l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

individuels que collectifs ; ceux-ci disparaissent ainsi totalement face au calcul de l’utilité,
supposée être l’expression même du bien-être, du « bonheur », de l’intérêt général de la
société.
2. L’analyse du mariage chez Meade.
Cela est également caractéristique dans l’analyse du mariage menée par Meade
(1976, p. 159s). Puisque son propos est de garantir l’égalité des individus, tout en
« produisant » l’utilité la plus grande possible et puisque l’inégalité vient en partie des
dotations personnelles (naturelles ou matérielles), il conclut que le mariage peut être un
moyen de réduire les inégalités, s’il est aléatoire et unit ainsi des individus aux dotations
diverses. Nous retrouvons là, comme dans l’analyse de Becker (cf. section I), une vision
instrumentale du mariage qui, certes, peut se justifier d’un point de vue normatif mais qui,
par contre, s’oppose peut-être plus encore aux droits de l’homme 22 . Puisque ce qui compte
c’est la maximisation de l’utilité et que, si l’on veut que celle-ci soit juste, il convient que
tous en profitent également, alors il faut que tous tendent vers les mêmes possessions, ce
qui peut être promu par le mariage aléatoire. Les droits liés à la vie maritale sont dès lors
ignorés, voire remis en cause. L’économiste se donne un but, promouvoir une « économie
juste », il se donne un critère, l’utilité, et ne considère plus les individus que comme des
facteurs de production. Les droits de l’homme apparaissent dès lors comme un garde-fou
qui marque les limites à ne pas franchir : il n’est pas question, par exemple, de discuter la
liberté du mariage par consentement mutuel, comme il ne peut être question de refuser la
nécessité de ce consentement mutuel. L’utilitarisme a tenté, par le passage d’un utilitarisme
d’acte à un utilitarisme de règle, de tenir compte de ce genre de limites. Nous voulons à
présent voir la robustesse de ce renouvellement théorique.
C. L’utilitarisme de règle en question.
C’est Harrod, en 1936 23 , qui propose de passer à un utilitarisme de règle pour
répondre aux limites de l’utilitarisme d’acte, et c’est John Harsanyi qui développe le plus
22 Et ce d’ailleurs, pour des raisons proches de celles du rejet de la communauté platonicienne des femmes et
des enfants (cf. ch. I, supra) qui, somme toute, est une solution à la question de l’égalité d’un type similaire à
celui de la solution utilitariste proposée par Meade.
23 Cf. (Van Parijs, 1991, p. 59) ; à notre connaissance, Harrod est le premier à parler d’un utilitarisme de
règle ; voir aussi ce qu’en dit Gamel (1999, p. 112).
184