Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

Vendredi 26 octobre '1984;
Ankara n'a pu obtenir la collaboration de Téhéran
dans la lutte contre les rebelles kurdes
De notre correspondant
Ankara. - Le ministre de l'inté-
. rieur, M. Tanriyar, et le chef d'état-
Imajor adjoint des armées, le général
Oztorun, se sont entretenus en début
de semaine à Téhéran avec leurs homologues
iraniens sur la question de
la « sécurité frontière». De retour à
Ankara, M. Tanriyar a qualifié ces
,entretiens d'« utiles ", mais la
presse turque est unamme à souligner
que le désaccord persiste entre
les deux capitales. Les émissaires
d'Ankara n'ont pas obtenu de promesse
de collaboration de la part des
Iraniens en vue d'une action coordonnée
pour empêcher les infiltrations
des Kurdes armés en Turquie,
Ils n'ont pas réussi non plus à
convaincre les autorités de Téhéran
que l'accord conclu il y a une semaine
avec le gouvernement irakien
(qui autorise l'armée turque à pénétrer
en Irak pour des opérations de
ratissage contre les maquisards
kurdes) n'a pas pour objet d'apporter
un soutien au régIme du président
Saddam Hussein (1).
Les dirigeants 'iraniens avaient
d'ailleurs donné le ton avant même
l'arrivée de la délégation turque
dans leur capitale. Le président de
l'Assemblée Iranienne, M. Rafsandjani,
avait condamné ouvertement
les ratissages de l'armée turque en
territoire irakIen, tandis qu'un porteparole
du mimstère Iranien des affaires
étrangères accusait Ankara de
mettre en péril la sécurité dans la région.
Alors que la délégation turque
était déjà à Téhéran, le premier ministre
iranien, M. Moussaoui, déclarait
au cours d'une réunion de son
cabinet qu'il n'était pas question
d'un accord avec Ankara et que
1'1ran était en mesure d'assurer luimême
la sécurité de ses zones frontalières.
Le volume des échanges commerciaux
entre la Turquie et l'Iran va
croissant et atteint plus de 2 milliards
de dollars pour 1984. Les
Turcs entretiennent avec Téhéran de
bonnes relations et ils ont toujours
observé une stricte neutralité dans la
guerre irako-iranienne. Ils ont très
mal accueilli les déclarations d'un
député iranien selon lesquelles les
Turcs visent ,à « intimider le peuple
kurde" .. c'en était évidemment
trop.
Au ministère turc des affaires
étrangères, on précise que la délégation
n'était pas allée à Téhéran pour
conclure un accord en vue d'opérations
communes avec les Iraniens,
mais simplement pour leur expliquer
les objectifs des opérations entreprises
dans le Sud-Est anatolien. On
leur demandait encore de renforcer
le contrôle de leur zone frontalière
avec la Turquie, car il est clairement
établi, selon Ankara, que les auteurs
de certains attentats mortels survenus
à Semdili, dans le département
d'Hakkari, s'étaient infiltrés
par la frontière turco-iranienne. On
demandait enfin « si possible» aux
Iraniens d'extrader des terroristes
réfugiés dans leur pays.
Mais comment les convaincre?
Comme un éditorialiste turc le rappelait
cette semaine, la, Turquie
avait, dès le lendemain de l'arrivée
au pouvoir de l'imam Khomeiny,
pris des mesures appropriées dans
ses zones frontalières avec l'Iran
pour empêcher que les officiers iraniens
réfugiés en Turquie et restés
fidèles au chah n'organisent des
mouvements de résistance à partir
du sol turc. On rappelle aussi qu'Ankara
s'est toujours abstenu de prendre
parti sur la situation des minorités
en Iran, où se trouvent une
dizaine de millions d'Azerbaidjanais
de souche et de langue turques.
Il existe des moyens indirects de
pression: une très grande partie des
importations iraniennes transitent
par l'Anatolie et sont souvent acheminées
par camions turcs. On peut
d'ailleurs dire la même chose pour
l'Irak, d'autant que l'oléoduc
Kirkouk- Yumurtalik constitue à
présent l'unique source de devises
pour Bagdad.
Cependant, on n'en est pas là, et il
n'est question pour l'instant que de
« dissiper les malentendus" par la
voie diplomatique.
ARTUN
UNSAL.
