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Les rayons cosmiques : historique et enjeux actuels - IPN - IN2P3

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<strong>Les</strong> <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> :<br />

<strong>historique</strong> <strong>et</strong> <strong>enjeux</strong> <strong>actuels</strong><br />

Isabelle Lhenry-Yvon<br />

Institut de Physique Nucléaire d’Orsay<br />

Ecole de Gif, la Gande Motte<br />

Septembre 2006


Ce cours est une introduction destinée à donner une vue d’ensemble de la<br />

physique des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>. Le but n’est pas de détailler tous les points<br />

abordés, car ceci est fait dans des cours dédiés de la présente école, mais de<br />

montrer toutes les connections entres les différents aspects de l’étude des <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong>. Après un rapide <strong>historique</strong> de la découverte des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>,<br />

nous montrons les différents <strong>enjeux</strong> de ces études, en passant en revue les questions<br />

ouvertes <strong>et</strong> les différentes observables accessibles pour explorer au mieux<br />

ce domaine de la physique. Nous montrerons comment les détecteurs de <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong> ont évolué vers des outils extrêmement performants <strong>et</strong> donneront un<br />

état des lieux des connaissances actuelles.


1 Historique<br />

1.1 Contexte scientifique<br />

L’histoire de la découverte des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> commence à la fin du 19 eme<br />

siècle, alors que les expériences explorant la toute nouvelle théorie de Maxwell<br />

unifiant l’électricité <strong>et</strong> le magnétisme foisonnent. Ces études conduisirent à un<br />

certain nombre de réalisations expérimentales, notamment celles m<strong>et</strong>tant en jeu<br />

la conduction de l’électricité par les gaz. En 1895, Röntgen découvre des <strong>rayons</strong><br />

invisibles mais extrêmement pénétrants, capables d’impressionner des plaques<br />

photographiques <strong>et</strong> d’ioniser l’air qu’ils traversent, qu’il baptisa <strong>rayons</strong> X. On<br />

vit le développement des fameux tubes à vide équipés d’électrodes positives<br />

<strong>et</strong> négatives entre lesquelles pouvaient être appliquées des hautes tensions de<br />

quelques milliers de volts. C’est grâce au tube qui porte son nom que Crookes<br />

mit en évidence les <strong>rayons</strong> cathodiques. Quelques années plus tard, Thomson,<br />

en mesurant la déflexion des <strong>rayons</strong> cathodiques par des champs électriques <strong>et</strong><br />

magnétiques croisés, déduit leur rapport charge sur masse. C<strong>et</strong>te valeur, 2000<br />

fois plus grande que celle de l’atome d’hydrogène amena la preuve de l’existence<br />

d’une particule chargée de très faible masse, l’électron. Puis c’est la découverte<br />

par Becquerel des <strong>rayons</strong> X, plus pénétrants que les <strong>rayons</strong> cathodiques, puis<br />

de la radioactivité naturelle. Différents types de radioactivités, appelés α, β,γ<br />

furent identifiées par Pierre <strong>et</strong> Marie Curie ainsi que Rutherford <strong>et</strong> Villard.<br />

1.2 La découverte des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

A c<strong>et</strong>te époque, l’outil indispensable à l’étude de la radioactivité était<br />

l’électroscope. Ces instruments perm<strong>et</strong>taient de mesurer la quantité d’ionisation,<br />

comme cela est expliqué sur la figure 1.2. <strong>Les</strong> physiciens observèrent que<br />

leurs électroscopes se déchargeaient même dans le noir, loin de sources radioactives.<br />

Ceci montrait l’existence d’une source d’ionisation inconnue, qui s’avéra<br />

être intense même dans les tunnels sous des mètres de roche. Rutherford montra<br />

plus tard que l’essentiel de ce rayonnement était dû à la radioactivité naturelle<br />

émanant des roches. En 1910, Wulf mesura les taux d’ionisation en altitude<br />

jusqu’au somm<strong>et</strong> de la Tour Eiffel. Ses calculs d’absorption dans l’air pour des<br />

rayonnement les plus pénétrants connus alors l’amenaient à prédire des taux<br />

d’ionisation décroissant très vite avec l’altitude. Il constata avec surprise que<br />

c<strong>et</strong>te source d’ionisation était encore présente en altitude <strong>et</strong> que son activité diminuait<br />

moins vite que ce qu’il avait prévu. Ses observations furent confirmées<br />

1


– Quand l’électroscope est chargé, les<br />

feuilles(A) s’écartent.<br />

– L’ionisation du gaz à l’intérieur décharge<br />

l’électroscope <strong>et</strong> les feuilles se rapprochent<br />

l’une de l’autre.<br />

– La fréquence de rapprochement des<br />

feuilles mesure la quantité d’ionisation.<br />

Fig. 1: Un exemple d’électroscope traditionnel<br />

<strong>et</strong> largement étendues en 1912 quand Hess effectua des vols en ballons jusqu’à 5<br />

km d’altitude, suivi par Kolhörster qui atteignit 9 km. La synthèse des mesures<br />

qu’ils effectuèrent est présentée figure 2.<br />

Altitude (km)<br />

9 Synthese des mesures de Hess <strong>et</strong> Kolhorster (1912-1914)<br />

8<br />

7<br />

6<br />

5<br />

4<br />

3<br />

2<br />

1<br />

0<br />

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90<br />

Intensite du rayonnement (x 10**6 ions /m3)<br />

Fig. 2: Evolution des taux d’ionisation avec l’altitude : synthèse des mesures de Hess<br />

<strong>et</strong> Kolhörster (données de Hillas (1972))<br />

2


Au delà de 1.5 km, le taux d’ionisation augmente clairement avec l’altitude,<br />

preuve de l’existence, au-delà de l’atmosphère terrestre, d’une source<br />

de rayonnement. Ces mesures permirent d’évaluer l’atténuation dans l’air du<br />

rayonnement, environ 5 fois plus faibles que celle des rayonnements provenant<br />

du radium. Ces <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, nommés ainsi par Millikan en 1925, étaient<br />

donc particulièrement pénétrant puisqu’encore présents au niveau de la mer,<br />

même dans des enceintes fermées.<br />

<strong>Les</strong> <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>,<br />

si ce sont des particules<br />

chargées, sont sensibles<br />

aux champs magnétiques<br />

terrestres, <strong>et</strong> doivent être<br />

moins abondants au niveau<br />

de l’équateur.<br />

Fig. 3: Evolution des taux d’ionisation mesurés avec la latitude<br />

Suivirent des débats célèbres entre Millikan <strong>et</strong> Compton sur la nature de<br />

ces <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> : particules chargées ou <strong>rayons</strong> γ ? Dans les années 30,<br />

une soixantaine de physiciens parcoururent le monde pour mesurer les flux de<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> à différentes latitudes. La mesure d’une forte diminution du<br />

flux à l’équateur compilées par Clay (figure 3) amena une preuve irréfutable que<br />

l’essentiel des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> étaient bien des particules chargées comme l’affirmait<br />

Compton. D’autre part, Rossi ainsi que d’autres physiciens déduisirent<br />

de l’eff<strong>et</strong> est-ouest observé que la majorité des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> étaient des<br />

particules chargées positivement.<br />

1.3 <strong>Les</strong> premiers détecteurs de <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

Si le premier détecteur à m<strong>et</strong>tre en évidence les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> fut<br />

l’électroscope, la plupart des études qui suivirent utilisèrent des détecteurs<br />

gazeux. Le plus simple était la chambre à ionisation dans laquelle on mesu-<br />

