l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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l’homme et la liberté ne se réduisent pas à des droits de propriété. Quant au marché, il n’est pas non plus, à lui seul, une structure efficace pour garantir ces droits. Les positions libertariennes ne justifient donc pas et même négligent les droits de l’homme. Comme l’indique Philippe Van Parijs (1991, p. 120-121), si la liberté se résume au droit de propriété sur son corps et sur les choses, on peut imaginer que la Terre tout entière serait un jour la propriété de quelques-uns et que ceux-ci puissent légitimement, selon les principes libertariens, interdire aux autres, par exemple de prononcer le mot « amour » ou d’écouter les disques de Georges Brassens. Ceux qui, comme Nozick, refusent cette conséquence, sont alors forcés de reconnaître la nécessité de libertés fondamentales irréductibles à des droits de propriété ; Nozick lui-même reconnaît qu’il ne voit pas à quoi pourraient ressembler ces libertés et comment elles pourraient s’articuler avec les droits de propriété (Van Parijs, 1991, p. 120-121) ; voir aussi (Dasgupta, 1980). Nous voyons donc que les droits de l’homme pourraient entrer directement dans la réflexion libertarienne, mais qu’ils y sont clairement ignorés, ce qui est logique compte tenu de l’opposition à toute intervention étatique. Une position qui admet l’existence de certains droits fondamentaux ne peut pas ignorer le rôle d’un organe supra-décisionnel chargé de représenter l’intérêt général, le bien commun. L’approche libertarienne, par ses défauts, nous conduit donc à nuancer toute notion de droit de propriété absolu, et à affirmer l’importance de l’Etat et d’un ensemble irréductible de libertés fondamentales. La reconnaissance de droits fondamentaux implique que ces droits n’ont de sens que s’ils sont reconnus à tous et ont par là-même un caractère autant collectif qu’individuel. L’approche de John Rawls est éclairante en la matière puisqu’il fixe un ensemble de libertés prioritaires. III. John Rawls et les principes de justice. Le philosophe John Rawls a fait paraître au début des années soixante-dix sa Théorie de la justice qui a « révolutionné » la pensée philosophique en la matière. Cela n’est pas resté sans conséquence sur la science économique puisque ces principes de justice définissent comment les inégalités peuvent être légitimes, dès lors qu’elles favorisent, pour le dire simplement et en termes économiques, la croissance du revenu des 188

plus pauvres. Il a ainsi développé une théorie alternative à l’utilitarisme 29 et aux principes de l’économie du bien-être. Ses trois principes de justice (cf. introduction de cette section) établissent qu’il doit exister un ensemble de libertés fondamentales égales pour tous, que les inégalités sociales et économiques sont légitimes si elles sont au plus grand bénéfice des membres les moins avantagés de la société et sont associées à des fonctions et positions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances. Ce sont, d’après Rawls, les principes d’organisation d’une société juste qui seraient définis par l’ensemble des individus placés sous un voile d’ignorance, c’est-à-dire placés dans une situation où ils ignoreraient totalement quelle position ils vont occuper dans la société, voire même, où ils ignorer aient tout de leurs propres talents et de l’utilité de ceux-ci, et où ils ne connaîtraient pas même leurs goûts et préférences (dans une version extrême du voile d’ignorance). Premier point que nous pouvons relever par rapport à ces principes, c’est que la démarche de John Rawls s’inscrit implicitement dans une défense de la démocratie et des droits de l’homme. Nous disons « implicitement » car de fait, il revendique très rarement de façon directe les droits de l’homme, parce qu’il vise une universalité abstraite de ses principes 30 . Bien sûr, John Rawls a réduit cette prétention globalisante en indiquant que ces principes s’appliquent d’abord dans le cadre d’une démocratie libérale, l’idée étant d’obtenir des principes assez généraux pour pouvoir ensuite les adapter aux cas particuliers. Pour ce faire, il maintient en particulier que ces principes peuvent s’appliquer sans référence à une dimension du Bien et laissent ainsi la pluralité des visions du Bien exister. Cette démarche empêche mécaniquement de revendiquer directement les droits de l’homme en tant que principe juridique, ceux-ci étant, à l’origine, connotés historiquement, géographiquement et culturellement – même si la pertinence de ces connotations est de moins en moins satisfaisante 31 . Il est toutefois remarquable que, d’une 29 Même s’il est possible de voir une approche utilitariste, basée sur la maximisation du bonheur, dans la démarche de Rawls, comme l’indique Sylvain Dzimira (1998) ; voir aussi (Van Parijs, 1991, p. 81s) pour une discussion de ce point. 30 Il revendique les droits de l’homme et leur universalité dans son essai « Le droit des gens » où il s’intéresse à l’application de la théorie de la justice au niveau international. Cependant, la description des droits de l’homme n’y est qu’assez sommaire et leur justification apparaît relativement faible et déconnectée des principes de justice que nous présentons ici ; cf. (Rawls, 1996) et, dans le même ouvrage, (Guillarme, 1996) et (Hoffman, 1996). Notons toutefois que nous suivons Rawls (1996) en ce qui concerne la légitimité des régimes politiques, puisqu’il fait reposer celle-ci sur les droits de l’homme – même si, précisons-le encore, il les restreint grandement, distordant le lien entre ceux-ci et la démocratie, ce en quoi nous ne le suivons guère. Notre propre justification des droits de l’homme est cependant économique et s’éloigne des quelques arguments épars de Rawls – qui n’a d’ailleurs pas pour but d’établir leurs fondements, cf. (Rawls, 1996, p. 88). 31 Cf., par exemple, (Sen, 2000b) et Sen Amartya, Human Rights and Asian Values, Carnegie Council on Ethics and International Affairs, 1997, ainsi que Tatsuo (1999). 189

