l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I
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A l’origine, les travaux de Kenneth Arrow, dont la première version a été publiée en 1950, peuvent être envisagés en filiation directe 4 avec les travaux de mathématiciens français, Borda en 1781 et surtout le marquis de Condorcet en 1785. Ce dernier expose un paradoxe concernant la règle du vote majoritaire. Ainsi, si nous supposons la situation où trois individus A, B et C, classent trois choix possibles x, y et z ; si désigne l’expression « préféré à » et si les classements sont les suivants : pour A, x y z, pour B, z x y et pour C, y z x ; ces expressions étant transitives, A préfère x à z, B préfère z à y et C préfère y à x. Si ces individus doivent trouver un accord, il est possible d’observer le phénomène suivant : A et B préfèrent x à y et peuvent donc choisir l’option x à la majorité, mais B et C préfèrent z à x et peuvent donc choisir cette option, alors que y est préféré à z par A et C. Il y aurait alors une fonction de préférence sociale, qui peut s’obtenir par votes majoritaires et qui est de la forme : z x y z. Cette relation de préférence sociale n’est pas transitive, ce qui crée une incohérence dans la procédure de classement par votes majoritaires. En effet, en partant de z x, elle aboutit à x y z, c’est-à-dire, si elle était transitive, x z, l’inverse du point de départ. Kenneth Arrow a cristallisé cette analyse dans son théorème d’impossibilité qui montre qu’il n’existe pas de règles pour agréger les préférences individuelles. Pour ce faire, il pose quatre conditions 5 : 1. Le classement social des préférences doit être réflexif, c’est-à-dire prendre en compte toutes les éventualités possibles et être transitif. 2. Il doit respecter le critère de Pareto qui, s’il existe à l’état individuel, doit se retrouver dans le classement social. 3. Le classement de chaque couple de décision ne doit dépendre que des préférences individuelles qui portent sur ce couple. 4. Le classement est défini en l’absence de tout dictateur qui imposerait ses préférences personnelles comme préférences sociales. 4 Même si Arrow n’en avait pas connaissance à l’époque ; cf. (Fleurbaey, 2000). 5 Dans son article de 1950, cinq conditions sont déterminées, la quatrième disparaît par la suite. En effet, elle est redondante avec la cinquième puisque si celle-ci pose qu’il ne doit pas y avoir de dictateur, la quatrième affirmait la souveraineté du peuple. Arrow a corrigé ce point, notamment dans son ouvrage Choix collectifs et préférences individuelles, Calmann-Lévy, Paris, 1974 (1963 pour la seconde édition anglaise) ; voir aussi (Fleurbaey, 2000). Pour l’actuelle présentation, nous nous appuyons également sur (Guerrien, 1996) et (McNutt, 1996). Voir aussi (Fleurbaey, 1996) et (Roemer, 1996) ; ainsi que (Truchon, 1996) pour une application empirique. 144
En montrant que ces quatre conditions ne peuvent aller de pair (les trois premières ne sont vérifiées que si la quatrième est enfreinte), ce théorème remet en cause la règle de la majorité qui est à la base de la démocratie libérale. Si certains auteurs, comme William Riker, ont pu considérer que la dictature est un choix social cohérent (McNutt, 1996), le théorème d’impossibilité de K. Arrow a plutôt soulevé des objections variées et des travaux rejetant notamment la pertinence d’une fonction de préférence sociale, cf. (Fleurbaey, 1996), (Hamlin, 1996), (Kolm, 1994), (Mahieu, 1991), (McNutt, 1996), (Rowley, 1993), (Sen, 1970 ; 2000a, ch. 11), entre autres contributions. Le courant des choix publics, en particulier, s’éloigne de la question de l’agrégation des préférences. Il examine de manière théorique, mais souvent avec une assise empirique, le fonctionnement de la démocratie entendue comme système institutionnel qui a recours au principe du vote majoritaire. De fait, tous ces travaux ont un lien direct avec les droits de l’homme puisqu’ils s’intéressent au droit de vote, au droit de propriété, à la liberté d’opinion, bref, à l’ensemble des droits civils et politiques. Néanmoins, le fait que ces analyses se focalisent essentiellement sur les procédures et n’envisagent que peu les droits en tant que droits de l’homme, demande de soupeser chaque apport avec prudence. Les initiateurs de ce courant furent Harold Hotelling, Duncan Black, Anthony Downs et, non des moindres, James Buchanan et Gordon Tullock 6 . Ce courant du « Public choice » se propose d’appliquer aux processus de décisions politiques et aux mécanismes électoraux, les concepts et raisonnements de l’économie néo-classique. Ainsi, par exemple, il est expliqué que les programmes des partis politiques – ceux-ci étant comparés à des firmes – tendent à converger vers les préférences de l’électeur médian, les partis ayant pour objectif ou pour intérêt, d’être au pouvoir, et l’élection étant un marché sur lequel ils échangent des programmes contre des votes. En s’interrogeant sur la rationalité de la prise de décision au sein d’une collectivité, puis en l’étendant aux aspects constitutionnels (Buchanan, 1975), les tenants de cette 6 Certains des textes fondateurs de ces cinq auteurs peuvent être trouvés dans (Généreux, 1996) et (Rowley, 1993, vol. I). Il convient d’y ajouter Joseph Schumpeter (1947) qui a établi une théorie économique de la démocratie, sur laquelle se base d’ailleurs Anthony Downs (1957, p. 235g ; le « g » ici précise qu’il s’agit des pages de (Généreux, 1996)). Au XIXe siècle, Wicksell peut être cité comme précurseur, cf. Buchanan (1987), ainsi que James Mill dès 1820, cf. (Hirschman, 1986, p. 21) et Gustave Le Bon en 1895, filiation qui rattache l’école des choix publics à la pensée « réactionnaire », cf. (Hirschman, 1991, p. 46-49). Certaines idées se retrouvent « paradoxalement » aussi dans la pensée d’auteurs comme Proudhon et des anarchistes du XIXe siècle. 145
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A l’origine, les travaux <strong>de</strong> Kenneth Arrow, dont la première version a été publiée<br />
en 1950, peuvent être envisagés en filiation directe 4 avec les travaux <strong>de</strong> mathématiciens<br />
français, Borda en 1781 et surtout le marquis <strong>de</strong> Condorcet en 1785. Ce <strong>de</strong>rnier expose un<br />
paradoxe concernant la règle du vote majoritaire. Ainsi, si nous supposons la situation où<br />
trois individus A, B et C, classent trois choix possibles x, y et z ; si désigne l’expression<br />
« préféré à » et si les classements sont les suivants : pour A, x y z, pour B, z x y et<br />
pour C, y z x ; ces expressions étant transitives, A préfère x à z, B préfère z à y et C<br />
préfère y à x.<br />
Si ces individus doivent trouver un accord, il est possible d’observer le phénomène<br />
suivant : A et B préfèrent x à y et peuvent donc choisir l’option x à la majorité, mais B et<br />
C préfèrent z à x et peuvent donc choisir cette option, alors que y est préféré à z par A et C.<br />
Il y aurait alors une fonction <strong>de</strong> préférence sociale, qui peut s’obtenir par votes majoritaires<br />
et qui est <strong>de</strong> la forme : z x y z. Cette relation <strong>de</strong> préférence sociale n’est pas transitive,<br />
ce qui crée une incohérence dans la procédure <strong>de</strong> classement par votes majoritaires. En<br />
effet, en partant <strong>de</strong> z x, elle aboutit à x y z, c’est-à-dire, si elle était transitive, x z,<br />
l’inverse du point <strong>de</strong> départ.<br />
Kenneth Arrow a cristallisé cette analyse dans son théorème d’impossibilité qui<br />
montre qu’il n’existe pas <strong>de</strong> règles pour agréger les préférences individuelles. Pour ce<br />
faire, il pose quatre conditions 5 :<br />
1. Le classement social <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences doit être réflexif, c’est-à-dire prendre en compte<br />
toutes les éventualités possibles et être transitif.<br />
2. Il doit respecter le critère <strong>de</strong> Pareto qui, s’il existe à l’état individuel, doit se retrouver<br />
dans le classement social.<br />
3. Le classement <strong>de</strong> chaque couple <strong>de</strong> décision ne doit dépendre que <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences<br />
individuelles qui portent sur ce couple.<br />
4. Le classement est défini en l’absence <strong>de</strong> tout dictateur qui imposerait ses préférences<br />
personnelles comme préférences sociales.<br />
4 Même si Arrow n’en avait pas connaissance à l’époque ; cf. (Fleurbaey, 2000).<br />
5 Dans son article <strong>de</strong> 1950, cinq conditions sont déterminées, la quatrième disparaît par la suite. En effet, elle<br />
est redondante avec la cinquième puisque si celle-ci pose qu’il ne doit pas y avoir <strong>de</strong> dictateur, la quatrième<br />
affirmait la souveraineté du peuple. Arrow a corrigé ce point, notamment dans son ouvrage Choix collectifs et<br />
préférences individuelles, Calmann-Lévy, Paris, 1974 (1963 pour la secon<strong>de</strong> édition anglaise) ; voir aussi<br />
(Fleurbaey, 2000). Pour l’actuelle présentation, nous nous appuyons également sur (Guerrien, 1996) et<br />
(McNutt, 1996). Voir aussi (Fleurbaey, 1996) et (Roemer, 1996) ; ainsi que (Truchon, 1996) pour une<br />
application empirique.<br />
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