l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Alors même qu’il existe des analyses alternatives des comportements économiques et politiques, qui prennent en compte les phénomènes de défection, de prise de parole et de loyauté (Hirschman, 1970 ; 1982) et les actes non utilitaires (Hirschman, 1985), les économistes des choix publics s’astreignent, le plus souvent, à rester fidèles à l’homoœconomicus égoïste et « rationnel ». En réalisant que les individus ne votent pas de manière « rationnelle », peut-être convient-il, non pas de considérer ceux qui votent comme des êtres irrationnels, mais bien de voir les limites de cette rationalité qui sont transposables aux phénomènes économiques eux-mêmes 11 . Il est remarquable également de constater que, si la rationalité économique doit être sanctifiée, le défaut de démocratie ne peut qu’être approuvé : le droit de vote est irrationnel et, en tant que tel, devrait disparaître ; il conviendrait sans doute, pour éliminer les coûts de transaction, d’enfreindre la condition quatre du théorème d’impossibilité de K. Arrow ! 3. La rationalité comme respect de la norme. A contrario, une façon plus pertinente d’envisager la rationalité peut être de la considérer comme le respect de la norme (Gibbard, 1985). Dès lors, si la norme est constituée par les droits de l’homme, c’est le fait de ne pas aller voter qui devient irrationnel. En effet, celui qui ne vote pas, lorsqu’il se rend compte que la politique publique l’affecte, quelle légitimité a-t-il ? Si l’on reste dans une métaéconomie des choix publics, cela est évident au vu de l’application du mécanisme principal-agent. Pour être un principal légitime et pouvoir exiger des résultats de son agent, encore faut-il que l’électeur participe effectivement au vote ou soit réellement susceptible d’y participer. Cependant, une dernière distinction peut être opérée. Il est possible de supposer que le respect de la norme comme rationalité ne peut être réellement exercé que par des individus raisonnables. James Buchanan (1959, p. 134-135) définit les individus qu’il prend en compte comme des être raisonnables, au sens où ce sont des « hommes capables de reconnaître ce qu’ils veulent, d’agir en fonction, et d’être convaincus de leur propre avantage après une discussion raisonnable ». On s’éloigne donc déjà du paradoxe du vote, par la reconnaissance que les individus ont des buts en fonction desquels ils vont agir raisonnablement, y compris par le biais de la discussion. Ainsi, il est remarquable de voir 11 Il convient également de remarquer qu’il n’y a pas de réelle passerelle entre la rationalité individuelle et la rationalité collective (Kirman, 1992) ; alors même que le droit de vote relève justement d’une rationalité collective, plutôt que d’une rationalité individuelle, ce qui remet d’ailleurs en cause le théorème d’Arrow. 150

que la discussion démocratique, généralement ignorée par les économistes, y compris des choix publics, s’avère extrêmement pertinente pour « résoudre les dilemmes sociaux » (Frey et Bohnet, 1996), et ce à plus forte raison lorsqu’elle porte sur les fins, ce que l’on peut déduire de l’étude de ces deux auteurs. En outre, la conception d’individus raisonnables amène à reconnaître que, dans certains cas, « le bénéfice individuel de l’action collective n’est pas la différence entre le résultat espéré et l’effort fourni, mais la somme de ces deux grandeurs ! » (Hirschman, 1982, p. 150 ; 1985). Point relativement essentiel, puisque la logique des droits de l’homme peut reposer en grande partie sur ce genre de mécanisme. 4. Les individus raisonnables et les autres. Mais revenons ici aux individus raisonnables chez Buchanan, car à nouveau, ce n’est pas si simple. En effet, il existe aussi des « unreasonables », des individus qui ne sont pas raisonnables. Sur cette simple constatation, il n’est pas question de contester James Buchanan. Par contre, sur les conséquences qu’il en tire, il y a certains dangers qu’il faut signaler et qui relèvent en grande partie d’une logique des droits de l’homme. Pour James Buchanan (tout comme pour Gordon Tullock), la règle d’unanimité est la seule procédure optimale, puisqu’elle suit le principe d’optimalité parétienne. Or, l’existence d’individus non raisonnables remet en cause la possibilité d’application de cette règle 12 . L’économiste, pour vérifier la pertinence de ses hypothèses, est alors conduit à « discriminer » (c’est le terme même employé par Buchanan) entre les raisonnables et ceux qui ne le sont pas, dans la recherche du consensus. Même si Buchanan précise que des standards objectifs peuvent être utilisés pour aider à cette discrimination, il ne précise en rien en quoi ils consistent. Pour notre part, il suffirait de dire que ceux qui ne respectent pas les droits de l’homme sont non raisonnables ; mais nous sommes prêts à reconnaître qu’une telle position, formulée si succinctement, peut elle-même conduire à des erreurs. Car, en effet, par quelle autorité l’économiste peut-il émettre un jugement ? Les standards objectifs sont-ils ceux du profit, auquel cas les entrepreneurs seraient toujours du côté des « raisonnables » et leurs opposants (ouvriers, consommateurs mécontents, gouvernements mêmes, etc.) seraient 12 De manière comparable, la théorie de l’absence d’envie qui s’appuie également sur une procédure de type Pareto optimalité, est confrontée au même problème puisqu’un seul individu « excentrique » peut suffire à compromettre l’équilibre ; sur ce point et sur la critique plus générale de la pertinence de l’optimum parétien – et donc de l’unanimité – cf. (Gamel, 1992), ainsi que (Fleurbaey, 1996) et (Sen, 1970). 151

