.Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

Revue de Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro
de la Prensa-Basm Özeti
.'
M
o
('oj
...
.~
>
~
00
'"
.Les Kurdes pris
entre deux feux
Enjeux Les 4 millions de Kurdes s'opposent aux Irakiens
au sud, et aux Turcs au nord. Ils redou~ent que leur
autonomie, acquise depuis 1991, vole en éclats en cas
de conflit. Reportage sur un peuple oublié de l'échiquier
international., DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL OLIVIER WEBER
Sur les crêtes vertes de Kalak se que l'on craint tous, c'est une attaque
découpent une kyrielle de si!- suicide à l'arme chimique de Saddam.
houettes à contre-jour. Dans la Son dernier cadeau aux Kurdes qu'il a
lumière encore chaude du solei! cou- si longtemps opprimés ... »
chant, le village en contrebas se pré- Derrière lui, les peshmergas -littépare
à une nuit de veille, en regardant ralement les « combattants de la mort»
les soldats irakiens à 200 mètres de là - acquiescent en agitant leurs fusi!s,
qui les défient, Au premier coup de se- maigres reliquats de leur trésor de guer-'
monce, les villageois déguerpiront vers re, quand les garnisons irakiennes fudes
lieux jugés plus sûrs. Mais, pour ' rent pillées à la faveur de l'Intifada, le
l'heure, deux hommes au visage rond soulèvement de 1991,qui commença ici
s'affairent à charger de gros barils vides même, sur les rives de la Zab. Tel un
sur le.plateau de leur Toyota. Rachad T. sinistre présage, un combattant préet
son frère sont trafiquants en carbu- vient alors le maire d'un incident. Du
rant et vont chercher près des champs
de mines ennemies leurs rations quotidiennes,
jusqu'à 450 bidons par jour,
au nez et à la barbe des offficiersde Saddam,
qui a réduit le ravitaillement en
carburant de l'enclave kurde de 70% depuis
décembre. Et pour le grand bon-
, heur de quelques soldats irakiens, qui ti-'
rent de ce négoce de juteux bénéficés.
Le maire, Nassan Malayiaya, ancien,
infirmier, devise en complet-veston sur
le sort de ses administrés dans une sorte
de fortin avec vue imprenable sur
l'ennemi. Al'ombre des derricks, ilse félicite
du pactole pétrolier: 230 dinars
kurdes - soit 26 euros - le bari! de
200litres d'essence. Une manne qui permet
à maints paysans et commerçants
d'arrondir des fins de mois difficiles. Il
décrit le drame des bourgades parsemées
sur la ligne de front entre l'Irak
de Saddam Hussein et le Kurdistan,
dont l'autonomie est protégée par les
Alliésdepuis la guerre du Golfeen 1991.
Kalak, en outre, n'est pas une localité
comme les autres à l'orée du no man's
land: ici, les villageois sont cernés de
trois côtés par les Irakiens, avec la rivière
Zab comme dernière frontière.
« Nous n'avons que le pont pour nous
enfuir, clame le maire entouré de peshmergas,
les combattants kurdes. Et ce
« Ce que l'on'
,craint,' c'est une
attaque suicide à
l'arme chimique'
de Saddam. ))
toit de sa petite forteresse, on aperçoit
une colonne de fumée qui s'élève vers
les cieux mêlés du Kurdistan et de la Mésopotamie:
une camionnette de contrebandiers
a été saisie et l'officier de garde
y a mis le feu, à quelques centaines
de mètres de là. «C'estsignéAbdullah, le
chef du check-point irakien, un membre
des services secrets,enrage le commandant
du secteur. On l'appelle Abdullah le
Sauvage tant il a réprimé les Kurdes.
Son heure viendra ... » ,
Alors, quand le maire retourne dans
son fortin, la tête basse, il confie que
tout cela n'est que broutilles à l'heure
où s'annonce la grande bataille. Celle
qui se profile déjà dans les montagnes
avoisinantes àvec les estafettes de la
CIAet les éclaireurs américains cachés
par le PDK- Parti démocratique du Kurdistan
'"i, la formation de Massoud Barzani,
l'une des deux figures de proue
avec Jalal Talabani de ce « Kurdistan
libre» peuplé de 4 millions d'âmes. Devant
ses hommes, alors què les volutes
de fumée s'élargissent comme une tornade
vindicative, l'édile clame que les
souffrances prévisibles de la nouvelle
guerre du Golfe, bombardement de Kalak,
exode de ses administrés, victimes
de la vengeance irakienne, ne sont rien.
en regard de la grande inquiétude des
dirigeants de l'enclave: celle que, dans
le nouveau Proche-Orient qui se dessine;
le Kurdistan autonome disparaisse.
Et que les Turcs accomplissent leur
historique dessein: envahir le fief des
peshmergas.
Dans son nid d'aigle de Salaheddine, '
ancienne station climatique des dignitaires
du régime de Bagdad, qui domine
la plaine d'Arbil, Massoud Barzani
connaît les limites de son exercice: Fils
du général Mollah Mustapha Barzani,
héros de la rébellion kurde, ilreprend le
flambeau à la mort de son père, en 1979.
Douze ans d'indépendance de facto, des
renversements d'alliance, une lutte fratricide
avec son rival et désormais allié
obligé, Jalal Talabani, ainsi qu'un pacte
avec le diable, Saddam Hussein, pour
bouter dehors l'autre faction, l'UPK,
l'Union patriotique du Kurdistan. Iljoue,.
comme Talabani, l'avenir des Kurdes
,d'Irak. Accueillir les Américains, certes,
mais quid des Turcs?
«Si Ankara envoie des troupes ici, il .
Y aura des risques d'affrontement!" menace
Hoshyar Zebari, le conseiller diplomatique
de Massoud Barzani. Le
commandélt:ltpeshmerga de Kalak,aux
abords de la ligne de front, lui, ne prend
pas de gants: "Nous défendrons chèrement
notre liberté. S'il le faut, nous recommencerons
la guérilla, ce que nous
qvons fait pendant quarante ans, et nous
pourchasserons les Turcs où ils se trou-
, vent!» L'inquiétude est patente au sein
de toutes les villes kurdes.
Au cœur d'une enclave protégée, au
nord du 36 e parallèle, par la chasse américano-britannique,
celles-ci jouissp.nt
119