l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I
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Un autre défaut qui se pose, dès lors que les droits sont considérés comme essentiels, est que l’utilitarisme de règle peut amener, sans connotation utilitariste, la violation de certains droits 25 . Demuijnck (1998) prend l’exemple d’un groupe très majoritaire qui imposerait des règles discriminatoires à une minorité. Nous retrouvons là le point de vue des constituants américains face à la population noire (cf. supra). Or, soit la non-discrimination est considérée comme un principe supérieur, absolu, soit elle se juge à l’aune de l’utilité et ne peut donc être garantie. Cela pousse à contester l’utilitarisme, y compris de règle, puisque si une importance est donnée à l’impartialité pour définir ces règles, celles-ci deviennent de facto supérieures à toute considération d’utilité ou, pour le dire autrement, d’efficacité. Il peut d’ailleurs être considéré que cette dernière ne peut s’établir qu’en fonction des droits prédéterminés. La non-discrimination, tout comme le suffrage universel, sont ainsi des principes qui ne doivent pas être violés. Cette violation ne doit pas survenir, même si elle peut impliquer un gain d’utilité, car ces droits garantissent la prise en compte de l’égalité de tous, l’impartialité du jugement et l’autonomie individuelle. Ces trois caractéristiques sont essentielles car, dans l’optique de l’utilitarisme « de règle », leur absence empêche la détermination même de l’utilité. L’utilitarisme de règle donne donc un fondement à certains droits. Mais ce fondement est bancal car il considère ces droits seulement comme des moyens et n’envisage l’homme lui-même, corps de ces droits, que comme un outil au service de la maximisation de l’utilité ; tout autre but alternatif, individuel ou social, n’a aucune importance face à la maximisation de l’utilité. Face à cette approche, la position libertarienne prend une sorte de contre-pied total, puisqu’elle place l’individu et sa liberté au centre de sa préoccupation. 25 Sur l’ensemble des points évoqués ici, on peut également examiner avec intérêt l’utilisation des « biens personnels » faites par Dan Usher (2001) qui montre que lorsque l’utilité des biens se mesure en fonction des caractéristiques personnelles des individus, le critère des droits de l’homme est supérieur au critère utilitariste. Usher prend le cas de l’espérance de vie : un riche dépensant plus pour sa sécurité et sa santé, la valeur qu’il accorde à sa vie est donc supérieure à celle d’un pauvre qui ne dépensera que peu en la matière. Or, selon les principes des droits de l’homme, une vie vaut une vie au sens où chacun a une dignité égale. Il n’y a donc aucune raison de favoriser la préservation de l’espérance de vie des riches aux détriments de celle des pauvres. La conclusion inverse serait pourtant la conséquence normale d’une formalisation utilitariste, y compris dans le cadre de l’utilitarisme de règle. 186
II. La liberté comme droit de propriété : l’apport libertarien. Les libertariens, et en particulier Robert Nozick, définissent trois principes de justice : un principe d’appropriation originelle, un principe de transfert et un principe de rectification. Le principe d’appropriation originelle établit qu’un bien appartient au premier individu qui se l’approprie, à condition que cette appropriation ne dégrade pas la situation d’autrui. Ce principe, proche de la clause lockéenne 26 , n’a en fait qu’un sens très limité, parce que l’appropriation originelle ne peut en aucun cas être juste puisqu’elle se base sur une appropriation absolue et donc, celui qui a plus, lèse nécessairement ceux qui ont moins et qui ont pourtant, dans toute position originelle, un droit de propriété égal. C’est l’homme qui appartient à l’univers et non pas l’inverse, le droit de propriété étant donc toujours relatif à l’être humain (et non pas inhérent). Le droit de propriété de soi est un non-sens puisqu’il implique que l’on puisse se vendre et renoncer à ce droit 27 ; il y a là une confusion avec le droit à la vie, sur laquelle nous n’insisterons pas 28 . Le principe de transfert considère que les droits de propriété une fois établis peuvent faire l’objet d’échanges ou de dons, qui seront justes à condition qu’ils soient totalement libres et volontaires. Le principe de rectification, enfin, implique qu’il convient de corriger les injustices passées, causées soit par une appropriation originelle injuste, soit par des transferts nonvolontaires, par un mécanisme de compensation et de redistribution. En fait, il nous suffirait de dire que ces principes n’ont de sens que parce que les libertariens considèrent que le marché est seul capable de permettre l’exercice effectif de la liberté, celle-ci se résumant aux droits de propriété ; l’Etat n’a alors aucun rôle à jouer, et doit même être inexistant. Au contraire de cette approche, on peut dire que les droits de 26 Cette clause exige, selon la formule de Locke, que lorsque quelqu’un s’approprie une chose dans la nature, il faut qu’il en reste « suffisamment et en qualité aussi bonne en commun pour les autres », cf. (Van Parijs, 1991, p. 142). 