidée » par l’expansion économique. Cet exemple de la retraite est doublement remarquable, d’une part parce que, d’un moyen de maintenir la main-d’œuvre au sein d’une entreprise particulière, on passe à une mesure généralisée et obligatoire, indépendante de l’entreprise ; d’autre part, parce que le rapport avec les fonds de pension défendus aujourd’hui par les auteurs néo-libéraux est assez visible, le risque de faillite des entreprises gestionnaires des fonds étant toujours présent. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est d’observer que, d’abord, des mesures sociales sont mises en place par le capitalisme lui-même, mais en contradiction avec certains droits : ici, la retraite est reconnue afin de limiter la mobilité des travailleurs ; ensuite, les mesures sociales et leur généralisation sont légitimées en période de crise ; enfin, l’extension de ces mesures peut nécessiter la croissance économique, puisque les moyens de leur financement, et donc du financement de l’Etat, sont moins contestés en période d’opulence. Ainsi, si en 1895 est votée la loi des « garanties », imposant que les fonds des retraites soient déposés à la Caisse nationale des retraites, il faut attendre 1905 pour qu’une loi garantisse un revenu à tout Français de plus de 70 ans et sans ressource, puis 1930, pour la création d’une assurance-vieillesse obligatoire (bien qu’avec un plafond d’affiliation), et la période d’après-guerre pour que le 54 Une des raisons du développement des assurances sociales, que nous ne développerons pas par ailleurs, est la rupture des solidarités traditionnelles (notamment au sein de la famille) par l’extension de la prolétarisation. L’Etat vient donc se substituer à ces solidarités et il accélère ainsi ce phénomène de dissolution. 273

<strong><strong>de</strong>s</strong> conditions <strong>de</strong> travail (Carpentier, 2000, p. 20), et provoque une suraccumulation <strong>de</strong><br />

capital constant qui a <strong>de</strong> moins en moins d’opportunités <strong>de</strong> rémunérations rentables. La<br />

crise survient alors, puisqu’il n’y a plus suffisamment <strong>de</strong> possibilités <strong>de</strong> profits nouveaux ;<br />

la phase B commence et va voir se développer en son sein <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> régulation<br />

qui provoquent la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong><strong>de</strong>s</strong> capitaux excé<strong>de</strong>ntaires, au profit du travail. L’éducation,<br />

les mesures <strong>de</strong> sécurité sociale, ou encore le logement, sont <strong><strong>de</strong>s</strong> voies <strong>de</strong> cette <strong><strong>de</strong>s</strong>truction<br />

(1). Mais d’autres facteurs, également attachés aux <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, sont susceptibles <strong>de</strong><br />

jouer le même rôle (2). D’ailleurs, l’évolution récente tend à accentuer l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme pour une éventuelle sortie <strong>de</strong> crise, voire pour la création d’un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

régulation qui ne soit plus, <strong>de</strong> manière centrale, capitaliste (3).<br />

1. Les réformes sociales comme dévalorisation du capital ?<br />

Deux types <strong>de</strong> réformes sociales sont particulièrement envisagés comme processus<br />

<strong>de</strong> dévalorisation du capital en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise : d’une part, le développement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

assurances sociales et <strong>de</strong> l’intervention sociale <strong>de</strong> l’Etat ; d’autre part, l’éducation et la<br />

formation 52 .<br />

a. Santé, chômage, retraites, logement.<br />

« Certes, ce n’est pas assez. » C’est par ces mots laconiques que Villermé résume,<br />

dans son célèbre rapport sur la vie ouvrière française 53 , le salaire <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvriers du textile<br />

lillois. Et <strong>de</strong> préciser que ces ouvriers souffrent d’une « constitution scrofuleuse, surtout les<br />

enfants, qui sont décolorés et maigres ».<br />

Ce problème, celui <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong> la population, débor<strong>de</strong> le simple cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> soins<br />

médicaux. Il touche à l’alimentation et à l’hygiène, au logement, à la vieillesse, au<br />

chômage. Il concerne également, cela va <strong>de</strong> soi, la question <strong>de</strong> la qualité et <strong>de</strong> la<br />

productivité du travail, <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvriers mal nourris et mal soignés étant moins productifs. Or,<br />

jusqu’à la fin du XIXe siècle, la prise en charge <strong><strong>de</strong>s</strong> risques sociaux (acci<strong>de</strong>nts du travail,<br />

chômage, maladie, vieillesse, invalidité) est essentiellement privée, par le biais du<br />

52 Nous resterons, ici, essentiellement sur le cas français, qui est suffisamment représentatif ; Antonelli (1959,<br />

p. 77-81) fait le point sur les différences entre les blocs <strong>de</strong> pays, et montre bien que, malgré les diversités<br />

nationales, il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> tendances communes très nettes sur le développement <strong>de</strong> la législation sociale.<br />

53 Villermé M., Tableau <strong>de</strong> l’état physique et moral <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvriers, tome 1, Paris, 1840.<br />

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