3


ait entre 2 électrodes sous haute tension le courant induit par les particules<br />

ionisant le gaz sous faible pression. Lorsque l’on applique des hautes tensions<br />

plus élevées, les électrons arrachés entr<strong>et</strong>iennent l’ionisation <strong>et</strong> on est alors en<br />

régime saturé : c’est le principe du fameux compteur Geiger Müller (GM) mis<br />

au point en 1929, qui perm<strong>et</strong> non seulement de détecter des évènements individuels<br />

mais aussi de déterminer leur temps d’arrivée <strong>et</strong> donc peut être utilisé<br />

pour des mesures en coïncidences. Dès 1936, on réussit à automatiser ce type de<br />

détecteur pour pouvoir aller encore plus haut dans l’atmosphère. <strong>Les</strong> émulsions<br />

photographiques utilisant du bromure d’argent furent aussi utilisées, en particulier<br />

dans des ballons stratosphériques. Même si ces détecteurs ne perm<strong>et</strong>tent<br />

pas de mesure de temps, ils impriment la trace des particules ionisantes qui les<br />

traversent, <strong>et</strong> sont d’autant plus efficaces qu’ils sont épais.<br />

1.4 Découverte des gerbes de <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

En 1938, le physicien Pierre Auger, qui avait installé dans les Alpes des<br />

compteurs GM, nota l’arrivée simultanée de particules dans ses détecteurs,<br />

même lorsqu’ils étaient distants de plusieurs dizaines de mètres. La fréquence<br />

de ces événements cohérents était bien au delà du taux de coïncidences fortuites<br />

attendu. Il venait de découvrir les grandes gerbes atmosphériques, créées par<br />

l’interaction de <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> avec les particules de l’atmosphère. Il s’agit de<br />

cascades de particules secondaires, qui se multiplient par chocs successifs, créant<br />

une gerbe de plus en plus fournie puis qui s’atténue progressivement quand<br />

l’énergie des particules n’est plus suffisante pour l’alimenter. Plus l’énergie du<br />

rayon cosmique initial est élevée <strong>et</strong> plus la surface couverte au sol par la gerbe<br />

induite est large. Auger déduisit de ses mesures que les particules qu’il observait<br />

atteignait le milliard de Giga ElectronVolt.<br />

Il faut souligner que des gerbes initiées par des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> ont été<br />

également observées en laboratoire à la même période, notamment par Rossi<br />

dans une chambre à brouillard équipée de couches de plomb (figure 4). Ce<br />

détecteur perm<strong>et</strong> de visualiser à beaucoup plus p<strong>et</strong>ite échelle (sur typiquement<br />

10 cm au lieu de 5 km) ce qui se passe dans l’atmosphère.<br />

<strong>Les</strong> grandes gerbes atmosphériques vont s’avérer un outil essentiel pour<br />

l’étude des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> de haute énergie, comme nous le verrons plus<br />

loin.<br />

4


Fig. 4: Gerbes initiées par des protons dans des couches de plomb dans une chambre<br />

à brouillard<br />

1.5 Vers la physique des particules<br />

Entre les années 1930 <strong>et</strong> 1950, les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> ont suscité un immense<br />

intérêt de la part des chercheurs, car c<strong>et</strong>te source naturelle de rayonnement de<br />

haute énergie a ouvert le champ d’investigation des particules sub-nucléaires.<br />

Après la découverte en 1932 par Anderson du positron, la première particule<br />

d’anti-matière, ce fut le tour du muon en 1937, une nouvelle particule de<br />

masse intermédiaire entre l’électron <strong>et</strong> le proton, particulièrement pénétrante.<br />

Puis en 1947, des pions laissèrent leurs empreintes dans des émulsions en altitude,<br />

confirmant l’existence de particules d’échanges entre noyaux <strong>et</strong> nucléons<br />

avancée par Yukawa. La physique des particules était née, attirant bon nombre<br />

de physiciens auprès de tous nouveaux accélérateurs de particules.<br />

Mais depuis leur découverte les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> ont continué à faire l’obj<strong>et</strong><br />

d’études approfondies <strong>et</strong> sont plus que jamais au cœur de l’actualité scientifique.<br />

5


2 <strong>Les</strong> <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> aujourd’hui : enjeu<br />

Depuis leur découverte au début du siècle dernier, les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

ont fait <strong>et</strong> font toujours l’obj<strong>et</strong> d’études approfondies, pourtant les sources<br />

de ces particules chargées sont encore aujourd’hui inconnues. Elles arrivent<br />

sur la terre au rythme d’environ 300 par seconde <strong>et</strong> par m 2 <strong>et</strong> représentent<br />

environ 20% de la radioactivité naturelle. Ces particules sont abondantes <strong>et</strong><br />

leur densité d’énergie (environ 1 eV/cm 3 ) est comparable à la densité d’énergie<br />

magnétique dans le milieu interstellaire ainsi qu’à celle des photons du visible<br />

<strong>et</strong> du fond diffus cosmologique. Ceci illustre le rôle important que jouent les<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> dans l’équilibre du milieu interstellaire <strong>et</strong> notamment pour<br />

la régulation de la formation des étoiles.<br />

Ces particules de matière, assez énergétiques pour atteindre la terre, sont<br />

un témoignage des phénomènes les plus violents qui surviennent dans l’univers.<br />

Elles constituent un outil privilégié pour étudier les accélérateurs <strong>cosmiques</strong>.<br />

Leur propagation dans l’univers est conditionnée par les densités de<br />

matière qu’elles traversent <strong>et</strong> les champs magnétiques auxquels elles sont soumises.<br />

L’étude des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> peut donc apporter des informations sur<br />

les propriétés de l’environnement cosmique. De plus leur composition chimique,<br />

modulée par ces eff<strong>et</strong>s de propagation, reflète les processus de nucléosynthèse<br />

remontant à leur origine <strong>et</strong> peut perm<strong>et</strong>tre de dater les obj<strong>et</strong>s astrophysiques.<br />

Tous les efforts des physiciens pour mesurer les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> sur toute<br />

leur gamme en énergie ont permis de produire un spectre d’une extraordinaire<br />

régularité, s’étendant sur plus de 32 ordres de grandeur en flux <strong>et</strong> 12 en énergie,<br />

depuis une centaine de MeV jusqu’à 10 20 eV <strong>et</strong> même peut-être plus, comme le<br />

montre la figure 5. Si on le regarde plus en détail, on observe un certain nombre<br />

de cassures que l’on visualise beaucoup mieux en présentant le flux multiplié<br />

par l’énergie au cube, comme sur la figure 6.<br />

Un certain nombre d’hypothèses ont été avancées quant à l’origine des<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> pour expliquer certaines parties de ce spectre, notamment<br />

aux plus basses énergies, mais aujourd’hui, l’origine des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> dans<br />

leur ensemble est un problème ouvert que de nombreuses équipes de physiciens<br />

dans le monde essayent de résoudre.<br />

– Quelle source peut produire les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, sur une échelle<br />

en énergie aussi vaste ?<br />

Lorsque l’on cherche les sources du rayonnement cosmique, il faut se<br />

7


Fig. 5: Spectre en énergie des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

Fig. 6: Spectre en énergie des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> multiplié par E 3<br />

8


tourner vers des sites perm<strong>et</strong>tant d’accélérer des particules, jusqu’à des<br />

énergies parfois colossales. Si l’on considère des processus d’accélération<br />

de Fermi, les meilleurs candidats sont des phénomènes violents produisant<br />

des ondes de choc (l’accélération de Fermi suppose que les particules<br />

sont accélérées par ondes de choc successives dans les plasmas). On peut<br />

alors penser aux explosions de supernovae ou aux éjections de matière<br />

relativiste comme les j<strong>et</strong>s observés dans des noyaux actifs de galaxie ou<br />

produits par les sursauts gammas. L’énergie qu’il est possible d’atteindre<br />

avec de tels mécanismes est grossièrement proportionnelle à l’intensité<br />

du champ magnétique régnant dans le site, mais aussi à la taille du site<br />

puisque les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> doivent y être confinés assez longtemps pour<br />

y être accélérés. L’hypothèse la plus communément admise est que l’essentiel<br />

des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> (E < 10 15 eV) pourrait être accéléré par les<br />

chocs en expansion que produisent les vestiges de supernovae. C<strong>et</strong>te hypothèse<br />

est d’autant plus attrayante que les modèles d’accélération dans<br />

les restes de supernovae prévoient en sortie un spectre en loi de puissance<br />

comme celui du rayonnement cosmique. D’autre part, la puissance des<br />

supernovae dans la galaxie est compatible avec la puissance requise pour<br />

renouveler le flux des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, de l’ordre de 1.5 10 41 erg [1].<br />