27 Tous ceux qui se sont vendus « volontairement » à travers l’histoire, n’ont jamais renoncé à leur liberté, cf. (Moulier-Boutang, 1998), celle-ci ne pouvant être assimilable aux droits de propriété. Ces derniers, en effet, impliquent l’exclusivité (appartenir à une seule personne qui peut en user à sa guise), l’aliénation (ils doivent être vendables sans restriction), la partition (les droits doivent être indépendants les uns des autres) et l’universalité (les droits doivent s’appliquer à tous les biens et ressources), cf. (Niskanen, 1998). 28 C’est le droit à la vie qui impose le respect de certains droits de propriété : on ne peut pas enlever à quelqu’un les ressources qui lui permettent de rester en vie. Ce principe, dans certains cas particuliers, peut être discuté, mais il n’en reste pas moins pertinent en ce sens qu’il signifie que le droit de propriété n’est pas absolu mais consubstantiel au droit à la vie, la garantie de celui-ci pouvant remettre en cause les droits de propriété établis. 187
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Un autre défaut qui se pose, dès lors que les <strong>droits</strong> sont considérés comme<br />
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majoritaire qui imposerait <strong><strong>de</strong>s</strong> règles discriminatoires à une minorité. Nous retrouvons là le<br />
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non-discrimination est considérée comme un principe supérieur, absolu, soit elle se juge à<br />
l’aune <strong>de</strong> l’utilité et ne peut donc être garantie. Cela pousse à contester l’utilitarisme, y<br />
compris <strong>de</strong> règle, puisque si une importance est donnée à l’impartialité pour définir ces<br />
règles, celles-ci <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> facto supérieures à toute considération d’utilité ou, pour le<br />
dire autrement, d’efficacité. Il peut d’ailleurs être considéré que cette <strong>de</strong>rnière ne peut<br />
s’établir qu’en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> prédéterminés. La non-discrimination, tout comme le<br />
suffrage universel, sont ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> principes qui ne doivent pas être violés. Cette violation ne<br />
doit pas survenir, même si elle peut impliquer un gain d’utilité, car ces <strong>droits</strong> garantissent<br />
la prise en compte <strong>de</strong> l’égalité <strong>de</strong> tous, l’impartialité du jugement et l’autonomie<br />
individuelle. Ces trois caractéristiques sont essentielles car, dans l’optique <strong>de</strong> l’utilitarisme<br />
« <strong>de</strong> règle », leur absence empêche la détermination même <strong>de</strong> l’utilité.<br />
L’utilitarisme <strong>de</strong> règle donne donc un fon<strong>de</strong>ment à certains <strong>droits</strong>. Mais ce<br />
fon<strong>de</strong>ment est bancal car il considère ces <strong>droits</strong> seulement comme <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens et<br />
n’envisage l’homme lui-même, corps <strong>de</strong> ces <strong>droits</strong>, que comme un outil au service <strong>de</strong> la<br />
maximisation <strong>de</strong> l’utilité ; tout autre but alternatif, individuel ou social, n’a aucune<br />
importance face à la maximisation <strong>de</strong> l’utilité. Face à cette approche, la position<br />
libertarienne prend une sorte <strong>de</strong> contre-pied total, puisqu’elle place l’individu et sa liberté<br />
au centre <strong>de</strong> sa préoccupation.<br />
25 Sur l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> points évoqués ici, on peut également examiner avec intérêt l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> « biens<br />
personnels » faites par Dan Usher (2001) qui montre que lorsque l’utilité <strong><strong>de</strong>s</strong> biens se mesure en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caractéristiques personnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> individus, le critère <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme est supérieur au critère<br />
utilitariste. Usher prend le cas <strong>de</strong> l’espérance <strong>de</strong> vie : un riche dépensant plus pour sa sécurité et sa santé, la<br />
valeur qu’il accor<strong>de</strong> à sa vie est donc supérieure à celle d’un pauvre qui ne dépensera que peu en la matière.<br />
Or, selon les principes <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme, une vie vaut une vie au sens où chacun a une dignité égale. Il<br />
n’y a donc aucune raison <strong>de</strong> favoriser la préservation <strong>de</strong> l’espérance <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> riches aux détriments <strong>de</strong> celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pauvres. La conclusion inverse serait pourtant la conséquence normale d’une formalisation utilitariste, y<br />
compris dans le cadre <strong>de</strong> l’utilitarisme <strong>de</strong> règle.<br />
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