l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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la productivité, mesures auxquelles s’ajoute la création des camps de travail et des camps de concentration. * Les résultats. Les résultats des mesures dictatoriales sont de plusieurs ordres : d’une part, résorption du chômage de masse ; d’autre part, amélioration de la productivité des différents secteurs agricoles et industriels. Il y a là, très clairement, une réponse efficace à la crise, qui maintient les structures du capitalisme : la propriété privée des moyens de production n’est pas remise en cause ; il y a toujours exploitation d’une classe par une autre, les processus de la production et ses objectifs n’étant pas contestés. Et pour que cela soit possible, il y a parallèlement une suppression systématique des droits de l’homme, ainsi que la création de structures et de lois « créant la négation » de ces droits (lois racistes, camps de concentration). Alda Del Forno (1980, p. 326) précise que c’est la crise de 1929 qui a été la charnière de l’acceptation par les milieux d’affaires de l’intervention étatique. En effet, avant l’ampleur de la crise, les milieux industriels voyaient d’un mauvais œil les dépenses publiques visant le plein-emploi, et ce pour trois raisons (Kalecki, 1943, p. 388) : 1/ ils étaient, par nature, hostiles à toute intervention de l’Etat dans le domaine de l’emploi, 2/ ils étaient hostiles à l’accroissement des dépenses publiques (investissements publics et subventions à la consommation), 3/ ils étaient hostiles aux évolutions sociales et politiques pouvant résulter du maintien du plein-emploi. Le fascisme a supprimé cette hostilité au plein-emploi en mettant clairement en lumière qu’il n’était pas obligatoirement synonyme d’accroissement des droits de l’homme, ni d’accroissement de l’indiscipline au travail 49 . Mais deux problèmes se posent, qui empêchent la perpétuation d’une telle régulation. Tout d’abord, c’est la pénurie de 49 Il nous faut faire ici une parenthèse pour noter que les théories néo-classiques du chômage ont mis en avant une telle hypothèse. Elles montrent, en effet, qu’un volant de chômage peut être utile pour maintenir une certaine pression sur les travailleurs, afin qu’ils ne soient pas des tire-au-flanc. Le fascisme a donc trouvé une solution possible à ce problème, mais qui n’est pas adéquate. Il apparaît ainsi qu’il faut envisager le marché du travail sous un autre angle, en lui incluant des préoccupations basées sur les droits de l’homme (cf. Kolacinski, 2002b). Il convient, également, de tenir compte du fait que la logique capitaliste est destructrice des valeurs sociales dont elle se nourrit : si le travailleur perd de son honnêteté, n’est-ce pas parce qu’on lui a appris qu’il ne fallait se soucier que de son propre intérêt ? Continuer à encourager la destruction des valeurs, en leur substituant des mécanismes coercitifs de mise au travail va, selon nous, à l’encontre des droits de l’homme et de la régulation de la sphère économique : l’accroissement de la coercition et la perte d’intérêt au travail sont des sources de la baisse tendancielle du taux de profit. 270

main-d’œuvre, puisque celle-ci est dirigée en priorité vers l’industrie de l’armement 50 . Ensuite, le régime des cartels annule la concurrence des producteurs et des capitaux, alors même que les profits vont, plus ou moins indirectement, à l’Etat, ce qui empêche doublement la reproduction du capital sur des bases élargies. La remise en cause des droits de l’homme, si elle peut avoir un impact favorable à court terme sur le taux de profit et l’accumulation, conduit donc à mettre en péril l’accumulation élargie. L’approche de la régulation systémique va nous permettre de préciser cette interprétation. B. Une analyse systémique de la régulation : vers une autonomisation des droits de l’homme. L’analyse systémique de la régulation considère la succession de phases de longues périodes, alternant des phases A de croissance avec des phases B de crise. Durant les phases A, le taux de profit augmente, un mode de régulation fonctionne. Durant les phases B, les contradictions du mode de régulation deviennent telles que le taux de profit diminue, ce qui donne lieu à une crise structurelle pendant laquelle de nouvelles formes de régulation apparaissent, afin de permettre au taux de profit de repartir à la hausse. Il y a, en fait, une suraccumulation 51 du capital pendant les phases A qui conduit, dans les phases B, à des épurations du capital, afin de retrouver des conditions d’accumulation profitables. La recherche de profits toujours plus importants, au cours de la phase A, provoque une concurrence croissante entre les capitalistes, qui conduit à la réduction du capital variable, c’est-à-dire du travail. Cette recherche du profit conduit donc à la détérioration 50 En fait, il s’agit d’un cercle vicieux : l’Etat a besoin de l’armement pour garantir la perpétuation du système à l’intérieur, mais aussi, du fait du manque de travailleurs qui découle de cette spécialisation, pour s’étendre à l’extérieur afin de trouver de nouveaux puits de main-d’œuvre, ce qui nécessite de produire toujours plus d’armement. L’expansion militaire se substitue alors à l’expansion commerciale devenue impossible et pourtant nécessaire à l’accroissement du taux de profit. N.B. : nous laissons de côté, ici, les autres facteurs de la guerre, mais il va de soi que nous ne pensons pas que seules les raisons économiques expliquent l’histoire ; elles sont même souvent secondes par rapport à d’autres motifs. Il ne faut pas toutefois tomber dans l’excès inverse, qui consisterait à voir dans les arguments économiques de simples « légitimations » a posteriori. Sur la nécessité de nuancer les explications économiques des événements historiques, on peut voir avec bonheur le pastiche de Carlo Cipolla (1988). 51 D’après Paul Boccara (1961), il y aurait une suraccumulation-dévalorisation du capital. La suraccumulation consiste en un excès de capital par rapport à la plus-value disponible ; la dévalorisation entre alors en jeu pour réduire cette suraccumulation, et prend place pendant les périodes de crise qui marquent le passage d’un mode de régulation à un autre. Plus généralement, nos références sur la théorie de la régulation systémique sont : (Boccara, 1961 ; 1993a, b, c, d), (Carpentier, 2000), (de Faria, 2000), (Fontvieille et Michel, 1998 ; 2000), (Vallade, 2002) ; nous avons aussi bénéficié de discussions enrichissantes avec Vivien de Faria, Sandrine Michel et Delphine Vallade. 271