que la discussion démocratique, généralement ignorée par les économistes, y compris <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

choix publics, s’avère extrêmement pertinente pour « résoudre les dilemmes sociaux »<br />

(Frey et Bohnet, 1996), et ce à plus forte raison lorsqu’elle porte sur les fins, ce que l’on<br />

peut déduire <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux auteurs. En outre, la conception d’individus<br />

raisonnables amène à reconnaître que, dans certains cas, « le bénéfice individuel <strong>de</strong><br />

l’action collective n’est pas la différence entre le résultat espéré et l’effort fourni, mais la<br />

somme <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>urs ! » (Hirschman, 1982, p. 150 ; 1985). Point relativement<br />

essentiel, puisque la logique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme peut reposer en gran<strong>de</strong> partie sur ce<br />

genre <strong>de</strong> mécanisme.<br />

4. Les individus raisonnables et les autres.<br />

Mais revenons ici aux individus raisonnables chez Buchanan, car à nouveau, ce<br />

n’est pas si simple. En effet, il existe aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> « unreasonables », <strong><strong>de</strong>s</strong> individus qui ne sont<br />

pas raisonnables. Sur cette simple constatation, il n’est pas question <strong>de</strong> contester James<br />

Buchanan. Par contre, sur les conséquences qu’il en tire, il y a certains dangers qu’il faut<br />

signaler et qui relèvent en gran<strong>de</strong> partie d’une logique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme.<br />

Pour James Buchanan (tout comme pour Gordon Tullock), la règle d’unanimité est<br />

la seule procédure optimale, puisqu’elle suit le principe d’optimalité parétienne. Or,<br />

l’existence d’individus non raisonnables remet en cause la possibilité d’application <strong>de</strong> cette<br />

règle 12 . L’économiste, pour vérifier la pertinence <strong>de</strong> ses hypothèses, est alors conduit à<br />

« discriminer » (c’est le terme même employé par Buchanan) entre les raisonnables et ceux<br />

qui ne le sont pas, dans la recherche du consensus.<br />

Même si Buchanan précise que <strong><strong>de</strong>s</strong> standards objectifs peuvent être utilisés pour<br />

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suffirait <strong>de</strong> dire que ceux qui ne respectent pas les <strong>droits</strong> <strong>de</strong> l’homme sont non<br />

raisonnables ; mais nous sommes prêts à reconnaître qu’une telle position, formulée si<br />

succinctement, peut elle-même conduire à <strong><strong>de</strong>s</strong> erreurs. Car, en effet, par quelle autorité<br />

l’économiste peut-il émettre un jugement ? Les standards objectifs sont-ils ceux du profit,<br />

auquel cas les entrepreneurs seraient toujours du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> « raisonnables » et leurs<br />

opposants (ouvriers, consommateurs mécontents, gouvernements mêmes, etc.) seraient<br />

12 De manière comparable, la théorie <strong>de</strong> l’absence d’envie qui s’appuie également sur une procédure <strong>de</strong> type<br />

Pareto optimalité, est confrontée au même problème puisqu’un seul individu « excentrique » peut suffire à<br />

compromettre l’équilibre ; sur ce point et sur la critique plus générale <strong>de</strong> la pertinence <strong>de</strong> l’optimum parétien<br />

– et donc <strong>de</strong> l’unanimité – cf. (Gamel, 1992), ainsi que (Fleurbaey, 1996) et (Sen, 1970).<br />

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