l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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II. Une méthode de travail : vers la rigueur scientifique. Michel Beaud (1995) explicite plusieurs faiblesses de la démarche théorique de l’économie contemporaine. Il note notamment que la multiplication des écoles entraîne plusieurs dangers dont la rupture de tout dialogue entre les différents paradigmes. Un autre danger est représenté par la possibilité pour certains de piocher dans chaque paradigme sans se soucier des hypothèses sous-jacentes, ce qui présente un risque évident d’incohérence et de légèreté. Il nous semble, d’ailleurs, qu’une telle pratique est déjà usitée au sein même de chaque paradigme, tant certains théorèmes peuvent être « oubliés » ou tant les hypothèses ad hoc peuvent se multiplier. Quoi qu’il en soit, nous « piochons » nous-mêmes dans différentes théories afin d’étayer notre propos. Nous nous exposons donc au risque décrit par Michel Beaud, bien que nous recherchions ainsi le dialogue constructif des paradigmes. Notre utilisation de plusieurs théories s’inscrit donc dans une démarche volontaire qui, plus globalement, se veut interdisciplinaire. Cette démarche consiste à exploiter au mieux les potentialités des théories économiques dans le but de comprendre les droits de l’homme et leurs interactions avec l’économique. Ainsi, notre approche consiste à développer une utilisation spécifique de l’économie, tout en indiquant les limites de certaines théories, afin, peut-être, de les réformer et non de les rejeter. Cela nous amène à examiner la remarque suivante : la science économique simplifie trop son propos et, simultanément, elle le complexifie également. Elle simplifie trop en réduisant l’être humain à un simple rouage des mécanismes économiques, que ce soit dans une perspective libérale – économie néoclassique, théorie hayekienne des ordres spontanés, etc. – comme dans une optique « socialiste » – planification centralisée, « lois d’airain » ou de « l’histoire » du marxisme orthodoxe, etc. Par ailleurs, elle complexifie trop, en rendant son objet opaque par le recours à deux méthodes différentes. La première consiste à utiliser l’outil mathématique de manière trop exclusive et sans soucis de pédagogie à l’égard du profane (Allais, 1954). La seconde consiste à recourir à une analyse philosophique trop poussée qui, de même, peut éloigner le raisonnement du sujet à expliquer, et rendre l’analyse opaque vis-à-vis du non-spécialiste 3 . 3 Comme le rappelle Jean-Baptiste Say (1803), Condillac notait déjà qu’un raisonnement abstrait n’est qu’un calcul avec d’autres signes. Say entendait s’opposer à la formalisation sous toutes ses formes, puisque l’économie est, pour lui, une science expérimentale dont les données chiffrées ne peuvent être qu’approximatives, puisqu’elle se situe dans le domaine moral. 6

Nous avons voulu, quant à nous, en tâchant d’éviter au mieux ces différents biais, non pas (re)créer une économie, mais plutôt, par une méthode pluraliste et rigoureuse, dégager de chaque théorie ce qui répondait au sujet d’étude spécifique que nous nous sommes donnés. En particulier, il nous semble important de ne pas oublier les enseignements du passé et de savoir en faire un bon usage pour développer du « neuf », tout en restant conscient des limites de la science économique en matière de « découvertes » 4 . Pour Henri Bartoli (1999, p. 161), l’économiste ne démontre rien, il argumente. La démonstration en économie se base ainsi, en fait, sur une argumentation raisonnée et logique en faveur d’une position cohérente qui, le plus souvent, découle de développements antérieurs et les approfondit. Par ailleurs, il ne s’agit pas ici de prendre un sujet particulier, les droits de l’homme, et de leur appliquer les leçons apprises, les modèles existants, etc. Notre objet est plutôt, à partir ou grâce à ce sujet, de comprendre comment l’analyse économique s’est développée et comment elle peut aider à résoudre certains problèmes qui nous paraissent majeurs. Il ne s’agit donc ni de se contenter d’une critique de l’économie théorique et empirique existante, ni de donner des solutions préfabriquées à des questions universelles, telles que la faim dans le monde ou la guerre. Il s’agit de développer une compréhension économique d’un sujet particulier permettant simultanément de mieux comprendre les potentialités de l’analyse économique. Une telle compréhension autorise à tirer certaines leçons quant à l’évolution de notre discipline et de mieux comprendre les droits de l’homme et les mécanismes possibles de leur mise en œuvre. Ainsi, et même si nous n’hésitons pas à prendre parfois position, nous n’avons pas voulu rester dans un angle critique, qui n’aurait pas de sens. Nous nous sommes, par ailleurs, refusé à proclamer une quelconque « Vérité », l’économiste devant rester humble et responsable de ses actes. L’application d’une théorie devrait donc faire l’objet d’un travail de suivi de la part des économistes qui la prônent, ce qui implique que tout ce que nous pouvons avancer en matière de politique économique n’a de sens qu’en tant que base de l’action et doit être susceptible de modifications et d’améliorations continues. En effet, l’économiste peut toujours appuyer, en son âme et conscience, telle ou telle mesure. Il pourra même y apporter telle ou telle preuve présumée scientifique sous la forme d’un modèle philosophique ou mathématique. Mais il ne pourra jamais dire : voilà quelle est la réalité du monde, voilà la vérité absolue, cela est démontré, il n’y a plus besoin d’en 4 Cf. (Malinvaud, 1996) ; voir aussi (Quinet et Walliser, 1999). 7