Lorsque l’on cherche les sources du rayonnement cosmique à plus haute<br />

énergie, le nombre de candidats est plus limité, comme le montre le diagramme<br />

de Hillas (figure 7), qui résume les caractéristiques de différentes<br />

sources en présentant l’intensité du champ magnétique en fonction de leur<br />

taille. <strong>Les</strong> lignes rouges pleines <strong>et</strong> pointillées montrent les caractéristiques<br />

des sources nécessaires pour atteindre pour des protons respectivement<br />

10 19 <strong>et</strong> 10 20 eV. Seuls les noyaux actifs de galaxie, les sursauts gamma<br />

<strong>et</strong> les étoiles à neutrons sont des obj<strong>et</strong>s qui perm<strong>et</strong>traient éventuellement<br />

d’accéder à de telles énergies.<br />

Actuellement, il reste à prouver que les processus de Fermi sont capables<br />

d’accélérer des particules aux énergies les plus extrêmes du spectre,<br />

sachant qu’à ces énergies, <strong>et</strong> dans les sites pressentis de très fort champs<br />

magnétiques, il faut tenir compte des pertes d’énergie par interaction<br />

Compton inverse sur les rayonnements environnants. La question de<br />

la nature des sources possibles, plus particulièrement à haute énergie,<br />

suscite de nombreux débats <strong>et</strong> nécessite d’être élucidée.<br />

9


Fig. 7: Diagramme de Hillas appliqué à des protons de 10 19 <strong>et</strong> 10 20 eV <strong>et</strong> à des noyaux<br />

de fer de 10 20 eV<br />

Fig. 8: Quasar (à gauche) <strong>et</strong> vue d’artiste d’un sursaut gamma (à droite)<br />

10


– Où se trouvent ces sources, dans la galaxie ou dans l’espace extragalactique<br />

?<br />

A basse énergie, il est admis que les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> sont d’origine<br />

galactique. En eff<strong>et</strong>, on s’attend à ce qu’ils soient confinés dans le disque<br />

de la galaxie par les champs magnétiques qui y règnent, typiquement de<br />

quelques µgauss, leur rayon de giration étant alors bien plus faible que la<br />

hauteur du disque. Au contraire à très haute énergie, les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

ont un rayon de giration tel qu’ils ne peuvent plus être confinés dans<br />

la galaxie. S’ils étaient cependant produits dans la galaxie, il ne serait<br />

pas possible d’obtenir le flux globalement isotrope observé. On s’attend<br />

donc à ce qu’ils soient d’origine extra-galactique. Le problème est de<br />

savoir où se situe la transition entre les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> galactiques<br />

<strong>et</strong> extra-galactiques. C<strong>et</strong>te question fait l’obj<strong>et</strong> de nombreux débats <strong>et</strong><br />

ce sont les études de composition à haute énergie qui perm<strong>et</strong>tront de<br />

trancher entre les différents modèles.<br />

– Comment se propagent-ils avant d’atteindre la terre?<br />

Quelles que soient les sources à l’origine du rayonnement cosmique, les<br />

observables dont nous disposons ne sont que la convolution du spectre<br />

source avec les eff<strong>et</strong>s liés à la propagation dans le milieu interstellaire.<br />

L’étude des sources est donc compliquée par la prise en compte des eff<strong>et</strong>s<br />

dus à la propagation, mais en contre partie, elle va perm<strong>et</strong>tre d’extraire<br />

des informations sur les milieux traversés par les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>. En<br />

eff<strong>et</strong>, les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> subissent des pertes d’énergie qui dépendent de<br />

leur nature <strong>et</strong> de leur énergie. Ces pertes sont liées aux densités de matière<br />

traversée <strong>et</strong> aux différentes interactions subies. <strong>Les</strong> pertes dominantes<br />

sont les pertes coulombiennes <strong>et</strong> d’ionisation, Bremsstrahlung inverse <strong>et</strong><br />

pertes par collisions, ainsi que les pertes avec les photons.<br />

Plus particulièrement les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> ultra-énergétiques (typiquement<br />

autour de 10 20 eV pour des protons) lors de leur propagation de leur<br />

site d’accélération jusqu’à la terre, interagissent avec les photons du fond<br />

diffus cosmologique qui remplissent uniformément l’univers (essentiellement<br />

par photoproduction de pions), <strong>et</strong> perdent de ce fait une partie<br />

de leur énergie. Comme le montre la figure 9, plus les particules sont<br />

énergétiques, plus les pertes d’énergies pendant leur propagation sont<br />

violentes.<br />

11


Fig. 9: Evolution de l’énergie en fonction de la distance parcourue pour des protons<br />

d’ultra-haute énergie<br />

Autrement dit, l’univers lointain doit être opaque aux particules ultra<br />

énergétiques <strong>et</strong> l’on s’attend à une coupure n<strong>et</strong>te du spectre au delà de<br />

7.10 19 eV pour des protons, que l’on appelle coupure GZK, pour Greisen,<br />

Zatsepin <strong>et</strong> Kuzmin qui ont prédit c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. L’énergie <strong>et</strong> aussi la forme<br />

de c<strong>et</strong>te coupure peuvent varier en fonction des hypothèses de calcul<br />

notamment en fonction des primaires considérés <strong>et</strong> des distributions des<br />

sources. La forme du spectre aux énergies extrêmes est donc cruciale pour<br />

la compréhension des phénomènes liés à la propagation.<br />

D’autre part, celle-ci est liée aux champs magnétiques. Si les champs<br />

magnétiques galactiques sont plutôt bien contraints par les différents<br />

modèles <strong>et</strong> observations, ce n’est pas le cas des champs magnétiques inter<br />

galactiques pour lesquels les estimations varient de quelques ordres de<br />

grandeur d’un modèle à l’autre. L’étude des anisotropies du rayonnement<br />

cosmique pourra certainement améliorer les contraintes sur ces valeurs.<br />

Le problème de la nature <strong>et</strong> de l’origine des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> est donc<br />

extrêmement complexe, car il m<strong>et</strong> en jeu les problèmes d’accélération <strong>et</strong> de<br />

propagation, ces deux aspects étant reliés à la composition. Il faut donc pour<br />

12


essayer de le résoudre étudier précisément toutes les observables accessibles,<br />

c’est à dire :<br />

– le spectre en énergie : la forme générale du spectre ainsi que les<br />

différentes cassures doivent pouvoir être expliquées par les différents<br />

modèles de production <strong>et</strong> de propagation des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>.<br />

L’extrémité du spectre à ultra haute énergie, qui souffre d’un réel<br />

manque de statistique dû aux flux extrêmement faibles, présente des<br />

<strong>enjeux</strong> particuliers. La forme du spectre dans c<strong>et</strong>te région soulève<br />

de nombreuses questions quant à l’origine de ces <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>.<br />

En particulier, la non observation d’une coupure au-delà de 10 20 eV<br />

serait en faveur de l’existence de nouvelles particules encore inconnues.<br />

Actuellement, la faible quantité d’événements dans c<strong>et</strong>te zone en énergie<br />

mesurée par des expériences utilisant des techniques différentes est<br />

controversée.<br />

– la composition : celle-ci est relativement bien connue jusqu’au TeV,<br />

comme nous le verrons dans la suite, mais à plus haute énergie, sa<br />

détermination est beaucoup plus complexe. La composition est un<br />

paramètre crucial dans les études de propagation.<br />

– les directions d’arrivée : les anisotropies dans les directions d’arrivée<br />

des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> donnent des indications sur les conditions de<br />

propagation <strong>et</strong> sur les sources d’accélération. C<strong>et</strong>te observable est<br />

particulièrement attrayante à ultra haute énergie, car on s’attend alors<br />

à ce que les particules ne soient quasiment plus sensibles aux champs<br />

magnétiques <strong>et</strong> pointent vers les sources d’origine, ce qui rendrait quasiment<br />

possible l’astronomie de particules chargées. On disposerait alors<br />

d’une sonde des champs magnétiques galactiques <strong>et</strong> inter galactiques.<br />

