l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

Ce qui se retrouve ainsi chez Rawls et dans la logique des droits de l’homme, c’est que la
réalisation complète de la justice dépend des actes de tout un chacun 34 . Les droits de
l’homme sont autant des droits que des devoirs : les « actions privées », si elles respectent
les droits de l’homme, font le « bonheur public » 35 ; a contrario, si elles ne respectent pas
les droits de l’homme, et contrairement au point de vue exposé par Mandeville dans sa
célèbre fable des abeilles, ce sont les « malheurs publics » qui apparaissent, comme
l’illustre, au reste, la théorie du « Public choice ». Le mérite de John Rawls, et c’est ce qui
le distingue fondamentalement d’une approche utilitariste, c’est que le « bonheur public »,
« l’utilité commune », ne peut se faire au détriment de quelques-uns : d’une part, chacun
doit avoir accès en pleine égalité au même ensemble de libertés fondamentales, qui n’est
pas subordonné à l’utilité, mais lui est bien supérieur ; d’autre part, la situation individuelle
de chacun est prise en compte, à travers le principe de différence et ses extensions 36 .
La pierre d’achoppement de la théorie rawlsienne se situe alors dans la
détermination et la répartition des « biens premiers » 37 . Ces derniers sont au nombre de
cinq : (I) les libertés de base ; (II) la liberté de mouvement et le libre choix de son
occupation ; (III) les pouvoirs et les prérogatives (attachées à des postes à responsabilité) ;
(IV) le revenu et la richesse ; (V) les bases sociales du respect de soi (Rawls, 1993, p. 88).
Les libertés de base sont celles couvertes par le premier principe et sont, « la liberté de
pensée et la liberté de conscience, les libertés politiques et la liberté d’association, ainsi
que les libertés incluses dans la notion de liberté et d’intégrité de la personne, et,
finalement, les droits et libertés protégés par l’Etat de droit », ainsi que la liberté de
34 On peut trouver une approche similaire à celle de Rawls dans l’œuvre du théologien et moraliste
néerlandais Roscam Abbing (1973, réf. citée) qui considère également les inégalités liées à la naissance (de
nature ou d’héritage) comme injustes, et qui voit l’éducation comme un principe fondamental de réduction
des inégalités (économiquement, cette idée est cependant discutable, cf. infra le point sur l’économie
multidimensionnelle, où nous discutons de ce cas). L’intérêt de sa démarche – outre sa justification basée sur
le principe éthique d’amour du prochain, autant chrétien que communiste – repose sur sa vision du revenu qui
doit être réparti équitablement ; ce revenu est à la fois le revenu monétaire et le revenu psychologique
consistant notamment en la satisfaction des besoins collectifs comme le besoin de sécurité, ainsi que la
jouissance de la liberté et de la responsabilité individuelles, cf. (de Jong, 1978).
35 Ainsi d’ailleurs, la mise en commun des talents, qui se situe en particulier dans le principe de différence, ne
nie pas l’individualité de chacun, ne remet pas en cause la distinction des personnes, qui ne sont donc pas
réduites à l’état de moyen, car d’une part ce sont leurs attributs qui sont utilisés comme moyens et, d’autre
part, il est possible de récuser « l’idée que ceux qui partagent « mes » ressources puissent être appelés des
« autres » au sens propre » (Sandel, 1982, p. 126-128) ; voir aussi (Meyer-Bisch, 1992, p. 35). Sur la question
du « bonheur public » promu par les « actions privées », à l’opposée des conceptions utilitaristes, cf. Albert
Hirschman (1986, p. 65s).
36 Le principe du maximin qui considère qu’il faut maximiser la situation du plus mal lotis et le principe du
leximin qui veut que, dans la comparaison de deux états sociaux, l’on compare d’abord la situation du plus
mal lotis puis celle du second plus mal lotis, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il y ait une différence.
37 Nous reprenons la traduction habituelle de « primary goods ».
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