la productivité, mesures auxquelles s’ajoute la création <strong><strong>de</strong>s</strong> camps <strong>de</strong> travail et <strong><strong>de</strong>s</strong> camps<br />

<strong>de</strong> concentration.<br />

* Les résultats.<br />

Les résultats <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures dictatoriales sont <strong>de</strong> plusieurs ordres : d’une part,<br />

résorption du chômage <strong>de</strong> masse ; d’autre part, amélioration <strong>de</strong> la productivité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

différents secteurs agricoles et industriels. Il y a là, très clairement, une réponse efficace à<br />

la crise, qui maintient les structures du capitalisme : la propriété privée <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens <strong>de</strong><br />

production n’est pas remise en cause ; il y a toujours exploitation d’une classe par une<br />

autre, les processus <strong>de</strong> la production et ses objectifs n’étant pas contestés. Et pour que cela<br />

soit possible, il y a parallèlement une suppression systématique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme,<br />

ainsi que la création <strong>de</strong> structures et <strong>de</strong> lois « créant la négation » <strong>de</strong> ces <strong>droits</strong> (lois<br />

racistes, camps <strong>de</strong> concentration).<br />

Alda Del Forno (1980, p. 326) précise que c’est la crise <strong>de</strong> 1929 qui a été la<br />

charnière <strong>de</strong> l’acceptation par les milieux d’affaires <strong>de</strong> l’intervention étatique. En effet,<br />

avant l’ampleur <strong>de</strong> la crise, les milieux industriels voyaient d’un mauvais œil les dépenses<br />

publiques visant le plein-emploi, et ce pour trois raisons (Kalecki, 1943, p. 388) : 1/ ils<br />

étaient, par nature, hostiles à toute intervention <strong>de</strong> l’Etat dans le domaine <strong>de</strong> l’emploi, 2/ ils<br />

étaient hostiles à l’accroissement <strong><strong>de</strong>s</strong> dépenses publiques (investissements publics et<br />

subventions à la consommation), 3/ ils étaient hostiles aux évolutions sociales et politiques<br />

pouvant résulter du maintien du plein-emploi.<br />

Le fascisme a supprimé cette hostilité au plein-emploi en mettant clairement en<br />

lumière qu’il n’était pas obligatoirement synonyme d’accroissement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong><br />

l’homme, ni d’accroissement <strong>de</strong> l’indiscipline au travail 49 . Mais <strong>de</strong>ux problèmes se posent,<br />

qui empêchent la perpétuation d’une telle régulation. Tout d’abord, c’est la pénurie <strong>de</strong><br />

49 Il nous faut faire ici une parenthèse pour noter que les théories néo-classiques du chômage ont mis en avant<br />

une telle hypothèse. Elles montrent, en effet, qu’un volant <strong>de</strong> chômage peut être utile pour maintenir une<br />

certaine pression sur les travailleurs, afin qu’ils ne soient pas <strong><strong>de</strong>s</strong> tire-au-flanc. Le fascisme a donc trouvé une<br />

solution possible à ce problème, mais qui n’est pas adéquate. Il apparaît ainsi qu’il faut envisager le marché<br />

du travail sous un autre angle, en lui incluant <strong><strong>de</strong>s</strong> préoccupations basées sur les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme (cf.<br />

Kolacinski, 2002b). Il convient, également, <strong>de</strong> tenir compte du fait que la logique capitaliste est <strong><strong>de</strong>s</strong>tructrice<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs sociales dont elle se nourrit : si le travailleur perd <strong>de</strong> son honnêteté, n’est-ce pas parce qu’on lui a<br />

appris qu’il ne fallait se soucier que <strong>de</strong> son propre intérêt ? Continuer à encourager la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs,<br />

en leur substituant <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes coercitifs <strong>de</strong> mise au travail va, selon nous, à l’encontre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong><br />

l’homme et <strong>de</strong> la régulation <strong>de</strong> la sphère économique : l’accroissement <strong>de</strong> la coercition et la perte d’intérêt au<br />

travail sont <strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>de</strong> la baisse tendancielle du taux <strong>de</strong> profit.<br />

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