.Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

Revue de Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro
de la Prensa-Baszn Özeti
prise de conscience par l'Amérique de la nature
de sa place dans l~ moride marquée par une
forte capacité à se démultiplier. Mais il ne faut
. pas, comme Paul Kagan, surestimer le pouvoir
de l'appareil militaire. Contrairement à l'idée
. reçue, je ne crois pas que les Etats-Unis puissent
gérer simultanément deux ou trois crises
de forte ampleur mais de nature différente. Ce
qui était possible pendant la Seconde Guerre
. mondiale, avec un défi mondial structuré autour
de l'axe italo-germano-japonais, serait
. beaucoup plus difficile avec deux crises. simul~
tanées, mais de nature différente, en Irak et en
Corée du Nord. OI).ne peut focaliser un appareil
d'Etat et une population sur deux défis, dès
lors que ceux-ci ne font pas partie d'un même
ensemble.
N. O. - Les Américains peuvent-ils gagner sans
difficulté une guerre contre l'Irak ? ...
.F. Heisbourg. - Cette guerre, qui verra un
certainnorribre d'innovations de l'art militaire,
. sera en tout cas différente de la première guerre
du Golfe. Les phases aérienne et terrestre seront
probablement simultanées alors qu'en
1991 il y avait eu d'abord cinq semaines de
guerre aérienne puis quatre jours de guerre terrestre.
Nous verrons aussi l'emploi massif,
comme. en Afghanistan, de munitions intelligentes,
c'est-à-dire d'armes de grande précision
par rapport à la cible concernée. Autre innova-
. tion, l'emploi sur une grand échelle de ces
.armes «( non létales I), qui ne sont faites ni pour
.tuer ni même pour détruire mais pour mettre
.hors service: nous en avons eu un aperçu à
.•Belgrade, pendant la guerre du Kosovo, avec
ces paillettes de carbone qui court-circuitaient
les réseaux électriques. Les Américains utiliseront
probablement aussi les nouvelles armes
dites d'hyperfréquence, dont les ondes provoquent
un dysfonctionnement des réseaux électroniques
(ordinateurs) et une disjonction des
systèmes de commande électrique.
MoiI?s de bruit et de fureur que pendant l'opé-
ration Tempête du Désert, mais plus d'efficacité
militaire. Les Américains escomptent
d'ailleurs que l'armée irakienne, massée aux
frontières et beaucoup plus faible qu'il y a
. douze ans, n'offrira que peu de résistance. La
résistance viendra essentiellement de la garde
républicaine, qui se battra avec énergie autour
de Bagdad et avec l'énergie du désespoir dans
Bagdad.
N. O. - Quelle sera la durée du conflit? .
F. Heisbourg • .::.La guerre de mouvement
avec la prise des grandes villes du nord et du
sud de l'Irak (Mossoul, Kirkuk, Bassora ... )
sera vraisemblablement très courte : cinq à
dix jours. La deuxième phase - prise de
Bagdad - plus longue : trois jours? trois semaines
? trois mois ? Bagdad est une métropole
George Roberston, secrétaire
général de l'Otan, le I0 février
après les veto de la France,
de l'Allemagne et de la Belgique.
« L'Alliance nord-atlantique est
déchirée, donc inopérante ... »
. de 4 millions d'habitants, mais ciJlailléepar des
autoroutes permettant de la «( segmenter I) en
zones, en quartiers dont certains - comme le
quartier chiite - peuvent accueillir les Américains
comme des libérateurs. Une fois arrivés
aux portes de Bagdad, mieux vaudra d'ailleurs
qu'ils ne soient pas trop pressés. Les Américains
ne recommenceront pas leurs erreurs de
Mogadiscio en 1992, où ils ont fait l'expérience
sanglante de la guérilla urbaine somalienne.
Les risques associés? C'est le chimique
sur le champ de bataille ou l'envoi d'obus ou
de missiles chimiques sur des points repérés
d'avance au Koweït, où les troupes américaines
ont des bases logistiques. Il sera peut-être tentant
pour les Irakiens d'utiliser du VX, gaz
neurotoxique puissant, qui peut faire des ravages
non tant parmi les troupes américaines
dotées d'équipements de protection que dans
la population civile. .
N. O. - Les Américains peuvent-ils gagner la
paix ?
F. Heisbourg • ..:.Sur cette question, je voudrais
mettre les choses au point. D'abord il est
totalement fauX de dire qu'ils n'ont pas pensé
à l'après-guerre. Qu'il s'agisse du débat théo-
.rique de l'occupation durable ou des préparatifs
pratiques (avec l'entraînement de forces
irakiennes de l'opposition en Hongrie), ils sont
en plein dedans ..Les réponses américaines ne
sont pas forcément bonnes, mais au moins ils
posent les bonnes questions ... Ce qui n'est pas
le cas des Européens, qui ont très peu réfléchi
à cette question. Les opinions publiques européennes
risquent ainsi de découvrir à l'occa-.
sion de la chute de Saddam
Hussein des choses terribles et les
Américains comptent bien leur rappeler
alors leur hésitation à renverser
une des dictatures les plus
atroces du moment.
Seconde observation: l'Irak est un
vrai pays, avec ses divisions mais
aussi une intelligentsia, des cadres
intermédiaires, des jeux politiques .
complexes qui vont immédiatement
reprendre. Ces gens-là ne vont pas
simplement jouer les «( caniches I)
des Américains. Les nouveaux dirigeants
irakiens chercheront vite à
renouer le dialogue avec les Européens
et, même si nous aurions pu
nous intéresser à eux un peu plus
tôt, mieux vaut tàrd que jamais.
N. O. - UAmérique plaide pour l'idée
d'un cercle vertueux, la démocratisation
de l'Irak faisant boule de neige
dans la région...
F. Heisbourg. - Pendant les
guerres révolutionnaires et napoléoniennes,
la France a exporté dans
toute l'Europe et en Egypte son
concept d'Etat-nation, de peuple
souverain. Elle a été finalement bat- .
tue à la bataille de Leipzig en 1813, par une
coalition de ces nations qu'elle avait contribué
à constituer. J'ai bien peur que ce soit la même
chose en Irak. La démocratie ne s'impose pas
par la force. Les deux personnes les plus haïes
dans la région sont Saddam Hussein et George
W. Bush. La guerre risque de cristalliser un
sentiment antiaméricain et antioccidental dont
nous pouvons faire les frais. Certains de mes
amis américains me disent que, sitôt le problème
irakien résolu, ils vont relancer le processus
de paix israélo-palestinien, sans Yasser
Arafat et sans tolérer non plus de nouvelles colonies
de peuplement. Mais ils seront alors en
pleine année électorale et, compte tenu du
poids de la coalition chrétienne qui croit dur
comme fer que la Galilée et la Samarie sont
des parties indissociables d'Israël, je vois mal
le redémarrage d'un processus de paix façon
Camp David. C'est la raison pour laquelle, je
le répète, la guerre ne doit éclater qu'en dernier
ressort, après épuisement de toutes les
possibilités d'un règlement pacifique.
Propos recueillis par
JEAN-GABRIEL FREDET
* Directeur de la Fondation pour la Recherche stratégique.
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