plus pauvres. Il a ainsi développé une théorie alternative à l’utilitarisme 29 et aux principes<br />

<strong>de</strong> l’économie du bien-être. Ses trois principes <strong>de</strong> justice (cf. introduction <strong>de</strong> cette section)<br />

établissent qu’il doit exister un ensemble <strong>de</strong> libertés fondamentales égales pour tous, que<br />

les inégalités sociales et économiques sont légitimes si elles sont au plus grand bénéfice<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> membres les moins avantagés <strong>de</strong> la société et sont associées à <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions et<br />

positions ouvertes à tous dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions d’égalité <strong><strong>de</strong>s</strong> chances. Ce sont, d’après<br />

Rawls, les principes d’organisation d’une société juste qui seraient définis par l’ensemble<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> individus placés sous un voile d’ignorance, c’est-à-dire placés dans une situation où ils<br />

ignoreraient totalement quelle position ils vont occuper dans la société, voire même, où ils<br />

ignorer aient tout <strong>de</strong> leurs propres talents et <strong>de</strong> l’utilité <strong>de</strong> ceux-ci, et où ils ne connaîtraient<br />

pas même leurs goûts et préférences (dans une version extrême du voile d’ignorance).<br />

Premier point que nous pouvons relever par rapport à ces principes, c’est que la<br />

démarche <strong>de</strong> John Rawls s’inscrit implicitement dans une défense <strong>de</strong> la démocratie et <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme. Nous disons « implicitement » car <strong>de</strong> fait, il revendique très rarement<br />

<strong>de</strong> façon directe les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, parce qu’il vise une universalité abstraite <strong>de</strong> ses<br />

principes 30 . Bien sûr, John Rawls a réduit cette prétention globalisante en indiquant que ces<br />

principes s’appliquent d’abord dans le cadre d’une démocratie libérale, l’idée étant<br />

d’obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> principes assez généraux pour pouvoir ensuite les adapter aux<br />

cas particuliers. Pour ce faire, il maintient en particulier que ces principes peuvent<br />

s’appliquer sans référence à une dimension du Bien et laissent ainsi la pluralité <strong><strong>de</strong>s</strong> visions<br />

du Bien exister. Cette démarche empêche mécaniquement <strong>de</strong> revendiquer directement les<br />

<strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme en tant que principe juridique, ceux-ci étant, à l’origine, connotés<br />

historiquement, géographiquement et culturellement – même si la pertinence <strong>de</strong> ces<br />

connotations est <strong>de</strong> moins en moins satisfaisante 31 . Il est toutefois remarquable que, d’une<br />

29 Même s’il est possible <strong>de</strong> voir une approche utilitariste, basée sur la maximisation du bonheur, dans la<br />

démarche <strong>de</strong> Rawls, comme l’indique Sylvain Dzimira (1998) ; voir aussi (Van Parijs, 1991, p. 81s) pour une<br />

discussion <strong>de</strong> ce point.<br />

30 Il revendique les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme et leur universalité dans son essai « Le droit <strong><strong>de</strong>s</strong> gens » où il s’intéresse<br />

à l’application <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> la justice au niveau international. Cependant, la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong><br />

l’homme n’y est qu’assez sommaire et leur justification apparaît relativement faible et déconnectée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

principes <strong>de</strong> justice que nous présentons ici ; cf. (Rawls, 1996) et, dans le même ouvrage, (Guillarme, 1996)<br />

et (Hoffman, 1996). Notons toutefois que nous suivons Rawls (1996) en ce qui concerne la légitimité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

régimes politiques, puisqu’il fait reposer celle-ci sur les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme – même si, précisons-le encore, il<br />

les restreint gran<strong>de</strong>ment, distordant le lien entre ceux-ci et la démocratie, ce en quoi nous ne le suivons guère.<br />

Notre propre justification <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme est cependant économique et s’éloigne <strong><strong>de</strong>s</strong> quelques<br />

arguments épars <strong>de</strong> Rawls – qui n’a d’ailleurs pas pour but d’établir leurs fon<strong>de</strong>ments, cf. (Rawls, 1996, p.<br />

88).<br />

31 Cf., par exemple, (Sen, 2000b) et Sen Amartya, Human Rights and Asian Values, Carnegie Council on<br />

Ethics and International Affairs, 1997, ainsi que Tatsuo (1999).<br />

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