Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro<br />
<strong>de</strong> la Prensa-Baszn Öz<strong>et</strong>i<br />
. 100% <strong>de</strong>s voix au candidat unique. Dans<br />
un quartier populaire, l'un <strong>de</strong>s bureaux <strong>de</strong><br />
vote nous ouvre ses portes. C<strong>et</strong>te visite est<br />
imprévue, elle échappe au contrôle officiel.<br />
Aussitôt, un attroupement se fonne<br />
dans le préau <strong>de</strong> l'école. Lesétrangers sont<br />
les bienvenus. Surtout s'ils viennent <strong>de</strong><br />
France, la patrie <strong>de</strong> Zidane <strong>et</strong> <strong>de</strong> Chirac,<br />
perçu ici comme un modèle <strong>de</strong> résistance<br />
à « Bush» <strong>et</strong> a~« juifs »~<br />
Des hor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gamins accourent en<br />
.criant «Saddam, Saddam ». Les notables<br />
se bousculent pour louer à leur tour le<br />
«grand homme », vanter son «intelligen-.<br />
ce », son sens <strong>de</strong>s «libertés ». O~ nous<br />
oftTe <strong>de</strong>s gâteaux, du thé, du PepsI-Cola.<br />
Bientôt, la fanfare s'annonce. Tambour I<br />
Tromp<strong>et</strong>te IEt les enfants chantent « Saddam'<br />
est dans notre cœur! » L'est-il dans<br />
celul <strong>de</strong>s électeurs? Voilà <strong>de</strong>ux minutes, il<br />
n'yen avait pas im Seul<strong>de</strong>vant l'urne, mais<br />
l'art <strong>de</strong> la mise en scène est bien maîtrisé:<br />
une. dizaine d'hommes, mobilisés à la<br />
va-vite, votent maintenant sous nos yeux..<br />
«Regar<strong>de</strong>z, s'exclame le responsable du<br />
bureau, c'est ça la démocratie I»<br />
C<strong>et</strong> accueil, si chaleureux soit-il, a un<br />
.côté mécahique. Chacun. semble avant .<br />
tout soucieux <strong>de</strong> montrer à la communauté<br />
combien il fait honneur au maitre ..<br />
C'est à celui qui aura à son égard le compliment<br />
le plus élogieux, l'analyse la plus<br />
flatteuse.<br />
Certes, c<strong>et</strong>te ville est réputée fidèle au<br />
'régime, tout comme tikrit. Mais il doit<br />
bien y avoir, dans c<strong>et</strong>te foule enfiévrée,<br />
<strong>de</strong>s. citoyens qui rl!veraient <strong>de</strong> cocher la<br />
case «non» sur leur bull<strong>et</strong>in. Las I ces<br />
choses-là ne s'avouent pas. Ml!mesous le<br />
couvert <strong>de</strong> l'anonymat. Lapopulation sait<br />
le prix du silence. Les mots sont dangereux<br />
; ils peuvent tuer. Depuis le référendum<br />
<strong>de</strong> 1995, qui avait valu à Saddam<br />
Hussein 99,96% <strong>de</strong> suffrages positifs, une<br />
blagUe édifiante circule à ce suj<strong>et</strong>. Tandis<br />
que l'un <strong>de</strong> ses conseillers lui la.nce: « Prési<strong>de</strong>nt,<br />
que <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus après ce plébiscite?<br />
», ce <strong>de</strong>rnier répond sèchement:<br />
« Les noms I »<br />
Leparti Baas quadriiIe siefflcacement le'<br />
territoire que quiconque ose sortir du rang<br />
est aussitôt repéré,. <strong>et</strong> dénoncé. «La pres-<br />
.sion psychologique est telle que les gens affichent<br />
<strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong> Saddam ou <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>-<br />
. raIespour éviter lès représailles », assure un ,<br />
conimerçant' <strong>de</strong> Bagdad. Et si le mon<strong>de</strong><br />
entier a douté <strong>de</strong>s résultats du scrutin du<br />
15 octobre (100% <strong>de</strong> «oui »), les Irakiens,<br />
eux, savent qu'ils reflètent la vérité. «nfale .<br />
lait être fou, ou suicidaire, pour voter contre<br />
», adm<strong>et</strong> un électeur. «En démocratie,<br />
il y aurait eu 96 % <strong>de</strong> "non" », assure un<br />
autre.<br />
La peur est le ciment <strong>de</strong> la dictature; elle<br />
paralyse jusqu'aux esprits les plus libres.<br />
Peur <strong>de</strong>s écoutes téléphoniques, du filtrage<br />