L’étude des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> est donc un champ de recherche très actif car<br />

de nombreuses questions sont encore à élucider. Nous allons dans les parties suivantes<br />

passer en revue les différents aspects de l’étude des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> qui<br />

ont été rapidement évoqués ici. Actuellement, un grand nombre d’expériences<br />

sont déployées dans le monde avec pour but la mesure de toutes les pièces<br />

manquantes du puzzle des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, avec des appareillages de plus<br />

en plus performants. Nous décrirons les principales techniques de détection di-<br />

13


ecte <strong>et</strong> indirecte <strong>et</strong> montrerons les progrès instrumentaux depuis la première<br />

détection des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>. Dans le paragraphe suivant, nous ferons une<br />

revue des observations en décrivant les caractéristiques du spectre en énergie<br />

puis en étudiant l’évolution de la composition en fonction de l’énergie <strong>et</strong> enfin<br />

en montrant comment les études d’anisotropies sont complémentaires des<br />

précédentes pour arriver à remonter à l’origine des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>.<br />

14


3 Evolution des techniques de détection<br />

Depuis la première découverte des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, les techniques de<br />

détection n’ont cessé de se développer, <strong>et</strong> les instruments dédiés aux <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong> sont devenus de plus en plus perfectionnés, perm<strong>et</strong>tant des mesures<br />

de plus en plus précises de leur énergie, masse <strong>et</strong> composition.<br />

<strong>Les</strong> premières mesures des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> ont été des mesures directes en<br />

altitude. Plus l’énergie augmente, plus les flux diminuent <strong>et</strong> comme on ne peut<br />

pas augmenter infiniment les surfaces de détection, il devient impossible d’effectuer<br />

des mesures directes au-delà de 10 15 eV. C’est grâce aux grandes gerbes<br />

atmosphériques que l’on peut effectuer des mesures à plus haute énergie. En<br />

fait, comme l’a compris très tôt Pierre Auger, le rayon cosmique initie par interaction<br />

avec les atomes de l’atmosphère une gerbe dont le nombre de particules<br />

<strong>et</strong> donc la taille croît avec l’énergie. Une gerbe de 10 20 eV engendre plus de 10 11<br />

particules au sol <strong>et</strong> couvre plusieurs dizaines de km 2 offrant ainsi une immense<br />

surface de détection. L’étude des caractéristiques des gerbes détectées perm<strong>et</strong><br />

de remonter indirectement aux paramètres du rayon cosmique primaire. Il s’agit<br />

alors de mesurer des gerbes de particules, le concept des détecteurs comme nous<br />

le verrons est tout à fait différent.<br />

Nous donnerons d’abord quelques exemples de l’évolution de la détection<br />

directe des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, puis nous donnerons un aperçu des techniques de<br />

détection indirecte.<br />

3.1 Techniques de détection directes<br />

Pour augmenter les chances de détection directement des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

primaires, il faut se placer le plus haut possible en altitude. Au début du siècle<br />

dernier, les physiciens embarquaient avec leurs détecteurs en ballon <strong>et</strong> sont<br />

même parvenus à des altitudes records de 16 km dans des cabines pressurisées.<br />

Ces vols habités, extrêmement périlleux, ont été remplacés p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it dans<br />

les années 40 par des ballons sondes, qui perm<strong>et</strong>taient d’atteindre la haute atmosphère.<br />

<strong>Les</strong> détecteurs les plus couramment utilisés dans ces vols étaient soit<br />

de type ”enregistreurs”, comme les émulsions nucléaires, soit de type ”visuel”,<br />

comme les chambres à brouillard, soit ”électronique” comme les compteurs<br />

Geiger.<br />

<strong>Les</strong> émulsions nucléaires, utilisées en couches multiples, d’épaisseur<br />

éventuellement différentes, ont l’avantage de perm<strong>et</strong>tre des mesures précises de<br />

15


composition. <strong>Les</strong> traces d’ionisation matérialisées dans les différentes couches<br />

du détecteur doivent être précisément mesurées pour identifier les différents<br />

ions. Ce type de technique implique de pouvoir récupérer le matériel embarqué<br />

afin d’en extraire les données. La figure 10 montre un exemple de traces correspondant<br />

à des ions de l’hydrogène au fer.<br />

Fig. 10: Traces typiques de différents ions dans des émulsions<br />

<strong>Les</strong> chambres à émulsions ont permis d’effectuer des mesures particulièrement<br />

précises (avec des résolutions atteignant 0.2 Z) <strong>et</strong> elles ont été<br />

utilisées encore récemment dans des expériences de ballon sonde comme JA-<br />

CEE [3] ou RUNJOB [2] pour des mesures entre 10 12 <strong>et</strong> 10 14 eV. La figure 11<br />

montre le principe de ce dernier détecteur.<br />

A partir des années soixante, le développement du programme spatial a<br />

ouvert de nouveaux horizons pour l’étude des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> : campagne<br />

de mesures longue durée par satellite, ou même vols habités dans les stations<br />

spatiales (SKYLAB, MIR, ISS).<br />

L’avancée de la technologie perm<strong>et</strong> d’utiliser de nouveaux type de<br />

détecteurs, comme les semi-conducteurs, ainsi que des scintillateurs munis de<br />

photomultiplicateurs. <strong>Les</strong> cristaux de germanium sont utilisés pour la détection<br />

de photons avec une excellente résolution en énergie. <strong>Les</strong> détecteurs Cherenkov<br />

sont adaptés aux mesures de vitesse <strong>et</strong> composition.<br />

16


Fig. 11: Principe du détecteur de l’expérience RUNJOB (1995)<br />

De manière générale, les détecteurs évoluent vers des systèmes complexes<br />

associant des mesures d’énergie <strong>et</strong> de masse. On utilise des calorimètres qui<br />

sont des combinaisons de détecteurs alternés avec des plaques de plombs, dans<br />

lesquels l’énergie déposée doit être proportionnelle à l’énergie de la particule<br />

incidente. <strong>Les</strong> spectromètres magnétiques, associés à des détecteurs gazeux,<br />

perm<strong>et</strong>tent des mesures de charge. Dans tous les cas, on est vite confronté à un<br />

problème de poids maximal <strong>et</strong> on ne peut avec ces systèmes faire des mesures<br />

de particules au-delà de 100 GeV/nucléon.<br />

Le premier satellite ”Proton”, lancé en 1965, qui pesait 12 tonnes, a permis<br />

de mesurer l’intensité <strong>et</strong> le spectre du rayonnement cosmique entre 50 MeV<br />

<strong>et</strong> 100 TeV. Il est resté en orbite pendant presque 3 mois entre 180 <strong>et</strong> 600<br />

km d’altitude. Un autre exemple est le le satellite ”HEAO-3” [4], équipé d’un<br />

spectromètre germanium couplé à des scintillateurs CsI, qui ne pesait ”que”<br />

3 tonnes. Lancé en 1979, il mesura pendant près de 2 ans le spectre <strong>et</strong> la<br />

composition chimique <strong>et</strong> isotopique des noyaux lourds du rayonnement cosmique,<br />

en utilisant le champ magnétique terrestre. <strong>Les</strong> détecteurs plus récents,<br />

comme BESS (the Balloon-borne Experiment with a Superconducting Solenoidal<br />

magn<strong>et</strong>) [5] ou HEAT-pbar (High Energy Antimatter Telescope) [6], sont<br />

équipés d’aimants supraconducteurs. Ces vols de ballon sonde de courte durée<br />

(de l’ordre de la journée) ont été plus spécialement dédiés à la mesure d’antimatière<br />

<strong>et</strong> d’isotopes légers. Des ballons de vol longue durée (de l’ordre du<br />

mois) comme CREAM [7], puis l’expérience AMS [11] qui sera installée sur<br />

l’ISS, devraient largement améliorer la statistique <strong>et</strong> la gamme en énergie (jus-<br />

