l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

Néanmoins, il ne faut pas sous- ou sur-déterminer l’importance des luttes sociales
dans la réalisation des droits de l’homme, en en faisant de simples « résultats » des
changements structurels. Ces luttes ont une place essentielle dans les changements de
paradigmes sociétaux. Cependant, d’une part, elles sont le plus souvent indépendantes des
besoins structurels du capitalisme, et, d’autre part, certains droits ne deviennent effectifs
que lorsque, justement, le capitalisme en éprouve le besoin. Cette dernière constatation
explique en partie les mouvements répressifs qui ont jalonné l’histoire des luttes sociales 43 .
Ainsi, il convient de remarquer, en premier lieu, la récurrence de certaines
revendications. La liberté, bien sûr, mais aussi la démocratie politique, sont sans cesse
réaffirmées et réclamées. La démocratie politique, d’ailleurs, est souvent en lien étroit avec
le pouvoir économique : les révoltes contre l’autorité fiscale et l’arbitraire de l’Etat ; les
Niveleurs réclamant la démocratie réelle pour protéger la liberté contre l’exploitation
économique ; la Révolution française ; le mouvement Chartiste... Tous sont pour la
démocratie politique dans le but de garantir à tous les moyens de la vie. Autre exemple de
revendication récurrente, la question du droit au mariage qui, si elle semble en dehors de
l’économie, en est pourtant historiquement dépendante en tant que droit. Le droit au
mariage est limité par l’autorité pour des raisons économiques, que ce soit pendant
l’empire romain ou au XIXe siècle, ou bien encore dans les régimes d’apartheid et
d’esclavage (Moulier-Boutang, 1998). Et cela perdure encore à la fin du XXe siècle dans
plusieurs pays coutumiers, mais aussi au sein de l’économie capitaliste stricto sensu
puisque les contrats des hôtesses de l’air de certaines compagnies aériennes interdisaient le
mariage de celles-ci ; clause qui a été condamnée en justice depuis, cf. (Van Minh, 1984, p.
111).
Deuxième remarque générale, le droit à la liberté de religion est sans doute celui
qui s’est le mieux maintenu là où il avait été reconnu (si l’on met de côté la France
monarchique, et peut-être aussi le Japon, qui est un cas à part). Et, de fait, c’est un droit qui
43 Il y a là, toutefois, un problème d’analyse fondamental. En effet, alors que les approches structuralistes,
parmi lesquelles figurent certaines analyses marxistes et régulationnistes, tendent à considérer que les luttes
sociales (ou, du moins, les mouvements sociaux) n’ont aucun impact, puisque les réformes n’arrivent que
lorsque le système économique le souhaite, nous montrons au contraire que les luttes sociales (y compris les
seuls mouvements sociaux) ont une importance cruciale pour la reconnaissance des droits à tous les niveaux.
Cependant, nous entendons aussi préciser que les luttes sociales ne sont pas toujours suffisantes en ellesmêmes
et que, dans certains cas, d’une part, il est plus aisé de mettre en œuvre des droits au moment où la
sphère économique en éprouve le besoin et, d’autre part, cette mise en œuvre peut avoir d’autres origines que
les seules luttes sociales. En outre, nous n’excluons ni le fait que les droits puissent survenir à des moments
où ils vont être utiles au système (être des contre-tendances à la baisse du taux de profit), ni celui qu’ils
peuvent être reconnus à des périodes où ils vont pourtant avoir l’effet inverse (réduire le taux de profit).
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