<strong>de</strong>s courriels. Peur d'éteindre la télévision<br />
quand « il» apparaît à l'écran. Peur<br />
<strong>de</strong> la délation, <strong>de</strong>s vengeances. « Même les<br />
poules s'épient entre elles », confinne un<br />
Occi<strong>de</strong>ntal installé <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> quinze<br />
.ans dans la capitale irakienne. «Aux yeux<br />
<strong>de</strong>s baassistes, tout étranger est un espion .<br />
potentiel, poursuit-il. La première obligation<br />
d'un jeune, quand il adhère au parti, est<br />
<strong>de</strong> répéter ce qu'il entend autour <strong>de</strong> lui. JO<br />
. « La première obligation d'un jeune<br />
quand il adhère au parti Baas<br />
est <strong>de</strong> répéter ce qu'il entend aùtour <strong>de</strong> lui.<br />
Même les poules s'épient entre elles»<br />
mer sur ces massacres ne sert à rien, si ce<br />
n'est à observer les visages pé~fiés, les<br />
yeux soudain embués. Après un moment<br />
d'hésitation, la réponse tombe, toujours<br />
i<strong>de</strong>ntique, comme si nos interlocuteurs,<br />
terrorisés par la présence d'un interprète<br />
du ministère <strong>de</strong> l'infonnation, étaient soudain<br />
frappés d'amnésie: «Non,. il n'y ä<br />
jamais eu <strong>de</strong> violence, chiites <strong>et</strong> sunnites s'enten<strong>de</strong>nt<br />
à merveille. » C'est cela, l'Irak <strong>de</strong><br />
Saddam: le silence,la peur.<br />
LAmenace d'une intervention<br />
Les familles ne sont pas épargnées. «Les<br />
américaine n'a fait que renforcer<br />
. fi . . à '1 l'empri,se du pouvoir, Au nord,<br />
parents dOIvent aire attention ce qu Is v0isiiJ.-.du.Kurdist.an.<strong>de</strong>~..militaidisent<br />
<strong>de</strong>vant leurs enfants, confie une res- "<br />
tauratrice <strong>de</strong> Bagdad, car certJ1ins ensei-<br />
res se fon(pluS' nombreux. Au<br />
gnants essaient <strong>de</strong> faire parler les gosses. » süd, agents <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> renseignement .<br />
A d lé' é d . <strong>et</strong> militants du parti occupent le terrain, à<br />
Dès lors,la qU<strong>et</strong>e e a v nt , es angOls- l'affQtdu moindre indice <strong>de</strong> rébellion chez<br />
ses réelles, obligé à une longue mise en<br />
confiance. TIfaudra patienter <strong>de</strong>s jours les chiites. Les ministres eux-ml!mes ne<br />
pour qu'un étUdiant en droit finisse, par<br />
sont pas à l'abri d'une disgrâce : certains<br />
disparaissent <strong>de</strong> la circulation du jour au<br />
nous glisser, coilUrte.'soulagé<strong>de</strong> se livrer len<strong>de</strong>main, remplacés par d'autres, jugés<br />
enfin : «C<strong>et</strong> homme ,est .le diable. JO plus fiables. Ces <strong>de</strong>rniers !Dois,plusieurs<br />
Paiejlles confi<strong>de</strong>nces sont rares. Les'Ira- portefeuilles ministériels ont ainsi changé<br />
kiens ont beau l!tre avenants; soUriants, ciemains (santé, électricité, pétrole). Il faut<br />
'toujours disposés à accueillir l'étranger en dire qu'à Bagdad; tous ceux que les Iraami,<br />
ils se fermeQt, ou jouent la comédie, ' kiens surnomment les «chiens <strong>de</strong> Saddès<br />
lors est question <strong>de</strong> « Lm ». Les ques- . dam JI> . (agents, policiers, indicateurs ...)<br />
. tions taboues appellent <strong>de</strong>s réponses sté- '. sont l'œil 'du dictateur. On les croise dans<br />
réotypées: Y a+il beaucoup <strong>de</strong> chô- .' les bureaux, les lycées, les institutions relimeurs?<br />
«Non,grâce àJ'intelligence <strong>de</strong> Sad-. . gieus,es; ou encore les hôtels où séjourdam'Husséin.<br />
»Est-il exact que celui-cipos- nent les journalistes étrangers.<br />
'sè<strong>de</strong><strong>de</strong> multiples palais? « Toutes les mai- .Dans ces conçlitions,chacun s'invente sa<br />
sons d'Irak sont les palais du prési<strong>de</strong>nt; il est propre dissi<strong>de</strong>nce, profite du moindre<br />