17


qu’au TeV) de ces études.<br />

Pour étudier les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> à plus haute énergie, il faut faire appel<br />

aux techniques de détection indirectes.<br />

3.2 Techniques de détection indirecte<br />

L’atmosphère est un calorimètre dans lequel les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> interagissent<br />

en développant des gerbes de particules. Ces gerbes sont d’autant<br />

plus étendues dans l’espace que l’énergie du rayon cosmique est élevée. Elles<br />

produisent plusieurs millions voire des milliards de particules au sol, sur des<br />

surfaces qui peuvent atteindre plusieurs kilomètres. Pour c<strong>et</strong>te raison il est<br />

possible d’étendre à plus grande échelle ce qu’avait fait Pierre Auger, c’est à<br />

dire de répartir des détecteurs au sol afin qu’ils mesurent en coïncidence des<br />

particules de la gerbe. D’autre part, pendant le développement de la gerbe, il<br />

y a émission de lumière de fluorescence suite à l’excitation puis désexcitation<br />

des molécules de l’air. C<strong>et</strong>te lumière, qui peut être détectée par des télescopes<br />

dédiés, est proportionnelle au nombre de particules électromagnétiques de la<br />

gerbe. L’ émission Cherenkov dans l’air devra être prise correctement en compte<br />

pour l’utilisation de c<strong>et</strong>te technique. La détection de lumière Cherenkov est<br />

couramment utilisée pour la détection des gammas.<br />

3.2.1 <strong>Les</strong> réseaux de détecteurs au sol<br />

<strong>Les</strong> premiers réseaux de détecteurs au sol furent installés dans les années<br />

50. Le principe de la détection d’une gerbe est schématisé sur la figure 12. <strong>Les</strong><br />

particules de la gerbe se déplacent dans un disque, à la vitesse de la lumière. La<br />

mesure des temps d’entrée des particules dans les détecteurs donne la direction<br />

avec une précision d’environ 2 degrés, tandis que l’énergie est déduite des flux<br />

de particules détectés au sol. L’espacement entre les détecteurs fixe le seuil<br />

en énergie de l’expérience. Quant à l’énergie maximale, elle est essentiellement<br />

liée au flux attendu, à la surface couverte <strong>et</strong> au temps de fonctionnement du<br />

détecteur.<br />

<strong>Les</strong> premiers détecteurs de surface ont permis d’explorer les spectres en<br />

énergie au-delà de 10 14 eV. On peut citer un réseau de 91 compteurs Geiger<br />

Müller installé au Royaume Uni, qui couvrait à peu près 1 km 2 . Puis il y eu à<br />

la fin des années soixante le fameux détecteur Vulcano Ranch aux Etats-Unis<br />

qui couvrait environ 8 km 2 avec des scintillateurs, <strong>et</strong> qui mesura le premier<br />

événement dont l’énergie dépassait 10 20 eV, qui alerta la communauté des phy-<br />

18


Fig. 12: Schéma de principe d’un réseau de détecteurs au sol par Rossi <strong>et</strong> al<br />

siciens. On utilisa également l’eau comme détecteur en convertissant la lumière<br />

Cherenkov générée par la traversée des particules ultra relativistes dans une<br />

cuve d’eau équipée d’un photomultiplicateur. Le détecteur Haverah Park, qui<br />

couvrait 12 km 2 était un réseau avec ce type de cuves <strong>et</strong> a observé lui aussi<br />

un événement inattendu à ultra haute énergie. Le premier détecteur de surface<br />

dédié au spectre dans la zone de la cheville autour de 3.10 18 eV fut AGASA [9]<br />

qui pour cela couvrait déjà une surface impressionnante de 100 km 2 . AGASA<br />

était équipé de scintillateurs ainsi de quelques compteurs de muons, utilisés<br />

pour la détermination de la composition.<br />

Parmi les détecteurs au sol les plus sophistiqués, comprenant des détecteurs<br />

de muons <strong>et</strong> d’électrons <strong>et</strong> photons, il faut citer EASTOP [13] <strong>et</strong> KASKADE<br />

[16] (suivi de KASKADE grande). Ces deux expériences étaient dédiées à la<br />

fameuse zone du genou <strong>et</strong> se sont notamment intéressées aux études de composition.<br />

3.2.2 <strong>Les</strong> télescopes à fluorescence<br />

L’autre technique de détection des gerbes couramment utilisée est le<br />

télescope à fluorescence. L’observation de la lumière de fluorescence dans le<br />

19


ciel grâce à des télescopes perm<strong>et</strong> de reconstituer le profil longitudinal <strong>et</strong> la<br />

géométrie de la gerbe. On peut ainsi mesurer son incidence, son énergie <strong>et</strong><br />

accéder à sa composition. Le premier télescope de ce type était le Fly’ Eyes.<br />

Il a été suivi de Hires [10], équipé de deux télescopes, prévu pour multiplier<br />

par 10 la statistique du précédent <strong>et</strong> qui a pu explorer la composition aux plus<br />

hautes énergie. L’avantage de ce type de détecteur est que sa mesure d’énergie<br />

dépend très peu des modèles hadroniques. L’inconvénient est son cycle utile qui<br />

n’est en moyenne que de 10% car il ne peut fonctionner que les nuits claires <strong>et</strong><br />

sans lune.<br />

3.2.3 L’Observatoire Pierre Auger, un détecteur hybride géant<br />

Lorsque l’on veut étudier l’extrémité à haute énergie du spectre, la seule<br />

solution pour palier au manque de statistique est d’avoir une surface de mesure<br />

gigantesque. C’est ce qu’a réalisé la collaboration Pierre Auger en Argentine, en<br />

installant un observatoire couvrant plus de 3000 km 2 de surface, qui a l’avantage<br />

d’associer deux modes de détection : un réseau de cuves à eff<strong>et</strong> Cherenkov<br />

au sol <strong>et</strong> un ensemble de 4 télescopes à fluorescence sur le pourtour du site.<br />

Ce détecteur a optimisé ses performances en tirant profit de l’expérience de<br />

ses ”aînés”. De plus, son caractère hybride perm<strong>et</strong> un étalonnage croisé des<br />

deux systèmes de détection. C<strong>et</strong> observatoire va pouvoir très prochainement<br />

donner des résultats apportant des éléments de réponse sur l’origine des <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong>.<br />

3.2.4 <strong>Les</strong> télescopes radio<br />

Lors du développement des gerbes dans l’atmosphère, les paires e + e −<br />

créées, essentiellement focalisées le long de la trajectoire du primaire, génèrent<br />

des impulsions électromagnétiques cohérentes mesurables par des détecteurs<br />

radio adaptés. Ces impulsions pourraient être analysées <strong>et</strong> corrélées aux paramètres<br />

caractéristiques des gerbes. C<strong>et</strong>te technique avait été explorée puis<br />

abandonnée par les physiciens il y a une trentaine d’année, mais les progrès<br />

de l’électronique offrent aujourd’hui de nouvelles possibilités <strong>et</strong> l’espoir de pouvoir<br />

analyser avantageusement ces signaux. Des expériences prototypes utilisent<br />

actuellement des antennes dédiées, en coïncidence avec des détecteurs de surface,<br />

pour essayer de valider la possibilité d’étudier les gerbes avec ce type de<br />

détecteurs [14, 15].<br />

20


3.2.5 <strong>Les</strong> détecteurs du futur<br />

Dans un futur proche, l’observatoire Auger Nord devrait mesurer le flux des<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> d’ultra-haute énergie depuis l’hémisphère Nord (Colorado,<br />

