l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

comme une sorte de mécanisme d’échange profondément inconscient, mais qui ne peut en
aucun cas être réduit à un système d’allocation de ressources, maximisateur d’utilité.
D’ailleurs, l’une des conclusions centrales qu’en tire Becker (1974), à savoir l’optimalité
de la polygamie – nous y reviendrons –, doit être contestée car, comme le souligne William
Goode (1974), « le fait est que nous n’avons, de tout temps ou de tous lieux, aucune preuve
que les femmes aient jamais créé un système de polygamie. Ce sont les hommes qui les ont
établis, les hommes possédant la force, le prestige et la richesse (...) ».
Gary Becker, en ne tenant pas compte de cet élément dans sa théorie du mariage, ne
remet pas en cause l’analyse économique sur laquelle il se fonde ; pourtant, traiter un tel
sujet peut faire courir le risque de faire apparaître très nettement les limites de l’analyse en
termes utilitaristes. Un tel processus de découverte peut être appelé « métaéconomie
complexe » 7 et consiste, dès lors que l’analyse économique d’un champ extérieur à
l’économie nous transmet des enseignements, à tenir compte de l’impact de ceux-ci sur nos
règles économiques et sur leur application à l’économie elle-même. A travers l’analyse du
mariage, deux points, en particulier, peuvent être relevés : la présence du don et la présence
du pouvoir.
Dans l’analyse de Gary Becker (1974, p. 512), le don transparaît sous la forme
suivante :
« la voie naturelle pour un économiste de mesurer « l’affection » (« caring ») passe
par la fonction d’utilité. C’est-à-dire que si M a de l’affection pour F, l’utilité de M
dépend de la consommation de F autant que de la sienne propre ».
L’analyse qui suit du « caring » nous semble particulièrement intéressante puisqu’elle met
l’accent sur le fait que l’affection est une sorte de lubrifiant des échanges qui permet de
réduire les coûts de « police », de surveillance mutuelle pour le respect des règles du
mariage, et augmente ainsi le « revenu » du couple. Conclusion : il vaut mieux former un
couple entre des personnes qui ont de l’affection l’une pour l’autre car cela accroît leur
efficacité. Comment nier la première partie de cette phrase tant elle est tautologique ?
A contrario, il est possible de récuser l’argument qui veut que les couples qui se
forment sur la base de l’affection se créent par souci d’augmenter leur efficacité. Cette
observation nous amène à nous interroger, d’une part, sur la pertinence des fonctions
d’utilité et donc sur l’hypothèse centrale de l’homo-œconomicus ; d’autre part, sur le fait
que les êtres humains puissent s’intéresser aux autres autrement que comme des moyens.
7 Lorsque nous utiliserons par la suite le terme « métaéconomie » sans précision supplémentaire, c’est à la
métaéconomie complexe que nous nous référerons.
134