Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

Revue de Presse-Press Review-Berhevoka Çap~~RivistaStampa-Dentro
£emonae'
JEUDI17 OCTOBRE 2002
de la Prensa-Basm (jzeti
~ierre-Jean Luizard, chercheur au CNRSet auteur de (~La Question irakienne»
"Lerégime irakien n'a aucune base sociale,
il s'effondrera facilement en cas de guerre"
-j
CET ENTRETIEN a été relu et
amendé par Pierre-Jean Luizard,
chercheur au CNRS et auteur de
La Question irakienne (Fayard,
oct. 2002, 368 p., ZO€)o '
Pourquoi, dans votre livre,
qualifiez-vous la guerre annoncée
contre l'ifak de « fawq~~s.» '
américain ?
D'abord, parce que les Américains
risquent de se retrouver avec
, un pays ingérable, où les assabiyya;
les solidarités tribales ou
familiales, seront instrumentalisées
par tous ceux qui ont un intérêt
politique en Irak - la Turquie,
l'Iran, les Saoudiens, etc. -, susci-
'tant un immense désordre. Ensuite,
parce qu'il y a dans la volonté
guerrière américaine une composante
irrationnelle. Le Il septembre
a tout modifié, On entend dire
que ,les Américains vont faire la
guerre pour le pétrole. Je ne le '
crois pas. Pour contrôler les flux et
lesprix pétroliers, la situation antérieure
était, de leur point de vue,
idéale. L'Irak était muselé et, par
les sancti0ns, les Etats-Unis
étaient maîtres du jeu pétrolier global.
La guerre annoncée est une
fuite en avant où, en développant
une logique de puissance, les Américains
semblent avoir perdu tout
discernement de leurs intérêts.
Dans votre ouvrage, vous
expliquez que le régime irakien
a réinstauré la prédominance
sociale du système tribal. Comment
ie président Saddam par- ,
vient-il à gouverner ainsi'? '
Le (~'facteur extérieur» explique "
qu'un clan, et même une seule
famille, impose sa volonté à toute
une société. Le régime de Saddam,
tient non par ses ressörts internes
mais par son envirol1nement,
dominé par les Etats-Unis. Les
gens ont le vif sentiment que leur
destin leur échappe. Leschoix décisifs
se faisant ailleurs, la société a,
cessé d'être le protagoniste de SOIl
propre sort. Tout part de l'écrase-,
ment: sanglant du soulèvement
chiii'~en 1991, après la guerre du
Golfe. Washington a alors sciemment
favorisé Saddam. Féroce-
mèrit réprimée, la société inikien- sud' dU pays?
ne arabe ,..:'pour les Kurdes, c'est, Il reste des combattants dans les
« Pour éviter une
'différent - était déjà délitée avant marais, mais le gros de l'opposi- '
sItuation ingérable.
1991; apJ;èsl'écrasement des chii- tion chiite est, en Iran. L'avenir dl:
les Etats-Unis
tes, la trIbu est apparul< comme l'Irà1< dépend énormément des
doivent trouver
l'ultime refuge lorsque tout s'est
effondré.
tractations actuelles entre Améri-
cains et Iraniens. Pour éviter une ai
des alliés
•chez les chiites»
Quel rôle a Joué l'embargo? situation ingérable, !eso'Etals-UnisÖ s.:
Il a favorisé le repli tribal. L'em- doivent trouver des alliés chez les
bargo renforce le régime dans son ' chiites, très majoritaires parmi les
rôle d'unique distributeur de Arabes irakiens et dont les liens trois, séparant Kurdes, chiites et
richesses.,En Irak, on ne fait vivre religieux et culturels avec l'Ii-an sunnites, institutionnaliserait Ic
sa famille que si l'on collabore sont importants. La contradiction confessionnalisme. Cel.l paraît
avec le pouvoir, Le contrôle social majeure est que les partenaires impraticable. Une féd,'ration à
de la dictature s'effectue .désor- potentiels de Washington, hormis deux, Arabes et Kurdes, risquerait
mais via les structures traditionnel- les Kurdes, ont tous 'une tradition de paver la voie à la séparation,
les, les alliances et les allégeances politique anti-occiâen'tctle: Aucun Etat arabe ÎJ'akicnn'acccpfamiliales.
