l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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autant que faire se peut. Ce qui ne veut pas dire qu’il conviendrait, par exemple, de répartir aléatoirement les nouveau-nés, comme pourrait le laisser penser une logique Hayekienne poussée à l’extrême. Cela signifie plutôt que tous doivent être traités sans discrimination liée à leur milieu social. Or, et c’est là la pierre d’achoppement de la théorie de Hayek, certains ont une liberté d’opportunité plus grande que d’autres, ce qui signifie qu’accroître la chance disponible pour tous va augmenter la chance de ceux qui sont déjà favorisés bien plus que celles des autres, retournant en quelque sorte le principe de différence rawlsien : l’accroissement des chances pour tous va d’abord être au plus grand bénéfice des mieux lotis. L’exemple de l’éducation est symptomatique à cet égard, puisque c’est par l’éducation que l’on peut donner la possibilité à chacun d’accroître ses opportunités professionnelles. Supposons donc que chacun soit libre de s’éduquer dans des écoles et universités ; les enfants qui ont bénéficié d’un meilleur environnement socioculturel seront mieux à même de réussir dans leurs études ; l’inégalité liée à un facteur exogène à l’individu se reproduira et s’élargira à travers la chance égale pour tous de bénéficier de la même éducation. Il peut donc être légitime, pour un Etat dûment qualifié, de faire des efforts particuliers (positifs) pour amener les plus mal lotis à un niveau d’éducation équivalent à celui des autres. Cela est d’ailleurs d’autant plus justifié que les systèmes scolaires dépendent de critères de reconnaissance souvent liés à la culture et aux facultés des mieux lotis (des classes sociales supérieures ou dirigeantes) ; cf., par exemple, Daniels (1975) (en particulier sa propre contribution). Ainsi, les critiques qui peuvent être adressées à la théorie de Rawls, peuvent aussi être valables pour celle de Friedrich Hayek avec, en plus, le reproche du caractère faussement aléatoire de la justice du marché. Effectivement, prendre des mesures qui augmentent les chances de tous en général, comme le suggère Hayek, favorisera nécessairement ceux qui seront à même de profiter des nouvelles opportunités. C’est d’ailleurs une facette de l’indivisibilité des droits de l’homme que l’on trouve ainsi exprimée. 226

II. Les droits de l’homme ignorés : l’erreur de Hayek. Si John Rawls ne revendique souvent qu’implicitement les droits de l’homme 7 ou bien de manière incomplète 8 , il n’en demeure pas moins que ses principes peuvent les défendre et reconnaître leur indivisibilité. Ainsi, dans la liste des biens premiers qui servent à assurer à chacun la réalisation des principes de justice, Rawls range à la fois les libertés de base (de pensée, de conscience, d’association, etc.), le libre choix de son occupation et la liberté de mouvement, mais aussi les pouvoirs et les prérogatives attachés aux postes à responsabilités, le revenu et la richesse et les « bases sociales du respect de soi ». A contrario, la démarche de F. Hayek consiste à nier toute forme de « droitscréances » qui empiéteraient sur la logique du marché, seul garant des libertés. Deux points de désaccord avec cette démarche peuvent être éclairés : la remise en cause de la distinction droits-libertés/droits-créances et celle de l’infaillibilité du marché. A. Hiérarchie des droits de l’homme. Une distinction courante des droits de l’homme consiste à les séparer en deux : d’un côté, les droits-libertés, essentiellement les droits civils et politiques reconnus dès 1789 ; de l’autre, les droits-créances, constitués des droits sociaux, économiques et culturels, réellement reconnus en tant que droits de l’homme en 1948. Si la pertinence historique de cette distinction traditionnelle est assurée vis-à-vis des grandes Déclarations, il n’en va de même ni du point de vue de leur mise en place 9 , ni du point de vue logique sous-tendu par les appellations « droits-libertés » et « droits-créances ». La distinction et sa pertinence sont essentielles lorsque l’on s’intéresse aux arguments de F. Hayek, puisque son libéralisme consiste à séparer totalement les droitslibertés des droits économiques et sociaux, ceux-ci étant condamnés parce qu’ils s’opposent aux droits-libertés eux-mêmes (Hayek, 1976, p. 124), (Ferry et Renaut, 1985, p. 7 Cf. (Pharo, 1998). 8 Comme dans (Rawls, 1996). 9 En suivant la terminologie de T. H. Marshall, trois aspects complémentaires de la citoyenneté se seraient développés l’un après l’autre : le civil au XVIIIe, le politique au XIXe et le social au XXe siècle (cf. Hirschman, 1991). Si la complémentarité des droits est ainsi mise en valeur, il n’en va pas de même de leur indivisibilité et c’est pourquoi il convient de rester prudent quant à ce découpage presque simpliste. En effet, la mise en œuvre, même limitée, de mesures de protection sociales, avait déjà eu lieu sous l’Ancien Régime et, dans le cas allemand, les réformes de Bismarck à la fin du XIXe siècle étaient davantage sociales que civiles ou politiques. 227