Nous avons voulu, quant à nous, en tâchant d’éviter au mieux ces différents biais,<br />

non pas (re)créer une économie, mais plutôt, par une métho<strong>de</strong> pluraliste et rigoureuse,<br />

dégager <strong>de</strong> chaque théorie ce qui répondait au sujet d’étu<strong>de</strong> spécifique que nous nous<br />

sommes donnés. En particulier, il nous semble important <strong>de</strong> ne pas oublier les<br />

enseignements du passé et <strong>de</strong> savoir en faire un bon usage pour développer du « neuf »,<br />

tout en restant conscient <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong>de</strong> la science économique en matière <strong>de</strong><br />

« découvertes » 4 . Pour Henri Bartoli (1999, p. 161), l’économiste ne démontre rien, il<br />

argumente. La démonstration en économie se base ainsi, en fait, sur une argumentation<br />

raisonnée et logique en faveur d’une position cohérente qui, le plus souvent, découle <strong>de</strong><br />

développements antérieurs et les approfondit.<br />

Par ailleurs, il ne s’agit pas ici <strong>de</strong> prendre un sujet particulier, les <strong>droits</strong> <strong>de</strong><br />

l’homme, et <strong>de</strong> leur appliquer les leçons apprises, les modèles existants, etc. Notre objet est<br />

plutôt, à partir ou grâce à ce sujet, <strong>de</strong> comprendre comment l’analyse économique s’est<br />

développée et comment elle peut ai<strong>de</strong>r à résoudre certains problèmes qui nous paraissent<br />

majeurs. Il ne s’agit donc ni <strong>de</strong> se contenter d’une critique <strong>de</strong> l’économie théorique et<br />

empirique existante, ni <strong>de</strong> donner <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions préfabriquées à <strong><strong>de</strong>s</strong> questions universelles,<br />

telles que la faim dans le mon<strong>de</strong> ou la guerre. Il s’agit <strong>de</strong> développer une compréhension<br />

économique d’un sujet particulier permettant simultanément <strong>de</strong> mieux comprendre les<br />

potentialités <strong>de</strong> l’analyse économique. Une telle compréhension autorise à tirer certaines<br />

leçons quant à l’évolution <strong>de</strong> notre discipline et <strong>de</strong> mieux comprendre les <strong>droits</strong> <strong>de</strong><br />

l’homme et les mécanismes possibles <strong>de</strong> leur mise en œuvre.<br />

Ainsi, et même si nous n’hésitons pas à prendre parfois position, nous n’avons pas<br />

voulu rester dans un angle critique, qui n’aurait pas <strong>de</strong> sens. Nous nous sommes, par<br />

ailleurs, refusé à proclamer une quelconque « Vérité », l’économiste <strong>de</strong>vant rester humble<br />

et responsable <strong>de</strong> ses actes. L’application d’une théorie <strong>de</strong>vrait donc faire l’objet d’un<br />

travail <strong>de</strong> suivi <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> économistes qui la prônent, ce qui implique que tout ce que<br />

nous pouvons avancer en matière <strong>de</strong> politique économique n’a <strong>de</strong> sens qu’en tant que base<br />

<strong>de</strong> l’action et doit être susceptible <strong>de</strong> modifications et d’améliorations continues. En effet,<br />

l’économiste peut toujours appuyer, en son âme et conscience, telle ou telle mesure. Il<br />

pourra même y apporter telle ou telle preuve présumée scientifique sous la forme d’un<br />

modèle philosophique ou mathématique. Mais il ne pourra jamais dire : voilà quelle est la<br />

réalité du mon<strong>de</strong>, voilà la vérité absolue, cela est démontré, il n’y a plus besoin d’en<br />

4 Cf. (Malinvaud, 1996) ; voir aussi (Quinet et Walliser, 1999).<br />

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