l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I
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Il y a donc un double classement des droits de l’homme, effectué principalement comme classement en valeur, c’est-à-dire par attribution à chaque droit d’une valeur en fonction de la situation et, plus généralement, en fonction du contexte socioculturel, afin de pouvoir comparer les différents droits ; comparaison qui permet alors de juger les degrés de prépondérance des droits en fonction des situations évaluées en termes d’efficacité et de justice. Il s’agit de définir les droits fondamentaux et les droits corollaires grâce à leur possibilité de classement les uns vis-à-vis des autres, et de classer les droits corollaires entre eux en fonction des situations de mise en œuvre de ces droits. Et si le terme « prépondérance » est utilisé dans ce cadre, c’est pour éviter le danger du recours au terme « prioritaire » pouvant sous-entendre qu’il convient de sacrifier certains droits jugés nonprioritaires pour satisfaire ceux qui sont prioritaires. Ainsi, aucun droit ne doit être négligé, voire éliminé totalement, puisqu’il convient seulement de reconnaître, en cas de conflit entre deux droits 5 , celui qui devra être davantage privilégié à ce moment précis. En fait, il s’agit de reconnaître que la mise en œuvre des droits de l’homme est dépendante de l’ensemble des ressources – économiques, socioculturelles, etc. – de chaque société particulière, sans que cela signifie qu’il faille renoncer à certains droits : tous les droits doivent être mis en place, mais dans un processus global et progressif de développement, adapté à chaque situation. Les apports d’Amartya Sen et de François Perroux peuvent aider à mettre au point ce genre de classement et à établir plus directement une théorie de la justice sociale basée sur les droits de l’homme, et qui donne à ceux-ci des fondements théoriques économiques solides. II. Les droits de l’homme dans une perspective économique : les apports de François Perroux et d’Amartya Sen. L’approche de John Rawls pose le problème d’une justice purement procédurale qui ne laisse finalement que peu de place à l’être humain concret. C’est pour cela 5 L’existence d’un tel conflit peut d’ailleurs être mise en cause ; il devrait en effet ni avoir aucun conflit entre les droits de l’homme, en particulier entre droits fondamentaux. Mais il se peut que des conflits surgissent lors de leur mise en œuvre, des conflits d’ordre pratique, des conflits liés aux possibilités de mises en application qui peuvent d’ailleurs résulter d’une interprétation limitée de certains droits, comme celle du droit de propriété s’il n’est envisagé qu’au sens des économistes ou des libertariens. Cette remarque néanmoins pertinente – l’inexistence de conflits – nous a été suggérée par Agnès d’Artigues et nous l’en remercions vivement. Sur les conflits potentiels entre les droits de l’homme dans leur mise en place, cf. (Meyer-Bisch, 1992) ; voir aussi (Sen, 1996). 200
qu’Amartya Sen s’oppose à l’approche de Rawls, en indiquant qu’une distribution égale de biens premiers entre des personnes inégales ne peut pas être juste. Par ce fait, il est possible de dénoncer également la position soutenue par Buchanan (1975, p. 13) selon laquelle « les gens doivent être traités de manière égale dans la mesure où l’attribution des droits implique l’impartialité, et non dans la mesure où ils sont égaux ». Ce qui signifie que, si les « personnes sont définies par les droits qu’elles possèdent », il convient de distribuer les droits en toute égalité, c’est-à-dire sans tenir compte des différences individuelles. Une telle approche néglige l’être humain en tant que tel en ne prend en compte qu’une valeur d’impartialité qui correspond à l’application sommaire du premier principe rawlsien. Or, comme nous l’avons déjà souligné, chaque personne a des capacités différentes en matière d’exercice des libertés, différences qui peuvent se reproduire à l’identique ou s’accroître, comme dans le schéma marxien de reproduction des classes. Si les droits de l’homme n’étaient que des moyens d’atteindre d’autres buts – comme le bonheur, par exemple – alors peut-être que l’impartialité invoquée par Buchanan se justifierait. Mais dès lors que l’on perçoit leur importance en soi, il s’agit de voir que les droits de l’homme comportent deux volets : une reconnaissance générale sans discrimination et le développement des possibilités d’accès effectifs à l’exercice de ces droits. La personne ne peut donc pas se définir uniquement par ses droits. Elle se définit aussi et avant tout par ses aptitudes, capacités, dons et handicaps, qui lui donneront un accès plus ou moins grand et direct à l’exercice des droits. Ce qui signifie aussi que la reconnaissance des droits est une chose et qu’elle a une valeur en soi ; même si un droits n’est pas exercé, la possibilité de réaliser effectivement ce droit a sa propre valeur. Le non-exercice peut ainsi être vu comme un « droit réciproque », au fondement même de la reconnaissance pleine et entière du droit 6 . Autrement dit, il faut distinguer la question de la réalisation des droits de celle de leur existence, la non-réalisation des droits ne devant pas justifier leur remise en cause (Sen in PNUD, 2000, ch. I, p. 25). 