USA) en essayant d’accroître encore les surfaces de détection par rapport à<br />

l’observatoire Sud. Il sera également l’hybride <strong>et</strong> il n’est pas exclu d’y inclure<br />

la radio détection si les études de faisabilité sont concluantes.<br />

Dans un futur plus lointain, des proj<strong>et</strong>s envisagent de détecter la fluorescence<br />

des gerbes depuis l’espace, soit depuis l’ISS, soit par satellite, comme<br />

GEM-EUSO [20] ou OWL [21].<br />

21


4 Une revue des observations<br />

Avant de parler des observations, nous allons définir clairement la notion de<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> primaires <strong>et</strong> secondaires. Nous appellerons ”<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

primaires” les particules chargées venant de l’espace <strong>et</strong> ayant été accélérées dans<br />

des sites astrophysiques. Il s’agit essentiellement de protons, d’électrons <strong>et</strong> des<br />

noyaux créés au cours de la nucléosynthèse primordiale. <strong>Les</strong> ”<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

secondaires” sont les particules produites tout au long du parcours des <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong>. Il s’agit donc des éléments issus des réactions de spallation ou de<br />

tout autre processus exotiques auxquels sont soumis les primaires dans le milieu<br />

interstellaire, c’est à dire des noyaux, protons, électrons, mais aussi des neutrons<br />

<strong>et</strong> anti-particules. Ces particules secondaires apportent des informations essentielles<br />

sur les conditions de propagation. Il est important de bien différencier ces<br />

”<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> secondaires” décrits ci-dessus des ”particules secondaires”<br />

qui sont les particules produites dans l’atmosphère terrestre, essentiellement<br />

dans les grandes gerbes qui sont les outils clés pour la détection des <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong>.<br />

4.1 Mesures directes <strong>et</strong> indirectes<br />

Comme nous l’avons dit précédemment, au-delà de 10 15 eV, le flux des<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> est trop faible pour pouvoir étudier les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> par<br />

des mesures directes en altitude. C’est grâce aux grandes gerbes atmosphériques<br />

que l’on peut effectuer des mesures à plus haute énergie. <strong>Les</strong> grandes surfaces<br />

couvertes par les centaines de millions de particules issues des gerbes perm<strong>et</strong>tent<br />

de compenser en partie la faiblesse des flux, puisque plus l’énergie du primaire<br />

est élevée <strong>et</strong> plus l’empreinte au sol de la gerbe sera grande. <strong>Les</strong> caractéristiques<br />

des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> primaires sont alors déterminées de manière indirecte. La<br />

détermination de l’énergie <strong>et</strong> de la composition des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> primaires<br />

est alors liée à la connaissance du développement de la gerbe dans l’atmosphère<br />

<strong>et</strong> donc à des modèles hadroniques. Ces derniers sont basés sur des études faites<br />

auprès d’accélérateurs, mais doivent faire appel à des extrapolations dans les<br />

domaines en énergie inaccessibles aux accélérateurs. <strong>Les</strong> expériences auprès de<br />

LHC vont bientôt perm<strong>et</strong>tre de contraindre à plus haute énergie ces modèles,<br />

<strong>et</strong> donc de gagner en précision sur les analyses de gerbes.<br />

La composition est un paramètre très sensible aux modèles hadroniques, <strong>et</strong><br />

fait l’obj<strong>et</strong> d’études complexes qui ne seront pas détaillées ici. <strong>Les</strong> résultats de<br />

23


composition qui seront donnés dans la partie suivante sont essentiellement ceux<br />

de basse énergie, issus d’études directes précises.<br />

4.2 <strong>Les</strong> caractéristiques du spectre en énergie<br />

Le spectre global des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> que nous avons présenté figure 5<br />

s’étend sur plus de 12 ordres de grandeur en énergie en décroissant globalement<br />

suivant une loi de puissance en K E −γ avec γ = 2.7 en première approximation.<br />

Nous allons passer en revue rapidement les particularités de ce spectre en<br />

énergie.<br />

– Aux énergies inférieures à 10 GeV, 90% des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> sont des<br />

nucléons <strong>et</strong> des noyaux. Ils sont fortement affectés par les vents solaires<br />

qui limitent leur propagation jusqu’à la terre. Leur flux est donc sensible<br />

aux cycles solaires, comme le montre la figure 13 sur laquelle on observe<br />

qu’il varie en anti-coïncidence avec l’activité solaire.<br />

Fig. 13: Intensité de l’activité solaire (a) <strong>et</strong> intensité du flux des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> (b)<br />

en fonction du temps<br />

– Si l’on s’intéresse à la partie du spectre à un peu plus haute énergie,<br />

jusqu’à 100 GeV, le flux des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, suffisamment intense, a<br />

permis des mesures directes précises d’énergie <strong>et</strong> de composition grâce à<br />

des détecteurs embarqués en ballons ou satellites. Dans ce domaine en<br />

énergie, les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> comprennent 86% de protons, 13% d’He <strong>et</strong><br />

24


1.4 % de noyaux de Z>2. On compte également environ 1% d’électrons<br />

<strong>et</strong> 10 −4 - 10 −5 d’antiprotons.<br />

– Autour de 10 15 eV, le flux n’est plus que d’une particule par seconde <strong>et</strong><br />

par m 2 , le spectre montre une rupture de pente, appelée communément le<br />

”genou”. Dans c<strong>et</strong>te zone en énergie, les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> sont d’origine<br />

galactique, mais leur composition mixte (protons <strong>et</strong> noyaux), encore<br />

controversée, fait encore l’obj<strong>et</strong> d’expériences dédiées. L’interprétation de<br />

c<strong>et</strong>te cassure est au coeur de débats d’actualité, car selon les modèles, elle<br />

pourrait être soit liée aux processus d’accélération <strong>et</strong> à un changement<br />

de composition à la source, soit traduire un changement de régime dans<br />

la propagation [30]. La bonne connaissance de la composition dans c<strong>et</strong>te<br />

région est donc particulièrement cruciale.<br />

– Une autre zone d’inflexion, la ”cheville”, apparaît autour de 3. 10 18<br />

eV. L’origine de c<strong>et</strong>te inflexion n’est pas encore connue mais différentes<br />

théories tentent de l’expliquer. Elle pourrait être due à une transition<br />

entre une origine galactique <strong>et</strong> extragalactique des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong><br />

[29, 28]. La connaissance de la composition est ici aussi un élément<br />

essentiel de l’analyse.<br />

– La situation aux énergies extrêmes est encore plus confuse en raison du<br />

manque de statistique. L’acquisition de statistique est en cours. Un des<br />

<strong>enjeux</strong> à ces énergie est l’observation de la coupure GZK.<br />

Actuellement, les physiciens consacrent beaucoup d’effort à la mesure des<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> au delà du TeV où beaucoup de questions restent posées. Nous<br />

allons dans la partie suivante nous intéresser aux différents flux de particules<br />

composant les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, aux énergies où les mesures ont déjà pu être<br />

effectuées.<br />

4.3 Composition du rayonnement cosmique primaire <strong>et</strong> secondaire<br />

Comme nous l’avons dit précédemment, le flux des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> est<br />

dominé par les protons.<br />

<strong>Les</strong> électrons <strong>et</strong> positrons sont également présents, en moyenne 100 fois<br />

25


moins abondants. Ils proviennent soit de la désintégration des pions chargés,<br />

eux mêmes étant produits lors de l’interaction des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> (essentiellement<br />

des protons) avec le milieu interstellaire, soit par photoproduction de<br />

paires. En raison des pertes d’énergie qu’ils subissent par rayonnement synchrotron<br />

<strong>et</strong> Compton inverse, on ne voit que ceux qui proviennent de sources<br />

de l’environnement local c’est à dire à moins de quelques 100 parsec de la<br />

terre. <strong>Les</strong> spectres de 100 MeV à 1000 GeV suivent une loi de puissance avec<br />