(1) A Bagdad, on indique de source
officielle que l'accord conclu entre
l'Irak et la Turquie donne 1'«autorisation
réciproque. aux armées des deux
pays de « pénétrer, en cas d'extrême urgence,
de 5 kilomètres en profondeur»
dans le terri talle de l'autre « à /0 poursuite
de saboteurs, pour une durée Iiml'ede'rolsjolU"
-. - (AFP.)
Dimanche 28-Lundi 29 o6tobr~ •.1984:
~~...-- -- -~..... ..._~_.
la Turquie en proie à ses démons
le « retour à la démocratie »,
dont les élections du 6 novembre
1983 devaient marquer la première
étape après plus de trois
années de régime purement militaire,
paraît aujourd'hui bien
compromis en Turquie.
Comme Il était prévu, M. Turgut
Ozal, le premier ministre issu
de la consultation, n'est parvenu
à prendre aucune initiative en
matière de sécurité et de droit de
l'homme: c'est là le domaine
réservé des forces armées.
Celles-ci s'en occupent à leur
façon habituelle, qui est fort
expéditive: ratissage des VIllages
kurdes situés à la frontière de
l'Irak (et même au-delà, avec
l'accord de Bagdad!. en vue de
liquider les rebelles séparatistes;
et reprise après seize mOIs de
répit des exécutions d'opposants
politiques extrémistes : les deux
dernières victimes ont été respectivement
Ilyas Has, pendu le
7 octobre à Izmir, et Hidir Asian,
le jeudi 25 à Burdur, et cela malgré
les démarches diverses -
celles du PCF notamment - pour
sauver ce militant d'extrême
gauche condamné pour « tentative
de chsngement par Is' violence
de l'ordre constitutionnel Il.
A M. Turgut Ozal revenait
d'assainir, selon les recettes les
mieux éprouvées de l'hyperlibéralisme,
une économie nationale
en plein marasme. Comme il est
ordinaire, les premiers résultats
ont été spectaculaires (en particulier
un redressement de la
balance commerciale) au prix,
comme il est non mOins ordinaire,
d'une aggravation des
conditions de vie des couches
populaires et des classes
moyennes (le chômage atteint
environ 20 % de la population
active).
MaiS comme tous les libéraux
du tiers-monde (et parfois d'ailleurs
... ), le chef du gouvernement
d'Ankara retrouve à chaque
pas certaines pesanteurs: appareil
d'Etat, bureaucratie, corruption.
Il pourrait en faire rapidement
les fraiS : sa permanence
au pouvoir apparaît, en effet,
désormais menacée. M. Ozal fait
aUJourd'hui face à une crise
majeure, rendue manifeste par la
démission, le 25 octobre, de son
beau-frère, le ministre de l'inténeur
M. Ali Tannyar, et le limogeage
consécutif du ministre des
finances et des douanes,
M. Vural Arikan. Ce déchirement
du tissus gouvernemental a pour
origine la découverte, en juillet
dernier, d'un trafic d'or et de
devises impliquant des fonctionnaires
et des policiers - événement
banal en Tucquie. Pour
d'obscures raisons, l'affaire a
divisé l'équipe en place, le ministre
des finances a accusé son
collègue de l'intérieur de « prstiques
snticonstitutionnel/es » (des
douaniers auraient été torturés
par des policiers). .
En fait, il semble que M. Vural
Arikan, qui jouit d'une certaine
popularité, joue la déstabilisation
de M. Ozal, afin de lui succéder à
la tête d'une nouvelle coalition
formée de dissidents du parti
Anavatan (la Mère-Patrie) de
"actuel premier ministre et de la
Démocratie nationaliste. significativement
dénommée en Turquie
«le parti des généraux Il.
les forces armées ne se sont
jamais vraiment aGcommodées
de la victoire de M. Ozal, en
1983, et le préSident Evren ne
serait sans doute pas désolé de
travailler avec un premier ministre
plus malléable. En toute
hypothèse, l'Anavatan est
aujourd'hui tiraillé entre des courants
contradictoires, parmi lesquels
les fondamentalistes
musulmans ne sont pas les
moins actifs.
le problème kurde, le poids
énorme de l'Etat, une conception
sommaire des droits de
l'homme: autant de problèmes
quasiment' insolubles pour une
TurqUie qUIa, décidément, beaucoup
de difficultés à démontrer
sa qualité d'Etat européen à part
entière, ce à qUOI,pourtant, elle
tient énormément.
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