l'economie des droits de l'homme - creden - Université Montpellier I

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Section IV : Humanisme scientifique et économie : François Perroux. Reprenant la tradition des classiques tout en côtoyant les marginalistes autrichiens, François Perroux (1903-1987) développe à sa façon l’humanisme scientifique en économie. Dans ce cadre, il fixe notamment les limites des analyses néo-classiques, qu’il ne cesse d’approfondir vers plus de réalisme 1 . Voyageant énormément, appartenant à un grand nombre d’institutions (du développement, notamment), il est, en France, une référence importante jusque dans les années 1960, même s’il est relativement ignoré depuis. Compte tenu de l’importance qu’a eue cet auteur d’un point de vue institutionnel et quant aux recherches qu’il a inspirées – nous ferrons par la suite référence aux travaux de ses « descendants », notamment Destanne de Bernis et Henri Bartoli – nous ne pouvions le laisser de côté. Le fait qu’il se soit intéressé aux droits de l’homme de façon assez directe, et qu’il en ait donné une vision économique à travers le concept des « coûts de l’homme », nous conduit à lui consacrer une section entière. Il s’agit ici de présenter d’abord son apport à la réflexion sur ce qu’est ou doit être l’économie, montrant ainsi ce que suppose l’humanisme scientifique (I). Puis, on s’interrogera sur le lien entre besoins et droits de l’homme, lien qui apparaît très étroit chez François Perroux et qui permet la mise en pratique de l’humanisme scientifique à partir des « coûts de l’homme » (II). I. Principes moraux, économie et téléologie : quelques éléments centraux de la pensée humaniste scientifique de François Perroux. Alors que Jean Weiller (1996, p. 18) considère qu’il y a un « refus systématique de François Perroux de frayer un passage de l’économie appliquée à l’économie sociale », il nous semble au contraire indispensable d’associer les différentes facettes de cet auteur. En effet, si l’économie appliquée est, pour F. Perroux, celle qui se préoccupe du réel (Gerbier, 1996, p. 200), quoi de plus concret que la préoccupation de la vie humaine ? Ainsi, si François Perroux appuie son engagement personnel sur des principes moraux et religieux, sa démarche économique peut être généralisée (A). Basée sur une critique de l’économie standard, cette démarche ouvre la voie à une définition générale des objectifs et des fins que toute économie devrait se donner (B). 1 Pour un résumé des apports de François Perroux, voir l’article de Uri (1987). 100

A. De la justification à l’objectivation : l’humanisme en économie. « La loi d’amour n’est observée ni entre nations ni entre classes » (Perroux, 1969, p. 64). C’est en tant qu’économiste chrétien que François Perroux s’engage en faveur d’une économie humaine qui respecte « tout l’homme et tous les hommes » (Perroux, 1961 et 1969), (de Bernis, 1995). Denis Clerc (1999), s’inspirant de F. Perroux, résume l’économie humaine en trois principes : le premier est qu’elle se fixe des valeurs fondamentales et des règles en accord avec ces valeurs, n’affirmant pas que la croissance économique est le critère ultime de jugement ; le second est que chacun doit être assuré de pouvoir participer à la vie économique et sociale, en accédant aux minima essentiels et à des droits sociaux les garantissant ; le troisième principe met en avant les objectifs de la société plutôt que ses moyens. La discussion autour de ces trois éléments peut permettre d’appréhender la pensée de F. Perroux dans toute son amplitude. Mais tout d’abord, il faut noter que les valeurs de François Perroux relèvent explicitement de la foi chrétienne : la loi d’amour du Christ 2 et le Décalogue, porteur du central « Tu ne tueras pas » (Exode, XX, 13) 3 . C’est en se basant sur cette position religieuse que nous pouvons justifier a priori les positions de François Perroux sur les objectifs de la société humaine et donc de l’économie elle-même. Ainsi de ces deux paroles du Christ dont nous pouvons déduire une vision politique : « Or Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants. » (Matthieu, XXII, 32), (Marc, XII, 27), (Luc, XX, 38) ; 2 « Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Il n’y a aucun autre commandement plus grand que celui-ci. » (Jésus-Christ ; Marc, XII, 31 ; Matthieu, XXII, 39). Une belle étude sur l’agapè (amour chrétien) appliquée aux sciences sociales peut être consultée avec profit dans (Boltanski, 1990, p. 171s). Avec les réserves sur la pratique des citations « arrangées » dénoncée par (Tréanton, 1993), que nous citons sans vérification personnelle ; quoi qu’il en soit, l’application de l’agapè reste remarquable et nous l’avons personnellement reprise in (Kolacinski, 1999a). 3 (Lemaître de Sacy, p. 90) donne « Vous ne tuerez point ». On notera que F. Perroux ne s’inscrit pas dans une interprétation « à la lettre » de l’Ancien Testament qui peut être considéré sous certains angles comme peu humaniste. Il est remarquable en outre de remarquer dès à présent l’universalité de la référence religieuse. En effet, les religions du Livre (catholique, juive et musulmane) ayant des racines communes se basent sur les mêmes préceptes humanistes dont ce verset est l’archétype. Il peut aussi être relevé que la philosophie confucéenne se base sur un principe d’amour et de respect d’autrui (le ren), et que les principes du bouddhisme impliquent le respect de la vie de tout être. Enfin, on peut noter cette phrase d’Euripide : « si les dieux font le mal, c’est qu’ils ne sont pas des dieux » ; ainsi que ce proverbe nordique issu de l’Ancienne Edda : « il fut un jour où j’étais jeune et je voyageais seul. J’en ai rencontré un autre et je me suis cru riche. L’homme est la joie de l’homme. » (Hamilton, 1962, p. 305 et 392). 101

