l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Par ailleurs, les droits de l’homme peuvent être vus comme des éléments constitutifs du bien-être humain et non pas des moyens en vue du bien-être ou du bonheur (cf. par exemple, Pattanaik, 1998) ; la dignité, quant à elle, correspond à la possibilité donnée à chacun de développer ses propres valeurs et de définir pour lui-même le bien-être qu’il veut vivre, possibilité (ou liberté) permise par la reconnaissance à tous de leur humanité et de leurs droits de l’homme, ceux-ci étant ou devant être des critères objectifs. La différence qui existe alors entre bien-être et dignité, entre besoin et droits, repose sur le fait que le bien-être est modifiable en fonction de la structure mentale de l’individu qui affecte ses besoins, alors que la dignité repose sur la reconnaissance de certains droits fondamentaux auxquels tout être humain doit avoir accès. Ces droits, s’ils sont reconnus, garantissent la dignité, c’est-à-dire la reconnaissance de l’humanité pleine et entière de l’individu, par-delà ses choix personnels 7 . D’ailleurs, ces choix ne sont pleinement possibles que grâce à la reconnaissance de la dignité individuelle. Les droits de l’homme s’appliquent donc à l’humain existant, à l’être physique et corporel, mais tout autant esprit et conscience. Ils n’ont pas de sens s’ils sont réduits à de simples droits constitutionnels, moyens d’autres relations entre les hommes, comme les échanges marchands. Ils ont sans doute ce rôle à jouer, mais ils le débordent. L’approche d’Amartya Sen peut nourrir une justification cohérente des droits de l’homme qui place la liberté au centre de l’analyse et indique ainsi les multiples facettes de ces droits. L’analyse d’Amartya Sen s’intéressant plus largement à la liberté et aux droits, nous la réduisons ici au cadre des droits de l’homme en indiquant les liens possibles entre sa démarche et celle de François Perroux. En effet, les « coûts de l’homme » de ce dernier correspondent, selon nous, aux « capabilités de base » défendues par Sen. C’est cette mise en relation qui permet de construire une théorie économique des droits de l’homme cohérente. Cette théorie doit indiquer clairement que les droits sont à la fois réels, indivisibles et fins autant que moyens. Cette démarche nous permet en outre de définir la justice sociale comme la mise en œuvre du respect des droits de l’homme dans leur indivisibilité pour tous les êtres humains. Notons tout d’abord que nous tâcherons de substituer le terme « droits » au terme « liberté », lorsque cela sera possible, « droits » signifiant bien sûr « droits de l’homme ». Cette substitution permet d’éviter les contresens qui peuvent découler, par exemple, de 7 La seule reconnaissance des droits a aussi une valeur en soi par l’effet incitatif qu’elle peut provoquer. Si un droit est reconnu à une personne qui s’était habituée à une condition inférieure, la simple existence de ce droit peut faire évoluer les préférences de cette personne. 202

l’utilisation du terme « libertés économiques » qui, comme nous l’avons vu, a un sens très particulier pour certains économistes ; cf., par exemple, (Friedman, 1991) et (Gwartney et alii, 2001) et notre chapitre IV, infra. Ainsi, lorsque Sen définit la notion de liberté comme prenant en compte à la fois les processus qui permettent l’exercice d’un libre choix et les possibilités réelles qui s’offrent aux individus en fonction des conditions sociales où ils se situent (Sen, 2000a, p. 27), nous pouvons octroyer la même valeur aux droits de l’homme qui ont bien pour « fonction » de reconnaître et de rendre possible pour tous le libre choix de leurs actions, tout en leur donnant les possibilités concrètes d’agir ; un droit de l’homme n’est vraiment réalisé qu’à ces deux conditions. Ainsi, nous pouvons affirmer, à la suite de François Perroux, que si « un seul agent est privé de la capacité inhérente à sa nature générique qui est de choisir des objectifs subsumés par une finalité, l’organisation est suboptimale » (1961, p. 511). Voyons à présent de manière plus précise l’aspect réel des droits, leur indivisibilité et leur double caractère de fins et de moyens. A. L’aspect concret des droits et de leur sujet. Les approches économiques standards, lorsqu’elles justifient l’intervention de l’Etat et, pour employer un terme générique, lorsqu’elles approuvent l’Etat-providence, le « Welfare State », le font en pointant du doigt, d’abord les échecs du marché (compétition imparfaite, externalités, mauvaise prise en compte des économies d’échelle et des spécificités des biens publics, problèmes liés au manque d’information, etc.), ensuite en indiquant les effets positifs de certaines productions collectives (l’éducation et les soins en particulier) sur la croissance, la qualité du travail et de l’environnement économique, etc. Une telle approche peut amener à défendre les droits de l’homme comme des correcteurs des imperfections du marché et des producteurs d’externalités positives. Cependant, cette approche est vulnérable aux attaques des défenseurs de la supériorité du marché sur l’Etat, 203