autant que faire se peut. Ce qui ne veut pas dire qu’il conviendrait, par exemple, <strong>de</strong> répartir<br />

aléatoirement les nouveau-nés, comme pourrait le laisser penser une logique Hayekienne<br />

poussée à l’extrême. Cela signifie plutôt que tous doivent être traités sans discrimination<br />

liée à leur milieu social. Or, et c’est là la pierre d’achoppement <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> Hayek,<br />

certains ont une liberté d’opportunité plus gran<strong>de</strong> que d’autres, ce qui signifie qu’accroître<br />

la chance disponible pour tous va augmenter la chance <strong>de</strong> ceux qui sont déjà favorisés bien<br />

plus que celles <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, retournant en quelque sorte le principe <strong>de</strong> différence rawlsien :<br />

l’accroissement <strong><strong>de</strong>s</strong> chances pour tous va d’abord être au plus grand bénéfice <strong><strong>de</strong>s</strong> mieux<br />

lotis. L’exemple <strong>de</strong> l’éducation est symptomatique à cet égard, puisque c’est par<br />

l’éducation que l’on peut donner la possibilité à chacun d’accroître ses opportunités<br />

professionnelles. Supposons donc que chacun soit libre <strong>de</strong> s’éduquer dans <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles et<br />

universités ; les enfants qui ont bénéficié d’un meilleur environnement socioculturel seront<br />

mieux à même <strong>de</strong> réussir dans leurs étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ; l’inégalité liée à un facteur exogène à<br />

l’individu se reproduira et s’élargira à travers la chance égale pour tous <strong>de</strong> bénéficier <strong>de</strong> la<br />

même éducation. Il peut donc être légitime, pour un Etat dûment qualifié, <strong>de</strong> faire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

efforts particuliers (positifs) pour amener les plus mal lotis à un niveau d’éducation<br />

équivalent à celui <strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Cela est d’ailleurs d’autant plus justifié que les systèmes<br />

scolaires dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> critères <strong>de</strong> reconnaissance souvent liés à la culture et aux facultés<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mieux lotis (<strong><strong>de</strong>s</strong> classes sociales supérieures ou dirigeantes) ; cf., par exemple, Daniels<br />

(1975) (en particulier sa propre contribution).<br />

Ainsi, les critiques qui peuvent être adressées à la théorie <strong>de</strong> Rawls, peuvent aussi<br />

être valables pour celle <strong>de</strong> Friedrich Hayek avec, en plus, le reproche du caractère<br />

faussement aléatoire <strong>de</strong> la justice du marché. Effectivement, prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures qui<br />

augmentent les chances <strong>de</strong> tous en général, comme le suggère Hayek, favorisera<br />

nécessairement ceux qui seront à même <strong>de</strong> profiter <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles opportunités. C’est<br />

d’ailleurs une facette <strong>de</strong> l’indivisibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme que l’on trouve ainsi<br />

exprimée.<br />

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