γ = 2. Jusqu’à 30 GeV, on a pu montrer qu’il n’ y a que 10% de positrons.<br />

C<strong>et</strong>te asymétrie provient de ce que les muons créés par la décroissance des<br />

pions chargés sont polarisés <strong>et</strong> de ce fait produisent plus d’électrons dans leur<br />

processus de désintégration. A plus haute énergie les spectres sont moins bien<br />

connus.<br />

La mesure des flux des différents noyaux composant le rayonnement cosmique<br />

est particulièrement intéressante, car elle illustre les eff<strong>et</strong>s liés à leur<br />

propagation.<br />

Fig. 14: Abondances des noyaux z


des anti-particules.<br />

Ainsi on peut considérer que le taux de LiBeB accumulé dans la galaxie est<br />

proportionnel à l’âge de la galaxie. D’autre part, le taux de noyaux secondaires<br />

sur primaires apporte des informations sur les quantités de matière traversées. Il<br />

a ainsi été estimé que les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> traversent en moyenne une épaisseur<br />

de X RC = 6-10 g/cm 2 , des sources à la terre. L’étude de la composition donne<br />

accès également à de véritables horloges <strong>cosmiques</strong> : on peut citer l’exemple de<br />

la production par spallation du C de Be 9 <strong>et</strong> Be 10 , le premier étant stable <strong>et</strong> le<br />

second instable (période de 4 Millions d’années). Le rapport des abondances<br />

de 10 Be <strong>et</strong> de 9 Be dépend de l’histoire de la production du noyau secondaire<br />

<strong>et</strong> notamment des sections efficaces. Leur étude perm<strong>et</strong> alors de relier le temps<br />

<strong>et</strong> la quantité de matière traversée. En eff<strong>et</strong>, on a pu estimer à τ RC ≈ 2 10 7<br />

années le temps nécessaire à traverser l’épaisseur moyenne X RC . On peut donc<br />

en déduire que les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> se sont propagés dans un milieu de densité<br />

moyenne η = X RC /t RC ≈ 0.2 part. cm −3 , plus faible que celle du disque de la<br />

galaxie, ce qui indique qu’ils ont nécessairement passé du temps dans le halo.<br />

Parmi les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> secondaires, une faible proportion d’antiprotons<br />

d’énergie inférieure à 2 GeV a été mesurée. Le rapport de leur abondance<br />

par rapport à celle des protons (environ 1/2000) est en accord avec la<br />

production de paires p¯p dans les interactions hadroniques lors du passage de<br />

protons dans le milieu interstellaire.<br />

On attend aussi des neutrons, qui ont l’avantage de se propager en ligne<br />

droite, mais qui ont une durée de vie de l’ordre de 15 mn, c’est à dire 10 11 s<br />

à 10 18 eV. Leur parcours est donc limité à 10 kparsec, ce qui correspond typiquement<br />

au centre de la galaxie. Un excès de <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> provenant du<br />

centre galactique pourrait donc être la signature d’un flux de neutrons, mais<br />

jusqu’ici, rien n’a été clairement observé par les expériences.<br />

On peut également considérer comme rayon cosmique secondaire le flux de<br />

photons provenant de la décroissance des pions neutres. Ces photons font l’obj<strong>et</strong><br />

de nombreuses études indirectes des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, que nous n’aborderons<br />

pas dans ce cours, puisque nous nous contenterons des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> au<br />

sens strict des particules chargées.<br />

On peut également citer les neutrinos qui sont produits lorsque les pions<br />

chargés décroissent en positrons <strong>et</strong> électrons. Leur énergie est estimée à quelques<br />

dizaines de MeV mais ils n’ont pas encore été observés.<br />

27


4.4 <strong>Les</strong> particules secondaires issues des grandes gerbes atmosphériques<br />

Comme nous l’avons dit plus haut, au-delà de 10 15 eV , les <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong> sont détectés grâce aux grandes gerbes atmosphériques qu’ils<br />

développent. L’étude de leurs caractéristiques passe donc par la connaissance<br />

du développement de ces gerbes <strong>et</strong> des flux de particules qui seront détectées<br />

au sol .<br />

La figure 15 montre le flux des différents types de particules présents dans<br />

les gerbes en fonction de la profondeur atmosphériques, estimé à partir du flux<br />

des nucléons de plus de 1 GeV suivant l’équation :<br />

I(E) = 1.8 × E −α ∗ N nucleons /(cm 3 s sr GeV ) (1)<br />

Fig. 15: Flux estimés des différentes particules composant les gerbes (voir texte)<br />

<strong>Les</strong> points expérimentaux superposés aux courbes correspondent à des mesures<br />

de µ + au-delà de 1 GeV.<br />

Dans c<strong>et</strong>te partie, nous allons passer en revue les différentes composantes<br />

des gerbes <strong>et</strong> leurs caractéristiques.<br />

28


4.4.1 Composante hadronique des gerbes<br />

Dès la première interaction du noyau ou nucléon primaire avec un atome<br />

de l’atmosphère, est générée la partie hadronique de la gerbe. Typiquement, un<br />

atome de Fe sous incidence verticale interagit à une altitude d’environ 28km.<br />

La probabilité que c<strong>et</strong> atome soit encore présent à 10 km est de moins de 1% <strong>et</strong><br />

d’environ 2 fois moins pour des particules α. C<strong>et</strong>te interaction génère des fragments<br />

nucléaire ainsi que des mésons (pions <strong>et</strong> kaons) chargés <strong>et</strong> neutres ainsi<br />

que des neutrons. <strong>Les</strong> pions chargés continuent à interagir <strong>et</strong> créent d’autres<br />

pions chargés <strong>et</strong> neutres<br />

Des hadrons secondaires chargés ont pu être détectés jusqu’à 10 6 GeV, grâce<br />

à des détecteurs embarqués dans Concorde (17 km d’altitude) ou dans un DC8<br />

(10 km d’altitude). Des mesures en haute montagne en anti-coïncidence ont pu<br />

m<strong>et</strong>tre en évidence des hadrons ”survivants” non accompagnés.<br />

La composante hadronique comprend également des neutrons provenant de<br />

la désexcitation des noyaux de l’atmosphère. Des mesures de neutrons (jusqu’à<br />

10 MeV) ont pu être effectuées. Leur flux est maximal à 16 km <strong>et</strong> décroît pour<br />

atteindre environ 1 neutron de 1 GeV/m2/s au niveau de la mer. La proportion<br />

de neutron par rapport aux particules chargées à faible altitude diminue quand<br />

l’énergie augmente.<br />

4.4.2 Composante muonique des gerbes<br />

La composante muonique des gerbes est alimentée par la désintégration<br />

des pions ou kaons chargés en dessous de 9 GeV. C’est la composante la plus<br />

pénétrante du rayonnement cosmique. Elle contient aussi des neutrinos de basse<br />

énergie. <strong>Les</strong> muons traversent de larges épaisseurs de matières <strong>et</strong> ils font l’obj<strong>et</strong><br />

d’études souterraines dans des mines (Kolar Gold) ou laboratoires (FREJUS,<br />

GRAN SASSO) <strong>et</strong> sous-marines jusqu’à 3000 mètres de profondeur. On a pu<br />

ainsi mesurer des muons jusqu’à 10000 GeV.<br />

L’essentiel de ces particules ont des énergies inférieures à 10 GeV. L’énergie<br />

moyenne des muons détectés augmente avec l’inclinaison des gerbes car<br />

l’épaisseur d’atmosphère à grande angle pénalise les énergies les plus faibles.<br />

<strong>Les</strong> muons sont les particules chargées les plus abondantes au niveau de la<br />

mer. On compte 25% plus de muons positifs que de négatifs comme le montre<br />

la figure 16. Ce rapport est relié à la charge du primaire.<br />

De manière générale, le contenu en muons des gerbes dépend de la nature<br />

de primaire, ce qui rend l’étude des flux de muons très importante dans la<br />

29


Fig. 16: Flux des µ + <strong>et</strong> µ − mesurés par l’expérience CAPRICE 94 [22] à 3.9 g/cm 3<br />

recherche de la composition des RC primaires.<br />

4.4.3 Composante électromagnétique des gerbes<br />

La composante électromagnétique des gerbes est alimentée par la<br />

désintégration des pions neutres en deux photons, ceux-ci générant des paires<br />

e + <strong>et</strong> e − . A leur tour, les électrons <strong>et</strong> positrons donnent naissance à un photon<br />

par rayonnement Bremstrahlung, entr<strong>et</strong>enant la cascade. Le nombre de particules<br />

créées est proportionnel à l’énergie du primaire. Le flux des e + <strong>et</strong> e −<br />

décroît quand l’énergie augmente, il est 100 fois plus faible à 1 GeV qu’à 10<br />

