l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Il y a, alors, deux sortes de mouvements contestataires : ceux au sein du paradigme sociétal, animés par les bourgeois contre l’emprise du roi et de la noblesse ; ceux des ouvriers, compagnons et paysans, contre le paradigme sociétal en vigueur. Du premier type sont les mouvements des années 1355-1357 où les Etats Généraux s’opposent aux « fraudes » du pouvoir royal et réclament des droits législatifs en matière fiscale ; une Ordonnance de 1356 reconnaît ainsi tacitement le droit de résistance à l’oppression contre les « prises » illégitimes (Bayet, 1939, p. 85s). Ces mouvements ne remettent pas en cause l’organisation inégalitaire de la société, pas plus qu’ils ne contestent l’autorité royale. Tout au plus permettent-ils, et c’est sans doute leur rôle de contre-tendances aux blocages de l’accumulation, de libérer pour partie la bourgeoisie de l’incertitude liée à la pression fiscale du pouvoir monarchique. Le second type de contestations, quant à lui, relève davantage du peuple industrieux. En 1358, suite aux mouvements politiques des trois années précédentes, a lieu dans toute la France, une grande « Jacquerie » contre les seigneurs et l’Etat. Ce soulèvement des paysans est lié, outre au contrôle des salaires 20 , à la rupture économique des années 1340, causée par la famine, la peste et la guerre (Cameron, 1989, p.79-80). Les luttes sociales qui traversent l’Europe de 1378 à 1382, férocement réprimées, sont aussi de ce type. Le salariat qui, à cette époque, représente un moyen d’émancipation pour les serfs, entend bien faire reconnaître sa liberté. Moulier-Boutang écrit (1998, p. 281) : « Redevenir son propre maître et pouvoir se déplacer sont les deux contenus essentiels de la liberté. S’y ajoute aussi le droit de participer aux prises de décisions de la Cité. Les trois contenus se renforcent l’un l’autre. Redevenir son maître signifiait pouvoir vendre ses bras, mais aussi vendre son cheptel, se marier ou marier sa fille sans avoir à demander l’autorisation, pouvoir quitter son village de naissance, ne pas être contraint par le seigneur ou par les lois du roi d’y retourner. (...) Mais la lutte pour la liberté de mouvement est aussi une lutte pour être admis en ville, et pouvoir y travailler tout court, pour pouvoir participer aux décisions des corporations et des municipalités. » L’effet immédiat de l’ensemble de ces troubles est d’affaiblir l’organisation féodale banale, ce qui conduit à l’amélioration de la situation des « laboureurs » (plus spécialement, d’ailleurs, en Angleterre), à l’agrandissement des exploitations et à la mise en place de cultures plus variées, y compris le développement de l’élevage ; bref, des 20 En 1351, une nouvelle législation voulait maintenir les salaires faibles et s’était accompagnée d’une volonté d’expulser des villes les immigrants venus de la campagne (Moulier-Boutang, 1998, p. 282). 250

progrès dans l’agriculture qui donnent aussi des possibilités nouvelles à l’expansion du capitalisme marchand. L’Etat, quant à lui, avec le recul du féodalisme, acquiert progressivement son rôle de garant des droits de propriété et des échanges. Il devient ce que l’institutionnaliste Douglass North (1984) appelle le tiers (« third-party ») des échanges impersonnels 21 . − La Révolution anglaise et la loi de Speenhamland. Et les révoltes se succèdent du XVe au XVIIIe siècle, passant des révoltes contre la fiscalité royale, aux revendications sociales contre l’ordre bourgeois qui s’installe 22 . Les apprentis se coalisent en secret et s’efforcent de faire valoir leurs droits de travailleurs libres tandis que, allant à l’extérieur de l’Europe, les marchands partent à la conquête des futures colonies. Au XVIe siècle, c’est alors l’afflux de métaux précieux 23 , c’est la hausse des prix et la baisse relative des salaires, le pouvoir d’achat diminuant de près de 50 % pendant le siècle (Beaud, 2000, p. 31), (Brasseul, 1997, p. 144), ce qui conduit l’autorité à intervenir, par exemple en France par l’édit de Villers-Cotterêts qui, en 1539, interdit les coalitions ouvrières. Et c’est, en Angleterre, la Révolution et le mouvement des Niveleurs, puis la loi de Speenhamland. Le mouvement des Niveleurs (« the Levellers ») prend forme de 1600 à 1660, pendant la guerre civile anglaise. Les Niveleurs sont constitués des soldats recrutés par la bourgeoisie contre le roi. Ils viennent de la paysannerie, de l’artisanat et de la petite 21 Voir aussi (Brasseul, 1997, p. 105-106). 22 Les premières « déclarations » de droits relèvent de la première catégorie, c’est-à-dire de la revendication au sein du paradigme sociétal en vigueur. Elles correspondent ainsi, non pas à des déclarations de droits de l’homme, mais à des revendications de privilèges face à l’autorité royale. Par exemple, le Traité de Westphalie de 1648, reconnaît un état de fait en accordant aux princes le droit d’indépendance vis-à-vis de l’empereur, ainsi que la liberté religieuse des sujets, cf. (Bradley, 1972). En ce qui concerne la deuxième catégorie de lutte, il arrive qu’elle soit reconnue à partir du XVIIIe siècle, de façon à être mieux contrôlée ; c’est, par exemple, le « Riot Act » de 1769 en Grande-Bretagne, qui autorise les réunions de plus de 50 personnes, mais en leur imposant la présence d’un magistrat qui surveillera les membres assemblés et leurs propos, cf. (Sicard et Cabanis, 1988, p. 67). 23 Il nous faut faire ici une parenthèse pour préciser que, loin de lier la crise des pays ibériques à l’afflux des métaux précieux, nous pouvons mettre en avant d’autres facteurs du retard du développement de l’Espagne et du Portugal. L’intolérance religieuse a ainsi entraîné l’expulsion des juifs et des musulmans, dont la contribution à l’économie (commerce, financement de l’Etat, mise en valeur des terres agricoles) était fondamentale. Le respect des droits de l’homme, notamment de la tolérance religieuse, aurait été ici clairement dans le sens du développement économique. Au surplus, le cas opposé des Provinces-Unies (des Pays-Bas espagnols) confirme ce fait : alors qu’elles dépendaient de l’empire espagnol, elles ont développé, en opposition à ce dernier, la liberté religieuse, et ont attiré nombre de personnes qui ont contribué à leur développement économique. 251

