l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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02.10.2014 Views

espectent les « libertés économiques » sont parfois jugées supérieures. Or, les dites « libertés économiques » n’ont rien à voir avec les droits de l’homme puisqu’il s’agit essentiellement de ne pas taxer les entrepreneurs, d’éliminer tout droit de douane ainsi que toute législation sociale, de laisser une entière liberté aux mouvements de capitaux, etc 28 . De fait, le point de vue purement instrumental ne peut se défendre bien longtemps et les économistes des choix publics, s’ils peuvent critiquer certains fondements de la démocratie (le suffrage universel et la règle de la majorité, par exemple), ne le font pas sans raison. Ils défendent souvent un point de vue démocratique extrême qui, de ce fait, peut être jugé antidémocratique. Cependant, ces positions théoriques sont riches d’enseignements que nous allons voir à présent, tout d’abord en observant la teneur de la coopération sociale, puis en indiquant les limites du mécanisme principal-agent appliqué à la politique, et enfin en mettant en lumière les objectifs de long terme et les externalités positives de l’Etat. 1. Coopération sociale, liberté des échanges et réciprocité. En premier lieu, les auteurs du « Public choice » partent souvent du principe que la règle d’unanimité doit primer puisqu’une condition nécessaire pour que la coopération sociale s’installe est que toutes les parties escomptent des gains ou, au moins, qu’il n’y ait pas de « perdant net » (Buchanan, 1990, p. 9). Cette vision de la démocratie comme système de coopération volontaire basée sur le gain réciproque, qui relève pour partie du « contrat social » à la Jean-Jacques Rousseau, connaît en fait une limite évidente (Moe, 1990) : les gens n’entrent pas dans l’échange politique volontairement, mais ils y sont forcés par l’autorité publique ; ils n’ont pas le choix et peuvent sortir perdant de l’échange. En indiquant ainsi que l’Etat est un mécanisme de coercition, Terry Moe oublie la contrepartie que l’on peut en tirer pour l’univers économique. A-t-on vraiment le choix de mener la vie que l’on veut dans une économie de marché ? Le consentement y est-il réel lorsqu’il est le seul système en fonctionnement ? Et les pouvoirs des différents acteurs économiques (du petit commerçant à la firme multinationale, en passant par les fonds de pension) ne sont-ils pas davantage coercitifs que la plupart des gouvernements ? Dire que 28 Le Fraser Institute a un programme de recherche sur ce thème, parrainé par Milton Friedman ; les dites libertés économiques se définissent par rapport à sept critères : la taille du gouvernement, la structure légale assurant la protection des droits de propriété, l’accès à une monnaie sûre, la liberté de commercer avec des étrangers, la régulation des marchés financiers, la régulation des marchés du travail, la liberté du commerce ; cf. (Gwartney et alii, 2001) et notre chapitre IV, infra. 164

les individus n’ont pas le choix, puisqu’ils subissent les avatars des décisions politiques qu’ils les aient voulues ou non, c’est oublier un peu rapidement que, de toute façon, personne ne peut faire abstraction d’autrui. Et si, par exemple, toutes les entreprises agroalimentaires se mettaient à produire des marchandises impropres à la consommation, combien, parmi nous, pourront se passer de leurs produits ? – à supposer d’ailleurs que nous en soyons informés 29 . L’aspect volontaire des échanges, qu’ils soient marchands ou politiques, n’est pas pour autant un leurre. Il convient au contraire de l’affirmer comme un primat même de toute forme contractuelle d’engagement ; mais il convient aussi de reconnaître que le marché est un des éléments constitutifs de l’espace public, et « non un jeu séparé », les droits de l’homme pouvant alors être les « normes fondatrices » de cet espace qui marquent les limites d’une société démocratique (Meyer-Bisch, 1998a). Cet auteur défend l’idée que l’éthique a une logique de réciprocité générale ; par rapport aux droits de l’homme, cela est évident, chaque droit étant un devoir et chacun devant participer à la consolidation des droits d’autrui. Ainsi, pour citer Thomas Paine (1790, p. 142), l’on peut dire qu’une « Déclaration des Droits est aussi une Déclaration des Devoirs réciproques. Ce qui est mon droit comme homme, est également le droit d’un autre homme ; et il est de mon devoir de lui garantir le sien comme de posséder le mien ». La démocratie peut donc apparaître, non pas comme une méthode instrumentale de prise de décision qui laisserait la part belle aux décisions d’une majorité tyrannique, mais bien comme l’espace de l’échange volontaire et réciproque d’une humanité partagée. Si une telle formule est un peu floue, elle permet néanmoins d’exprimer l’essence même de toute société « développée » et permet d’indiquer l’intérêt des mises en garde de l’école des choix publics ; en particulier, le danger de la tyrannie de la majorité qui ne peut être écarté et dont il convient de se prémunir, notamment par le droit constitutionnel (cf. infra). 29 L’historique de la maladie dite communément de la « vache folle » est instructif à cet égard puisque la tremblante du mouton dont elle provient vraisemblablement, est connue depuis le XIXe siècle ; les recherches vétérinaires et médicales ont été tellement poussées en deux siècles que l’on ne peut que s’étonner du peu de précaution qui a été pris. L’ampleur de cet exemple montre que notre propos n’est pas « extrémiste » mais bien crédible. Sans compter, bien sûr, l’aberration consistant à faire manger des produits d’origine carnée à des animaux végétariens, qui n’a pas été particulièrement connue et encore moins débattue ; autrement dit, c’est bien plutôt des entreprises capitalistes sans contrôle démocratique dont il conviendrait d’avoir peur et, en l’occurrence, c’est pour son manque d’initiative et de pouvoir qu’il faudrait critiquer l’Etat. 165