MeV. Ces particules ont des sources multiples, puisque à celles créées en altitude<br />

dans les cascades décrites, s’ajoutent celles générées par la décroissance<br />

des muons au sol. Leur dépendance angulaire est donc très complexe à évaluer.<br />

Lors du développement de la cascade électromagnétique, les molécules d’azote<br />

de l’air sont excitées. Elles se désexcitent en ém<strong>et</strong>tant des photons de longueur<br />

d’onde caractéristique, qu’on appelle la lumière de fluorescence.<br />

La composante électromagnétique est extrêmement focalisée autour de l’axe<br />

de la gerbe, c’est pour cela que la détection de lumière de fluorescence perm<strong>et</strong> de<br />

mesurer précisément le plan de la gerbe. D’autre part, elle emporte environ 90%<br />

de l’énergie du primaire. L’intégrale de la lumière détectée est proportionnelle<br />

30


aux nombres de particules dans la composante électromagnétique <strong>et</strong> donc à<br />

l’énergie du primaire.<br />

La mesure de la composante électromagnétique est donc fondamentale dans<br />

l’estimation de l’énergie du primaire.<br />

4.5 <strong>Les</strong> anisotropies du rayonnement cosmique<br />

L’étude des d’anisotropies dans les directions des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, qui<br />

inclut leur évolution avec l’énergie, est intimement liée à la compréhension de<br />

la propagation <strong>et</strong> aussi, à plus haute énergie, à l’identification des sources,<br />

elle est donc cruciale pour éclaircir leur origine. Toute anisotropie reflète un<br />

mouvement, qui peut être soit celui des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, soit du systeme<br />

terre/soleil par rapport à un gaz isotrope au repos. Nous allons étudier, pour<br />

les différents domaines en énergie, les différents <strong>enjeux</strong> liés aux anisotropies.<br />

– Jusqu’à 10 17 eV, comme cela a été dit précédemment, on s’attend à<br />

ce que les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> soient d’origine galactique. Comme ce sont<br />

essentiellement des particules chargées, elles ne pointent pas vers leurs<br />

sources car elles sont défléchies <strong>et</strong> isotropisées par les champs magnétiques<br />

galactiques. Dans c<strong>et</strong>te gamme en énergie, l’étude des anisotropies à<br />

grande échelle perm<strong>et</strong> d’extraire des informations directes sur la propagation<br />

des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, à priori de caractère diffusif, qui dépend<br />

du coefficient local de diffusion <strong>et</strong> du gradient local de <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>.<br />

Dans ce domaine en énergie on s’attend à ce que le coefficient de diffusion<br />

augmente avec l’énergie. Notamment, si la cassure du genou est<br />

liée à la diffusion avec une évolution du confinement dans la galaxie, la<br />

mesure de la variation de l’anisotropie peut perm<strong>et</strong>tre de discriminer les<br />

modèles de propagation. Au contraire, si le genou est lié à un changement<br />

de l’accélération à la source, on n’attend pas de changement d’anisotropie<br />

dans c<strong>et</strong>te région.<br />

Entre 1 <strong>et</strong> 100 TeV, les expériences telles que EAS-TOP[23] ou Macro[24]<br />

ont mesuré des amplitudes d’anisotropies avec une phase correspondant<br />

à un excès en direction du plan galactique, compatibles avec l’hypothèse<br />

de propagation des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> diffusive à grande échelle dans la<br />

galaxie. Dans c<strong>et</strong>te gamme d’énergie, l’amplitude de l’anisotropie ne varie<br />

pas avec l’énergie.<br />

Au-delà de 100 TeV, la statistique est plus limitée <strong>et</strong> les premières<br />

31


observations ne sont pas en accord avec les plus récentes.<br />

– Autour de 10 18 eV, lorsque le rayon de giration des particules (dans le<br />

cas de protons) devient comparable à l’épaisseur du disque de la galaxie,<br />

les mouvements diffusifs ne sont plus dominants. On attend alors une<br />

forte augmentation de l’anisotropie en direction du disque galactique,<br />

dans l’hypothèse où les sources sont distribuées majoritairement dans le<br />

plan galactique.<br />

L’expérience AGASA a mesuré autour de 10 18 eV un excès vers le centre<br />

galactique [25], qui pourrait être lié aux excès mesurés par Fly Eyes vers<br />

le plan galactique <strong>et</strong> par SUGAR [26]vers le centre galactique(à quelques<br />

degrés de celui d’AGASA). Ces mesures, dont la compatibilité nécessite<br />

d’être confirmée, pourraient signer un flux de neutrons en provenance<br />

du centre galactique, mais elles pourraient aussi indiquer que les <strong>rayons</strong><br />

<strong>cosmiques</strong> à c<strong>et</strong>te énergie sont toujours galactiques. Toutefois, elles n’ont<br />

pas été confirmées par l’expérience Auger[27].<br />

– Au delà de 10 18 eV<br />

A ces énergies, on s’attend à ce que les <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>, puisqu’ils proviennent<br />

de l’extérieur de la Galaxies, soient isotropisés <strong>et</strong> ne présentent<br />

pas d’anisotropie à grande échelle. Toutefois, aux plus hautes énergies,<br />

les particules chargées ne sont quasiment plus déviées par les champs<br />

magnétiques <strong>et</strong> on s’attend alors à ce qu’elles pointent vers leurs sources<br />

d’origine. <strong>Les</strong> contraintes actuelles sur les champs magnétiques prédisent<br />

qu’au delà de 4. 10 19 eV, il soit possible de faire de l’astronomie avec les<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>. L’Observatoire Pierre Auger est dédié à l’étude des<br />

<strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong> dans ce domaine en énergie avec une large statistique<br />

<strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tra peut être de valider ces prédictions, ce qui serait un pas<br />

énorme vers la compréhension de l’origine des <strong>rayons</strong> <strong>cosmiques</strong>.<br />

Ouvrages références<br />

– Cosmic Rays and Particle Physics, Gaisser, T. K., Cambridge University<br />

Press, 1990.<br />

– High Energy Astrophysics, I, Malcom S. Longair<br />

32


Références<br />

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L194,1997.<br />

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[18] Abbasi R U <strong>et</strong> al,. 2004, Phys. Rev. L<strong>et</strong>t. 92, 151101.<br />

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[22] Boezio <strong>et</strong> al, Phys.Rev.L<strong>et</strong>t. 82 4757 (1999) ;<br />

[23] Agli<strong>et</strong>ta, M. <strong>et</strong> al, (EAS-TOP coll.) 1996, Ap. J., 470, 501<br />

[24] Ambrosio M. <strong>et</strong> al, (MACRO coll.) 2003, Phys. Rev. D67, 042002<br />

[25] N. Hayashida <strong>et</strong> al. (AGASA Collaboration) ICRC 1999, Salt Lake City,<br />

OG.1.3.04, [astro-ph/9906056].<br />

[26] J. A. Bellido <strong>et</strong> al., Astropart. Phys. 15, 167 (2001) [astro-ph/0009039].<br />

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[27] Anisotropy studies around the galactic centre at EeV energies with the<br />

Auger Observatory<br />

The Pierre Auger Collaboration<br />

Astroparticle Physics 27 (2007) 244-253, astro-ph/0607382<br />

[28] Aloisio <strong>et</strong> al, Astroparticle Physics, Volume 27, Issue 1, p. 76-91<br />

[29] On the transition from Galactic to extragalactic cosmic-rays : spectral and<br />

composition features from two opposite scenarios<br />

D. Allard, E. Parizot, A. V. Olinto<br />

astro-ph/0512345 (Dec 2005)<br />

[30] K.H.Kampert, Nucl.Phys.Proc.Suppl.165 :294-306, 2007<br />

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