le bienvenu partout » Au moment d'abor- ,.espace<strong>de</strong> liberté. Ainsi, <strong>de</strong>s surnoms exis<strong>de</strong>r<br />
un suj<strong>et</strong> délicat en présence d'un inter- tent pour critiquer le prési<strong>de</strong>nt sans<br />
prète officiel, mieux vaut donc se fier aux ,éveiller les soupçons. On l'appelle<br />
' regards. Lesyeux, eux, ne mentent pas; ils .« l'autre JO, «le grand» ou encore «l'on-<br />
-trahissent souvent la terreur. Pour le com- cie JO. Les journaux européens ou amériprendre,<br />
il faut filer c<strong>et</strong>te fois vers le sud, ' cains - quand ils franchissent la frontière _<br />
en territoire chiite...<br />
sont très appréciés. I<strong>de</strong>m pour les émis-<br />
Deux heures <strong>de</strong>.route <strong>de</strong>puis Bagdad, <strong>et</strong> .sions <strong>de</strong> radio (Voice of America, BBC).Et<br />
. voici Karbala, l'un <strong>de</strong>s lieux saints <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te. pUis,ily a c<strong>et</strong>te question, si souvent posée<br />
branche <strong>de</strong> l'islam. Au cœur <strong>de</strong> la cité, aux Occi<strong>de</strong>ntaux <strong>et</strong> qui trahit mieux que<br />
<strong>de</strong>ux mosquées accueillent <strong>de</strong>s pèlerins tôut les vraies angoisses <strong>de</strong> l'époque:<br />
venus <strong>de</strong> tout le pays. Les Iraniens sont ~ Pensez-vous que la guerre aura lieu?<br />
.également nombreux, au moins cinq mille' Dites-le nous. Ici, on ne sait rien. » Autre<br />
par semaine, pour la plupart <strong>de</strong>s vieilles source d'infonnation : les parents <strong>et</strong> amis<br />
femmes voilées <strong>de</strong> noir. Bien que les chii- . en exil.A condition que les appels téléphotes<br />
soient majoritaires en Irak (près <strong>de</strong> niques soient brefs <strong>et</strong> truffés d'allusions,<br />
60 % <strong>de</strong> la population), le pouvoir est aux par crainte <strong>de</strong>s écoutes. Les rares privilé-<br />
.mains d'une élite sunnite (37 %) qui les .giés autorisés à se rendre en Jordanie (200.<br />
méprise. Karbala en témoigne: hors <strong>de</strong> ces euros en voiture, sans compter les frais <strong>de</strong><br />
mausolées aux dômes d'or, la villeest pau- . yisa) préfèrent attendre d'l!tre à Amman<br />
vre, elle survit grâce aux pèlerirtages'pour décrire le pays tel qu'il est: mala<strong>de</strong><br />
En mars 1991,à l'époque <strong>de</strong> la guerre du<br />
:Golfe,la population avait tenté <strong>de</strong> se soule-<br />
'<strong>de</strong>s guerres, mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'embargo, mala<strong>de</strong><br />
. <strong>de</strong> la dictature.<br />
.ver, tout comme les habitants chiites Souhaitera-t-il pour autant une interven-<br />
'd'une douzaine d'autres villes du Sud, tion <strong>de</strong>s Etats-Unis? C'est tout le paramais<br />
l'insurrection avait tourné court, doxe <strong>de</strong> la situation. Ce peuple brisé<br />
réprimée dans le sang par les troupes <strong>de</strong><br />
Saddam. Karbalaen gar<strong>de</strong> un souvenir hor.<br />
rifié mais n'en parle pas. Tenter <strong>de</strong> s'infor~<br />
<strong>de</strong>meure fier <strong>de</strong> son histoire <strong>et</strong> profondément<br />
nationaliste. Malgré le rej<strong>et</strong> du régi-<br />
me, l'idée d'une ingérence extérieure est<br />
insupportable à une majorité d'Irakiens,<br />
surtout si elle <strong>de</strong>vait promouvoir un gouvernement<br />
aux ordres <strong>de</strong>s Américains.<br />
«On ne veut pas d'un Pétain irakien », pré~<br />
vient une vieillefemme ayant vécu en France.<br />
L'opposition en exil ne jouit que d'un<br />
faible crédit. La population lui reproche<br />
d'avoir fui, <strong>de</strong> s'l!tre coupée <strong>de</strong>s réalités, .<br />
<strong>de</strong> tout ignorer <strong>de</strong>s 'maux qui la rongent :<br />
la peur <strong>de</strong> Saddam, l'urgence du quotidien.<br />
Phillppe Broussard<br />
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