A. De la justification à l’objectivation : l’humanisme en économie.<br />

« La loi d’amour n’est observée ni entre nations ni entre classes »<br />

(Perroux, 1969, p. 64).<br />

C’est en tant qu’économiste chrétien que François Perroux s’engage en faveur<br />

d’une économie humaine qui respecte « tout l’homme et tous les hommes » (Perroux, 1961<br />

et 1969), (<strong>de</strong> Bernis, 1995). Denis Clerc (1999), s’inspirant <strong>de</strong> F. Perroux, résume<br />

l’économie humaine en trois principes : le premier est qu’elle se fixe <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs<br />

fondamentales et <strong><strong>de</strong>s</strong> règles en accord avec ces valeurs, n’affirmant pas que la croissance<br />

économique est le critère ultime <strong>de</strong> jugement ; le second est que chacun doit être assuré <strong>de</strong><br />

pouvoir participer à la vie économique et sociale, en accédant aux minima essentiels et à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> sociaux les garantissant ; le troisième principe met en avant les objectifs <strong>de</strong> la<br />

société plutôt que ses moyens. La discussion autour <strong>de</strong> ces trois éléments peut permettre<br />

d’appréhen<strong>de</strong>r la pensée <strong>de</strong> F. Perroux dans toute son amplitu<strong>de</strong>.<br />

Mais tout d’abord, il faut noter que les valeurs <strong>de</strong> François Perroux relèvent<br />

explicitement <strong>de</strong> la foi chrétienne : la loi d’amour du Christ 2 et le Décalogue, porteur du<br />

central « Tu ne tueras pas » (Exo<strong>de</strong>, XX, 13) 3 . C’est en se basant sur cette position<br />

religieuse que nous pouvons justifier a priori les positions <strong>de</strong> François Perroux sur les<br />

objectifs <strong>de</strong> la société humaine et donc <strong>de</strong> l’économie elle-même. Ainsi <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

paroles du Christ dont nous pouvons déduire une vision politique :<br />

« Or Dieu n’est point le Dieu <strong><strong>de</strong>s</strong> morts, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> vivants. » (Matthieu, XXII, 32),<br />

(Marc, XII, 27), (Luc, XX, 38) ;<br />

2 « Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Il n’y a aucun autre comman<strong>de</strong>ment plus grand que<br />

celui-ci. » (Jésus-Christ ; Marc, XII, 31 ; Matthieu, XXII, 39). Une belle étu<strong>de</strong> sur l’agapè (amour chrétien)<br />

appliquée aux sciences sociales peut être consultée avec profit dans (Boltanski, 1990, p. 171s). Avec les<br />

réserves sur la pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> citations « arrangées » dénoncée par (Tréanton, 1993), que nous citons sans<br />

vérification personnelle ; quoi qu’il en soit, l’application <strong>de</strong> l’agapè reste remarquable et nous l’avons<br />

personnellement reprise in (Kolacinski, 1999a).<br />

3 (Lemaître <strong>de</strong> Sacy, p. 90) donne « Vous ne tuerez point ». On notera que F. Perroux ne s’inscrit pas dans<br />

une interprétation « à la lettre » <strong>de</strong> l’Ancien Testament qui peut être considéré sous certains angles comme<br />

peu humaniste. Il est remarquable en outre <strong>de</strong> remarquer dès à présent l’universalité <strong>de</strong> la référence<br />

religieuse. En effet, les religions du Livre (catholique, juive et musulmane) ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> racines communes se<br />

basent sur les mêmes préceptes humanistes dont ce verset est l’archétype. Il peut aussi être relevé que la<br />

philosophie confucéenne se base sur un principe d’amour et <strong>de</strong> respect d’autrui (le ren), et que les principes<br />

du bouddhisme impliquent le respect <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> tout être. Enfin, on peut noter cette phrase d’Euripi<strong>de</strong> : « si<br />

les dieux font le mal, c’est qu’ils ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux » ; ainsi que ce proverbe nordique issu <strong>de</strong> l’Ancienne<br />

Edda : « il fut un jour où j’étais jeune et je voyageais seul. J’en ai rencontré un autre et je me suis cru riche.<br />

L’homme est la joie <strong>de</strong> l’homme. » (Hamilton, 1962, p. 305 et 392).<br />

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