Par ailleurs, les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme peuvent être vus comme <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />

constitutifs du bien-être humain et non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens en vue du bien-être ou du bonheur<br />

(cf. par exemple, Pattanaik, 1998) ; la dignité, quant à elle, correspond à la possibilité<br />

donnée à chacun <strong>de</strong> développer ses propres valeurs et <strong>de</strong> définir pour lui-même le bien-être<br />

qu’il veut vivre, possibilité (ou liberté) permise par la reconnaissance à tous <strong>de</strong> leur<br />

humanité et <strong>de</strong> leurs <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, ceux-ci étant ou <strong>de</strong>vant être <strong><strong>de</strong>s</strong> critères objectifs.<br />

La différence qui existe alors entre bien-être et dignité, entre besoin et <strong>droits</strong>, repose sur le<br />

fait que le bien-être est modifiable en fonction <strong>de</strong> la structure mentale <strong>de</strong> l’individu qui<br />

affecte ses besoins, alors que la dignité repose sur la reconnaissance <strong>de</strong> certains <strong>droits</strong><br />

fondamentaux auxquels tout être humain doit avoir accès. Ces <strong>droits</strong>, s’ils sont reconnus,<br />

garantissent la dignité, c’est-à-dire la reconnaissance <strong>de</strong> l’humanité pleine et entière <strong>de</strong><br />

l’individu, par-<strong>de</strong>là ses choix personnels 7 . D’ailleurs, ces choix ne sont pleinement<br />

possibles que grâce à la reconnaissance <strong>de</strong> la dignité individuelle.<br />

Les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme s’appliquent donc à l’humain existant, à l’être physique et<br />

corporel, mais tout autant esprit et conscience. Ils n’ont pas <strong>de</strong> sens s’ils sont réduits à <strong>de</strong><br />

simples <strong>droits</strong> constitutionnels, moyens d’autres relations entre les hommes, comme les<br />

échanges marchands. Ils ont sans doute ce rôle à jouer, mais ils le débor<strong>de</strong>nt. L’approche<br />

d’Amartya Sen peut nourrir une justification cohérente <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme qui place la<br />

liberté au centre <strong>de</strong> l’analyse et indique ainsi les multiples facettes <strong>de</strong> ces <strong>droits</strong>.<br />

L’analyse d’Amartya Sen s’intéressant plus largement à la liberté et aux <strong>droits</strong>,<br />

nous la réduisons ici au cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme en indiquant les liens possibles entre<br />

sa démarche et celle <strong>de</strong> François Perroux. En effet, les « coûts <strong>de</strong> l’homme » <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />

correspon<strong>de</strong>nt, selon nous, aux « capabilités <strong>de</strong> base » défendues par Sen. C’est cette mise<br />

en relation qui permet <strong>de</strong> construire une théorie économique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme<br />

cohérente. Cette théorie doit indiquer clairement que les <strong>droits</strong> sont à la fois réels,<br />

indivisibles et fins autant que moyens. Cette démarche nous permet en outre <strong>de</strong> définir la<br />

justice sociale comme la mise en œuvre du respect <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme dans leur<br />

indivisibilité pour tous les êtres humains.<br />

Notons tout d’abord que nous tâcherons <strong>de</strong> substituer le terme « <strong>droits</strong> » au terme<br />

« liberté », lorsque cela sera possible, « <strong>droits</strong> » signifiant bien sûr « <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme ».<br />

Cette substitution permet d’éviter les contresens qui peuvent découler, par exemple, <strong>de</strong><br />

7 La seule reconnaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> a aussi une valeur en soi par l’effet incitatif qu’elle peut provoquer. Si un<br />

droit est reconnu à une personne qui s’était habituée à une condition inférieure, la simple existence <strong>de</strong> ce<br />

droit peut faire évoluer les préférences <strong>de</strong> cette personne.<br />

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