L'économie d'embargo, Qui pourraient être les « parte- tcra de céder Kirkouk, Mossoul t:t
sa pénurie sélective, dans une naires chiites» de Washington? la zone pétrolifère à un Etat kurdc.
société résignée à la terreur où Ilpeut y avoir des surprises. Des même fédéral, et Ankara n'en veut
l'Etat est omnipotent, expliquent tractations ont lieu. Bakr al- pas. Enfin,le fédér.llisme implique
que l'apolitisme est devenu, de Hakim, le leader de l'Asrii - le un niveau de culture démo\:r,lti-
10in,Iepremier parti d'Irak. La das- Conseil supérieur de la révolution quc dont l'Irak est très loin.
se moyenne est moribonde, les éli- islamique en Irak -, se dit aujour- Que pensez-vous des« plans )'
tes intellectuelle~ sont en exil. ' d'hui favorable à une intervention: ' de future administration mili-
Saddam Hussein garde-toil américaine. Or il entretient des' taire américaine de l'Irak?
-une base sociale? relations privilégiées avec AliKha-' Si,comme on l'cntend, les Et.ltsoNon.
Hormis son clan et quel- menei [le Guide de la Répllblique Unis se préparent à rester quinze
ques alliances, le régime n'a aucu- islamique d'Iran]. EnaoUt, pour la ans pour assurer leur domin,ltion,
ne base sociale. Ils'effondrera faci- , première fois, l'Asrii a été reçue à cda signifiera le retour à l'époqllc
, lement en cas de gUerre avec les Washington. Si ces tractations' du mandat international. On sait
Etats-Unis. Mais une partie de la échouent, les Américains apparaÎ- ce qui est advenu. Lesforces histo-
Garde républii,ine, des Fedayins riques qui ont alors balayé une
de 'Saddam, des Forces spéciales, tront vite comme de nouveaux monarchie identifiée aux intérêts
qui ont trempê dans ses bassés occupants, comme le furent en étrangers se reconstitueront, et
œuvres, pourraient offrir une résis- leur temps les Britanniques elles sont toutes d'autant plus ,lOtitance
acharnée 'si le vainqueur ne [1916-1930).
occidentales que le mouvement
leur offre aucun sanctuaire. Ces Qui' d'autre pourrait soutenir religieux chUte y a remplacé le
forces prétoriennes du régime ne les Américains? , Parti communiste.
forment pas un ,bloc homogène. Voici un ,exemple typique dû',
I
désespoir et du fatalisme irakien.
Le noyau dur serf beaucoup p us U . d"
, Propos recueillis par
petit. Ces milices ,recrutent désor- n ancien mgeant de gauche, hismais
selon des clivages tribaux. toriquement très
Sylvain Cypel
anti-américain,
Lestribus Dulaymi et les Joubouri, me disait récemment: « Avec Sadqui
ont subi des purges sanglan- dam, nOlls avons et la dictatlIre, l't
tes, reprochent au régime d'avoir la dépendance. Quitte à rester SOIl~
détruit la solidarité entre sunnites tutelle, au moins la guerre nOlls peret
devraient faire défection. Il y a mettra d'enfinir avec la dictature. »
même un réel danger de guerre Un État irakien fédéral ne
entre ces milices surarmées, aux pourrait-il constituer une soluidentités
tribales affirmées, dans tion à l'avenir?
l'après-Saddam.
, Hormis le PC,toutes les compo-
Pour conquérir l'Irak,les Etats- santes de l'opposition rejette,nt
Unis ne peuvent pas compter l'idée fédérale. Chiites et sunnites'
sur les seuls Kurdes pour alliés, y voient le premier pas vers le par-
Que représentent les guérillas Çéd. ' .
chiites encore actives dans le tage du pays. Une l' eratlon a
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