espectent les « libertés économiques » sont parfois jugées supérieures. Or, les dites<br />

« libertés économiques » n’ont rien à voir avec les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme puisqu’il s’agit<br />

essentiellement <strong>de</strong> ne pas taxer les entrepreneurs, d’éliminer tout droit <strong>de</strong> douane ainsi que<br />

toute législation sociale, <strong>de</strong> laisser une entière liberté aux mouvements <strong>de</strong> capitaux, etc 28 .<br />

De fait, le point <strong>de</strong> vue purement instrumental ne peut se défendre bien longtemps<br />

et les économistes <strong><strong>de</strong>s</strong> choix publics, s’ils peuvent critiquer certains fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la<br />

démocratie (le suffrage universel et la règle <strong>de</strong> la majorité, par exemple), ne le font pas<br />

sans raison. Ils défen<strong>de</strong>nt souvent un point <strong>de</strong> vue démocratique extrême qui, <strong>de</strong> ce fait,<br />

peut être jugé antidémocratique. Cependant, ces positions théoriques sont riches<br />

d’enseignements que nous allons voir à présent, tout d’abord en observant la teneur <strong>de</strong> la<br />

coopération sociale, puis en indiquant les limites du mécanisme principal-agent appliqué à<br />

la politique, et enfin en mettant en lumière les objectifs <strong>de</strong> long terme et les externalités<br />

positives <strong>de</strong> l’Etat.<br />

1. Coopération sociale, liberté <strong><strong>de</strong>s</strong> échanges et réciprocité.<br />

En premier lieu, les auteurs du « Public choice » partent souvent du principe que la<br />

règle d’unanimité doit primer puisqu’une condition nécessaire pour que la coopération<br />

sociale s’installe est que toutes les parties escomptent <strong><strong>de</strong>s</strong> gains ou, au moins, qu’il n’y ait<br />

pas <strong>de</strong> « perdant net » (Buchanan, 1990, p. 9). Cette vision <strong>de</strong> la démocratie comme<br />

système <strong>de</strong> coopération volontaire basée sur le gain réciproque, qui relève pour partie du<br />

« contrat social » à la Jean-Jacques Rousseau, connaît en fait une limite évi<strong>de</strong>nte (Moe,<br />

1990) : les gens n’entrent pas dans l’échange politique volontairement, mais ils y sont<br />

forcés par l’autorité publique ; ils n’ont pas le choix et peuvent sortir perdant <strong>de</strong> l’échange.<br />

En indiquant ainsi que l’Etat est un mécanisme <strong>de</strong> coercition, Terry Moe oublie la<br />

contrepartie que l’on peut en tirer pour l’univers économique. A-t-on vraiment le choix <strong>de</strong><br />

mener la vie que l’on veut dans une économie <strong>de</strong> marché ? Le consentement y est-il réel<br />

lorsqu’il est le seul système en fonctionnement ? Et les pouvoirs <strong><strong>de</strong>s</strong> différents acteurs<br />

économiques (du petit commerçant à la firme multinationale, en passant par les fonds <strong>de</strong><br />

pension) ne sont-ils pas davantage coercitifs que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernements ? Dire que<br />

28 Le Fraser Institute a un programme <strong>de</strong> recherche sur ce thème, parrainé par Milton Friedman ; les dites<br />

libertés économiques se définissent par rapport à sept critères : la taille du gouvernement, la structure légale<br />

assurant la protection <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> propriété, l’accès à une monnaie sûre, la liberté <strong>de</strong> commercer avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

étrangers, la régulation <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés financiers, la régulation <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés du travail, la liberté du commerce ;<br />

cf. (Gwartney et alii, 2001) et notre chapitre IV, infra.<br />

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