.Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

Revue de Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa~Dentro de la Prensa-Basm Özeti
« Saddam, un moderne Saladin'? On en rit, d'un rire amer »'
Pourquoi les Arabes
ne bougent pas .
--.par Ge'orges Corm* 0
LèS grandes manifestations de rue, c'est fini. Car les peuples arabes ont peur, en rompant
l'équilibre fragile de leurs gouvernements, de sombrer dans le chaos
-J
Le Nouvel Observateur. - Ce samedi, dans le
monde entier" des millions de manifestants ont défilé
contre la guerre. Mais on n'a rien vu, rien entendu
dans les capitales arabes, pourtant directement ,
concernées. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Georges Corm. - En effet, on a compté à
Beyrouth environ 10000 personnes mais peu
en Syrje Ou en Egypte, et le Maghreb arabe n'a
pratiquement pas bougé. Pourquoi? Parce
qu'on n'y croit plus. Nous avons beaucoup manifesté
depuis deux ans en faveur de l'Intifada
palestinienne. Sans aucun efIèt : nos gouvernements
sont restés totalement
passifs, totalement soumis aux
volontés du grand oncle américain.
Alors pourquoi bouger?
Pour se faire taper dessus?
N. O. - Pendant la première
guerre du Golfe, pourtant, les
réactions populaires avaient été
massives en faveur de l'Irak,
malgré une répression policière
parfois très dure.
G. Corm. - L'image de Saddam
Hussein est aujourd'hui complètement
ternie. Lui, un moderne
Saladin? On en rit, d'un rire
amer. Les opinions arabes ne
sont pas stupides. Elles se rendent
bien çompte de ce que valent
leurs propres régimes
politiques, en particulier le régime
irakien qui n'a plus aucun crédit. rajouterai
un autre argument. Tout le monde sait
qu'aujourd'hui ilsuffirait d'une forte poussée de
fièvre populaire pour créer un climat révolution7
naire susceptible de faire tomber nos gouvernements
corrompus. Mais pour aller vers quoi ? Il
n'y a pas de relève, pas d'alternative. Rien que la
perspective d'un saut dans l'inconnu qui effraie,
à juste titre : on a vu dans quel chaos sanglant
avaient sombré le Liban, l'Algérie. Nos pays
sont dans un tel état de fatigue, de dégoût et de
divisions internes, la situation économique est si
désastreuse que non seulement les gouvernements
mais aussi les populations ont peur de
tout ce qui risque de dégénérer eil violences incontrôlables.
Alors on s'abstient.
N. O. - Cette passivité ...
G. Corm. - Il ne s'agit pas de passivité ou de
résignation! L'exaspération contre l'Amérique
et contre Israël a atteint ùn niveau jamais vu. N. O. - Une guerre américaine en Irak le réveille':'
Les images de chars israéliens détruisant des rait-elle? Au béné.fke de qui? De Ben Laden?
maisons à Jénine ou des inspecteurs de l'ONU G. Corm. - Tout dépendra de la durée de la
interrogeant, comme des criminels, des ingé-' guerre, du nombre de victimes, du résultat
nieurs irakiens, provoquent dans tout le monde final. Evidemment, une guerre ne pourra ,
arabe des sentiments très forts d'humiliation" ' qu'accentuer le processus qui depuis des ande
frustration. Mais les sociétés civiles se sen- nées «( ronge ) les régimes arabes de l'intérieur.
tent dans une impasse. On dirait qu'elles sont Qui en profitera? ,Pas forcément le terrorisme
tétanisées, «( ossifiées I) sur leurs strates trauma- islamiste, encore réduit pour le moment à la
tiques. Cette région est un volcan qui, depuis portion congrue dans tes pays arabes:
quelques années, ne crache plus de feu. En N. O. - La jonction entre l'a'!tiaméricanisme et le
1982, Beyrouth, grande capitale arabe, a été benladénisme est-elle déjà faite, ou pas encore?
G. Corm. -, Pas encore. Pour
toute personne familière du vocabulaire
et du monde imaginaire
des milieux islamistes purs
et durs, on voit bien que le dernier
message de Ben Laden appelant
à sputenir Saddam
«l'apostat» n'est pas un texte au- ,
Manifestation antiaméricaine' en
Palestine le 14, février. « Cette régi6n ,
est un volcan qui, depuis quelques
ai1née~,ne crache' plus de feu~.. M.ai~"
cela ne signifie pas qu'il soit éteint. »
.soumise pendant trois mois à des bombardements
qui ont fait 20 000 morts. Personne n'a
bougé un cil. L'Irak a connu la guerre avec
l'Iran -l'équivalent en nombre de morts de la
guerre de 1914-1918 en Europe -, puis la première
guerre du Golfe, puis un embargo destructeur.
En Egypte, en Jordanie; au Liban, en
Syrje, les régimes ont survécu aux pires défaites
et aux guerres les plus sanglantes. La Palestine
vit sous nos yeux un calvaire quotidien. Et
alors ? Rien. Mais cela ne signifie pas que le
volcan soit éteint.
thentique, qu'il ne peut en tout
cas avoir aucun impact sur les
fanatiques auxquels il s'adresse.
La plupart des gens raisonnables
dans cette région du monde, et
ils sont quand même nombreux,
vomissent Ben Laden et détestent
Saddam Hussein, tout en
~ pensant qu'une guerre améri-
J caine ne réglera aucun de leurs
;Il problèmes. D'où leur angoisse,
, ' leur désespoir, leur scepticisme
,aussi. Ils viennent malgré tout d'enregistrer
, quelques signes positifs: en défilant par millions
, pour empêcher une guerre contre un pays
" ,'arabe, les démocraties occidentales cassent la vi-
" sion islamiste d'un monde opposant forcément
les musulmans aux non-musulmans. De même,
l'appel du pape, la visite du cardinal Etchegaray
à Saddam Hussein et celle de Tarek Aziz au
pape, tout cela démolit l'argument idiot de la
, croisade chrétienne contre l'islam.
Mais ce qui est intolérable ici, bien plus dangereux
que Ben Laden, c'est ce qui se dessine
partout et d'abord chez nous: une domination
insensée de l'Amérique, nouvelle puissance hégémonique
du XXI' siècle.
Propos recueillis par JOSE1TE ALIA
(") Economisre libanais, aUIeur du « Proche-Orient
éclaré " Folio, er de f l'Europe erl'Orienr, histoire d'une
modernité inlUCOmplie», la Découverte.
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