Il y a, alors, <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> mouvements contestataires : ceux au sein du paradigme<br />

sociétal, animés par les bourgeois contre l’emprise du roi et <strong>de</strong> la noblesse ; ceux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ouvriers, compagnons et paysans, contre le paradigme sociétal en vigueur. Du premier type<br />

sont les mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1355-1357 où les Etats Généraux s’opposent aux<br />

« frau<strong><strong>de</strong>s</strong> » du pouvoir royal et réclament <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> législatifs en matière fiscale ; une<br />

Ordonnance <strong>de</strong> 1356 reconnaît ainsi tacitement le droit <strong>de</strong> résistance à l’oppression contre<br />

les « prises » illégitimes (Bayet, 1939, p. 85s). Ces mouvements ne remettent pas en cause<br />

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au plus permettent-ils, et c’est sans doute leur rôle <strong>de</strong> contre-tendances aux blocages <strong>de</strong><br />

l’accumulation, <strong>de</strong> libérer pour partie la bourgeoisie <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> liée à la pression<br />

fiscale du pouvoir monarchique.<br />

Le second type <strong>de</strong> contestations, quant à lui, relève davantage du peuple<br />

industrieux. En 1358, suite aux mouvements politiques <strong><strong>de</strong>s</strong> trois années précé<strong>de</strong>ntes, a lieu<br />

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soulèvement <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans est lié, outre au contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> salaires 20 , à la rupture économique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1340, causée par la famine, la peste et la guerre (Cameron, 1989, p.79-80). Les<br />

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ce type. Le salariat qui, à cette époque, représente un moyen d’émancipation pour les serfs,<br />

entend bien faire reconnaître sa liberté. Moulier-Boutang écrit (1998, p. 281) :<br />

« Re<strong>de</strong>venir son propre maître et pouvoir se déplacer sont les <strong>de</strong>ux contenus<br />

essentiels <strong>de</strong> la liberté. S’y ajoute aussi le droit <strong>de</strong> participer aux prises <strong>de</strong> décisions<br />

<strong>de</strong> la Cité. Les trois contenus se renforcent l’un l’autre. Re<strong>de</strong>venir son maître<br />

signifiait pouvoir vendre ses bras, mais aussi vendre son cheptel, se marier ou<br />

marier sa fille sans avoir à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’autorisation, pouvoir quitter son village <strong>de</strong><br />

naissance, ne pas être contraint par le seigneur ou par les lois du roi d’y retourner.<br />

(...) Mais la lutte pour la liberté <strong>de</strong> mouvement est aussi une lutte pour être admis<br />

en ville, et pouvoir y travailler tout court, pour pouvoir participer aux décisions <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

corporations et <strong><strong>de</strong>s</strong> municipalités. »<br />

L’effet immédiat <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> ces troubles est d’affaiblir l’organisation féodale<br />

banale, ce qui conduit à l’amélioration <strong>de</strong> la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> « laboureurs » (plus<br />

spécialement, d’ailleurs, en Angleterre), à l’agrandissement <strong><strong>de</strong>s</strong> exploitations et à la mise<br />

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20 En 1351, une nouvelle législation voulait maintenir les salaires faibles et s’était accompagnée d’une<br />

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