6 Ce qui peut signifier que le droit à la vie, par exemple, contient le droit au suicide (Goffi, 1992) ou le droit de choisir les remèdes que l’on subit, même contre un avis médical défavorable (Sen, 1985 ; 1993a, p. 175s), mais ce choix n’est possible que si l’on a des conditions de vie acceptables et une réelle possibilité de choix, tout comme il est différent de subir la famine ou de jeûner (pour reprendre un exemple cher à Sen). En outre, cela ne signifie pas que l’on puisse user de sa liberté comme on l’entend, notamment en se vendant en esclavage. Le non-exercice de la liberté n’a pas de sens, elle ne relève pas d’un droit puisque seuls les êtres libres, par définition, peuvent jouir de droits. Le droit à la liberté implique que l’on puisse agir en toute liberté, comme l’on est libre de « ne rien faire », mais en aucun cas il n’implique une possession de la liberté, permettant de vendre celle-ci. En outre, il est ainsi clair que le droit à la vie n’est pas simplement assimilable à un droit de propriété sur son propre corps. 201
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Il y a donc un double classement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, effectué principalement<br />
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pouvoir comparer les différents <strong>droits</strong> ; comparaison qui permet alors <strong>de</strong> juger les <strong>de</strong>grés<br />
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justice. Il s’agit <strong>de</strong> définir les <strong>droits</strong> fondamentaux et les <strong>droits</strong> corollaires grâce à leur<br />
possibilité <strong>de</strong> classement les uns vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, et <strong>de</strong> classer les <strong>droits</strong> corollaires<br />
entre eux en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> situations <strong>de</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> ces <strong>droits</strong>. Et si le terme<br />
« prépondérance » est utilisé dans ce cadre, c’est pour éviter le danger du recours au terme<br />
« prioritaire » pouvant sous-entendre qu’il convient <strong>de</strong> sacrifier certains <strong>droits</strong> jugés nonprioritaires<br />
pour satisfaire ceux qui sont prioritaires. Ainsi, aucun droit ne doit être négligé,<br />
voire éliminé totalement, puisqu’il convient seulement <strong>de</strong> reconnaître, en cas <strong>de</strong> conflit<br />
entre <strong>de</strong>ux <strong>droits</strong> 5 , celui qui <strong>de</strong>vra être davantage privilégié à ce moment précis. En fait, il<br />
s’agit <strong>de</strong> reconnaître que la mise en œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme est dépendante <strong>de</strong><br />
l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources – économiques, socioculturelles, etc. – <strong>de</strong> chaque société<br />
particulière, sans que cela signifie qu’il faille renoncer à certains <strong>droits</strong> : tous les <strong>droits</strong><br />
doivent être mis en place, mais dans un processus global et progressif <strong>de</strong> développement,<br />
adapté à chaque situation.<br />
Les apports d’Amartya Sen et <strong>de</strong> François Perroux peuvent ai<strong>de</strong>r à mettre au point<br />
ce genre <strong>de</strong> classement et à établir plus directement une théorie <strong>de</strong> la justice sociale basée<br />
sur les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, et qui donne à ceux-ci <strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments théoriques économiques<br />
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II. Les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme dans une perspective économique : les<br />
apports <strong>de</strong> François Perroux et d’Amartya Sen.<br />
L’approche <strong>de</strong> John Rawls pose le problème d’une justice purement procédurale<br />
qui ne laisse finalement que peu <strong>de</strong> place à l’être humain concret. C’est pour cela<br />
5 L’existence d’un tel conflit peut d’ailleurs être mise en cause ; il <strong>de</strong>vrait en effet ni avoir aucun conflit entre<br />
les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, en particulier entre <strong>droits</strong> fondamentaux. Mais il se peut que <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits surgissent<br />
lors <strong>de</strong> leur mise en œuvre, <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits d’ordre pratique, <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits liés aux possibilités <strong>de</strong> mises en<br />
application qui peuvent d’ailleurs résulter d’une interprétation limitée <strong>de</strong> certains <strong>droits</strong>, comme celle du droit<br />
<strong>de</strong> propriété s’il n’est envisagé qu’au sens <strong><strong>de</strong>s</strong> économistes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> libertariens. Cette remarque néanmoins<br />
pertinente – l’inexistence <strong>de</strong> conflits – nous a été suggérée par Agnès d’Artigues et nous l’en remercions<br />
vivement. Sur les conflits potentiels entre les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme dans leur mise en place, cf. (Meyer-Bisch,<br />
1992) ; voir aussi (Sen, 1996).<br />
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